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  • : Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
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  Il était une fois Alain, Bernard …ils prirent leur retraite en Isan, se marièrent avec une Isan, se rencontrèrent, discutèrent, décidèrent un  jour de créer un BLOG, ce blog : alainbernardenthailande.com

Ils voulaient partager, échanger, raconter ce qu’ils avaient appris sur la Thaïlande, son histoire, sa culture, comprendre son « actualité ». Ils n’étaient pas historiens, n’en savaient peut-être pas plus que vous, mais ils voulaient proposer un chemin possible. Ils ont pensé commencer par l’histoire des relations franco-thaïes depuis Louis XIV,et ensuite ils ont proposé leur vision de l'Isan ..........

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12 juillet 2017 3 12 /07 /juillet /2017 22:23
DES HOLLANDAIS DU WAT PA KE DE LUANG PRABANG AUX HOLLANDAIS DU TEMPLE DE THAT PHANOM EN ISAN (NORD-EST)

Notre fidèle correspondant et ami, l’érudit Niçois Jean-Michel Strobino, que nous connaissons par de nombreux articles (1), nous livre le résultat de ses recherches sur un sujet qui demeure mystérieux et qui, depuis Luang Prabang au cœur du Laos, va nous conduire sur l’autre rive du Mékong, sur le site de That Phanom, situé entre Mukdahan et Nakonphanom, l’un des lieux le plus sacré du bouddhisme en Isan. Son article a été publié sous le titre « A propos des « Hollandais » du Vat Pa Khe de Luang Prabang »  dans la revue « Philao », numéro 106 du premier trimestre 2017, Bulletin de l’Association internationale des collectionneurs de timbres-poste du Laos. Nous le reproduisons avec son aimable  autorisation et celle de Monsieur Philippe Drillien son Président, nous les en remercions (2).

Parmi les nombreux monastères que compte le centre historique de Luang Prabang, le Vat Pa Khe est certainement l’un des plus originaux.

DES HOLLANDAIS DU WAT PA KE DE LUANG PRABANG AUX HOLLANDAIS DU TEMPLE DE THAT PHANOM EN ISAN (NORD-EST)

En plus des motifs décoratifs habituels que l’on rencontre dans tous les édifices religieux du Laos (compositions florales ou animales, arabesques, divinités ou princes, têtes de monstres ou de dragons, scènes tirées du grand poème épique de Pra Lak Pra Lam…), ce monastère abrite quelques représentations plus inattendues. En effet, certains des personnages sculptés qui ornent les vantaux de portes du vihan sont d’origine européenne : ceux de la façade orientale montrent des marchands hollandais en costume du XVIIe siècle et ceux de la façade nord des Italiens, probablement des pères jésuites.

DES HOLLANDAIS DU WAT PA KE DE LUANG PRABANG AUX HOLLANDAIS DU TEMPLE DE THAT PHANOM EN ISAN (NORD-EST)

Ces représentations ont valu au Vat Pa Khe le surnom de « pagode des Hollandais ».

 

L’origine de ces étranges portraits a suscité de nombreuses questions de la part de tous ceux qui se sont intéressés au problème depuis la fin du XIXe siècle : explorateurs, historiens de l’art laotien ou spécialistes locaux. Leurs interprétations ont soulevé une controverse, aujourd’hui toujours ouverte, à laquelle même notre revue a pris part dans deux articles (Philao n°14, août 1975 et n°15, octobre 1975).

 

A mon tour j’ai souhaité me pencher sur la question et y apporter ma part de réponse. En relisant avec beaucoup d’attention les différents textes qui abordaient le sujet et après les avoir mis en parallèle, j’ai découvert quelques éléments jusque là peu exploités qu’il m’a paru intéressant de présenter dans cet article. J’espère que cette contribution ouvrira de nouvelles pistes de réflexion pour permettre d’enrichir ce passionnant débat.

 

Les étrangers du Vat Pa Khe

 

Le Vat Pa Khe a été construit vers 1853 sur ordre de Chantharath, roi de Luang Prabang. C’est un bel exemple de la richesse et de la variété de l’art décoratif lao. En particulier les motifs de boiseries sculptées, vantaux de portes ou de fenêtres, dénotent une richesse de décor exceptionnelle.

 

DES HOLLANDAIS DU WAT PA KE DE LUANG PRABANG AUX HOLLANDAIS DU TEMPLE DE THAT PHANOM EN ISAN (NORD-EST)

Soucieux d’éviter la monotonie dans l’ornementation, ceux qui ont participé à la décoration du monastère ont fait preuve d’une grande créativité en laissant libre cours à leur esprit d’imagination. Ils n’ont pas hésité à s’inspirer d’influences et d’éléments étrangers qu’ils ont intégrés de manière habile et quelquefois originale aux représentations animales, végétales ou humaines plus classiques.

 

Dans son ouvrage L’art décoratif au Laos (Arts asiatiques, tome IX, P.U.F., 1964) Henri Marchal insiste sur le raffinement de la décoration des vantaux sculptés des portes de pagodes au Laos « où l’art de ce pays a réalisé ses plus belles conceptions. »

 

Il explique que ces vantaux sont le plus souvent composés par « un personnage au costume somptueux qui se dresse debout sur un animal plus ou moins fantastique, encadré dans un réseau d’entrelacs et de fleurons.»

 

Au Vat Pa Khe les vantaux sculptés de personnages étrangers sont la preuve de la volonté des artistes locaux d’enrichir en permanence la décoration, y compris par des apports exotiques inspirés de la lointaine Europe.

 

Ces portraits, reproduits dans tous les ouvrages qui traitent de Luang Prabang ou de l’art du Laos, sont suffisamment célèbres pour que je me limite ici à une description sommaire.

 

Les « Hollandais » : Les vantaux de la porte sud de la façade orientale du vihan représentent deux Occidentaux se tenant debout sur des gazelles dans un décor de palmiers stylisés en arrière-plan. Ils tiennent une longue pipe à la main, portent un chapeau à plumes à haute calotte (ou haute-forme) et larges rebords et des costumes semblables à ceux que portaient les marchands hollandais de la Compagnie des Indes orientales au XVIIe siècle. Ils pourraient rappeler le souvenir des membres de la mission commerciale ordonnée par le gouverneur-général de la Compagnie et conduite par Gerrit Van Wuysthoff, qui furent les premiers Européens à atteindre Vientiane en 1641.

DES HOLLANDAIS DU WAT PA KE DE LUANG PRABANG AUX HOLLANDAIS DU TEMPLE DE THAT PHANOM EN ISAN (NORD-EST)

Photos : Suzette Schoebitz

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Les « Italiens » ou « Vénitiens » : les deux personnages qui figurent sur la porte occidentale de la façade nord du vihan portent des habits de style italien. Si l’on en juge par la culotte bouffante et le petit bonnet ou chapeau plat sur le haut du crâne, il pourrait s’agir des premiers Jésuites (vénitiens ou piémontais) envoyés en mission au Laos au milieu du XVIIe siècle, dont le plus célèbre est le père Giovanni Maria Leria.

DES HOLLANDAIS DU WAT PA KE DE LUANG PRABANG AUX HOLLANDAIS DU TEMPLE DE THAT PHANOM EN ISAN (NORD-EST)
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Rappelons toutefois qu’il est peu probable que Van Wuysthoff ou le père Leria se soient rendus à Luang Prabang au cours de leurs voyages respectifs au Laos.

 

Autres descriptions et illustrations d’étrangers dans l’imagerie locale

 

Au Laos et au Siam, la présence d’étrangers dans l’ornementation locale est rare, hormis dans quelques sites particuliers. C’est Francis Garnier qui, le premier, en mentionne l’existence dans une pagode qu’il visite au cours de la célèbre mission d’exploration du Mékong à laquelle il participe de 1866 à 1868. Dans la publication officielle de l’expédition (Voyage d’exploration en Indo-Chine effectué par une commission française, tome I, 1873), il signale des fresques à l’intérieur d’un sanctuaire de la rive siamoise du fleuve, sur lesquelles figurent des Occidentaux :

 

« Peu Nom, (transcription  actuelle Phanom – พนม) où la Commission arriva le 22 février 1867, est un village important situé sur la rive droite du fleuve, à une trentaine de milles de Ban Mouk, vis-à-vis de l’embouchure du Sé Bangfay. C’est un lieu célèbre dans tous le Laos inférieur par le sanctuaire qu’il possède (…) La pagode est construite dans le style des temples siamois modernes et les murailles sont couvertes de fresques représentant les sujets les plus variés. De chaque côté de la porte d’entrée sont deux figures représentant un seigneur européen et sa femme en grand costume du seizième siècle ; l’original de ce dessin aurait été offert à une ancienne pagode, jadis construite sur l’emplacement de celle-ci, par l’ambassadeur hollandais Wusthof… »

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Dans la version détaillée de sa relation de voyage qu’il rédige pour le journal Le Tour du Monde (années 1870, 1871, 1872 et 1873), la description de ces fresques est encore plus précise :

 

« Mais revenons à la pagode de Peunom. Nous en visitâmes l’intérieur. Les murailles sont couvertes de fresques semblables à celles de la plupart des pagodes de Bangkok et figurant les sujets les plus divers, mystères religieux, combats singuliers, palais célestes, dieux ou mandarins en promenade, enlèvements de princesses, supplices infernaux (…) lions, tigres, éléphants, dragons (…) et une foule d’autres animaux fantastiques. Nous remarquâmes particulièrement de chaque côté de la porte d’entrée deux figures représentant un seigneur du seizième siècle et sa femme en grand costume ; on nous assura que cette peinture n’était que la reproduction d’une autre plus ancienne de la vieille pagode. L’original avait été offert par un ambassadeur hollandais envoyé vers 1641 en mission à la ville capitale de Vien Chan, située un peu plus haut sur le fleuve, et les bonzes l’avaient soigneusement conservé en souvenir de son passage. »

 

Dans chacune des publications, ces passages sont illustrés par la même gravure, d’après un dessin de Louis Delaporte, qui représente un noble gentilhomme vêtu dans le style hollandais du XVIIe siècle.

 

En 1877, au cours de l’une de ses nombreuses missions scientifiques le long du Mékong, au cœur du Laos, le docteur Harmand remarque lui aussi sur la porte de la même pagode ces fresques mettant en scène des Occidentaux (Le Tour du Monde, années 1879, 1880) :

 

« Le 30 avril au soir, à la nuit faite, j’arrivais à Peunom, célèbre dans tout le Laos par sa vieille pagode et sa bonzerie. Dès le lendemain matin, j’escaladai la berge pour aller visiter le monument (…) L’intérieur, très sombre, est couvert de fresque dégradées (…) Les volets et les baies des fenêtres sont décorés de personnages presque de grandeur naturelle représentant des Chinois, des Birmans et aussi des Européens. J’ai trouvé là, pour mon compte, le marquis classique, avec son tricorne, sa perruque poudrée, son jabot de dentelles, sa culotte et ses bas bien tirés, copié sans doute sur quelque vieille image rapportée de Bang-kôk il y a bien longtemps… »

 

Lors de son passage à Peunom en juillet 1894, Auguste Pavie semble ne pas avoir remarqué les fresques : « … nous stationnons à Peunom, le pays du sanctuaire le plus célèbre du Laos, devant le confluent du Sé-bang-hien… » (Mission Pavie Indo-Chine, tome II, Ernest Leroux, 1906).

 

La pagode de Peunom décrite par Garnier, Harmand et Pavie correspond à l’actuel Wat Phra That Phanom, un temple très populaire situé sur la rive droite du Mékong, dans la province thaïlandaise de Nakhon Phanom, en face de la confluence de la rivière Xe Bangfai (côté laotien). Chaque année en février, s’y déroule un célèbre festival qui attire pendant une semaine des milliers de pèlerins.

 

Ce temple a été construit au XVIe siècle par Setthathirath, roi de Lane Xang. Le bâtiment principal, en mauvais état, s’est effondré en 1975 à la suite de fortes pluies. Il a été entièrement reconstruit en 1978 mais les fresques d’origine n’existent plus...

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D’autres temples en Thaïlande possèdent des fresques où figurent des portraits d’étrangers, en particulier le Wat Phumin. Cette pagode de la vallée de Nan (dont la partie orientale fut cédée à la France en 1893) a été fondée en 1596 et restaurée vers la fin du XIXe siècle sous le règne de Chao Ananta. Elle est célèbre pour ses peintures murales réalisées en 1894 par l’artiste laotien Thit Buaphan, dont plusieurs représentent des Occidentaux.

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Etranges comparaisons

 

Prenons le temps de rapprocher les rares illustrations d’étrangers qui sont parvenues jusqu’à nous et comparons-les avec les sculptures des vantaux du Vat Pa Khe.

 

On est frappé par la ressemblance entre l’image du gentilhomme figurant sur les fresques de la pagode de Peunom et les marchands hollandais du monastère de Luang Prabang.

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Bien sûr on constatera certaines différences dans leur représentation qui peuvent s’expliquer de plusieurs manières :

  • les techniques utilisées ne sont pas les mêmes : les peintures exécutées a tempera sur des surfaces sèches de temples permettent d’apporter plus de nuances et de détails que la technique de la sculpture sur bois,
  • l’époque à laquelle a été réalisée chaque œuvre : près de deux siècles séparent les deux représentations (XVIIe et XIXe siècles),

- il faut aussi prendre en compte les influences artistiques propres aux différentes sphères culturelles concernées : Isan, Lan Na, Luang Prabang.

 

Néanmoins, malgré quelques disparités, on imagine facilement que l’artiste qui a sculpté les Hollandais de Luang Prabang ait pu être inspiré par le personnage peint sur les murs de Peunom avant son effondrement.

 

On pourrait, de la même manière, trouver aussi quelque ressemblance entre ces missionnaires du Wat Phumin et les « Vénitiens » de Luang Prabang.

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Où les artistes locaux ont-ils puisé l’inspiration qui leur a permis de reproduire avec autant de précision ces Occidentaux que pourtant peu de Laotiens avaient eu l’occasion de côtoyer ?

 

H. Parmentier dans L’Art du Laos (A. Maisonneuve, 1955) et P. M. Gagneux alias Tao Boun Souk dans Louang Phrabang, 600 ans d’art bouddhique lao (Bulletin des amis du Royaume Lao, 1974) ont avancé l’hypothèse, pour ce qui concerne les étrangers du Vat Pa Khe, que l’artiste avait pu s’inspirer de « nobles étrangers européens » figurant sur des estampes chinoises des XVIIe et XVIIIe siècles. Il existe en effet dans la production artistique chinoise (mais aussi japonaise qui en a fait un style spécifique appelé nanban-e) de nombreuses représentations de personnages occidentaux ayant pu servir de modèle.

 

Cette hypothèse est la plus fréquemment admise parmi les spécialistes. Elle semble sérieuse et logique, si l’on considère la proximité géographique et les liens privilégiés qu’ont toujours entretenus le royaume de Lane Xang et l’Empire chinois.

 

Cependant, cette explication me laisse quelque peu perplexe. Comment imaginer que des artistes lao aient pu atteindre un tel degré de réalisme dans la représentation d’étrangers en ayant pour seuls modèles des portraits d’Occidentaux que les estampes chinoises avaient sans doute déjà adaptés à leur style ? La copie de la copie d’un original est rarement fidèle !

 

Et si leur source d’inspiration venait d’ailleurs ? Si les personnages étrangers du Vat Pa Khe avaient été inspirés par d’autres modèles, plus « authentiques » que ceux provenant des estampes chinoises ?

 

La « piste hollandaise »

 

Selon P. M. Gagneux, les premiers Européens qui ont visité le Laos au milieu du XVIIe siècle n’ont pas marqué durablement la mémoire locale au point de figurer sur des vantaux d’un monastère royal, encore moins à Luang Prabang où l’on pense qu’ils ne se sont jamais rendus.

 

Aujourd’hui, je me permets de remettre en question cette affirmation. En effet, d’après mes dernières recherches sur les étrangers du Vat Pa Khe, je suis convaincu que les Hollandais qui ont visité le Laos au XVIIe siècle ont laissé plus de traces qu’on ne l’imagine.

 

On leur doit tout d’abord le premier texte significatif dont on dispose sur le Laos : la relation de voyage du marchand Gerrit Van Wuysthoff qui a dirigé la fameuse mission commerciale envoyée par la Compagnie des Indes orientales au Laos entre 1641 et 1642. La traduction française la plus complète et la plus fidèle a été faite par Jean-Claude Lejosne (Le journal de voyage de Gerrit Van Wuysthoff et de ses assistants au Laos, Cercle de culture et de recherches laotiennes, Paris, 1986). Ce remarquable ouvrage, enrichi de nombreux commentaires et notes, m’a été fort utile pour ce travail.

 

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C’est en relisant attentivement la traduction du récit d’origine de Van Wuysthoff qu’un détail a attiré mon attention. Il y est mentionné que les membres de l’expédition offraient toutes sortes de présents aux notables locaux (princes, prêtres, fonctionnaires…) rencontrés sur leur parcours, ainsi que le voulait la coutume. Ces cadeaux avaient pour but de les remercier pour leur hospitalité mais aussi de s’attirer leurs bonnes faveurs. Ils permettaient en plus de stimuler de nouveaux marchés, face à la concurrence acharnée des Portugais et des Anglais dans la région.

 

Les objets offerts par les marchands hollandais étaient essentiellement des produits textiles (pièces de mousseline, satin, cotonnade ou damas), mais aussi quelques produits plus précieux (bijoux, ambre, corail) ou plus insolites comme des longues-vues ou encore des « miroirs-livres ».

 

Intrigué par ce dernier objet, j’ai essayé d’en savoir plus mais il est malheureusement très difficile  de trouver le moindre renseignement ou illustration sur le sujet.

 

J.-C. Lejosne explique dans son ouvrage que le terme est la traduction littérale du néerlandais « boeckspiegeltjen ». Il s’agit de deux ou trois glaces reliées par des charnières et dans lesquelles les images sont démultipliées. Ce produit qui venait de Nuremberg était un cadeau très apprécié à l’époque pour son côté original, voire magique. En effet, sous l’effet combiné des différents miroirs et suivant l’angle qu’on leur donnait, les images ou personnages étaient reproduits à l’infini, créant une certaine fascination pour ce gadget avant l’heure. Ces miroirs-livres, quelquefois dénommés « curiosités de Nuremberg », ont longtemps été utilisés comme monnaie d’échange par les explorateurs hollandais ou allemands durant leurs expéditions.

 

Ainsi, le récit de Van Wuysthoff nous apprend qu’un grand nombre de ces miroirs-livres ont été distribués par les marchands hollandais au cours de leur voyage le long du Mékong, entre Phnom Penh et Vientiane. J’ai relevé pas moins de dix passages où il en est fait mention, parmi lesquels :

 

Le 8 août 1641 : « …l’après-midi les capitaines laotiens se sont présentés au Radia Pourson (sorte de prêtre suprême) de Sambabour (Sambor au Cambodge ?) et ont marqué leur respect en offrant une pièce de bétille (mousseline) blanche et un petit miroir-livre… »

 

Le 10 août 1641 : « Nous avons été invités avec tous les capitaines chez le Tévinia (administrateur civil placé sous les ordres du Radia Pourson) et, selon la coutume, nous lui avons fait l’honneur de lui offrir un petit miroir-livre. En retour, il nous a offert du riz, du poulet et de l’arak… »

 

Le 23 septembre 1641 : « Nous sommes arrivés dans l’après-midi à Oknum (actuelle Pak Moun). Un Tévinia nous a offert des poulets, des noix de coco, du riz et autres nourritures. Nous avons marqué notre gratitude en offrant un petit miroir-livre. »

 

Le 19 décembre 1641 : « Puisque je dois me préparer à quitter demain Vientiane, j’ai pris des dispositions envers le Tévinia Tahom, puisque c’est lui qui est intervenu auprès du roi et des nobles et qui s’est donné beaucoup de peine. Par l’intermédiaire de notre interprète, et comme c’est la coutume, je lui ai offert une pièce de damas rouge, une paire de bétilles et deux petits miroirs-livres. J’ai également donné au Napra (fonctionnaire subalterne) qui avait été chargé par Sa Majesté de faire monter la garde par quatre esclaves devant nos quartiers pour empêcher les importuns de pénétrer chez nous et aussi pour servir de commissionnaire à chaque fois qu’il était nécessaire, une pièce de madop (cotonnade servant à faire des vêtements) et un petit miroir-livre. Enfin, à chacun des esclaves, j’ai offert un miroir-livre de même type. »

 

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Enfin, voici le passage qui a le plus attiré mon attention car il concerne le site de Peunom que nous avons déjà évoqué plus haut :

 

Le 16 octobre 1641 : « Nous sommes arrivés l’après-midi à Pha Panom, un gros village où réside le Radia Talempoy. Sur avis des capitaines, nous sommes allés le saluer et lui avons offert un petit miroir-livre. Nous n’étions pas du tout obligés de le faire, mais nous voulions uniquement lui montrer que nous respectons les coutumes locales… »

 

Ce témoignage confirme donc ce qu’écrivait 226 ans plus tard F. Garnier dans Le Tour du Monde (voir p. 5) à propos de l’origine du fameux seigneur hollandais représenté sur les murs de la pagode de Peunom. C’est bien l’image contenue dans le miroir-livre offert par les membres de la mission hollandaise qui, conservée précieusement par les bonzes, a servi plus tard d’inspiration à un artiste-peintre pour représenter des étrangers sur des fresques.

 

Et s’il en était de même pour les Hollandais du Vat Pa Khe ?

 

On pourrait ainsi imaginer qu’un des nombreux miroirs-livres donnés par Van Wuysthoff et ses assistants ait été ramené à Luang Prabang par celui qui l’avait reçu. Puis, il aurait été soigneusement rangé dans la bibliothèque d’un monastère où il serait resté longtemps à l’abri des regards, à moitié oublié. A la construction du Vat Pa Khe en 1853, lorsqu’on a confié à un artiste local le soin de sculpter des étrangers pour diversifier la décoration du monastère, quelqu’un s’est alors souvenu qu’un vieil objet contenant l’image d’un Européen reposait sagement quelque part depuis plus de deux siècles…

 

Le modèle était bien plus fidèle que ceux qui illustraient les estampes chinoises.

 

Désormais, il ne reste plus qu’à retrouver un de ces miroirs-livres pour confirmer la « piste hollandaise » !

 

©Jean-Michel STROBINO

Nice, Novembre 2016

 

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QUELQUES OBSERVATIONS

 

• Malgré des recherches que nous avons menées sur le site de That Phanom, il nous a été impossible de retrouver la moindre reproduction de l’intérieur du sanctuaire. Le petit musée situé à l’extérieur du Chedi ne contient que des photographies ou gravures de l’extérieur avant et après l’écroulement et aucun des ouvrages vendus non plus. Ce temple est inconnu des guides de Claudius Madrolle qui aurait pu le visiter avant son effondrement ?

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• La fascination des Lao-siamois pour ces miroirs dépliants s’explique : La fabrication du verre est un art difficile, celui du verre à vitre plus encore et celui du miroir au mercure beaucoup plus encore. Les ambassadeurs du Roi Naraï ont été fascinés par la galerie des glaces, qui constitua alors une exceptionnelle prouesse technique, et par la visite des miroiteries d’Orléans. La Loubère nous dit ? (tome I de 1691, page 270) « ils n’ont ni cristal fondu ni verre et c’est une des choses qu’ils aiment le mieux. Le roi de Siam trouvait fort à son gré ces verres taillés à facettes qui multiplient un objet ; et il demandait des vitres entières avec cette même propriété… ». Qu’entendait-il par « verre à facettes » ? Les secrets des verriers de Venise-Murano-Altare sont venus très tardivement chez nous, à l’époque du Roi René en Provence, ceux de Bohème dans l’Est probablement à la même époque ainsi que dans les Flandres et le verre est longtemps resté une denrée précieuse. Jusqu’à quelle époque il n’y avait pas de verre à vitre dans nos campagnes mais du papier huilé et le seul miroir était celui du barbier du village ?

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Aujourd’hui encore, les maisons traditionnelles ici comportent souvent des fenêtres sans vitre avec volets ! Les  Hollandais ont donc vite dû s’apercevoir que ces miroirs à plusieurs faces fascinaient les Laos et les Siamois et, avec le sens du commerce qui les caractérise, en inonder le marché ! A cette époque, on pouvait acheter une colonie avec de la verroterie : Jacques Savary des Bruslons dans son « Dictionnaire universel de commerce, contenant tout ce qui concerne le commerce qui se fait dans les quatre parties du monde » (tome I, V° « Afrique » pp. 665-674) publié en 1744 donne quelques conseils pratiques sur la manière de négocier avec les africains notamment pour les achats de « nègres, négrillons et négrillonnes » : Les Portugais, alors spécialisés dans ce triste négoce payent souvent partie de la marchandise en « miroirs », « miroirs à coulisse » « miroirs pliants » qui paraissaient aussi prisés que les armes blanches et les outils. L’ouvrage est malheureusement muet sur l’Asie.

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• Jean- Michel Strobino, toujours infatigable curieux, va-t-il vers de nouvelles découvertes bien qu’il se heurte provisoirement à un certain goût du secret ! Voici ce qu’il nous a livré le 27 mai 2017 « J'ai appris lors de mon dernier séjour à Luang Prabang qu'il existait dans les réserves du Musée national (ancien Palais royal) de Luang Prabang un petit meuble de style cabinet d'écriture qui aurait été donné par Gerrit Van Wuysthof au roi Suryavongsa et sur lequel figure des portraits de Hollandais. Ce meuble se trouve dans la salle de lecture du dernier roi Sisavang Vatthana qui n'est malheureusement pas ouverte à la visite publique et où il est interdit de prendre des photos. Je ne désespère pas d'obtenir un laissez-passer et une autorisation de photographier afin de pouvoir comparer ces représentations avec celles du Vat Pa Khe ». A suivre …

 

Et un avis de recherche … Y-a-t-il parmi nos lecteurs et lectrices, notamment ceux qui ont des affinités passées ou présentes avec le Laos quelqu’un qui aurait la chance de détenir une photographie ou une illustration de ce cabinet d’écriture ? Merci d’avance.
 

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(3) Peinture murale du temple de Wat Phumin (วัดภูมินทร์) à Nan : La scène ici reproduite est évidemment l’incident de Pak Nam en 1893.

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commentaires

V
C'est une vérité que je ne le connais pas! Merci pour votre article! Je vais visiter laos dans un jour!
Répondre
G
Bon voyage !