:
Le blog des Grande-et-petites-histoires-de-la-thaïlande.over-blog.com
:
Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
Il était une fois Alain, Bernard …ils prirent leur retraite en
Isan, se marièrent avec une Isan, se rencontrèrent, discutèrent, décidèrent un jour de créer un BLOG, ce blog : alainbernardenthailande.com
Ils voulaient partager, échanger, raconter ce qu’ils avaient appris sur la Thaïlande, son histoire, sa culture, comprendre son
« actualité ». Ils n’étaient pas historiens, n’en savaient peut-être pas plus que vous, mais ils voulaient proposer un chemin possible. Ils ont pensé commencer par l’histoire des
relations franco-thaïes depuis Louis XIV,et ensuite ils ont proposé leur vision de l'Isan ..........
Le musée national de Khon Kaen (พิพิธภัณฑสถานแห่งชาติ ขอนแก่น), abrite une collection unique en Thaïlande de ces pierres sacrées (bai sema - ใบเสมา), porteuses d’histoire, dont nous avons parlé d’abondance.
Malheureusement, il n'est jamais donné d'explications sur la scène évoquée même pour les plus belles d'entre elles. La brochure vendue au musée ne donne que de sommaires explications en six lignes et en thaï nous expliquant, la belle affaire, qu'il s'agit de la représentation d'une histoire tirée d'un Jataka.
Je ne vous traduis évidemment pas le texte du panneau au bas de la sculpture.
Notre ami Mina nous permets sur sa page Facebook de lire les événements auxquels fait allusion l'une d'entre elle – la plus belle probablement de celles qu'abrite le Musée.
Elle raconte une histoire puisée dans les Jatakas (ชาดก), ces récits des cinq cent vies antérieures de Bouddha avant sa venue sur terre, lorsque le Dieu Indra alla chercher Suchada sur terre pour la conduire en son paradis alors qu’elle était devenue aigrette (นางนกกระยาง)lors de sa dernière vie terrestre. Cette pierre sculptée en grès représente un épisode des Jataka et considérée comme de l'époque du Dvaravati (เทวารวดี), elle serait datée entre les XIVe et XVIe siècles de l'ère bouddhistes qui débute de la mort de Bouddha 543 ans avant Jésus-Christ.
Elle mesure 92 centimètres de large, 83 centimètres de haut et 25 centimètres d'épaisseur. Elle a été endommagée, le dessus est fissuré et le bas a disparu. Elle provient du site de Mangue Fa Daed Song Yang, Ban Sema, sous-district de Nong Paen, district de Kamalasai, province de Kalasin (เมืองฟ้าแดดสงยาง - บ้านเสมา - ตำบลหนองแปน - อำเภอกมลาไสย –จังหวัดกาฬสินธุ์) auquel nous avons consacré plusieurs articles.
Elle est en forme de pétale de lotus et gravé d'un seul côté. Elle représente quatre personnes, un homme et trois femmes, et deux animaux, un éléphant et un oiseau. Au centre se trouve un homme dans une posture de bonheur (อิริยาบถสุขอาสนะ), c'est-à-dire assis avec la jambe gauche pliée sur un piédestal, jambe droite vers le sol. Le bras gauche est posé à plat sur la jambe gauche. Le bras droit tient une arme acérée au niveau de la poitrine. Il porte un siraphon (ศิราภรณ์), parures ou décorations portées sur la tête telles que chapeau, couronne, tissu pour entourer le front
des boucles d’oreilles (กุณฑล)
et un collier (กรองศอ) ou un motif de décoration du col
Les érudits, dont Mina, considèrent qu'il s'agit de Thao Sakka Intharathewarat (ท้าวสักกะอินทรเทวราช) plus connu sus le nom de Dieu Indra (พระอินทร์) conduisant la « femme oiseau » au paradis..
Sur le côté droit se trouvent trois femmes, vraisemblablement la princesse Suthama (นางสุธรรมา), la princesse Suchitra (นางสุจิตรา) et la princesse Sunantha (นางสุนันทา). La femme debout près du Dieu a un oiseau perché sur sa main droite. Toutes trois portent un siraphon (ศิราภรณ์),
un Kundon (กุณฑ) et un krong so (กรองศอ)
et en arrière-plan, un arbre.La tête d'éléphant sur le côté gauche fait probablement référence à l'éléphant d'Erawan (ช้างเอราวัณ), le véhicule d'Indra.
La princesse Suchada n’y apparaît pas sous sa forme humaine bien qu'épouse du Seigneur Indra, le plus grand des Dieux du panthéon indouiste qui en comportait trente-trois millions. Elle est l'oiseau
Revenons sur les légendes. Indra avait quatre épouse royales (mahesi - มเหสี) dans son royaume céleste (เทวภูมิ – thewaphum) Suthama (นางสุธรรมา), Sunanda (นางสุนันทา, Suchitra (นางสุจิตรา) et Suchada (นางสุชาดา).Il avait également quatre-vingt-douze épouses créatures célestes (นางฟ้า) et enfin vingt-quatre millions d'épouses classées comme concubines (เมีย).
Première source, les Védas (พระเว), livres sacrés de l'indouisme
Dans le Ramayana (รามายานะ)
Dans le Mahapharata (มหาภารตะ), autre livre sacré de l’Indouisme
L'histoire que raconte cette pierre se situe la tradition bouddhiste : nous savons que dans un vie antérieure, le Bodhisattva (พระโพธิสัตว์), alors humain, vivait sous le nom de Sakka (ท้าวสักกะ) ou d'Indra (พระอินทร์). Né dans une famille nombreuse, il s’appelait Makhamanop (มาฆมานพ) Il avait quatre épouses : Suthama, Sunandha, Suchitra et Suchada.
.
Makhamanop était un homme de bien. Il aimait à construire des pavillons (sala – ศาลา) dans lesquels les gens peuvent vivre. Suthamma avait aussi un esprit charitable et avait construit un pavillon avec Makhamanop. Sa deuxième épouse était Sunandha. Elle participa à la construction d’un étang (สระน้ำ) pour permettre aux passants de boire et de se rafraîchir. Sa troisième épouse était Suchitra. Elle construisit un jardin (สวน) pour servir de refuge aux passants et leur permettre de se reposer de leur fatigue. Quant à la quatrième épouse, Suchada elle n'était pas intéressée à faire le bien et gagner des mérites. Elle se considérait qu’épouse de Makhamanop, elle bénéficierait des mérites que celui-ci gagnait. Elle ne s’intéressait donc qu’à ses toilettes.
Quand tous quittèrent ce monde, Makhamanop, renaquit sous le nom de Sakka ou Indra, le grand Dieu Thewarat (เทวราช) dans le paradis daowadueng (ดาวดึงส์)
sur le mont Meru (เขาพระสุเมรุ) haut de 80.000 yot (โยชน์), un yot équivaut à 16 kilomètres.
Suthamm*a renaquit aussi dans un paradis, un sanctuaire d’environ 500 yot connu sous le nom de sanctuaire Sudhama (เทวสถานสุธรรมา).
Suchitra renaquit aussi dans au paradis dans le jardin Chitralada (สวนจิตรลดา)
Sunandha renaquit sous forme humaine sur les rives d’un étang appelé Sa Nantha (สระนันทา)
Suchada ne bénéficiait d’aucun mérite et naquit sous la forme d’une aigrette (นกกระยาง)dans un ruisseau de la forêt.
Indra découvrit alors le lieu de la renaissance de Suchada et alla la chercher pour la conduire dans le monde céleste, lui montrer le bénéfice des mérites acquis par ses trois autres épouses.pour lui apprendre à être charitable, à faire le bien et à respecter led cinq principes du bouddhisme.
Après cette leçon, il la reconduisit au bord de son ruisseau. Elle y mourut et renaquit comme fille d’un potier à Varanasi (เมืองพาราณสี). Indra redescendit sur terre pour l’exhorter à nouveau de respecter les cinq préceptes. Suchada mourut à nouveau et renaquit comme très belle fille du chef des démons Vephajitti ou Nevasikasur (เวปจิตติ ou เนวาสิกาสูร) qui est l'ennemi d'Indra.
Quand le moment vint pour elle d'accomplir la cérémonie de choix d’un partenaire, Indra se transforma en un vieux démon (asun kae - อสูรแก่) qu’elle choisit comme compagnon et se retrouva épouse du Dieu Indra après avoir été femme-oiseau. Elle gagna alors son paradis
Bouddhisme et Hindouisme ne font pas mauvais ménage. Le Dieu Indra apparaît souvent dans les Jatakas, y prend souvent forme humaine et joue toujours un rôle bénéfique.
ANNEXES
LES JATAKAS
Ils datent des immédiate années ayant suivi la mort du maître, transmis verbalement d’abord puis mis tardivement sur écrit en pâli. Traduits à diverses reprises par plusieurs érudits à la fin du XIXe siècle, ils font l’objet d’une classification traditionnelle de 1 à 547. Quelques-uns seulement ont été traduits en français. Une érudite équipe de l’Université de Cambridge sous la direction du Cowell à partir de 1895 en a effectué la traduction en anglais, six épais volumes de plusieurs centaines de pages. Ils sont numérisés sur le site archives.org. Ils ont été mis en ligne sur un site animé par de pieux bouddhistes. Elle facilite grandement la tâche.
(http://www.sacred-texts.com/bud/j1/index.htm et la suite)
Nous leur avons consacré plusieurs articles :
A 276 – « LES JATAKA BOUDDHISTES (ชาดก) ONT-ILS MIGRÉ VERS LE CHRISTIANISME? »
Nous avons consacré plusieurs articles aux maquis communistes dans le nord-est de la Thaïlande ; C’est là qu’ils y naquirent et furent actifs pendant plusieurs années. D’obédience essentiellement vietnamienne, les souvenirs des participants sont nombreux et souvent émouvants. Nous avons peu d’éléments sur les maquis des jungles du sud de la Thaïlande à la frontière avec la Malaisie,, probablement d’obédience chinoise et surtout divisés en factions rivales en liaisons avec la guérilla communiste du nord de la Malaisie. Nous n’avons guère que les souvenirs de Jean Michel Krivine, militant maoïste trotskyste, frère d’Alain, médecin, qui fit un séjour de quelques semaines dans un maquis du sud à la fin de l’année 78 alors que la rébellion communiste thaï était d’ores et déjà en voie d’éradication. Ces souvenirs, publiés très tardivement en 2005, sont à lire avec circonspection et plus encore, nous leur avons consacré un article.
Nous avons par ailleurs rencontré notre ami Mina Chalermkiat, professeur de français à la faculté des sciences humaines de Khonkaen et passionné des légendes et histoires locales de son pays, nous avons consacré plusieurs articles aux légendes qu’il nous raconte. Il nous conduit aujourd’hui faire du « tourisme historique » dans l’extrême sud du pays. Cet article trilingue accompagné de nombreuses photographies a été publié sur sa page Facebook le 21 mars 2022. Nous ne sommes pas un guide touristique mais il s’agit là aussi et surtout d’histoire et partager la visite de ce qui est probablement le dernier vestige des maquis communistes malais réfugiés dans l’extrême sud de la Thaïlande appelé le « tunnel de Piyamit » (Umong piyamit - อุโมงค์ปิยะมิตร) mais, nous allons le voir, il s’agit beaucoup plus qu’un tunnel..
La localisation
Il est situé dans le village Ban Piyamit(บ้านปิยะมิตร) dans le sous district de Tano Maero (tambon Tano maero - ตำบลตะเนาะแมเราะ) lui-même dans le district de Betong (amphoe Betong - อำเภอเบตง), débaptisé de son nom malais de Yarom (ยะรม) qui signifie « bambou » en langue locale, le Jawi. Nous sommes à l’extrême sud de la province de Yala (จังหวัดยะลา), limitrophe du sultanat malais de Perak (รัฐเปรัค). Il en est séparé par la chaîne de montagnes Titiwangsa(ทิวเขาตีตีวังซา), une barrière naturelle avec des sommets de plus de 2000 mètres d’altitude. Plutôt que ce nom malais, les thaïs utilisent plus volontiers celui de chaîne de montagnes de Sankalakhiri (ทิวเขาสันกาลาคีรี).
Pour les habitants, c’est « le pays dans la brume,
celui des belles fleurs,
une belle région frontalière et le point le plus méridional du Siam » (เมืองในหมอก ดอกไม้งาม ใต้สุดสยาม เมืองงามชายแดน).
Le tourisme n’y est actuellement pas conseillé en raison des risques dus à l’activité des activistes musulmans en liaison avec ceux de Perak, ceux que la presse locale appelle systématiquement « les bandits du sud » (โจรใต้ - chontai). C’est ce que signale toujours le site Internet de l’Ambassade de Bangkok : « Les provinces de l’extrême sud de la Thaïlande, Pattani, Narathiwat, Yala, sont en proie à des attaques à l’explosif ponctuelles, du fait d’une insurrection séparatiste. La province de Songkhla subit également des attaques de moindre ampleur. Bien que n’étant pas spécifiquement visés, les étrangers peuvent être les victimes collatérales d’une action violente. Il convient donc de rester vigilant sur tout le territoire, y compris dans la capitale, laquelle a été la cible de plusieurs explosions le 2 août 2019 ».
Il est toutefois, en dehors du tunnel devenu attraction touristique, d’autres sites dignes d’intérêt, au moins pour le tourisme local, la source d’eau chaude de Betong (บ่อน้ำร้อนเบตง), une source sulfureuse où les visiteurs font cuire les œufs
et la cascade d'Inthason (น้ำตกอินทสร).
Je les cite car leur porche d’entrée et également celui de la route qui conduit au tunnel.
Avant de suivre Mina dans sa visite, une précision terminologique s’impose. Mina parle dans sa version thaïe mais pas dans sa version française ni dans la version anglaise, de « bandits communistes malais » (โจรคอมมิวนิสต์มลายา). Je ne vois pas de raison de changer cette traduction dans la mesure où tous les sites Internet qui concernent le tunnel utilisent systématiqument la même expression.Peut-être y a-t-il une raison commenous le verrons en conclusions ? Si elle vous indispose, vous pouvez toujours l’interpréter comme guérilleros communistes malais.
Suivons maintenant Mina dans sa visite guidée illustrée.. Je n’ai ajouté que deux observations en italiques.
Le Tunnel de Piyamit
Aujourd'hui, j'aimerais vous emmener voir les tunnels de Piyamit. Il s'agit d'une attraction touristique historique située à la frontière de la province thaïe de Yala et du sultanat de Perak en Malaisie.
Le tunnel de Piyamit est situé à Ban Piyamit, sous-district de Tano Maera, district de Betong dans la province de Yala. Il a été construit en 1977. C’est un tunnel en terre battue que l'ancien Mouvement des bandits communistes malais a construit comme bunker et utilisé comme base d’opérations.
Le tunnel fait 1 kilomètre de long, avec 9 entrées et sorties. Actuellement, il n'en reste que 6.
Il existait probablement des issues sur le versant malais
Le trajet dans le tunnel est étroit, en zigzag Il est divisés en différentes salles. Les occupants peuvent y passer longtemps de leur vie en restant cachés.
Il se trouve sur une colline couverte de grands arbres qui constituent un bon camouflage.
Avant de visiter le tunnel proprement dit, nous visitons une salle présentant des armes, des équipements militaires et des photographies ainsi que la narration d’anecdotes importantes sur les batailles passées.
À l'entrée du tunnel, se trouve une grande statue de la déesse Kuan Yin (เจ้าแม่กวนอิม) que nous pouvons vénérer et solliciter sa bénédiction.
Présence incongrue, certes mais il ne faut pas oublier que ces maquisards malais étaient essentiellement des Chinois au moins d’origine. Plusieurs sites Internet parlent de « bandits chinois communistes de Malaisie ». Beaucoup de légendes ne sont pas en thaï mais en idéogrammes chinois.
Pour accéder au tunnel, il faut gravir la montagne ce qui prend environ une demi-heure.
Tout dépend de vos articulations ! Un sentier d’accès pédestre en forme d'escalier a été créé à l'ombre des arbres qui nous abritent du soleil.
On n’y voir ni le ciel ni le soleil et l’air est constamment frais et humide.
Merci Mina pour ton texte et tes photographies.
Que conclure ?
Si Krivine reste discret sur l’emplacement du maquis où il a séjourné, il est permis de penser qu’il se situait dans les montagnes de Khaonamkhang (เขาน้ำค้าง) sous district de Khlong Kwang (คลองท กวาง), district de Natawi (นาทวี) dans la province de Songkhla (สงขลา). Il y a également son bunker souterrain devenu une sorte de « musée du souvenir ». Il était un maquis de communistes chinois de Malaisie ou, pour parler comme les Thaïs de « bandits chinois communistes de Malaisie » (โจรจีนคอมมิวนิสต์มาลายา).
Ses affinités avec la faction la plus dure des maoïstes, l’y conduisirent irrémédiablement. Le maquis de Piyamit était également un maquis de communistes chinois de Malaisie, bandits ou pas.
On peut se poser une première question sans pouvoir y apporter une réponse précise. Ces régions sont peuplées de Thaïs en grande partie musulmans qui revendiquent peu ou prou leur rattachement à la Malaisie ce qui ne signifie pas qu’ils aient des sympathies particulières pour le communisme en général. Les maquisards du nord-est vivaient au milieu de la population « comme des poissons dans l’eau » selon l'ordre de Mao.
Nous savons par exemple qu’Ho Chi Minh a passé plusieurs années dans la région du nord-est dans une région ou la population est au moins partiellement d’origine vietnamienne. Ces maquisards vivaient-ils réellement au sein de la population locale comme des poissons dans l’eau ?
Les ponctions financières évidemment illégales effectuées au détriment des populations locales – dont ils sont accusés à tort ou à raison - n’ont pas jouée en faveur de leur popularité !
Est-ce la raison de l'utilisation systématique du terme de "bandits" que l'on ne trouve jamais lorsqu'on parle des maquis du nord-est
Nous n’avons pas l’intention d’écrire l’histoire de l'insurrection communiste en Malaisie ; Rappelons simplement qu’elle eut lieu de 1968 à 1989, entre le Parti communiste malais d’obédience chinoise et le gouvernement fédéral malais. Les rescapés, pourchassés, se retirèrent dans les jungles frontalières difficiles d’accès entre la Malaisie et la Thaïlande. Ils perdirent le soutient de la Chine lorsque les gouvernements de Malaisie et de Chine établirent des relations diplomatiques en juin 1974 et plus encore 1989 lorsque le parti communiste signa un accord de paix avec le gouvernement malais à Hat Yai. Ne citons que pour mémoire les querelles internes terminées par des « procès » et des exécutions entre diverses factions communistes ou trotsko-communistes, prochinois et provietnamiens. Lorsque fut creusé l’abri de Piyamit à partir de 1977, il s’agissait bien plus surement de la construction d’un reuge que celle d’une base de combat. Lorsque Krivine visite son camp dans la province de Songkhla, n’oublions pas qu’il est médecin, il assiste à une opération d’ l’appendicite et aux soins donnés aux maladies tropicales endémiques dans la jungle, ce ne sont pas des maladies de combattants. Référence doit être faire à une longue étude universitaire de Phonchai et Nakarin Mektrairat (พรชัย และ นครินทร์ เมฆไตรรัตน์) de l’Université de Songkhla, numérisée sous le titre « les bandits chinois communistes de Malaisie (โจรจีนคอมมิวนิสต์มาลายา) numérisée
Malgré son titre, elle n’en aucun aspect partisan et assortie d’une montagne de références. La consultation du rapport déclassifié de la CIA « Communiste insurgency in Thailande » daté de 1991 est intéressante car il n’oublie pas de citer Betong comme lieu de refuge. Il est numérisé sur le site de la CIA
Chalermkiat Mina, professeur de français à la faculté des sciences humaines de Khonkaen et passionné des légendes et histoires locales de son pays, nous livre l’une d’entre elle relative à l’une des représentations de Bouddha parmi les plus vénérées dans le pays. Nous l’extrayons de son petit ouvrage « Mina Raconte ».
Nakhon Pathom est une ville du centre de la Thaïlande, chef-lieu de la province de Nakhon Pathom. à environ 60 kilomètres à l'ouest de Bangkok.
Le Wat Phra Pathom Chedi est le plus beau et le plus important temple de la province. Son nom complet est Wat Phra Pathom Chedi Ratchaworamahawihan (วัดพระปฐมเจดีย์ราชวรมหาวิหาร).Au centre de la ville moderne il est remarquable par son Chedi, l’un des plus grands du du haut de ses 120 mètres. Il abrite trois bouddhas exceptionnels, le premier est le bouddha debout qui fait face à l’entrée nord du monastère, celui qui nous intéresse. Coordonnées GPS: N 13°49’14 E100°3’36
Laissons la parole à Mina
J’ai eu la chance de côtoyer Phra Phatom Chedi (นครปฐมเจดีย์) lorsque j’ai étudié à Silpakorn (มหาวิทลัยศิลปากร). Pqr lq suite je suis retourné visiter ce site plusieurs fois et j’ai vénéré Phra Ruang Rotchanarit, la statue principale située dans le sanctuaire (Viharn – วิหาร) nord du Chedi. Phra Ruang Rotchanarit est une statue en bronze de style sukothai (สุโขทัย), en position d’empêcher le conflit familial. Cette statue est en bronze. Elle mesure 6,10 mètres de haut et pèse 6000 kilogrammes. Voici l’histoire de la statue.
Sous le règne du roi Rama V, le prince héritier Vajiravudh (มหาวชิราวุธราชปูมียบพิคน), en visite officielle au nord, a trouvé la statue dans la ville de SIsatchanalai (เมืองศรีสัชนาลัย). La statue était endommagée. Seuls les mains, la tête et les pieds étaient encore en parfait état.
Sous son règne, le roi Vajiravudh, Rama VI, a fait restaurer la statue par des artistes. La cérémonie de moulage de la statue a eu lieu le 30 décembre 1913. En janvier 1914, le roi Vajiravudh, a fait installer la statue dans le vihan nord de Phra Phatom Chedi et il a donné un nom officiel à la statue : « Phra Ruang Rotchanarit Siinthrathit Thammophat MahaWachirawut Rapuchaniyabophit » (พระร่วงโรจน์ฤทธิ์ ศรีอินทราทิตย์ธรรโมภาส มหาวชิราวุธราชบูชนิยบพิตร์)
Phraruang Rochanarit est le symbole de l’amour et de la préoccupation du roi Vajiravudh. Le roi a mentionné dans son testament que certaines de ses cendres devraient être conservées sous la base de la statue.*Les habitants de Nakhon Patom, et même de tout le royaume, ont l’habitude de se rendre à Phra Pathom Chedi pour y forme des vœux afin que leurs désirs se réalisent. Une fois leurs souhaits réalisés, ils tirent des balles pour le signaler à la statue. Les gens croient que la statue apprécie cela. Mais comme le tir est illégal, ils allument des pétards à la place. Des œufs à la coque de couleur rouge sont une autre offrande classique en ce lieu.
Nous avons consacré deux articles aux rituels d’origine probablement pré bouddhistes, utilisés par les habitants du nord-est de la Thaïlande pour appeler la pluie (1).
Le festival des fusées est assurément le plus connu et érigé en attraction touristique plus spécifiquement dans la province de Yasothon. Moins connue, la procession du Bouddha noir de Kalasin est plus ou moins tombée en désuétude.
La cérémonie de la procession de la chatte est plus spécifique à la province de Chayaphum.
Le rituel de la mort du cobra royal n’existe plus qu’à l’état de souvenirs
Le rituel de l’envoi des fusées réponse sur une légende dont il existe de multiples versions. Chalermkiat Mina, professeur de français à la faculté des sciences humaines de Khonkaen et passionné des légendes et histoires locales de son pays, nous livre l’une d’entre elle.
MINA RACONTE
Le Festival des fusées (บุญบั้งไฟ - bun bangfai) ou la légende de Phaya Thaen (พญาแถน) et Praya Khankhak (พญาคันคาก)
Bunbangfai est le festival des fusées dans la région du nord-est. Avant de devenir une institution existait la légende du ciel et de la pluie entre Phaya Thaen;;;
,,,, l’une des divinités dieu du ciel, et Praya Khankhak gardien du monde des humains. A l’origine, les habitants ne connaissaient ni mousson ni saisons et ne savaient comment faire ni pour invoquer la plie ni pour qu’elle cesse. Depuis lors, probablement depuis des temps immémoriaux, quand ils veulent que tombe la pluie, ils lancent vers le ciel d’énormes fusées artisanales pour demander à la divinité de la pluie de faire pleuvoir. Phaya Thaen était jaloux de Praya Khankhak, très aimé des êtres humains et des animaux. Cette jalousie empêchait la pluie de tomber.
Il en résulta une sécheresse de 7 ans et 7 mois. Les paysans ne pouvaient plus cultiver leurs terres. Praya Khankhak leur proposa de faire la guerre à Phaya Thaen. Les humains furent d’accord mais ils n’avaient ni armées, ni épées ni fusils. Praya Khankhak demanda alors aux insectes de faire la guerre pour eux, aux termites de détruire les biens de Phaya Thaen, aux scorpions de s’installer dans ses vêtements et de le piquer lorsqu’il voudrait les porter et aux termites encore de bâtir une montagne pour aller piller son château. Il fut vaincu et accepta alors de donner la pluie au monde. Pour provoquer les pluies, des fusées sont envoyées pour signaler que les paysans ont besoin d’eau. Et pour que la pluie s’arrête, on fait monter vers le ciel des cerfs-volants hurleurs appelés wao sanu (ว่าวสนู). Quand Phaya Thaen entend leur son, il fait cesser la pluie.
NOTES
Voir nos deux articles
A 233 - LE FESTIVAL DES FUSÉES EN ISAN, RITUEL MAGIQUE OU TECHNOLOGIE D’AVANT-GARDE POUR PROVOQUER LA PLUIE ?
Nous avons souvent ouvert nos colonnes à nos très érudits amis de l’Association internationale des collectionneurs de timbres-poste du Laos en particulier Philippe Drillien et son épouse Dominique et Jean-Michel Strobino, l’infatigable érudit niçois.Leur activité qui ne se limite pas à ces vignettes nous offre le fruit de recherches concernant au moins pour partie le nôtre tant l’histoire et la culture de l’ancien Siam sont étroitement liés à l’ancien Laos. Ainsi en est-il de Jean-Michel Strobino dont nous avons partagé les découvertes « au fil du Mékong », découvertes in situ, de monuments ou lieux de souvenirs perdus de vue mais aussi de pionniers oubliés de cette épopée coloniale. En voici la liste (1)
Le personnage dont il a purement et simplement découvert l’œuvre et l’existence est un photographe français. La photographie a été introduite en Asie dès les années 1840, et plus largement à partir des années 1850, dans le sillage des conquêtes occidentales. Elle fut dans un premier temps pratiquée par des opérateurs européens qui vont ensuite transmettre leur technique et former des opérateurs locaux. Il faudra attendre les années 1970, et beaucoup de recul pour que les historiens s’y intéressent et lui redonnent sa place dans l’histoire mondiale de la photographie.
Nous reproduisons l’article relatant cette découverte avec son amicale autorisation. Il nous livre quelques explications sur l’exploitation de forêts de tek par les concessionnaires occidentaux et surtout de magnifiques photographies provenant des exploitations de tek dans le nord de la Thaïlande. Laissons-lui la parole au bénéfice de quelques observations préalables
Observations préliminaires
Sur le teck de Thaïlande (ต้นไม้สัก – tonmaisak)
Le teck se trouve surtout dans les provinces du nord de la Thaïlande, Chiang Mai (เชียงใหม่), Chiang Rai (เชียงราย), Lamphun (ลำพูน), Lampang, (ลำปาง),Phrae (แพร่) et Nan (น่าน). Phrae est la province la plus réputée pour ses bois précieux. Il en est d’autres, citons les pour mémoire, une liste non limitative : Le Pradu (ไม้ประดู่), le Daeng ไม้แดง, le Makha (ไม้มะค่า), le Tabaek (ไม้ตะแบก) et bien d'autres. Tout est dit et aussi bien dit que remarquablement illustré sur le site de notre ami Jean de la Mainate dont l’érudition est sans failles
Elle concerne le premier tiers du siècle dernier, celui où opérèrent nos pionniers. Elle ne fut sérieusement réglementée qu’à partir de 1896 sous l’égide d’un fonctionnaire de l’administration britannique des Indes, M. H. Slade, officier de l'Imperial Forest Service des Indes, qui fit prendre diverses diverses mesure pour protéger les précieuses propriétés forestières du gouvernement :
La création d'un département des forêts, avec un personnel initialement européen recruté autant que possible dans le service forestier impérial et provincial de l'Inde et de la Birmanie, dont la tâche non la moindre était la formation de jeunes siamois sélectionnés avec en vue de pourvoir à l'avenir des postes de responsabilité au sein du Ministère.
La promulgation au fil des ans de divers arrêtés royaux par Sa Majesté, prévoyant une meilleure protection et un meilleur contrôle des forêts, et interdisant absolument tout travail sauf en vertu d'un bail.
L’activité de nos deux pionniers se situe partiellement au cœur de cette Compagnie danoise. Elle a été créée à partir d'Andersen & Co., une société que Hans Niels Andersen et son collègue, le capitaine Peter Andersen, ont créée à Bangkok en 1884. Les activités de la société comprenaient le commerce et l'expédition de teck et sont également devenues plus tard le propriétaire de l'hôtel Mandarin Oriental à Bangkok. Elle est toujours en activité sous forme d’une holding tentaculaire.
Il en reste un vestige historique dans le nord de la Thaïlande avec le Musée du teck (พิพิธภัณฑ์ไม้สัก -Phiphitthaphan maisak) situé dans la province de Phrae. Les bâtiments du musée servaient de bureau à l'entreprise et de logement pour les cadres et officiers pendant sa concession de teck. Le musée expose également des photos de l'histoire du travail du bois et des équipements utilisés et exportés dans le passé. Le site Internet du Musée (en thaï) donne d’intéressantes précisions et quelques bonnes photographies non attribués :
Jean-Michel Strobinoe : Félix AGASSIZ : sur la piste d’un photographe français oublié
En 2013 j’ai eu le plaisir de faire connaître en France la vie singulière de Peter Hauff à travers une notice biographique intitulée «Peter HAUFF (1873–1951) - Les aventures d‘un marchand norvégien en Indochine au début du XXe siècle» :
Ce travail a été rendu possible grâce la collaboration active de Fleur Brofos Asmussen, sa petite-fille avec qui je suis toujours en contact et qui m’a beaucoup aidé dans mes recherches. Elle a eu la gentillesse de me faire partager ses souvenirs en mettant à ma disposition de nombreuses photographies de famille ainsi que le manuscrit -jamais publié à ce jour- des mémoires indochinoises de son grand-père.
En relisant récemment ce récit passionnant, un passage a attiré mon attention. En 1903, la maison de négoce Denis Frères de Saigon vient de signer un important contrat d’achat de bois de teck auprès du vice-roi de Luang Prabang. Elle confie à Peter Hauff, fort de sa grande connaissance de la région et de la navigation sur le Mékong, le soin d’organiser le convoyage des troncs (environ 1.200) sur le grand fleuve jusqu’à Saigon. (Fig.1 et 2)
Après bien des péripéties, les billes de teck arrivent aux chutes de Khone où Peter Hauff supervise leur franchissement dans la passe de Sadam, l’un des innombrables bras que forme le Mékong à cet endroit avant de se fracasser en cascades quelques dizaines de mètres en contrebas. Cette opération délicate nécessite deux mois entiers de travail, d’octobre à novembre 1903, durant lesquels Peter est contraint de vivre dans une cabane de bambou qu’il s’est construite à l’extrémité sud de l’île de Sadam (Don Sadam).
Lors de ce séjour forcé, il rencontre deux voyageurs danois qui souhaitent visiter les différentes chutes alentour. Messieurs Vilhelm Guldberg et Jørgen Fenger effectuent un voyage de reconnaissance du Mékong laotien pour le compte de l’East Asiatic Company (en danois Det Østasiatiske Kompagni ou ØK), une importante société danoise de transport maritime et de négoce de bois (Fig.3 à 7).
Peter Hauff accepte volontiers de leur servir de guide à travers ce site grandiose. (Fig.8 et 9)
Voici précisément ce que Peter Hauff écrit dans son journal au sujet de cette rencontre :
« Alors que je séjournais à Don Sadam, je reçus la visite de deux voyageurs danois, messieurs Guldberg et Fenger de la East Asiatic Company de Bangkok, qui voyageaient pour leur plaisir et étaient accompagnés d’un photographe français, monsieur Azassiz, que j’avais déjà eu l’occasion de rencontrer à Singapour. »
Poussé par la curiosité, j’ai cherché à en savoir plus sur ces trois personnages qui ont croisé l’espace d’un instant la route de Peter Hauff. Si j’ai pu trouver assez facilement certains éléments biographiques concernant les deux voyageurs danois, j’ai par contre rencontré plus de difficultés à obtenir des renseignements sur ce photographe français dont je n’avais jamais entendu parler auparavant. (Fig.10)
C’est en fait le hasard (on dit qu’il fait parfois bien les choses !) qui m’a mis sur sa piste.
Au mois de mars 2022, j’ai reçu un message de Monsieur Antoine Hiemisch, responsable du fonds ASEMI (Asie du Sud-Est et Monde Insulindien) de la bibliothèque Lettres, Arts, Sciences humaines de l’Université Nice-Côte d’Azur. Hébergé par cette dernière depuis 1988, le fonds ASEMI est constitué d’une précieuse collection de plus de 20.000 documents dont près de 10.000 issus de l’ancien Musée des colonies, 6.000 photographies prises entre 1860 et 1960 et un millier de cartes et plans. L’aire géographique couvre de nombreux pays : Vietnam, Cambodge, Laos, Inde, Chine, Japon, Corée, Philippines, Indonésie, Madagascar… En raison de leur importance pour l’histoire coloniale française, les documents du fonds ASEMI ont reçu le label « Collection d’excellence pour la recherche ». Depuis 2019, une bonne partie de ces photos a été numérisée et mise en ligne progressivement sur la bibliothèque numérique de l'université :
Monsieur Hiemisch venait d’être contacté par un chercheur danois travaillant sur l'histoire de l'East Asiatic Company au Siam qui s’était connecté à la bibliothèque numérique de l’Université pour y consulter un album de photographies anciennes sur les activités au Siam et au Laos de la société danoise. Aucun élément dans l’album ne permettant d’identifier son propriétaire ni l’auteur des clichés, le Danois suggérait qu’il pouvait avoir appartenu à Peter Hauff.
Monsieur Hiemisch qui ne connaissait pas Peter Hauff auparavant, se lance alors dans des recherches sur internet et découvre l’existence de mon article (encore le hasard…). Constatant que nous résidions dans la même ville (toujours le hasard…), il me contacte et nous ne tardons pas à nous rencontrer à la bibliothèque pour que je puisse examiner le document et son contenu en détail.
Quel plaisir de parcourir les 54 planches de ce magnifique album et étudier chacune des 350 photographies exceptionnelles qui le composent ! L’ouvrage numérisé est consultable sur :
L’album retrace dans l’ordre chronologique le voyage effectué en 1903 par Messieurs Guldberg et Fenger pour le compte de l’East Asiatic Company qui leur avait confié la mission de réaliser un reportage les activités au Siam de la compagnie et de rechercher de nouveaux marchés pour ses produits et services. On suit leur parcours depuis Bangkok en remontant la rivière Chao Phraya, jusqu’aux forêts de tecks du nord du Siam où ils séjournent dans les exploitations de l’East Asiatic Company. Ils arrivent ensuite sur les bords du Mékong et redescendent son cours à travers tout le Laos jusqu’à Khone à l’extrême sud du pays, après avoir visité en chemin Luang Prabang, Pak Lay, Vientiane, Savannakhet et Paksé.
Les clichés sont d’une qualité remarquable et d’une grande valeur tant pour leur intérêt historique que par la richesse des sujets abordés : vie quotidienne dans les exploitations de teck, éléphants au travail, portraits de populations locales, scènes de transport fluvial par pirogues, vues inédites de chaloupes à vapeur des Messageries fluviales de Cochinchine : La Grandière, Trentinian, Garcerie, scènes de paysages le long du Mékong laotien : grotte de Pak Ou, marché à Luang Prabang, Vientiane, rapides de Khemmarat, chutes de Khone. (Fig.11 à 24)
Contrairement à l’hypothèse émise par le chercheur danois, je ne pense pas que l’auteur des photographies de l’album soit Peter Hauff mais plutôt le photographe français qu’il évoque dans son récit, recruté par les deux voyageurs danois pour assurer le reportage photographique durant leur périple. Il est par contre encore difficile de savoir à qui appartenait l’album (Azassiz, Guldberg, Fenger, Hauff ou quelqu’un d’autre ?), ni comment il a pu arriver dans les collections du fonds ASEMI. J’ai été très étonné de constater que plusieurs clichés de l’album étaient identiques à certains que Fleur Brofos Asmussen avait retrouvés dans la collection de son grand-père et avait mis à ma disposition pour illustrer ma notice biographique. Je pense qu’il pourrait s’agir de tirages que le photographe aurait offerts à Peter Hauff en souvenir de leur rencontre à Khone et en remerciement de l’aide apportée sur place.
Après avoir examiné en détail ces magnifiques photographies, j’étais curieux d’en savoir plus sur leur auteur, cet étrange «Monsieur Azassiz», tel qu’il est orthographié dans le manuscrit de Peter Hauff. Malheureusement, toutes les recherches que j’effectuais à ce nom restaient infructueuses. J’en ai alors déduit que Peter Hauff n’avait sans doute pas retranscrit correctement le nom du photographe…
Et puis le hasard (toujours lui !) m’a permis de découvrir un livre fort bien documenté sur l’histoire des débuts de la photographie à Singapour, écrit par John Falconer : A VISION OF THE PAST, A history of early photography in Singapore and Malaya : The photographs of G.R. Lambert & Co., 1880-1910 (Times Editions, Singapour, 1987). (Fig.25)
A la fin de l’ouvrage, un index alphabétique répertorie tous les photographes qui ont exercé à Singapour et en Malaisie de 1813 à 1914. En parcourant attentivement les noms de cette liste, j’ai eu la surprise d’en trouver un qui ressemblait de très près à Azassiz, un certain F. Agassiz qui, entre 1895 et 1897, a été photographe-assistant à Singapour chez G.R. Lambert & Co., le plus célèbre studio photographique de l’époque et éditeur de cartes postales (Fig.26 et 27), puis propriétaire de son propre atelier, The Photographic Studio, de 1898 à 1905. (Fig.28)
Les coïncidences de dates, lieux et activités professionnelles sont trop nombreuses pour ne pas croire que F. Agassiz est bien cet Azassiz décrit par Hauff. Pour autant, même après avoir retrouvé l’orthographe exacte du nom, il n’a pas été facile d’obtenir plus de renseignements sur ce photographe méconnu.
Mon ami William Gibson, grand spécialiste de l’Indochine, auteur, artiste, chercheur associé à la Bibliothèque nationale de Singapour et membre de notre association, que j’ai questionné à ce sujet m’a répondu qu’il n’avait jamais entendu parler de ce photographe auparavant. Les recherches qu’il a effectuées pour moi dans les collections de photographies sur Singapour au XIXe siècle ne lui ont pas permis de trouver des clichés d’Agassiz. Son nom ne figure pas dans l’ouvrage The Directory & Chronicle for China, Japan, Corea, Indo-China, Straits Settlement…, pour les années 1880 à 1900, pas plus que dans The French in Singapore: An Illustrated History - 1819-today (Didier Millet Pte. Ltd., Singapour, 2012).
William a néanmoins réussi à retrouver quelques rares articles concernant le photographe parus dans la presse locale de l’époque. On y apprend que son prénom était Félix, que son studio photographique était situé 56 Hill street, à l’angle de Stamford Road, et qu’il était spécialisé dans les portraits et les scènes de paysages. Parallèlement à la photographie, il avait investi dans des opérations d’extraction minière dans la vallée de Sungei Kerpan, à proximité de Lipis en Malaisie continentale, mais avait rapidement dû abandonner le projet qui ne s’est pas avéré être une bonne affaire. Un avis de décès paru dans l’hebdomadaire The Singapore Free Press and Mercantile Advertiser du 14 Février 1907 indique qu’il est mort le 11 février 1907 à l’hôpital de Singapour.
L’histoire de ce photographe encore bien mystérieux s’arrête ici pour le moment, faute de n’avoir pu trouver plus d’informations à son sujet. Espérons que le hasard, une nouvelle fois, nous permette de découvrir d’autres pistes de recherches…
Jean-Michel Strobino (numéro 131 de Philao, 2e trimestre 2023).
Nous vous avons présenté il y a quelques années Chalermkiat Mina, professeur de français à la faculté des sciences humaines de Khonkaen. Passionné des légendes et histoires locales de son pays, il a écrit sous le titre « COMPRENDRE LE RAMAKIEN » un petit ouvrage à l’usage des Français ou des étrangers qui ont souvent quelque peine à s’y retrouver dans le nom des personnages, du déroulement de l’épopée et des représentations qui ne sont pas seulement celles du Grand Palais.
Il est l’auteur d’un petit ouvrage intitulé « MINA RACONTE », recueil d’histoires et de légendes concernant la Thaïlande. Deux chapitres y sont consacrés à un personae mythique du bouddhisme chinois en Thaïlande : « LE SANCTUAIRE DE LENCHUKIANG » et « LA TOMBE DE CHAOMAELINKONIAO ». :Michel Rochat, coauteur, est également lecteur dans la même faculté.
LE SANCTUAIRE DE LENCHUKIANG (ศาลเล่นจูเกียง)
Appelé aussi sanctuaire de Chaomaelimkoniao (ศาลเจ้าแม่ลิ้มกอเห่นี่ยว), il se situe se situe dans le centre de la ville de Pattani.
Les relations de Pattani avec la Chine datent de 1349 sous le règne de Songthaichong (พรพเจ้าซ่งไทสง) de la dynastie Ming (ราชวงศ์หมิง).
Plus tard, à l’époque d’Ayutthaya, la première communauté chinoise s’installa dans la ville et le sanctuaire sacré fut construit sur la rue Anoru (ถนนอาเนาะรู), la première statue de divinité placée fut celle de Paekong (แป๊ะกง).
En 1864 Luang Samretkitchakonjangwang (หลวงสำเรกิจกรจางวาง) appelé aussi Tiasin ou Puisaetan (เตียซิน ou ปุ่ยแซตัน) ancêtre de la famille Khananurak (คณานุรักษ้) fit placer la statue de Phra Mochaocchukong (พระหมอเชาชูกง) dans le sanctuaire qui par conséquent s’appela sanctuaire de Chukong ou de Chaochukong (ศาลชูกง ou ศาล เชาชูกง).
En 1879 Luang Chinkanurak (หลวงจีน คณานุรักษ้) qui respectait et avait foi en Chaomaelimkoniao (เจ้าแม่ลิ้มกอเห่นี่ยว) fit déplacer sa statue depuis sa tombe située près de la Mosquée Kruse (มัสยิด กรือเซะ) et la fit installer dans le sanctuaire de Chaochukong qui prit le nom de sanctuairee Lenchukiang (ศาลเล่นจูเกียง) ce qui signifie sanctuaire sacré et bienfaisant mais les habitants prirent l’habitude de l’appeler sanctuaire de Chaomaelimkoniao.
LE RAISONS DE CE CULTE
OBSERVATIONS :
Il est lourd de symbole, celui de la résistance à l’expansion mahométane. Il est lié à l’histoire de la tombe de la tombe de Chaomaelimkoniao (หลุมฝังศพเจ้าแม่ลิ้มกอเห่นี่ยว). La légende y rejoint incontestablement l’histoire.
°°°
C’est l’histoire légendaire d’une famille chinoise composée d’un père, d’une mère et d’un fils entre 1522 et 1566 sous le règne du roi Chuechong (พระเจ้าชื่อจงฮ่องเด้) de la dynastie Ming (แห่งราชวงค์หมิง).
Le père décéda et le fils Limdokian (ลิ้มโดะเกี้ยม) s’occupa alors de sa famille. Il était fonctionnaire du Comté de Hokkian (มณฑลฮอกเกี้ยม). D’autres notables furent jaloux de lui et l’accusèrent d’aider les pirates japonais à rançonner les villes littorales. Avant d’être arrêté, Limdokiam et ses amis fuirent la Chine vers l’île de Taiwan (เกาะใด้หวันฬ). De là ils continuèrent leur voyage sur mer et arrivèrent au port du village de Kruese (บ้านกรือเซะ) près de Pattani. Limdokiam entra au service de roi de Pattani et fit forger pour lui trois canons Sinakari (ศรีนครี) Mahalalo (มหาเหล่ลาลอ) et Nang Phrayathani (นางพระยาดานี).
Plus tard il épousa la fille du roi. Il s’était converti à l’islam (อีสลาม). Sa sœur Limkoniao s’occupait s’occupait de sa mère restée en Chine, qui pensait à son fils qu’elle voulutt revoir. Sa fille décida de faire le voyage pour le retrouver. Lorsqu’elle l’eut retrouvé, elle lui demanda de revenir avec elle en Chine. Il était alors occupé à construire la Mosquée de Kruse (มัสยิด กรือเซะ). Il refusa et ne voulut pas renoncer à sa foi. Elle en fut attristée et se pendit à un arbre de noix de cajou. Son frère la fit enterrer et sa tombe devint un lieu de culte toujours fréquenté
OBSERVATIONS
Le sanctuaire proprement dit est d’un style assez criard il faut le dire, mais comme tous les temples chinois, celui-ci est dédié à une créature céleste vénérée par les Chinois de Thaïlande. Cette héroïne passionnée s’était opposé à la construction d’une mosquée par son frère converti à L’Islam qui ne voulut pas retourner à la foi de ses pères. Elle se pendit alors à un arbre en frappant d’un mauvais sort l’achèvement de la mosquée; Les fidèles lui prêtent des pouvoirs charismatiques.
La présence de cette tombe près de la mosquée inachevée est à tout le moins est un sujet d’irritation pour les musulmans.
Les trois canons de Pattani ont été probablement fondus à cette époque, et des vestiges de la fonderie subsistent près de la mosquée. Le plus grand, Phaya Tani est un canon de siège du début du 17ème C'est le plus gros canon jamais coulé dans ce qui est aujourd'hui la Thaïlande, mesurant 2,7 m de long (9 pieds) et en laiton. Il est exposé devant le ministère de la Défense, en face du Grand Palais à Bangkok. Il est toujours le symbole de la province de Pattani et il figure sur le sceau officiel de la province. Ils furent prises de guerre lors de l’assujettissement définitif du sultanat de Pattani au Siam. Deux des trois ont sombré lors de leur transport à Bangkok.
Sources
Notre article A 312- AUX SOURCES DE LA MYTHOLOGIE THAÏLANDAISE : LE RAMAKIAN (รามเกียรติ์)
Chalermkit Mina : « Comprendre le Ramakien », éditions Faculties of Humanities and Social Sciences, Khonkaen University, 2018 – ISBN 978-616-438-311-1
Références : Published Faculty of Humanities and Social Sciences, Khon Kaen University,
Chalermkit Mina : « Mina raconte » éditions Faculties of Humanities and Social Sciences, Khonkaen University, édition Faculties of Humanities and Social Sciences, Khonkaen University, – ISBN 978-616-438-733-1
Toutes les sociétés ont leur mythe fondateur précédant leur histoire. Nous avons déjà parlé de cette légende qui attribue aux Thaïs et aux Lao une même origine, celle de la courge de Dien Bien Phu (1).Khoun Bourôm fut l'unificateur des Thai et l'ancêtre fondateur du royaume de Luang Prabang, il dirigea la migration des Thaï de la Chine vers les plaines du Siam et du Mékong, Ce héros est associé àun mythe lié à la cosmogonie lao retraçant la naissance du monde. Envoyé sur terre par le roi du Ciel, son père, pour gouverner les hommes, il y est présenté comme un organisateur, un éducateur et un dispensateur de la prospérité. Devenu vieux après avoir dispersé son peuple, il partage ses biens et son domaine entre ses sept fils qui, après sa mort, partent chacun fonder un royaume dans la péninsule indochinoise.
Pas plus que pour le Siam ancien, nous ne sommes dans l’Histoire. Paul Le Boulanger qui connait le mythe écrivait en 1930 « La présente étude n'a pas la prétention de dissiper l'épais brouillard qui voile et qui voilera longtemps le passé du Lan-Xang, aussi longtemps que les chroniques laotiennes n'auront pu être dépouillées de leurs légendes et de leurs invraisemblances chaotiques » (2).
Il est fort bien connu des Thaïs sous le nom de nithan khun borom (นิทานขุณบรม) « la légende de Khun Borom » qui fait tout à la fois l’objet d’ouvrages d’éruditions...
et d’éditions illustrées à destination des enfants.
Précisons qu’en thaï contemporain, notre source est le Dictionnaire de l’Académie royale, khun est un « haut personnage » et borom, un adjectif, « le meilleur ».
Nous avons par ailleurs accueilli dans nos pages nos amis de l’Association Internationale des collectionneurs de timbres du Laos, Jean-Michel Strobino et Philippe Drillien dont la revue Philao enlève à la philatélie son caractère de marotte pour en faire une revue d’érudition illustrée sur le Laos.
Sa présidente, Dominique Geay-Drillen, épouse de Philippe a rédigé pour la revue une série d’articles sous le titre « Les liens entre rites et mythe d’origine »(3).Dans le premier elle nous dit « Le mythe de Khoun Bourôm, après l’épisode du déluge, retrace la venue sur terre du héros éponyme, fils du roi du Ciel. De trois courges sorties des narines d’un buffle va naître le peuple Lao. Avec les différents thên (dieux) envoyés par son père, il aménage et civilise le territoire, le Muang Thên. Une liane surgie d’un étang vient perturber la prospérité du royaume et les deux vieillards Pou Gneu et Gna Gneu vont couper cette liane. Par leur geste, ils font le sacrifice de leur vie. Un culte aux ancêtres va naître de ce fait. Avant sa mort, Khoun Bourôm lègue son territoire à ses sept fils, l’aîné Khoun Lô hérite du territoire de Louang Prabang, future capitale royale du pays »
Nous lui sommes redevables d’un mémoire de master intitulé
« COMMENTAIRE SUR LE MYTHE LAO DE KHOUN BOURÔM »
Nous avons tenté avec son amicale autorisation d’en faire une synthèse. Il est d’une grande densité, appuyé sur une impressionnante bibliographie et de multiples références textuelles. Ceux d’entre vous qui souhaiteraient approfondir le sujet en trouveront le texte intégral numérisé sur le site :
Dominique Geay-Drillien nous donne des explications sur la transcription qu’elle a choisie parmi beaucoup d’autres (Khoun Bourôm - Khoun Boulôm ou dans des écrits anglais Khun Bulôm ou Khun Burôm). Ces divergences tiennent à l’absence de système de romanisation officiel du lao. Si nous utilisons en principe le système de romanisation officiel du thaï qui donne khun borom c’est parce que nous sommes en Thailande, mais il est en phonétique anglaise. Les textes originaux sont écrits en lao ou en écriture ancienne appelée tham (4).
En écriture lao contemporaine :
est transcrit par elle Khoun Bourôm qui a le mérite de ne pas être une transcription à l’anglaise et d’être une excellente transcription française.
De même encore, l’auteure nous indique préférer le terme Lao plutôt que celui de Laotiens pour nommer les habitants du Laos. Le mot « laotien » est une création des français du XIXe siècle, n’est utilisé ni par les chercheurs ni par les habitants du Laos (5). Conformément à la règle, les noms et noms propres Lao seront écrits sans « s » au pluriel.
Avant de parler de "laotiens", on parla d'abord de "laociens" !
Carte de la collection Drilien :
EN INTRODUCTION
Dominique Geay-Drillien nous rappelle encore que « l’histoire ancienne du Laos repose sur peu de documents, la plupart ayant disparu en raison de détériorations dues au climat, aux incendies ou encore aux conflits. En effet, plusieurs grandes villes ont été pillées voire rasées par les peuples voisins. Un épais brouillard voile donc encore le passé lointain du pays, laissant une place privilégiée aux récits mythiques. La période légendaire de l’histoire du Laos débute par le mythe de Khoun Bourôm. Ce mythe ne contredit pas l’histoire de la péninsule indochinoise, il constitue même une allusion à l’arrivée des envahisseurs dans le Laos oriental. Le point de départ de cette étude repose sur le fait que les mythes Lao ont été très peu étudiés en histoire des religions. Déconsidérés par les historiens, ils sont pourtant riches d’enseignements et servent de support à la culture Lao. S’intéresser à la mythologie du Laos, c’est aussi tenter de comprendre les comportements religieux de son peuple ».
C’est bien là l’originalité et l’intérêt de son étude qui est à notre connaissance la seule étude universitaire contemporaine – au moins en français –, il en est d’autres en anglais (6) - sur la légende de ce mythique ancêtre.
LES SOURCES
Citons Dominique Geay-Drillien « L’histoire de Khoun Bourôm est connue à travers deux sources distinctes. D’une part, les Annales du royaume de Louang Prabang et d’autre part le Nithan Khoun Bourôm, dont il existe autant de versions que de provinces du Laos. Le texte des Annales est traduit par Charles Archaimbault. Les travaux d’Archaimbault sont reconnus par la majorité des spécialistes...Parlant des versions des Annales et de celle du Nithan, Archaimbault relève qu’aucun de ces textes ne peut être daté précisément (7).
« Cette séquence (celle du déluge) est spécifique au texte des Annales. On ne parle pas du déluge dans les Nithan ».
« Le texte est référencé E 11 et se trouvait dans la Bibliothèque du Vat Prakêo à Vientiane. Les travaux d’Archaimbault sont reconnus par la majorité des spécialistes ; le texte est visiblement le plus ancien et sa traduction est considérée comme fiable par ces mêmes spécialistes. De plus le texte est le plus complet même s’il est par endroits parcellaire ; Archaimbault l’a reconstruit en s’appuyant sur d’autres textes plus récents »
LE TEXTE
Avant de nous pencher sur l’analyse qu’en fait Dominique Geay-Drillien lisons-doncle texte de cette légende dans une version qui semble la plus solide. Elle est celle donnée par C. Archaimbault en 1973 (8). Elle est plus longue que celle de Paul Le Boulanger qui ignore l’épisode du déluge (2). Il faut évidemment lire ce texte en faisant abstraction si faire se peut de nos esprits trop cartésiens comme nous le ferions en lisant la « Chanson de Roland » :
« O disciples, fils et frères ! Dans les temps passés, les anciens Lao, les vieux qui connaissaient la tradition, racontaient une légende qu’ils nous ont transmise ainsi : Dans les temps reculés, terre, herbe, ciel et thên existaient. Tous les phi et les hommes se rendaient sans cesse visite. Il existait alors trois grands khun nommés : Pu Lang S’oeung, Khun K’an et Khun K’et, qui régnaient en ce bas monde, vivant de la pêche et des travaux de la rizière. Les thên firent savoir à tous les hommes que, lorsque les habitants du monde d’en bas prendraient leur repas, ils devraient avertir les thên, leur faire signe. Au moment de déjeuner et de dîner, ils devraient avertir les thên. S’ils mangeaient de la viande, ils devraient offrir une partie de l’animal aux thên. S’ils mangeaient des poissons, ils devraient leur en offrir une brochette.Mais les hommes n’écoutèrent pas les thên. Malgré trois avertissements, les hommes désobéirent. Les thên alors provoquèrent une inondation qui submergea le monde d’en bas et détruisit tout ; le sable vola jusqu’au ciel, tous les hommes disparurent. Pu Lang S’oeung, Khun K’et et Khun K’an comprirent que les thên étaient furieux à leur égard. Ils construisirent un radeau à l’aide de perches sur lequel ils élevèrent une maison en bois, un toit. Sur ce radeau, ils firent monter leurs femmes et leurs enfants, et l’eau les entraîna vers le haut, vers le royaume céleste, là-bas. Ils allèrent rendre hommage au roi des thên qui leur demanda : « Que venez-vous faire ici dans mon royaume ? En détail, ils relatèrent au thên les événements qui étaient survenus. A deux ou trois reprises, déclara le roi des divinités, je vous ai avertis de respecter le ciel, les thên. Respectez-les, vous ai-je dit, et vous vivrez vieux, respectez vos maîtres et vous vivrez longtemps. Vous ne m’avez pas écouté, tant pis pour vous ! Sur ce, le roi des thên leur donna l’ordre d’aller demeurer avec Thên Lo.
A partir de ce moment, les eaux diminuèrent puis laissèrent place à la terre ferme. Les trois khun allèrent rendre visite au roi des thên et lui déclarèrent : Nous ne pouvons vivre dans le monde d’en haut, nous ne pouvons courir dans le ciel, nous demandons à aller demeurer dans le monde d’en bas, dans le monde dont le sol est plat, là-bas. Le roi des thên leur fit don d’un buffle aux cornes courtes, émoussées, et les renvoya dans le monde d’en bas. Ils vinrent s’établir à Na Noi Oi Nu et dès lors, pour vivre, cultivèrent les rizières avec leur buffle. Trois ans plus tard, ce buffle creva. Ils laissèrent la dépouille de l’animal à Na Noi Oi Nu. Peu de temps après, une liane surgit des naseaux du buffle crevé. Quand elle se fut développée, elle donna naissance à trois fruits qui étaient gros comme ces paniers où l’on dépose le riz des semences. Quand les courges furent mûres, les hommes naquirent en leur sein, telle la Nang Asangno qui naquit dans le calice d’un lotus et fut élevée par un ermite. Tous ces hommes se mirent à pousser des cris stridents à l’intérieur des courges. A ce moment, Pu lang S’oeung fit rougir un foret à l’aide duquel il perça les cucurbitacées. Par le trou ainsi foré, des hommes sortirent en se bousculant. Comme, par cette ouverture, serrés les uns contre les autres, ils s’échappaient avec peine, Khun K’an, avec un ciseau, perça un second trou grand et large par où, durant trois jours et trois nuits, un flot humain s’écoula. Les courges demeurèrent vides.
Les hommes qui étaient sortis par le trou foré se répartirent en deux groupes : les T’ai Lom et les T’ai li ; ceux qui étaient sortis par le trou pratiqué au moyen du ciseau constituèrent trois groupes : les T’ai Loeung, les T’ai Lo et les T’ai K’wang. Dès lors Pu Lang S’oeung leur apprit à cultiver les raïs, les rizières et à tisser pour vivre. Il les apparia en maris et femmes et leur indiqua comment construire leurs demeures. Ces hommes et ces femmes engendrèrent une multitude de garçons et de filles. Pu Lang S’oeung conseilla aux enfants de chérir leurs parents, de les nourrir, de respecter les vieillards, les personnes âgées. Longtemps plus tard, quand leurs parents moururent, ils les pleurèrent et leur firent des obsèques, conformément aux indications de Pu Lang S’oeung. « Ceux qui sont issus de l’ouverture pratiquée au moyen du ciseau, incinérez-les, leur dit ce dernier, élevez ensuite une maisonnette dans laquelle vous déposerez leurs ossements lavés et polis et où, chaque jour, vous irez leur offrir des mets. Ceux qui sont issus du trou foré, enterrez-les et recouvrez leur tombe d’une maisonnette où, quotidiennement, vous leur présenterez des offrandes. Si vous ne pouvez pas y aller, déposez riz et alcool sur un autel en bambou tressé, dans la pièce d’honneur de votre domicile, et conviez vos parents défunts au repas. Tous ceux qui, nés dans les courges, étaient sortis par le trou percé au moyen du ciseau étaient des T’ai, tandis que ceux qui étaient sortis par le trou foré étaient des Kha. Les uns et les autres n’étaient que les serviteurs et les sujets des trois khun.
Tous ces hommes alors proliférèrent, ils devinrent nombreux comme les grains de sable, comme les gouttes d’eau, mais ils ne pouvaient être gouvernés. C’est en vain que Pu Lang S’oeung et Khun K’an leur donnaient des conseils, ils n’obéissaient point. Les trois khun montèrent alors demander un roi au grand thên qui chargea Khun K’lu et Khun K’ong de cette fonction. Ces khun ne firent pas régner la prospérité, car chaque jour ils buvaient et s’enivraient. Le peuple était malheureux mais ils ne s’en souciaient point. Khun K’et et Khun K’an rapportèrent ces faits au roi des thên qui rappela les deux khun dans le royaume céleste. Le roi des thên nomma alors un monarque vertueux Khun Bulom, (son fils). Quand Khun Bulom eut reçu l’ordre du roi des thên, il descendit avec une multitude de personnes dans le monde d’en bas, le monde dont la surface est bien unie, et s’installa à Na Noi Oi Nu dans le Muang Thên. Parmi les hommes sortis des courges, les savants devinrent les courtisans de Khun Bulom, les niais et les ignorants constituèrent la masse qui vécut du travail des champs. S’entretenant avec les khun qui l’avaient accompagné, Khun Bulom leur dit : « Comment ferons-nous pour nourrir et vêtir tous ces êtres ? Auparavant, le roi des thên délégua Khun K’ong et Khun K’lu pour gouverner tous les hommes, mais les deux khun ne purent régner et le thên les rappela dans le monde d’en haut, les fit revenir dans le monde céleste. C’est alors qu’il nous donna l’ordre de descendre gouverner, mais, à la vue de ces hommes nombreux comme les grains de sable, comme les gouttes d’eau, nous nous prenons à songer : « Comment ferons-nous pour les vêtir, pour les nourrir ? Envoyons Khun S’oeung auprès du roi des thên ! » Khun S’oeung alla saluer le roi des thên et lui exposa la situation. Le roi des thên envoya alors Thên têng et P’its’anukukan procéder à l’aménagement du territoire. Thên Têng indiqua aux hommes les époques où ils devaient cultiver les raïs, les rizières, cultiver le riz, les légumes, les fruits et tous les tubercules comestibles ... Quant à P’its’anukukan, il enseigna aux hommes à forger des coupe-coupe, des couteaux, des pioches, des bêches et toutes sortes d’instruments ; il leur apprit à tisser cotonnades et soieries, à s’habiller et il leur indiqua les mets qu’ils devaient manger. Thên Têng donna alors à Khun Bulom, roi du monde d’en bas les conseils suivants : « il faut que les T’ai K’wang dépendent de Khun K’wang, que les T’ai Li dépendent de Khun Li, que les T’ai Loeung dépendent de Khun Loeung, que les T’ai Lom dépendent de Khun Lom, que les T’ai Lô dépendent de Khun Lô. Désormais, si les habitants du monde d’en bas mangent de la viande, qu’ils offrent une patte de l’animal aux thên. S’ils mangent du poisson, qu’ils en offrent une brochette aux thên […]. Le jour h’uang, les hommes ne doivent pas travailler. Les jours kot et kap du premier mois, les jours tao et h’uai du deuxième mois, tous les êtres humains doivent interrompre leurs travaux : ils ne doivent pas couper les branches des arbres avec des coupe-coupe, ni abattre les arbres à la hache, ils ne doivent pas aller chercher du bois de chauffage, ni puiser de l’eau. Ils ne doivent ni piler, ni vanner. Si ces prescriptions sont observées, vous régnerez en paix. » Après avoir donné ces conseils à Khun Bulom, à ses ministres et à tous les hommes, Thên Têng, en compagnie de P’its’anukukan, partit faire son rapport au roi des thên : « Nous avons tous deux, déclara-t-il, terminé l’aménagement du monde terrestre et inculqué notre enseignement aux hommes. » « Leur avez-vous procuré tous les instruments qui leur permettront de se divertir, les chants et les danses ? » demanda le grand thên. « Nous ne leur avons point enseigné ces techniques, répondit Thên Têng. Le roi des thên chargea alors Sik’ant’ap’at’evadalas’a de descendre en ce monde apprendre aux hommes à fabriquer des gongs, des tambours, des cymbales, des flûtes, des orgues à bouche et tous les instruments de l’orchestre. Après qu’il eut enseigné aux hommes le chant et toutes les variétés de danses, Sik’ant-ap’at’evadalas’a regagna le monde d’en haut et fit un rapport au roi des thên qui déclara : Dorénavant, il ne faut plus que les hommes nous rendent visite. De notre côté, nous ne devons plus leur rendre visite. Sur l’ordre du roi des thên, le grand et solide pont qui faisait communiquer les deux mondes fut coupé. Désormais les phi et les hommes ne purent plus se rendre visite. Khun Bulom qui gouvernait ce royaume terrestre n’était point encore parvenu à faire régner la prospérité quand une liane nommée Khao Kat jaillit, funeste présage, d’un étang nommé « Kuwa » et s’éleva à une hauteur de [cent mille yojanas. Elle couvrait de son feuillage tout le territoire qu’elle plongeait dans l’ombre. A Muang Thên, le soleil demeurant invisible, le froid régnait. Les travaux des champs étaient voués à l’échec. Khun Bulom donna l’ordre aux habitants de couper cette liane, mais ils lui répondirent qu’il s’agissait là d’une plante extrêmement maléfique qu’ils ne pouvaient couper. Deux vieux époux, nommés Thao Nyoeu et Thaon ya, s’engagèrent alors à couper cette liane.
Si nous périssons, dirent-ils, que tous les hommes nous fassent des offrandes. Avant de faire quoi que ce soit, avant de manger quoi que ce soit, qu’ils nous appellent, ensuite qu’ils agissent, qu’ils mangent ! » Tous les hommes promirent de respecter cette prescription : « C’est parfait, dirent-ils, nous vous appellerons avant d’agir, avant de manger. » Sur ce, les deux vieux, une hache sur l’épaule, allèrent couper la liane. Ils travaillèrent durant trois mois, trois jours. La liane alors s’abattit et les deux vieux périrent victimes de leur acte. Toutes les personnes leur présentèrent des offrandes et les invitèrent en disant : « Nyoeu kin ». Devenus « Phi Seua Muang », c'est-à-dire génies protecteurs, les deux vieux mangèrent les mets sacrificiels ainsi qu’ont coutume de le faire tous les génies et, dès lors, tous les habitants du Lan S’ang, comme marque distinctive, employèrent cette interjection « Nyoeu » avant toute tâche et tout repas. Le territoire devint un grand et vaste royaume auquel les hommes donnèrent le nom de Muang thên car il avait été fondé par les thên descendus du ciel. Khun Bulom fit régner la prospérité dans le pays. Les Lao labouraient les rizières et semaient le riz tandis que dans les montagnes les Kha faisaient des brûlis. Les uns et les autres gagnaient bien leur vie. Longtemps après Khun Bulom eut sept fils. De Nang Et Khêng, il eut d’abord Khun Lô, Nyi Phalan, Chu Song ; ensuite il eut trois fils de Nang Nyommap’ala : Sai Phong, Ngua In, Luk Kom. Nang Et Khêng lui donna un septième fils : Chet Chuang. Quand ses sept fils furent en âge de régner, Khun Bulom remit à chacun d’eux un fragment des défenses de l’éléphant précieux qui venait de périr, ainsi qu’une partie du trésor que lui avait donné son père le roi des thên avant qu’il ne quittât les cieux. Après avoir partagé ainsi ses biens, Khun Bulom indiqua à ses enfants les royaumes qu’ils devaient fonder : Khun Lô régnerait sur Muang S’va, Nyi Phalan sur le pays des Ho, Chu Song sur l’Annam, Sai Phong gouvernerait le pays de Nyeun, Ngua In serait roi du Siam, Chet Chuang enfin monterait sur le trône du pays P’uon. Le partage des territoires ainsi effectué, il exhorta ses fils au respect des frontières tracées. « Si l’un d’entre vous, poussé par la cupidité, l’envie, fait franchir à ses soldats, à ses éléphants, à ses chevaux, les frontières du souverain voisin, s’il porte le fer dans le territoire d’autrui, conquérant villes et villages, qu’il périsse et ne puisse réaliser ses desseins ! S’il plante des arbres, qu’il meure avant l’apparition des fruits ! S’il plante du rotin, qu’il meure avant que les tiges n’aient jauni ! Que sa vie soit terne et malheureuse ! S’il cultive la rizière, que la foudre le frappe ! S’il regagne sa demeure, que le tigre le dévore ! S’il voyage par eau, que les génies ophidiens de la grandeur d’une pirogue le dévorent ! S’il voyage par voie de terre, que les tigres de la grandeur d’un cheval le dévorent ! Que le royaume du frère aîné demeure celui du frère aîné, que le royaume du cadet demeure celui du cadet. Ne cherchez pas à vous nuire les uns les autres, à vous tourmenter. Ne vous querellez point… Peu de temps après avoir donné ces conseils à ses fils, Khun Bulom et ses deux épouses décédèrent. Les sept fils, après avoir juré de respecter les prescriptions de leur père, se dirent adieu et partirent fonder, chacun de leur côté, un royaume. Khun Lô l’aîné, descendant les eaux vertes de la Nam U, parvint à Muang S’va que gouvernait un prince Kha descendant de Khun S’va, l’ancêtre de la dynastie qui avait donné son nom au territoire. Khun Lô chassa l’aborigène, monta sur le trône et fonda une chefferie qui devait durer jusqu’à nos jours sur le royaume de Luang Prabang.
Ces cartes de Paul Le Boulanger (6) montent l'expansion des principautés laos :
Dominique Geay-Drillien pose la question de savoir s’il s’agit d’un mythe, d’un récit ou d’un discours étiologique ?
« Le texte de Khoun Bourôm est bien un récit qui raconte une histoire cohérente mettant en scène des êtres surnaturels (les thên) et des hommes »
« Le texte de Khoun Bourôm raconte et justifie une situation nouvelle, le monde a été modifié par les dieux pour faire naître une nouvelle humanité, une civilisation et un royaume. ....
Comme l’explique B. Malinowski, « le mythe n’est pas une explication destinée à satisfaire une curiosité scientifique, mais un récit qui fait revivre une réalité originelle » (9).
« En ce sens, le texte de Khoun Bourôm est bien un discours étiologique ».
Notre auteure décompose cette histoire mythique en plusieurs étapes :
« La première humanité et le déluge »
« Dans cette première section, une communication entre le ciel et la terre montre que les hommes et les dieux se rendent visite mutuellement. Le ciel et la terre ne sont pas encore des espaces disjoints et peuvent communiquer. Les dieux et les hommes franchissent les domaines au moyen d’un lien cosmique qui est un pont ; dans d’autres légendes, il s’agit d’un arbre, d’une échelle ou encore d’un pilier.... Le thème du déluge se retrouve dans de nombreux mythes de l’Asie Orientale et de l’Asie du Sud-est »(10). Le déluge est suivi d’un assèchement des sols, une régénération en quelque sorte. Les trois khoun retrouvent la terre ferme avec un buffle cadeau du roi des thên. Le roi des thên est souvent appelé Phagna Thên (roi du ciel). Les khoun pourront à nouveau cultiver la terre et vivre de la culture du riz. Une deuxième chance leur est donnée ».
« La seconde humanité et l’échec de la mise en œuvre d’une organisation sociale ».
Après l’apparition de la courge magique et celle des trois Khun, ceux-ci se révélèrent incapables de gérer l’humanité nouvelle, l’organisation sociale est un échec.
« Le don d’un roi et l’organisation politique du territoire »
« Le roi du ciel délègue divers dieux pour aider de nouveau à l’aménagement et à la civilisation du territoire. Ils transmettent leurs savoirs aux hommes pour leur apprendre à vivre ensemble et en autarcie grâce à l’apprentissage graduel de techniques et de connaissances spécifiques. On assiste de ce fait à un transfert de compétences. Tout ce que possède l’humanité est donc considéré comme un don des dieux. Comme pour la séquence précédente, il semblerait que la civilisation sur terre ne puisse être que la réplique de la civilisation céleste puisqu’elle est initiée par les dieux eux-mêmes.
« Les ancêtres mythiques - La succession de Khoun Bourôm et l’assise d’une dynastie royale d’origine divine»
Nous retrouvons l’aménagement du monde, sujet que nous avons abordé et probablement l’origine du culte des ancêtres largement répandu sur les deux rives du Mékong. (1).
« Khoun Bourôm aménage le monde et attribue un territoire à chacun de ses fils, ce qui contribue à faire des Lao des héritiers. Il envoie ses fils fonder des royaumes dans les régions où vivent des T’aï (les hauts plateaux t’aï du Vietnam, les Sip Song Pan Na dans le sud de la Chine, l’Etat chan en Birmanie, la Thaïlande et le Laos ce qui correspondrait aux frontières d’un très ancien royaume T’aï). Alors que son plus jeune fils fonde le royaume de Xieng Khouang dans la Plaine des Jarres, l’aîné, Khoun Lô, descend la Nam Ou, ravit la principauté de Meuang Sua à son souverain Kha et l’appele Xieng Dong Xieng Thong, qui deviendra plus tard Louang Prabang... »
Les conclusions de l’auteure :
Celle-ci nous indique que le « mythe de Khoun Bourôm s’insère dans une tradition de légendes communes à l’Asie du Sud-est dans lesquelles il a puisé de nombreux éléments : Il a intégré le déluge, clé du contrat social, présent dans presque toutes les sociétés de l’Asie orientale et de l’Asie du Sud-est. » ... Il inclut« la conception d’un âge d’or aux origines ; l’accident comme rupture et comme dégradation de l’harmonie originelle ; l’explication de la condition humaine actuelle »...« Le mythe de Khoun Bourôm se rapporte plus spécifiquement à l’origine de l’homme en société et à la fondation du premier royaume Lao. De cette fondation va naître la chaîne de filiation ininterrompue reliant le héros civilisateur Khoun Bourôm jusqu’aux derniers souverains du Laos...Le mythe de Khoun Bourôm se pose parfois en concurrent du récit historique : le présent du narrateur est consigné dans les Annales historiques de Louang Prabang. Il est probable que le mythe de Khoun Bourôm a été récupéré pour créer l’Histoire des origines du Laos... Il détermine l’identité ethnique du peuple Lao.
Mais quittons la légende pour entrer de plein pied dans l’histoire commune des peuples Thaïs et Lao.
Le mythe de Khoun Bourôm donne de précieuses indications sur la qualité de la structure politique des sociétés prébouddhiques d’Asie du Sud-est. Au sujet de la migration des T’aï, G. Coedès précise : « On parle parfois de « l’invasion des T’aïs », conséquence de « la poussée mongole » au XIIIème siècle. En réalité, il s’est agi plutôt d’une infiltration lente et sans doute fort ancienne, le long des rivières relevant de ce glissement général des populations du nord vers le sud, qui caractérise le peuplement de la péninsule indochinoise. Mais il est de fait que les environs de l’année 1220, peut-être à la suite de la mort de Jayavarman VII qu’on peut placer peu avant cette date, ont vu se produire une grande effervescence aux confins méridionaux du Yunnan. C’est vraisemblablement de la même époque que date la descente légendaire de Khoun Bourôm, l’arrivée massive des T’aïs par le par le Nam U sur le site de Louang Prabang » (11).
Ce passé transfiguré échappe à la mémoire et le mythe restitue à travers une image folklorique les thèmes historiques de la naissance de l'organisation sociale des Lao, de leur migration vers le Laos et de l'établissement de leurs principautés le long du Mékong.
Mais sans entrer dans des considérations qui pourraient rapidement devenir d’un ésotérisme fuligineux sur la « tradition primordiale », comment ne pas faire le rapprochement entre le récit biblique de l’expansion de l’humanité après le déluge et le mythe de Khoun Bourôm ?
NOTES
(1) Voir nos articles article 11: «Origines des Thaïs ? Une courge de Dien-Bien-Phu ?» :
(2) Sous le titre réducteur « Histoire du Laos français »il a écrit en réalité l’histoire du Laos après avoir étudié en particulier les manuscrits laotiens de la Bibliothèque royale de Luang-Prabang,
Auguste Pavie donne une très longue description de l’histoire mythique du Laos mais elle ignore l’épisode du déluge (« HISTOIRE DU PAYS DE LAN-CHHANG, HOM KHAO (MILLIONS D'ÉLÉPHANTS ET PARASOL BLANC) Luang-Prabang et Vieng-Chang - RECHERCHES SUR L'HISTOIRE DU CAMBODGE, DU LAOS ET DU SIAM » 1898
(3) Le premier publié dans le numéro 113 de la revue au 4e trimestre 2018 concerne « Le rituel associé à la fête des fusées ». Il est numérisé :
Le suivant dans le numéro 114 du 1er trimestre 2019 sous le titre « Les liens entre rites et mythe d’origine - Le rituel associé à la course des pirogues», également numérisé :
suivant dans le numéro 115 du 2e trimestre 2019 sous le titre « Les liens entre rites et mythe d’origine - Le rituel associé à la fête du T’at » également numérisé :
La suivant dans le numéro 116 du 3 trimestre 2019 sous le titre « Les liens entre rites et mythe d’origine - Le rituel associé au jeu de Ti-K’i » est aussi numérisé :
Le suivant dans le numéro 117 du 4e trimestre 2019 sous le titre « Les liens entre rites et mythe d’origine - Le rituel associé aux Devata Luang : Pou Gneu et Gna Gneu » également accessible :
(5) D’ailleurs en thaï, « laotien » se traduit par « khon lao » (คน ลาว – personne lao) et en langue lao par le même mot. Initialement, il fut écrit « laocien » dans le Larousse du XIXe, dans les « Notes sur le Laos » d’Aymonier en 1885 ou dans sons « Voyage dans le Laos » de 1897 et dans le « dictionnaire français-laocien » de Monseigneur Cuaz de 1904)
(6) Citons en particulier celle - que nous n’avons pas consultée - d’un universitaire de Khonkaen, Souneth Phothisane, « The Nidan Khun Borom – translation et analysis » publiée en 1996.
(7) Charles Archaimbault mort en 2001 fut un pan entier de l'érudition sur l'Asie du Sud-Est incontournable pour quiconque s'intéresse à l'histoire du Laos ou à la culture lao. Un bel hommage lui a été rendu par Yves Goudineau in: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 88, 2001. pp. 6-16; La première rédaction écrite daterait selon Michel Lorillard du début du XVIe siècle (« Quelques données relatives à l'historiographie lao ». In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 86, 1999. pp. 219-232;
(9) Référence de Dominique Geay-Drillien ; « Cité par M. ELIADE dans Aspects du mythe, Paris, Ed Folio Essais n°100, 2001, p.34 ».
(10) Le déluge est effectivement un mythe répandu dans de nombreuses cultures autres qu’asiatiques. C’est aussi un des plus anciens. Ce mythe étiologique relate généralement des pluies catastrophiques et des inondations consécutives et a pour visée d'expliquer souvent l'origine de la violence.Il symbolise la colère, l'anéantissement et le chaos, mais aussi la survie et la renaissance. Ces phénomènes évoquent la colère divine. Toutefois cette gigantesque destruction n'est qu’une étape car elle inclut toujours la survie. C’est la fin d'une humanité, suivie de l’apparition d’une humanité nouvelle, symbole de la renaissance. Le meilleur exemple pour nous est celui de la Bible.
Comment ne pas constater l’étrange similitude entre le récit biblique et celui du déluge déclenché par les créatures célestes ?
« Yaweh vit que la méchanceté des hommes était grande sur la terre et que toutes les imagination s et les tendances de leur cœur n'étaient que mauvaises constamment; Et Yaweh se repentit d'avoir fait l'homme sur la terre et fut affligé en son cœur. Yaweh dit j’exterminerais de la face de la terre l'homme que j'ai créé depuis l'homme jusqu'aux animaux domestiques, jusqu’aux reptiles et jusqu'aux oiseux des cieux et je me repends de les avoir faits. Mais Noé trouvé grâce aux yeux de Yaweh ...» (Genèse VI-5-8).
« Les fils de Noé qui sortirent de l’arche étaient Sem, Cham et Japhet...et c’est d’eux que vient la population de la terre.. » (Genèse VIII-18). Le premier serait considéré comme le père des Sémites, le second comme celui des Africains et le dernier celui des populations d’Eurasie.
Nous retrouvons le même récit dans le Coran (sourate XI, versets 25 à 48)
Les mythes du déluge sont-ils la mémoire d’un événement réel ? La question reste sans réponse.Une lecture littéraliste de la Genèse (7-6) date le Déluge de l'an 600 de la vie de Noé, soit, toujours selon la Bible, 1.656 ans après la création d'Adam et 2.348 ans avant la naissance du Christ.
(11) G. COEDES « Les Etats hindouisés d’Indochine et d’Indonésie », Paris, E de Broccard, 1964, pp. 346-347.
Philippe Drillien dans son article «Le bouddhisme au Laos à travers la philatélie» consacre un chapitre aux légendes relatives au bouddhisme, illustré par les timbres-poste. Nous nous sommes intéressés à l’une d’entre elles qui concerne une déité fondamentale du bouddhisme théravada, Nang Thorani, la déesse-mère. Laissons-lui la parole:
LA LÉGENDE DE NANG THORANI
Mâra, le diable, se rendant compte que Bouddha échappait à son contrôle, voulut lui enlever son trône d’émeraude. Il envoya ses cinq filles (trois selon d’autres versions), magnifiquement parées et parfumées, afin de le séduire, mais celles-ci se retirèrent, confuses et honteuses, soudainement vieillies et ridées. C’est alors que Mâra prépara cinq armées pour vaincre Bouddha, l’accusant de s’être emparé du trône d’émeraude. Nang Thorani, déesse de la Terre, se présenta alors devant Mâra, sur un signe de Bouddha. Tordant ses cheveux tressés, elle en fit sortir l’eau, goutte à goutte, sur la terre. Cette eau se transforma en mers et océans qui engendrèrent toutes sortes de monstres et de reptiles : les armées de Mâra furent décimées et détruites. Grâce à Nang Thorani, Bouddha put se maintenir sur son trône d’émeraude.
Cette attitude de Nang Thorani est un geste d’entraide et de lutte contre le mal. C’est pourquoi elle a été choisie pour figurer sur un timbre-poste célébrant le vingt-cinquième anniversaire de l’ONU: Ce timbre représente le Palais de l’ONU surmonté également de l’emblème des Nations unies et Nang Thorani, déesse de la Terre. Il s’agirait de la reproduction de la statue en ciment du Vat Khily de Luang Prabang.
Des statues de Nang Thorani sont souvent représentées dans les cours de pagode laotienne… Rien qu’à Luang prabang, il en existe au moins cinq autres, au vat Aphay, au vat Ho Xieng, au Vat Maha That, au Vat Meun Na et au Vat That Luang. Le Vat Chom Kao de Houey Say en possède également une. J’ai même appris récemment que deux autres (au moins) ont été construites au Texas (1), mais cette liste est loin d’être exhaustive.
Par ailleurs, dans le chapitre de son opuscule qu’il consacre à «LA REPRESENTATION DU BOUDDHA DANS L’ART LAO» il nous parle de cet épisode de la vie de Bouddha à l’occasion de la représentation de cet événement:
Le Bouddha en Bhûmisparsa mudrâ, ce qui signifie « le sceau de toucher la terre ». Cela veut dire que le Bouddha prend la terre à témoin. On dit encore que le Bouddha fait le geste de Mâravijaya (en lao, Mâravixay , victoire sur Mâra, le roi des Enfers). Il s’agit d’une allusion au prodige consacrant la défaite de Mâra. Quatre semaines après l’Illumination de Bouddha, Mâra voulut le tenter et le ramener aux réalités terrestres. Il lui dépêcha donc ses trois filles Concupiscence, Volupté et Inquiétude. Mais, sous le regard de l’Illuminé, elles perdirent leur attrait. Mâra montra alors à Bouddha, pour le décourager, l’immensité de la tâche qu’il s’était fixée : jamais Bouddha ne parviendrait à communiquer aux humains la science qu’il venait d’acquérir. Mais, la foi de Bouddha était si forte qu’il toucha la terre de sa main droite afin d’avoir un témoignage. Selon la légende, la Terre apparut, éloigna Mâra et repoussa les démons. La victoire sur Mâra est un geste qui implique une idée d’imperturbabilité. La main droite, allongée vers le bas sur sa cuisse droite, effleure le siège de l’extrémité de ses doigts tandis que la main gauche repose dans le giron. C’est sans doute la position du Bouddha la plus répandue dans l’iconographie lao (2).
L’utilisation de cette divinité bienveillante singulièrement assimilée par la philatélie lao à l’organisation des Nations Unies (mais c’était en 1970!) nous a conduit à rechercher qui était Nang Thorani (นาง ธรณี) pour les Thaïs, plus volontiers appelé Phra Mae Thorani (พระแม่ธรณี), Dharani dans la forme pali et Dharana dans la forme sanskrite puisqu’elle vient de la mythologie hindouiste. Dans son premier dictionnaire thaï – latin – français – anglais, Monseigneur Pallegoix traduit «Ange femelle qui préside à la terre». Dans l’édition de 1896, la traduction devient «la terre». Dans le dictionnaire pali-anglais de T W Rhys Davids elle est tout simplement « la terre ». Le dictionnaire sanskrit –français de l’École française d’extrême orient nous donne incontestablement la meilleure définition : « la terre personnifiée ».
Elle est la déesse mère, vierge mère de toutes les divinités que nous retrouvons dans toutes les mythologies antiques, indiennes bien sûr d’où elle est passée au bouddhisme, égyptienne. Nous la retrouvons dans la mythologie grecque en la personne de Gaïa, déesse primordiale et déesse mère, ancêtre maternelle des races divines, qui enfanta de nombreuses créatures célestes.
Nous retrouvons la Vierge mère chez les chrétiens faisant l’objet d’un culte aux bornes de la déification (3).
Son histoire telle qu’elle résulte des Vessantara Jatakas,
...mais les versions en sont multiples, est celle de la déesse de la terre ou de la déesse terre. Au moment où le Bouddha s’engagea dans sa méditation finale avant d'atteindre le Nirvana, le Démon Mara qui incarne l’esprit du mal se présenta au Bouddha avec son armée et lui demanda de quel droit il se tenait assis à cet endroit. Le Bouddha toucha alors le sol de sa main droite pour prendre la terre à témoin, et la tradition dit que la Déesse Mae Thorani se manifesta et fit sortir de sa tresse l'eau qui symbolisait les mérites accumulés par le Bouddha dans ses vies passées. Cette eau coula en telle abondance qu’elle noya l'armée de Mara et que le Bouddha mit ensuite poursuivre sa méditation en paix. Déesse mère, elle est la mère sans intervention d’un père biologique de toutes les déités de la tradition hindo-bouddhiste. Mère du monde, son culte remonte à au moins 3 000 ans bien avant le Bouddha historique.
Elle est la seule divinité à laquelle le Bouddha fit jamais appel quand il était en grand danger, seul, désarmé et attaqué par une armée de démons. Il lui suffisait de se sécher les cheveux pour anéantir cette armée de démons ...
Un fervent bouddhiste suivant l'exemple du Bouddha lui-même ne peut donc faire appel qu’à elle et subsidiairement à Indra.
C’est un aspect du bouddhisme qui a frappé les Missionaires. Il n’y a qu’elle et Pha Indra que les laotiens pensent pouvoir leur être secourables (4).
Les représentations de Phra Mae Thorani sont omni présentes dans les sanctuaires et les temples bouddhistes du Laos, de Birmanie, du Cambodge et de Thaïlande, statues ou peintures murales. Elle est toujours personnifiée comme une jeune femme qui, en essorant ses cheveux, en fit sortir de l'eau pour noyer Māra.
Pour ne parler que de Thaïlande, le parc de Suan Thurian Laen (สวนทุเรียนแลนด์) dans la province de Chantaburi vit l’édification de ce qui serait sa plus grande statue au monde.
A la fontaine de Mae Thorani située à côté de Sanam Luang à Bangkok, on voit parfois des femmes y prendre de l'eau bénie sortant de sa tresse dans l'espoir que cette eau les aidera à tomber enceintes.
Médailles et amulettes se vendent en grand nombre.
Elle n’et naturellement pas oubliée de la philatélie locale, en 1968 à l'occasion de la décennie hydrologique internationale
en 2015 pour le 100e anniversaire de la création du service des eaux, mère de la terre, elle est aussi mère des eaux
... et en 2018 pour une série relative au patrimoine artistique
NOTES
(1) Probablement à Houston.
(2) Nous avons longuement parlé de cette posture de Bouddha qui est effectivement l’une des plus représentées dans le monde bouddhiste théravada :
Mara (มาร) est l’esprit du mal, la mort, le démon, le malin. C’est le plus grand dieu du domaine des désirs. Vasavarti Mara, le mal personnifié, intervient avec sa horde de démons. Le Bodhisattva appela alors Dharani, la déesse de la terre comme témoin des vertus de ses vies précédentes : elle noya Mara et sa troupe en tordant sa chevelure.
Cette posture est la 9e. Bouddha est assis la main gauche ouverte, dans son giron la main droite posée sur le genou, les doigts dirigés vers la terre.
(3) Devant ces excès, dès 431 le concile œcuménique d'Éphèse a défini le rôle de Marie de Nazareth, mère de Jésus, comme « Mère de Dieu » ce qui n'en fait pas l'égale de Dieu. La Réforme mit en question les excès du culte des saints et de la Vierge-Marie en particulier. Au concile de Trente au XVIe siècle, l'Église catholique dut introduire une distinction entre les cultes, culte rendu à la Vierge Marie, supérieur au simple culte rendu aux saints et aux anges et adoration qui ne convient que pour Dieu. Le concile Vatican II pour répondre à des excès a rappelé que pour le christianisme, le rédempteur unique est Jésus-Christ, fils de Dieu et de Marie.
(4) Voir « Les sorciers laociens » in Annales des missions étrangères de janvier 1923.
C'est au Sri-Lanka, à la fin du XIXe siècle, que le drapeau bouddhique fut inventé. Il est l'œuvre d'un Occidental, le colonel Henry Steel Olcott. Colonel en retraite de l'armée américaine, il avait découvert le bouddhisme lors du premier « Parlement International des Religions » qui s'était tenu à San Francisco. Profondément impressionné par la doctrine bouddhiste, il se rendit à Ceylan (actuel Sri-Lanka) dans les années 1880. Il y développa une intense activité pro-bouddhique, aidant les laïcs cinghalais dans leur lutte contre la tutelle coloniale des Britanniques... Le drapeau bouddhique joua ainsi un rôle non négligeable comme signe de reconnaissance de la nouvelle communauté bouddhiste cinghalaise nationaliste !
Ce n'est que le 26 mai 1950 qu'il sera finalement adopté à l'unanimité par vingt-six délégations représentant l'ensemble des communautés bouddhistes asiatiques, lors d'un rassemblement œcuménique à Colombo (capitale du Sri-Lanka). Il est depuis lors largement utilisé dans tous les pays bouddhistes.
Les six couleurs qui le composent rappellent la symbolique de l'arc-en-ciel... L'arc-en-ciel, pont entre le monde terrestre et céleste, est aussi une représentation symbolique de l'unité dans la diversité et, par là-même, symbole de tolérance. Les couleurs des six bandes qui le composent, cependant, ne reprennent pas les tonalités de l'arc-en-ciel mais celles traditionnellement associées à l'aura du Bouddha : bleu, jaune clair, rouge, blanc et orangé, la sixième bande étant la réunion des cinq couleurs précédentes.
Suivant les enseignements Bouddhiques ces cinq couleurs représentent cinq sources de perfectionnement indispensables à la pratique bouddhique :
- la couleur bleue est le symbole de la méditation
- la couleur jaune clair symbolise la « pensée juste »
- la couleur rouge représente l'énergie spirituelle
- la couleur blanche est celle de la « foi sereine »
- la couleur orangée, symbole de l'intelligence, est un composé des quatre couleurs précédentes, tout comme l'intelligence est considérée comme la synthèse des qualités que ces couleurs symbolisent.
- la sixième bande, enfin, est l'association des cinq précédentes et symbolise ainsi la non-discrimination.
Chaque couleur correspond également à un fait des vies antérieures du Bienheureux.
- Le Bleu : le Boddhisattva (futur Bouddha) naquit en tant que roi Sri Bhirah et fit don de ses yeux à Indra (Dieu Suprême) qui prit l'aspect d'un brahmane (1ère caste dans la hiérarchie hindouiste).
- Le Jaune : le Boddhisattva nommé Vini Pandita, sacrifia sa propre chair à Indra qui avait pris l'aspect d'un géant orfèvre, afin qu'il en fasse des feuilles d'or pour couvrir la statue du Bouddha.
- Le Rouge : un jour, un serpent venimeux mordit la mère du Boddhisattva, Botum Manob. Alors, le Boddhisattva s'arracha le cœur et en fit des médicaments pour la guérir.
- Le Blanc : le Boddhisattva, Sri Vessantara (Phra Vêt), donna son éléphant blanc aux habitants d'un autre pays pour les soulager de la famine, car la présence de cet éléphant apporta la pluie.
- L'Orange : le Boddhisattva, Vicathara, fit don de sa chair à un géant en échange de la vie de sa mère.
- L'Eclat du diamant (mélange des cinq précédents couleurs) : parmi ses vies antérieures, le Boddhisattva incarna la vie d'un lapin, Soma Pandita, et éprouva le besoin de faire un grand don. Alors, Indra l'aida à réaliser son vœu. Il se transforma en un vieux brahmane affamé ; ce qui permit au Boddhisattva de faire don de sa vie comme nourriture à l'attention du vieux brahmane.
Curieusement, le drapeau bouddhique ne figure sur aucun timbre du Laos et sur aucune carte postale ancienne. J’ai cependant trouvé dans mes photos personnelles ce drapeau représenté, en compagnie de celui de la RDPL, sur la pancarte d’entrée du Vat Manorom à Luang Prabang (1).
LA ROUE DE LA LOI
La roue est un symbole solaire particulièrement présent dans les images Bouddhiques. Bien avant de s’illustrer dans ce contexte, elle fut en Inde associée au dieu Vishnu, garant de la stabilité et de la continuité de l’ordre cosmique. Elle fut aussi très tôt désignée comme l’emblème le plus précieux du monarque universel, s’imposant comme symbole de gloire et d’autorité, de puissance liée une fois encore à la pérennité de l’ordre et du mouvement du monde. Le dharma-cakra (ธรรมจัก)est la roue de la Loi, la roue du Dharma.
Le Dharma désigne communément pour les bouddhistes l’ensemble des enseignements du Bouddha. Il désigne ainsi ce qu’est la sagesse, la discipline mentale et la conduite éthique. La notion de dharma recouvre aussi l’ensemble des phénomènes et la chaîne des causes et des effets qui régit leurs interactions dans le cycle du samsâra : le cycle ininterrompu des renaissances. Plus largement encore, le Dharma désigne la notion de réalité ultime qui s’impose par-delà l’erreur des perceptions coutumières. Lorsqu’après avoir atteint l’Eveil Shakyâmuni décida de transmettre son expérience, d’enseigner les vérités qu’il avait formulées, il mit en marche la roue de la Loi. Il initia une nouvelle dynamique spirituelle et transmit les Quatre nobles vérités lors du sermon de Sârnâth. Ces quatre nobles vérités concernent la vérité de la souffrance et le rejet de l’idée d’un soi permanent ; la vérité des désirs comme origine de la souffrance ; la vérité du nirvâna comme extinction des désirs et de l’illusion d’un soi permanent ; la vérité du chemin à huit branches comme huit prescriptions relatives à l’éthique, la discipline mentale et la sagesse. Dans l’iconographie bouddhique, la roue compte parmi les huit symboles de bon augure. Flanquée de deux gazelles, elle commémore le sermon de Sârnâth, et devient ainsi un des symboles les plus glorieux du bouddhisme. On rencontre souvent la roue de la Loi sur la paume des mains ou sur la plante des pieds des images de Bouddha comme on peut le voir, sur la photo que m'a communiquée Sengdeuane Rattanasamay.
La roue de la Loi a peu de place dans la philatélie lao. Je l’ai cependant trouvée sur le cachet premier jour d’une série de timbres sur Pravet Sandone et sur un timbre de la RDPL (2).
« Ce paragraphe a été presque entièrement copié sur le site du Musée Guimet» nous dit Philippe Drillien.
LES TAMBOURS
Au Laos, il existe plusieurs sortes de tambours, mais, à ma connaissance, deux, seulement, ont une fonction religieuse, un peu comme celle de nos églises (3) :
Le tambour de midi (Kong Phène) est monoxyle, comme tous les tambours de pagode. C’est une portion de tronc d’arbre cylindrique, d’environ un mètre de diamètre, évidée intérieurement et pourvue, à ses deux extrémités, d’une peau de buffle tendue sur lesquelles les moines frappent avec un maillet de bois à tête recouverte d’étoffe pour annoncer l’heure de la prière. Suivant la tradition, les matériaux servant à sa fabrication ainsi que le jour où l’on doit se mettre à le fabriquer doivent être le résultat d’une longue étude faite par le hora (astronome)
Le tambour de bois (Pong) est également façonné dans un tronc d’arbre et sculpté de différents sujets artistiques. Normalement, il sert à annoncer le lever du jour et également à sonner l’équivalent de notre angélus vers 18 heures (4).
LE HANG LIN
Le hang lin est une gouttière servant à l’arrosage des statues de Bouddha, du Roi
...ou des bonzes. Le hang lin comprend trois parties :
- un réceptacle dans lequel les fidèles versent l’eau de l’ondoiement. Ce réceptacle représente un oiseau mythique. Son dos est creusé en forme d’entonnoir et ses longues ailes dissimulent la cavité.
- un canal figurant le corps couvert d’écailles d’un makara (Terme sanscrit désignant un animal marin mythique dont la tête est souvent munie d’une trompe mais évoque celle d’un crocodile dont l’extrémité crache un naga (génie ophidien à tête de serpent. Son culte est en relation avec l’eau) parfois polycéphale, qui constitue…
- …le déversoir placé au-dessus de l’autel d’ondoiement.
LES PARCHEMINS
Au Laos, dès le XVème siècle, les textes religieux sont écrits sur des feuilles de may lan (ไม้ ลาน - latanier). La feuille est d’abord gravée au stylet, puis, avec un chiffon, elle est enduite d’une encre grasse qui pénètre dans la gravure. Il suffit alors d’essuyer avec un chiffon et les lettres gravées apparaissent en noir sur la feuille qui a repris sa couleur d’origine. De nombreux ouvrages ont survécu au passé, certains grâce aux moines qui les ont restaurés ou recopiés.
Les manuscrits sont stockés dans des coffres en bois qui les protègent de la poussière et de l’humidité.
Leur valeur étant souvent inestimable, ils sont placés sous la protection des bonzes qui gardent précieusement les manuscrits et les coffres en bois (ตู้หนังสือธรรม - runangsuetham - coffre aux livres sacrées) dans des ho tray (หอไตร -bibliothèques) (5).
Ces coffres datées du XIXe siècle se trouvent au Musée du temple de That Phanom
Remercions Philippe Drillen de cette érudite contribution à notre blog. Faisant suite aux deux précédents articles de la plume du Capitaine Achard, ce sont de forts utiles compléments aux articles que nous avons consacré à l’architecture religieuse traditionnelle (6).
NOTES
(1) Cette absence totale du « drapeau bouddhique » dans la philatélie lao et également thaïe n’a rien pour nous surprendre, mais Philippe Drillien fait bien d’en signaler l’existence car il est possible quoique peu probable que nous puissiez le rencontrer un jour au Laos ou en Thaïlande car il n’a rien d’universel.
Ce colonel peut-être autoproclamé- on ne sait trop où il aurait gagné ses galons dont la réalité fut contestée par ses détracteurs - était clerc dans une étude d’avoué, plongé tout à la fois dans les milieux spirites où l’on fait tourner les tables, occultistes où l’on fait parler les morts et maçonniques. Il fut le fondateur de la société théosophique qui exerça un temps une certains séduction dans les cercles intellectuels ou prétendus tels souvent plongés dans le syncrétisme. Son histoire fait partie des curiosités et des excentricités de l’esprit humain.
Ce drapeau est - sur le plan de l’art de la vexillologie - une abomination. Un drapeau se doit d’être simple et compris par tous, y compris les enfants et non une accumulation de couleurs représentant des symboles complexes. Tous les petits thaïs savent que dans leur drapeau le blanc représente la foi bouddhiste, le rouge la nation et le bleu le roi.
Tous les petits Laos savent que dans leur drapeau le rouge représente le sang versé pour l’indépendance, le bleu le Mékong et la lune qui surmonte le bleu, l’unité du pays
Si vous cherchez sur Internet « drapeau bouddhiste » (ธงพุทธ) vous serez renvoyé au Drapeau de la roue de la loi (ธงธรรมจัก) qui flotte souvent aux côtés du drapeau national dans les temples bouddhistes.
Les églises catholiques les jours de fête remplacent le fanion bouddhiste par celui du Vatican.
Il en est peut être autrement au Sri Lanka oú l’invention d’un drapeau bouddhique est un élément de la lutte anti colonialiste qui fut violente et souvent animée par un mouvement théosophe. Le pays a d’ailleurs consacré une vignette postale à Olcott en 1967 pour le 60e anniversaire de sa mort
et un autre en 1980 pour le 100e anniversaire de son arrivée à Ceylan ne portant d‘ailleurs pas son drapeau mais la roue de la Loi.
Il est l’auteur d’un ouvrage assez puéril traduit en français « Le bouddhisme selon le canon de l'Église du Sud et sous forme de catéchisme »qui se présente comme « Approuvé et recommandé pour l'usage dans les Ecoles Bouddhistes PAR H. SUMANGALA, Grand-Prêtre de Sripada, Pic d'Adam, et de Galles, Principal du Widyôdaya Parivena, Ecole de théologie bouddhiste »,
un titre impressionnant mais que l’on chercherait en vain dans les sutras primitifs, pour le fondateur de la théosophie à Ceylan qui se distingua en célébrant des cérémonies religieuses pour célébrer l’entrée de Darwin au Nirvana
(2) Elle apparait dans la philatélie thaïe dans la série de vignettes émises en 1957, accompagnant d’autres symboles, à l’occasion du 2500e anniversaire du bouddhisme.
(3) Nous avons consacré deux articles aux antiques tambours de bronze sur le rôle desquels planent des incertitudes
(4) Dans tous les temples sur les deux rives du Mékong on trouve une Ho Rakang (หอระฆัง « la tour de la cloche »). C’est un échafaudage qui comporte deux étages, le premier étage contient le tambour (หลอง) et l’étage supérieur, accessible par une échelle de perroquet les petits tambours ou les cloches.
Voir notre article :
A 214.3 - L’ARCHITECTURE RELIGIEUSE SIAMOISE ET SON HISTOIRE. III - LES AUTRES BÂTIMENTS.
Le tambour donne le son grave thoum et les cloches le son aigu ti. Nous vous avons parlé du système horaire traditionnel siamois. « Ti » sonne les heures de la prière du matin et « Thoum » celle de la soirée.
Nous avons parlé du système traditionnel de computation du temps encore utilisé au quotidien en Isan et probablement au Laos, pas dans les halls de garde évidemment : Il repose sur des constatations de bon sens : notre latitude nous situe entre tropique nord et équateur, la durée de la journée entre lever et coucher du soleil y est donc d’une remarquable constance, de 6 heures du matin (lever du soleil)à 6 heures du soir (son coucher) avec évidemment des décalages de jamais plus d’une heure en fonction des saisons, mais quelle importance ? C’était un peu le ding din dong du clocher de nos églises ou du beffroi de nos mairies que donnait l’heure à nos anciens qui n’avaient ni montre ni horloge et n’en avaient nul besoin.
(5) Ho Trai (หอไตร), littéralement « la tour triple », c’est la bibliothèque des saintes écritures (phratraipitaka - พระไตรปิฏก) qui sont triples (mais en quelques centaines de volumes) d’où le nom (ไตร, c’est trois en sanscrit-pali d’où vient notre chiffre trois). Les plus anciennes sont des constructions en bois sur pilotis sur une pièce d’eau pour éviter les attaques des insectes auxquels les manuscrits traditionnellement sur feuilles de latanier sont sensibles.
Ces manuscrits firent l’objet de deux articles de François de Grailly dans les numéros 112 et 113 de la revue Philao (3e et 4e trimestres 2018) « Les manuscrits traditionnels laotiens ». Ils sont le résumé d’un mémoire publié en 2019.
Nous avons dans un précédent article A 358 parlé de « l’arrivée du bouddhisme de part et d’autre du Mékong » au vu d’un article portant la signature du Capitaine Achard et la présentation de Philippe Drillien, portant le titre « Le Bouddhisme au Laos à travers la philatélie» publié dans un numéro spécial de la revue Philao, le bulletin de l’Association Internationale des collectionneurs de timbres-poste du Laos. Nous vous disions que ce titre n’était qu’en apparence réducteur puisque la philatélie n’est que l’illustration d’un texte qui ne concerne pas seulement le Laos mais également pour une immense partie, l’Isan et pour une grande partie l’ancien Siam. Nous continuons la publication de la suite de la synthèse du Capitaine Achard, une description vivante du bouddhisme en deux chapitres, ses fêtes religieuses et les bonzes et les fidèles. Tout cela date de plus de 60 ans, et depuis, il a coulé beaucoup d’eau dans le Mékong et nous allons portant retrouver des descriptions qui sont toujours au moins partiellement valables au XXIe siècle.
Tout a donc changé au Laos?
Le pays est devenu indépendant en 1954 et a basculé dans le communisme il y a 45 ans. Les gouvernements communistes ont la mauvaise habitude de ratifier des constitutions qui garantissent la liberté des religions avant de les ignorer. Le 5 juillet 2002, le gouvernement lao a publié un décret intitulé «Sur le contrôle et la protection des activités religieuses». Le statut des religions dans la société y est clairement défini dans le texte : «L'unique but des activités d'une religion en République démocratique du Laos ne peut être que d'appuyer et servir le développement du pays» dans la ligne des politiques religieuses chinoise et vietnamienne qui subordonnent les religions aux objectifs définis par l'Etat. Le bouddhisme toutefois qui représente entre 55 et 60 % de la population ne semble pas pâtir de ces mesures contraignantes. Les Laos dominent la vie politique nationale, et les dirigeants politiques laos appartiennent de fait, au moins sur le plan culturel, au bouddhisme theravada. En pratique, cela signifie que les moines bouddhistes et les pagodes ne sont pas soumis aux mêmes restrictions que les membres d’autres religions et autres lieux de culte. Au niveau national, cette proximité entre le bouddhisme et l’État signifie que Sangkharat, le patriarche suprême du bouddhisme au Laos, entretient des relations étroites avec les dirigeants politiques du pays. De même, dans les provinces, il n’est pas rare que des représentants du gouvernement invitent des moines bouddhistes pour bénir de nouveaux bâtiments. Il y aurait dans un pays de 7 millions d’habitants 22.000 moines et plus de 6.000 temples en activité. En dehors de communautés très marginales de chrétiens et de musulmans, les populations des ethnies – nombreuses au Laos sont pour l’essentiel animistes pratiquent des cultes tribaux. Bouddhisme et animisme font bon ménage comme en Isan.
En comparaison, dans la Thaïlande de 70 millions d’habitants et selon l’office national du bouddhisme (สำนักงานพระพุทธศาสนาแห่งชาติ)il y a 41.205 temples bouddhistes dont 33.902 ayant une activité monastique. En 2014 elle comptait 290.015 moines et 58.418 novices. Dans la province de Mahasarakham qui passe pour être la plus profonde de l’Isan profond et qui comporte un moins de 1 million d’habitants répartis dans 1804 villages, il y a 873 temples inventoriés pour 4.679 moines et 701 novices.
Tout a donc changé en Isan?
Région déshéritée il y a 60 ans, dépourvue de moyens de communication, le chemin de fer ne l’a jamais atteinte, les chemins de terre étaient impraticables en saison des pluies, l’électrification n’a commencé que dans le début des années 80, la région vivait en économie de subsistance. Ne la décrivons pas aujourd’hui oú les moindres villages ont accès au Wi-Fi rapide, oú tous pianotent sur leur tablette et tous ont accès pratiquement gratuitement à des dizaines de chaînes de télévision. Cela ne les empêche pas de croire aux fantômes.
Et pourtant, nous retrouvons il y a 60 ans cet aspect du bouddhisme comme nous le connaissons.
Cette omniprésence du bouddhisme explique au moins pour partie même s’il y a d’autres causes, l’échec cuisant de l’insurrection communiste en Isan entre 1965 et 1980 (1) et en corollaire la bienveillance manifestée par les dirigeants communistes du Laos à l’égard du bouddhisme.
Et tout comme au Laos, coexistent deux structures religieuses différentes, l'une animiste ancienne, l'autre bouddhiste.
Reprenons le texte du Capitaine Achard
LES FÊTES RELIGIEUSES
Aujourd’hui, le calme et la prospérité revenus, le villageois tranquille règle sa vie sur le calendrier bouddhique. Qu’il me soit permis de montrer, sur la période d’une année, la vie d’un bon Lao. Commençons à le prendre le jour du Boun Pi May, le nouvel An lao qui se situe entre le 6e jour de la lune décroissante du 5ème mois et le 5ème jour de la lune croissante du 6e mois, c’est-à-dire, aux environs du 14 avril. Grande fête, s’il en est, puisqu’elle dure trois jours en province et huit jours à Luang Prabang. Le Lao l’inaugure en accomplissant, avant toute chose, l’œuvre pie et ardemment souhaitée de laver, nettoyer et parfumer les innombrables statues du Bouddha dans les maisons et les pagodes ; ensuite, se joignant au village, il va au fleuve proche, transporter du sable et édifier des that, geste propitiatoire entre tous puisque chaque grain lave un péché et exauce un vœu (2).
Aussitôt après, c’est la pleine lune du 6e mois, date importante entre toutes, puisqu’elle vit la naissance, l’illumination et la mort du Bouddha. C’est la fête du Boun Bang Faï ou fête des fusées (3). Qui n’a assisté au défilé des fusées et aux danses carnavalesques, frisant, il faut le dire, la pornographie, ne se doute pas de la ferveur qui, alors, transporte les esprits. Il faut, en ce même jour, voir les pieuses processions, conduisant des Naga à l’ordination ou des bonzes à l’ondoiement. (Les Nak ou naga sont des génies ophidiens. Les Lao leur ont consacré de nombreuses légendes et, dans le calendrier Lao, l’Année du Naga remplace celle du Dragon. Le naga est souvent utilisé comme élément décoratif, notamment dans les rampes d’escalier de pagode, dans les hang lin et dans les faitières de toits de pagode) (4).
Il faut regarder à l’intérieur des pagodes les hommes et les femmes accroupis, répéter les Saints Commandements et se prosterner dévotement après chaque péroraison du bonze qui prêche. Dehors, certes, la foule crie et les fusées partent dans des explosions de joie populaire, mais il faut comprendre que ce furent ces fusées qui mirent le feu au bûcher du Très Saint, qu’elles sont signe de joie, car aussi bien la mort est la délivrance et le Bouddha ne fut véritablement paravirvané qu’en se consumant dans le feu. Peu après, c’est le début de la saison des pluies, rappelant aux hommes le prochain recommencement des travaux du cycle agricole.
Par égard pour mes amis Lao, je voudrais rectifier ici la croyance répandue du « dolce farniente » laotien (5). Au Laos, l’industrie est encore inexistante ; chacun doit subvenir à tous ses besoins et dans les campagnes, où les villages vivent en pleine autarcie, la division du travail et la spécialisation sont inconnus. Le Lao forge ou rétame le soc de sa charrue ; c’est lui-même qui en redresse le manche, qui confectionne les brancards et les jougs ; c’est lui qui répare la charrette héritée directement des Khmers d’Angkor et dont la forme n’a pas varié depuis le IIIe siècle ; c’est lui qui fabrique herses et couteaux ; c’est lui qui va dans la forêt chercher les fibres si solides et dont seul il connaît l’essence – dont il fera des cordes pour ses bœufs ou ses buffles ; c’est lui qui en vue des poissons que la pluie rappelle à la vie, doit fabriquer des engins de pêche en bambou, chanvre et ramie. Et c’est encore lui qui répare la toiture qui s’effrite, qui va chercher la paillote de remplacement nécessaire, qui répare le métier à tisser et soigne le buffle malade… Cependant qu’il faut chercher les repas de chaque jour, qu’il faut encore nourrir les enfants et les bonzes.
Or, il n’y a pas de marché au village lao, et domestiques et ouvriers y sont inconnus ; chacun ne peut compter que sur soi-même, tant pour son entretien que pour sa subsistance. J’ajoute que le Lao considérerait comme un péché de manquer de servir un repas à son bonze ou de ne pas lui offrir le padèk (saumure de poisson) des ordinaires misérables (6).
Pour le bonze, il élèvera des poulets et des canards ; les meilleurs fruits et primeurs sont pour le représentant du Bouddha, pour celui qui est la source de tous les mérites entre les morts et les vivants. Faut-il enfin, parodiant La Fontaine, pour faire du Laotien une peinture achevée, outre sa femme, ses enfants et ses moines, invoquer les impôts, les corvées et les travaux de route, les coups de main à donner aux voisins en toutes circonstances, dans l’érection d’une maison comme dans les actes importants des travaux agricoles ? Voilà bien des travaux dont ne se doutent guère ceux qui accusent notre homme de paresse. Toujours avec le sourire le Lao en vient à bout, se levant avec le coq et rentrant à la nuit. N’a-t-il pas, en compensation, le droit, ainsi qu’il l’affirme, de rester à contempler son riz qui pousse au souffle de la brise, en prenant mille coloris suivant les heures du jour ? N’a-t-il pas, non plus, le droit de rêver parfois à la lune ou de musarder au soleil quand ses provisions sont faites, sa maison réparée et son grenier rempli ?
Mais voici le retour des fêtes des disparus, précédé par une cérémonie grandiose qui met tout le village en émoi. Les hommes en pérégrination ont réintégré les pagodes ; celles-ci sont nettoyées, et aussi les maisons et les ruelles des villages. En ce début de saison au cours de laquelle, empêché par la pluie, le Bouddha s’était retiré dans le jardin de Jétavana, chacun tient à faire un retour sur soi-même et, comme les Bonzes qui vont hebdomadairement se livrer à la confession générale, ainsi chaque habitant veille sur sa conscience et travaille à son salut. Je passe sous silence le jour solennel - la pleine lune du 8ème mois - du défilé des cierges et des habits d’offrandes, à l’achat desquels tout le monde a contribué ; mais j’insisterai sur les trois mois de ce carême, ou Vatna, pendant lesquels régulièrement, toutes les semaines, chacun vient faire ses offrandes à la pagode, écouter les prônes et pratiquer les huit Commandements :
• ne tuer ni homme ni bête.
• ne pas prendre ce qui est à autrui.
• ne pas toucher à la femme d’un autre.
• ne pas dire ce qui n’est pas vérité.
• ne pas abuser de ce qui peut enivrer.
• ne pas se nourrir l’après-midi.
• ne pas s’orner ni se parfumer.
• ne pas se coucher sur des matelas ou des lits trop hauts.
C’est au cours du carême qu’ont lieu les deux fêtes des morts, le Ho Khao Pachap Dinh (fin du 9e mois) et le Ho Khao Slak, à la pleine lune du 10e mois.
C’est aussi la période la plus digne, celle où les Lao gardent le plus de retenue. C’est le moment des défilés hebdomadaires des hommes et des femmes de tous âges se rendant à la pagode pour entendre le récit monotone des leçons de morale et la relation des vies du Boddhisatva. Fête des morts, débauche d’offrandes ; cigarettes et chiques de bétel, gâteaux et fruits ; depuis longtemps on est allé chercher les uns, depuis longtemps on a confectionné les autres. En vain la gourmandise des enfants pleure-t-elle après tant de bonnes choses. Leurs mères répondant qu’il ne faut pas se servir avant les bonzes et que toutes ces choses excellentes sont destinées à la soeur ou au frère disparu, aux grands oncles et aux grands-pères qui ne sont plus. Pour comprendre la joie des enfants et la liesse générale de ces deux jours mémorables, il faut se reporter au calendrier chrétien, à Pâques et à Noël. Partout friandises et gâteaux de toutes sortes sont accrochés dans un poudroiement de poussière, il y en a à l’entrée des maisons, dans les pagodes, sur les barrières et même jusque sur les tombeaux…Le Lao en ces deux jours a suspendu tous les travaux champêtres et, mettant en pratique les Commandements du Parfait, médite sur le sens profond de la vie en se livrant à des occupations anodines (7).
Puis c’est la sortie du Carême marqué surtout à Vientiane par les courses de pirogues sur le Mékong (8).
Ensuite vient la fête des reliquaires qui marque l’époque heureuse de la moisson, c’est la fête du 3e mois enfin, pendant laquelle l’homme, libre de tous travaux urgents, se livre sans réserve au plaisir et à la dévotion. Et le quatrième mois arrive, qui ouvre l’époque de la grande charité, les fêtes du Phra Vêt (ou Pravet) le Boddhisatva qui abandonna sa femme, ses enfants et son cheval.
A son exemple, chacun se dépouille et ces fêtes de village n’ont d’équivalent que le Kan Thin, au cours duquel on offre aux bonzes des effets d’habillement. Le Bouddha l’a dit : « La richesse sur terre ne doit être recherchée que juste pour la nourriture de l’individu et les aumônes à faire… à la mort, nul n’emporte avec soi ces biens matériels qu’il serait déraisonnable de trop rechercher ». Fidèle pratiquant, le Lao se contente de peu et fait beaucoup d’aumônes ; à l’envi, il cite des exemples de justice immanente prouvant que le bien mal acquis ne profite jamais.
LES BONZES ET LES FIDÈLES
Mais qui sont donc ces bonzes, si vénérés au Laos ? Ce n’est ni plus ni moins qu’une confrérie de moines ou religieux, vivant selon les règles du Sangha (ou Communauté) qui furent établies au Concile bouddhique de Rajagriha, tenu sitôt après la mort du Maître, Concile qui fut présidé par son disciple favori Ananda, lequel a, par ailleurs, de nombreux traits de ressemblance, avec le saint Jean de l’Evangile. Ces bonzes ne se distinguent des laïcs que par leur tête entièrement rasée ainsi que les sourcils.
Leur costume est composé de trois pièces de cotonnade jaune vif. La première est nouée à la ceinture en long pagne, la deuxième tendue en écharpe sur une épaule, la troisième drapée en toge sur la même épaule tandis que l’autre épaule reste nue. Si les plus vieux, les Chao houa samret ont choisi de rester moine jusqu’à la fin de leurs jours, la plupart n’ont pris l’habit que pour un temps plus ou moins long : de tradition, tout Lao se doit de porter la robe jaune au moins quelques mois. Il s’ensuit qu’un Lao, environ sur dix, est moine. Si l’on met à part une élite qui s’adonne à l’étude des textes en pali, la langue sacrée, celle-là même que, paraît-il, parlaient le Bouddha et quelques bons maîtres d’école, la majorité reste formée d’honnêtes campagnards, qui ont de l’instruction. Pour ce qui est des bonzes temporaires, l’échelle des valeurs vaut à peu près celle des militaires du contingent. Il y a un peu de tout : des princes, des fonctionnaires grands ou petits, des paysans, des citadins et des coolies ; il y en a qui sont munis de titres ou de diplômes européens, d’autres qui ne lisent pas sans peine les paroles du Maître. Il y en a qui s’efforcent d’observer strictement la règle, d’autres qui se contentent de ne pas enfreindre les grandes défenses. Il y a même de doux rêveurs qui, dans les régions riches, se tournent les pouces en attendant qu’on les nourrisse. Le monastère ou Vat est parfois le refuge de pauvres campagnards qui n’ont même pas un lopin de terre - et il n’est pas d’usage au Laos que le paysan se loue, il sert aussi d’abri au citadin chômeur. Nourri, logé, ne payant pas l’impôt, celui-ci attend, pour quitter la robe, de trouver un emploi de gratte-papier ou de planton. S’il a la possibilité de travailler la terre, il croirait déchoir en le faisant ; il attend une place de bureaucrate, poussant à l’extrême la patience bouddhique, satisfait s’il mange à sa faim. Etant donné le nombre accru des monastères et leur encombrement depuis quelques années, il en est, en effet beaucoup où, malgré la générosité des fidèles, le bonze se serre un peu la ceinture.
Il s’agit donc, en ce qui concerne les bonzes, de savoir distinguer non seulement les moines temporaires mais aussi moines volontaires et moines par nécessité. De toute façon il faut reconnaître qu’une fois rentré à la pagode chacun s’efforce de respecter pour le mieux les règles bouddhiques.
Il est vrai aussi que si le Lao a le plus grand respect pour ses bonzes et assure leur subsistance, il les surveille aussi fort étroitement et n’admettrait pas de leur part le moindre manquement à la règle. Le Code Lao est également fort sévère pour les religieux puisque en cas de crime ou délit de leur part, la peine est double de celle d’un laïc et entraîne obligatoirement le dépouillement de l’habit religieux et l’expulsion