A la mort du président nord-vietnamien Ho Chi Minh le 2 (ou le 3 ?) septembre 1969, la guerre du Vietnam à laquelle la Thaïlande participait encore avait atteint son point culminant. Ho Chi Minh était alors considéré comme un individu malfaisant auquel il n’était bien évidemment pas question de rendre le moindre hommage.
L’heure était d’autant moins aux « guili guili » que les maquis communistes sévissaient de façon plus ou moins endémique dans diverses régions du pays.
Les relations entre la Thaïlande et le Vietnam ont été sinusoïdales. Pendant la guerre froide, l'élite thaïlandaise considérait Ho Chi Minh comme l'un des pires types de communistes qui représentait une menace pour la sécurité nationale, pour la paix et la stabilité dans la région. Mais après la fin de la guerre froide, que l’on peut situer entre 1985 et 1990, la perception de l’homme a pu changer en fonction de ce nouveau contexte comme on l’a vu lors des cérémonies célébrant en 2004 la réhabilitation de la maison qu’il a – ou aurait - occupée lors de son séjour au Siam à des dates qui restent imprécises, dans le groupe de villages vietnamiens de Ban Nachok (หมู่บ้านนาจอก) à quelques kilomètres à l’ouest de Nakhonphanom (นครพนม) dans le tambon de Nongyat et l’amphoe de Muang (ตำบลหนองญาติ อำเภอเมือง) devenu le site de l’ « amitié entre la Thaïlande et le Vietnam » ou celles célébrées cette année 2017.
Notre propos n’est pas d’écrire sa vie mais d’essayer de déterminer rapidement ce qu’elle fut avant et surtout pendant son séjour au Siam. Tout n’y est que contradictions en raison de deux paramètres d’évidence :
Ce fut d’abord une perpétuelle clandestinité. Quand on est surveillé et recherché par la « Sureté » française, son équivalent anglais et la police siamoise, on n’écrit pas son journal de voyage et lorsqu’il retrouve le pays et son indépendance de 1945 jusqu’à sa mort en 1969, il avait bien d’autres soucis à résoudre que de rassembler ses souvenirs et conservait l’habitude invétérée d'envelopper de mystère son identité et ses actions (1).
Lui-même a toujours entretenu sur sa vie un flou qui n’a rien d’artistique pour conforter l’image qu’il a toujours voulu se donner de « père du peuple vietnamien » qui a exclusivement consacré sa vie à son pays, image confortée ultérieurement par l’histoire officielle qui condamne tout ce qui pourrait ternir cette image.
Il existe en Thaïlande un crime de lèse-majesté, et il plane toujours sur le Vietnam l’ombre du crime de sacrilège peut-être encore plus sévèrement puni.
Nos sources sont dans ces conditions souvent contradictoires, nous vous en donnons quelques-unes en annexe. Il est toutefois remarquable que l’ouvrage le plus sérieux publié sur son séjour au Siam, tout au moins dans une langue qui nous est accessible, l’ait été sous forme en grande partie de roman (2).
Sa naissance
D’abord, et si étrange que cela puisse paraître, une confusion totale règne sur la date de l'irruption de Ho sur la planète, qu’il s’agisse du jour, du mois ou de l'année. Elle reste un mystère (3).
Son enfance
Les informations sur sa jeunesse sont tout aussi invérifiables et des affirmations contradictoires ont été avancées sur son entourage familial (4).
Sa vie sentimentale
Elle reste également un mystère, notamment sur deux mariages qu’il a ou aurait contractés (5). Il a toujours cultivé sa réputation de célibataire ascétique, et la question de savoir s’il a aimé des femmes ne paraît pas de mise. La vérité fut sans doute différente. Lui-même interrogé sur cette question affirmait qu’il ne fonderait un foyer qu’après la réunification de son pays et le départ de l’occupant ce qu’il n’eut pas le bonheur de voir (6). Ces deux mariages furent tenus secrets par les communistes vietnamiens parce qu'ils correspondaient mal à l'image idéalisée du « père de la nation ». Dans les biographies officielles, ils n’existent pas.
Sa mort
Jusqu’à sa mort sur la date et les conditions de laquelle place un mystère pesant (7).
Nous n’avons pas – avons-nous dit – l’intention de réécrire l’histoire de sa vie mais de souligner ces incertitudes, ces contradictions et ces libertés prises avec la chronologie que nous allons retrouver dans le récit de ses pérégrinations avant et pendant son périple siamois.
L’abrégé chronologique publié à la fin des différents volumes de ses œuvres complètes indique avec une précision mathématique le jour de son embarquement sur l’Amiral Latouche-Tréville ....
pour s’exiler afin de « trouver une voie de salut pour sa patrie », ses débarquements dans divers ports de France et d’Afrique, son passage à New York, son séjour à Londres au début de la première guerre mondiale simultanément comme balayeur de rues et apprenti pâtissier à l’hôtel Carlton...
... avant son établissement à Paris à partir du 3 décembre 1917. Sa demande d’admission à l’Ecole coloniale écrite à Marseille le 15 septembre 1911, est l’unique document attestant pour toute cette période la présence matérielle en Occident de celui qui s’appelait alors Nguyen Tat Thanh. Les preuves concrètes manquent pour permettre d’accepter sans discussion les anecdotes accréditées sur la partie de sa vie au cours de laquelle il aurait été un véritable prolétaire, accomplissant divers métiers pénibles. Il est probable que l’épisode d’apprenti pâtissier a été emprunté à celle du dirigeant communiste français Jacques Duclos, qui a commencé sa carrière en cette qualité.
Mystères encore sur son périple mais à partir de 1919, il y a moins d’incertitudes puisqu’il était suivi par les services secrets français. C’est en effet à Paris qu’il se politise en rejoignant le Parti socialiste. Lors de la division des socialistes en une aile modérée (Léon Blum) et une aile radicale (Marcel Cachin), devenu Nguyen Ai Quoc il sympathise avec les radicaux
Il est présent au Congrès de Tours en décembre 1920. Sur cette photographie reproduite un peu partout, nous avons cru reconnaître Marcel Cachin (a) et Léon Blum (b).
Le discours qu’il tient alors est d’un anti colonialisme virulent et ouvre les yeux de certains délégués français. C’est alors que l’un des plus jeunes, Jacques Doriot qui vient des jeunesses socialistes, lui aurait attribué le surnom de « Nguyen Ai Quoc » qui signifie « Nguyen le patriote » (8).
Il aurait alors écrit à diverses reprises dans le journal L'Humanité mais nous n’avons, en feuilletant cet estimable quotidien, consulté qu’un article assez véhément signé Nguyen Ai Quoc, le 6 juillet 1924 décrivant « l’exploitation de l’Indochine par l’impérialisme ». D’autres articles ont probablement été publiés sous d’autres pseudonymes, Phan Van Truong ou Ulysse Leriche pour dérouter la police française ?
Lorsque la faction radicale en 1920 fonde sous la direction de Cachin le premier Parti communiste français, Nguyen Ai Quoc fut l'un des membres fondateurs.
Il disparaît de Paris dans la seconde quinzaine de juin 1923 et il est pisté à Moscou, suite à une invitation du Kominterm. Il est présent au cinquième congrès du Kominterm en juin 1924. Il pèse son poids en Union soviétique et rencontre Boukharine, Ernst Thälmann, Chou Enlai, Chiang Kai-Shek et des communistes indiens. Sa rencontre alléguée avec Lénine reste douteuse, il en aurait été fort dépité ? Après avoir vécu avec les communistes à Moscou, reçu la formation de l'Internationale communiste, il devient tout simplement un agent du Kominterm.
L’épisode siamois
Il a vécu sous divers pseudonymes (9) à Bangkok et dans le nord-est au milieu des Viets Kieu, les vietnamiens d’outre-mer ayant quitté leur pays dès l’arrivée des français surtout à la fin du XIXème. C’est encore une période mystérieuse de sa vie. Il fuyait son pays et la police secrète française (« la Sureté ») qui faisait la chasse aux révolutionnaires établis au-delà des frontières de l’Indochine française. C’est un caméléon, changeant de costume, de nom, de déguisement. On le retrouve médecin, commerçant chinois, moine bouddhiste cachant soigneusement ses déplacements. Il apparait et disparait. Où réside-t-il ? Ses adresses sont des mystères. Comment dès lors trouver sa trace ? Que valent ses biographies officielles ? Que valent des témoignages recueillis avec un recul de 50 ans ? Il serait devenu au Siam un « maître de la jungle » dont il se servit plus tard de base pour lutter contre les « envahisseurs » japonais, français et américains ? Arrivé en juillet 1928, il a quitté Moscou au début de l’été, et jusqu’en 1930, il aurait alterné les visites à Hong Kong et en Malaisie où il aurait participé à la fondation du parti communiste local (10). Il navigue, « maître de la jungle » entre Nongkhai, Udon, Sakhon et Mukdahan, On le retrouvera à Phitsanulok, sous le nom de « Old Chin » mais son « camp de base » est effectivement à Nachok près de la base aérienne où se trouvent de nombreux Viets. Travail de propagande évidemment, mais aussi d’éducation pratique, il aurait appris aux paysans de nouvelles méthodes de pêche et aurait volontiers manié la pelle et la pioche. Il est toutefois permis d’en sourire à moins que la discipline halieutique et celle du labourage n’aient aussi fait partie de l’enseignement de l’école des cadres du Kominterm, à Moscou ?
Envoyé au Siam pour y prêcher la bonne – ou la mauvaise – parole, il préside comme délégué de l’Internationale communiste. à la naissance du Parti communiste siamois le 20 avril 1930 au congrès de Bangkok tenu dans le plus grand secret à l’hôtel Tun Ki (โรงแรมตุ้นกี่) situé en face de la gare centrale (Aujourd’hui disparu en raison de l’élargissement des chaussées sous le pseudonyme de Sahai Sung.) Composé essentiellement de Chinois et de Vietnamiens, ce nouveau parti n’a cependant jamais eu ni statuts, ni programme, et, en dépit de son nom, va fonctionner comme une organisation dont l’objectif principal était d’aider à la révolution dans les pays de l’Indochine. Un dénommé Li alias Ngo Ching Kuak est désigné comme premier secrétaire du parti et deux autres dirigeants sont Tang alias Choen Wan Choen et Lao Ngow - U Chue Chue
Il était entretemps passé par Hong Kong où il avait fondé le 3 février 1930 le Parti communiste Indochinois avec l’aide de Mao-Tsé-Tung. Il quitte le Siam à une date indéterminée mais est arrêté à Hong Kong, le 6 juin 1931, sous le nom de « Sung Man-Cho ». Nous en resterons là de sa vie d’agent du Kominterm.
Les renseignements sur ces trois ans passés au Siam sont maigres et plus encore. Il y a certainement des découvertes à faire dans les archives du Kominterm qui ont été ouvertes mais n’ont pas à ce jour été – et de loin – dépouillées. Il n’en reste pas moins vrai que la Thaïlande a joué un rôle important dans la lutte pour l'indépendance du Vietnam jusqu'en 1932 : Le Siam ne fut pas hostile à la cause de Ho (anti française), et Rama VI et Rama VII ont volontairement autorisé le libre passage des indépendantistes Vietnamiens à travers leur pays, tant du moins qu’ils ne se livraient pas à des activités favorables au Kominterm ce qui explique évidemment qu’ils étaient partiellement contraints à la clandestinité. Lorsqu’en 1933, la propagation de la doctrine communiste devint un crime contre l'État, Ho Chi Minh était parti du Siam depuis longtemps.
Les années cachées et la grande réconciliation
À la suite de la mort de Ho Chi Minh, Suthichai Yoon, journaliste du Bangkok le considérait comme une « figure maléfique » et estimait que toute expression de chagrin sur sa mort dans les rues d'une ville thaïe serait insupportable (Bangkok Post du 4 octobre 1970) (11). Jusqu'à la fin des années 1990, les Viet Kieu craignaient toujours de parler en public de leur défunt héros. Lorsque les autorités thaïes prirent l’initiative de reconstruire la demeure de « Oncle Ho », ils restaient encore muets devant les questions des journalistes.
Elle connut son point d’orgue le 21 février 2004, lors de l’inauguration du « site historique » par les premiers ministres des deux pays. L’initiative de cette reconstruction revint au général Chavalit Yongchaiyudh … qui avait participé avec un zèle brutal et plus encore à l’éradication physique des maquis communistes.
Au cœur du village de Ban Nachok se trouve un petit musée sur deux étages, ouvert à tous vents, où sont exposés la vie d'Ho Chi Minh et l'histoire de l'amitié thaï-vietnamienne (indéfectible et éternelle évidemment).
Il ne contient pas, contrairement à ce que l’on peut lire dans certains guides de « précieux souvenirs » (12). Indépendamment de quelques objets qui auraient appartenu à Ho, mais qu’est ce qui ressemble plus à un casque colonial jauni par le soleil tropical qu’un autre casque colonial et à une pipe en bambou qu’une autre pipe en bambou ? Ce sont surtout une longue série de photographies concernant sa vie depuis des photographies de sa maison natale jusqu’à sa chambre dans le palais où il mourut ainsi que quelques maquettes. Il n’en est malheureusement aucune sur la période siamoise. Elles sont toutes sous verre en passe d’être détruites par la moisissure. En voici un bon exemple :
Sur de très nombreuses d’entre elles, nous voyons le président tenant de jeunes enfants dans ses bras ce qui peut venir à l’appui des accusations proférées par certains esprits malveillants (voir notre note 5 in fine) ?
Non loin de là se trouve une modeste maison restaurée sinon reconstruite en 2001. Elle se situe dans un agréable nid de verdure au milieu des rizières, l’accès au site en général n’est pas facile compte tenu d’une signalisation déficiente et devait bien évidemment être pratiquement impossible aux agents de la sureté française qui aurait envisagé de le traquer depuis la base de Thakhek (ทาแขก) sur l’autre rive du Mékong côté Laos français.
La maison est modeste, un bâtiment principal en bois bien entretenu, comprend une grande pièce à vivre et deux chambrettes, modestement meublées, un grenier à riz sur pilotis et une petite pièce à usage de bureau.
De nombreux reproches peuvent être fait à Ho, mais certainement pas celui de la cupidité. Le propriétaire des lieux – qui serait le petit fils de celui qui accueillit Ho dans les années 20 - exhibe avec une certaine fierté des objets ou ustensiles qui lui auraient appartenu et affirme que le président a lui-même planté les cocotiers, on le voit même photographié un arrosoir à la main mais la photographie n’est pas datée. Nous n’échappons pas au « petit commerce local » mais il reste discret et sympathique (casques coloniaux, casquettes, tee-shirts, ouvrages en vietnamien).
Le tout, comme le petit musée, est évidemment une belle image du « culte de la personnalité » mais il est difficile de ne pas ressentir une certaine émotion quels que soient les sentiments que peut inspirer le personnage.
C'est là que « Thau Chin », pseudo souvent utilisé pendant son séjour au Siam, a vécu et conduit ses activités révolutionnaires de 1928 à 1930. Les leaders thaïlandais et vietnamiens ont salué dans des discours parfaitement angéliques le site comme un symbole de relations bilatérales amicales destinées à améliorer la compréhension et les liens entre les deux peuples. Il est permis d’en sourire, du moins du côté thaï dans la mesure où les élites de Bangkok, avec un soutien politique, économique et militaire des États-Unis, avaient défini la Thaïlande comme bastion pour empêcher le communisme de se répandre dans la région et considéraient les Viet Kieu comme la cinquième colonne.
Une partie de l’opinion thaïe considère toujours Ho Chi Minh comme un communiste indésirable. Jusque dans les années 1980, ceux qui affichaient dans leur maison un portrait de Ho pouvaient être accusées de communisme. Dans une interview donnée à La Nation, Vo Trong Tieu, propriétaire de la maison où Ho avait l'habitude de se réfugier pendant ses séjours à Nakhon Phanom, déclara qu'il n'avait jamais osé le dire à personne (The Nation le 6 août 1996). Les « conservateurs » sont toujours hantés par la confrontation idéologique de l'ère de la guerre froide. Pour eux, Ho Chi Minh est encore considéré comme un communiste indésirable. Dans les années 1980, on pouvait être accusé en tant que communiste si on trouvait des images de Ho dans votre maison Lors de la rénovation d’un temple bouddhiste dans le village en 1969, la photo de Ho Chi Minh, qui se trouvait au centre du temple, dut être remplacée par une image du soleil. Même les médias au cours des années 1980 évitaient de publier une photo de Ho.
Lorsque les projets de construction du site de Nakhon Phanom ont été initiés, les plans ont été incendiés au motif que Ho Chi Minh était un représentant du monde communiste. Lorsque les travaux ont commencé en 1999, plusieurs chefs de village du Tambon de Nongyat, où se trouve le site, de nombreux Thaïs s'y opposèrent farouchement. Il pèse toujours sur le site le risque d’une utilisation non plus historique, mais de propagande politique. Il est discret mais transparent sur le site.
Mais la confrontation idéologique de la guerre froide a été remplacée par la coopération et l'amitié en particulier dans le cadre de l'ASEAN. Mentionnant Ho Chi Minh lors de l'inauguration du village le 21 février 2004, le vice-premier ministre, le général Chavalit Yongchaiyudh déclara : « Le président Ho Chi Minh ne fut pas seulement un grand chef pour les Vietnamiens ... il fut aussi un grand homme connu du monde entier ».Le Premier ministre thaïlandais Thaksin Shinawat dit pour sa part froidement et sans rire : « Je souhaite que les Thaïlandais suivent les enseignements du Président Ho Chi Minh, qui est également oncle Ho de Ban Na Chok. Vous devriez prendre ces exemples typiques dans la vie. Vous vous souvenez sûrement que notre Oncle Ho, en restant ici, a éduqué les Thaïs en élevant du poisson frais de manière technique et a toujours affirmé que les gens devraient être reconnaissants envers le pays qui les abritait. Oncle Ho a toujours enseigné que l'amitié thaïlandaise et vietnamienne passait par le Mekong. Les pensées d'Oncle Ho doivent nous servir à développer les relations entre la Thaïlande et le Vietnam ».
Vo Trong Tieu, propriétaire du site, affirme que de nombreux de hauts fonctionnaires thaïlandais, y compris des royalistes et des généraux, auraient visité le site et exprimé leur admiration pour la cause de libération nationale vietnamienne menée par Ho Chi Minh ainsi que ses qualités personnelles
La presse thaïe s’est à son tour lancée dans la flagornerie : « Ho est le père fondateur du Vietnam » (The Nation le 6 août 1996), « un grand combattant de la liberté » (Bangkok Post, le 24 avril 2000), « le père du Vietnam » (Bangkok Post, 18 juillet 2000), « un héros national vietnamien » (Bangkok Post, 20 février 2004). « Malgré ce, il faut admettre que chaque nation a ses héros. Les méthodes de combat peuvent différer en fonction des époques historiques au cours desquelles se sont déroulées les conflits dans lesquels ils se sont distingués. Une chose est certaine, Ho Chi Minh bénéficie du statut exalté d'un héros qui a lutté pour le pays qu'il aimait et reste l'un des plus grands héros nationaux de Vietnam » (Bangkok Post, 23 juin 2003).
Mais d’autres considèrent plus prosaïquement que ce site est un moyen de propagande pour Hanoi.
Toutefois, rien dans tout cela ne nous a éclairés avec précision sur la présence et le parcours d'Ho Chi Minh en Thaïlande.
Mais le style de ce qui n’était jusque-là qu’une manifestation pas forcément antipathique du culte porté à Ho vient de changer par la construction d’un pharaonique « mémorial du président Ho Chi Minh » (อนุสรณ์สถานประธานโฮจิมินห์) qui occulte (peut-être est-ce voulu ?) la modestie du petit musée et de la maisonnette.
La construction a commencé en mars 2004 sur une superficie de près de 12.000 mètres carrés.
Après des années de travaux, le site a été inauguré et ouvert aux visiteurs le 19 mai 2016, date officielle de son 126ème anniversaire du Président. Non encore entièrement terminé, il archiverait de « nombreux documents précieux » et les bâtiments non encore utilisés sont destinés à une massive exploitation touristique. Une reproduction exactement à l’identique de la maison d’origine et de ses annexes est édifiée sur une butte, soigneusement ripolinée et vernie.
Un projet aussi grandiose que similaire serait en cours entre Phitsanulok et Phichit.
Voilà bien une manifestation éclatante de ce culte stalinien de la personnalité dénoncé par Khrouchtchev lors du XXème Congrès du Parti communiste de l'Union Soviétique !
Lorsque le temple bouddhiste qui est en position centrale sur le site .....
... contient, surmontant l’autel, une statue du Président sur un trôner doré, là où les fervents bouddhistes placent une reproduction de Bouddha et les chrétiens la croix du Christ, ce n’est plus de culte de la personnalité qu’il faut parler mais de déification.
Les Viet Kieu, descendants de ceux qui avaient fui la colonisation française, peuvent légitimement considérer Ho comme le père de la décolonisation (mais il ne fut pas le seul) et celui de la réunification (qui se fit après sa mort). Considéré comme le « père de la Nation », il faut se rappeler que le Vietnam national existait bien avant lui et bien avant l’occupation française. Il n’a toutefois pas évité ce que nous appellerons pudiquement les « excès de la révolution prolétarienne », élimination de ses adversaires politiques nationalistes non communistes ou communistes qui n’était pas dans sa ligne et politique antireligieuse forcenée qui se poursuit toujours, essentiellement contre les catholiques. Les chrétiens qui les ont fui et se sont souvent réfugiés dans les provinces riveraines du Mékong où l’on trouve autant de clochers surmontés de la croix que de temples bouddhistes ne placent pas son portrait dans leurs églises.
Ce n’est pas à nous de le juger.
Cette modeste maison de bois fut-elle vraiment la sienne ? Elle n’est évidemment pas la maison d’origine qui a dû depuis longtemps être mangée des vers et des termites. Reconstruction « à l’identique » probablement dans le style de toutes les maisons de bois de l’Isan. Il est une règle d’or dans la clandestinité que nous ont appris de tous ceux qui l’ont subie, en France notamment, c’est de ne jamais dormir deux nuits de suite au même endroit :
« …Mon père ne couchait guère jamais deux nuitsde suite au même endroit, dans la même cabane… » (13).
Ho a navigué entre Mukdahan et Phitsanulok, il y a déjà 500 kilomètres à vol d’oiseau entre ces deux villes et les chemins ne devaient pas être faciles à cette époque, tout en faisant apparemment des incursions en Malaisie et à Hong Kong. Ce village, sinon cette maison, lui servit certainement de refuge au milieu d’une colonie de ses compatriotes. Il en eut aussi avec non moins de certitude beaucoup d’autres. Restons-en là. Il est des statues qu’il n’est pas séant de déboulonner.
NOTES
(1) Dans un document écrit de sa main en 1911, il déclare être né en 1892. Un rapport des services de la Sûreté française corrobore cette affirmation en plaçant la naissance de Ho au 24 janvier 1892; un autre par contre l’infirme en établissant qu’ « originaire du Huyn de Nam-dan, province de Vinh, « Nguyen Tat Thanh », dit « Nguyen ai Quoc », est né le 15 janvier 1894 au village de Kim-lien ». Mais, sur le visa délivré en 1923 à Nguyen Ai Quoc pour lui permettre de se rendre en Union soviétique, figure la mention du 15 janvier 1895. Quant à la date du 19 mai 1890, anniversaire officiel, elle n’a été arrêtée qu’en 1946, semble-t-il, choisie selon toute vraisemblance pour correspondre à l’anniversaire de la fondation du Viet-Minh le 19 mai 1941. Il est probable qu’il ne connaissait pas lui-même sa date de naissance. Si un acte de naissance officiel a été établi par l’autorité coloniale, il dort probablement aux Archives de la France d’Outre-mer à Aix en Provence ou dans les deux Centres des Archives nationales du Viêt-Nam à Hanoi et à Hô-Chi-Minh Ville. Mais rien de moins assuré puisque, jusque même à la fin de l’époque coloniale, l’organisation des services d’état civil était incomplète : voir à ce sujet l’article de Magali Barbieri, « De l'utilité des statistiques démographiques de l'Indochine française (1862-1954) », Annales de démographie historique 2007/1 (n° 113), p. 85-126). 70 % des Vietnamiens s’appelleraient Nguyen, on se doute que les recherches ne sont pas faciles.
(2) « The Siamese trail of Ho Chi Minh » par Tedy Spha Palasthiram Bangkok, 2015.
(3) Il a publié lui-même deux autobiographies, signées du pseudonyme de Tran Dan Tien, d'abord en chinois (Hu Zhi-ming zhuan) à Shanghai en 1949, et publiée à Hanoï en 1958 sous le titre Những mẩu chuyện về đời hoạt động của Hồ chủ tịch (« Les anecdotes sur les activités du président Hô »). La seconde, Vừa đi đường vừa kể chuyện (Récits faits en chemin), publiée en 1963, est signée T. Lan, un des noms sous lesquels Ho Chi Minh écrit ses articles après 1951. Nous n’avons pu les consulter d’autant que les deux langues nous sont parfaitement étrangères. Elles ne manifesteraient que des préoccupations d'ordre hagiographique ou des soucis de propagande politique.
(4) Ses biographies officielles prétendent que son père abandonna le mandarinat par hostilité à la présence française, mais d’autres sources d'archives signaleraient qu'il fut révoqué en 1910 de ses fonctions de sous-préfet pour cause d'ivrognerie et de brutalité… ce qui cadre assez mal avec ce que le personnage fut ou prétendit être ? La vérité se trouve peut-être dans les Archives de la France d’Outre-mer à Aix en Provence ? Curieusement, il n'y a nulle part trace ni de sa mère ni d'éventuels frères et soeurs ????
(5) Il aurait eu en France une relation amoureuse et peut-être même épousé une militante socialiste, Marie Brière. Si cela était, la réponse se trouve dans un registre d’état civil de l’un des arrondissements de Paris.
Il l'aurait retrouvée tardivement ???
Il a eu une épouse chinoise épousée à Canton avant son arrivée au Siam, une ravissante sage-femme catholique, Tang Tuyêt Minh qui lui aurait peut-être donné un enfant. La présence de Nguyen Ai Quoc à Canton est signalée le 8 janvier 1925 par la Sûreté générale d’Indochine. Ils furent très rapidement déparés par la force du destin. Morte en 1991, elle s’est toujours refusée – avec prudence – à toutes confidences aux journalistes qui avaient déniché son existence.
Cependant, cette continence risquait de choquer par son rigorisme, elle fut donc contrebalancée par l'image débonnaire de l'oncle Ho chérissant tendrement les enfants. Ses ennemis l’ont évidemment taxé de pédophilie.
(6) Confidence faite le 31 mai 1946 au général Raoul Salan, rapportée par celui-ci dans ses « Mémoires. Fin d'un empire. Le sens d'un engagement » Paris, 1970, p. 383.
(7) Elle intervient officiellement le 3 septembre 1969, alors que le conflit fait toujours rage au Viet Nam. Selon certains dissidents, il se serait donné la mort en arrachant ses perfusions, choisissant ainsi le jour de sa mort pour qu’elle n’ait pas lieu le jour de la fête nationale de l’Indépendance le 2, mais le lendemain (proclamation de l’indépendance le 5 septembre 1945). Pour d’autres esprits malveillants, ce sont ses adversaires politiques – nombreux, le Vietnam était au contre des querelles entre les prochinois et les prosoviétiques – qui auraient eux-mêmes arraché les tuyaux et attendu le lendemain pour l’annonce officielle afin qu'elle ne coïncidât pas avec la fête nationale alors qu’il était en « phase terminale » ?
(8) Selon les biographies « politiquement correctes », ce pseudonyme lui a été attribué par « ses amis français ». La référence à Doriot provient de la monumentale biographie signée de l’historien allemand Dieter Wolf : « Doriot, du communisme à la collaboration » publié en 1969. Le personnage est trop controversé pour en faire, en quelque sorte, son « parrain » en communisme : Après avoir été évincé par Staline de la direction du parti communiste français au profit de Maurice Thorez, Doriot suivit un parcours politique « atypique » qui le conduisit à combattre sur le Front de l’Est sous l’uniforme allemand et y être décoré de la croix de fer. Ho est probablement resté longtemps en rapport avec lui. Son dossier de police aux archives de la France d’Outre-mer à Aix en Provence contient des centaines de références à Doriot, malheureusement pratiquement inaccessibles (voir nos SOURCES).
(9) Il en aurait utilisé plus de cent, n’en citons que quelques-uns : Nguyen Sinh Cung, Nguyen Tat Thanh, Nguyen Ai Quoc, Ho Chi Minh, Bac Ho etc ….
(10) Mais Pierre Fistié n’en touche pas mot dans son article « La Fédération de Malaisie et Singapour : État des travaux » In: Revue française de science politique, 11ᵉ année, n°1, 1961. pp. 155-185.
(11) A la même époque, un journal français avait titré de façon assez provocatrice « L’inhumanité en deuil ». Le titre a par la suite été plagié dans d’autres circonstances
(12) Une « certaine pratique » de ce pays nous a appris à nous défier de ces guides qui conseillent des restaurants où leurs inspecteurs n’ont jamais mangé, des hôtels où ils n’ont jamais couché et des sites qu’ils n’ont jamais visités.
(13) Eugène Le Roy « Jacquou le croquant ».
SOURCES
Les archives de la France d’Outre-mer à Aix en Provence contiennent un dossier de « surveillance » de 9.000 feuillets (pas moins) concernant Nguyen That Thanh alias Nguyen Ai Quoc alias Ho Chi Minh entre 1919 et 1955, on peut penser que ses activités siamoises y sont abordées. Nous n’y avons évidemment pas eu accès, ce qui d’ailleurs n’aurait pas été facile puisqu’une partie est en français, une autre en anglais, une autre en vietnamien romanisé et la dernière en idéogrammes :
http://anom.archivesnationales.culture.gouv.fr/ark:/61561/ph999nlnn.
Ces archives sont numérisées mais l’accès aux dossiers est quasiment impossible.
Il est annoncé la « mise en ligne » des archives de l’état civil pour une date indéterminée.
La plus importante est l’article (en anglais) de Nguyen Quoc Toan « Ho Chi Minh Sites in Thailand: Their Significance and Potential Problems for Thai-Vietnamese Relations » publiée dans The Journal of Mekong societies en 2009. Nous en avons extrait les citations de la Presse anglophone de Bangkok. Publication de l’Université de Khonkaen :
https://mekongjournal.kku.ac.th/
En allemand :
http://www.payer.de/thailandchronik/chronik1967.htm
Sur la fondation du parti communiste siamois (en thaï) :
https://th.wikipedia.org/wiki/พรรคคอมมิวนิสต์แห่งประเทศไทย
Sarakdee Magazine (สารคดี) numéro 232 de juin 2004 sur le site de la revue (en thaï)
Sur le séjour siamois
http://paiduaykan.com/province/Northeast/nakhonphanom/hochimin-house.html
http://www.postbooksonline.com/ค้นหา/ค้นหา /430-The-Siamese-Trail-Of-Ho-Chi-Minh
https://fr.wikipedia.org/wiki/H%C3%B4_Chi_Minh#cite_note-9
Sur son épouse (en Vietnamien) :
https://vi.wikipedia.org/wiki/Tăng_Tuyết_Minh
Et quelques autres références d’ordre général :
Jean Lacouture « Cinq hommes et la France ». Paris, 1961 – Pierre Rousset « Communisme et nationalisme vietnamien ». Paris, 1978, pp. 67-83 – Alain Ruscio, « Le monde politique français et la révolution vietnamienne » (août-décembre 1945) » in: Les chemins de la décolonisation de l’empire colonial français. Paris, 1986.
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