0- Autre forme de suicide, pas toujours physique mais parfois dans ses conséquences : Combien d’occidentaux réfugiés ici après avoir été lessivés, déshabillés, plumés judiciairement et à leur corps défendant, pensions alimentaires, prestations compensatoires, partage de biens, par des épouses délaissées parce qu’elles avaient les seins qui tombaient sur le ventre, le ventre sur le pubis et le pubis sur les genoux mais néanmoins cupides, reviennent ici se faire lessiver volontairement et complétement cette fois-ci par quelque sourire enjôleur… « Oh sexy man ». Nos tribunaux leurs laissent de quoi subsister, pas leurs voraces et très temporaires compagnes.
Certes, ils sourient, mais ils ne sourient pas forcément, - comme chez nous - parce qu’ils sont contents ou heureux, mais comme nous le dit Pornpimol Senawong dans son livre « Les Liens qui unissent les Thaïs, Coutumes et culture » parce que le sourire est un véritable système de communication, où on peut repérer 18 types de message (voire plus ?) avec des sourires répondant à des situations et sentiments codés, du style : grand, penaud, méprisant, sec, embarrassé, amical non reconnu (sic), joyeux, triste, encourageant, épanoui, doux, honteux, encourageant, provocant, dédaigneux, contenu. (Cf. Notre article **)
Il y a aussi divers sourires chez nous, le vrai sourire, celui qui ne coûte rien, et aussi le « sourire commercial » dont on doit enseigner les vertus dans les écoles de commerce, il est spécifique mais très rarement sincère à toutes les régions touristiques, Côte d’Azur ou Costa Brava. Nous connaissons également le sourire aussi enjôleur que menteur des hommes politiques essentiellement lors des campagnes électorales, celui-là, on l’enseigne à l’ENA, le plus souvent un rictus hypocrite. Il est aussi des sourires mystérieux, celui de la Joconde dont le sens n’a toujours pas été élucidé. Mais la liste est moins riche que celle donnée par Pornpimol Senawong, à chaque situation sociale une façon de sourire, il en est ou en serait 18 dont le déchiffrement n’est pas évident pour nos esprits occidentaux.
Alors de quel sourire parle-t-on ?
En politique ?
La Thaïlande vit sous un régime militaire depuis le coup d’Etat militaire du 24 mai 2014 ... et même, toutes proportions gardées, au moins épisodiquement, depuis bien avant. Elle mène depuis, une répression sévère de toute opposition, de la moindre réunion publique, avec un contrôle drastique de tous les médias, des réseaux sociaux, des universités, … bref de toute opinion qui voudrait s’exprimer. Depuis, on a assisté à des centaines d’arrestations arbitraires, avec les récits de mauvais traitements, et des procès iniques devant des tribunaux militaires … (Cf. Le rapport d’Amnesty International du jeudi 11 septembre 2015, intitulé Attitude adjustment –100 days under Martial Law. »***
Certes, certains peuvent s’en accommoder et y trouver une légitimité. Il fait bon vivre dans un pays sans parti politique, sans liberté d’opinion, et sous le contrôle de l’armée. Mais de là à en sourire.
On peut croire aux déclarations du général 1er ministre sur l’efficacité de la répression des trafiquants de chair humaine, avec la découverte de charniers, des camps-prisons, l’arrestation de trafiquants, de fonctionnaires corrompus, des poursuites contre des policiers, et le transfert d’autres policiers « suspects », mais la Thaïlande n’est pas qu’un pays de transit pour ceux qui fuient la pauvreté au Bangladesh ou les persécutions dans le cas des Rohingyas musulmans de Birmanie.
Elle est aussi une destination, le pays d’accueil pour d’autres migrants comme les Birmans, les Cambodgiens, les Laotiens, et les réfugiés « montagnards » au Nord, qui eux, acheminés par les différents trafics d’êtres humains. (Nous leur avions consacrés trois articles à la fin de 2013. (Cf. les liens **)
Le premier, intitulé Le travail forcé sur les bateaux de pêche thaïlandais, évoquait un rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui dénonçait une fois de plus les "graves abus" exercés sur les immigrés illégaux cambodgiens et birmans, travaillant sur les bateaux de pêche thaïlandais. (« Graves abus » ? Un euphémisme pour désigner travail forcé, violences et meurtres)
« Nous avions alors appris que le travail forcé ne touchait pas que la pêche hauturière thaïlandaise, mais s’exerçait au sein d’un système de trafics d’êtres humains généralisé qui touchait près de cinq millions de travailleurs étrangers légaux et illégaux, employés dans de nombreux secteurs de l’économie thaïlandaise, comme l’aquaculture de la crevette, les usines de transformation du poisson, les plantations d’hévéas, le bâtiment, la prostitution, etc. »(in notre article A185.). Nous avions également appris avec l’étude de Jacques Ivanoff, Histoire des migrations et ethnicité à partir d’une réflexion en Asie du Sud-Est, Vers une anthropologie des frontières ? ce qui se joue au sud de la Thaïlande, dans cet espace particulier des frontières, et à identifier les différents éléments des filières clandestines, les différents acteurs de cet espace régional, légaux et illégaux qui profitent du système, comme ces grandes familles chinoises (les Chinois/Thaïs, les Chinois/Birmans), qui ont le pouvoir politique, administratif et économique, et qui savent via les multiples intermédiaires (courtiers, recruteurs, trafiquants), gérer l’illégalité au quotidien avec la complicité des « officiels » et des policiers et militaires corrompus, la légalité n’étant pas rentable.
Sourire dites-vous ?
Dans le sud de la Thaïlande par exemple ? Certes on trouve de belles plages et on peut entendre des sourires, parmi la minorité musulmane (Quand même 5% de la population) des provinces de Yala, Narathiwat et Pattani mais on entend aussi des attentats à la bombe ou à la grenade qui presque chaque semaine tuent ou blessent (6.500 depuis dix ans), et on doit vivre au quotidien un Etat d’urgence, avec la présence omniprésente des militaires, et celle des milices, et/ou des forces de sécurité dans chaque village, avec l’armement des civils et des instituteurs … (Cf. *** Notre article 12 faisant le point en 2012 : Terrorisme ou insurrection séparatiste dans le Sud de la Thaïlande ?) .
Oui, dans le sud de la Thaïlande on peut sourire, mais de quel sourire s’agit-il ? Oui, c’est une exception, mais ailleurs ?
Les provinces rurales ?
La population rurale se compose encore de 66 % de la population, et l’agriculture est le principal secteur économique employant 41% de la population active, et les + de 65 ans, représentent presque 10% de la population. Environ 60 % des travailleurs thaïlandais sont des travailleurs informels c’est-à-dire non légalement déclarés (avec 93 % dans l’emploi agricole !); avec donc des rémunérations plus faibles que les 300 baths/jour officiels, avec une exclusion des droits garantis par la législation du travail, et une retraite de 600 baths par mois pour les plus de 60 ans, 1000 baths pour les plus de 70 ans, avec une prime de 500 baths si vous êtes aveugle, paralytique, ou avez un handicap reconnu.
Evidemment ceux qui défendent la Thaïlande du sourire, pourraient évoquer l’aide reçue des familles ou des filles travaillant dans les gogos, les bars bordels ou les karaokés, mais une étude de Bruno Jetin, (Le développement économique de la Thaïlande est-il socialement soutenable ?) indique qu’1/3 des paysannes de plus de 60 ans ne gagnent que 1.143 baths par mois (moins de 30 euros) et 63 %, 2.286 baths (moins de 60 euros). On peut certes, là encore, en sourire. (Cf***. Nos articles A127 et A132 traitant ces sujets)
D’ailleurs, régulièrement, des articles nous invitent à nous méfier des « apparences calmes et paisibles qui font la réputation de la Thaïlande ». Ainsi par exemple :
« La Thaïlande a manqué de peu le titre de pays le plus meurtrier du monde sur les routes. Pour la première place du podium, il faut aller en Afrique, dans un pays sous développé dévasté par la guerre civile, la Libye. Triste référence pour la Thaïlande … Dans l’édition 2015 de son Rapport de Situation sur la Sécurité Routière, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a estimé que 14 059 personnes ont été tuées sur les routes thaïlandaises en 2012 (derniers chiffres connus), soit un taux de mortalité de 32,2 personnes pour 100 000 habitants (73,4 pour la Lybie). » (A.G. www.gavroche-thailande.com)
Ou encore dans le magazine Gavroche.
« Le royaume affiche un taux d’homicide par armes à feu deux fois plus élevé qu’aux Etats-Unis, pourtant réputés pour ses règlements de compte au pistolet et autres armes de guerre automatiques … Selon une étude de l’université de Washington, la Thaïlande possède un taux d’homicide par armes à feu de 7,48 tués pour 100 000 habitants en 2013, contre 3,55 aux Etats-Unis.
Ou encore dans « Le petit journal » du 10 février 2016 et du 1er mars 2016.
« Souvent définie par son côté chaleureux et accueillant, la Thaïlande est aussi un pays où l’on règle trop souvent ses différends, personnels ou professionnels, à coups d’armes à feu et d’une balle dans le corps. Pas une semaine ne se passe sans que l’un de ses faits divers ne fasse la une de la presse locale. Le principal mobile ? L’humiliation ou ce qu’on appelle plus souvent « perdre la face ». […] (On arrive ainsi à un taux même légèrement supérieur à celui des Etats-Unis (3,43 meurtres pour 100.000 personnes) et sans commune mesure avec la France (0,21 meurtres pour 100.000 personnes). D’après les statistiques du ministère de l’Intérieur, quelque 6,1 millions d’armes à feu circulent dans le pays pour une population de 67 millions de personnes. Gunpolicy.org évalue plutôt ce chiffre à 10 millions, en prenant en compte un marché prospère d’armes illégales. »
Mais on peut ne pas perdre le sourire, cette criminalité sanguinaire ne touche pratiquement jamais que les Thaïs – en dehors de la délinquance routière - affaires d’argent, affaires amoureuses, règlements de compte consécutifs à de sordides affaires terriennes. La criminalité de sang visant les touristes ou les résidents est marginale et plus encore. Ne perdons donc pas le sourire même si les enquêtes consécutives se terminent parfois sinon toujours en jus de boudin. Elle touche essentiellement leurs proches qui vont assister à leur crémation, les pleurent et les oublient rapidement. Quant à la délinquance au quotidien, celle qui exaspère légitimement nos compatriotes dans leur banlieue ? Vole-t-on les sacs à main à l’arrachée ? Vole-t-on les automobiles ou les motocyclettes ? Oui, bien sûr mais moins qu’à Marseille ou qu’à New-York. Incendie-t-on des centaines de véhicule à chaque nuit de noël ou du jour de l’an ? Continuons à conserver le sourire, le nôtre évidemment, d’autant que cette délinquance est fort souvent le fruit de crapules venues de l’ouest (ou d’ailleurs, aussi de l’Est)…
------------------
Certains pourraient dire que ce ne sont que des faits divers, après tout, les armes à feu, les meurtres, les morts sur la route sont présents dans chaque pays. Oui, mais quand vous ajoutez la dictature, l’absence de liberté d’expression, d’opinion, l’exploitation de la majorité des travailleurs thaïlandais (Salaire de 300 baths/jour, pas ou peu de protection sociale, retraite à 600 baths/mois), le système de trafic d’êtres humains généralisé employés dans de nombreux secteurs de l’économie et de la prostitution, les millions de sans papiers, etc, vous pouvez quelque peu douter du « pays du sourire ».
Surtout si vous ajoutez les dettes des ménages qui toucheraient les 2/3 de la population, et représenteraient 78% du PIB, et obligeraient chaque foyer à utiliser 34% de ses revenus pour rembourser ; ou bien si vous apprenez par le vice-ministre de la Santé publique qu’1/5e de la population, soit quelque 13 millions de personnes sont touchées, qui par des psychoses, des troubles d’anxiété ou des dépressions nerveuses (Cf. le « Bangkok Post. » in (http://www.lepetitjournal.com/bangkok.html), lundi 24 septembre 2012) ; que le yaba (la drogue qui rend fou), une méthamphétamine touche tous les milieux avec une écrasante majorité de jeunes voire de très jeunes thaïlandais ― écoliers, lycéens ou étudiants ― et les 2/3 des villages (******), il vous faudra une bonne dose d’optimisme, pour encore considérer que « La Thaïlande est le pays du sourire », à moins que cela soit un sourire « jaune ».
Rire jaune : Rire à contre-coeur, rire forcé, rire contraint, quand le coeur n'y est pas, pas sincère, dissimuler son ennui sous un air satisfait ; rire forcé pour ne pas perdre la face ; sourire contraint … Il en va de même du sourire jaune.
Les bourreaux chinois, étaient réputés pour pouvoir découper un homme en 10.000 morceaux en le gardant en vie pendant plusieurs jours et le faisaient toujours avec le sourire, mais quel sourire ?
Oui, la situation dans le pays ne prête pas forcément au sourire, la qualification purement commerciale de « pays du sourire » (mais quand a-t-elle été lancée ?) mériterait que le très officiel TAT (« Tourism autority of Thailand ») trouve à l’aide de quelque « coaching » un slogan peut-être moins accrocheur mais plus réaliste.
Mais, -il faut le dire- nous rencontrons souvent aussi dans ce pays de vrais sourires, ni jaunes, ni hypocrites ni commerciaux, sourires de bienvenue, le plus souvent, ils le font le plus souvent sans contrepartie. Ils réchauffent tout simplement le cœur mais il faut souvent aussi aller les chercher dans le pays « profond ».
Nous y vivons, nous y sommes bien, probablement mieux qu’en Corée du nord ou qu’en Arabie saoudite, peut-être aussi mieux qu’en France. Certes, nous ne nous mêlons pas de leur politique ce qui ne nous interdit pas d’émettre une opinion (les Thaïs ont été choqués à juste titre de voir au milieu des manifestations violentes de ces dernières années, rouges ou jaunes, des farangs y participer)..
Ils sont souvent difficiles à comprendre, et plus nous avançons en âge, plus nous constatons que nous les comprenons de moins en moins.
Au moins, nous pouvons leur offrir notre sourire.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
*http://www.alainbernardenthailande.com/2015/10/a195-la-thailande-de-jean-marcel-in-lettres-du-siam.html)
**A185. La junte militaire face aux trafics d’êtres humains en Thaïlande. http://www.alainbernardenthailande.com/2015/05/a185-la-junte-militaire-face-aux-trafics-d-etres-humains-en-thailande.html
Et A128. Le travail forcé sur les bateaux de pêche thaïlandais et A129. Travailleurs illégaux ou « birmanisation » du sud de la Thaïlande ?
http://www.alainbernardenthailande.com/article-a129-travailleurs-illegaux-ou-birmanisation-du-sud-de-la-thailande-120218930.html
*** Article 12 : Terrorisme ou insurrection séparatiste dans le Sud de la Thaïlande ? http://www.alainbernardenthailande.com/article-article-12-terrorisme-ou-insurrection-separatiste-dans-le-sud-68166091.html
****A127. La situation des vieux paysans de Thaïlande. http://www.alainbernardenthailande.com/article-a127-la-situation-des-vieux-paysans-de-thailande-119880727.html
A131. Comprendre la crise des petits producteurs de caoutchouc thaïlandais.
http://www.alainbernardenthailande.com/article-a131-comprendre-la-crise-des-petits-producteurs-de-caoutchouc-thailandais-120469629.html
*****A135. Le bonheur thaïlandais ?
http://www.alainbernardenthailande.com/article-135-le-bonheur-thailandais-121011932.html
****** Cf. « Yaa Baa: Production, trafic et consommation de méthamphétamine en Asie du Sud-Est continentale », Pierre-Arnaud Chouvy et Joël Meissonnier, L’Harmattan - IRASEC, Paris – Bangkok (ISBN 2-7475-2397-7)
- Autre forme de suicide, pas toujours physique mais parfois dans ses conséquences : Combien d’occidentaux réfugiés ici après avoir été lessivés, déshabillés, plumés judiciairement et à leur corps défendant, pensions alimentaires, prestations compensatoires, partage de biens, par des épouses délaissées parce qu’elles avaient les seins qui tombaient sur le ventre, le ventre sur le pubis et le pubis sur les genoux mais néanmoins cupides, reviennent ici se faire lessiver volontairement et complétement cette fois-ci par quelque sourire enjôleur… « Oh sexy man ». Nos tribunaux leurs laissent de quoi subsister, pas leurs voraces et très temporaires compagnes.
Certes, ils sourient, mais ils ne sourient pas forcément, - comme chez nous - parce qu’ils sont contents ou heureux, mais comme nous le dit Pornpimol Senawong dans son livre « Les Liens qui unissent les Thaïs, Coutumes et culture » parce que le sourire est un véritable système de communication, où on peut repérer 18 types de message (voire plus ?) avec des sourires répondant à des situations et sentiments codés, du style : grand, penaud, méprisant, sec, embarrassé, amical non reconnu (sic), joyeux, triste, encourageant, épanoui, doux, honteux, encourageant, provocant, dédaigneux, contenu. (Cf. Notre article **)
Il y a aussi divers sourires chez nous, le vrai sourire, celui qui ne coûte rien, et aussi le « sourire commercial » dont on doit enseigner les vertus dans les écoles de commerce, il est spécifique mais très rarement sincère à toutes les régions touristiques, Côte d’Azur ou Costa Brava. Nous connaissons également le sourire aussi enjôleur que menteur des hommes politiques essentiellement lors des campagnes électorales, celui-là, on l’enseigne à l’ENA, le plus souvent un rictus hypocrite. Il est aussi des sourires mystérieux, celui de la Joconde dont le sens n’a toujours pas été élucidé. Mais la liste est moins riche que celle donnée par Pornpimol Senawong, à chaque situation sociale une façon de sourire, il en est ou en serait 18 dont le déchiffrement n’est pas évident pour nos esprits occidentaux.
Alors de quel sourire parle-t-on ?
En politique ?
La Thaïlande vit sous un régime militaire depuis le coup d’Etat militaire du 24 mai 2014 ... et même, toutes proportions gardées, au moins épisodiquement, depuis bien avant. Elle mène depuis, une répression sévère de toute opposition, de la moindre réunion publique, avec un contrôle drastique de tous les médias, des réseaux sociaux, des universités, … bref de toute opinion qui voudrait s’exprimer. Depuis, on a assisté à des centaines d’arrestations arbitraires, avec les récits de mauvais traitements, et des procès iniques devant des tribunaux militaires … (Cf. Le rapport d’Amnesty International du jeudi 11 septembre 2015, intitulé Attitude adjustment –100 days under Martial Law. »***
Certes, certains peuvent s’en accommoder et y trouver une légitimité. Il fait bon vivre dans un pays sans parti politique, sans liberté d’opinion, et sous le contrôle de l’armée. Mais de là à en sourire.
On peut croire aux déclarations du général 1er ministre sur l’efficacité de la répression des trafiquants de chair humaine, avec la découverte de charniers, des camps-prisons, l’arrestation de trafiquants, de fonctionnaires corrompus, des poursuites contre des policiers, et le transfert d’autres policiers « suspects », mais la Thaïlande n’est pas qu’un pays de transit pour ceux qui fuient la pauvreté au Bangladesh ou les persécutions dans le cas des Rohingyas musulmans de Birmanie.
Elle est aussi une destination, le pays d’accueil pour d’autres migrants comme les Birmans, les Cambodgiens, les Laotiens, et les réfugiés « montagnards » au Nord, qui eux, acheminés par les différents trafics d’êtres humains. (Nous leur avions consacrés trois articles à la fin de 2013. (Cf. les liens **)
Le premier, intitulé Le travail forcé sur les bateaux de pêche thaïlandais, évoquait un rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui dénonçait une fois de plus les "graves abus" exercés sur les immigrés illégaux cambodgiens et birmans, travaillant sur les bateaux de pêche thaïlandais. (« Graves abus » ? Un euphémisme pour désigner travail forcé, violences et meurtres)
« Nous avions alors appris que le travail forcé ne touchait pas que la pêche hauturière thaïlandaise, mais s’exerçait au sein d’un système de trafics d’êtres humains généralisé qui touchait près de cinq millions de travailleurs étrangers légaux et illégaux, employés dans de nombreux secteurs de l’économie thaïlandaise, comme l’aquaculture de la crevette, les usines de transformation du poisson, les plantations d’hévéas, le bâtiment, la prostitution, etc. »(in notre article A185.). Nous avions également appris avec l’étude de Jacques Ivanoff, Histoire des migrations et ethnicité à partir d’une réflexion en Asie du Sud-Est, Vers une anthropologie des frontières ? ce qui se joue au sud de la Thaïlande, dans cet espace particulier des frontières, et à identifier les différents éléments des filières clandestines, les différents acteurs de cet espace régional, légaux et illégaux qui profitent du système, comme ces grandes familles chinoises (les Chinois/Thaïs, les Chinois/Birmans), qui ont le pouvoir politique, administratif et économique, et qui savent via les multiples intermédiaires (courtiers, recruteurs, trafiquants), gérer l’illégalité au quotidien avec la complicité des « officiels » et des policiers et militaires corrompus, la légalité n’étant pas rentable.
Sourire dites-vous ?
Dans le sud de la Thaïlande par exemple ? Certes on trouve de belles plages et on peut entendre des sourires, parmi la minorité musulmane (Quand même 5% de la population) des provinces de Yala, Narathiwat et Pattani mais on entend aussi des attentats à la bombe ou à la grenade qui presque chaque semaine tuent ou blessent (6.500 depuis dix ans), et on doit vivre au quotidien un Etat d’urgence, avec la présence omniprésente des militaires, et celle des milices, et/ou des forces de sécurité dans chaque village, avec l’armement des civils et des instituteurs … (Cf. *** Notre article 12 faisant le point en 2012 : Terrorisme ou insurrection séparatiste dans le Sud de la Thaïlande ?) .
Oui, dans le sud de la Thaïlande on peut sourire, mais de quel sourire s’agit-il ? Oui, c’est une exception, mais ailleurs ?
Les provinces rurales ?
La population rurale se compose encore de 66 % de la population, et l’agriculture est le principal secteur économique employant 41% de la population active, et les + de 65 ans, représentent presque 10% de la population. Environ 60 % des travailleurs thaïlandais sont des travailleurs informels c’est-à-dire non légalement déclarés (avec 93 % dans l’emploi agricole !); avec donc des rémunérations plus faibles que les 300 baths/jour officiels, avec une exclusion des droits garantis par la législation du travail, et une retraite de 600 baths par mois pour les plus de 60 ans, 1000 baths pour les plus de 70 ans, avec une prime de 500 baths si vous êtes aveugle, paralytique, ou avez un handicap reconnu.
Evidemment ceux qui défendent la Thaïlande du sourire, pourraient évoquer l’aide reçue des familles ou des filles travaillant dans les gogos, les bars bordels ou les karaokés, mais une étude de Bruno Jetin, (Le développement économique de la Thaïlande est-il socialement soutenable ?) indique qu’1/3 des paysannes de plus de 60 ans ne gagnent que 1.143 baths par mois (moins de 30 euros) et 63 %, 2.286 baths (moins de 60 euros). On peut certes, là encore, en sourire. (Cf***. Nos articles A127 et A132 traitant ces sujets)
D’ailleurs, régulièrement, des articles nous invitent à nous méfier des « apparences calmes et paisibles qui font la réputation de la Thaïlande ». Ainsi par exemple :
« La Thaïlande a manqué de peu le titre de pays le plus meurtrier du monde sur les routes. Pour la première place du podium, il faut aller en Afrique, dans un pays sous développé dévasté par la guerre civile, la Libye. Triste référence pour la Thaïlande … Dans l’édition 2015 de son Rapport de Situation sur la Sécurité Routière, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a estimé que 14 059 personnes ont été tuées sur les routes thaïlandaises en 2012 (derniers chiffres connus), soit un taux de mortalité de 32,2 personnes pour 100 000 habitants (73,4 pour la Lybie). » (A.G. www.gavroche-thailande.com)
Ou encore dans le magazine Gavroche.
« Le royaume affiche un taux d’homicide par armes à feu deux fois plus élevé qu’aux Etats-Unis, pourtant réputés pour ses règlements de compte au pistolet et autres armes de guerre automatiques … Selon une étude de l’université de Washington, la Thaïlande possède un taux d’homicide par armes à feu de 7,48 tués pour 100 000 habitants en 2013, contre 3,55 aux Etats-Unis.
Ou encore dans « Le petit journal » du 10 février 2016 et du 1er mars 2016.
« Souvent définie par son côté chaleureux et accueillant, la Thaïlande est aussi un pays où l’on règle trop souvent ses différends, personnels ou professionnels, à coups d’armes à feu et d’une balle dans le corps. Pas une semaine ne se passe sans que l’un de ses faits divers ne fasse la une de la presse locale. Le principal mobile ? L’humiliation ou ce qu’on appelle plus souvent « perdre la face ». […] (On arrive ainsi à un taux même légèrement supérieur à celui des Etats-Unis (3,43 meurtres pour 100.000 personnes) et sans commune mesure avec la France (0,21 meurtres pour 100.000 personnes). D’après les statistiques du ministère de l’Intérieur, quelque 6,1 millions d’armes à feu circulent dans le pays pour une population de 67 millions de personnes. Gunpolicy.org évalue plutôt ce chiffre à 10 millions, en prenant en compte un marché prospère d’armes illégales. »
Mais on peut ne pas perdre le sourire, cette criminalité sanguinaire ne touche pratiquement jamais que les Thaïs – en dehors de la délinquance routière - affaires d’argent, affaires amoureuses, règlements de compte consécutifs à de sordides affaires terriennes. La criminalité de sang visant les touristes ou les résidents est marginale et plus encore. Ne perdons donc pas le sourire même si les enquêtes consécutives se terminent parfois sinon toujours en jus de boudin. Elle touche essentiellement leurs proches qui vont assister à leur crémation, les pleurent et les oublient rapidement. Quant à la délinquance au quotidien, celle qui exaspère légitimement nos compatriotes dans leur banlieue ? Vole-t-on les sacs à main à l’arrachée ? Vole-t-on les automobiles ou les motocyclettes ? Oui, bien sûr mais moins qu’à Marseille ou qu’à New-York. Incendie-t-on des centaines de véhicule à chaque nuit de noël ou du jour de l’an ? Continuons à conserver le sourire, le nôtre évidemment, d’autant que cette délinquance est fort souvent le fruit de crapules venues de l’ouest (ou d’ailleurs, aussi de l’Est)…
------------------
Certains pourraient dire que ce ne sont que des faits divers, après tout, les armes à feu, les meurtres, les morts sur la route sont présents dans chaque pays. Oui, mais quand vous ajoutez la dictature, l’absence de liberté d’expression, d’opinion, l’exploitation de la majorité des travailleurs thaïlandais (Salaire de 300 baths/jour, pas ou peu de protection sociale, retraite à 600 baths/mois), le système de trafic d’êtres humains généralisé employés dans de nombreux secteurs de l’économie et de la prostitution, les millions de sans papiers, etc, vous pouvez quelque peu douter du « pays du sourire ».
Surtout si vous ajoutez les dettes des ménages qui toucheraient les 2/3 de la population, et représenteraient 78% du PIB, et obligeraient chaque foyer à utiliser 34% de ses revenus pour rembourser ; ou bien si vous apprenez par le vice-ministre de la Santé publique qu’1/5e de la population, soit quelque 13 millions de personnes sont touchées, qui par des psychoses, des troubles d’anxiété ou des dépressions nerveuses (Cf. le « Bangkok Post. » in (http://www.lepetitjournal.com/bangkok.html), lundi 24 septembre 2012) ; que le yaba (la drogue qui rend fou), une méthamphétamine touche tous les milieux avec une écrasante majorité de jeunes voire de très jeunes thaïlandais ― écoliers, lycéens ou étudiants ― et les 2/3 des villages (******), il vous faudra une bonne dose d’optimisme, pour encore considérer que « La Thaïlande est le pays du sourire », à moins que cela soit un sourire « jaune ».
Rire jaune : Rire à contre-coeur, rire forcé, rire contraint, quand le coeur n'y est pas, pas sincère, dissimuler son ennui sous un air satisfait ; rire forcé pour ne pas perdre la face ; sourire contraint … Il en va de même du sourire jaune.
Les bourreaux chinois, étaient réputés pour pouvoir découper un homme en 10.000 morceaux en le gardant en vie pendant plusieurs jours et le faisaient toujours avec le sourire, mais quel sourire ?
Oui, la situation dans le pays ne prête pas forcément au sourire, la qualification purement commerciale de « pays du sourire » (mais quand a-t-elle été lancée ?) mériterait que le très officiel TAT (« Tourism autority of Thailand ») trouve à l’aide de quelque « coaching » un slogan peut-être moins accrocheur mais plus réaliste.
Mais, -il faut le dire- nous rencontrons souvent aussi dans ce pays de vrais sourires, ni jaunes, ni hypocrites ni commerciaux, sourires de bienvenue, le plus souvent, ils le font le plus souvent sans contrepartie. Ils réchauffent tout simplement le cœur mais il faut souvent aussi aller les chercher dans le pays « profond ».
Nous y vivons, nous y sommes bien, probablement mieux qu’en Corée du nord ou qu’en Arabie saoudite, peut-être aussi mieux qu’en France. Certes, nous ne nous mêlons pas de leur politique ce qui ne nous interdit pas d’émettre une opinion (les Thaïs ont été choqués à juste titre de voir au milieu des manifestations violentes de ces dernières années, rouges ou jaunes, des farangs y participer)..
Ils sont souvent difficiles à comprendre, et plus nous avançons en âge, plus nous constatons que nous les comprenons de moins en moins.
Au moins, nous pouvons leur offrir notre sourire.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
*http://www.alainbernardenthailande.com/2015/10/a195-la-thailande-de-jean-marcel-in-lettres-du-siam.html)
**A185. La junte militaire face aux trafics d’êtres humains en Thaïlande. http://www.alainbernardenthailande.com/2015/05/a185-la-junte-militaire-face-aux-trafics-d-etres-humains-en-thailande.html
Et A128. Le travail forcé sur les bateaux de pêche thaïlandais et A129. Travailleurs illégaux ou « birmanisation » du sud de la Thaïlande ?
http://www.alainbernardenthailande.com/article-a129-travailleurs-illegaux-ou-birmanisation-du-sud-de-la-thailande-120218930.html
*** Article 12 : Terrorisme ou insurrection séparatiste dans le Sud de la Thaïlande ? http://www.alainbernardenthailande.com/article-article-12-terrorisme-ou-insurrection-separatiste-dans-le-sud-68166091.html
****A127. La situation des vieux paysans de Thaïlande. http://www.alainbernardenthailande.com/article-a127-la-situation-des-vieux-paysans-de-thailande-119880727.html
A131. Comprendre la crise des petits producteurs de caoutchouc thaïlandais.
http://www.alainbernardenthailande.com/article-a131-comprendre-la-crise-des-petits-producteurs-de-caoutchouc-thailandais-120469629.html
*****A135. Le bonheur thaïlandais ?
http://www.alainbernardenthailande.com/article-135-le-bonheur-thailandais-121011932.html
****** Cf. « Yaa Baa: Production, trafic et consommation de méthamphétamine en Asie du Sud-Est continentale », Pierre-Arnaud Chouvy et Joël Meissonnier, L’Harmattan - IRASEC, Paris – Bangkok (ISBN 2-7475-2397-7)