Nous avons dit quelques mots dans un précédent article concernant l’exploitation du sel dans le nord-est de la Thaïlande et la présence dans la région d’énormes ressources de potasse qui sont à l’origine de vifs débats sur lesquels la presse francophone et anglophones a été remarquablement silencieuse alors qu’il s’agit pourtant d’un sujet qui est au cœur de l’avenir de l’Isan.
La potasse est un minéral dont l’utilisation est essentielle dans le secteur agricole puisqu'elle est utilisée pour produire les engrais, ce qui est essentiel dans un pays dont la richesse principale est et reste l’agriculture.
La nature n’a pas besoin d’engrais certes mais l’agriculture intensive a, elle, besoin d’engrais pour produire. Les deux pays les plus peuplés du monde, l’Inde avec un peu moins d’un milliard et demi d’habitants et la Chine avec un peu plus de ce milliard et demi ne peuvent les nourrir qu’avec une agriculture intensive. Les végétaux ont besoin de potassium pour prospérer tout autant que l’organisme humain a besoin de sel. La potasse, sel naturel, améliore les rendements, facilite la rétention d’eau et la résistance aux maladies des cultures. Si notre région regorge de mines de sel de terre, leur exploitation se fait le plus souvent sur des sites à ciel ouvert selon des procédés qui sont probablement les mêmes qu’à l’âge du fer et qui ne nuisent en rien à notre environnement. Tel n’est pas le cas de l’exploitation de la potasse qui se fait dans des mines souterraines entraînant non seulement des risques pour l’environnement mais aussi pour les mineurs.
Or, le sous-sol du nord-est de la Thaïlande contient d’immenses gisements de ce produit naturel alors que le pays est le 5e plus grand importateur d’Asie avec 700.000 tonnes de potasse importées chaque année pour la production d’engrais potassiques.
La découverte de ces gisements ne date que de 1970, La région la plus pauvre de Thaïlande pourrait devenir la plus riche. Voilà bien le problème !
Les trois principaux pays producteurs sont le Canada, la Russie et la Biélorussie.31.8 % de la production mondiale pour le Canada, 20 % pour la Russie et 17,6 % pour le Belarus mais les deux derniers sont maudits pour la bonne conscience universelle !
Compte tenu du fait que la potasse est également utilisée comme base pour d'autres produits tels que le verre, le savon et la céramique, son importance est majeure puisqu’il n’est pas exclu à ce jour que le sous-sol thaï recouvre des réserves qui seraient les plus importantes au monde à ce jour après, et peut être avant, celles du Canada et de la Russie, presque totalement inexploitées quoi qu’évaluées provisoirement à 400 milliards de tonnes.
Ces ressources thaïes sont connues depuis les années 1970 gisant dans toute la province sous nos vastes étendues de rizières. Une première fois, il y a environ 30 ans une société canadienne avait été la première à tenter un processus d'exploitation dans la province d'Udonthani, elle avait fort discrètement lancé une étude d'impact sur l'environnement et obtenu un permis d'exploitation. Mais dès que les populations locales furent informées, l’opposition fut si forte qu’aujourd’hui encore pas un gramme de potasse n’en a été extrait, et les jalons d’explorations restent rouillés pour ceux qui n’ont pas été détruits.
Mais il a fallu plus de 35 ans pour que la première société, la société chinoise « China Ming Ta Potash » obtienne l'autorisation d'exploration des réserves de potasse dans la province de Sakon Nakhon. Elle disposait de 5 ans pour évaluer ce qui se trouve au-dessous de douze parcelles minières couvrant 120.000 rai soit un peu moins de 20.000 hectares incluant 82 villages du district (amphoe – อำเภอ) de Wanon Niwat (วานรนิวาส) situé à environ 70 kilomètres au nord-ouest de Sakon. Le district proprement dit s’étend sur 1000 kilomètres carrés soit hectare, regroupe 14 sous districts (tambon - ตำบล), 182 villages et environ 125.000 habitants au recensement de 2017. C’est en réalité un tiers du district qui serait massivement touché. La région est essentiellement sinon exclusivement agricole, les habitants vivent de la culture du riz et des ressources que leur procure l’immense lac nam huai thong (น้ำห้วยโทง) aujourd’hui aménagé et protégé mais donc le nom, huai thong, signifie ce qu’il fut « le torrent capricieux ». Son eau a une triple utilité, l’irrigation des rizières, l'alimentation en eau potable et les produits de la pêche.
L’arrivée des Chinois s’explique facilement, car il y a longtemps qu’ils ne fertilisent plus leurs parcelles de légumes avec leur merde, celle de leur milliard et demi d'habitants n'y suffirait pas. Leur production agricole est gigantesque, et la Chine est le plus gros consommateur de potasse au monde.
L’installation d’un consulat de Chine à Khonkaen, au cœur de l’Isan, n’est évidemment pas innocente. Les touristes chinois ne s’agglutinent pas dans le nord-est mais sur les plages.
Il n’y a pas de Chinois y vivant et les nombreux habitants d’origine chinoise sont depuis longtemps assimilés et, intégrés
Les agriculteurs chinois dépendent des importations de potasse principalement du Canada, de la Russie et de la Biélorussie. Ceux-ci devant une demande en constante augmentation avaient déjà fait augmenter les cours de 25% en 2017 d’oú nécessité de trouver de nouvelles sources moins coûteuses. Le conflit russo-ukrainien a tout simplement entrainé un triplement du cours de la potasse à partir de 2021
Le nom du district proprement dit, Wanon Niwat, signifie « le district des singes » probablement parce que ceux –ci y gambadent encore en liberté. Ce n’est de toute évidence pas une région vouée au tourisme et encore moins à l’industrie fut-elle agro-alimentaire. La résistance des habitants au projet chinois, soutenus par des « activistes » d’Udon fut féroce d’autant qu’il ne semble pas que de solides études d’impact aient été entreprises par les fils du ciel. Les habitants de Wanon Niwat ont formé leur propre groupe de protestation environnemental composés et animés soit dit en passant par plus de 80% de femmes. Leurs intentions sont claires, faire pression sur la société pour qu’elle mette fin à toute activité d’exploitation minière. Leurs craintes ne sont pas dépourvues de fondement :
L'extraction de la potasse produit de grandes quantités de sel en tant que sous-produit, celui que nous utilisons pour saler notre soupe. Or la région est déjà saturée en sel mais son exploitation se fait – avons-nous dit – dans des conditions qui ne nuisent pas à l’environnement. Oú donc partiront les résidus salins ? Vont-ils ruiner les sources d’eau potable, saler les eaux souterraines qui alimentent ces sources et des puits, saler le sol ce qui rendra l’agriculture impossible. Ce sont les moyens de subsistance de dizaines de milliers de personnes qui sont concernés. L’étude d’impact qui aurait été produite ne fait aucune allusion aux risques d’effondrement pourtant systématique dans les zones dont le sous-sol est creusé de galeries de mines. L'extraction à grande échelle de la potasse est susceptible d’entraîner l'apparition de dolines mortifères, il en existe de nombreux exemples, fosse gigantesque de 15 mètres de profondeur et de la taille d'un terrain de football. Ce risque d’effondrement est d’autant plus important que la potasse découverte, au demeurant de très haute qualité, se trouve à des profondeurs facilement accessibles, entre de 150 à 300 mètres alors qu’ailleurs dans le monde, le minéral est généralement situé à une profondeur d'au moins 1.000 mètres et en moyenne 700 à 800 mètres dans nos défuntes mines alsaciennes
Rien ne fut non plus prévu pour la protection contre les poussières de sel poussées par le vent provenant de la mine et ayant un incontestable impact sur la santé de la population. Comme chacun sait, on ne vivait pas vieux dans les mines de sel des Tsars et de Staline ! Il est possible, mais aucune étude n’a non plus été effectuée par les Chinois, que les poussières de la mine contiennent aussi des traces de métaux lourds - mercure, plomb et cadmium - susceptibles de causer un risque supplémentaire pour la santé.
A tous ces griefs, les Chinois n’ont répondu que par de vagues promesses. Leur pays est certes devenu la seconde puissance économique mondiale mais s’est élevé au rang de premier pollueur.
Une première vague de protestation en 2018 fut dirigée par les femmes qui bloquèrent l'accès aux sites de forage ce qui suscité de la part des Chinois une vague de procédures contre les manifestantes auxquelles ils réclamèrent 34 millions de bahts d'indemnisation. La question fut posée de savoir si le gouvernement en place en peaufinant la législation sur les droits d’exploitation des mines n’avait pas quelque peu négligé la protection de l'environnement et les droits des communautés rurales ?
Les manifestants rappelaient non sans raison qu’il y a trente-cinq ans, une opération de production de sels minéraux à échelle industrielle et non plus artisanale dans le district de Borabue (อำเภอ บรบือ), dans la province de Maha Sarakham (มหาสารคาม), avait provoqué un désastre environnemental en empoisonnant les terres et l'eau avec du sel et en endommageant les moyens de subsistance de la population. Le gouvernement avait finalement interdit la production de sel dans la région et a ordonné des efforts de réhabilitation qui sont encore en cours.
En décembre 2018, les contestataires ont organisé la spectaculaire « libre marche de Wanon » (thai wanon kaodoen – ไทวานรก้าวเดิน) au cours de laquelle plus de 200 villageois ont quitté leur communauté pour se rendre à Sakon Nakhon, capitale de la province, à 85 kilomètres. Suivis de près par la police, l'armée et les services de renseignement. Les villageois ont marché pendant six jours, ne s'arrêtant que pour manger et dormir dans les temples jusqu'à ce qu'ils atteignent leur destination finale pour un rassemblement à l’Université Sakon Nakhon Rajabhat (มหาวิทยาลัยราชภัฏสกลนค).
Plus tard en mars 2019, quatre mois après la première marche de protestation, le même groupe a organisé une cérémonie pour apaiser les esprits du réservoir de Huay Thong et faire des offrandes aux esprits du lac qui protègent cette précieuse source d’eau nécessaire à la vie de milliers d’entre eux puisqu’il fournit l’eau potable à la ville de Wanon Niwat et à tous les villages alentour, irrigue de grandes superficies de terres agricoles et fournit un apport important en protéines sous forme de poisson, de crevette et d’escargots. La contamination ou la salinisation de ce lac par l'extraction de la potasse causerait d'innombrables problèmes, non seulement pour l'écosystème environnant, mais également pour un mode de vie qui n'a pas changé depuis des générations.
S’assurer la protection des esprits est un moyen de contribuer à la survie mais il serait préférable aussi de mettre fin à l’exploitation minière avant que les changements ne deviennent irréversibles.
Les habitants contestataires ont tous dit se satisfaire de leur vie tranquille, en particulier se reposer à l’ombre en regardant paître les buffles avant de les ramener au bercail pour la nuit. L’un d’entre eux vit paisiblement de sa pêche au filet, poissons et crabes, dans un petit ruisseau qui alimente le lac. Une autre vit de la même façon, capturant les produits du lac de la même façon qu’utilisaient ses ancêtres depuis des siècles, pour se nourrir en priorité et éventuellement aller vendre le superflus au marché.
Tous confirment vivre en parfait équilibre avec la nature.
Leur slogan est le suivant « J’aime mon village et jamais je ne laisserai une mine s’installer ici » (kurakbanku kuchamaiyomhaimimueangraekoetkhuen - กูรักบ้านกู กูจะไม่ยอมให้มีเหมืองแร่เกิดขึ้น).
Lors de leur seconde marche, les manifestants habillés de chemises vertes portaient pieusement le portrait de l’un des leurs, Nujiam Paisita (หนูเจียม ไฝ่สีทา) tué dans un accident de la circulation quelques jours auparavant. La marche de six jours se fit en agitant des drapeaux verts. A chaque étape du soir dans les temples, ils réunissaient les villageois pour expliquer leur combat.
Arrivés à leur destination finale, ils furent accueillis par des universitaires sympathisants, toujours sous étroite mais non contraignante surveillance policière.
Les offrandes aux esprits du temple se firent de façon traditionnelle par le lien avec un fil blanc de 1.500 mètres entre le village et les maisons des esprits proches du lac.
A ce jour, le combat continue
La position gouvernementale est loin de ces préoccupations. En exploitant ou faisant exploiter les énormes réserves de potasse du Nord-Est, le gouvernement espère faire du pays un acteur mondial dans la production des engrais chimiques et attirer les investissements nationaux et étrangers.
La nouvelle législation minière de 2017 a renforcé la pression en faveur de l'exploitation minière de la potasse remplaçant une loi vieille de 50 ans, la loi sur les minéraux de 1967. Entrée en vigueur en août, elle établit un nouveau cadre juridique pour l'extraction minière et l’approbation des concessions minières. Dans le cadre d’efforts de décentralisation, de nouveaux comités provinciaux ont été mis en place. Présidés par le gouverneur de la province, ils seront armés du pouvoir d'approuver l'exploitation minière à petite échelle sur un maximum de 100 rai soit 16 hectares. Les projets miniers à grande échelle seront supervisés par un comité national créé par la Loi. La taille limite des zones minières a doublé, passant de 300 à 625 rai soit 100 hectares. Ainsi la nouvelle loi facilite l'octroi de licences minières aux entreprises en accélérant le processus d'approbation à 60 jours alors qu’auparavant le processus pourrait prendre jusqu'à cinq ans.
La question de savoir si, sur le plan économique, le pays aurait intérêt à devenir l’un des premiers producteurs mondiaux de potasse, puisque les gisements potentiels se retrouvent dans tout l’Isan, en livrant son exploitation à la « finance anonyme et vagabonde » est une question qui dépasse nos compétences qui, en matière de science économique - l’archétype des fausses sciences - sont inexistantes.
Il faut relever un élément qui semble fondamental car la situation présente du nord-est de la Thaïlande n’a strictement rien à voir avec celle des trois principaux producteurs mondiaux.
La Russie est le plus grand pays du monde, 17 millions de kilomètres carrés, 135 millions d’habitants soit une densité de moins de 10 habitants au kilomètre carrés. Au kilomètre carré. L’exploitation de la potasse est effectuée dans des régions plus ou moins désertiques de l’est de l’Oural.
Le Canada suit la Russie pour la superficie, un peu moins de 10 millions de kilomètres carrés avec un peu plus de 38 millions d’habitants 3,5 au kilomètre carrés. Le pays est sous peuplé et les mines de potasse se situent dans la province du Saskatchewan, encore plus sous peuplée et dans laquelle il n’y a aucun patrimoine agricole ou forestier à préserver.
Le Belarus avec un peu moins de 210 000 kilomètres carrés et 9 millions et demi d’habitants a une densité de 46 habitants au kilomètre carrés En dehors de ses mines de potasse et du pétrole, sesrichesses, il ne connaît qu’une agriculture d’élevage.
La situation est toute autre en Thaïlande : 70 millions d’habitants sur un peu plus de 513.000 kilomètres carrés soit 70 au dit kilomètre carré. Mais elle l’est plus encore dans la région du nord-est, là où se trouvent les réserves : 160.000 kilomètres carrés et environ 25 millions d’habitants soit 156 au kilomètre carrés (un peu plus de 100 en France). Ils y vivent bien ou mal de leurs rizières, de leurs champs de canne à sucre, de leurs plantations d’hévéas et de l’élevage des poissons et des crevettes dans leurs immenses lacs artificiels.
Les habitants confirment vivre en parfait équilibre avec la nature. Le slogan des contestateurs reste « J’aime mon village et jamais je ne laisserai une mine s’installer ici » (kurakbanku kuchamaiyomhaimimueangraekoetkhuen - กูรักบ้านกู กูจะไม่ยอมให้มีเหมืองแร่เกิดขึ้น).
Les mines de la « potasse d’Alsace » à plusieurs centaines de mètres de profondeur dont nous connaissions tous la publicité sympathique ont causé sur un siècle d’exploitation la mort de 800 mineurs soit par coups de grisou soit par effondrements soit intoxication par le chlorure de potassium. Á l’extérieur du site, elles furent responsables de multiples effondrements des villages environnants. C'est un drame qu'on subit toutes les régions minières, potasse, charbon ou métaux. 30 ans de procédure ont opposé les communautés néerlandaises à l’Erat français et aux sociétés minières dont les déversements salaient tout simplement les eaux du Rhin au-delà du supportable ! La fermeture des mines en 2005 a résolu les problèmes !
La présence de ces énormes réserves de potasse pourrait faire de la région incontestablement pauvre une région riche, soit ! Mais se posent, par analogie avec l’Alsace des questions auxquelles je me garderai de répondre :
L’exploitation des mines fut-elle bénéfique à la région en dépits des « dégâts collatéraux » ?
A-t-elle enrichi la population, celle des mineurs et leur famille en particulier ?
A-t-elle enrichi les sociétés minières au-delà du raisonnable ?
Deux conceptions de la vie s’affrontent, il est d’une part ceux qui regardent le bleu du ciel et qui n’ont pas l’intention de terminer leur vie silicosés dans une mise de potasse ou leurs villages s’effondrer, et d’autre part ceux qui, tels Riquet le petit chien de Monsieur Bergeret, ne regardent pas le bleu du ciel parce qu’il n’est pas comestible.
SOURCES
Nous avons consacré trois articles aux gisements de sel de terre en Isan :
A 497 – LE SEL EST UN TRÉSOR DANS LE SOUS-SOL DU NORD-EST DE LA THAÏLANDE (ISAN) --เกลือเป็นสมบัติใต้ดินของภาคตะวันออกเฉียงเหนือของประเทศไทย
La plupart des articles provenant d’opposants qui ne sont pas tous des « activistes » sont en thaï avec parfois une version en anglais, je n’en cite que quelques-uns parmi les plus récents :
https://www.tlhr2014.com/?p=9981
https://thecitizen.plus/node/58046
https://theisaanrecord.co/2019/09/08/potash-mining-in-thailand/
https://theisaanrecord.co/2024/03/14/the-story-of-almost-abandoned-village-because-of-potash-mine/
https://www.youtube.com/watch?v=hq5WIFFaF8A&t=2s