9. Les relations franco-thaïes :
L’abbé François-Timoléon de Choisy ? Ange ou démon ?
La vision de Pierre Larousse qui lui consacre dans son Grand Larousse du XIXème une longue notice est très éloquente sur le personnage :
« Il reçut une éducation tout à fait efféminée qui devait nécessairement le rendre impropre aux grandes choses et développer en lui ces idées de galanterie et d’élégant libertinage qui nous ont valu tant de madrigaux et de fleurette. Choisy fut donc un abbé de Cour, et même autre chose, une coquette qui avait mille fois plus de goût pour les mouches et les rubans, mille fois plus de désir de plaire que les coquettes de profession... »
Travesti, dévoré par la passion du jeu, croqueur d’héritages, voyageur au long cours, prêtre dévot, académicien tout à la fois.
Il nait à Paris le 16 août 1644 où il meurt le 2 octobre 1724.Sa famille est de récente noblesse de robe. Il est dernier fils de Jean de Choisy, un conseiller d’État, intendant du Languedoc, chancelier de Gaston d'Orléans, et de Jeanne-Olympe Hurault de L'Hospital (qui est une petite-fille de Michel de L'Hospital et surtout une intime de Marie de Gonzague, reine de Pologne).
Le petit Timoléon, très vite orphelin de père, reçoit une éducation singulière. Sa mère joua son rôle chez les « précieuses » du XVIIème. Elle est mondaine, élégante, spirituelle, légère et frivole, elle l'habille en fille, poudre, fards, mouches et diamants... et ce jusqu’à l’âge de dix-huit ans, pour faire sa cour à la reine Anne d'Autriche et l’introduire dans l'entourage du jeune frère de Louis XIV.
Le ciel l’a pourvu d’une jolie figure, il joue le jeu. Il s’initie aux joies troubles du travesti que partage « Monsieur ». Il étudie avec plus ou moins de passion la théologie en Sorbonne de 18 à 22 ans, étude, au terme desquels il obtient le titre d'abbé et les revenus temporels liés à l'abbaye de Saint-Seine en Bourgogne. Sa mère lui disait : « Écoutez, mon fils ; ne soyez point glorieux, et songez que vous n'êtes qu'un bourgeois. Je sais bien que vos pères, que vos grands-pères ont été maîtres des requêtes, conseillers d'État; mais apprenez de moi qu'en France on ne reconnaît de noblesse que celle d'épée. La nation, toute guerrière, a mis la gloire dans les armes: or, mon fils, pour n'être point glorieux, ne voyez jamais que des gens de qualité »
Abbé de cour, abbé mondain, il se pare de splendides robes, de diamants et de mouches pour séduire des jeunes personnes délurées qu'il habille en garçons. Se faisant appeler la « Comtesse de Barre », il est protégé du scandale et des poursuites par son amitié avec le frère du roi. Jusqu’à quel point ? Il ne craint pas de dire « j’avais des amants à qui j’accordais de petites faveurs, fort réservé sur les grandes ». Libre à chacun d’interpréter à sa façon ! Il est fort probable en tous cas que d‘une liaison avec une actrice, il ait eu une progéniture. Il est en outre pris par le démon du jeu.
Dès la mort de sa mère, en 1669, le jeune abbé (mais il n’a pas encore reçu les ordres) aggrave ses habitudes et transforme sa soutane en toilette de femme à la mode. Il règle rapidement la question d’héritage avec ses trois frères en se contentant de ses bijoux. Si Louis XIV ne fait pas encore profession d’une dévotion rigide, il lui fait tout de même savoir son mécontentement. Il part alors en Italie où il continue ses turpitudes de plus belle ce qui ne l’empêche pas d’être à Rome le conclaviste du Cardinal de Bouillon quand le Pape Innocent IX fut élu ! A Venise, il se ruine au jeu. En 1683, il trouve son chemin de Damas. A l'approche de la quarantaine, il tombe soudain malade et frôle la mort. Une fois guéri, décidé à changer de vie, il se retire un an au séminaire des Missions étrangères, rue du Bac sur les instances de l’abbé de Dangeau. Il publie alors en 1684 en collaboration avec celui-ci son premier ouvrage : Quatre dialogues sur l’immortalité de l’âme, l’existence de Dieu, la providence, la religion.
L’ abbé de Choisy au Siam
La publication de ces pieux ouvrages ne lui suffit pas ! Il veut se montrer ardent propagateur du catholicisme. Il demande alors au Roi de faire partie de l’ambassade de Siam, l’ambassade est pourvue, on crée donc pour lui le titre de coadjuteur. Fuyait-il ses créanciers de jeu ? Possible. Possible aussi que dans l’hypothèse de la conversion du Roi Naraï, Louis XIV ait voulu adjoindre à Chaumont une personne ayant quelques connaissances théologiques ?
L’ambassade de Siam a été organisée dans la foulée de la révocation de l’Edit de Nantes et l’abolition du code noir sur l’abolition de l’esclavage en 1685 ce qui explique que ni lui ni Chaumont ne relatent leurs acquisitions d’esclaves que raconte Nicolas Gervaise qui n’avait pas de motifs d’avoir ces pudeurs (Histoire de Macassar). Bien que le code noir n’ait pas eu beaucoup de diffusion et ait été publié après le départ de l’ambassade, il est peu vraisemblable que l’ambassadeur et son « coadjuteur » l’aient ignoré aussi ont- ils préféré omettre cet achat dans leurs écrits !
Parti pour d’autres aventures au sein de la fastueuse ambassade du très Chrétien Louis XIV, il est ébloui par l'exotisme de ce lointain royaume, et toujours pris de ferveur religieuse, s'y fait ordonner prêtre par Louis Laneau, évêque de Métellopolis, le 10 décembre 1685.
De tous les mémoires des participants à cette expédition, seul le pétillant texte de Choisy sera un succès de librairie : de 1686 à 1690, de nombreuses éditions à Paris et Amsterdam et une après sa mort en 1741, et toujours encore aujourd’hui. On admire dans son texte l’ironie et le naturel, jamais il ne prend la position d’un membre de l’ambassade où son rôle fut modeste mais où il a su se créer la fonction de coadjuteur qui n’a jamais existé que pour lui.
Le succès lui ouvre une nouvelle carrière, littéraire celle-là. Dans son cabinet, toujours habillé en femme, il découvre alors le bonheur d'écrire : livres d'histoire, ouvrages édifiants.
Il a connu une période voluptueuse, une parenthèse missionnaire, le voilà homme de lettre.
Il rédige, toujours habillé en femme jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans, un certain nombre de travaux historiques et religieux, nous lui devons ainsi une Interprétation des Psaumes avec la Vie de David, en 1687, un Recueil de plusieurs pièces d'éloquence et de poësie présentées à l'Académie française pour les prix de 1687, donnés jour de S. Louis de la mesme année, avec les discours prononcés le mesme jour (par MM. l'abbé de Choisy et de Bergeret) à la réception de M. l'abbé de Choisy en la place de M. le duc de Saint-Aignan, toujours en 1687, La Vie de Salomon, la même année, une Les Pensées chrétiennes sur divers sujets de piété, en 1688, une volumineuse Histoire de France sous les règnes de Saint Louis… de Charles V et Charles VI, publiée entre 1688 et 1695 etc... sans compter une gigantesque histoire de l'Église publiée entre 1703 et 1723 en 11 volumes. La somme en la matière était – et reste – l’ « Histoire ecclésiastique » de Fleury. Comparant les deux ouvrages, une langue de vipère en a dit « l’histoire de Choisy est fleurie, celle de Fleury est choisie. » Lui même n’est pas dupe, il sait l’art des bons mots et écrit à propos de ce pavé : « Grace à Dieu, j’ai terminé mon histoire de l’église, je vais maintenant pouvoir l’étudier ! » Une autre langue de vipère en a dit « le dernier tome se ressent de l’âge avancé dans lequel il l’a écrit ! ». Il a un sens de l’humour au second degré qui fait ma joie : débiteur à l’égard d’une marquise d’une somme de 50 louis d’or perdue au pharaon ou au tric trac, il lui envoie les 11 volumes de son histoire « pour la faire patienter ».
La littérature ne retiendra guère de lui que sonJournal du voyage de Siam fait en 1685 et 1686 !
Il est élu à l’académie française en 1687 au 17ème siège où l’on retrouvera Émile Littré, Louis Pasteur et Jacques-Yves Cousteau. Son discours de réception ne mérite pas d’être rapporté, il n’est qu’un panégyrique de la politique de Louis XIV à l’égard des protestants et un monument de flagornerie. Pas mieux au demeurant que son éloge prononcé par son successeur, un austère magistrat du nom d’Antoine Portail qui n’a laissé aucune trace dans la littérature.
Il y eut de son vivant un « mini » scandale à l’académie : La Bruyère fut candidat dès 1691, appuyé par le parti des « Anciens » contre les « modernes ». Elu en 1693, il prononça son discours de réception un mois plus tard et se singularisa en louant, comme le veut la tradition, le Cardinal de Richelieu et le corps qui le recevait mais aussi sous forme de portraits des membres qui l’avaient soutenu. Certains académiciens qui n’avaient pas été cités dans le panégyrique prirent ombrage de ce traitement inégalitaire. La maladresse de La Bruyère fut aggravée par la publication d’une longue Préface à son discours, qui entretenait la polémique, à la suite de quoi l'Académie décida qu'un nouvel article serait ajouté aux statuts, obligeant le récipiendaire à soumettre son discours à une commission d'académiciens, avant de le prononcer.
Choisy meurt octogénaire, doyen de l'Académie française, en 1724. Au soir de sa vie, il gardait sa bonne humeur et, bravant les tabous, confiait à sa plume alerte Les Aventures de l'abbé de Choisy habillé en femme. L’ouvrage posthume lui est attribué à tort ou à raison.
Il a vécu plusieurs vies, homme, femme, toujours dans les extrémités, plongé ou dans la bagatelle ou dans le jeu ou dans les études. Estimable par un courage qui l’a conduit au bout du monde et méprisable par des coquetteries de petite fille. Dans tous ces états, il s’est toujours laissé guider par le plaisir. Aimé et estimé de tous, il aurait pu parvenir, né aux marches du trône, à une brillante fortune s’il avait eu meilleure conduite. « Dieu ne me l’a pas permis, je me serais perdu dans les grandes élévations et d’ailleurs à la mort, j’aurais eu à en rendre un plus grand compte. Je n’aurai qu’à répondre de moi»
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