Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
Nous avons consacré deux articles à ce qu’il est convenu d’appeler « la révolte des Saints », plus précisément « la révolte des hommes qui ont gagné des mérites » (Prakotkanpibun ปรากฏการณ์ผีบุญ ou encore การขบถผู้มีญ kankhabotphoumibun).
Les plus méritants d’entre aux acquirent des pouvoirs charismatiques de thaumaturges et de prophètes. Elle débuta au débit du siècle dernier au sud du Laos, lutte anticoloniales par excellence, les habitants s’était rapidement aperçu dès l’arrivée des Français que les mots « liberté, égalité, fraternité » inscrits au fronton des édifices publics ne s’appliquaient pas aux Indigènes.
Rapidement réprimée par les Français elle déborda de l’autre côté du Mékong dans les provinces du sud de l’Isan (nord-est de la Thaïlande). Mouvement anti colonial aussi en lutte contre la politique de réforme du roi Rama V et de son frère, le prince Damrong tendant à une « siamisation » forcenée des marches du royaume dont les liens féodaux avec Bangkok étaient évanescents : le Siam ne doit comporter que des Siamois avec les mêmes droits et surtout les mêmes devoirs. Ils sont aujourd’hui célébrés, au Laos comme les précurseurs de la lutte anti coloniale et en Thaïlande par les « activistes qui luttent pour une réforme en profondeur d’un régime centralisateur, vers plus de démocratie, de déentralisation et de justice sociale. Mon propos n’est pas de les juger. Il n’est pas non plus de réécrire l’histoire mais il est des constatations d’évidence. Le roi Rama V avait en face de lui les puissances occidentales qui se disputaient la colonisation des pays d’Asie-du-sud-est. Il dut consentir à de lourds sacrifices, perte du Laos et du Cambodge au profit des Français, pertes de territoires aujourd’hui birmans et des sultanats du sud au profit des Anglais sans compter des pertes de souveraineté, essentiellement au profit des Français, par le système des « protégés ».
Ainsi le Siam a-t-il survivre jusqu’à la fin de l’ère coloniale. Mais dans ces conditions, il est évident qu’il ne pouvait tolérer des mouvements centrifuges qu’il lui fallait réprimer de façon spectaculaire car si ses armées n’étaient pas de taille à affronter les Français et les Anglais, elles l’étaient assurément face à des paysans dépourvus d’armement modernes et ne pouvant espérer aucun secours extérieur, bien au contraire puisqu’il est fort probable que les Français du Laos lui apportèrent leur aide. Dans son essai de 1951 « L’homme révolté » Albert Camus, examinant les conditions historiques du développement de l'agitation sociale et de la contestation dans les sociétés occidentales, propose une distinction entre rébellion et révolution : La rébellion est, par nature, de portée limitée. Ce n'est rien de plus qu'une déclaration incohérente. La révolution, au contraire, prend naissance dans le domaine des idées. Plus précisément, c'est l'injection d'idées dans l'expérience historique. Ce qui donne aux révolutions un caractère plus cohérent et soutenu, c'est l'insertion d'idées et de concepts concrets - parfois agrégés en diverses théories révolutionnaires - dans l'histoire.
Il faut bien constater que la politique de Rama V en lutte contre les féodalités dans ces régions frontalières, était révolutionnaires. La répression fut donc féroce. Elle se termina en 1912 dans la sanglante bataille de Nonpho (ศึกโนนโพธิ์) dans la province de Sisaket (ศรีสะเกษ) non loin d’Ubon que les insurgés avaient réussi à investir et des combats sporadiques aux environs de Ban Sapue (บ้านสะพือ) dans la province d’Ubon (อุบลราชธานี).
Vers un monument à la mémoire des morts de la bataille de Nonpho
Un premier monument à la gloire de ces révoltés fut édifié au Laos : Le mouvement des « saints » est parti du Laos en 1901, mené par l’un d’entre eux, dénommé Ongkhaeo (องค์แก้ว) surnomé Bac My, doté de pouvoirs charismatiques. On ne sait quelle fut sa fin, peut-être assassiné par les Français, peut-être réfugié en Isan pour continuer la lutte, peut-être échappa-t-il au Siamois et revint reprendre la lutte contre les Français ? Il a en tous cas son parc du souvenir à Saravane au sud du Laos au lieu présumé de sa mort. Le monument au nord-est de la ville, près de l’hôpital, est dédié au « premier révolutionnaire lao ayant combattu pour l’indépendance contre le colonialisme français » et situe sa mort à la fin des années 60 ou au début des années 70 ? Elle fait l’objet d’un article très documenté - nottament par des recherches dans les archives de la France d'outre-mer à Aix en Provence - de Geoffrey Gunn publié en 1985 dans le Journal of the Siam Society « A Scandal in Colonial Laos: The Death of Bac My and the Wounding of Kommadan Revisited » précédé d’ailleurs d’un article de J.B. Murdoch, tout aussi documenté, publié dans la même revue en 1974, volume I « The 1901-1902 'Holy Man's Rebellion ».
Un monument en Thaïlande ?
L’idée en est venue à Thanom Chapakdee, cet artiste « activiste » atypique, provocateur et iconoclaste que nous avons rencontré en 2019.
Prônant un « art alternatif », il est difficile à situer entre art primitif, art premier ou art de la rue. Aux limites de l’hérésie, il affirme que l’art, à la fois dans le passé et dans le présent, met en évidence une représentation massive de la religion, de la monarchie et de l'élite; le bouddhisme est devenu l'objet central de l'art, en sorte que le mouvement artistique thaï du bouddhisme s'est développé sans jamais créer.
Á la tête d’une équipe de 70 artistes locaux, il avait choisi pour cela le village de Ban Sapue.
Son projet ne vit pas le jour puisqu’il est mort à 64 ans le 22 juin 2022 à Sisaket. Le projet n’est pas mort. Le groupe des artistes de Thanom sur sa page face book Ubon Agenda a ouvert une souscription pour que ce monument, le rêve/ de Thanom, puisse voir le jour. Le concept – œuvre collective mais le maître d’œuvre principale est le professeur Chatree Prakitnantha (ศ.ชาตรี ประกิตนนทการ) - en est plaisant et n’a rien de martial ni d’agressif comme le monument de Saravanne
: Les abords sont conçus pour faciliter leur entretien. Le monument est au milieu d'un étang, entouré de végétation.
Un pavillon sera un espace pour célébrer des cérémonies annuelles. Une partie de l’espace devant le monument pourra être utilisé comme rizière pendant la saison, conformément au mode de vie des « Saint Homme ».
Les chemins reliant chaque partie seront de simple pont en bois.
Le monument proprement dit aura 16 mètres de haut en forme d'orgue à anches du Laos, fabriqué à partir de métaux noirs fumés, pour représenter l'identité laotienne dans la région.
Les parties en bambou de l'orgue sont remplacées par des couteaux et des épées, pour représenter le soulèvement des rebelles.
La base du monument est une traverse pour représenter l'arrestation et l'emprisonnement des rebelles. Le style du monument - des épées assemblées en forme d'orgue à anches - est le symbole des gens du commun qui se dressent contre le gouvernement central.
Reste à savoir si ce projet verra le jour ?
NOTES
Nos articles sur la révolte des Saints :
140. La Résistance À La Réforme Administrative Du Roi Chulalongkorn. La Révolte Des "Saints".
https://grande-et-petites-histoires-de-la-thailande.over-blog.com/article-140-la-resistance-a-la-reforme-administrative-du-roi-chulalongkorn-la-revolte-des-saints-123663694.html
https://grande-et-petites-histoires-de-la-thailande.over-blog.com/2019/05/h-32-les-souvenirs-du-prince-damrong-sur-la-revolte-des-saints-1900-1902-saints-ou-bateleurs.html
Notre article sur Thanon
A 322 - LE « MANIFESTE DE KHONKAEN » : NAISSANCE D’UN « ART ALTERNATIF » EN ISAN - ขอนแก่นแม่นอีหลี