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Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.

H 75 - LA POLITIQUE DE « STRATÉGIE HYGIÉNIQUE » DE RAMA V À BANGKOK - 1 – « LES POLITIQUES DE DÉFÉCATION »

 

Le roi Rama V à la suite de son père lança une série de réforme essentiellement de façon régalienne mais parfois aussi  donnant lui-même le bon exemple de par son attitude, ses habitudes et ses errements, ceux de sa famille et ceux de la cour. Grand constructeur et grand bâtisseur, tout comme son père, leurs réalisations architecturales sont bien connues, œuvre essentiellement de leurs architectes italiens. Par ailleurs, l’'administration des Travaux Publics de Bangkok, réalisa d’importants travaux de voiries, créant de belles et grandes avenues er des ponts pour franchir le fleuve et les canaux. Tout cela avait un prix mais les ressources du Trésor au fil des ans, de 1892 jusqu’en 1910, date de la mort de Rama V  passèrent de 15 millions de baths par an à 65 millions, chiffres arrondis. Plusieurs millions étaient consacrés annuellement aux travaux publics mais il est difficile de faire la ventilation entre les postes de dépenses, avenues, ponts, lignes de chemin de fer, réseau électrique…

 

 

Il y eut un aspect moins spectaculaire sous le règne de Rama V et pourtant d’une importance pour la population, celui de sa politique de travaux sanitaires dans sa capitale. Il recouvre deux postes précis, celui de l’évacuation des ordures de quelque nature qu’elles soient suivi de l’alimentation de la ville en eau (plus ou moins) potable.

 

 

Sur le premier sujet, nous disposons d’un très intéressant article de Chittawadi Chitrabongs, universitaire et architecte, au titre évocateur s’il en est, mais un peu réducteur sinon provocateur « Politiques de défécation sous le cinquième règne ». Nous y trouvons, au vu de multiples sources pour la plupart en thaï et qui ne nous sont pas accessibles, des éléments totalement inédits à ce sujet qui n’a rien de poétique (1). Elle porte  sur la question de l’évacuation des déchets de toute nature. Dans un prochain article, appuyé sur des sources différentes, nous aborderons un sujet connexe, celui de l’installation de l’eau potable dans la capitale.

 

 

Nous connaissons un premier recensement effectué à Bangkok en 1883 et celui, plus général, de 1909. La ville abrite environ 600.000 habitants dont environ 50.000 résident dans des habitations flottantes, sur les canaux (klongs) qui la sillonnent.  Ces canaux servent à tout, en dehors de l’alimentation en eau dont nous reparlerons, ce sont tout simplement les égouts de la ville. Les visiteurs de Bangkok à cette époque ne parlent que de ses splendeurs et nul de l’infernal état de crasse et de puanteur qui régnait alors sur la ville. Il est une exception toutefois, peut-être y en a-t-il d’autres : Carl Bock, consul général de Suède, après avoir décrit les splendeurs de la ville, fait une très brève allusion à sa crasse et à sa puanteur : « La boue des rues, les ordures entassées partout, les odeurs nauséabondes… » in « Le royaume de l’éléphant blanc », traduction française de 1889.

 

 

Le jeune diplomate Réau en parle dans une correspondance privée qui n’étais alors pas destinée à la publication « Autour du Consulat beaucoup d'Européens - puis plus loin, pendant des kilomètres et des kilomètres, la ville immense, grouillante, empestée par place, sale, puis de larges avenues, le Palais, avec ses pagodes dorées, ses statues géantes ... » in  Jeune diplomate au Siam: 1894-1900 Lettres de mon grand-père Raphaël Réau  publié en 2013. 

Lorsque Monseigneur Pallegoix, vicaire apostolique au Siam, parle du pays en 1854, il ne nous parle que des splendeurs et des magnificences de Bangkok. On ne peut pas même parler de « tout ce que vomit Subure et l’Esgastule » car, s’il y avait des égouts dans la Rome antique, il n’y en avait pas dans le Bangkok de Rama V. Lorsque Monseigneur Pallegoix, vicaire apostolique au Siam, parle du pays en 1854, il ne nous parle que des splendeurs et des magnificences de Bangkok. On ne peut pas même parler de « tout ce que vomit Subure et l’Esgastule » car, s’il y avait des égouts dans la Rome antique, il n’y en avait pas dans le Bangkok de Rama V.

 

 

Lorsque Rama V a visité Paris et Londres, les deux villes étaient pour l’essentiel devenues propres.

 

 

Il  avait lui-même des idées d'ordre et de propreté qui allaient contre, sinon la tradition, du moins la routine. Ce fut la raison pour laquelle, comme pour toutes ses réformes, s’éleva une opposition populaire. Le roi ne voulut pas simplement que sa capitale soit une ville propre, il voulut mouler les habitudes de ses habitants sur les siennes propres qui valaient assurément mieux ! Détails triviaux sinon scatologiques : imposer à son bon peuple l’utilisation d’objets pratiques, conseillers par les médecins étrangers comme de simples toilettes et à défaut de le leur imposer à domicile, imposer l'utilisation de toilettes publiques aux habitants de Bangkok.

 

 

Le souci du roi n’était peut-être pas de modernisation mais celui d’une transformation esthétique de la capitale en imposant une totale rupture avec les attitudes siamoises rurales au profit d’une hygiène personnelle reflétant ses propres idées sur la bienséance. Sa politique de « stratégie hygiénique » débuta dès le début de son règne. Il voulut en priorité que soient installés partout des fours crématoires pour supprimer la combustion des cadavres humains sur un bucher à l’air libre,

 

... seul élément d’hygiène qui choquait Monseigneur Pallegoix mais pour des raisons religieuses, et le rejet dans les canaux et les klongs des cadavres d’animaux et de tous les déchets domestiques en sus de toutes mes merdes : A cette époque en effet, les cadavres et, les ordures et les déchets, organiques ou pas, flottaient tout simplement sur les eaux et les dépouilles étaient parfois laissées à la vioracité des vautours.

 

 

Le monarque s’est d’abord attaché à introduire des water-closets dans ses palais et, faute de pouvoir l’imposer au menu peuple, a tenté d’imposer l'utilisation de toilettes publiques aux habitants de Bangkok. De nombreuses références extraites des archives royales, démontrent que le roi manifestait sa répulsion et son dégoût face à l'aspect de sa capitale, s’indignant notamment de l’habitude siamoise de laisser les cadavres d’animaux pourrir au bord des routes et de l’évacuation des eaux usées à l’air libre. Curieusement, il met sur le même plan son indignation de voir la majorité des femmes circuler les seins nus à Bangkok, moins désagréable tout de même sur le plan esthétique et encore moins sur le plan olfactif.

 

 

Cette lourde tâche, après sa visite eu Europe de 1897, fut été confiée au Prince Narit (Narisara Nuvattivongs  - นริศรานุวัดติวงศ์) qui était par ailleurs à la fois architecte et musicien avant de devenir spécialiste de l’’élimination des eaux usées. Le seul choix de cette figure centrale du pouvoir montre l’importance qu’il attachait à ces problèmes.

 

 

La création du Département sanitaire date de 1897 et l'introduction de toilettes publiques à Bangkok dans le cadre des politiques de réforme de la santé publique, apparaissent comme une reproduction  des politiques européennes en réponse aux problèmes de l'urbanisation rapide. La politique  de Rama V eut un double aspect : en dehors de la modernisation de sa capitale, ses préoccupations personnelles certainement égoïstes,  esthétiques et probablement olfactives. Constater la présence de tas d'excréments dans les rues devenait évidemment une insulte à ses réformes. Or Bangkok à cette époque comme Londres ou Paris au XVIIIe siècle, puait la merde.

 

 

Ces réformes commencèrent  dans la « ville intérieure », dans ses propres palais. 

 

 

Ses femmes et lui s’y soulageaient dans un bâtiment spécial d'un étage aux murs épais de brique et de mortier. A l'intérieur, l’élimination des excréments était une activité collective, évacués par des servantes, transférées d’un pot de chambre dans un récipient spécial et partaient en flottant depuis un site particulier, gardé par la police du palais, lancés sur les eaux par serviteur de confiance. Hors ce gynécée et dans le complexe de palais, des excréments étaient évacués par seaux qui partaient dans les mêmes conditions au fil de l’eau des klongs. Où allaient-ils ? Les vases de nuit étaient placés sur le sol à moins d’un mètre de la tête des lits des soldats. Après avoir identifié le coin le plus agressif du Grand Palais, le Dr Campbell Highet, médecin de la Santé, a conclu que: «Je ne suis pas surpris par le fait de voir la peste de tomber de là-bas en raison de la surpopulation et de la saleté ».

 

 

Le roi fut enthousiasmé par l'importation d'objets modernes dont il ne pouvait évidemment pas imposer l’utilisation aux habitants de la capitale mais il subit de cruelles déceptions lorsqu’en particulier les tirettes des chasses d’eau, superbe matériel provenant de la prestigieuse société de Londres Maple & Co, restaient coincées.

 

 

Il estima alors, non sans raison peut-être, qu’on lui avait refilé des invendus obsolètes d’Europe ? Mais  curieusement, irrité du mauvais fonctionnement de la chasse d’eau, il ne se souciait nullement de savoir où elle évacuait les étrons quand elle fonctionnait ! Ce n’étaient que des toilettes symboliques !

 

Loin de ses palais, le centre-ville était d’une saleté repoussante, lorsque le soleil frappait sur ​​les trottoirs de granit, l’atmosphère était étouffante et la puanteur d’urine insupportable et encore plus en saison des pluies. Si les habitants de la ville intérieure étaient propres, comme le sont les Siamois qui prennent deux bains par jour, le mode d'élimination de leurs excréments restait primitif sinon aléatoire.

 

Le roi était très sensible à la façon dont les résidents européens et les visiteurs pourraient percevoir Bangkok. Tout devait apparaître bien entretenu et en bon ordre. Les plaintes des Européens auraient été prises comme des affronts …

 

Dans ses palais, il avait rejoint le clan des anglomanes ! Les water-closets des salles de bains, provenaient de Maple & Co. à Tottenham Court Road. En 1899, enfin, il reçut un cadeau royal, un bidet, de l'ambassadeur siamois à Paris parce qu'il avait exprimé le souhait, quand il était dans notre capitale, d’en posséder un. Mais en fin de compte, tout ce qu’il imposa dans ses palais, c’était tout simplement la position assise, mais toujours pas le moindre système d'égout.

 

 

L'image de Bangkok qu’il voulut donner de sa capitale était celle d’un ordre idéal, représentant son propre statut de représentant l'ordre céleste. Il voulut donc transformer les habitudes siamoises d’origine rustiques pour les adapter aux exigences de la vie dans une capitale moderne. Le roi avait-il eu conscience de ce qu’était une politique d’urbanisation et d’hygiène ? Par contre et à ses yeux, les coutumes rurales populaires : pisser dans l’herbe et déféquer dans la forêt éloignée de la maison, appropriées à la campagne, ne pouvaient être tolérés dans la densité urbaine de Bangkok.

 

Quelles étaient donc les pratiques des habitants à cette époque ?

 

Ils urinaient et se soulageaient n’importe où, espaces publics ou privés. Il n’y avait aucun moyen de d'élimination des eaux usées. Tout au plus, les autorités tentaient-elles d'empêcher les gens de jeter les matières fécales dans les jardins des voisins et les sanctionnaient en leur faisant porter des seaux d'excréments sur leurs épaules. Mais il n’y eut en réalité eu aucune action officielle ou le moindre règlement même élémentaire pour l'élimination des eaux usées.

 

Une mesure réglementaire intervint certes dès 1870 (พระราชบัญญัติ ว่า ด้วย ธรรมเนียม คลอง) mais elle n'avait rien à voir avec l'hygiène. Il  s’agissait surtout d'interdire ce qui ne devait pas être vu. Ainsi, la police fluviale pouvait forcer le délinquant à ramasser les détritus de toutes sortes (ordures, cadavres ou matières fécales) qu’ils jetaient dans les cours d'eau.  Par la suite, la police eut la possibilité de détruire les constructions édifiées le long de quais d’où partaient souvent ces détritus.

 

La base des réformes vinrent incontestablement du sens esthétique et olfactif du Roi eu égard à l'expansion du réseau des canaux, mais aussi à l'apparition de nouvelles routes à l’occidentale.  La loi sur la police (กฎหมาย โปลิศ) de 1875 visait principalement à rendre propres les rues de Bangkok. Les habitants qui déféquaient le long des nouvelles voies pouvaient être condamnés à une amende de 20 ticals comme on appelait alors le baht. S’ils ne pouvaient pas payer, ils étaient incarcérés pendant 3 mois. S’ils urinaient dans un espace public, ils pouvaient y être ligotés pendant 4 heures. Se rendant à son « jardin céleste », le Roi Rama V avait rencontré une personne qui déféquait devant le palais du prince Bodindécha ce qui l’incita à demander à la police d’agir de façon draconienne, toujours dans le souci de voir sa capitale propre.

 

Mais Bangkok avait grandi le long des cours d'eau : Les Siamois trouvaient naturel de déféquer sur les quais et dans les champs. Dans le langage populaire, « aller dans la rizière », « aller dans la forêt » ou  «aller à l'embarcadère», avaient  le sens précis que l’on devine ! Les matières fécales humaines ou animales attendaient d’être dévorées par les vautours et les corbeaux.

 

Certaines des peintures murales du temple Suthat sont significatives de cette habitude de s'accroupir et de lâcher ses excréments dans les cours d'eau de Bangkok. Il s’agissait même de rencontres conviviales de bavardage et de détente. Un homme déféquant n'était pas considéré comme une nuisance publique !

 

Il y avait toutefois au moins une classe particulière, celle des moines, qui avait appris à s'accroupir et uriner correctement dans le cadre de leur méditation quotidienne : leur règle, le Vinayapitaka prescrit la bonne façon de déféquer dans la cahute comportant un siège et autres accessoires nécessaires à ses fonctions naturelles. Un pot était utilisé et les moines bouddhistes avaient instruction de se laver l’anus après défécation ! Le siège était en bois ou en pierre, un conduit évacuait les urines où elles étaient récupérées et éliminées (comment ?) et les matières fécales également évacuées et éliminées (comment ?). La séparation des matières liquides et solides avait au moins pour conséquence de réduire la puanteur !

 

 

Les pécheurs quant à eux déféquaient dans l’eau depuis le bord de leur bateau. Ceux qui vivaient dans des maisons flottantes le long des cours d'eau adoptèrent la construction d’une petite cahute qui conduisait en tout état de cause les ordures au canal ce qui ne changeait rien à rien.

 

Ces pratiques conduisirent évidemment à l’accumulation d’une invraisemblable concentration de saletés et d’ordures dans Bangkok et une pollution massive de la rivière et des canaux, Bangkok ayant connu une croissance fulgurante, le fleuve Chao Phraya et les réseaux de canaux étaient bordées de maisons ou de maisons flottantes sur pilotis. Le nombre croissant des maisons flottantes rendit de plus en plus difficile la possibilité de prendre un bain. Dans la relation des funérailles d'un policier de la navigation, Phra Bamrasnaradur narre ses souvenirs d’enfance : « Quand je prenais mon bain le matin dans le canal, si la marée est haute, les excréments flottaient à la surface. J’étais obligé de faire des vaguelettes pour que la merde s’éloigne de moi. Je devais ensuite me laver à la hâte avant de me sécher. De toute évidence, je me baignais dans la merde ».

 

Malheureusement, nul alors ne faisait le lien entre la présence d'excréments et les problèmes de santé. Si les habitants logeaient à proximité d’un temple, ils en utilisaient les commodités, sinon les paresseux qui ne voulaient pas marcher continuèrent à se soulager  n’importe où. Mais toujours aucune tentative de réforme relative à l’évacuation des eaux usées, simplement interdiction de le faire à la vue du public ! Lorsque le roi eut fait construire des latrines dans Bangkok, l’éclairage électrique fut installé au voisinage de chacune d’elle pour qu’il n’y ait pas d’erreur ! Certains toutefois préféraient continuer à aller déféquer dans la nuit loin de l'éclairage qui facilitait la tâche de la police ! Il continua à régner dans la ville une odeur pestilentielle que relatent systématiquement les multiples sources exclusivement siamoises de notre universitaire. Aux environs du célèbre « Oriental Hôtel »,

 

 

... non loin du Consulat de France, on trouvait en outre dans des écuries entourées de fumier de cheval, des monceaux de nourriture avariée et des monceaux d’excréments. Le roi ordonna la construction d’une clôture pour les cacher, mais une clôture ne supprime pas les odeurs nauséabondes !

 

Se posait évidemment la question de la relation entre cette situation pestilentielle et la santé de la population. Les résidents européens s’inquiétèrent de l'état sanitaire des voies navigables. Le long des berges des canaux, où la densité de population était la plus importante, la contamination était permanente. En  saison sèche, les particuliers du menu peuple utilisent des eaux putrides pour leurs besoins domestiques. Le long des rues de Bangkok, s’alignent en outre des porcheries, des élevages de canard, des tanneries, des fours à chaux. Les porcheries étaient construites sur pieux le long des canaux et tous les jours, les excréments porcins partent au fil de l’eau. Un résident européen, M. Philippe Peterson, se plaignit à la police qu’une voisine avait construit ses toilettes à côté d’un cours d’eau et qu’il fallait la chasser de l'enclave européenne de Bangrak. Un fonctionnaire anglais note qu’elle avait vécu dans cette maison pendant au moins 30 ans et avait déversé ses excréments dans le canal pendant au moins 20 ans. Un médecin hygiéniste anglais, le Dr Campbell Highet est encore plus dur avec les « coolies chinois », nous nous dispensons de vous reproduire sa description de leurs œuvres.

 

L’Europe, Paris après la gigantesque épidémie de Choléra en 1832, Londres après celle de 1854, qui firent des centaines de morts dans les quartiers populaires, se décidèrent à terminer leur réseau d’égouts, encore que le lien scientifique ne fusse pas encore fait avec certitude entre la maladie et les eaux putrides, il ne le sera définitivement par Koch qu’en 1883. Les Européens de Bangkok pour leur part étaient tout de même plus ou moins conscients de la façon dont des germes putrides pouvaient répandre des épidémies et du danger que faisait courir la crasse de Bangkok.

 

 

Le Siam pour sa part connut une terrible épidémie de choléra qui, en 1849, décima la population. La responsabilité en fut attribuée aux missionnaires que l’on chassa et on la réduisit en envoyant des moines sur la mer chasser les démons qui en était aussi à l’origine.

 

Les Siamois de Bangkok, pour leur part, ne se souciaient ni de quelque maladie contagieuse que ce soit ni de l’aspect de leur ville. Ils continuèrent à déféquer où bon leur semblait et considéraient que les règles draconiennes édictées par le roi était une atteinte à leurs traditions ! Il y eut alors des actes de « résistance passive » certains se plaisant à aller pisser ou se soulager sur les pelouses du grand palais ou sous les fenêtres des fonctionnaires chargés de faire respecter les décisions royales ! D'autres, au lieu d’utiliser les toilettes publiques nouvellement érigées, en utilisaient par provocation les escaliers bien à l’extérieur !

 

Dès 1905, le roi lui-même perdit la foi dans les vertus de ses actions sanitaires. Il se déchargea alors totalement du problème sur son demi-frère, le prince Narit  en 1899. Celui-ci lui fit la promesse que dans les sept jours, Bangkok ne serait plus submergée par les odeurs de merde ! Son rapport nous apprend que les coolies chinois accomplissaient  leur tâche correctement et qu’ils n’étaient la source des odeurs. Il constata des refoulements de déchets lorsque la marée refluait, qui restaient ensuite sur place à marée basse. Rien n’était résolu. Si le roi avait construit des toilettes dans ses palais et des toilettes publiques dans la ville, il n’y avait fait établir aucun un système d'égouts. Or, la question des épidémies de choléra à Londres et à Paris avaient été résolue par la construction de réseaux d'égouts.

 

La technologie avait fait ses preuves irréfutables. Bien que conseillé à ce sujet par son personnel européen. Après la mort du roi en 1910, le Département sanitaire aurait refusé sur décision du prince Damrong d’établir ce réseau mais essentiellement pour des raisons budgétaires.

 

125 années ont passé. D’immenses travaux ont été réalisés dans les années qui suivirent. On ne brûle plus depuis longtemps les cadavres à l’air libre dans l’enceinte des temples, chacun a son crématoire, on ne les donne plus en pâture aux vautours et il ne subsiste plus de cette époque que quelques mauvaises habitudes dont les Thaïs ne se sont pas tous débarrassé comme le rappelle un panneau que l’on trouve toujours dans les toilettes.

 

On peut parfois lorsqu’on s’égare dans certains quartiers défavorisés de la capitale ou lorsqu’on navigue sur certains klongs renifler des odeurs qui ne sont pas celles du jasmin.

 

 

Et 125 ans plus tard, Bangkok n’a toujours pas de système d'assainissement totalement efficace.

 

Mais d'autres capitales ont aussi leurs problèmes de santé publique

 

 

La construction du réseau de distribution d’eau fut envisagée par le roi en 1892 et retardée pour également des raisons budgétaires. Elle fut entreprise entre 1909  et 1914. Nous lui consacrerons un prochain article.

 

NOTES

 

(1) « The Politics of Defecation in Bangkok of the Fifth Reign » in Journal of the Siam society n° 99 de 2011. Monsieur Chittawadi Chitrabongs est chargé de cours à la Faculté d'Architecture de l'Université Chulalongkorn et titulaire d'une maîtrise et un doctorat de la prestigieuse « Architectural Association » de Londres, sur l'histoire et la théorie architecturale.  Nous en avons extrait les croquis, photographies et citation.

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