Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Le blog des Grande-et-petites-histoires-de-la-thaïlande.over-blog.com
  • : Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
  • Contact

Compteur de visite

Rechercher Dans Ce Blog

Pourquoi ce blog ?

  Il était une fois Alain, Bernard …ils prirent leur retraite en Isan, se marièrent avec une Isan, se rencontrèrent, discutèrent, décidèrent un  jour de créer un BLOG, ce blog : alainbernardenthailande.com

Ils voulaient partager, échanger, raconter ce qu’ils avaient appris sur la Thaïlande, son histoire, sa culture, comprendre son « actualité ». Ils n’étaient pas historiens, n’en savaient peut-être pas plus que vous, mais ils voulaient proposer un chemin possible. Ils ont pensé commencer par l’histoire des relations franco-thaïes depuis Louis XIV,et ensuite ils ont proposé leur vision de l'Isan ..........

(suite cliquez)   POURQUOI CE BLOG ?

Pour nous contacter . alainbernardenthailande@gmail.com

Merci d’être venu consulter ce blog. Si vous avez besoin de renseignements ou des informations à nous communiquer vous pouvez nous joindre sur alainbenardenthailande@gmail.com

10 décembre 2018 1 10 /12 /décembre /2018 22:40

 

 

Le règne du roi Ananda depuis son accession au trône le 2 mars 1935 jusqu’à sa mort tragique le 9 juin 1946, il n’avait pas encore 21 ans, ne fut pas le plus paisible de l’histoire de la dynastie. Le pays subit une instabilité ministérielle chronique à rendre jalouse la France de la IIIe république (1) : 11 cabinets ministériels, quatre premiers ministres issus des rangs de l’armée et deux civils. De tous ces premiers ministres, un seul, Pridi, était sincèrement démocrate (2). Le roi Ananda, après avoir été victime d’un premier attentat à Colombo en 1938 et mourir d’un autre « attentat » le 9 juin 1946, connut une première guerre menée contre les Français en 1941, signa l’entrée en guerre aux côtés des Japonais du gouvernement Phibun, qui déclara la guerre aux États-Unis le 10 décembre 1941 et à la Grande-Bretagne le 25 janvier 1942.

 

 

C’est à cette époque que s’organisent plusieurs mouvements de résistance sous l’étiquette des « Free thai » (ขบวนการเสรีไทยเสรีไทย) entretenant entre eux, qu’ils soient de l’extérieur (États-Unis et Angleterre) ou de l’intérieur de solides rivalités. Ce sont là des sujets dont nous avons abondamment traités. Ce sont ces rivalités et leurs accusations réciproques qui susciteront en 1946 dès après la défaite des puissances de l’axe et du Japon la création d’une commission d’enquête sur les finances des différentes branches du mouvement. La résistance avait un prix, celui du danger mais surtout celui de l’argent pour s’armer et éventuellement combattre. Ce fut chez nous le souci primordial de Jean Moulin, qui avant d’être le héros mort pour avoir unifié la Résistance, en avait été le banquier.

 

 

La question du financement des mouvements des Thaïs libres n’a pas été suffisamment étudiée. Nous bénéficions toutefois d’une solide étude de 2001 assortie de nombreuses pièces justificatives de Kasian Tejapira (เกษียร เตชะพีระ) (3). La partie concernant notre sujet est largement reproduite sur le remarquable site de Margaret et Aloys Prayer pour les années 1945 et 1946 (4). Il peut y avoir certaines incohérences dans certains de ces chiffres et il est possible aussi que nous ayons commis des erreurs dans l’évaluation de la valeur des dollars de cette époque en dollars et en euros de 2018.

 

 

L’ambiance à Bangkok est en 1946 détestable.

 

Du côté de Pridi et de ses ministres, les accusations pleuvent contre les 

militaires.

 

Toutes sont loin d’être fondées.

 

La première était celle d’avoir « perdu la guerre ».

 

Restait à savoir laquelle puisque l’entrée en guerre contre la France, dans une ambiance francophobe fut saluée par des manifestations de soutien, au moins à Bangkok.

 

Manifestation anti-française à Bangkok en 1941 :

 

 

Si les Siamois perdirent la guerre sur mer à Koh Chang, ils la gagnèrent incontestable sur terre en raison du peu de combativité de nos troupes annamites et dans les airs en raison d’une incontestable supériorité de leur matériel japonais. Le Japon calma le jeu mais le Siam y récupéra partie des territoires perdus en raison des traités aussi inégaux qu’humiliants de 1893 et 1904. Ce fut pour Phibun un triomphe, la récupération de ce qui était pour le pays son Alsace-Lorraine. Et pour beaucoup, ce ne fut pas l’armée siamoise qui perdit la guerre mais le Japon.

 

 

L'armée est incapable de maintenir la « Thainess » et l’indépendance nationale donc les dépenses militaires sont du gaspillage.

 

 

Ce reproche est infondé puisque le pays fut contre vents et marées rangé du côté des vainqueurs et que Pridi lui-même qui était un brin nationaliste se battit en vain en 1946 pour conserver à la Thaïlande les territoires « récupérés » en 1941.

 

 

 

 

En cinquante ans d’existence, l’armée n’a pas pu accomplir ce que le Mouvement des thaïs libres avait accompli en deux ans.

 

 

L’accusation est plaisante si l’on cherche à savoir ce que fut l’activité du mouvement à l’intérieur et à l’extérieur. Le détail de ses finances va-t-il nous éclairer ?

 

 

Le chef de de l’armée, le Maréchal Phibunsongkhram est un criminel de guerre.

 

 

La notion se dégageait à l’occasion du procès de Nuremberg en particulier, organisant la justice des vainqueurs avant celui de Tokyo. Si Phibun ne fut pas un enfant de cœur, la plus grave accusation que l’on puisse porter à son encontre fut celle d’avoir mal choisi son camp à une époque où l’écroulement des puissances de l’axe était imprévisible. S’il y eut ce que l’on peut juridiquement qualifier de « crimes de guerre » en Thaïlande, ils furent le fait des Japonais sans qu’ils aient d’ailleurs atteint le niveau des massacres commis en Chine, en Indonésie, en Birmanie, aux Philippines et en Corée, mais nous n’avons trouvé nulle part l’imputation de faits précis à l’encontre de Phibun. S’il fut probablement responsable de morts violentes dans les rangs de ses adversaires politiques communistes notamment, encore faudrait-il démontrer qu’il en fut l’instigateur et l’ordonnateur. Il fut en tous cas blanchi de ces accusations.

 

 

 

L’armée redeviendra un jour l’instrument de la dictature.

 

 

C’est la seule affirmation dont l’avenir démontra qu’elle était sérieuse mais il était difficile en 1946 de jouer les Pythonisses.

 

 

Les rues de Bangkok fourmillent alors de joyeux « thaïs libres » pour la plupart résistants de la dernière heure, exactement ce qui connut la France à la même époque… les manifestations sanglantes en moins.

 

 


 

Le lieutenant-colonel Krit Punnakan (กฤช ปุณณกันต์), alors commandant du bataillon de cavalerie des gardes du roi commenta avec amertume les insultes dont ses militaires étaient abreuvées dans les rues de la capitale.

 

 

Le colonel Sarit Thanarat (สฤษดิ์ ธนะรัชต์) qui fut premier ministre de 1959 à 1963, alors commandant un régiment d’infanterie des gardes du corps du roi à Bangkok, se plaignit de s’être vu interdire l’accès au palais lors de la mort du roi (ce qui contribua pour partie à la mise en cause de la responsabilité de Pridi dans ce meurtre).

 

 

 

 

Cette ambiance détestable fut confirmée par le major général Net Khemayothin (เนตร เขมะโยธิน), lui-même Thaï libre de l’intérieur.

 

 

 

 

De l’autre côté, les accusations contre le « clan » Pridi vont pleuvoir

 

Elles proviennent des responsables royalistes de la frange britannique du mouvement des thaïs libre. Cette liste n’est pas limitative : Nous y trouvons le Prince Phanuphanyukhol (พระองค์เจ้าภาณุพันธุ์ยุคล) petit fils du roi Chulalongkorn qui fera ultérieurement une carrière de cinéaste - Khuang Aphaiwong (ควง อภัยวงศ์) ancien premier ministre - Seni Pramot (เสนีย์ ปราโมช), lui-même résistant de l’extérieur (États-Unis) ancien premier ministre qui accusa formellement auprès de la police Pridi d’avoir fait assassiner le roi deux jours après sa mort et son frère Kukrit Pramot (ศ์คึกฤทธิ์ ปราโมช) futur premier ministre - Le général Phin Chunhawan (จอมพลผิน ชุณหะวัณ) futur premier ministre et enfin le Lieutenant Général Kat Katsongkhram (กาจ กาจสงคราม) l’un des responsables du coup d’état ayant destitué Pridi.

 

 

 

C’est dans ces conditions, entre accusations fondées ou non, médisances ou calomnies, que va intervenir la commission chargée des comptes du mouvement de résistance intérieur et extérieur.

 

La question évidemment essentielle était de savoir si des membres du mouvement avaient détourné des fonds pour leur profit personnel.

 

Sur la question de l’utilisation du matériel militaire, Pridi a affirmé que celui qui avait été mis à la disposition des Siamois libres provenait des parachutages alliés et qu’aucun matériel ne provenait du patrimoine de la nation. Nous sommes dans l’ignorance totale de la quantité et la nature du matériel parachuté. Ce que nous savons, c’est qu’il n’a jamais été utilisé contre l’occupant japonais, que l’armée l’a probablement récupéré mais que bien des containers ont pu s’ « égarer » en cours de route ? (5)

 

 

Sur l’utilisation des fonds.

 

La commission s’est donc penchée sur le montant des différentes sommes d'argent que les Siamois libres avaient reçues et dépensées pour leur travail à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Ce fut Seni Pramot qui exigea que la recherche ne porte pas seulement sur les dépenses intérieures mais également sur les dépenses extérieures. Nous sommes en 1942.

 

 

Nous savons que le mouvement détenait sur son compte à la National City Bank de New York la somme de 2.730.478,61 dollars. Essayons de savoir l’équivalent actuel de cette somme. Il y a plusieurs sites de comparaison qui évaluent un dollar de 1942 à entre 15,50 et 15,90 dollars de 2018. Faisons la moyenne (15,70) sans nous arrêter aux cents, cela nous donne une somme d’environ 43 millions de dollars 2018 qui, toujours en 2018, représente environ 38 million d’euros.

 

 

La somme est importante pensez-vous ? Allons donc ! Lorsque la résistance française toujours à la recherche de ressources s’est lancée dans le « hold up patriotique », celui qui fut réalisé à Neuvic-sur-l'Isle en Dordogne, dans la fièvre de l'été 44, rapporta au maquis du Limousin plus de 2 milliards de francs appartenant à la Banque de France… Un franc de 1944 valant 0,15 euros 2018, cela représente 30 millions d’euros 2018. D’un coup, d’un seul, presque tout le budget des « Free thai » pendant leurs années d’activité.

 

 

De cette somme provenant pour l’essentiel des largesses américaines 657.092,39 dollars furent versés à la légation siamoise à Washington, 411.557,95 aux Siamois libres travaillant par le biais de l'O.S.S », 63.124,18 dollars versés à l’O.S.S pour les livraisons effectuées au Siam pour couvrir les dépenses des Siamois libres (6). Ces 63.000 dollars en font 900.000 d’aujourd’hui soit environ 800.000 euros.

 

 

La somme versée à la légation siamoise de Washington servit, vous allez le voir, à la résistance à l’occupation japonaise mais de très, très, très loin. En gros elle correspond à 1 million de dollars de nos jours (880.000 euros) mais nous n’avons malheureusement pas la ventilation complète. Elle paya :

 

- les salaires de la légation dont la charge pourtant incombait au gouvernement siamois ?

 

- les dépenses de la légation, en quelque sorte ses frais généraux, même observations que ci-dessus.

 

- Les frais de surveillance des étudiants. Mais pourquoi fallait-il les surveiller ?

 

- Les frais d'inscription et l’argent de poche pour les étudiants.

 

- le salaire de M. Frederick Dolbeare, ancien ambassadeur des États-Unis à Bangkok et devenu « conseiller en politique étrangère du Siam ».

 

- le prix du billet aller-retour au Siam de la famille de M. R. Seni Pramot.

 

- les pensions du Dr Ellis et de Phraya Nithet Wiratchakit mais nous ignorons totalement qui étaient ces deux heureux bénéficiaires des largesses du mouvement.

 

- traitements et frais de voyage de M. Lecount. (Qui était-il ?)

 

- frais liés aux Siamois libres en Angleterre. Nous sommes toujours dans le flou mais nous savons qu’ils étaient de 34.747 dollars de l’époque soit 545.000 dollars soit encore 435.000 euros.

 

- dépenses pour les uniformes des officiels siamois libres aux États-Unis, encore un paragraphe mystérieux, nous ignorons totalement quel était l’uniforme de ces résistants lointains. Le poste est tout de même de 13.451,44 dollars soit 212.000 dollars et 180.000 euros, de bien coûteux uniformes.

 

- avances pour les personnes envoyées hors du Siam en mission aux États-Unis pour 63.417,55 dollars (995.000 dollars ou 845.000 euros).

 

La somme payée via (ou par ?) l’O.S.S. pour le mouvement des siamois libres, de 411.557,95 fut considérée comme un paiement pour le siamois libre à l'étranger c’est-à-dire travaillant hors du pays, ceux des États-Unis d'Amérique.

 

L’O.S.S avait elle-même reçu 500.000 dollars (soit 7.850.000 dollars ou 6.670.000 euros) du Gouvernement américain qui avait été affectés comme suit :

 

- les dépenses courantes et argent de poche utilisés lors des opérations (Lesquelles ?)

 

- le coût de l'équipement;

 

- construction du bâtiment du siège des Thaïs libres en Chine;

 

- frais de transport,

 

- et dépenses journalières en mer,

 

Immeuble de l'O.S.S. à Bangkok  :

 

 

 

Un résiduel de 88.442,05 dollars avait été retourné après-guerre au compte du gouvernement siamois à la National City Bank de New York.

 

La Commission en a conclu que la somme de 500.000 dollars versée par le Gouvernement américain pour les dépenses des Siamois libres à l’extérieur du pays avait été correctement dépensée et que les sommes restantes avaient été régulièrement restituées au gouvernement siamois. Les dépenses se sont élevées à 411.577,95 plus 88.442,05 soit 500.000.

 

En ce qui concerne la somme de 63.124,18 dollars destinée à couvrir les dépenses du mouvement pour son travail à l’intérieur du pays, elle avait été utilisée par les États-Unis pour acheter de l’or ensuite envoyé au Siam pour financer le travail de la résistance dans le royaume. Un premier envoi était de 49.957,06 dollars et un autre de 13.038,50 dollars, soit un total de 63.124,18 dollars. Une fois cette somme soustraite du montant total de 500.000 dollars restait donc 436.875,82 dollars. Les livraisons portaient sur « environ » cinquante kilos d’or.

 

 

Le métal précieux a alors été vendu par les banques siamoises qui l’ont évidemment payé en monnaie locale pour 1.460.184,84 baths. Le quartier général a réparti la somme comme suit : Les chiffres de la deuxième colonne sont donnés successivement en dollars 1944, en dollars 2018 et en euros 2018.

 

Frais d'envoi de personnes à l'étranger

184.605,00

553.000

868.000

Dépenses de l'unité Uttaradit-Sukhothai (อุตรดิตถ์ – สุโขทัย)

20.000,00

6.000

94.000

Dépenses de l'unité Bang Kapi (บางกะปิ)

20.000,00

6.000

94.000

 

Dépense de l’unité de Loei (เลยข)

36.000,00

10.800

170.000

Dépenses de l’unité de Kanchanaburi unit (าญจนบุรี)

3.500,00

1.050

16.500

Dépenses des unités de Nakhon Sithammarat-Phetburi et (นครศรีธรรมราช-เพชรบุรี)

42.100,00

15.000,00

220.000,00

Dépenses de l’unité de Chaiyaphum (ชัยภูมิ)

5.000,00

1.500,00

23.500,00

Dépenses de l’unité de Huahin-Pranburi (หัวหิน-ปราณบุรี)

1.000,00

300,00

4.700,00

Dépenses de l’unité de Ranong (ระนอง)

80.000,00

24.000,00

380.000,00

Dépenses des unités de Sakon Nakhon-Nakhon Phanom-Nongkhai-Mahasarakham-Udon-Ubon.
(สกลนคร-นครพนม-หนองคาย-มหาสารคาม-อุดรธานี-อุบลราชธานี)

165.200,00

56.000,00

880.000,00

Dépenses pour les agents de renseignement

47.000,00

14.000,00

220.000,00

Dépenses pour le transport de l’eau

168.253,30

51.000,00

790.000,00

Dépenses pour le camp britannique

158.292,10

47.000,00

750.000,00

Dépenses pour le camp américain

165.510, 00

49.500,00

780.000,00

Frais de transmission des messages radio secrets

211.127,00

63.000,00

990.000,00

Dépenses pour la liaison avec la Chine

57.197,51

17.000,00

270.000,00

Dépenses de carburant

30.800.00

9.200,00

145.000,00

 

Divers : accueil, transport, argent de poche, réparation de véhicules

124,599.93

37.500,00

590.000,00

Total

1.410.184

423.000

6.650.000

En Euros de ce jour 

5.900.000

Cette pluie d’or américain est évidemment considérable mais tout à la fois dérisoire. Sa répartition effectuée par Pridi, responsable du mouvement intérieur, porte sur des postes donc chacun mériterait un point d’interrogation. Nous verrons toutefois qu’il y a des motifs légitimes à cette discrétion. Le seul maquis qui a effectivement existé en un lieu où la présence japonaise était pesante est celui de Kanchanaburi, qui a été peu traité. Par contre les maquis de l’Isan (SakonnakhonNakhonphanom Nongkhai - MahasarakhamUdon et Ubon) régions acquises au clan Pridi, l’ont été fastueusement.

 

 

La question du détail des dépenses à l’intérieur de chaque poste n’a pas été étudiée, ce qui n’est pas un reproche fondamental dans la mesure où un individu ou un groupe dans la clandestinité n’a pas vocation à tenir une comptabilité de ses recettes et de ses dépenses.

 

Ces montants ainsi que la somme d’argent retournée s’élèvent à 500.000 dollars, soit le montant reçu.

 

La Commission en a conclu que les sommes versées par le Gouvernement américain pour les dépenses des Siamois libres à l’extérieur du pays avait été correctement dépensées et que les sommes restantes avaient été correctement restituées au gouvernement siamois.

 

En ce qui concerne les dépenses effectuées au bénéfice de l’or américain, la Commission considéra que les fonds avaient été également correctement utilisés et dépensés

 

Comme nous l’avons dit plus haut, le Comité a tenu à souligner qu’on ne doit pas s’attendre à ce qu’une organisation secrète tienne des comptes détaillés comme ceux que tiendrait une entreprise en temps de paix. Il rappelle, ce qui nous donne tout de même un aperçu des activités non guerrières des maquis, que « ces sommes ont été utilisées dans des circonstances spéciales nécessaires au succès du mouvement. Par exemple, le Comité estime que la construction de casernes, de bases aériennes, de camps, de quartiers généraux, etc., a été réalisée dans des conditions difficiles, avec une efficacité admirable, et démontre que les sommes dépensées valaient le travail accompli ». Et il ajoute « Il est également inévitable qu’il y ait ce que l’on a qualifié de dépenses non comptabilisés telles que l’argent donné à ceux qui sont parachutés en territoire hostile. En fait, il est nécessaire que dans de telles situations secrètes et dangereuses, une grande prudence soit exercée pour la sécurité des personnes au sein du mouvement. Les identités devaient rester secrètes et des noms de utilisés. Les documents tels que chèques, factures, reçus, commandes, etc. ne pourraient donc pas révéler les noms des expéditeurs ou des destinataires, de peur que ceux-ci ne révèlent l'identification de telles personnes et ne mettent ainsi en danger leur vie et leur sécurité si ces documents étaient repris par l'ennemi. Des codes secrets devaient être utilisés pour éviter des conséquences aussi effrayantes en cas de dérapages »

 

Référence est faite à d’autres pays, en particulier la Résistance en France. Par ailleurs l’O.S.S. elle-même avait donné des instructions pour interdire de conserver le moindre document écrit.

 

 

L’origine des soupçons et les accusations consécutives qui furent alors proférées contre Pridi proviennent en réalité d’un malentendu concernant les 500.000 dollars américains alloués pour l’utilisation à l’intérieur du pays. Seni Pramot avait prévu d'envoyer toute cette somme au mouvement intérieur mais plus tard seulement 63.124,18 furent transférés. Le solde était resté aux États-Unis ce qui fut à l’origine du malentendu.

 

 

Voilà donc le Siam revenu dans le concert des nations, rangé sinon dans le clan des vainqueurs, du moins dans celui des pays occupés.

 

Cela ne posa aucune difficulté du côté des États-Unis contre lesquels le Siam n’avait jamais engagé d’action hostile. Il fut pudiquement admis qu’il n’y avait en réalité pas eu d’état de guerre entre les deux pays puisque Seni Pramot, ambassadeur du Siam avait refusé de la transmettre au gouvernement de Washington (7).

 

Du côté anglais, la situation était plus tangente. Le Siam avait bel et bien engagé des opérations militaires contre les Anglais en s’emparant de territoires soumis à la colonisation anglaise, sultanats du nord de la Malaisie et en engageant des campagnes militaires dans les états Shans dont le Major Kuang Aphaiwong fut le héros et en Birmanie pour récupérer les territoires de la rive gauche de la Salween considérés comme historiquement siamois (8). La situation paraît toutefois avoir été réglée lors d’une rencontre à Ceylan entre des envoyés du mouvement intérieur et Lord Mountbatten commandant les forces alliées en Asie du sud-est.

 

 

Restons-en donc une fois pour toutes dans le politiquement correct : « La Thaïlande s'est rangée aux côtés des alliés pendant la seconde guerre mondiale ».

 

Revenons aux finances du mouvement qui nous conduisent à revenir sur une brève comparaison avec la Résistance française.

 

- La situation au Siam n’avait rien à voir avec celle de la France. Il y avait quelques trois cent mille Japonais répandus essentiellement à Bangkok et tout au long de la voie ferrée en construction en vue de l’invasion de la Birmanie. En dehors des zones limitées où ils considérèrent effectivement les travailleurs siamois plus moins forcés comme des esclaves les Japonais ne se sont pas comportés comme ils l’ont fait dans les pays occupés en y massacrant systématiquement des millions de civils. On peut penser que dans la plus grande partie du pays, la présence (ou l’ « occupation » japonaise)  a laissé la population indifférente. Il y avait en France après l’invasion de la zone libre quatre millions de militaires allemands sur le comportement desquels il est inutile d’insister. L’intégration de dizaines de milliers de Français dans le Service du travail obligatoire en 1943 en a renvoyé tout autant dans les maquis.

 

 

- L’O.S.S qui était effectivement présente sur le terrain s’est opposée à ce que les Siamois entrent dans la lutte armée clandestine. Ce ne fut pas sans de solides raisons. L’armée proprement dite ne s’y est jamais impliquée. En étaient-ils capables ? Les maquis français furent pour l’essentiel organisés et dirigés d’une part par des anciens combattants de la guerre de 1914-1918 et des guerres coloniales ultérieures (Maroc et Syrie en particulier), beaucoup venus de l’armée d’armistice et pour les maquis d’obédience plus ou moins communistes par d’anciens combattants de la guerre d’Espagne, volontaires des Brigades Internationales ou anciens combattants réfugiés espagnols.

 

 

Tous avaient l’expérience du combat et parfaitement susceptibles de faire part de leur expérience aux recrues. Rien de tel chez les Siamois.

 

- Il n’y eut pas au Siam la présence d’un mouvement collaborationniste puissants comme il y eut dans tous les pays d’Europe occupée. Ceci exacerba les antagonismes qui se réglèrent après-guerre devant des tribunaux d’exception et des pelotons d’exécution. Le Siam y a échappé (9).

 

 

- La création de cette commission chargée d’éplucher les comptes des Thaïs libres et dont les conclusions ne furent jamais mises en cause a eu l’incontestable mérite de mettre un terme à des querelles nauséabondes sur l’utilisation de l’argent tombé du ciel américain. Il n’en fut malheureusement pas de même en France où circulent encore, des dizaines d’années plus tard, des histoires murmurées sur des fortunes surgies miraculeusement après la guerre (10). Le Général De Gaulle avait ordonné le désarmement des maquis, opération qui réussit pour l'essentiel sans difficultés même s'il y eut des bavures marginales. Son départ boudeur en janvier 1946 ne lui permit pas de régler cette question beaucoup plus complexe qui empoisonna longtemps le débat politique,

 

 

NOTES

 

(1) Nous relevons ainsi trois gouvernements successifs du général Phya Phahon  du 22 septembre 1934 au9 août 1937 – du 9 août au 21 décembre 1937 – du 21 décembre 1937 au 16 décembre 1938. Deux gouvernements successifs de Pibun  comme colonel du 16 décembre 1938 au 7 mars 1942 comme feld marshall (autoproclamé) du 7 mars 1942 au 1er août 1944. Deux gouvernements du Major Kuang Aphaiwong du 1er août 1934 au 31 août 1945 et après interruption du 31 janvier au 24 mars 1946. Un gouvernement Tawee Bunyaket : du 31 août au 17 septembre 1945, il était en réalité l’homme-lige du suivant. Un gouvernement de Seni Pramot du 17 septembre 1945 au 31 janvier 1946. Deux gouvernements de Pridi du 24 mars 1946 au 11 juin 1946 et du 11 juin 1946 au 23 août 1946.

 

(2) Seni Pramot dont il ne faut pas oublier qu’il était de sang royal a exprimé sur la démocratie parlementaire une opinion qui était bien dans l’air anti parlementaire du temps : « Démocratie ne signifie pas simplement la règle de la majorité. Si cinq cents bandits se réunissent avec cinq moines et qu’une motion est proposée pour décider si un vol qualifié doit ou non être proposé, chaque fois qu’il sera mis aux voix, ces cinq cents bandits votez toujours contre les moines, mais cela ne signifie nullement que l'opinion de la majorité en faveur du vol soit moralement juste ... Le gouvernement à la majorité, appelé démocratie, ne doit pas avoir pour seul critère un plus grand nombre de voix, mais prenez également en compte une connaissance accrue, une allégeance accrue à la nation et une plus grande honnêteté envers le peuple. Ce n'est que de cette manière qu'il deviendra un bon gouvernement pour le plein bénéfice et le bonheur du peuple et méritera le nom de démocratie ».

 

(3) Kasian Tejapira « Commodifying Marxism : the formation of modern Thai radical culture, 1927-1958 » Kyoto, 2001.

 

 

(4)

http://www.payer.de/thailandchronik/chronik1945.htm et

http://www.payer.de/thailandchronik/chronik1946.htm

 

(5) Plus ponctuellement, il est fort probable que celui qui fut parachuté au bénéfice du maquis de Sakonnakhon dont nous avons le détail traversa le Mékong pour bénéficier aux maquis communistes du Laos contre les Français. La seule action militaire de ce maquis a consisté en l’exécution d’un espion des Japonais. Compte tenu de l’hostilité toujours manifestée par Pridi sinon contre la France du moins contre la France coloniale, ce transfert ne put se faire qu’avec sa complicité au moins tacite. Ce disant, il est fort probable qu’il a sinon menti effrontément, du moins péché par omission volontaire : voir notre article 203 « TIANG SIRIKHAN, LE GUERRIER DE PHUPAN » :

(http://www.alainbernardenthailande.com/2015/10/203-tiang-sirikhan-le-guerrier-de-phupan.html

 

(6) O.S.S. = Office of Strategic Services  « Bureau des services stratégiques »), ancêtre de la C.I.A.

 

(7) Cela relève de la casuistique le plus hypocrite qui soit : La notion de de « déclaration de guerre » n’a plus aucun sens en droit international dès cette époque et plus encore dans la seconde moitié du 20e siècle et les débuts du 21e. Tous les conflits engagés par les États-Unis dans le monde entier l’ont été dans déclaration de guerre. Il fut lors des procès de Tokyo reproché au Japon d’avoir attaqué les États-Unis sans « déclaration de guerre préalable ». Crime de guerre ? La réponse des Japonais était simple : Dans leur souci d’étendre leur expansionnisme sur tout l’Océan pacifique face à l’expansionnisme japonais dont le but était similaire, les États-Unis avaient déclaré contre le Japon l’embargo sur toutes les matières premières, essentiellement le pétrole. Le Japon l’a considéré comme une véritable déclaration de guerre déguisée. Mais la Justice des vainqueurs n’est pas celle des vaincus ce qui n’exonère en rien les Nippons des massacres de millions de morts civils dont ils se sont rendus odieusement responsables.

 

(8) Voir notre article 200. 2 « L’ARMÉE THAÏE ENTRE EN BIRMANIE LE 10 MAI 1942 » :

http://www.alainbernardenthailande.com/2016/07/200-2-l-armee-thaie-entre-en-birmanie-le-10-mai-1942.html

 

(9) Il serait tout de même dommage de ne pas parler de Wicha Thitwat (วิชาฐิตวัฒน์). Étudiant à Berlin probablement dans une académie militaire, lors de la déclaration de guerre, il s’engagea (ou fut engagé ?) dans la Wehrmacht dans la 29e « Panzer Grenadier Division » et ensuite dans la 3e « Panzer  Grenadier Division » où il atteint le rang de capitaine comme opérateur radio (« funker »).

 

 

Il ne semble pas avoir participé aux combats et aurait surtout été utilisé comme instrument de propagande comme la photographie où nous le voyons en présence du sinistre Reinhard Heydrich.

 

 

Après un bref séjour en camp de prisonniers, il regagna son pays où il acquit le rang de colonel dans l’armée thaïe et se serait retrouvé ensuite ambassadeur au Danemark, en Norvège et en Islande. Il est possible qu’il n’ait pas été le seul mais nous n’avons pu nous procureur ses souvenirs (en thaï) « les Thaïs dans l’armée nazi » (คนไทยในกองทัพนาซี).

 

 

(10) La France connut les accusations d’Henri Frenay contre Jean Moulin en détournement des financements destinés à son propre réseau. Le hold-up de Neuvic dont nous avons parlé plus haut, exactement 2 milliards 280 millions dont au moins 500 millions disparurent mettant en cause le rôle d’André Malraux alias « colonel Berger » fut suivi d’une enquête administrative dont le rapport n’a jamais été publié. Il en fut de même du sort de l’argent « récupéré » dans le Limousin par Georges Guingoin dont les exactions lui valurent d’être exclu du parti communiste. André Dewavrin, dit le « colonel Passy » fit l’objet d’accusations féroces mais c'était un ami du Général De Gaulle.

 

Le pamphlétaire André Fuguéras fut un vrai résistant de la première heure  :

 

 

La question des parachutages de containers anglais contenant des billets de banque a également donné lieu à toutes sortes de spéculations souvent fétides. Les billets étaient parfois vrais, parfois faux mais plus vrais que les vrais.

 

 

Le film « Crésus » réalisé par Jean Giono en 1960 fit grincer quelques dents, l’écrivain manosquin réglant de façon insidieuse de vieux comptes avec la résistance des Basses-Alpes dont il n'avait pas eu à se féliciter.

 

Liste des proscrits établie par la Commission d'épuration du  Comité  national des écrivains :

 

 

 

Partager cet article
Repost0
3 décembre 2018 1 03 /12 /décembre /2018 22:31
H 25 - UN ATTENTAT MANQUÉ CONTRE LE ROI ANANDA EN ESCALE À COLOMBO EN NOVEMBRE 1938 FUT-IL LE PRÉLUDE À SON ASSASSINAT LE 9 JUIN 1946 ?

Lorsque le jeune Ananda Mahidol, né à Heidelberg le 20 septembre 1925, monte sur le trône le 2 mars 1935 désigné par le Conseil de régence à la suite de l’abdication de son oncle Rama VI, il est à neuf ans et demi le plus jeune des souverains régnant au monde. Rien ne le prédisposait à assumer cette charge que sa mère pour son compte aurait longuement hésité à accepter (1). Il ne connaît pas son pays. Il aurait déclaré à ceux qui sont venus l’interroger à Lausanne  où il réside à la suite du coup d’état de 1932 avec sa mère, sa sœur aînée et son jeune frère sur ses projets et ses ambitions  « qu'on me laisse encore jouer avec mes  camarades, j’ai bien le temps de régner » (2).

 

 

Il va pendant trois ans rester à Lausanne sucer le lait de l’enseignement dispensé par la cité universitaire de la plus vieille des républiques et jouer aux billes avec ses camarades sous la tutelle de sa mère et la protection sinon la surveillance des envoyés du gouvernement qui sont également là pour lui faire signer ses décrets. Ce n’est qu’au dernier trimestre de 1938, il a 13 ans, que sa famille à la fin de l’année va quitter Lausanne pour venir au Siam probablement à l’instigation du premier ministre Phraya Pahon démissionnaire le 11 septembre 1938 qui sera remplacé par Phibun le 16 décembre 1938 après trois mois de chaos (3). La famille embarque à Marseille ...

 

 

... sur le Méonia, un luxueux paquebot danois le 18 ou le 19 octobre (4).

 

 

Le jeune monarque va alors pour son malheur découvrir ce que le roi Humbert d’Italie appelait « les risques du métier » après avoir échappé à un Nième attentat :  « Cosa volete ? Sono gli incerti del mestiere ! » (5).

 

 

La nouvelle est ainsi annoncée dans le très austère Journal des débats politiques et littéraires  des 7 et 8 novembre 1938 (6) :

  

 

SIAM

Un complot avait été fomenté  en vue de tuer le jeune roi de Siam

 

« On mande de Colombo: Un complot, en vue d'assassiner le jeune roi de Siam, Ananda Mahidol, a été découvert par la police, apprenait-on hier. Le roi de treize ans est resté, sous bonne garde, à bord du croiseur Méonia  qui le transporte de France à Bangkok,  où il doit être couronné.  Le complot, découvert au début d'octobre, aurait été fomenté par plusieurs hommes politiques de premier plan et appuyé par de nombreux Siamois, mais réprimé aussitôt »  (6).

 

Le journal ne nous en dit pas plus sur ces hommes politiques de premier plan qui auraient fomenté cet attentat ? La nouvelle en tous cas aurait été plus largement annoncée dans la presse anglaise mais nous n’y avons pas accès (7).

 

 

La presse française n’a pas relayé cette information compte tenu de la situation internationale à cette époque, n’oublions pas que nous sommes à la veille d’un conflit mondial et que nos journaux  se soucient beaucoup plus de la guerre d’Espagne, des agressions japonaises sur le continent  ou des discours incendiaires d’Hitler.

 

 

Nous avons toutefois une version légèrement différente quelques jours plus tôt – le 6 - dans la presse indochinoise, l’hebdomadaire « le nouvelliste d’Indochine » sous la signature de Michel Gorel (8). Nous citons la partie intéressante de l’article car il relève d’une bonne analyse.

 

 

ON A VOULU « KIDNAPPER»  UN ROI

Les déchirements siamois ne sont qu'un épisode de la compétition nippo-britannique

 

Amanda Mahidol, le plus jeune  souverain du monde  - il est né le 20 septembre 1925 -  a failli être « kidnappé » au cours d'une escale que faisait à Colombo le navire qui le ramenait dans son royaume,  pour le couronnement.  Telle est la stupéfiante nouvelle que l'on a pu lire dans les journaux d'hier soir et qui permet à certains journalistes anglais d'échafauder d'ahurissants romans feuilletons où il est question de  maffias, d'organisations secrètes constituées sur le modèle du fameux «  Dragon Noir », et d'histoires de familles royales qui ne  sont pas sans analogie avec les disputes et les fourberies des Borgia.

 

Laissons là cette littérature douteuse. En soulevant le voile qui cache aux Européens les « mystères de la cour de Bangkok », nous nous   trouvons en présence d'une vaste crise qui dure depuis six ans déjà et dont le dénouement intéresse trois grandes puissances: le Japon, l'Angleterre et la France.

 

Le Kemal siamois

 

 

Cette crise a débuté par le coup d'Etat du 24 juin 1932 que dirigeaient deux hommes Phya Bahol,  (lire Phraya Pahon)  surnommé le « Kemal siamois » et Luang Pradit  (lire Pridi), ancien élève de la Sorbonne, baptisé par ses adversaires le « Lénine du Siam ».

 

 

A la suite de ce pronunciamiento, la dynastie des Chakri,  qui gouverne le pays depuis 1782, dut renoncer à l'absolutisme et octroyer une constitution qui crée, à côté du pouvoir royal, une Chambre de représentants de 140 membres. Le roi Pradjadipok quitta Bangkok et, sous prétexte de soigner ses yeux malades, alla habiter l'Angleterre. Un putsch, fomenté par plusieurs princes royaux en vue d’abattre le nouveau  gouvernement, et qui se traduisit par de sanglants combats à l'aérodrome de Bangkok, échoua piteusement. Le 7 mars 1935, enfin, le roi dut abdiquer en faveur de son neveu, le petit Ananda.  Mais le nouveau souverain ne vint pas occuper son trône – même d'une manière toute théorique  -  et demeura en Suisse où il suivait les cours d'un collège. A Bangkok, de violents dissentiments ne tardèrent pas à s'élever entre  Phraya Pahon, partisan d'une politique de droite, et Luang Pridi, qui réclamait de vastes réformes sociales. Ce dernier fut finalement éliminé du pouvoir. En sauvegardant les apparences constitutionnelles, le « Kémal siamois » créa une sorte de dictature, et, en s'appuyant sur les jeunes militaires, mena à bien la réorganisation de l'armée

 

 

Le Japon contre l'Angleterre

 

Il y a quelques mois, Phraya Pahon  prenait la parole devant le micro et proclamait, en termes  enthousiastes, son admiration pour  le Japon. En même temps, on apprenait que des instructeurs militaires nippons avaient débarqué à Bangkok et que les grandes firmes japonaises Mitsui et Mitsubischi s'étaient pratiquement rendues maîtresses du marché siamois. Tout cela donna l'alarme à l'Angleterre. Un agent important  de l'Intelligence Service, le major Archilbald Haudford - que certains  appellent le « Lawrence d'Extrême-Orient» - fût délégué dans la capitale siamoise avec une « mission confidentielle».

 

 

C'est après ce voyage que l'agitation reprit au Siam et qu'une sorte de « front unique» fut formé par tous les adversaires du gouvernement, partisans de l'ancien roi et partisans de Luang Pridi. Pour stabiliser la situation, Phraya Pahon  décida de hâter le  couronnement et de faire revenir  le petit roi. Le clan  antigouvernemental s'efforça de contrarier  ce projet. Et c'est ainsi qu'un rocambolesque «kidnapping» fut tenté sur la personne du petit souverain au cours de son voyage de retour. L'entreprise a échoué, mais l'ère des troubles est loin d'être close et on murmure que les antigouvernementaux vont tenter un nouveau putsch au moment du couronnement pour renverser le dictateur et pour mettre et pour mettre fin à l’influence japonaise.

 

 

Cet article appelle de notre part les observations suivantes :

 

- Si l’article du Journal des débats politiques et littéraires  ne donne pas ses sources, celui du nouvelliste d’Indochine fait référence à des « sources anglaises » de la veille donc du 5 novembre. Nous ne savons pas lesquelles. Toutefois le fait que deux articles dans deux journaux sérieux fassent état d’un complot contre le petit roi, que ce soit sous forme d’assassinat ou sous forme d’enlèvement, rend l’information plausible. L’article de Gorel était prémonitoires : « L'entreprise a échoué… et on murmure que les antigouvernementaux vont tenter un nouveau putsch  … ». Ce ne fut pas un coup d’état,  ce fut un meurtre.

 

- La comparaison de Phraya Pahon avec Mustapha Kemal (par hasard mort le 10 novembre 1938) est peut-être un peu hasardeuse : Kemal, républicain de toujours a abattu la monarchie ottomane, laïcisé le pays, imposé un alphabet romain et surtout s’est rendu responsable de massacre qui restent une tache honteuse sur sa mémoire, massacre de  Grecs, massacre de Kurdes, génocide arménien. Pahon fut un dictateur, il ne fut pas un criminel de guerre.

 

 

- Celle de Pridi avec Lénine est tout aussi hasardeuse puisqu’il réussit à échapper aux accusations de « communisme ». Mais s’il n’est pas Lénine, il y a du Kerenski en lui. Ils s’exilèrent d’ailleurs tous deux à Paris.

 

 

- La dilection pour le Japon manifestée par les militaires à l’origine du coup d’État de 1932 ne doit pas nous faire oublier que la victoire du Japon sur l’empire russe en 1905 eut un retentissement énorme dans tous les pays colonisés d’Asie démontrant que les puissances blanches et colonisatrices n’était pas militairement invincibles. Elle était encore fraiche dans toutes les mémoires asiatiques.

 

 

- Nos deux journalistes mettent au moins de façon indirecte le « clan » Pridi en cause pour se débarrasser du roi que ce soit directement ou par l’intermédiaire des services secrets britanniques ?

 

- En tout état de cause, Pridi ou pas Pridi, s’il y eut un complot en 1938, il fut suivi pour le malheur du jeune roi par le triste épisode du 9 juin 1946 lorsqu’il trouva la mort par balle. A cette date Pridi était devenu premier ministre depuis le mois de mars. L’existence d’un complot antérieur permet d’écarter les autres hypothèses envisagées, celle d’un accident ou celle d’un suicide. C’est toutefois ainsi que nous devons comprendre  ces allusions ?

 

 

Il est regrettable que tous ceux qui ont écrit et spéculé sur ce décès n’aient jamais approfondi le détail des événements de novembre 1938 qui furent probablement le prélude à l’assassinat de 1946 (9).

 

 

NOTES

 

(1) Voir notre article 217 « LA VIE EN SUISSE DES DEUX FUTURS ROIS DE THAÏLANDE, RAMA VIII ET RAMA IX » :

http://www.alainbernardenthailande.com/2016/01/217-la-vie-en-suisse-des-deux-futurs-rois-de-thailande-rama-viii-et-rama-ix.html

 

(2) « le monde illustré » du 16 mars 1935.

 

 

(3)  Voir nos article 191 « PHRAYAPHAHON, SECOND PREMIER MINISTRE DU SIAM CONSTITUTIONNEL DU 24 JUIN 1933 AU 11 SEPTEMBRE 1938, UN PERSONNAGE ENIGMATIQUE » :

 http://www.alainbernardenthailande.com/2015/07/191-phrayaphahon-second-premier-ministre-du-siam-constitutionnel-un-personnage-enigmatique.html

et

196 « LA CHRONOLOGIE DE L’ASCENSION DE PHIBUN AU POUVOIR SUPRÊME » :

http://www.alainbernardenthailande.com/2015/08/196-la-chronologie-de-l-ascension-de-phibun-au-pouvoir-supreme.html

 

(4) Le 18 selon « Le Temps » du 19 octobre, le 19 selon  le « Journal des débats politiques et littéraires » du 20 octobre.

 

(5) « Que voulez-vous ? ce sont les risques du métier ! » 

 

(6)  « Journal des débats politiques et littéraires » des 7- 8 novembre 1938, n° 265.  Quotidien, le journal a été fondé en 1814.

 

(7) Contrairement aux sites équivalents français, l'accès aux documents numérisés de la presse anglaise  n'est pas gratuit, environ 100 euros par an via la British Library.

 

(8) L’article est du 6 novembre.  La revue hebdomadaire est dirigée par A. Breton,  représentant à Saigon de la tentaculaire société lyonnaise Descours et Cabaud  qui a probablement des connexions au Siam. L’article est signé de Michel Gorel, un journaliste d’investigation, auteur de nombreux ouvrages d’actualité politique. Nous avons feuilletés de nombreux exemplaires de la revue dont 7 années sont numérisées sur le site de la BNF (1936-1942), elle nous a semblé de grande qualité et ne pas donner dans la fantaisie.

 

(9) Notre propos n’est pas de nous lancer à notre tour dans des exégèses sur les circonstances de la mort du petit roi. Nous nous contenterons d’une simple chronologie. L’enquête fut longue et fit intervenir des experts anglais en balistique et en médecine légale. Trois inculpations furent prononcées le 28 septembre 1948 concernant deux pages royaux et le secrétaire du roi. Pridi le fut comme instigateur présumé et le lieutenant Vacharachai Chaiyasithiwet comme autre exécutant. Toutefois, ils avaient tous deux fui la Thaïlande après le  coup d’état de novembre 1947.

 

Une première décision fut rendue  le 27 septembre 1951 acquittant deux des trois accusés et condamnant le troisième à mort. Aucune décision  ne fut prononcée  contre Pridi ou Vacharachai.  Sur appel, en décembre 1953, la Cour confirma un seul des acquittements et prononça deux peines de mort. Le dossier fut soumis à la Cour suprême  qui prononça trois peines de mort le 13 octobre 1954.  Elles furent exécutées le 17 février 1955, le Roi ayant refusé sa grâce.

Contrairement à ce que l’on lit souvent, la décision qui fait 58 pages est d’accès libre tant en thaï évidemment qu’en traduction anglaise.

Partager cet article
Repost0
12 novembre 2018 1 12 /11 /novembre /2018 03:16

 

 

Statue du roi Rama VI en chef de guerre portant le costume de cérémonie, la main gauche sur l’épée du roi Naresuan et la droite tenant une branche de java cassia (ชัยพฤกษ์ Chaiyaphruek) symbole de victoire. Elle été sculptée par un artiste contemporain, Chitti Kasemkitvatanam, à l’occasion de l’exposition du centenaire qui s’est tenue jusqu’au 30 septembre 2017 au « Memorial hall du roi Vajiravudh » à la National Library.

 

Nous avons parlé à diverses reprises de la participation du Siam à ce que la bonne conscience universelle a appelé « la guerre du droit ». Nous avons évoqué les circonstances de cet engagement tardif et ses conséquences ultérieures qui furent relativement positives puisque le pays fut considéré comme appartenant au clan des vainqueurs (1).

 

La conférence de Paris en 1919, le Siam est représenté par le Prince Charoon :

 

 

Nous n’avons pas oublié les 19 morts siamois au cours des opérations (2)...

 

 

ni naturellement les Français du Siam partis « faire leur devoir » (3).

 

 

Le couperet de l’histoire tombe trop souvent de façon définitive, surtout à l’occasion de ce conflit qui vit pour la première fois la propagande utilisée de façon massive par les belligérants (4). Il est aussi des historiens et des chercheurs qui s’accrochent à la vérité même si elle doit déplaire. Tel est le cas d’un ouvrage récent de Stefan Hell qui nous donne des éléments à notre connaissance inexploités à ce jour (5).

 

 

En dehors des motifs de l’engagement aux côtés des alliés, nous y avons recueilli d’inédites précisions sur la vie des « pioupious » siamois en France puis en occupation en Allemagne.

 

 

L’invocation des « grands principes » apparait sur l’une des faces du monument aux morts de Bangkok édifié en 1921 ainsi traduite : « Le roi a estimé en effet que l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie ignoraient les lois de la guerre et menaient les combats de manière immorale et qu’il voulait veiller au respect de ces normes considérées comme sacro-saintes. Il s’est donc opposé à ceux qui combattaient de manière immorale… » (2).

 

Dans un article publié en 1982 dans le Journal de la Siam society l’historien américain Keith Hart écrit, mais il ne cite que des sources anglaises ou américaines « Le gouvernement du roi Rama VI a été indigné par la déclaration de la guerre sous-marine sans restriction de l'Allemagne en février 1917… » (6).

 

 

Il faudrait pour se faire quelque idée sur l’opinion siamoise dans les premières années de la guerre avoir accès à la presse de Bangkok de l’époque ce que nous n’avons pas les moyens de faire. Le roi et son entourage très germanophile furent-ils indignés des violations du droit international par les puissances centrales invoquées à cor et à cri par la propagande alliée ? Il est permis d’en douter et de penser qu’ils avaient également accès à la propagande austro-allemande qui disait évidemment strictement le contraire ? (7).

Affiche de propagande allemande à la gloire de ses sous-mariniers : 

 

 

 

Les combats immoraux ?

 

L’invocation tardive de ce motif par les Siamois entrés dans le conflit lorsque la guerre est en passe de se terminer, reste suave. Rama VI ne semble pas s’être indigné à posteriori des guerres sanglantes et sauvages conduites par les Anglais en Birmanie qui se sont terminées en 1885 alors qu’il était bébé,

 

 

... et pas plus n’a-t-il fait acte de repentance sur le sac de Vientiane et les massacres collatéraux en 1828 par le général Bodindecha sous le règne de son ancêtre Rama III, toutes opérations qui seraient considérées aujourd’hui comme des crimes de guerre (8).

 

 

La guerre sous-marine.

 

Elle fut initiée en défense par les Allemands pour débloquer le blocus anglais de leurs côtes et par ailleurs pour s’opposer au ravitaillement en armes des alliés par des navires provenant de pays neutres ou camouflés sous pavillon neutre, essentiellement les États-Unis et ce dès le début de la guerre. L’Empereur Guillaume avait fait savoir à toutes les chancelleries, donc au Siam, que l’utilisation de navires neutres pour ravitailler les alliés serait susceptible d’entraîner leur destruction. Il y eu donc des torpillages mais celui du Lusitania le 7 mai 1915 fit grand bruit, peut-être à cause de la  présence d’un milliardaire américain parmi les victimes dont la famille, qui avait des immenses moyens financiers, médiatisa l’événement. (9)

 

 

Les motifs de la déclaration de guerre ?

 

Nous savons que les Siamois n’avaient guère à se louer des rapports encore pathologiques de leur pays avec la France qui s’était emparé en 1893 d’immenses territoires soumis à leur souveraineté sous l’œil bienveillant de l’Angleterre. Le seul pays allié pour lequel les Siamois pouvaient éprouver de la sympathie était la Russie autocratique mais elle avait pratiquement cessé le combat dès la première révolution de février 1917.

 

 

Le choix du Siam fut de toute évidence un choix d’opportunité avant d’être un choix de moralité. Mais il est une autre raison que nous révèle Stefan Hell. qui est apparemment le premier à le faire.

 

 

Deux princes siamois avaient trouvé la mort lors de la guerre sous-marine.

 

Nous n’avons malheureusement pas pu savoir quand et lesquels (10). Connaissant le sens aigu de la famille encore chez les Thaïs aujourd’hui, il est permis de penser que la disparition de deux des cousins du roi et de son entourage également composé essentiellement de princes fut un élément majeur pour faire basculer le camp des germanophiles dans celui des germanophobes et prendre la décision non seulement de sortir de la neutralité mais encore d’envoyer des troupes sur le front.

 

Le roi et la cour ont-ils voulu tout simplement venger la mort de leurs deux cousins ? (11).

 

 

Le sort des combattants

 

Hell nous livre de précieux et inédits renseignements,  issus de ses recherches qui vont quelque peu étriller la version angélique de « la grande fraternité des frères d’armes » et nous éclairer sur l’attitude ouvertement méprisante des Français et des Anglais à l’égard des Siamois.

 

 

Il cite deux anecdotes significatives en tous cas de l’état d’esprit des occidentaux de Bangkok à l’égard des autochtones.

Dans un câble adressé à Paris, la représentation française locale, dont les télégrammes étaient interceptés depuis longtemps par les Siamois, s’étonne que ceux-ci aient pensé à saisir les navires allemands dans la Chaopraya « malgré leur enfantillage même quand les questions les plus sérieuses sont concernées ». « Ce sont de grands enfants » disait-on des noirs au temps des colonies !

A la suite de l’agression par un ingénieur britannique de deux soldats siamois à Bangkok, le prince Chakrabongse (สมเด็จพระอนุชาธิราช เจ้าฟ้าจักรพงษ์) dut publier une déclaration rappelant que les manières respectueuses et les bonnes manières devaient être mutuelles. Et pour rappeler avec humour ces bonnes manières aux Anglais, il envoya tous les soirs une unité de cavalerie pour défiler en fanfare devant le club des expatriés britanniques à l’heure où ses membres se rassemblaient pour leur apéritif quotidien.

 

 

Des difficultés vont surgir dès l’arrivée des troupes siamoises sur le continent. Les Français avaient expatriés, en dehors des troupes coloniales, quelques dizaines de milliers de travailleurs indochinois pour remplacer les ouvriers français mobilisés sur le front

 

 

... et servir en particulier de coolies.

 

 

Les Siamois refusèrent fermement que les troupes, des combattants volontaires faut-il le rappeler, participent au déchargement des navires. Le prince Charoon (Charoonsakdi Kritakara - พระวรวงศ์เธอ พระองค์เจ้าจรูญศักดิ์กฤดากร), représentant du Siam en France, se plaint d’ailleurs dans de nombreux cables de l’attitude méprisante des Français qui se refusent à considérer les Siamois autrement que leurs auxiliaires annamites ou cambodgiens et non comme des alliés.

 

 

En ce qui concerne les troupes proprement dites, même si elles n’eurent pas loisir de participer aux opérations, grand bien leur fit, leur sort ne fut pas fort heureux que ce soit en France ou plus tard en occupation en Allemagne. Elles ont été dotées d’uniformes de laine et de longs manteaux ce qui ne suffisait pas à lutter contre l’humidité et le froid de l’automne et de l’hiver. Les rations étaient maigres et les logements sommaires. Beaucoup furent frappés par l’épidémie de grippe sans recevoir de soins.

 

 

Hell cite le cas d’une unité siamoise affamée et égarée sur les routes – mais le cas ne fut pas isolé – qui rencontra une unité française laquelle refusa non seulement de partager ses rations mais de lui indiquer son chemin. Heureusement pour elle, une unité américaine de passage leur offrit la nourriture et les remit dans la bonne direction (12).

Hell cite encore le cas d’un interprète français furieux de devoir manger à la table des Siamois qui refuse de passer la corbeille de pain parce que ce n’était pas son travail. Les choses ne se déroulèrent pas mieux avec les officiers d’aviation français chargés d’instruire les aviateurs siamois et qui se contentèrent de les faire marcher au pas.

Dans une lettre au roi, le prince Charoon écrit « Bien sûr, nos hommes ressentent grandement et simplement de la haine à l’égard de la France » et ajoute « je suis profondément désappointé que ce résultat soit totalement à l’opposé de ce que furent les intentions de votre majesté »

 

 

Beaucoup revinrent avec la haine des Français plus encore que celle qu’ils avaient éprouvée les années précédentes en souvenir de 1893 et des années suivantes. Il ne faut pas oublier – nous l’avons tous vécu – que tous les anciens combattants aiment à raconter leurs souvenirs quitte à les amplifier. Tous ceux qui partirent et revinrent étaient jeunes, tous restèrent probablement dans l’armée et s’y trouvaient encore en 1941 lorsque le Siam entra en guerre contre la France. Ils y ramenèrent des souvenirs qui ne s’étaient certainement pas évaporés. Nous n’avons malheureusement pas connaissance de ceux du dernier survivant de ces 1284 volontaires, Yod Sangrungruang, mort en 2003.

 

 

Né en 1897, engagé volontaire à 20 ans, il servit jusqu’à la fin de la guerre comme mécanicien d’aviation, il revint dans son pays en juin 1919 et ne participa pas au défilé de la victoire du 14 juillet 1919.

 

 

Découvert par les médias en 1999, il eut l’incommensurable honneur d’être décoré de la légion d’honneur à l’initiative du Président Chirac par l'ambassadeur de France en Thaïlande, Gérard Coste, dans sa ville natale de Phitsanulok où il mourut quatre ans plus tard à 106 ans. Peut-on considérer cela autrement que comme une hautaine et dérisoire aumône ? Probablement gâteux lors de la remise de la médaille mais dur à cuire, il put profiter de l’allocation aux légionnaires de 6 euros par an pendant quatre ans, un hommage qui a coûté 24 euros à la France, le prix de deux caisses de bière. Qu’il nous soit permis de penser que s’il avait été en état de donner ses impressions, il nous eut - peut-être - dit qu’il aurait préféré 80 ans auparavant être nourri d’une bonne soupe bien chaude et bénéficié d’un peu de considération de la part des aviateurs français. Ce n’est évidemment qu’une hypothèse.

 

NOTES

 

(1) Voir nos articles :

164 « LE SIAM PARTICIPE A LA 1ÈRE GUERRE MONDIALE » :

http://www.alainbernardenthailande.com/article-164-le-siam-particpe-a-la-1ere-guerre-mondiale-125175819.html

28. « LE SIAM ET LA 1ÈRE GUERRE MONDIALE ».

http://www.alainbernardenthailande.com/article-28-les-relations-franco-thaies-la-1-ere-guerre-mondiale-67543426.html

(2) Voir notre article :

A 176 – « LE MEMORIAL DE BANGKOK A LA MEMOIRE DES 19 MILITAIRES SIAMOIS MORTS AU COURS DE LA GRANDE GUERRE ».

http://www.alainbernardenthailande.com/2015/02/le-memorial-de-bangkok-a-la-memoire-des-19-militaires-siamois-morts-au-cours-de-la-grande-guerre.html

(3) Voir notre article :

A 243 –  « LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK »

http://www.alainbernardenthailande.com/2017/11/a-243-les-francais-du-siam-morts-a-la-guerre-de-1914-1918-et-le-monument-du-souvenir-a-bangkok.html

 

(4) Dans ce qu’elle a de pire la propagande des alliés alla jusqu’à accuser les « boches »

 

qu’on appelait alors plus volontiers les « huns » ou les « barbares » d’embrocher des petits enfants belges sur leur baïonnettes pour les faire rôtir.

 

Version franco-anglaise du petit belge à la broche :

 

 

Version allemande du soldat nourissant le petit belge :

 

 

Les Allemands n’étaient pas en reste qui accusait les Sénégalais utilisés pour « nettoyer les tranchées » à la machette - une tâche que la plupart des Français se refusaient à accomplir - de prélever quelques bons morceaux pour améliorer leur popote.

 

 

(5) « Siam and world war I : An international history », River books à Bangkok, 2017 (ISBN 9786167339924) établi sur la base de documents d’archives et de correspondances privées qui ne semblaient pas avoir été exploités jusque-là. Nous n’avons malheureusement pas pu nous procurer l’ouvrage mais bénéficions d’une bonne synthèse publiée dans le volume 106 du journal de la Siam society, pp. 365-369.

 

(6) « A NOTE ON THE MILITARY PARTICIPATION OF SIAM IN THE FIRST WORLD WAR » in Journal de la Siam society, volume 70, pp. 133-136.

 

(7) L’exemple typique, le premier en date, est celui de l’allégation de la violation de la neutralité de la Belgique dont le droit international de l’époque peut donner des interprétations divergentes, le statut de neutralité restant alors obscur : l’Allemagne avait adressé un ultimatum à la Belgique sous forme brutale il est vrai, exigeant seulement le droit de passage pour ses troupes. Le gouvernement du roi Albert répondit que le pays s’y opposerait par tous moyens. Un pays pouvait-il rester neutre tout en autorisant un droit de passage ? La réponse est incertaine, probablement positive. Malheur aux vaincus.

 

 

(8) Ne revenons pas sur les premiers bombardements des populations civiles, avions anglais sur Düsseldorf, Cologne et Friedrichhafen (version allemande)

 

Bombardements effectués en violation systématIque de la neutralité suisse :

 

ou Zeppelins sur Anvers (version franco-anglaise)

 

 

ni sur l’utilisation des gaz de combat inaugurée par les Français (version allemande) ou fruit de l’imagination sanguinaire des « boches » (version franco-anglaise). Malheur aux vaincus.

 

 

(9) Il est actuellement unanimement reconnu que le navire américain transportait en toute illégalité une cargaison d’armement à destination des alliés sous pavillon neutre. Il était difficile pour le droit international de l’époque d’appréhender cette forme de guerre jusqu’alors inconnue. Lorsque Surcouf s’attaquait aux navires neutres qui tentaient de forcer le « blocus continental » et envoyait au fond des mers tout ce qu’ils contenaient, équipage et passagers compris, il était considéré comme un héros. Torpillage du Lusitania, immonde crime de guerre pour les alliés, immense victoire navale pour les Allemands. Malheur aux vaincus.

 

 

 

(10) Il n’y avait pas de Siamois parmi les victimes du torpillage du Lusitania dont la liste est connue (http://www.rmslusitania.info/people/lusitania-victims/). Nous avons épluché le rôle des trois classes de passager et celui des membres d’équipage. Quand ces princes ont-ils été torpillés ? Probablement après l’intensification de la guerre sous-marine ordonnée par Guillaume II en février 1917. Il nous faudrait avoir accès à la presse siamoise de l’époque.

 

(11) N’oublions pas que cette guerre et son cortège de 10 millions de morts au combat a eu pour origine deux morts, l’assassinat par un terroriste serbe d’un très obscur archiduc autrichien et son épouse, héritier du trône.

 

 

(12) Sans faire de mauvais esprit, on peut penser qu’il s’agissait d’une unité de noirs : ceux-ci – composant plus du quart des troupes américaines - étaient placés dans des unités qui leur étaient réservés et considérés par les unités blanches probablement comme les Français considéraient les Siamois…. Nègres pour les uns, niaks pour les autres.

 

 

Partager cet article
Repost0
10 novembre 2018 6 10 /11 /novembre /2018 13:46
A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Pas un d’entre nous n’a échappé à la « Grande Guerre » au travers de nos grands-parents, d’anciens ou de proches, Français ou pas. Même si aujourd’hui il ne reste plus aucun survivant des combattants, le souvenir est là, parmi nous, dans tous nos villages et dans toutes nos villes, sur nos monuments aux morts et dans nos églises. A la diligence essentielle des représentants du « Souvenir français » en Thaïlande, les monuments à nos morts du Siam ont été réhabilités et inaugurés le 11 novembre 2016 après la construction des nouveaux bâtiments de l’Ambassade. Sans eux, ils auraient probablement disparu.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Une première plaque y est gravée à la mémoire des trois marins tués par les tirs siamois lors de l’ « incident de Paknam » de juillet 1893. Nous ne connaissons d’eux que leur état civil : François Guéguen, né le 7 mars 1853 à Lambézellec, un quartier de Brest,  François Jaouen, né le 2 juin 1869 à Locquirec dans le Finistère et François Allongue, né le 5 avril 1870 à Fréjus. Ils furent enterrés dans le terrain du Consulat général dans la nuit du 13 au 14 juillet avant que leurs dépouilles ne soit ultérieurement rapatriées en France. Le monument aux morts de Lambézellec ne porte pas de noms pas plus que celui de Locquirec qui ne débute qu’avec les morts de la grande guerre ainsi que ceux de Fréjus. Nous avons parlé des morts français durant l’occupation que certains croient devoir qualifier de « pacifique », de Chantaboun. Une plaque leur est consacrée … moins un officier purement et simplement oublié ! (1) Ne félicitons pas les historiographes de l’Ambassade !

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Le monument aux morts de la grande guerre porte les noms de onze de nos morts.

 

Il comporte une erreur consternante puisque dédié « à la mémoire des Français du Siam morts pour la Patrie » alors qu’ils ont tous eu droit à la qualification honorifique, et plus encore, de « morts pour la France », une distinction particulière qui a de nombreuses conséquences juridiques. Restons-en là et supposons cette erreur comme  involontaire. (2).

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Après que nous nous soyons intéressés aux Siamois morts pendant la grande guerre, il nous a évidemment intéressé de dire quelques mots de ces Français partis du Siam, morts au cours de ce que le Pape Benoit XV a appelé un « massacre inutile » en essayant d’avoir une vision plus humaine qu’une simple liste gravée, même en lettres d’or, dans le granit (3).

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

D'août 1914 à novembre 1918, la France mobilisa 8.700.000 soldats et marins, comprenant 33 classes d'âge allant de 20 ans (classe 1919) à 48-50 ans (classe 1886) (4).

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Quelle est la situation au Siam ?

 

Nous avons un bon aperçu de la population étrangère à la veille de la guerre par une source précieuse, le Bangkok Siam directory de 1914.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Lorsque la guerre éclate, il  y a au Siam 240 français, 146 hommes, 63 femmes et 31 enfants. De ces hommes, 44 sont des prêtres catholiques dépendant des Missions étrangères de Paris. La plupart des femmes, 20, sont des religieuses. L’ordre de mobilisation parvint très rapidement à Bangkok. Nous ignorons quand et comment il est arrivé et comment il a ensuite été répercuté sur nos nationaux dont certains, les missionnaires, résidaient dans des zones reculées.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Un navire anglais, le Syria quitte Bangkok le 7 août et arrive à Marseille le 14 ou le 15 septembre. Une autre partie des mobilisés semble avoir rejoint également Marseille sur un navire japonais. Ils sont 60 mobilisés dont 11 ne reviendront pas. Nous n’avons pas trouvé d’autres précisions sur des départs ultérieures à la suite de la mobilisation des classes les plus anciennes.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Qui étaient-ils ?

 

Nous avons une source précieuse même si la consultation n’en est pas toujours facile pour des raisons d’homonymie : Le Ministère des armées propose à travers son site « Mémoire des hommes » de chercher un nom parmi les victimes de la grande guerre. Ce site qui est une mine d'or pour les familles et les chercheurs permet en outre un accès à certaines pièces et livrets matricule patiemment scannés et mis à disposition du public. Il ne commence malheureusement qu’avec la guerre de 14. Pour les conflits antérieurs celui de 1893, nous devrons rester sur notre faim (5).

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Le mémorial de Bangkok respecte – comme tous les monuments aux morts de France – le seul ordre alphabétique, ils sont tous égaux devant la mort. Nous ne le respecterons que partiellement, réservant une place de choix aux religieux pour la bonne raison que le site des Missions étrangères  nous donnera de précieux renseignements, révélateurs de l’état d’esprit de ces combattants.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Les six civils

 

François Auguste de Fornel, ingénieur au service du gouvernement siamois, est né le 24 juillet 1880 à Angoulême. Il est de la classe 1900, mobilisé comme sergent au 7ème régiment de zouaves. Il est mort à l’ennemi à Ypegaal (Belgique) le 10 novembre 1914. Il avait  34 ans.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Frédéric Augustin Edmond Fortin, employé au « Comptoir français du Siam » est né le 28 février 1880 à Paris, également de la classe 1900. Sous-lieutenant au 20ème bataillon de chasseurs à pieds, il mourut à l’ennemi à Notre-Dame-de-Lorette le 10 juin 1915, à 35 ans.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Marcel Henry, fils du directeur de la « Banque de l’Indochine » à Bangkok, mourut à Bangkok le 12 octobre 1920 des suites des blessures au gaz reçues en 1915. Il avait 24 ans. Il est absent de la liste des 29 morts pour la France du Ministère des Armées portant ce nom et ce prénom. Est-ce en raison de la tardiveté de son décès ? Les conditions d’obtention de ce titre étant assez strictes ?

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Louis Emile Jean Baptiste Rabjeau, cadre à la compagnie « Est-asiatique-français » est né le 22 février 1982 à Angers. Il est de la classe 1902. Il  disparut au combat dans le Somme, à Belloy-en-Santerre le 4 septembre 1916 à 34 ans. Il était sergent au 27e bataillon de tirailleurs.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Maurice François Richer, conseiller juridique du gouvernement siamois, est né à Paris le 4 mai 1881. Il est de la classe 1901. Lieutenant au 21e  régiment d’infanterie coloniale, il mourut à l’ennemi dans la Marne le 3 février 1915 à 33 ans. 

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Henri Isidore Segnitz, membre de la commission des lois au ministère siamois de la justice comme collaborateur de Padoux, est né le 9 novembre 1881 à Paris, de la classe 1901. Il était lieutenant au 308e régiment d’infanterie et fut tué à l’ennemi à Hargicourt dans la Somme le 22 août 1915 à 33 ans. Avocat de formation, docteur en droit, il fut nommé Chevalier de la Légion d'honneur à titre posthume par décret du 1er octobre 1918 et décoré dans les mêmes conditions de la Croix de guerre. Il fut ainsi cité à l’ordre de l’armée « Alors qu'il s'était porté en avant de la première ligne pour donner l'exemple à ses hommes, il perdit connaissance en disant à son colonel « Dites à mes hommes d'avoir du courage, j'ai fait tout mon devoir. » Officier ayant donné, depuis son arrivée au front, le plus bel exemple de courage et de sang-froid. Est tombé mortellement frappé, le 21 août 1915 ». Son nom apparait sur la stèle commémorative à la faculté de droit de Paris (ancienne faculté, actuellement Université Paris-Panthéon-Sorbonne),

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

...à l’Ecole libre des  Sciences politiques qui fut considérée comme « l’école de la revanche » ...

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

et dans le livre d’or de son régiment.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Nous sommes mieux renseignés sur eux pour la raison que le site des Missions étrangères - l’Ordre est fidèle à ses morts - leur consacre une notice souvent émouvante fondée pour une grande partie sur les correspondances adressées à Paris ou communiquées par leurs familles (6). Le déclenchement de la guerre ne suscita pas chez les religieux des terres lointaines les mêmes réactions que chez les civils lesquels sont tous partis comme dans la métropole la fleur au fusil, les frères se quittant en se disant « Au revoir, à Berlin ! ».

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Cette question a fait l’objet d’une longue étude de Paul Christophe (7).  La question était simple, il s’agissait tout simplement de savoir s’ils devaient quitter leur mission pour participer à une guerre dont on ignorait la durée même si tous pensaient qu’elle serait brève. Les avis des vicaires apostoliques divergèrent. Il ne s’agissait bien évidement pas de déserter mais de savoir s’il était possible d’abandonner les ouailles. Les autorités civiles estimaient parfois que la présence des missionnaires serait plus utile sur place pour  éviter toute agitation dans les populations locales. Certes, cette question pouvait se poser directement dans les pays sous tutelle coloniale, Cambodge ou Indochine, mais elle pouvait aussi se poser de façon marginale dans les régions du Siam occupées par de fortes minorités annamites, cambodgiennes ou laotiennes souvent en majorité catholiques : Les missionnaires tenaient leurs paroissiens en mains alors que dans leurs pays d’origine commençaient à surgir des symptômes indépendantistes. Jusqu’au printemps 1915 au moins, certains missionnaires d’Indochine ont pu ainsi rester dans leur « poste avancé », le Gouverneur fermant les yeux, considérant qu’ils y étaient plus utiles pour encadrer une population non encore turbulente mais en passe de le devenir.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Mais pour Monseigneur Perros, vicaire apostolique du Siam ...

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

les missionnaires doivent partir en répétant la devise de Jeanne d’Arc « Pour Dieu, pour la patrie ». C’est ainsi que onze missionnaires débarquèrent à Marseille où, après avoir dit la messe à Notre Dame de la Garde, ils attendirent d’être dirigés sur leurs postes. La plupart résumerons le dilemme comme suit « S’il faut être soldat, soyons soldat. Le missionnaire est le soldat de Dieu, toujours et partout ».

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Qui étaient-ils ?

 

Le Révérend Père Auguste Marie Joseph Boursolles est né le 25 décembre 1889 à Tence (Haute Loire). Il était de la classe 1909. Il était missionnaire à Ubonrachathani. Sergent au 22e régiment d’infanterie coloniale, il mourut le 8 novembre 1915 à l’hôpital de Braux-Sainte- Cohière dans la Marne  des suites de ses blessures.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Il avait 26 ans. Telle est la mention très administrative du Ministère des Armées. Les Missions étrangères sont plus prolixes : Il fit ses études secondaires à Monistrol et entra au Séminaire des Missions Etrangères le 11 septembre 1907. Ordonné prêtre le 7 mars 1914, il part le 15 avril suivant pour la Mission du Laos. Il lui est attribué le poste de vicaire à Ubon. Il y est à peine arrivé que la guerre éclate. Le 6 novembre 1915, dans les tranchées de Champagne, il est grièvement blessé au crâne par un éclat d'obus. Porté à l'ambulance, il y meurt le 8 novembre, assisté du Père Darles, missionnaire de Mandchourie. Plusieurs autres missionnaires mobilisés assistèrent à ses funérailles. « C’était mon meilleur ami », écrit un de ses confrères du Laos, mobilisé au même régiment. « Je l’appréciais beaucoup et j’aurais vivement désiré l’avoir avec moi pour retourner là-bas, après la guerre. Il était d’un caractère très doux, d’une grande délicatesse dans ses rapports avec les autres, et ne faisait jamais de peine à personne. Il n’a laissé que des amis partout où il a passé ». Des soldats coloniaux disaient un jour : « Ah ! c’est grand dommage que nous n’ayons plus Boursolles comme caporal… Quel bon type, toujours de bonne humeur ! Et puis, il avait ce beau calme de vieilles troupes coloniales. Simple, il l’était aussi, cherchant constamment à s’effacer ». S’il est parti comme sergent, c’est à son corps défendant. Il répondit à son capitaine, qui lui demandait s’il voulait avoir de l’avancement : « Non, mon capitaine, car je ne me sens aucune aptitude pour le commandement ; je demande plutôt à rendre les galons que j’ai ». Il paraît bien avoir eu le pressentiment de sa mort. Dans la dernière carte qu’il écrivait, des tranchées de Champagne, à M. Burguière, son curé au Laos, mobilisé comme lui, il disait : « Priez pour moi, si vous voulez garder votre petit vicaire d’Oubone ... Comment, sinon par une protection spéciale de la sainte Vierge, ai-je pu échapper jusqu’ici à la mort, alors que j’en ai vu tomber tant auprès de moi ? ». Le 1er novembre, 5 jours avant qu’il ne fût blessé à mort, il écri­vait à un ami: « Hier pendant la nuit, j’ai été rêveur, malgré les 77 et les shrapnells… Beaucoup d’obus sont tombés sur nos parapets... Tout cela est terrifiant, et cependant c’est du pain quotidien. La mort nous guette à chaque instant. J’ai connu ces heures d’attente, l’arme en mains et la baïonnette au canon, où l’on n’attend qu’un ordre pour s’élancer sous une pluie de mitraille et de feu. J’ai piétiné des cadavres allemands, étendus au milieu d’équipements et de fusils. J’ai connu la tristesse d’un soir de bataille, où chacun réfléchit et où la pensée se reporte bien loin, vers les parents et le pays natal. Quelle différence avec le passé, c’est-à-dire avec le Séminaire de Paris, où régnait une douce tranquillité ; avec le Laos, où je me sentais déjà si heureux ! Me voilà en pleine mêlée... J’ai vu tomber, sous les éclats d’obus, mes voisins de droite et de gauche, et moi seul j’ai été épargné comme par miracle. Je prie le bon Dieu, j’égrène souvent mon chapelet, invoquant le secours de la sainte Vierge, qui certainement m’a protégé ».

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Le révérend père Henri Cavaillé  est  né le 3 avril 1889 à Puylaroque (Tarn et Garonne) de la classe 1909 et fut incorporé comme caporal au 280e régiment d’infanterie.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Missionnaire à Nakhonchaisi, il mourut des suites de ses blessures contactées en captivité,  le 1er novembre 1918 à Nancy, à 29 ans. Le site des Missions étrangères est moins austère : Il avait été admis au Séminaire des Missions Étrangères le 5 janvier 1907, fut ordonné prêtre le 7 mars 1914, et partit pour le Siam le 15 avril suivant. Il venait juste de commencer l’étude du thaï à Nakhonchaisi quand l'ordre de mobilisation le ramena en France. Bientôt fait prisonnier, il endura cinquante mois de captivité. Après sa libération, il fut envoyé à Nancy, où il mourut le 1er décembre 1918, épuisé par sa longue détention. Il était dans sa trentième année et n'avait passé que deux mois et demi dans sa mission.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Le Révérend Père Gustave Rouan Marie Lagathu naquit le 15 mars 1885 à Guilers (Finistère) et fut incorporé comme 2e classe en 2e régiment d’infanterie coloniale, classe 1905 comme brancardier-aumônier.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Admis au Séminaire des Missions étrangères en 1906, ordonné prêtre le 6 mars 1909, partit le 21 avril suivant pour la mission du Laos. Après l’étude du laotien à Nong Seng, il fut nommé vicaire à Tharé (Sakonnakhon). C’est le seul de nos prêtres de l’Isan. Il assista au sacre de Monseigneur Prodhomme à Saïgon, le 14 septembre 1913.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Il fut tué au Chemin des Dames, le 16 avril 1917, alors qu'il portait secours à un blessé.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Le Révérend Père Charles Valentin Joseph Sommelet, naquit le 14 mars 1885 à Humes-Jorquenay dans la Haute Marne. Admis au Séminaire des Missions Étrangères en 1904, ordonné prêtre le 18 décembre 1909, partit pour la mission du Siam le 11 mai 1910. Il fut envoyé à Nonghin (dans la province de Loei) en 1912, pour se perfectionner dans la langue, puis fut affecté à la paroisse du Calvaire à Bangkok en 1914. Mais il fut bientôt mobilisé pour la guerre et revint en France où il fut incorporé au 21e régiment d’infanterie.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Il fut tué au front, dans l'Artois, le 30 décembre 1914.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Le frère Eugène-Clovis Roux, il n’était pas prêtre mais c’était un « petit frère », religieux n’ayant pas reçu le sacrement de l’Ordre sacerdotal, grâce auquel il peut célébrer le sacrifice de la messe et réaliser des tâches propres au ministère pastoral, mais membre d’un ordre. Nous savons peu de choses sur lui. Professeur au collège de l’Assomption à Bangkok, donc sous la tutelle des Missions étrangères.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Il était né au Puy-Saint-Vincent dans les Hautes-Alpes, le 4 mai 1883. De la classe 1903, il fut incorporé comme sergent au 159e régiment d’infanterie. Il fut tué à l’ennemi à Barleux dans la Somme le 4 septembre 1914, il avait 31 ans.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Le 13 novembre 1917, dans un retentissant discours devant la chambre, Clémenceau déclara sous un tonnerre d’applaudissements : « … Ces Français que nous fûmes contraints de jeter dans la bataille, ils ont des droits sur nous.. ».

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Qu’en reste-t-il ?

 

Probablement 1.400.000 morts français, 100.000 peut-être venus de nos colonies, nos bons « nègres », nos bons Annamites et nos bons arabes. La victoire de 1918, fruit de 18 ou 19 millions de morts militaires, ne parlons pas des civils, suscita dans le monde un espoir immense, que cette guerre soit la dernière, « la der des der ». On chanta Paul Arène, le très oublié poète de Sisteron « demain sur nos tombeaux, les blés seront plus beaux ». Les blés n’ont pas repoussé sur les terres ravagées de la Somme ou de la Champagne. Bien au contraire, cette guerre porta incontestablement en germe les 25 ou 30 millions de morts seulement militaires de la suivante, ne parlons toujours pas des civils.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Il est incontestable qu’un vent de folie a alors soufflé sur le monde et a soulevé une tempête qui a déséquilibré les esprits. Nos missionnaires sont partis en ayant l’assurance de faire la volonté de Dieu. Chez leurs ennemis « Boches », Allemands ou Autrichiens, les militaires portaient un ceinturon sur la boucle duquel était inscrit « Got mit uns » (« Dieu avec nous »).

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Ce Dieu était le même que le leur. Lorsque, quand la guerre fut déclenchée, l’ambassadeur d’Autriche – seul pays de tous les belligérants alors catholique - au Vatican demanda au pape Pie X de bénir ses armés, celui-ci répondit « je ne bénis pas les armes, je bénis la paix ».

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

Mais pour nos missionnaires, le service de Dieu et celui de la Patrie fut indissociable. Le R.P.Boursolle en fut l’archétype. Ce langage nous est devenu non pas incompréhensible mais étranger alors que ce patriotisme fut partagé par tous les prêtres et les catholiques de l’Europe belligérante. Les nations s’étaient alors sacralisées et les religions nationalisées. Cette tragédie aboutira à la réflexion de Vatican II dans l’encyclique Gaudium et Spes sur la guerre et la paix du 7 décembre 1965 et au cri retentissant du Pape Paul VI à la tribu de l’ONU le 4 octobre 1965 « Plus jamais la guerre ». Le ciel ne l’a pas entendu.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

60 Français du Siam ont été mobilisés, 11 sont morts, dont 5 religieux. Ils sont bien tous « morts pour la France ».

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

La plaque commémorative d’origine avait été inaugurée par le Maréchal Joffre, notoirement anticlérical, en 1921 sans que les autorités religieuses soient invitées à la cérémonie, cela ne fut fait que par le Maréchal Foch, notoirement clérical, en février 1925 lors d’un voyage d’agrément au Siam (8).

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

SOURCES

 

Chaque régiment ayant participé à la guerre eut son livre d’or publié dans les années 20 donnant la liste de ses morts. Tous y figurent, mais seuls en général les officiers supérieures y ont une notice détaillée.

 

NOTES

 

(1) Voir notre article H 17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905).

 

(2) La mention « mort pour la France » est un honneur posthume. Elle a été créée par la loi du 2 juillet 1915, aux fins d’honorer la mémoire des victimes de guerre. Les dispositions initiales applicables à compter du 2 août 1914 ont évidemment été adaptées pour tenir compte des victimes des conflits ultérieurs. Elle est attribuée par l’autorité militaire lorsque la preuve est rapportée que le décès est imputable à un fait de guerre, que ce décès soit survenu pendant le conflit ou ultérieurement. Elle doit être obligatoirement apposée en marge par l’officier d’état civil qui établit l’acte de décès. Elle est essentiellement honorifique et aucun pécule, capital ou pension ne sont versés lors de son attribution. L'inscription des Morts pour la France sur le monument aux morts de leur lieu de naissance ou de leur dernier domicile est obligatoire. Elle donne le droit à une sépulture individuelle et perpétuelle dans un cimetière militaire aux frais de l’État. Elle a une incidence non négligeable sur le bénéfice des droits d’auteurs au profit des ayant-droits puisqu’elle est prolongée de 30 ans. Les œuvres de Guillaume Apollinaire, mort pour la France en 1918, sont tombées dans le domaine public français en 2013. Celles d’Antoine de Saint-Exupéry, mort pour la France en 1944, entreront dans le domaine public en 2033.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

 Notons que, dans son incommensurable bonté,  le législateur de 1915 décida que devaient en bénéficier les « indigènes de l’Algérie, des Colonies, ou pays de protectorat et des engagés au titre étranger tués ou morts dans les mêmes circonstances ». Naturellement, les mânes des Sénégalais utilisés essentiellement pour « nettoyer les tranchées », des Annamites ou des Arabes d’Afrique du nord utilisés comme « chair à canon » en éprouvent une intense satisfaction.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

(3) Voir notre article A 176  « Le Mémorial de Bangkok à la mémoire des 19 militaires Siamois morts au cours de La grande guerre » :

http://www.alainbernardenthailande.com/2015/02/le-memorial-de-bangkok-a-la-memoire-des-19-militaires-siamois-morts-au-cours-de-la-grande-guerre.html

 

(4) La première vague de mobilisation, en août 1914, porta sur les classes 1896 à 1910 soit les hommes de 24 à 38 ans. Les hommes de 21 à 23 ans des classes 1911, 1912 et 1913 étaient déjà sous les drapeaux. Les classes plus anciennes - 1892 à 1895 - de 39 à 42 ans - seront mobilisées entre septembre et décembre 1914. Deux nouvelles fournées interviendront en mars-avril 1915, classes 1889 – 1891, les hommes de 43 à 45 ans et un an plus tard, les classes 1886-1888 pour les hommes de 48 à 50 ans.

A 243 – LES FRANÇAIS DU SIAM MORTS À LA GUERRE DE 1914-1918 : LE MONUMENT DU SOUVENIR A BANGKOK

(5) Le site est le suivant :

http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/article.php%3Flarub%3D24%26titre%3Dmorts-pour-la-france-de-la-premiere-guerre-mondiale

 

(6) http://archives.mepasie.org/fr

 

(7) « Des missionnaires plongés dans la grande guerre » éditions du Cerf, 2012.

 

(8) « J’en avais tellement assez de cet après-guerre que je partis pour  le Siam » cité par Katia Bogopolskaia « Diplomates écrivains : correspondances diplomatiques », 1999.

 

Partager cet article
Repost0
17 octobre 2018 3 17 /10 /octobre /2018 22:24

 

 

SECONDE PARTIE

 

Nous avons parlé dans notre précédent article (1), qui en suivait plusieurs autres (2), du sort de ce qu’il est convenu d’appeler « les esclaves » au XIXe siècle jusqu’à l’abolition de l’institution en 1905.

 

 

Il semble bien que l’utilisation de ce terme résulte d’un abus de langage ou d’une insuffisance terminologique ? Les textes anciens régissant leur statut utilisent systématiquement le mot « that » (ทาส) retranscrit dans leur version anglaise par « slave » y compris d’ailleurs par le Roi Rama V  qui connaissait parfaitement l’anglais mais qui toutefois, dans le préambule de son décret de 1905 tint à souligner que l’esclavage au Siam n’était pas l’esclavage d’autres régions du monde. Le terme « kha » (ข้า) que l’on peut également traduire par « esclave » n’est jamais utilisé (3) Bien que nous ne sachions que peu de choses sur l’esclavage à l’époque d’Ayutthaya – Chroniques et Annales sont muettes sur le sujet, nous savons tout au moins qu’à partir de la moitié du XVIIe jusqu’à 1905 le pays n’eut pas à souffrir les excès qui conduisirent Rome, les Antilles françaises (nos « îles à sucre ») ou les États-Unis à des guerres sanglantes (4).

 

 

Ce sort le plus souvent débonnaire s’explique en grande partie par un statut juridique sur lequel nous avons tenté de nous pencher. Il nous faut bien évidemment citer Émile Jottrand, ce juriste belge qui participa à la préparation du nouveau code pénal (5) : « C'est toujours une lecture curieuse que celle des lois qui règlent cette institution singulière… Les textes sur cette matière, avec divisions et subdivisions, rappellent assez bien les discussions des Pandectes sur des pointes d'épingles » (6).

 

 

Sans entrer en profondeur dans le détail de cette législation « byzantine », nous bénéficions d’une classification établie par John Bowring qui écrivait en 1857 (7).

 

 

Il y a sept classes d’ « esclaves » – nous utilisions ce terme par défaut faute de meilleure alternative nous dit-il - selon la législation qu’il date de 1359 (Ramathibodi Ier) et qui décrit les sept manières de tomber en esclavage mais qu’il est plus simple de schématiser en trois :

 

- Les esclaves de guerre

- Les esclaves par achat

- Les esclaves par naissance.

 

Il ne semble pas y avoir eu trafic organisé méthodiquement comme celui des négriers souvent arabes ou portugais avec l’Amérique et responsable de la déportation de peut-être 20 millions de noirs. 

 

 

Signalons toutefois l’existence d’un trafic néfaste (mais peut être ponctuel ?) signalé par Crawfurd de jeunes gens capturés à Samarang sur l’île de Java et vendu par les capitaines de jonques chinoises  au Siam (8). Des hordes incontrôlées siamoises ou indochinoises se livraient à des razzias dans les régions frontalières le plus souvent au détriment des populations des minorités ethniques qu’ils revendaient sur la rive droite du Mékong, Sédangs au sud ou Kha du Laos dans le nord-ouest. Ces opérations ont été signalées par Francis Garnier (9).

 

LES ESCLAVES DE GUERRE

 

Il faut les classer selon leur origine, les Malais qui seraient 8.000. Ils furent enlevés de 1821 à 1 824 des États malais de la péninsule lors des expéditions du gouverneur de Ligor et pour la plupart originaires de Tringanou, de Kélantan et de Patani. Les Cochinchinois seraient 10.000, les Peguans seraient également 10.000, les Laos seraient 20.000 provenant de l’invasion siamoise de 1827-1838 (10), et les Birmans ne seraient que 1.000. Cette estimation  (59.000)  ne tient compte que des combattants capturés et non  de la famille, femmes et enfants qui suivent.

 

On peut supposer que les chiffres de Bowring, proche du roi, sont fiables. Bowring ne mentionne toutefois pas les Cambodgiens qui ont ou auraient été déportés à la suite des campagnes du général Bodindecha en 1835. En tout état de cause et malgré de lourdes incertitudes, nous sommes bien loin du chiffre délirant de 1.500.000 avancé par la presse coloniale (11). Ils appartiennent en priorité au roi, mais il aurait détesté les Cochinchinois (selon Bowring) et les distribuait au second roi.

 

Les Malais et quelques Peguans furent versés dans la marine. Ils y perçoivent un salaire de 8 ticals par mois jusqu’à 30 pour les officiers en sus de la nourriture. Ceux qui sont employés dans l’armée de terre perçoivent 4 ticals. Ils doivent tous 3 mois de service  au cours desquels ils sont payés et disposent donc de 9 mois à occuper à leur convenance.

 

Il semble clair que leur sort, une fois arrivés à marches forcées depuis le lieu de la bataille était généralement « acceptable ». Les obstacles à l'assimilation sont probablement inexistants : Soldats de quelque chef de guerre lao, indochinois ou birman, dont on ne sait trop comment ils les traitaient, ils deviennent soldats d’un chef de guerre siamois dont nous savons comment ils les traitaient.

 

 

L’idée de nation n’existant pas, ils ne font que changer de maître. Établis avec leur famille dans des villages éparpillés dans le pays de préférence loin de leur pays d’origine, sous l’autorité d’un chef de leur race, l’identité du groupe linguistique peut y subsister mais il ne semble pas qu’il y ait eu des obstacles majeurs à leur assimilation dans le tissu social siamois. On leur donnait des terres et ils ont contribué à peupler le pays de la même façon que les anciens domaines de Rome. Il n’est mentionné aucunes tentatives significatives de fuite et aucune mention de mauvais traitements. A partir du XIXe siècle (1801) ils bénéficient du même droit au rachat de leur liberté dans les mêmes conditions que les esclaves rachetables dont nous parlons plus bas selon les mêmes paramètres (âge et sexe).  

 

 

En dehors de leur fonction militaire, ils ont évidemment été utilisés pour contribuer à l’augmentation de la population et pouvaient également être employés au service royal comme phrai luang (ไพร่หลวง), statut sur lequel nous reviendrons.

 

 

Notons encore que les enfants mâles deviennent esclaves du roi mais que les parents peuvent disposer des filles à leur guise, y compris de les vendre. Lorsque Jottrand écrit en 1905, il ne parle plus que des esclaves pour dettes ce qui laisse à penser que cette espèce était virtuellement en voie de disparition. En admettant que ce régime ait été établi à partir du XIVe siècle et quelles qu’en aient été les motivations profondes qui ne relevaient bien évidemment pas de la charité chrétienne il déroge avec les usages de l’époque où régnait plutôt celui de tuer les mâles des populations vaincues, capturer leurs femmes pour l’usage que l’on devine et les enfants pour en faire de futurs esclaves.

 

 

Pour Monseigneur Pallegoix qui ne parle pas d’« esclaves de guerre » mais de « captifs », le terme est assurément mieux choisi : « Pendant les guerres, c'est la coutume d'amener captifs tous les habitants des places qu'on a prises, et le roi en distribue une partie à chaque mandarin, selon son rang et son mérite. Lorsque ces captifs ne se plaisent pas chez leurs maîtres, ils ont droit de passer chez un autre, pourvu que celui-ci paie leur rançon, fixée à quarante-huit ticaux par personne » (12).

 

Le qualificatif d’ « esclaves » de guerre semble donc parfaitement inadapté. L’histoire ne relate en tous cas aucun exemple de révolte de ces esclaves à force armée ou de fuite en masse. Pas de Spartacus,

 

 

pas de Toussaint Louverture.

 

 

LES ESCLAVES PAR ACHAT

 

Bowring les divise en deux classes les rachetables et les non rachetables. Monseigneur Pellagoix utilise le terme juridique de « rédimibles » et « irrédimibles ».

 

La classe des non rachetables

 

Elle est peu nombreuse nous dit Bowring sans nous donner de chiffres. Ce sont principalement des jeunes filles vendues par leurs parents. Il n’y a aucune garantie et par conséquent, plus des quatre cinquièmes d'entre elles prennent la fuite quand elles en ont l'occasion et le propriétaire n'a aucun recours. C’est un investissement perdant ! Nous ne sommes pas au Texas, on ne lâche pas de chiens dressés contre les fugitives !

 

 

Ceci nous est confirmé par l’article de R.B. Cruikshank que nous avons cité en première partie (13). Singulière législation qui ne permet pas à l’esclave de se racheter mais qui lui permet de fuir sans possibilité de recours de la part de son maître ! Monseigneur Pallegoix nous donne un exemple de contrat de vente, situation apparemment exceptionnelle puisque le père s’était porté garant en cas de fuite de sa fille (14).

 

La classe des rachetables

 

Elle serait la plus nombreuse, comprenant l’essentiel des esclaves du pays. Ces esclaves peuvent avoir été vendus par leurs parents ou s’être vendues eux-mêmes alors même qu’ils s’étaient déjà rachetés ! « Personne ne peut vendre un esclave sans son consentement » auraient dit d’érudits siamois à Bowring qui est tout de même sceptique. Le prix serait pour les hommes de 80 à 120 ticals et de 60 à 100 pour les femmes. Les chiffres énoncés par Monseigneur Pallegoix qui écrit à la même époque que Bowring sont à peu près les mêmes. La procédure d’achat et de vente est simple : Chaque esclave est porté sur un contrat que son maître conserve mais doit le donner chaque fois que l'esclave peut aligner la somme qui y est mentionnée.

 

Notons dans cette catégorie une sous-catégorie singulière, ce que les juristes appellent « le gage sans dépossession » tout comme lors de l’achat d’un véhicule à crédit qui est gagé en garantie du prêt mais reste à votre disposition. L’exemple le plus fréquent est celui d'un homme qui offre sa femme en garantie d’un prêt d’argent mais reste avec son mari.

 

 

LES ESCLAVES PAR NAISSANCE.

 

Leur situation est similaire à celle des esclaves pour dettes, Reprenons ce qu’en disait La Loubère : «  Quand on n'est esclave que pour dette, on redevient libre en payant : mais les enfants nés pendant cet esclavage, quoi que passager, demeurent esclaves. On naît esclave, quand on naît d’une mère esclave et dans l’esclavage les enfants se partagent comme dans les divorces. Le premier, le troisième, le cinquième, et  tous les autres en rang impair appartiennent au maître de la mère. Le second, le quatrième et les autres en rang paire appartiennent au père, s'il est libre ou à son Maître, s'il est esclave. Il est vrai  qu'il faut pour cela que le père et la mère n'aient eu commerce ensemble, qu'avec le consentement du maître de la mère  car autrement tous les enfants appartiendraient au maître de la mère ».

 

 

Bowring donne le détail minutieux par catégories, sous catégories et subdivisions et entre dans les méandres de cette législation qui semble avoir voulu appréhender toutes les situations possibles et imaginables. C’est très exactement ce que firent les Pandectes de Justinien, définir une foule de situations au cas par cas hors toute règle générale. Jottrand pour sa part nous donne quelques exemples auxquels nous nous limiterons, ceux qui sont basé sur cette constatation : Il ne faut pas oublier, que la chose vendue est une « chose vivante » (15).

 

 

Sur un plan général, nous savons que les esclaves étaient en général bien traités. Francis Garnier mérite d’être cité parlant des esclaves au Laos dont on peut supposer qu’ils étaient traités de même au Siam : «  Ils vivent même souvent si intimement et si familièrement avec leurs maîtres que, sans leurs cheveux qu'ils conservent longs et leur physionomie particulière, on aurait de la peine à les reconnaître au milieu d'un intérieur laotien. » (9).

 

 

Les droits du propriétaire sont également définis et le pouvoir disciplinaire limité à ce qui était nécessaire pour assurer l'obéissance sans causer de blessures. Ils ne recevaient probablement ni plus ni moins de coups de bâtons que les hommes libres ! Nous ne sommes pas en Alabama, le maître n'a pas le droit de vie et de mort sur aucun de ses esclaves.

 

 

Ceux-ci ne sont d’ailleurs pas dépourvus de droits puisqu’ils peuvent posséder et hériter. Ils ont également le droit d’ester en justice. Comme pour les esclaves rachetables, le prix est celui de la vente initiale, c’est la raison pour laquelle la vente d’esclaves devait être accompagnée d’un contrat écrit indiquant la date de la vente, le prix payé, le nom de l'acheteur, le nom du garant et le nom de l'esclave; le maître doit le lui restituer à la demande de l'esclave désireux d'acheter sa liberté à prix égal, pas de spéculation possible semble-t-il ? Il est encore d’autres dispositions favorables à ces malheureux : Le maître a l’obligation de les nourrir pendant les famines. Le maître est coupable d’adultère s’il dispose d’une esclave femelle munie d’un mari. Il est encore responsable de l’entretien, de l’éducation et du bien-être des enfants de l’esclave leur  mère.

 

S’il devient moine, il lui faut l’accord du maître mais il est alors automatiquement libéré. Une esclave par ailleurs devient automatiquement libre si elle a un enfant du maître ou d’un parent du maître.

 

R.B. Cruikshank nous détaille toutes ces dispositions que l’on pourrait – presque – qualifier de « code du droit des esclaves », il y avait une sérieuse atténuation de l'exploitation de l'esclave par le maître jusqu’à la disparition définitive de l'esclavage mais il pose aussi la question judicieuse de savoir comment elles étaient appliquées dans la réalité quotidienne ? Sa réponse est favorable au bénéfice de plusieurs observations : Par principe tout d’abord les normes bouddhistes prédominantes s’opposent aux mauvais traitements causés aux êtres vivants. Laissons-lui la responsabilité de cette opinion quand l’on sait ce dont nos paisibles bouddhistes sont parfois capables.

 

 

La seconde observation nous parait plus plausible : la main d’œuvre est rare, ce n’est pas en lui donnant des coups de triques que l’on va favoriser son ardeur au travail et  - en dehors de la possibilité de rachat - l’esclave a la possibilité de fuir et de se placer sous la protection d’un autre maître, la seule sanction étant alors que le second doit au premier le remboursement du prix tel qu’il apparaît sur le contrat d’origine.

 

 

QUELLE ÉTAIT LA NATURE DE L’INSTITUTION ?

 

R.B. Cruikshank y voit une relation de « patron à client » (« patron-client perspective ») plus qu’une relation de maître à esclave. Le choix des mots était-il conscient chez cet américain ? Il nous conduit irrémédiablement à faire le parallèle avec le droit romain en comparant évidemment ce qui peut l’être.

 

 

Telle fut l’opinion d’ailleurs du Capitaine de Malglaive dans l’un des rapports de la Mission Pavie (16).

 

 

La relation de clientèle qui domine la vie sociale de la Rome antique relie deux personnes de statut différent, un puissant et une personne de rang moindre, le client, en principe homme libre mais pas toujours. Le patron protège ses clients. Ses clients le soutiennent dans ses entreprises, cultivent ses terres. Ce sont souvent des citoyens endettés qui se sont mis sous sa protection. La comparaison vaut ce qu’elle vaut. Pourrait-on assimiler leur statut à celui des serfs sous l’ancien régime  puisque le servage n’était pas l’esclavage ? Contentons de faire ce que font les juristes lorsqu’ils découvrent une institution qu’ils ne peuvent exactement définir par comparaison et baptisons cette institution en tout état de cause dégradante qui soumet un homme ou une femme au pouvoir d’un autre de « sui generis ».

 

 

LE PRIX ?

 

S’il ne semble pas y avoir eu de « marché aux esclaves » comme en Amérique

 

 

ou dans les pays arabes,

 

 

il y a toutefois un « prix du marché » dont nous avons donné quelques chiffres. Nous pouvons être plus précis au moins au vu d’éléments ponctuels qui les confirment. En 1900 dans les six circonscriptions du Lanna (ล้านนา) savoir Phrae, Lampang, Nan, Thoen, Chiangmai et Lamphun (แพร่, ลำปาง, น่าน, เถิน, เชียงใหม่, ลำพูน) le prix varie de 48 ticals à 72 avec un net avantage pour les femmes (17).  Ces chiffres provenant d’une région reculée sont peu ou prou confirmés dans le texte de 1874 dont nous allons parler. Le tableau ci-dessous est significatif :

 

 

A cette date, un tical est équivalent à 1 franc 65. À Paris le pain « restaurant » vaut 38 centimes, le kilo de bœuf 1,80 francs et le litre de vin rouge 53 centimes. N’ayons pas la discourtoisie de traduire le prix d’une esclave femelle en kilos de bœuf. Si l’on admet que le franc de 1900 vaudrait environ 4 euros de 2018, nous vous laissons faire vos comptes. Ces chiffres n’auraient gère d’intérêt si nous n’avions pas d’autres éléments de comparaison plus significatifs. Or nous connaissons à la même date les rémunérations mensuelles dans l’administration : Un gouverneur de monthon gagne selon l’importance de sa circonscription entre 1.000 et 1.600 ticals par mois. Ses assistants selon leur grade, de 300 à 1.000 ticals par mois. Les gouverneurs de sous-circonscriptions, de 200 à 600 ticals par mois. Un magistrat de 200 à 250 ticals tout comme les autres fonctionnaires. Les salaires les plus bas sont ceux des domestiques entre 10 et 15 ticals (18).

 

Ces prix sont faibles ce qui s’explique bien évidemment par l’abondance de la marchandise sur le marché. Nous n’avons pas de statistiques et de recensement fiables avant le XXe siècle, il faut nous contenter de la première estimation de Monseigneur Pallegoix, un tiers d’une population de 6 millions d’habitants, chiffre confirmé par Bowring et repris ensuite par les successeurs sans plus de précisions. À titre de comparaison, il y avait aux États-Unis 4 millions d’esclaves sur une population de 31 millions.

 

 

L’ÉVOLUTION

 

Que savons-nous de l’institution dans le passé ? Nous avons vu qu’elle est ignorée des Chroniques et des Annales. Suivons les explications historiques que donne W.A.R. Wood, Consul général d’Angleterre à Chiangmai et ami du prince Damrong (19).

 

 

Elle aurait été ignorée sous le royaume de Sukhothaï et la stèle de Ramkamhaeng ne la mentionne pas. Elle aurait par contre été déjà fortement établie sous le règne de Ramathibodi Ier. Il nous signale la prise de Phitsanulok, et à cette occasion la capture d’un grand nombre de prisonniers de guerre réduits à l’esclavage. Il situe en 1637 la première loi relative à l’esclavage pour dettes « L'esclavage, bien qu'inconnu lors des beaux jours du roi Ramkamheng et de ses successeurs à Suukhothai, avait toujours été une caractéristique du système social siamois sous le règne d'Ayutthaya. L'esclavage dans un pays doit toujours être indissociable de la cruauté et des abus, mais une fois le système admis, la loi siamoise sur le sujet n'apparaît pas déraisonnable et n'ignore en rien les intérêts des esclaves ». Ses conclusions toutefois divergent de ce que nous avons écrit ci-dessus. Où se situe la vérité ? : « La loi contient des dispositions prévoyant la punition des maîtres qui ont tué ou blessé leurs esclaves, et de nombreux moyens ont été fournis pour permettre aux esclaves de retrouver leur liberté. Malheureusement, comme c'était inévitable, les dispositions les plus clémentes de cette loi étaient trop souvent ignorées et le sort d'un esclave de dette au Siam était souvent très misérable, même dans les temps modernes, jusqu'en 1905, lorsque le roi Chulalongkorn (Rama V) a accompli l'acte le plus noble de son long et mémorable règne en abolissant définitivement une fois pour toutes les dernières traces d'esclavage dans son royaume ».

 

 

L’arrivée massive des Chinois à partir du règne de Rama II (1809-1824), fuyant l’anarchie de leurs pays, (« laissez-leur prendre un pied chez vous, Ils en auront bientôt pris quatre ») et venus chercher du travail changea la donne. Industrieux, peu exigeants, incontestablement moins indolents que les Siamois, leur présence pesante répond à un besoin croissant de main-d’œuvre.

 

 

La coïncidence temporelle avec les exigences des pays occidentaux à l’égard du Siam pour obtenir la disparition des « traités inégaux » et le régime des capitulations est évidemment pur hasard. L’existence de l’esclavage était l’une des institutions qui choquait le plus ce que l’on n’appelait pas encore la « bonne conscience universelle ».

 

 

Les paramètres économiques le rendirent  rapidement obsolète. Les planteurs de coton du sud profond des États-Unis s’aperçurent assez rapidement qu’un noir qui ne leur coûtait plus que son seul salaire était plus rentable qu’un esclave qu’il fallait acheter, nourrir et habiller même mal, soigner et entretenir jusqu’à sa mort, élever les enfants jusqu’à ce qu’ils soient susceptibles d’aller aux champs… Un choix économique comme un autre.

 

 

Rama V procéda par étapes à une émancipation graduelle, sans précipitation dangereuse, pour éviter, comme le dit Jottrand « les résultats fâcheux et décourageants qu'on a observés jadis dans d'autres pays, notamment en Amérique ». Il dit lui-même : « Il est impossible de tout changer du jour au lendemain… si cette pratique est adoptée, les choses se dérouleront sans heurts et de manière satisfaisante au fil du temps ».

 

Le premier décret du 12 juillet 1874 stipule que tout individu né postérieurement à l’avènement du roi (1868) ne peut pas être esclave. C’est donc l'abolition à terme. Par cette mesure, la génération nouvelle est tout à l’abri d’un état dégradant aussi débonnaire soit-il. Les vieux soumis à l’ancien régime ne sont pas exposés aux risques de mourir de faim sans savoir faire usage de leur liberté. Tous les esclaves n’étaient pas « traités avec gentillesse » dit-il mais les enfants ne devaient pas subir les erreurs de leurs parents tombés en esclavage par leur incurie ou, pire, qui les avaient vendus pour payer leurs dettes de jeu (20).

 

Le deuxième texte tombé de la salle du trône en 1897 est destiné à pallier aux difficultés des esclaves pour se libérer, leur travail au profit du maître n'étant ni rémunéré ni déduit du capital de sa dette et ne représentant que les intérêts de la dette. Ce système il est vrai scandaleux prit fin : Désormais chaque esclave aura droit à une rémunération minimum de 4 ticaux par mois, qui lui sera comptée en déduction du capital de sa dette et non des seuls intérêts.

 

 

Le texte définitif intervint le 30 mai 1905 et fut proclamé le lendemain. En sont formellement exclues les provinces cambodgiennes de Bayap (มณฑลพายัพ) et Burapha  (มณฑลบูรพา) qui deviendront peu après françaises et les provinces malaises de Saiburi (Kedah), Kalantan et Tringganu qui deviendront peu après anglaises. On ne sait trop les raisons de cette exclusion.

 

La transition semble s’être faite sans trop de difficultés, parfois à la traîne dans les provinces excentrées, mais toute trace d’esclavage avait disparu dès 1910.

 

 

En dehors de la famille royale et de la noblesse, il n’y aura plus que - non pas des citoyens, notions alors étrangère à la culture siamoise -  mais des roturiers car si nous avons quelques doutes quant à la traduction exacte de that (ทาส) il n’y en a aucun sur la traduction de phrai (ไพร่). Ce sont tout simplement des serfs.

 

 

Il en est deux catégories, les phrailuang (ไพร่หลวง) et les phraisom (ไพร่สม). Les esclaves deviendront des phrai Luang constituant les grandes masses du peuple marqués et tatoués comme tels. Leur sort était-il meilleur que celui des esclaves ? Les fuites des phrailuang pour devenir phraisom dont le statut était moins contraignant auraient été nombreuses. Les autorités provinciales ou municipales peuvent exiger des phrailuang des services personnels de trois mois par an et plus en cas de besoin. La procédure habituelle est d'exiger un service non rémunéré d'un mois puis de leur accorder trois mois pour poursuivre leurs propres activités sauf le service supplémentaire. Mais qu’ils soient luang ou som, ils ont au moins un « protecteur ».

 

 

Ce n’est évidemment pas le cas de la catégorie la plus basse, celle des mendiants (khothan - ขอทาน). Après La Loubère, R.B. Cruikshank a le mérite de ne pas les oublier. Ils sont en bas de l’échelle hiérarchique, c’est leur karma qui les y a placés (parait-il ?) et n’ont ni protecteur ni protection, ni dépendance ni asservissement. Ils connaissent en quelque sorte – sans le savoir – ce que Saint Bernard appelait « la force de la liberté dans la misère ».

 

 

L’esclavage siamois était donc une forme particulière que peut prendre la dépendance et l’asservissement à travers le monde. Peut-on évoquer le lien qui existe encore de nos jours en Thaïlande et dans d’autres pays du Sud-Est asiatique, entre la coutume de l'esclavage tel qu'elle se pratiquait au XIXe siècle et la vente par leurs parents pauvres et endettés d'enfants et de jeunes filles destinés à la domesticité ou plus souvent encore à la prostitution

 

 

ou le sort des travailleurs immigrés sur les bateaux de pêche ? (21). Esclavage ou travail forcé, la différence devient alors bien subtile...

 

 

NOTES

 

(1) « L’ESCLAVAGE AU SIAM AU XIXe SIÈCLE JUSQU’À  SON  ABOLITON EN 1905 – PREMIÈRE PARTIE »

 

(2)  Cités dans la note 1 de l’article ci-dessus.

 

(3) Il semblerait toutefois qu’il ait été utilisé dans la partie laotienne du royaume (certaines parties des provinces de Buriram, Kalasin, Surin, provinces de Yasothon, Roi Et, Sisaket et Ubon Ratchathani) : voir l’article de Mademoiselle Sutida Tonlerd « ข่า: ทาสในมณฑลลาวตะวันออก และมณฑลลาวตะวันออกเฉียงเหนือ ระหว่าง .. 1779 – 1904 - The Slavery in Southern Laos, between 1779 and 1904 - in « วิจิตรศิลป์ Journal of fine arts » volume II de 2555-2012).

 

(4) Les historiens romains rapportent l’histoire de Vedius Pollion qui donnait ses esclaves à dévorer aux murènes géantes de son bassin. Il ne subit que la sanction de l’empereur Auguste qui fit combler ce vivarium.

 

 

La révolte des esclaves conduite par Spartacus eut pour résultat 60.000 esclaves tués au combat et 6.000 crucifiés.

 

 

La  révolte à Saint-Domingue sous la conduite de Toussaint Louverture : 100 ou 200.000 morts. 

 

 

Guerre de Sécessions aux États-Unis : des centaines de milliers de morts.

 

 

(5) Émile Jottrand «  Au Siam. Journal de voyage de M. et Mme Émile Jottrand » pp 93 s. 1905,

 

 

(6) Les pandectes sont une compilation  en 50 volumes établie sur ordre de l’empereur  byzantin Justinien au VIe siècle de l’ensemble des lois romaines depuis le début de la fondation de Rome.  A cette époque, les théologiens de Byzance s’intéressaient à la question de savoir si les anges pouvaient se matérialiser et combien pourraient tenir sur une pointe d’épingle.

 

(7) John Bowring « The Kingdom and people of Siam » volume I, p. 189 s.

 

(8) John Crawfurd « Journal of an  Embassy from the governor general of India to the courts of Siam and Cochinchina » 1830, volume I, p. 226-227.

 

(9) Francis Garnier « Voyage d’exploration en Indochine », 1885.

 

 

(10) Comme toujours, aucun chiffre n’est réellement assuré. Selon Raquez la déportation de la campagne de 1827-1828 aurait concerné non pas 20.000 combattants mais 80.000 familles. Une nouvelle expédition en 1884-1885 permit de coloniser la région d’Ubon : « Comment s'est peuplé le Siam, ce qu'est aujourd'hui sa population » (publié en 1903 dans le Bulletin du Comité de l'Asie Française). In : Aséanie 1, 1998. pp. 161-181;

 

(11) Voir l’article du journal « L’univers » cité dans notre précédent article.

 

(12) Voir la note 7 de notre précédent article.

 

(13) « SLAVERY IN NINETEENTH CENTURY SIAM » in : Journal de la Siam society, 1975 n° 63-II, pp. 316-333.

 

(14) Monseigneur Pallegoix, « Description du royaume thaï ou Siam » volume I pp. 234-235. 

 « Le mercredi, sixième mois, vingt-cinquième jour de la lune de l'ère 1211, la première année du Coq, moi, monsieur Mi le mari, madame Kôt l'épouse, nous amenons notre fille Ma pour la vendre à monsieur Luangsi pour 80 ticaux, pour qu'il la prenne à son service en place des intérêts. Si notre fille Ma vient à s'enfuir, que le maître me prenne et exige que je lui trouve la jeune Ma, Moi, monsieur Mi, j’ai apposé ma signature comme marque »

 

(15) Voici donc quelques cas d’espèces comme disent les juristes : « La chose vivante peut devenir malade et demander des soins, et les cas sont prévus avec détails, comme pour la vente d'un cheval ou d'un buffalo :

1° Si je vends un esclave et que j'en aie fait la livraison :

a) Je demeure responsable de sa maladie et de sa mort pour les deux tiers du capital, sans aucune limite de prescription (trente ans, quarante ans, toute la vie), dans le cas où, dûment averti, je n'ai pas soigné le malade;

b) Si j'ai donné mes soins, et que l'esclave meurt tout de même, un tiers seulement ;

2° Si je vends un esclave, que le prix en est payé, mais que je n'en ai pas encore fait livraison, le risque est réglé ainsi :

a) Je n'avertis pas le maître de la maladie. L'esclave meurt. Je suis responsable du total, capital et intérêts ;

b) J'avertis le maître, mais il ne vient pas, je suis responsable pour un tiers;

c) J'avertis le maître, il vient, et l'esclave meurt tout de même. Je suis responsable pour deux tiers ».

 

(16) « Leur condition est à peu près celle de la clientèle dos patriciens romains » écrit le capitaine de Malglaive : « Mission Pavie – Indochine -  IV – Voyage au centre de l’Annam et au Laos », 1902 .

 

 

(17) Source : http://www.payer.de/thailandchronik/chronik1900.htm

 

(18) William J. Siffin « Thai bureaucracy : institutional change and development ». Honolulu, East-West Center, 1966.

 

(19) W.A.R. Wood « A HISTORY OF SIAM FROM THE EARLIEST TIMES TO THE A.D. 1781, WITH A SUPPLEMENT DEALING WITH MORE RECENT EVENTS » à Londres, 1924.

 

(20) Le texte qui est très long a été traduit par  Prachoom Chomchai (ประชุม โฉมฉาย) « Chulalongkorn the great : a volume of readings edited and translated from Thai texts », Tokyo : Centre for East Asian Cultural Studies, 1965.

 

(21) Voir nos articles

A 128 « Le travail forcé sur les bateaux de pêche thaïlandais »

http://www.alainbernardenthailande.com/article-a128-le-travail-force-sur-les-bateaux-de-peche-thailandais-120167502.html

« La crevette thaïlandaise a un arrière-goût d’esclavage »

http://www.alainbernardenthailande.com/article-la-crevette-thailandaise-a-un-arriere-gout-d-esclavage-123882851.html

 

 

Partager cet article
Repost0
15 octobre 2018 1 15 /10 /octobre /2018 22:35

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

Quand on parle d’esclavage, encore faut-il s’entendre sur le sens des mots. Puisque nous parlons du XIXe siècle utilisons les définitions que nous donne Larousse  en 1870 « L’esclavage est l’état  de celui qui est privé de liberté et sous la puissance d’un maître. L’esclave est un homme asservi à la puissance absolue d'un autre homme ». La définition de Littré en 1874 est similaire : l’esclave est « Celui, celle qui est sous la puissance absolue d'un maître, par achat, par héritage ou par la guerre ».

 

 

En thaï, l’esclave, that (ทาส) devient dans la définition du Dictionnaire de l’académie royale « une personne qui est soumise à la puissance  virtuelle d’une autre personne ».

 

Cette nuance terminologique va-t-elle nous expliquer les raisons de ce paradoxe : le Siam qui se qualifie de « pays des hommes libres », muang thaï (เมืองไทย) comporte probablement plus du tiers de sa population sous statut d’esclave ?

 

Si nous avons déjà largement traité ce sujet, nous avons tenu à nous pencher sur cette étonnante contradiction (1). 

 

 

Pour beaucoup d’esprits contemporains européens, l'esclave ne pouvait être que noir au milieu d'un champ de coton ou de canne à sucre soumis à l’arbitraire d’un maître le plus souvent sanguinaire. Cette image provient évidemment de l’exemple antillais (2) et surtout de celui des États-Unis popularisé par des romans comme « La case de l'Oncle Tom » paru  en 1852, traduit l’année suivante en France et qui connut un retentissant succès dans le monde entier ; Ecrit dans un style mélodramatique et sentimental,  l’ouvrage insiste sur un thème unique: celui du caractère maléfique et immoral de l'esclavage. Décrivant la vie des « pauvres nègres » dans les propriétés des planteurs du sud d’une façon qui ne correspondait peut-être pas toujours – mais parfois et peut-être souvent – à la réalité. L’ouvrage était destiné, et il y réussit, à provoquer compassion et émotion chez le lecteur.  
 

 

Il fut au milieu de beaucoup d’autres l’un des facteurs de l’exacerbation des tensions qui conduisirent à la Guerre de Sécession. Elle opposa de 1861 à 1865 les États abolitionnistes et les États confédérés et esclavagistes du sud causant la mort de probablement 750.000  combattants et d’un nombre indéterminé de civils. En dehors des ravages économiques, ses conséquences  sociales et les traumatismes qu’elle suscita continuent à toujours peser sur la pensée américaine contemporaine.

 

 

Si nous parlons de l’esclavage dans les Amériques, il en est deux raisons :

 

 Le roi Rama IV, lui-même maître de la vie de tous les sujets de son royaume, esclaves ou pas (chaochiwit เจ้าชีวิต) aurait été tellement outré de la situation des esclaves aux États-Unis qu’il aurait proposé au président Lincoln de lui envoyer des éléphants de guerre pour participer aux opérations contre le sud. L’information est-elle vraie ou fausse ? Souvent reproduite, nous n’en avons toutefois pas trouvé de source fiable.

 

 

- Lorsqu’à la suite de son père, Rama V engagea à partir de 1874 plusieurs  réformes progressives du régime de l’esclavage, celles-ci se terminèrent par la loi du 31 mars de l’année 123 de l’ère Ratanakosin (1905) baptisée « Nouvelle loi pour l’abolition de l’esclavage ». Il prend soin de préciser en son préambule et ce préambule n’est pas innocent

 

« Bien que l’esclavage dans notre royaume soit très différent de l’esclavage tel qu’il a existé dans de nombreux autres pays - la plupart des esclaves étant des personnes qui l’étaient devenues volontairement et non par force, et que les pouvoirs du maître sur l’esclave étaient strictement limités - nous avons toujours considéré que l’institution, même sous cette forme modifiée, était un obstacle au progrès de notre pays…. ». Ce fut le fruit d’une lente évolution sur plus de trente ans, la guerre américaine lui ayant démontré les résultats catastrophiques d’une réforme brutale.

 

 

Il est donc incontestable que l'esclavage qui existait au Siam et également dans d’autres régions colonisées d'Asie apparaît ainsi fondamentalement éloigné de celui des « plantations d'Amérique » auquel on a toujours tendance à le réduire ce qui ne signifie d’ailleurs pas qu’il ait été un état de rêve. Lorsque le 27 avril 1848, le Gouvernement Provisoire de la France prononça l'abolition définitive de l'esclavage dans nos colonies et possessions, la situation était totalement différente de celle du Siam jusqu’en 1905.

 

 

Qu’elle était donc la situation de l’esclavage au Siam qui aurait été organisé par un décret royal de 1359 de Ramathibodi Ier dont nous trouvons des traces probables dans la recension des vieilles lois siamoises que fit opérer le fondateur de la présente dynastie en 1805 ? (3).

 

Nous avons puisé en de nombreuses sources et en particulier dans une étude d’un universitaire américain de l’Université de Yale, R.B. Cruikshank qui a suscité notre intérêt car elle donne une version atypique  sinon iconoclaste de la situation (4).

 

 

 LA VISION DES CONTEMPORAINS

 

Avant d’en venir à la situation juridique de ces personnes, il est évidemment intéressant d’en connaître la vision qu’en ont eue les visiteurs.

 

Nous savons que la connaissance scientifique du Siam est pour la plus grande part une œuvre française. Dès le XVIIe siècle, La Loubère en donne un tableau d'une remarquable précision. Il sera suivi au milieu du XIXe siècle par Monseigneur Pallegoix. Que nous disent-ils au sujet de l’esclavage ?

 

Le premier en date qui nous a donné de l’esclavage au Siam une vision détaillée et non dépourvue d’humour est comme toujours l’incontournable La Loubère. Certes,  elle ne date pas du XIXe siècle mais reflète une situation née de la législation de Ramathibodi Ier en 1687, nous verrons qu’elle ne change guère 150 ans plus tard (5). Citons-le intégralement : « Au Siam les personnes sont libres ou esclaves. Le maître y a tout pouvoir  sur l’esclave hormis celui de le tuer : et quoiqu’on dise  que les esclaves y sont fort battus (ce qui est bien vraisemblable en un pays où l’on bat si fort les personnes libres) néanmoins, l’esclave y est doux, ou si l'on veut, la liberté y est si vile, qu'il a passé en proverbe, que les Siamois la vendent, pour manger d'une sorte de fruit, qu'ils appellent Durions. J'ai déjà dit qu'ils aiment mieux la jouer que de ne point jouer du tout : il est certain aussi qu'ils craignent plus la mendicité que l'esclavage et cela me fait croire que la mendicité y est aussi pénible" que honteuse et que les Siamois qui ont beaucoup de charité pour les bêtes, jusqu’à les secourir, s'ils en trouvent de malades dans les champs, en ont fort peu pour les hommes. Ils emploient leurs esclaves à cultiver leurs terres et leurs jardins et à quelques services domestiques ou bien ils leur permettent de travailler pour gagner leur vie sous un tribut qu'ils en retirent, depuis quatre jusqu’à huit ticals par an, c'est à dire depuis sept livres dix sols jusqu’à quinze livres. On peut naître esclave, ou le devenir.  On le devient ou pour dette  comme j’ai dit ou pour avoir été pris en Guerre, ou pour avoir été confisqué en justice. Quand on n'est esclave que pour dette, on redevient  libre en payant : mais les enfants nés pendant cet esclavage, quoi que passager, demeurent esclaves. On naît esclave, quand on naît d’une mère esclave et dans l’esclavage les enfants se partagent comme dans les divorces. Le premier, le troisième, le cinquième, et  tous les autres en rang impair appartiennent au maître de la mère. Le second, le quatrième et les autres en rang paire appartiennent au père, s'il est libre ou à son Maître, s'il est esclave. Il est vrai  qu'il faut pour cela que le père et la mère n'aient eu commerce ensemble, qu'avec le consentement du maître de la mère  car autrement tous les enfants appartiendraient au maître de la mère. La différence qu'il y a des esclaves du Roy de Siam à ses sujets de condition libre, c'est qu'il occupe toujours ses esclaves à des travaux perforés et  qu'il les nourrit; au lieu que ses sujets libres ne lui doivent tous les ans que six mois de service, mais à leurs propres dépens. Au reste les esclaves des particuliers ne doivent aucunes corvées à ce Prince. Et quoi que par cette raison il perde en un homme libre quand cet homme tombe en esclavage ou pour dette ou pour éviter la mendicité, ce Prince ne s'y oppose pourtant pas, ni ne prétend à aucune indemnité pour cela. Les hommes libres doivent six mois de service par année, corvée ou armée. Il ne leur doit que l’équipement militaire mais ils doivent s’habiller et se nourrir ».

Nous verrons plus tard que La Loubère est le premier sinon le seul à noter que les Siamois considéraient la mendicité comme un état inférieur à celui de l’esclavage.

 

 

Monseigneur Pallegoix écrit en 1854, il est au Siam depuis 1830 et ami très proche du roi (6). L’esclavage lui apparaît aux antipodes de celui qu’on l’on connaissait ailleurs à cette époque, en Amérique essentiellement  :  Il ne faut  pas croire que les esclaves, à Siam, soient traités comme les esclaves nègres; il est vrai que certains maîtres les nourrissent assez mal, ne leur épargnent pas les coups de rotin, les injures, les malédictions; quelquefois même ils les mettent aux fers et au cachot mais on peut dire, en général, que les ont beaucoup d'humanité pour leurs esclaves, ne les font travailler que très modérément et les traitent souvent beaucoup mieux qu'on ne traite  les domestiques en France ». Citons le début de ce chapitre, il s’agit d’une brève analyse d’ordre juridique, nous y reviendrons dans la deuxième partie de notre article (7).

 

 

La vision d’un missionnaire catholique, Monseigneur Pallegoix, le premier dans la hiérarchie du Siam, est précieuse. Ce prélat n’ignore évidemment pas les saintes écritures. Saint-Paul nous rappelle  « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme » (8). Il n’est toutefois pas indigné de la persistance de l’esclavage au Siam. Saint Paul lui-même prêche aux esclaves la permanence de leur état et l’obéissance à leurs maîtres (9). Il sera suivi pendant des siècles par les pères de l’Église, Saint-Augustin en particulier pour lequel le fait que des hommes soient esclaves — y compris de leurs passions — est une conséquence du péché originel. C’est une position qui perdurera jusqu’au milieu du XIXe siècle. Et encore, quand le Pape Grégoire IX prohibe clairement l’esclavage en 1839, il ne le fait qu’à l’égard des maîtres chrétiens ce que n’étaient et ne sont toujours pas les Siamois (10). Une interdiction plus générale n’interviendra qu’en 1888 et 1890 sous le pontificat de Léon XIII (11).

 

 

Notons toutefois que la justification par le poids du péché originel n’est pas sans rappeler l’opinion bouddhiste selon laquelle la situation dans laquelle se trouve un être humain est la conséquence des actions, bonnes ou mauvaises, commises dans une précédente existence et qu’ils doivent, en acquérant des mérites, contribuer à se retrouver dans leur prochaine existence en une situation meilleure. Croyance en la vie éternelle pour les uns, croyance en une future existence plus heureuse pour les autres, y a-t-il une différence fondamentale ?

 

 

John Bowring, qui fut également très proche du roi Rama IV (12) écrit en 1857 en rejoignant les constatations du prélat sur le sort des esclaves siamois incontestablement meilleur que celui des nègres d’Amérique. Il nous apprend aussi que lorsqu’ils ont réussi à se racheter il est fréquent de constater qu’ils vont se revendre. Il ne nous dit toutefois pas comme La Loubère si c’est pour acheter les immondes durians, financer une partie de dés ou parier dans un combat de coqs ?

 

 

Nous allons retrouver une constatation similaire venant d’Amédée Gréhan qui fut collaborateur de Charles de Montigny lors de son ambassade, très proche du roi et ultérieurement représentant du royaume de Siam à Paris. Il écrit en 1867 : « Du reste, l'esclavage est entré à tel point dans les mœurs du pays, que les esclaves y forment au moins un tiers de la population. Ils peuvent se racheter, et sont d'ailleurs traités avec beaucoup d'humanité. La situation de la population esclave n’est pas aussi pénible qu’on pourrait le supposer au premier aperçu ; car les maîtres traitent avec beaucoup d’humanité et ne font travailler que modérément les malheureux qu’une des deux causes précitées ont réduit en servitude » (13).

 

 

Citons encore pour en rester au Siam l’éminent juriste belge Émile Jottrand, l’un des proches conseillers juridiques du roi Rama V (14) : « … Quelques mots au sujet de l'esclavage : J'en vois naturellement les plus vilains côtés; car le triste privilège de l'homme de loi est de ne voir que les misères humaines. Pourtant les mauvais maîtres sont rares et la scène de mélodrame qui m'a frappé un jour (l'esclave arrivant avec sa chaîne au cou) est bien exceptionnelle ! Il n'y a au Siam d'autre esclavage que l'esclavage pour dettes, et encore ses règles sont assez débonnaires … »

 

 

Il nous faut bien évidemment parler des explorateurs et visiteurs de la péninsule. Reprenant les grandes idées de la Révolution, la France du Second Empire et de la IIIe République se donnèrent mission de diffuser la « civilisation et les Droits de l'Homme », dans le cadre d'une expansion coloniale qui trouvait dans la lutte contre l'esclavage une justification idéale. Colonisateurs, missionnaires et explorateurs vont se rencontrer à la croisée des chemins. Ils s’aperçurent vite combien étaient différentes les pratiques locales et que l’esclavage qui existait dans les régions en voie de colonisation d’Asie-du-sud-est était éloigné de celui des plantations. Quand les Français passaient des traités avec les chefs locaux, ils affirmaient garantir la possession des biens et le maintien des coutumes. Les esclaves pouvaient constituer un réservoir commode pour les explorateurs de porteurs, recrutés sous forme de corvées et censés être payés par les explorateurs par l'intermédiaire d'un chef de village qui négligeait bien souvent de reverser la somme à qui de droit.

 

 

Pourquoi parler de l’Indochine française ? Tout simplement parce que le « parti colonial » vociférait  pour que soit engagée contre le Siam une action à force ouverte pour y éradiquer l’esclavage. Nous trouvons certes dans un article du très conservateur  « Petit Journal » du 11 mai 1905 sous le titre « ABOLITION DE L'ESCLAVAGE AU SIAM », rien de bien méchant mais un retentissant et fanfaronnant cocorico : « Tenant compte du vœu formulé à la Chambre des députés de France par le rapport de M. François Deloncle sur le dernier  traité Franco-siamois, le roi de Siam vient de décréter l'abolition de l'esclavage dans ses États. On considère ce décret comme un succès marqué  par l'influence civilisatrice de la France au Siam ». Par contre, le 1er septembre 1905, le très catholique, ultramontain et conservateur « L’univers » nous démontre que les mensonges et la mauvaise foi journalistique ne sont pas de ce siècle dans un article consternant intitulé « Esclavage au Siam » : « ... Reste l’esclavage de guerre contre lequel la loi ne dit rien. Et cela est d’autant plus regrettable que ces esclaves, annamites, cambodgiens et laotiens, sont nos protégés et auraient dû, d’après le traité de 1893, revenir dans leur pays d’origine. C’est donc près de 1.500.000 esclaves qui ne profiteront pas de la nouvelle loi. Contre ce fait nous devons protester : il faut exiger du roi de Siam l’abolition complète de l’esclavage. Nous savons que cet esclavage est à l’ordinaire assez doux, mais il est quand même déshonorant pour le gouvernement français ». Nous parlerons naturellement du statut juridique des « esclaves de guerre » dans la deuxième partie de cet article.

 

 

Erreur sur la rive droite du Mékong (esclavage) et vérité sur la rive gauche  (respectables coutumes ancestrales sur lesquelles on ferme volontiers les yeux) ? Une situation quasi esclavagiste qui va perdurer dans les territoires de l’Indochine française en dépit de l’abolition de 1848. Il est probable que la banalisation de ces coutumes ancestrales tient pour une grande partie aux explorateurs, tous incontestablement esprits éclairés et scientifiques, tous plus ou moins éloignés de l’Église catholique mais influencés par le darwinisme (15).

 

 

L’influence de Gobineau dont l’ « Essai sur l'inégalité des races » paru en 1853 avec un succès tout aussi retentissant n’y est probablement pas non plus étrangère (16).

 

 

Postulat de l’évolution et obsession d’une classification hiérarchique des races humaines sont  un paramètre majeur de la vision européenne des sociétés indigènes primitives ou considérées comme telles et constituent une justification commode à un colonialisme prétendument humanitaire et civilisateur. Sauvons le Siam de l’esclavage ! (17)

 

 

C’est le conseil de Saint Mathieu traduit par le dicton populaire « Faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais » (18). Ne citons au passage que Jean-Jacques Rousseau qui avait abandonné purement et simplement ses enfants et écrit « l’Émile » très docte et surtout prétentieux traité sur l’éducation des enfants.

 

 

Quelle que soit toutefois la légèreté du joug qui pesait sur les épaules des esclaves, reste évidemment posée la question philosophique de savoir comment l'équité était possible dans les rapports entre deux hommes dont l'un possède l'autre comme une chose, rapports qui constituent, par le fait même de leur existence et de leur persistance, une iniquité souveraine ?

 

C’est l’honneur des Missions étrangères de Paris, essentiellement à la diligence du père Constant Prodhomme,  arrivé au Siam en 1874 d’avoir procédé à des rachats massifs d’esclaves,  essentiellement de l’ethnie des Lao-Phuan (ลาวพวน), descendants de prisonniers de guerre (et bien sûr d’en avoir fait de bons chrétiens).  Cette question du rachat des esclaves siamois par les missionnaires ne semble pas avoir fait l’objet d’une étude exhaustive à ce jour. Notre invitée, Mademoiselle Sutida Tonlerd lui consacre un chapitre dans son étude (19).

 

 

Dans la suite de cet article que nous consacrerons à la condition juridique de ces « esclaves » - et c’est délibérément que nous mettons le mot cette fois entre guillemets – nous essayerons d’expliquer ce contresens du nom que les Siamois se donnent de Thaïs,  c’est-à-dire « hommes libres » alors que des opinions générales, un tiers au moins de la population était esclave.

 

 

NOTES

 

 

(1) Voir nos articles 

110. « La place du peuple et des esclaves au Siam ».

http://www.alainbernardenthailande.com/article-110-la-place-du-peuple-et-des-esclaves-au-siam-121390588.html

111. « L’esclavage au Siam »

http://www.alainbernardenthailande.com/article-111-l-esclavage-au-siam-121488465.html

141. « L'esclavage est aboli définitivement au Siam en 1905 ».

http://www.alainbernardenthailande.com/article-141-l-esclavage-est-aboli-definitivement-au-siam-en-1905-123721727.html

142. « La suppression de la corvée royale au Siam ».

http://www.alainbernardenthailande.com/article-142-la-suppression-de-la-corvee-royale-au-siam-123823027.html

 

(2) Dans le « code noir » (« Édit du roi touchant la police des îles de l’Amérique Françoise »)  de Louis XIV datant de 1685, l’esclave n’a qu’un seul droit, celui d’assister à la messe dominicale et son maître un seul devoir à son égard, le faire baptiser dans la religion catholique.

 

 

(3)  Voir notre article 44  « Avez-vous trouvé le Code de Ramathibodi 1er, fondateur du Royaume d'Ayutthaya ? »

http://www.alainbernardenthailande.com/article-44-avez-vous-trouve-le-code-de-ramathibodi-1er-fondateur-du-royaume-d-ayutthaya-109520907.html

 

(4) « SLAVERY IN NINETEENTH CENTURY SIAM » in: Journal de la Siam society, 1975 n° 63-II, pp. 316-333.

(5) La Loubère  « Du royaume de Siam » tome I page 296 s.

 

(6) Monseigneur Pallegoix, « Description du royaume thaï ou Siam » volume I pp. 298-299. 

 

(7)  « Les esclaves font au moins le tiers de la population. On les divise en trois classes les captifs, les esclaves irrédimibles, et les esclaves ordinaires qui peuvent se racheter. Pendant les guerres, c'est la coutume d'amener captifs tous les habitants des places qu'on a prises, et le roi en distribue une partie à chaque mandarin, selon son rang et son mérite. Lorsque ces captifs ne se plaisent pas chez leurs maîtres, ils ont droit de passer chez un autre, pourvu que celui-ci paie leur rançon, fixée à quarante-huit ticaux par personne. On appelle esclaves irrédimibles, les enfants qui ont été vendus irrévocablement par leurs père et mère dans leur bas âge et avec un écrit de vente en due forme; ceux-ci ne peuvent plus sortir de chez leur maître et, d’autres ressources s’ils y sont maltraités que de souffrir ou de prendre la fuite. Quant aux esclaves ordinaires, ce sont de pauvres gens qui sont obligés de se vendre pour payer leurs dettes. Le service des esclaves est réputé comme tenant lieu des intérêts du capital avancé par le maître, de sorte que l'esclave qui aura servi son maître pendant une vingtaine d'années doit, pour se libérer, rembourser toute la  somme pour laquelle il s'est engagé. Si l'esclave veut changer de maître, il n'a qu’à s'offrir à un autre qui paie sa rançon. Le prix des esclaves varie selon l'âge et le sexe; depuis douze ans jusqu'à: seize, on les achète de quarante à soixante ticaux; un homme fait s'engage ordinairement pour quatre-vingts jusqu'à cent soixante ticaux.

 

(8) Épître aux Galates III-28.

 

(9) Épître aux Corinthiens, VII - 21-22 : « As-tu été appelé étant esclave, ne t’en mets point en peine. Mais alors même que tu pourrais devenir libre, mets plutôt ton appel à profit. Car l’esclave qui a été appelé dans le Seigneur est un affranchi du Seigneur, de même l’homme libre est un esclave du Christ ».

 

(10) Il écrit en 1839 dans la Constitution In supremo apostolatus fastigio : « C'est pourquoi, désireux d'éloigner cette infamie si grande de tous les territoires des chrétiens, en vertu de l'autorité apostolique, Nous avertissons tous les fidèles chrétiens, de toute condition, et Nous les conjurons instamment dans le Seigneur : que personne désormais n'ait l'audace de tourmenter injustement des Indiens, des Nègres et d'autres hommes de cette sorte, de les dépouiller de leurs biens ou de les réduire en esclavage, ou d'en aider ou d'en soutenir d'autres qui commettent de tels actes à leur égard, ou de pratiquer ce trafic inhumain par lequel des Nègres, qui ont été réduits en esclavage d'une manière ou d'une autre, comme s'ils n'étaient pas des hommes mais de purs et simples animaux, sont achetés et vendus sans aucune distinction en opposition aux commandements de la justice et de l'humanité, et condamnés parfois à endurer les travaux parfois les plus durs ».

 

(11)  Le 5 mai 1888 dans l'encyclique In Plurimis puis le 20 novembre 1890 dans l'encyclique Catholicæ Ecclesiæ  toutes deux concernant l'abolition de l'esclavage.

 

(12) John Bowring « The Kingdom and people of Siam » volume I, p. 189 s.

(13) Amédée Gréhan « Notice sur le royaume de Siam », 1867 et « Rapport sur un mémoire sur le royaume de Siam » in  Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, II° Série, tome 6, 1871. pp. 416-427.

 

(14)  Émile Jottrand «  Au Siam. Journal de voyage de M. et Mme Émile Jottrand » pp 93 s. 1905,

 

(15) L’ouvrage de Darwin « L’origine des espèces humaines » a été publié en anglais en 1859 et en français en 1862.  Il a connu un succès phénoménal. L’idée de la transformation progressive des espèces par sélection naturelle peut justifier biologiquement l’esclavage et ne justifier sa suppression qu’à terme. Il n’y a que des races plus ou moins avancées sur l’échelle de la civilisation.

 

(16) Gobineau  distingue trois races principales, les noirs considérés comme inférieurs face aux blancs, race supérieure détentrice de la civilisation. Entre les deux, on trouve  les jaunes, race intermédiaire susceptible  d'être civilisée.

 

(17) Voir à ce sujet Karine Délaye « Esclavage et représentations coloniales en Indochine de la seconde moitié du XIXe au début du XXe siècle » In: Outre-mer, tome 89, n°336-337, 2e semestre 2002.  L’article concerne partiellement le Siam.

 

(18) Évangile selon Saint-Matthieu (28, 2 et 3) « Calomnia ergo quaecumque dixeri vobis servate et facite : secundum opera vero eorum nolite facere ; dicunt enim et non faciunt » « Observez donc et faites tout ce qu’ils vous diront, mais ne faites pas ce qu’ils font, car ils disent ce qu’il faut faire et ne le font pas ».

 

(19) Voir l’article présenté dans notre blog « มิชชันนารีชาวฝรั่งเศสในเมืองอุบลราชธานี ช่วงปี พ.ศ.2409-2453 » (« Les missionnaires français dans le mueang d’Ubonrachathani de 1867 à 1910 »)

 

 

 

Partager cet article
Repost0
17 septembre 2018 1 17 /09 /septembre /2018 22:07

 

 

Nous avons vu dans quelles conditions les Français quittèrent le Siam après l’échec de la double ambassade de Louis XIV, la mort du Roi Naraï et la révolution qui conduisit Phetracha sur le trône. Cette épopée siamoise a donné lieu, nous le savons aussi, à une abondante littérature : nous lui devons en particulier les souvenirs des participants directs, Chaumont, La Loubère, le père Tachard, l’abbé de Choisy, le chevalier de Forbin, Desfarges, mais aussi des missionnaires Van Vliet, Gervaise et Jacques de Bourges, le père jésuite d’Orléans. L’ambassade siamoise avait quant à elle passionné les mémorialistes de l’époque, le Duc de Saint-Simon ou le Marquis de Dangeau. Elle eut également les honneurs de la presse, celle « qu’il fallait avoir lu », le Mercure galant, ancêtre du Mercure de France devenu très rapidement mensuel.

 

Tout ce que la France compte d’érudits s’en faisait assurer le service et  entre 1678 et 1714 (Louis XIV mourut en 1715), 102 articles concerneront  directement ou indirectement cette épopée. Le « Journal des scavans » qui alors est annuel consacrera 5 numéros à l’aventure siamoise de 1687 à 1691.

 

 

Il nous a intéressé de savoir ce que les Français purent écrire sur le Siam entre leur départ massif jusqu’à une date que nous limitons à 1860, après qu’eut été signé le traité franco-siamois de 1856 changeant la donne et marquant le retour de notre pays en Asie du sud-est tout en suscitant une abondante production littéraire et journalistique. Nous bénéficions à ce sujet d’un fort bel article de Madame Sunanta Panyarith (1). Nos sujets se recoupent sans se contredire mais nous l’abordons d’une façon différente de la sienne.

 

Après le départ des Français

 

La politique étrangère de Louis XV se désintéressa de l’Asie, tournée vers l’Europe et l’Amérique et se termina par la désastreuse guerre de 7 ans  et la perte de notre colonie du Canada mais le maintien essentiel pour l’époque, de nos « îles à sucre » dans les Antilles,

 

 

de quelques comptoirs végétant aux Indes et des comptoirs du Sénégal en Afrique, destinés à fournir la main d’œuvre gratuite aux plantations de Saint Domingue.

 

 

Celle de Louis XVI sera également tournée vers l’Amérique et favorisera l’indépendance américaine par une guerre dont le coût ruina le pays.

 

 

La révolution empêtrera la France dans son bourbier révolutionnaire et n’aura pas de souci asiatique, ayant surtout à faire face à l’Europe coalisée contre elle. La république n’avait, comme on le sait, pas besoin de savants et encore moins d’explorateurs.

 

 

Bonaparte eut également à faire face à la coalition de l’Europe contre son pays. A-t-il eu un rêve asiatique ? Il l’a prétendu à Sainte-Hélène. Il est possible qu’après la campagne d’Egypte -un désastre militaire- il ait pensé que l’Inde n’était pas loin et qu’il aurait pu voler vers Damas, Alep, se joindre aux chrétiens de Syrie, aux Druzes et aux Arméniens et atteindre les Indes se prenant pour Alexandre le Grand. Ce rêve s’il a bien existé n'allait pas  jusqu’au Siam et s’est écroulé le 22 août 1799 lorsqu’il dut quitter piteusement l’Égypte après la Syrie dont la conquête lui aurait ouvert la route terrestre de l’Inde.

 

 

Sous le règne de Louis XVIII, la France panse ses plaies, retrouve le « concert des nations », engage une campagne victorieuse en Espagne en en 1823, une simple promenade militaire et joue un rôle décisif dans l'indépendance de la Grèce. Charles X par la prise d'Alger met fin à la peste de la piraterie barbaresque et à la traite des Blancs qui sévissaient depuis des siècles.

 

 

 

Les écrits du XVIIIe siècle

 

Nous n’avons rencontré que peu d’écrits sur le Siam et tous ne sont pas de bonne venue.

 

Engelbert Kaempfer, Hollandais qui passa deux mois seulement au Siam en 1689-1690 avant de partir pour le Japon fut traduit en français en 1729 et donne une brève vision du pays avant de consacrer le reste de son ouvrage au Japon.

 

 

En 1761, le 17e volume de l’ « Histoire générale des voyages » nous donne une bonne synthèse de l’histoire du pays au vu d’une solide compilation des écrits français du siècle précédent.

 

 

François Turpin avait écrit en 1771 un ouvrage en deux volumes probablement purement, honteusement et simplement plagiés d’un manuscrit que lui avait confié le vicaire apostolique du Siam, Monseigneur Brigot (2).

 

 

Nous avons parlé des âneries écrites sur le Siam dans l’«Encyclopédie » de d’Alembert dans une version de 1781. Signées du chevalier de Jaucourt, celui-ci, payé à la page pour rédiger des articles sur des sujets dont il ignorait tout ne donne comme source que le seul Kaempfer dont il n’avait probablement pas ouvert une page en signalant que les auteurs et mémorialistes du siècle précédent qu’il n’avait manifestement pas lus n’étaient pas dignes d’intérêt. Il y a dans l’Encyclopédie le meilleur et le pire. Jaucourt est le plus souvent responsable du pire (3).

 

 

Dans le 52e volume de son « Histoire universelle » publié en 1783, le mystérieux Psalmanazar consacre plus de 400 pages au Siam arrêtée en 1767 (4). Il s’agit d’un monumental ouvrage de compilation où nous retrouverons cités tous les mémorialistes du siècle précédent : Jean Struys que nous avons découvert il y a peu et bien d‘autres auxquels nous n’avons pas eu accès, le Portugais Mendez-Pinto et d’autres Portugais ou Anglais dont nous n’avons pas pu retrouver trace numérisée des écrits. Il écrit d’ailleurs non sans raisons

 

« … combien peu les Européens connaissent les autres nations et sont peu curieux de s’informer de l’état des arts et des sciences parmi elles … ».

 

Il est certes d’indigestes compilations, il en est de brillantes qui valent mieux que le plagiat !

 

 

Citons enfin, nous sommes aux débuts du XIXe siècle, les souvenirs de Georges Finlayson « Mission to Siam and Hue, the capital of Cochinchina – The years 1821-1822 ». Sa mission était à la fois diplomatique et naturaliste mais présent sur place et non compilateur, il put nous doter de judicieuses constatations. Son ouvrage  publié à Londres, ne semble pas avoir été traduit en français mais connu certainement un grand retentissement en France, objet de louanges dans la presse érudite de l’époque « Ce journal est un véritable trésor d'observations … » (5).

 

 

Tout au long du XVIIIe siècle, nous allons encore trouver 24 numéros du « journal des scavans » consacrés au Siam, essentiellement des rappels historiques ou des analyses de la littérature elle-même déjà consacrée à ce pays. Le rythme siamois ne s’est pas affaibli au Mercure de France ancien Mercure galant puisque nous  trouvons de 1715 à la fin du siècle environ trois douzaines de livraisons de la revue consacrées directement ou indirectement au Siam, rien d’inédit le plus souvent, mais des analyses des ouvrages littéraires que nous connaissons mais aussi un sujet sur lequel nous allons revenir, celui de « Missions ».

 

 

Les missions et leur retour.

 

Les Missionnaires écrivirent beaucoup sur le sujet après l’arrivée de Monseigneur de la Motte en 1662 marquant le début des Missions étrangères au Siam.

 

 

Il s’agit essentiellement de correspondances destinées au siège de Paris, comptes rendus des voyages, difficultés du développement de l’évangélisation, rapports avec les autorités locales, rapports avec les envoyés français des deux ambassades. Elles couvrent – des centaines de lettres -  la période allant jusqu’à la révolution de 1688 et les persécutions qui s’ensuivirent et la période postérieure à la persécution jusqu’en 1696 et ensuite de 1697 jusqu’en 1811. Ces documents souvent précieux car reflétant une vision lucide en dehors de tout souci « médiatique » restèrent toutefois confinés dans les Archives de la MEP de Paris jusqu’à leur publication à l’usage du public par Adrien Launay en 1929 seulement, en deux épais volumes, 1662-1696 et 1697-1811.

 

 

Ce n'est qu'avec Charles X, qui appuyait les missionnaires, que l'on vit  se multiplier l’intérêt pour les pays exotiques où ils exerçaient leurs activités. Après sa chute en 1830, la Monarchie de Juillet encouragea les voyages de circumnavigation et d'exploration sans être hostile aux Missionnaires et développa la curiosité pour les pays lointains. Mais si les Français s'intéressèrent à l'Egypte, à l'Afrique du Nord et à l'Océanie, ils ne s’intéressaient guère au Siam en dehors des routes maritimes vers ce qu’il restait de nos comptoirs des Indes. Nous n’avons plus d’Ambassade au Siam depuis longtemps. Sans que nous ayons l’intention d’écrire leur histoire, il n’existe en réalité aucune agence de presse. L'Agence Havas sera opérationnelle à partir de 1835 seulement, mais elle ne couvre que l’Europe et n’a ni les moyens ni l’intention de créer un bureau d’information à Bangkok. Tout ce que l’on trouve sur le Siam jusqu’en 1830, nous apprend Madame Sunanta Panyarith, est de seconde main : elle cite un article de Geoffroy Saint-Hilaire paru dans le Moniteur du 29 octobre 1829 qui annonçait l'arrivée en France de deux jumeaux siamois attachés par le ventre (6). Nous trouvons un article similaire dans « l’écho du monde savant » (7). Nous vous épargnons de citer les journaux français qui se firent l’écho de l’exhibition de cette double bête de cirque.

 

 

De notre côté, nous avons trouvé avec amusement rien de mieux que de nombreux articles du Figaro  (et de toute la presse parisienne) tout au long de l’année 1829 et des années suivantes consacrés à un indigeste mélodrame-ballet qui connut un phénoménal succès dans tout Paris pendant des années, « l’éléphant du roi de Siam » joué sur diverses scènes, sur un livret de Ferdinand Laloue, une musique de Degroot et des ballets d’un certain Honoré, tous bien oubliés. Il mettait en scène un éléphant dressé dont nous ne savons d’où il venait. Tout ce beau monde – bien qu’ayant joué devant la fine fleur de la société parisienne – est tombé dans un oubli qui semble mérité (8).

 

 

Plus sérieusement, le début du XIXe siècle vit toutefois apparaître plusieurs revues d'intérêt général qui ont certainement exercé leur influence sur la connaissance du Siam par le public érudit. Les Nouvelles Annales des Voyages du grand géographe Malte-Brun à partir de 1819 s’intéresse à la géographie et à l’histoire du monde entier.

 

 

Il consacre un premier article au Siam en 1825 suivi de plusieurs autres les années suivantes. Le « Bulletin de la société géographique de Paris » revue de voyages et de géographie parait à partir de 1822 et consacrera plusieurs articles au Siam.

 

 

La Revue des deux mondes qui s’intéresse à tout parait à partir de 1829 mais nous n’y trouvons pas d’article sur le Siam pour la période qui nous intéresse.

 

 

Nous voyons surtout apparaître les « Annales de l’association de la Propagation de la Foi » à partir de 1822 qui consacreront des dizaines de numéros aux missions de Siam, non seulement à leurs difficultés et leur progrès  mais aussi aux  considérations générales sur le pays.

 

 

Elles deviendront en 1834 les « Annales de la Propagation de la Foi » toutes aussi riches en nouvelles du Siam et pas seulement de ses missions, avec les correspondances personnelles des missionnaires à leur famille transmise à la revue, récits à thème des missionnaires, notes géographiques prises lors de tournées pastorales ou lors de reconnaissances en vue d'implanter une église, ou encore des monographies.

 

On pense à  Monseigneur Pallegoix en particulier arrivé au Siam en 1830 et dont nous connaissons le parcours. Il est permis de penser que ces revues bénéficièrent du soutien financier du gouvernement de Charles X, devenu d’une piété exemplaire après une jeunesse agitée et à partir de 1830 celui de la reine Marie-Amélie tout aussi pieuse que son époux Louis-Philippe ne l’était pas. Elles bénéficièrent aussi du versement par les fidèles de ce qui était un véritable impôt volontaire : payement de la place du missionnaire sur le pont du navire et redevance pour lui assurer « le manteau de l’apôtre et le pain noir du prophète, lui prépare un asile et lui permet d’avoir un tombeau ». Nous partageons en tous cas avec Madame Sunanta Panyarith la certitude que ce sont les missionnaires qui fournirent le plus grand nombre de renseignements sur le Siam dans la première moitié du XIXe siècle, ceux-ci   constituant  alors la majorité des Français s'y rendant. 

 

 

Le développement des relations maritimes dû à l’arrivée des bateaux à vapeur remplaçant les navires à voile incita peut-être les journaux à s’intéresser plus avant au Siam mais il n’y avait toujours pas de correspondants et les informations restaient rares.

 

L’arrivée de l’ambassade de Montigny, la signature du traité de 1856 entre la France et le Siam, le début de la conquête de l’Indochine en 1858 au motif de protection des Chrétiens martyrisés, le protectorat sur le Cambodge en 1867 marquant la politique engagée par Napoléon III en Asie-du-sud-est changèrent évidemment la donne. De nouvelles revues furent créées qui s’intéressèrent plus sérieusement au Siam. En 1859 Léon de Rosny crée la « Revue orientale et américaine »,

 

 

Edouard Charton crée le « Tour du Mondenouveau journal des voyages » en 1860, la première revue populaire surabondamment illustrée de gravures sur bois. Mais restons-en là puisque nous limitons notre propos à la date de 1860 consécutive au premier traité d’ « amitié » de 1856.

 

Les revues et les articles se multiplient, les ouvrages sur le Siam aussi. Il faut toutefois signaler que la plupart n’émanent pas d’observateurs directs. L’ouvrage de Monseigneur Pallegoix publié en deux volumes en 1854 est le fruit de son expérience depuis son arrivée au Siam 24 ans auparavant. Il avait d’ailleurs été précédé en 1853 par un « Mémoire sur la mission de Siam » dont le contenu déborde largement les limites du titre (9).

 

 

Les voyages de Mouhot, le découvreur d’Angkor, de 1858 à 1861, dont seize mois au Siam, autre témoin oculaire – nous ne débordons pas de notre limite temporelle – firent l’objet de notes et de dessins ramenés après sa mort par ses guides fidèles, mises en forme par son frère et publiées une première fois en anglais en 1864  sous le titre « TRAVELS IN THE CENTRAL PARTS OF INDO—CHINA (SIAM), CAMBODIA, AND LAOS ».

 

 

Il ne faut pas s’en étonner puisque son voyage avait été financé par la Société royale de géographie de Londres, ville où, marié à une anglaise, il vivait, après qu’il ait essuyé un refus du gouvernement français. Ils furent ensuite publiés en français d’en 1868 sous le titre « Voyage dans le royaume de Siam, de Cambodge, de Laos et autres parties centrales de l'Indo-Chine » après l’avoir été en plusieurs livraisons dans « Le tour du monde » de 1863.

 

 

Nous débordons un peu notre limite temporelle avec la « Notice sur le royaume de Siam » paru en 1867 d'Amédée Gréhan qui accompagnait Montigny lors des discussions sur le traité de 1856. Il y eut d’autres visiteurs et témoins oculaires mais plus tardifs, le Comte de Ludovic de Beauvoir, Doudart de Lagrée et Francis Garnier pour n’en citer que quelques-uns. Citons les Anglais, Crawfurd qui écrit en 1830 et Bowring qui écrit en 1857 mais visita le Siam quelques années auparavant.

 

 

Pour les autres, contentons-nous de citer Madame Sunanta Panyarith « …Quant aux autres livres, ils se contentèrent de pieusement citer et de dévotement reproduire le contenu des écrits publiés précédemment, ce qui conduisit à consolider dans l'opinion les images qu'avaient donné de la Thaïlande les auteurs antérieurs et à faire obstacle à leur renouvellement ; c'est ainsi que le même chiffre de population figurait sur des publications datées de 1854 et de 1868, comme si la démographie n'avait pas évolué en quatorze ans. La stabilité des images trouvait aussi sa source dans le fait que les auteurs de seconde main empruntaient beaucoup de leur matière aux publications anglaises. Or, comme celles-ci ne leur parvenaient qu'avec un certain retard, le décalage entre la de l'original et la citation qui en était faite enlevait à cette dernière toute valeur d'actualité… »

 

 

D’autres Français se rendaient au Siam, ce sont les marins et les commerçants. Ils ne nous ont laissé que fort peu d’écrits. Madame Sunanta Panyarith cite toutefois le cas d’un capitaine qui a publié dans les « Nouvelles Annales des Voyages » en 1820 (10). Les marins écrivent sur leur livre de bord mais rarement leurs mémoires. Quant aux commerçants, ils s’occupent de leurs livres de compte beaucoup plus que de nous décrire le pays où ils exercent leur négoce. Nous en avons un bon exemple, même s’il est tardif : Le traité de 1856 reconnut aux Français la liberté du commerce dont ils bénéficiaient en réalité plus ou moins déjà. Cette liberté sera confirmée par le traité de 1893 qui prévoiyait pour les Français, la possibilité d’installer des « établissements commerciaux » ou « agences commerciale » sur la rive droite du Mékong. Seront ainsi créés tout au long du Mékong d’amont en aval des établissements à Chiangkhan, Nongkhai, Saniabouri, embouchure du Namkhan, Mukdahan, Kemmarat et Pak moun (11). Ces établissements étaient « destinées exclusivement à faciliter la navigation commerciale ». On pouvait donc y trouver des dépôts de bois de chauffage  (sans rire !) et de charbon; des dépôts de matériel, tels que bois de charpente, fers, bambous, dynamite, etc. ; des magasins pour les marchandises en transit ; des logements pour les passagers et pour les équipages des pirogues et des chaloupes ; des logements et bureaux pour le personnel des Compagnies de navigation et des travaux publics ; des établissements commerciaux à la condition expresse qu'il ne s'y fasse aucun commerce de spiritueux, d'opium, d'armes et de munitions ». Ils ont de toute évidence fonctionné compte tenu du trafic commerciale sur le Mékong et de toute évidence encore généré des montagnes de documents administratifs, commerciaux, fiscaux et douaniers. Nous n’en avons trouvé trace nulle part. Pour les documents commerciaux, il en est une raison qui nous semble évidente, les commerçants, au-delà des délais de prescription (5 ans) se débarrassent tout simplement des documents qui les encombraient. Sur le plan administratif, fiscal et douanier, ces établissements dépendaient des circonscriptions voisines du Laos français. Leur activité a certainement également généré des documents dont nous ignorons totalement aujourd’hui dans quels fonds d’archives ils se trouvent ?

 

 

Restent enfin les diplomates mais ceux-ci ont été absents du Siam jusqu’à la signature du traité Montigny. Ils sont évidemment liés au devoir de réserve et à l’obligation de discrétion. Nous bénéficions toutefois de brèves généralités descriptives sur le pays non dépourvues d’intérêt, celles des consuls Heurtier et de Castelnau (12). La « Revue des deux mondes » publie les « Souvenirs d’une campagne dans l’Extrême-Orient » du diplomate E. du Hailly, ambassadeur de Napoléon III qui sont pour l’essentiel dans la seconde livraison un rappel historique des rapports franco-siamois bien ficelés, une bonne compilation, et une partie descriptive sans que les sujets « sensibles » y soient abordés (13). Rappelons enfin que l’ouvrage de Gréhan dont nous venons de parler est l’œuvre d’un diplomate.

 

 

Le développement des bateaux à vapeur a facilité l’arrivée des voyageurs curieux, c’est une évidence mais tout reste relatif. Le voyageur parisien doit quitter Paris pour Marseille, les trains mettent à cette époque au moins 12 heures. Il est conseillé de passer une nuit à Marseille pour surveiller l’embarquement des bagages (Le passager de 1ère classe a tout de même droit à 250 kilos). De là après de nombreuses escales, le navire conduira notre voyageur jusqu’à Singapour en 26 jours. Il en faut 29 pour atteindre Saigon. De Singapour, le voyage en « steamer » jusqu’à Bangkok prend de trois à quatre jours. Il en faut un ou deux de plus depuis Saigon. Il faut donc largement plus d’un mois pour atteindre Bangkok. Ces données sont celles d’un Guide Madrole de 1902 (14) mais n’oublions pas que le canal de Suez n’a été ouvert qu’en 1869.

 

 

Henri Mouhot quitta Londres le 27 avril 1858 et arriva à Singapour le 3 septembre pour atteindre Bangkok le 12. Il y a évidemment quelque progrès puisque l’abbé Choisy en particulier nous donne la chronologie de son voyage : départ le 3 mars 1685 et atteint la côté de Bangkok le 15 septembre.

 

 

L’obstacle de la langue : Une fois arrivé au Siam, le voyageur ordinaire se heurte à de nombreuses difficultés, avec la méconnaissance de la langue tout d’abord. Avant la publication des ouvrages de Monseigneur Pallegoix rien n’avait été écrit : sa grammaire est de 1850 en latin certes mais il est permis de penser que les voyageurs de cette époque connaissaient le latin, et son dictionnaire de 1854, fruits de 24 ans de travail.

 

Et pourtant pour pénétrer la réalité d'un pays il ne suffit pas d’avoir visité les villes et les lieux touristiques, encore faut-il sinon parler du moins comprendre sa langue et éventuellement la lire. L’apprentissage de la langue était un préalable nécessaire aux missionnaires qui débarquaient dans le pays. Tous apprenaient le thaï et beaucoup le pali, la langue sacrée des temples (15). S’il leur fut un temps interdit d’enseigner en thaï aux Siamois, c’est qu’ils en connaissaient la langue. Les voyageurs qui se cantonnaient dans les villes y trouvaient des citadins qui connaissaient une ou parfois plusieurs langue vernaculaires, le thaï bien sûr, le portugais, et de plus en plus l’anglais privilégié par les rois successifs. Ces voyageurs ne pouvaient avoir de contacts qu’avec une minorité parlant une autre langue que le thaï, essentiellement celle qui parlait anglais. Quant aux voyageurs qui pouvaient s’intéresser aux contacts avec la population, il leur fallait utiliser les services d’interprètes, passant par exemple du français au portugais que certains connaissaient, le truchement passant à son tour du portugais au thaï. Ce fut le cas des ambassades, mais l’incertitude était telle que tous les traités passés avec le Siam, que ce soient les Anglais ou les Français prirent soin de préciser qu’en cas de difficulté d’interprétation, seule la version anglaise ou française ferait foi.

 

 

Ce sont encore les missionnaires qui vont nous donner une leçon de modestie que l’on trouve rarement chez les voyageurs et encore moins lorsqu’ils sont devenus des touristes :

 

 

Ainsi  le père Picot, des Mission étrangères qui invité à loger dans une maison appartenant au gouverneur de Trang nous confie :« J'acceptais cette invitation pour être plus à portée des personnes que je voulais voir et connaître » (16). 

Le père Pierre Clémenceau, des Mission étrangères, arrivé au Siam à la fin de l’année 1831 écrit à ses parents, parlant de la population : «  En France, où presque tout le monde est chrétien, on ne se fait pas une idée du malheureux sort des pauvres idolâtres ; pour le bien connaître, il faut avoir passé parmi eux plusieurs années … » (17).

Monseigneur Jean-Paul Courvézy, des Mission étrangères, arrivé au Siam dans le courant de l’année 1832 écrit dans une très longue lettre du 27 mai 1833 « Je suis trop peu de temps ici, pour pouvoir vous écrire des choses intéressantes et curieuses du pays; je vois que rien n'y ressemble à ce qui est en Europe » (18).

                                                

 

Il est aussi l'obstacle purement géographique qui sera surmonté par les missionnaires : L’ouvrage de Mouhot débute par cette citation de Malte-Brun (19). : « Les vastes régions qui sont sous la qui figure d'une double péninsule, s'étendent entre le golfe du Bengale et la mer de Chine, ne sont guère connues que par leurs côtes, l'intérieur présentant un champ de conjectures inutiles et fastidieuses ».

 

Beaucoup de voyageurs – la plupart - n'ont connu du Siam que des zones géographiques limitées, les villes et essentiellement Bangkok. Rarissimes sont ceux qui pénètrent dans le pays intérieur, le pays réel dont 90% de la population est paysanne. Dans les villes, on rencontre des citadins et probablement beaucoup plus de Chinois que de vrais Thaïs. Les trajets des voyageurs furent et restent une arrivée à Singapour, plus facile à atteindre que Saigon et ensuite la voie de mer jusqu’à Pak-Nam et Bangkok ou la voie de terre le long de la péninsule malaise. Le point d’arrivé reste Bangkok. Une fois dans la capitale, les visites obligées concernent évidemment les cités historiques qui en sont proches, Ayutthaya ou  Chantaburi.

 

 

Isabelle Massieu a ainsi visité le Siam, tapis rouge déroulé, accueil officiel à Bangkok, accueil non moins officiel au palais royal de Huahin, huit jours au Siam avant de rejoindre Singapour pour continuer son périple. De retour en France, après le voyage entrepris au Tibet (courageusement et peut-être à la recherche du Yéti ?) Isabelle Massieu multipliera les conférences ou les articles devant toutes sortes de sociétés savantes concernant en particulier sa connaissance approfondie du Siam sur lequel elle émet de très doctes considérations fruit d’un séjour d’une semaine (20).

 

 

Si un long séjour ne garantit pas avec certitude le sérieux d’un récit, il faut tout de même admettre que ce ne sont pas ceux dont le séjour avaient été le plus bref qui émettaient les plus judicieux.

 

Que valent ces témoignages qui laissent à penser que les villes du Siam sont séparées par des espaces sans intérêt ?

 

 

Mouhot par exemple en bon naturaliste s’est intéressé à la nature encore sauvage qu’il traversait, fréquenté des auberges sordides, subit des incidents de route et pu se faire une opinion directe sur la réalité siamoise. Mais plus qu’un simple voyageur, il était un véritable explorateur chargé d’une mission officielle par les Anglais qui dura trois ans dont la moitié passée au Siam.

 

 

Il faut bien dire en effet à la décharge des visiteurs temporaires que les difficultés pour circuler à l’intérieur du pays rendaient bien évidemment toute exploration difficile voire impossible en saison des pluies : Absence de route mais chemins de terre impraticables en saison des pluies, circulation en char à bœuf, moins vite qu’un homme au pas, ou en barge sur les cours d’eau. Nous savons qu’il y a à peine un siècle, alors qu’il y avait déjà une infrastructure routière et ferroviaire, pour aller seulement visiter Phimai, site khmer majeur de la Thaïlande, il fallait depuis Bangkok au moins 10 jours  (21).

 

Citons, bien qu’il ait été exceptionnel, le voyage du Major Seidenfaden : Nous sommes en 1907. Le Siam vient de céder à la France une partie de ses provinces Cambodgiennes. Battambang, Siemréap et Sisophon  Il faut rapatrier au Siam le vice-roi Phraya Chum Apaiwong Katthathorn. Depuis Battambang jusqu’à Prachinburi où le prince doit s'installer, il y a environ 300 kilomètres. La voie de terre est choisie, 22 cours d’eau sans ponts seront à traverser dont la plupart n’étaient pas guéablespar ce convoi exceptionnel de 1700 chars à bœufs transportant tous les impedimenta du souverain. Tous les chars à bœufs durent, un par un, être descendus à la force des bras avec des cordes jusqu'au fond et remorqués de la même façon sur l’autre rive. Il fallut parfois construire des ponts de fortune (22).

 

 

 

Ces obstacles ne repoussèrent toutefois pas les missionnaires, déjà présent à Bangkok, dans tout le delta du Maenam, Ayutthaya, Chantaburi, Petriu, Trang, Korat, Ubon, Nakonchaisi, Kalasin, Sakonnakhon allèrent jusqu’à Chiangmai, Chiangrai et les tribus karens de la frontière birmane. Ces déplacements que nous faisons aujourd‘hui avec facilité, dans la première moitié du XIXe siècle bien peu de voyageurs les accomplirent, quelques explorateurs, de hardis commerçants souvent aventuriers et beaucoup de missionnaires.

 

 

Que devons-nous conclure de ces explications ?

Les voyageurs

 

Les voyageurs ne font que passer sans avoir tous les scrupules et l’humilité de Monseigneur Courvézy. Certains nous rappellent curieusement ces touristes qui ne sont plus des voyageurs et qui, après un séjour organisé traditionnel de trois semaines, Bangkok, Ayutthaya, Chiangmai, Pattaya éventuellement et les « îles paradisiaques du sud » reviennent en France pérorer sur la Thaïlande au vu le plus souvent d’extrapolations et de généralisation hâtives.

 

 

A cette époque l’exotisme était à portée de main, des crocodiles dans la Chaophraya, des éléphants partout, des oiseaux multicolores, plus intéressants que les êtres humains avec lesquels tout contact est impossible.

 

Les explorateurs

 

Sur la période qui nous concerne, le seul explorateur est Henri Mouhot qui nous expose clairement l’objet de son voyage « ... Étudier les meurs intéressant de toutes les créatures dont Dieu a parsemé la surface du globe ».  La question du langage ne se posera pas, il nous dit « L'un de mes domestiques était Cambodgien, l'autre Annamite, chrétiens tous deux et connaissant quelques mots de latin et d'anglais, qui, joints au peu de siamois que j'avais déjà pu apprendre, devaient me suffire pour me faire généralement comprendre ».  Nous savons aussi que les contacts avec les indigènes chrétiens seront facilités puisque ceux-ci connaissent le latin que leur ont appris les missionnaires qui ont eux-mêmes appris le thaï.  Jusqu’à sa mort en 1861, il arpentera le Siam, le Cambodge et le Laos souvent à pied. Sa description de la société siamoise, depuis le roi, la haute administration, les mandarins et le « menu peuple » est instructive. Toutes ses explorations portent sur des terra incognita pour les Européens. Les sciences naturelles lui sont chères, ses trouvailles sont surabondantes bien qu’elles excèdent nos compétences. Lui aussi nous dit :«  On a répété souvent que l’on ne peut pas juger d’un pays où l’on a fait que passer ; que ceux-là seuls pourraient le faire qui y ont séjourné longtemps ». Modeste aussi, quand il ne sait pas, il le dit et fait référence à Monseigneur Pallegoix qu’il a rencontré à Bangkok et qui lui a permis de rencontrer le roi, et de temps à autre à Bowring sur les questions historiques. Son apport à la connaissance du Siam « profond » est fondamental pour les Thaïlandais d’aujourd’hui eux-mêmes même s’ils lui reprochent une vision trop superficielle du bouddhisme et d’avoir fréquenté plus volontiers les gens du peuple et les Missionnaires que l’élite cultivée partout où il allait. Il est incontestablement l’un des rares témoignages de la société siamoise de cette époque peut-être plus précieux que les documents primaires thaïs. Ses illustrations dans « Le tour du monde » de 1893 sont pour les thaïs eux-mêmes des documents exceptionnels, l’usage des illustrations photographiques ne se répandra que quelques dizaines d’années plus tard (23).

 

 

Les commerçants

 

Nous en avons dit quelques mots plus haut. Le commerce français n’a jamais prospéré au Siam et les efforts de « la Compagnie française des Indes orientales » furent un échec certain après le bref épisode franco-siamois au temps du roi Naraï. Qui d’autre qu’un aventurier peut venir faire du négoce en ce début du XIXe siècle au Siam surtout face, ou en concurrence, avec les Anglais et les Hollandais qui sont des mercantis dans l’âme ? Nous en avons un magnifique exemple avec « le roi des Sédangs » qui, quelques années plus tard il est vrai, tout en s’autoproclamant roi se livra à toutes sortes de trafics, or et métaux précieux, armes, et opium (24). Qu’il nous soit permis de citer ce que disait Louis-Ferdinand Céline sur ces commerçants des colonies même s’il y a son grain de perfidie favori (25). Ces commerçants-là n’écrivent pas leurs souvenirs.

 

 

Les diplomates et les fonctionnaires.

 

Nous en avons dit quelques mots. En dehors de la correspondance purement interne, ils nous ont dotés de quelques ouvrages, celui de Gréhan en particulier, intéressant tout en restant dans le langage diplomatique et d’ailleurs publié 10 ans après la fin de sa mission officielle.

 

 

Nous connaissons une notable exception, elle est tardive, celle de ce jeune diplomate, Raphaël Réau, présent au Siam entre 1894 et 1900. La correspondance avec sa famille a été publiée par son petit-fils en 2003.

 

 

Nous lui avons consacré trois articles (26). Il a appris la langue, il a voyagé, ses souvenirs, quoique trop souvent empreint de l’incontestable forfanterie d’une jeune fonctionnaire, ne sont pas sans intérêt. Ses rapports vénaux avec les Chinois de Bangkok ne le font toutefois pas échapper aux malveillantes observations de Céline sur les fonctionnaires coloniaux associés aux commerçants (25).

 

 

Les missionnaires

 

Ils occupent de toute évidence une place à part. Ils sont d’abord les plus nombreux, des dizaines et des dizaines sur notre période sont venus au Siam. Les motifs qui les conduisent à faire ce long voyage n’ont rien à voir avec ceux des autres visiteurs, ils suivent le conseil du Christ et viennent, abandonnant père et mère, « évangéliser les nations » et – autre but fondamental des Missions étrangères – créer autant que faire se peut un clergé local. Ils viennent au Siam pour y vivre et y mourir, nul espoir de retour. Ils ont appris la langue et sont en contact avec la population souvent la plus misérable, esclaves compris (26). Ils n’ont aucune appréhension à affronter ce qu’a connu Mouhot et pire encore puisque beaucoup ont payé de leur sang. Enfin, ils écrivent beaucoup. Est-ce à dire que cette correspondance, soit avec leur famille soit avec la hiérarchie, soit entre eux de mission à mission mérite mieux que celles des autres écrivains dont nous venons de parler ? Bien évidemment non. Mais si une lettre de deux pages peut être plus intéressante qu’un prétentieux discours en un volume, certaines ont été publiées : celles publiées par Launay en 1929 sont essentiellement d’ordre administratif interne mais n’ont pas fait l’objet d’une étude synthétique et analytique à ce jour. Les correspondances publiées dans les Annales ne sont qu’une infirme partie de celles qui somnolent dans les Archives des Missions étrangères puisque, nous apprend leur site, elles contiennent des milliers de documents inexploités, 600 mètres linéaires d’archives dont une partie doit concerner le Siam (28).

 

 

NOTES

 

(1) Sunanta Panyarith «  « La Thaïlande dans les publications françaises du début du XIXe siècle » In : Revue française d'histoire d'outre-mer, tome 72, n°267, 2e trimestre 1985. Celle-ci est l’auteur d’un mémoire universitaire « La Thaïlande devant l'opinion française de 1900 à 1909 ». Tours, 1974,  et d’une thèse de doctorat « Le Siam dans l’opinion française 1815-1868 » Paris, 1980

 

(2) Voir sur le site des archives des Missions étrangères

https://archives.mepasie.org/fr/fiches-individuelles/brigot

 

(3) Voir notre article A 43. « L'Encyclopédie, Voltaire et le Siam ».

http://www.alainbernardenthailande.com/article-a-44-l-encyclopedie-voltaire-et-le-siam-83570407.html

 

(4) On sait peu de choses sinon rien sur Georges Psalmanazar, probablement le pseudonyme d’un Français né dans la région d’Avignon qui édita ensuite depuis Londres et sur souscription une monumentale histoire universelle en 126 volumes manifestement une œuvre collective dont tous les tomes n’ont pas la même qualité.

 

(5) « Bulletin de la société de géographie » janvier et février 1826.

 

(6) « Le Moniteur universel » fut longtemps l’organe officiel du gouvernement français. Nous n’y avons pas accès puisque la numérisation sur Gallica, le site de la Bibliothèque nationale est partiellement verrouillée, on ne sait pourquoi.

 

 

(7) Journal du 4 décembre 1835

 

(8) La première mention est du 6 juillet 1829.

 

(9) Il a fait l’objet de tirages à part mais fut publié dans les « Annales de la propagation de la foi » volume 26 de 1854, pp. 13-47.

 

(10) Année 1820, volume 4 mais la livraison concernée n’est pas numérisée et nous n’avons donc pas pu la consulter.

 

(11) Voir « Annuaire générale de l’Indochine française » de 1907.

 

(12) « Nouvelles annales de voyage » tome III de 1859, pp 225-232.

 

(13) Numéros des 15 août et 15 septembre 1866, pp 383-411.

 

(14) Claudius Madrolle « De Marseille à Canton, guide du voyageur - Indo-Chine, canal de Suez, Djibouti et Harar, Indes, Ceylan, Siam, Chine méridionale » publié par le Comité de l'Asie française 1902.

 

 

(15) Voir dans le « Bulletin de la société des Missions étrangères de Paris » de 1939 l’article signé « Un missionnaire » : « L’étude de la langue indigène en mission ».

 

(16) « Annales de l'Association de la propagation de la foi » tome 6 de 1825 pp. 72-82.

 

(17) « Annales de la Propagation de la Foi », tome 16 de 1844, p. 279.

 

(18) «  Annales de la Propagation de la Foi », tome 7 de 1834, pp. 390-396.

(19)  Citation extraite – nous dit-il - du « précis de la géographie universelle », livre CLI édition, 1813.

 

(20) Voir notre article A 192 – « A LA DÉCOUVERTE DU SIAM PAR MADAME MASSIEU, UNE « AVENTURIÈRE FRANÇAISE » DE LA FIN DU XIXÈME » « http://www.alainbernardenthailande.com/2015/08/a-la-decouverte-du-siam-par-madame-massieu-une-aventuriere-francaise-de-la-fin-du-xixeme.html

 

(21) Voir notre article INSOLITE 15 « UNE EXCURSION A PHIMAI … IL Y A UN SIÈCLE ».

http://www.alainbernardenthailande.com/2017/01/insolite-15-une-excursion-a-phimai-il-y-a-un-siecle.html

 

(22) Voir notre article «  LA « LONGUE MARCHE » D’ERIK SEIDENFADEN, DANOIS GENDARME ET ÉRUDIT AU SERVICE DU SIAM »

http://www.alainbernardenthailande.com/2016/11/la-longue-marche-d-erik-seidenfaden-danois-gendarme-et-erudit-au-service-du-siam.html

 

(23) Voir le mémoire de maitrise de Mademoiselle Waraporn Kor Sri Suwan « La société Thaïe et les Siamois au milieu du XIXe d’après Henri Mouhot », Université Silpakorn, 2002.

Mouhot mourut à 35 ans sans avoir accompli tous ses projets de voyage, victime d’épuisement, marche, climat, moustique, sangsues, nourriture locale sans avoir pu retourner dans son Jura natal « vivre entre ses parents le reste de son âge ». Notre ami Jean-Michel Strobino lui a consacré deux articles :

INVITÉ 2 « HISTOIRE DE LA SÉPULTURE D’HENRI MOUHOT ET DE SON MONUMENT FUNÉRAIRE 1861-1990 » :

http://www.alainbernardenthailande.com/2015/07/histoire-de-la-sepulture-d-henri-mouhot-et-de-son-monument-funeraire-1861-1990.html

INVITÉ 2 (SUITE) « Le MONUMENT FUNÉRAIRE D’HENRI MOUHOT VU PAR LE « BANGKOK POST »… RENDONS À  CÉSAR CE QUI APPARTIENT  À  CÉSAR »

http://www.alainbernardenthailande.com/2018/04/invite-2-suite-le-monument-funeraire-d-henri-mouhiot-vu-par-le-bangkok-post-rendons-donc-a-cesar-ce-qui-appartient-a-cesar.html

 

 

(24) Voir notre article « UN FRANÇAIS, « MARIE Ier », ROI « IN PARTIBUS » DES MOÏS ET DES SÉDANGS, « GLORIA IN EXCELSIS MARIA » !

http://www.alainbernardenthailande.com/2016/10/un-francais-marie-ier-roi-in-partibus-des-mois-et-des-sedangs-gloria-in-excelsis-maria.html

 

(25) « Dans cette colonie de la Bambola-Bragamance, au-dessus de tout le monde, triomphait le Gouverneur. Ses militaires et ses fonctionnaires osaient à peine respirer  quand il daignait abaisser ses regards jusqu’à leurs personnes. Bien au-dessous encore de ces notables les commerçants installés semblaient voler et prospérer plus facilement qu’en Europe. Plus une noix de coco, plus une cacahuète, sur tout le territoire, qui échappât à leurs rapines. Les fonctionnaires comprenaient, à mesure qu’ils devenaient plus fatigués et plus malades, qu’on s’était bien foutu d’eux en les faisant venir ici, pour ne leur donner en somme que des galons et des formulaires à remplir et presque pas de pognon avec. Aussi louchaient-ils sur les commerçants. L’élément militaire encore plus abruti que les deux autres bouffait de la gloire coloniale et pour la faire passer beaucoup de quinine avec et des kilomètres de Règlements ».

 

 

(26) Voir :

144. « Raphaël Réau, Jeune diplomate français au Siam. (1894-1900) »

http://www.alainbernardenthailande.com/article-144-raphael-reau-jeune-diplomate-au-siam-1894-1900-123941699.html

145. « La vision du Siam de Raphaël Réau, jeune diplomate français à Bangkok. (1894-1900) »

http://www.alainbernardenthailande.com/article-145-la-vision-du-siam-de-raphael-reau-jeune-diplomate-fran-ais-a-bangkok-1894-1900-123999177.html

A 200 - « QUELQUES COMMENTAIRES À PROPOS DE RAPHAËL RÉAU, JEUNE DIPLOMATE QU SIAM (1894-1900) »

http://www.alainbernardenthailande.com/2015/12/a-200-quelques-commentaires-a-propos-de-raphael-reau-jeune-diplomate-au-siam-1894-1900.html

 

(27) « … religion de cardeurs, de cordonniers et de foulons, les plus ignorants et les plus rustiques de tous les hommes » écrivit Celse cité par Origène dans son traité « Contre Celse ».

 

(28) https://archives.mepasie.org/fr/decouvrir-nos-fonds/manuscrits :

1) « Un premier ensemble de 1303 volumes d'archives anciennes (de 1660 à 1940) contient des lettres reliées des missionnaires classées par missions ou thèmes (ex : séminaire, voyages, procure de Rome, etc.) et par ordre chronologique. La plupart des registres disposent d'une table analytique réalisée par le P. Launay qui décrit chaque lettre contenue dans le volume ».

2) « Un deuxième ensemble rassemble majoritairement des lettres, cette fois-ci non reliées et classées par ordre alphabétique par nom de missionnaires et par mission ».

 

 

 

Partager cet article
Repost0
8 août 2018 3 08 /08 /août /2018 22:05

 

 

 

L’épopée des Français au Siam lors des deux ambassades de 1685 et 1687 a donné lieu à une (sur)abondante littérature, historique, érudite ou romanesque, cette dernière pas toujours de meilleur aloi (1). Les participants ont écrit leurs mémoires ou leurs souvenirs souvent des années plus tard, sans forcément les destiner à la postérité, tels l’abbé de Choisy ou le Chevalier de Forbin. Les mémorialistes de l’époque ont tendant à glorifier leur intervention, tel le chevalier de Chaumont qui écrit en 1686 (2). D’autres sont intéressants mais sont souvent témoignage de leur auto satisfaction et monuments de flagornerie, tel le père Tachard (3).

 

 

Nous avons, ne l’oublions pas, le chevalier de La Loubère que nous citons souvent, envoyé de la seconde ambassade qui donne sans forfanteries inutiles une remarquable description du royaume à l’époque de sa visite (4). Et puis il y a les oubliés qui ne furent pas forcément les plus obscurs. Nous devons à Michael Smithies, infatigable historien, d’avoir fait revivre l’un d’entre eux, le chevalier de Fretteville (ou Fréteville) à l’occasion de deux articles, le premier de 2000 intitulé (nous traduisons) « Les bijoux de Madame Constance » et le second de 2013 intitulé « Le Chevalier de Fretteville (vers 1665-1688), un innocent au Siam » (5). Ces deux articles sont fondés en partie sur des documents inexploités à ce jour.

 

 

Le premier article vise un compte rendu anonyme de la révolution de 1688 au Siam, manuscrit à la Bibliothèque Nationale à Paris (6). D’après Smithies, il est peut-être de la main de l’ingénieur Vollant des Verquains et son contenu est étrangement similaire à son ouvrage imprimé, œuvre d’un spectateur direct et non intéressé des événements de 1688 (7). Il est d’ailleurs possible, nous dit Smithies, que ce manuscrit soit sinon la reproduction du moins à la base d’une publication en série dans les numéros du « Cabinet Historique » de 1861. Ils ont l’avantage d’être écrit en français de France et rejoignent très largement l’article de Smithies (8). Cette longue série ne nous semble pas avoir été jusqu’à présent exploitée par quiconque ?

 

Le second article fait référence également à des documents anonymes ni publiés ni numérisés aux Archives nationales ou de la Bibliothèque nationale (9). Il utilise aussi un manuscrit du père Tachard qui n’a pas non plus été ni numérisé ni publié et c’est dommage (10).

 

 

Des bijoux, un innocent ? S’agit-il d’un innocent qui n’a pas volé les bijoux ? En quelque sorte. Mais qui était le chevalier de Fretteville et quel était ce trésor ?

 

 

Qui était le chevalier de Fretteville ?

 

Smithies va trop vite en besogne en nous disant « Malheureusement nous ne savons rien de la famille de  Fretteville, sauf que son père avait recommandé son fils à Céberet, directeur de la Compagnie des Indes Orientales et marié à une parente de Madame de Maintenon » (11). Sa famille normande nous est parfaitement connue. Nous sommes dans la bonne mais fraiche noblesse, proche à la fois du trône et de l’autel, ennoblie par charges – échevins de Rouen -  à la fin du XVIe siècle et devenue Hallé de Fretteville.

 

 

 

Proche du trône ?

 

Son oncle, frère aîné de son père, Guillaume, est gentilhomme de la chambre du roi. Son père, Barthélémy, est sous-lieutenant de la grande vénerie (12). Lui-même commence sa carrière comme page de la maison du Roi

 

 

... sous la direction successive du duc de Gesvres

 

 

et du duc de Saint Aignan, tous deux premiers gentilshommes de la chambre.

 

 

Sa mère, Marie-Charlotte Cureau est la fille de Marin Cureau dit « de la Chambre », auteur d’ouvrages de physique et de philosophie, médecin ordinaire du roi qu’il aurait intéressé par la lecture de ses ouvrages.

 

 

Que ce soit pour la chasse, passion des Bourbons (son père) ou la chambre du roi (son oncle et lui), ces fonctions entrainent un contact quotidien avec le Monarque dont tous les mémorialistes disent qu’il n’aimait pas les têtes nouvelles (13).

 

 

A quel âge est-il entré dans la maison du roi ? Probablement fort jeune ? Smithies le fait naître « aux environs » de 1665. C’est une approximation qui le rajeunit : Ses parents se sont mariés le 10 octobre 1657. Il avait un frère aîné, François, chanoine à Nantes, que l’on peut supposer né un an après le mariage de ses parents, et lui-même, le second – Louis-Armand Hallé de Fretteville -  dont nous pouvons situer la naissance un an plus tard à la fin de l’année 1659 (14).

 

Il est après sa sortie du corps des pages intégré dans le corps des gardes de la marine, gentilshommes choisis pour être élèves officiers de marine.

 

 

Comment ce jeune marin fut-il attaché à l’ambassade de 1685 alors qu’il avait environ 25 ans ? Décrivant la composition de la première ambassade, la presse de l’époque (15), directement informée par la cour, nous dit « … Mr de Fretteville, Garde de la Marine. Ce dernier, qui a été page de la Chambre du Roi, a mérité cet avantage, tant par les services de Mr de Fretteville son père, que par l'assiduité et la sagesse avec laquelle avec laquelle il a lui-même servi Sa Majesté  pendant les années d'exercice de Mr le duc de Gesvres et de Mr le duc de Saint Aignan, auquel il a l'honneur d'appartenir. Depuis sa sortie de page, il s'est trouvé à toutes les occasions de guerre qu’il y a eu sur la Méditerranée ». Quelles étaient les occasions de guerre navale sur la Méditerranée à cette époque ? Il n’en a aucune autre que la chasse perpétuelle aux barbaresques à laquelle se livra le chevalier de Forbin qui, né en 1656, était presque son contemporain. Nous n’en savons malheureusement pas plus.

 

 

Son autre frère cadet, Guillaume, entama lui aussi une carrière militaire sur laquelle nous savons peu de choses sinon qu’il aurait été fait chevalier de Saint-Louis et qu’il mourut en 1728 comme brigadier d’infanterie. Jean, le plus jeune, entra également au service où il entama une carrière prestigieuse dans l’infanterie qui le mit en rapports directs avec le roi dans toutes ses campagnes (16).

 

 

Ce voyage de notre jeune marin est en quelque sorte un apprentissage de la mer comme l’écrit Chaumont (17). En 1687, Fretteville est devenu officier-lieutenant de vaisseau.

 

 

Proche de l’autel ?

 

En dehors de sa piété - il aurait manifesté l’intention de se réfugier dans un monastère une fois retourné en France - il est des signes qui ne trompent guère : l’aîné de la famille, François est ordonné prêtre et devint chanoine d’abord à Nantes. Il fera plus tard acte d’allégeance officielle parmi d’autres théologiens à la bulle Unigenitus du Pape Clément IX contre le Jansénisme en 1718 comme membre du chapitre de l’église collégiale de Saint-Honoré à Paris.  

 

 

C’étaient en principe les cadets qui revêtaient la soutane. Pour que le chef de famille accepte que ce soit l’aîné qui entre en religion, il lui fallait une grande piété jointe à une solide vocation pour le fils. Une jeune sœur, Marie-Hyacinthe prit le voile dans la très élitiste abbaye royale de Chelles (18).

 

 

Le premier voyage

 

Il est complétement oublié des mémorialistes en dehors de Chaumont qui signale, avons-nous vu, sa présence et de l’abbé de Choisy qui signale aussi simplement sa présence à bord de la frégate L’Oiseau au 3 mars 1685 (19).

 

 

En dehors de ces références, aucun texte ne parle de lui dans les relations des activités de l'ambassade de 1685. Ni Forbin ni le père Tachard (qui aurait dû être admiratif devant sa piété) ne le mentionnent alors qu’il a dû prendre part à toutes les cérémonies, formelles comme la présentation à Ayutthaya de la lettre de Louis XIV au roi Narai le 18 octobre 1685

 

 

... ou informelles comme les divertissements destinés aux ambassadeurs, chasse aux éléphants ou dîners chinois.

 

 

La première ambassade quitta le Siam sur L’Oiseau le 22 décembre 1685 emportant le père Tachard, Fretteville et les trois ambassadeurs siamois.  Elle débarque à Brest le 18 juin 1686.

 

 

Nous ignorons ce que furent les occupations de notre marin jusqu’au départ de la seconde ambassade le 1er mars 1687 à laquelle il appartient. Il prit en tous cas du galon et repart sur L’Oiseau dont il est lieutenant. Ce poste est probablement prestigieux puisque c’est le navire qui transporte les deux ambassadeurs, La Loubère et Cerberet parmi les cinq navires de guerre transportant environ 1300 personnes.

 

 

Le second voyage et l’affaire des joyaux de Madame Constance

 

Notre propos n’est pas d’écrire ou de réécrire l’histoire de ce qu’il est convenu d’appeler « la révolution » de 1688 et qui n’était en réalité qu’un coup de force de l’ambitieux Petracha (20). De quoi s’agissait-il ? Phaulkon, « Monsieur Constance » pour les Français, durant sa brève période au pouvoir de 1683 à 1688, le temps de passer du Capitole à la Roche Tarpéienne, avait amassé une fortune personnelle considérable dont une partie était placée dans des bijoux appartenant nominalement à son épouse, Maria Guyomar de Pinha.

 

 

Il y avait là de quoi susciter les cupidités, celle de Petracha au premier chef, celle aussi des pères jésuites dont on dit volontiers qu’elle est légendaire

 

 

... et celle aussi des officiers français qui espéraient probablement tous revenir en France fortune faite. C’est un invraisemblable imbroglio que l’on peut au moins partiellement dénouer au vu des recherches de Smithies sur les manuscrits encore inédits et les éléments que nous connaissons déjà, Vollant des Verquains en particulier. Que savons-nous de précis ?

 

 

Avant d’être arrêté puis torturée, Madame Constance comme l’appelaient les Français avait fait trois paquets de ses bijoux qu’elle souhaitait utiliser pour financer sa fuite en France en compagnie de ses enfants : « Depuis le temps que M. Constance fut arrêté, sa femme, prévoyant les malheurs qui allaient accabler sa maison, songea de bonne heure à sauver quelques débris du naufrage. Elle crut que mettant à couvert pour environ trente mille écus de pierreries qu'elle avait, ce serait une ressource pour elle dans le besoin ; et se flattant que cela serait en assurance entre les mains des Français, elle en fit trois paquets, qu'elle enveloppa elle-même, et les ferma de son cachet » écrit Vollant des Verquains.

 

Elle en remit deux au supérieur des jésuites, le père Le Royer et le troisième au lieutenant de Fretteville. Le père Le Royer ne tenant pas à conserver ce précieux mais bien dangereux dépôt le remit à Beauchamp, commandant en second les troupes sous les ordres de Desfarges afin de les faire retourner à Mme Constance par l'intermédiaire du père Comilh. Selon Beauchamp, Desfarges dont la cupidité était légendaire fut informé de cette commission. Il aurait demandé que ces deux paquets ne soient pas restitués tant qu’il n’aurait pas récupéré une somme de 400 pistoles c’est-à-dire 4000 livres qu’il aurait prêté à Phaulkon ce qui est proprement invraisemblable (21).

 

 

Il aurait fait remettre les deux paquets à Phaulkon par l'intermédiaire de Véret tout aussi cupide que lui. La commission a-t-elle été faite ? Selon Beauchamp, il y avait effectivement de quoi faire tourner bien des têtes aussi bien siamoises que françaises : « quatre colliers, un chapelet, deux paires de bracelets et des pendants d'oreille de perles, quatre douzaines d'anneaux d'or de plusieurs façons, une très grosse et parfaitement belle émeraude, des agrafes, de petits rubis, quatre bagues de petits diamants, neuf ou dix chaînes d'or, onze lingots d'or pesant plus de trois marcs chacun, huit coupans d'or de dix écus pièce, une douzaine de boutons, demi-douzaine d'aiguilles de tête, et douze ducats d'or ».

 

 

Madame Constance pour sa part évaluait l’ensemble entre 25 et 30.000 écus. Nous avons repris le calcul donné par Smithies et arrivons, mutatis mutandis aux mêmes conclusions, la somme était énorme (22). Vollant des Verquains laisse à penser sans oser l’écrire formellement que les paquets restitués avaient subi de fortes ponctions. Nous ne savons non plus ce qu’il advint du paquet confié à Fretteville. Il fut arrêté à Louvo (Lopburi) lors de l'arrestation de Phaulkon, fouillé et sans aucun doute dépouillé d'une partie des trésors. Beauchamp donne sa propre version selon laquelle Saint-Vandrille et Desfarges prétendirent avoir sauvé les diamants que Madame Constance avait remis à Fretteville, que Desfarges les avait, qu'ils le priaient de recevoir leur part, puisqu'ayant tout perdu et ayant aidé à les sauver, il était bien juste qu'ils en profitassent. Devant le refus de Beauchamp indigné de voir des officiers français profiter du malheur de Madame Constance, Desfarges se ravisa en disant qu’il était infâme  de vouloir partager le bien d'une femme qui avait tout perdu. Il fit alors appeler le chevalier son fils en lui ordonnant de remettre  les diamants (ou ce qu’il en restait ?) entre les mains de Fretteville puisque c'était à lui que Mme Constance les avait confiés et à Fretteville de les lui rendre aussitôt qu'il le pourrait. Les protestations vertueuses des uns et des autres ou leur silence (Desfarges) sont suaves. La relation manuscrite de Saint-Vandrille (conservée aux Archives Nationales de Paris) ne parle pas de ce trésor. Desfarges est tout aussi discret. Pour Beauchamp après la signature du traité de capitulation,  Fretteville pu aller voir Madame Constance et lui remettre ce qu'il lui avait pu sauver. Deux jours plus tard, alors qu'il quittait l'un des vaisseaux où tous les officiers allaient et venaient en visite, tandis qu'il était sur la planche, le vaisseau se déplaça avec la marée, la planche tomba dans l'eau avec lui, disparition d’un témoin de leurs probables turpitudes ce qui fut évidemment une bénédiction pour Beauchamp et Desfarges. Son témoignage aurait pu leur valoir la corde.

 

 

Il ne faut pas s’étonner qu’un marin de cette époque ne sache pas nager (23).

 

Pour Smithie, l’hypothèse la plus probable est celle d’une altercation à bord à la suite de laquelle Beauchamps et (ou) Desfarges auraient poussé Fretteville à l’eau en sachant qu’il ne savait pas nager, avant de quitter le pays au plus vite en abandonnant honteusement Madame Constance à son triste sort. Desfarges mourut en mer sur le chemin du retour et n’emporta pas le fruit de ses turpitudes en enfer.

 

 

Le navire fut capturé par les Hollandais, de nouveau en guerre avec la France, qui considérèrent non sans raison que les joyaux en possession des survivants étaient butin de guerre.

 

Ce chevalier de Fretteville était peut-être le seul officier honnête au milieu de cette brochette crapuleuse, Desfarges, Beauchamp, Saint-Vandrille et Véret.

 

 

Nous faisons bénéficier les jésuites du bénéfice du doute.

 

 

Fretteville est mentionné comme suit dans le livre d’or des marins français morts à l’ennemi « Hallé de Fretteville, lieutenant de vaisseau, noyé à Bangkok, le 3 octobre 1688. Cet officier commandait les troupes envoyées au Siam » (24). Il n’avait pas trente ans.

 

 

Il en est de même de celui de Madame Claire-Keefe-Fox, plus synthétique mais remarquablement documenté :

A 190. « Constantin Phauklon in « le ministre des moussons » de Madame Claire Keffi-Fox »

http://www.alainbernardenthailande.com/2015/08/a190-constantin-phaulcon-in-le-ministre-des-moussons-de-madame-claire-keefe-fox.html

 

 

Citons le roman de Sportés pour être complet. Il tourne autour des souvenirs d’un marin qui se gausse à longueur de pages de la maladie dont souffrait le Roi, une fistule anale. Si la France entière sut que le roi était souffrant, il fallut attendre la publication des mémoires de Saint-Simon en 1781, un siècle plus tard, pour savoir ce dont il souffrait. Ce fut l’un des secrets les mieux gardés sous les règnes de Louis XIV et de Louis XV. Sa description de la vie quotidienne des marins sur les vaisseaux de S.M. Louis XIV démontre à suffisance qu’il n’a pas effectué beaucoup de recherches à ce sujet.  

 

 

(2) Alexandre de Chaumont : « Relation de l'ambassade de Mr. le Chevalier de Chaumont à la Cour du Roy de Siam, avec ce qui s'est passé de plus remarquable durant son voyage » dont la première édition est de 1686.

 

 

 

(3) Nous lui devons un « Premier voyage de Siam des pères jésuites » en 1686 et un « second voyage du père Tachard et des jésuites envoyés par le roi au royaume de Siam » en 1689. Pour s’attirer par exemple les bonnes grâces du « Barcalon », le « petit grec » Phaulkon, il en fait le descendant d’une très noble famille vénitienne installée sur l’île de Céphalonie alors qu’il était incontestablement issu d’un gargotier de cette île ce dont d’ailleurs se gaussait le chevalier de Forbin.

 

 

(4) « Du royaume de Siam » publié en deux volumes en 1691.

 

 

 

(5) « Madame Constance's Jewels » in Journal de la Siam society, volume 88 de 2000 et « The Chevalier de Fretteville (c.1665-1688), an Innocent in Siam » in Journal de la Siam society, volume 101 de 2013.

 

(6) BN, Fr.6106 non numérisé à ce jour.

 

(7) « Histoire de la révolution de Siam arrivé en l’année 1688 » publié sans nom d’auteur en 1691. Le manuscrit nous dit Smithies est « écrit d'une main régulière, et bien espacé, le contenu ressemble beaucoup au texte publié de Vollant des Verquains, bien qu'il soit beaucoup plus concis et ne soit pas livré à des réflexions philosophiques ».

 

(8) L’auteur anonyme de l’article écrit « le récit que nous avons trouvé, et que nous allons publier, émane d'un des officiers français venu à Siam en 1687, à la suite de Desfarges; peut-être est-il  lieutenant même de celui-ci. Il est adressé comme compte rendu des événements au ministre de Louis XIV. C’est un mémoire justificatif qui .paraît empreint d'un grand caractère de véracité : il peint les embarras de la situation faite à la garnison de Bangkok et rectifie bien des erreurs et bien des préjugés…. »

 

(9) « Relation de ce qui s’est passé à Louvo, royaume de Siam, avec un abrégé de ce qui s’est passé à Bangkok pendant le siège en 1688 » (AN Col. C1 24ff. 140r-171v) - « Relation des principales circonstances qui sont arrivées dans la Révolution du Royaume de Siam en l’année 1687 » (BN MS.Fr. 6105 ff. 1r-70r). « Relation succincte du changement surprenant arrivé dans le Royaume de Siam en l’année 1688. A Siam de la ville de Judia le dernier de novembre 1688 ». (AN Col C1 24 ff. 130v-139v)

 

(10) « Voyage du père Tachard à Siam » (mss AN Colonies, C1 24 f.172-211).

 

(11) Claude Céberet du Boullay était de la seconde ambassade avec Simon de La Loubère. Il est l’auteur du  « Journal du Voyage de Siam de Claude Céberet, Envoyé extraordinaire du Roi en 1687 et 1688 ». Voir l’article de Jean Boisselier « A propos du Journal du Voyage de Siam de Claude Céberet, Envoyé extraordinaire du Roi en 1687 et 1688, Étude historique et critique par Michel Jacq-Hergoualc'h » In Arts asiatiques, tome 49, 1994. pp. 132-135.

L’alliance de Céberet avec une parente de Madame de Maintenon relève de la prétention des gentillâtres de l’époque à se trouver des alliances ou des ascendances prestigieuses : « Je ne sais quel rang occupait dans le monde la maison où Claude Céberet prit sa femme ; mais il se maria à une « Catherine Pinel »… écrit insidieusement Auguste Jal qui consacre une très longue chronique à sa famille et à lui-même dans son monumental « Dictionnaire critique de biographie et d'histoire » (1867) basé sur des recherches rigoureuses et approfondies aux archives de Paris avant leur destruction en 1871.

 

 

(12) Voir Baron Dunoyer de Noirmont « Histoire de la chasse en France depuis les temps les plus reculés jusqu'à la Révolution », 1867.

 

 

(13) Ces fonctions, pages ou gentilshommes mettaient les intéressés, tous évidemment nobles, en contact permanent avec le roi, jour et nuit. Pour des raisons de stricte économie, Colbert en avait limité le nombre : voir Richard Vivien « La chambre du roi aux XVIIe et XVIIIe siècles : une institution et ses officiers au service quotidien de la majesté » In : Bibliothèque de l'école des chartes, 2012, tome 170, livraison 1.

 

(14) Tous les renseignements sur sa famille proviennent de Aubert de la Chesnaye des Bois « Dictionnaire de la noblesse : contenant les généalogies, l'histoire et la chronologie des familles nobles de France », tome VII de 1774.

 


D’azur à la fasce d’argent, chargée de deux coquilles de sable, et accompagnée de trois étoiles d’or :

 

 

(15) Il s’agit évidemment du Mercure Galant dans son numéro de mars 1685.

 

 

(16) Le duc de Saint-Simon en parle à de nombreuses reprises dans ses mémoires : «  Ancien page de la Dauphine, Jean de Fretteville avait servi très longtemps dans le régiment de Bourbonnaiset combattu à Friedlingue, Kehl, Hochstedt, etc., puis avait été donné au duc de la Feuillade comme aide-major général de l'infanterie (mars 1703), et faisait fonction de major général du corps expéditionnaire, ainsi qu'il le fit ensuite dans le corps du comte de la Motte en Flandre… » (année 1708, volume VI, édition de 1856).

Voir aussi Pinard (ancien archiviste du ministère de la Guerre) « Chronologie historique-militaire, contenant l'histoire de la création de toutes les charges, dignités et grades militaires supérieurs, de toutes les personnes qui les ont possédés », tome VIII de 1778.

 

 

(17) Chaumont écrit  (2) : « Le Roy m'avait fait l'honneur de me donner douze officiers et gardes-marines pour m'accompagner à l'ambassade, qui étaient messieurs ….de Freteville …Je dois rendre justice à tous ces messieurs qu'ils ont été très sages, et ont tout-à-fait répondu au choix que Sa Majesté en avait fait; ils ont bien appris la navigation et les mathématiques …ceux qui ne sont pas officiers sont capables de l'être ».

 

(18) Réservée aux filles de bonne noblesse, les Abbesses étaient toujours sinon des membres du moins des proches de la famille royale :  Voir Abbé Torchet : « Histoire de l’abbaye royale de Notre-Dame-de Chelles » : « Marie-Hyacinthe de Fretteville, dite de Saint-Augustin, vint à Chelles, où elle fit profession, le 18 octobre 1689. C'était une fille de mérite, de capacité et de beaucoup de talents … », 1889.

 

 

(19) « Journal ou suite du voyage de Siam » 1687.

 

 

(20) Voir nos articles à ce sujet :

 

13 « LES RELATIONS FRANCO-THAÏES : LA "REVOLUTION" DE PITRACHA DE 1688 » :

http://www.alainbernardenthailande.com/article-13-les-relations-franco-thaies-la-revolution-de-pitracha-de-1688-64176423.html

et

99 « LA FIN DU REGNE DU ROI NARAÏ ET LA "REVOLUTION" DE 1688 » :

http://www.alainbernardenthailande.com/article-99-la-fin-du-regne-du-roi-narai-et-la-revolution-de-1688-120200350.html

 

(21) Un officier subalterne, lieutenant, gagnait alors 1000 livres par an et un général 6000. On peut se demander pour quelle raison Desfarges aurait pu disposer d’une telle somme et la prêter à Phaulkon qui avait rang et fonctions de ministre des finances.

 

(22) A cette époque mais cela variait selon les régions en l’absence de système métrique, un écu vaut 3 livres et la livre 538 milligrammes d’or fin. 30.000 écus représentaient donc 30.000 x 3 = 90.000 livres donc encore 90.000 x 538 milligrammes soit encore 0.000538 x 90.000 = 43,4 kilos d’or fin. Au cours de ce jour (juillet 2018) un kilo d’or fin vaut environ 35.000 euros soit x 43,4 kilos = 1.519.000 euros. Ce calcul est purement fictif, une livre de cette époque procurait un pouvoir d’achat très certainement de beaucoup supérieur à son équivalent en euros 2018.

 

(23) « Un vrai marin ne sait pas nager », à quoi bon ?  On n’arrêtait pas une frégate qui file sous toute sa toile en claquant  des doigts. À supposer que quelqu’un ait vu tomber l’infortuné matelot – hypothèse résolument optimiste – il faut encore le temps d’ameuter les équipes de quart, modifier les réglages des voiles pour changer de route et revenir sur au point de chute estimé. Avec un peu de vent, cela tient du miracle si le bateau est capable de faire demi-tour en moins de vingt minutes. À une vitesse de 9 nœuds, le bateau aura couvert 3 milles, plus de cinq kilomètres ! Il faut ajouter l’inexorable travail du froid : Fretteville est né au bord de la Manche et non sur les rives de la Méditerranée comme Forbin où les gamins savent nager avant de savoir marcher. Dans de l’eau à dix degrés, le temps de survie d’un homme ne peut dépasser 10 ou 20 minutes. Savoir nager dans ces conditions ne faisait que prolonger une triste agonie.

 

(24) Maurice Delpeuch « Un Livre d'or de la marine française. Commandants d'escadres, de divisions et de bâtiments de guerre, morts à l'ennemi de 1217 à 1900 », à Paris, 1900.

 

 

Partager cet article
Repost0
18 juillet 2018 3 18 /07 /juillet /2018 22:14

 

Nous avons parlé  d’abondance des réformes du Roi Chulalongkorn qui, au cours de ses 42 années de règne, conduisit son pays aux portes de la modernité avec le concours de son remarquable demi-frère, le prince Damrong (1). Comme tout réformateur, il dut se heurter à des résistances en profondeur, révolte de privilégiés ou d’illuminés pour les plus spectaculaires au premier chef (2). Il y eut aussi, ce dont on ne parle jamais, des réactions populaires de résistance passive assez vives: Ainsi lorsqu’il voulut imposer aux femmes de son pays de ne plus se promener les seins nus (3). Ainsi lorsqu’il voulut organiser une politique sanitaire à Bangkok : les habitants de Bangkok avaient la répugnante coutume de  jeter leurs morts en pâture aux chiens et aux vautours dans l’enceinte du Wat Saket

 

 

...et par ailleurs de pisser et de déféquer partout, au bord des rues, dans les klongs, de véritables cloaques et jusqu’aux portes de temples ou aux marches du Palais (4).

Peinture murale du temple de Suthat (photographie de Chittawadi Chitrabongs) :

 

 

Il nous a intéressé de savoir ce que pouvait être l’organisation administrative du pays avant que le monarque et son demi-frère ne s’attachent à ces travaux d’Hercule de transformer le vieux Siam - guère plus qu’une expression géographique - en État moderne.  Nous avons bénéficiée en particulier d’une analyse universitaire de l’historien Tej Bunnag assez significative de ce qui n’était pas une « organisation » malgré une apparente complexité mais une véritable absence d’organisation (5). La situation était en réalité proprement effarante.

 

 

Au sommet de la hiérarchie se trouve le monarque absolu et maître de la vie,  sanctifié en tant que dieu et Phrabodhisattva (พระโพธิสัตว์selon le culte du Devaraja (เทวราช, littéralement « le dieu roi ») et les croyances du bouddhisme Mahayana. La relation entre le roi et son peuple est symbolisée par la « langue du palais » (rachasap – ราชาศัพท์) utilisée à la cour. Une fois monté sur le trône, ses édits seront considérés comme le rugissement du lion.

 

 

Il est assisté de deux premiers ministres, Akkramahasenabodi (อัครมหาเสนาบดี), l’un pour les affaires civiles, Mahatthai (มหาดไทย) et l’autre à la fois pour l’armée et l’administration du pays, Kalahom (กลาโหม). Ils sont assistés de quatre « ministres de soutien » (Senabodi Chatusadom - สนาบดี จตุสดมภ์) : l’un pour la métropole (Wiang – เวียง), l’autre pour le palais (Wang –วัง), un autre pour les finances  (Khlang – คลัง) et le dernier pour l'agriculture (Na – นา). Le premier, ministre de la métropole, percevait les taxes et les amendes pour les infractions mineures dans la zone métropolitaine de Bangkok. Le ministre du Palais était chargé des juridictions civiles et pénales et nommait les magistrats dans tout le pays, il était le plus proche du roi, source de toute justice. Le ministre des Finances contrôlait l'administration fiscale du pays, mais l'un de ses départements, le Krommatha (กรมท่า) était chargé des affaires étrangères, parce qu’il était fréquemment en contact avec les étrangers, le commerce extérieur étant en grande partie monopole royal à cette époque (6). Le ministère de l'agriculture s'assurait que les labours commençaient au bon moment de l'année et attribuait les titres de propriété assurant la sécurité de la paysannerie. Il existait plus bas dans la hiérarchie six conseillers, (Montri – มนตรี) ayant respectivement en charge la défense du palais, les scribes royaux,  l'enregistrement des personnes (embryon d’état civil), la dépense des revenus, la garde-robe royale, et les affaires religieuses.

Deux généraux commandaient respectivement les forces terrestres et les forces maritimes.

 

 

L'administration de la justice était d’une effroyable complexité : Un tribunal de douze brahmanes « instruits des lois » décidait d'abord devant quelle juridiction une affaire devait être distribuée. Une fois la cause entendue, elle revenait devant les brahmanes qui rendaient leur jugement. Un appel contre leur verdict pourrait être fait devant le roi.

 

 

L'administration provinciale était partagée entre  trois ministres.

Le nord était sous l’autorité du premier ministre chargé de l'administration civile, le Mahatthai (มหาดไทย),

 

 

le sud était sous l’autorité de l’autre premier ministre chargé de  l'administration militaire, le Kalahom (กลาโหม),

 

 

les provinces côtières près de Bangkok, impliquées dans le commerce, relevaient du département du ministère des affaires étrangères, le Krommatha (กรมท่า).

 

 

Tous ces postes étaient occupés par des princes membres de la famille royale. Mais, paramètre majeur, il n'y avait pas surabondance de princes et la raison en était simple. Certes, le roi est  autorisé à avoir quatre reines et « un certain nombre de consorts » mais il n’y a que cinq rangs différents de princes : L'enfant d'une reine est un Chao Fa (เจ้าฟ้า), l'un d'eux est un Phra-ong Chao (พระองค์เจ้า) et le petit-fils du roi est un Mom Chao (หม่อมเจ้า).

 

 

 

En voilà trois, mais il est de règle que seuls les membres des deux premières générations sont considérés comme des princes : Après le Mom Chao vient le Mon Ratchawong (หม่อมราชวงศ์) dont le fils est Mom Luang (หม่อมหลวง).Ils sont encore considérés comme des princes. Le fils du Mom Luang par contre devient un Nai (นาย), tout simplement un croquant.

La noblesse siamoise n'est donc que très partiellement héréditaire au sens européen du terme car son existence, en théorie, ne dépend que des services qu’elle est susceptible de rendre au gouvernement royal. Lorsqu’un individu du commun, Naï, Mom ou Mom Luang, commence son ascension dans les rangs de la noblesse en entrant au service du gouvernement, la hiérarchie en partant du bas est alors Khun (ขุน), Luang (หลวง), Phra (พระ), Phraya (พระยา), Chao Phraya (จ้าพระยา) et au sommet Somdet Chao Phraya (สมเด็จเจ้าพระยา). Par exemple le premier ministre de l'administration civile et ministre du Nord avait droit au titre de Chao Phraya (7).

 

 

Le rang de la noblesse devait encore être mesuré par le nombre des marques de Sakdina (ศักดินา) attachées à sa position. La noblesse est fondamentalement attachée à la terre (8). Il n’y a pas de noble de quelque rang qu’il soit sans terres (9). Ainsi le prince le plus proche du roi qui commandait traditionnellement l'avant-garde de l'armée reçut le grade de second roi ou Kromphraratchawang Bowonsathanmongkhon (กรม พระราชวัง บวรสถานมงคล). Le premier rang donné à un Momchao est Phraongchao (พระองค์เจ้า). S’il l’est de naissance, il pourra commencer à monter dans l'échelle des rangs au niveau supérieur, Krommamuen (กรมหมื่น) puis à Krommakhun (กรม ขุนข), Krommaluang (กรมหลวง), Krom Phra (กรม พระ), Kromphraya (กรมพระยา) et enfin, Somdet Kromphraya (สมเด็จ กรมพระยา).

 

 

Les titres donnés aux princes au service du gouvernement, contrairement à ceux de la noblesse, n'étaient pas liés à leurs fonctions, mais étaient plutôt l'expression des espoirs et des égards du roi pour eux. Lorsque le Phraongchao Ditsaworakuman (พระองค์เจ้าดิศวรกุมาร) se fut montré digne des services rendus il reçut le grade de Krommamuen et le titre de Damrong Rachanuphap (ดำรงราชานุภาพ) qui signifie « le porte-parole du pouvoir royal ». Il  garda ce titre toute sa vie et son rang fut celui de Somdet Kromphraya.

 

 

Dans certains États tributaires, les rangs princiers, Phra Chao (พระเจ้า) et Chao (เจ้า) et les titres des dirigeants et des grands officiers des États de Chiangmai (เชียงใหม่), Lampang (ลำปาง), Lamphun (ลำพูน), Phrae (แพร่), Nan (น่าน) et Bassac (ຈຳປາສັກ) avaient tous été créés par le gouvernement central en reconnaissance de leurs services et de leur loyauté envers la couronne. Dans la première moitié du dix-neuvième siècle, seuls les souverains particulièrement favorisés de Chiangmai, Lampang et Lamphun furent faits princes. Ce n'est qu'à partir de 1856 que le grade princier fut régulièrement donné aux gouvernants et aux grands officiers de ces États. Le rang n'était pas héréditaire, et le fils d'un prince n’était qu’un nai (นาย). Il n'y avait pas de marques  de sakdina attachées au grade. Les souverains de Nan et Phrae ne furent pas faits princes que respectivement en 1888 et 1896.

 

 

Les membres du gouvernement et de l'administration de Bangkok n'étaient pas censés être de grands propriétaires fonciers et leurs ressources dépendaient de la générosité du roi. Les ministres étaient toutefois autorisés à conserver les taxes qu’ils percevaient de par leurs fonctions. Les deux premiers ministres, par exemple, recevaient des honoraires lorsqu'ils procédaient à des nominations en provinces. Le roi leur distribuait des récompenses, bia wat (เบี้ยหวัด) en théorie, si et quand il le jugeait bon mais en pratique annuellement en novembre. Les Princes recevaient ainsi 1600 bahts, les Phraya entre 160 et 960, les Phra et les Luang entre 60 et 120 et les officiels de moindre rang entre 12 et 40 bahts.

 

 

Les hommes nobles bénéficiant de plus de 400 « marques de sakdina » avaient le privilège de ne pas comparaître à la cour lorsqu'ils y étaient été convoqués et étaient autorisés à y envoyer des représentants. Tous les Nai, quoique roturiers, avaient un autre privilège contrairement aux gens du commun, n'être ni tatoués ni inscrits au service du gouvernement.

 

La source essentielle des revenus du gouvernement, en dehors du produit de l'impôt, résidait dans le travail du peuple, des phrai (ไพร่).

 

 

Quelle était la population du pays dans la seconde moitié du XIXe siècle ? En 1910, lors du premier recensement national, le royaume comptait un peu plus de huit millions d'habitants. En tenant compte du fait qu’à cette époque le Siam avait été dépouillée de la plupart de ses États tributaires et de certaines de ses provinces dont la population cumulée dépassait à peine le million, et que le taux annuel global de croissance était alors d’un peu plus de 3%, sa population en 1892 était probablement d’environ quatre millions (10).

Au début de chaque règne, tous les hommes valides âgés de dix-huit à soixante ans étaient tatoués au poignet et enregistrés dans les divers départements de l'administration. Ceux entre dix-huit et vingt ans devaient travailler pour le gouvernement pendant un mois de l'année, ou bien commuer leur service en payant une taxe de six bahts. De l'âge de vingt à soixante ans, ils devaient travailler pour le gouvernement pendant trois mois de l'année ou bien payer une « taxe de Commutation » dite kharatchakan (ค่าราชการ) de dix-huit bahts. Le gouvernement bénéficiait de ce système à quatre niveaux : Les gens du peuple lui fournissaient une abondante main-d'œuvre gratuite, ensuite ils pouvaient tous être appelés aux armes rapidement en cas de guerre, ceux qui payaient leur taxe de conversion en nature le faisaient avec des biens de valeur et enfin ceux qui la payaient en espèces procuraient des liquidités au gouvernement.

 

 

Les gens du commun fournissaient également à la noblesse de fructueuses sources de revenus. Le titulaire d’un poste dans un service du gouvernement avait le droit d'avoir sous sa juridiction un certain nombre d'hommes dont il pouvait exiger soit une taxe de service, soit une taxe de mutation. Il pouvait aussi les utiliser sous sa responsabilité pour faire des travaux qui n'avaient rien à voir avec le service gouvernemental. Le Prince Damrong confirma qu’ils donnaient « volontairement » des cadeaux à ces fonctionnaires qui étaient en mesure de leur rendre la vie heureuse ou misérable en fonction du type de travail qu’ils leur impartissaient.

 

 

La noblesse avait un autre moyen de subsistance : l'esclavage.

 

Il y en avait deux sortes, les esclaves de guerre et les esclaves pour dette. Les premiers ne pouvaient pas racheter leur liberté mais les autres le pouvaient. Tous pouvaient être vendus sur le marché. En dehors du travail pour leurs maîtres ils devaient également travailler pour le gouvernement pendant huit jours de l'année mais le maître pouvait payer une « taxe de conversion » d'un baht cinquante satangs. Il est difficile d'estimer le nombre d'esclaves au Siam dans la seconde moitié du XIXe siècle. Monseigneur Pallegoix estime leur nombre à un tiers de la population ? Le chiffre n’a jamais pu être validé mais il le tenait probablement du roi Rama IV son ami. Il affirme en tous cas, ce qui n’a jamais été contredit, qu’ils travaillaient fort peu et étaient traités beaucoup mieux que les domestiques en France.

 

 

Il est une certitude, au cours du dix-neuvième siècle, le roi n'avait pas les ressources qui lui auraient permis d'être un monarque absolu. « Maître de la vie » certes mais sans ressources.

 

 

La plus grande partie des revenus restait entre les mains de ses ministres et il y n’avait que peu de moyens de les extraire. La plupart des ministères et départements les plus importants avaient été accaparés par une famille, la famille Bunnag (บุนนาค) par exemple. Celle-ci était liée à la dynastie des Chakri au pouvoir depuis 1782 par de nombreuses alliances et avait commencé à dominer la politique siamoise à partir des années 1820 lorsque le roi Rama III obtint son appui contre d’autres cousins ​​princiers. Au cours du demi-siècle suivant sur une période qui s'étend sur trois règnes, ceux du roi Nang Klao (1824-1851), du roi Mongkut (1851-1868) et du règne du roi Chulalongkorn (1868-1910), les membres de la famille tinrent sans interruption, le poste de premier ministre pour l'administration militaire (Kalahom - กลาโหม) et le ministère des Finances (Khlang - คลัง). Le ministère de la Métropole (Wiang - เวียง) fut également entre leurs mains pendant de longues périodes. Des mariages judicieux leur permirent d’accroître leur contrôle sur le gouvernement d'année en année. Lorsque le roi Chulalongkorn monta sur le trône en 1868, la famille Bunnag sous la direction de Chao Phraya Sisuriyawong (สมเด็จเจ้าพระยาบรมมหาศรีสุริยวงศ์), était au sommet du pouvoir.

 

 

La perte de contrôle de la monarchie sur certaines des plus importantes administrations de l'État signifiait tout simplement qu’elle était pauvre. Pour le roi Rama V à sa montée sur le trône, les ressources avaient diminué d'année en année, jusqu'à ce que le royaume doive vivre au jour le jour et de mois en mois : entre 1868 et 1873, les recettes annuelles passèrent de 4.800.000 baths à environ 1.600.000 baths. Dans de telles circonstances, il était impossible de construire des palais et des temples, de financer des cérémonies royales et religieuses, d’accorder à ses fidèles des récompenses annuelles et encore moins de financer un train de réformes ou se lancer dans une politique de grands travaux.

 

Le gouvernement central avait peu sinon aucun choix dans la nomination des gouverneurs. Il dut souvent en conférer le titre à des  aventuriers ou des chefs tribaux : Par exemple, en 1793, 4.000 personnes qui avaient quitté la Principauté de Vientiane on ne sait pourquoi décidèrent de s'installer dans un petit village du nord-est appelé Ban Kaengsamrong (บ้าน แก้งสำโรง), leur chef en fut nommé gouverneur et cette ville devint le centre de la province de Kalasin (กาฬสินธุ์). En période de guerre le chef local que le gouvernement devait reconnaître en tant que gouverneur était généralement un chef militaire.

 

 

En 1772, alors que le pays était en état d'anarchie après le sac de l'ancienne capitale Ayutthya (อยุธยา) par les Birmans en 1767, le roi Taksin (ตากสิน) dut désigner un chef de guerre local, nouveau gouverneur de la ville de Phatthalung au sud (พัทลุง). Le choix des gouverneurs se limitait en réalité à des hommes localement puissants dont le pouvoir était ainsi reconnu et légitimé.

La monarchie avait perdu une autre facette du pouvoir puisque les ministres tenaient l'appareil administratif en mains, organisaient les rendez-vous et les promotions au sein de leur propre réseau de relations. Elle a également perdu le contrôle direct sur le peuple, les phrai. Elle ne pouvait réclamer ni obtenir les listes des hommes valides dans les différents départements qui permettaient aux ministres d’avoir en mais le service annuel de trois mois et la taxe de conversion. N’ayant pas de contrôle effectif sur les gens du commun, elle ne pouvait connaître le nombre d'esclaves et par conséquent ne percevait presque rien de la taxe de conversion des dits esclaves. Mais la Couronne n’était pas la seule à être relativement pauvre et faible. Le gouvernement central subissait le même sort. Le rendement du revenu n'avait aucun rapport avec la richesse réelle du pays : Il y avait peu de perception directe des impôts, et quand c'était le cas, cela ne s'étendait pas loin dans les provinces. Le ministère de l'Agriculture, le Na (นา) ne percevait la taxe sur le riz que dans quatre provinces proches de Bangkok. La ville de Kamalasai (actuellement district de la province de Kalasin) n’envoya qu’en 1891 les redevances perçues pour les années 1875-1880.

 

 

La plupart des taxes étaient recouvrées sous un système de fermage, ce système des « fermiers généraux » qui causa en partie la chute de la monarchie française. Le gouvernement recevait une somme fixe pendant plusieurs années tandis que les fermiers fiscaux collectaient autant que faire se pouvait et empochaient les bénéfices. Les fermes d'impôts étaient rarement à l'échelle nationale et la plupart d'entre elles ne couvraient qu’une petite région du pays. En 1856, par exemple, il existait une taxe sur le tabac dans les provinces de Sawankhalok (สวรรคโลก) et de Sukhothai (สุโขทัย). Le fait qu'il y ait une multitude de fermes d'impôts effectuant toutes leurs paiements en plusieurs versements signifiait que la tenue de livres était extrêmement difficile, embrouilles, retards, et évidemment de multiples occasions de corruption.

 

 

Qui dit absence de ressources dit bien évidemment absence d’une fonction publique professionnelle. Comme il n'y a pas assez d'argent pour permettre au gouvernement de payer des salaires réguliers, les fonctionnaires, à part les récompenses annuelles du roi, devaient chercher leur propre gagne-pain. Ils furent dès lors autorisés à conserver les frais de justice, privilège qui a conduit à beaucoup d'abus de l'administration de la justice. Les procédures judiciaires ne devaient durer que trois jours, mais les fonctionnaires les faisaient  trainer deux ou trois ans, de sorte que le demandeur ou le défendeur se voyaient contraints d’offrir des pots-de-vin pour influencer la décision. La Justice en effet n’était pas séparée de l’administration civile. Selon Monseigneur Pallegoix, la pratique était que « Le meilleur moyen de gagner un procès est de promettre une grosse somme à une personnalité publique influente, qui s'occupera alors de vos affaires ».

 

 

Le territoire du royaume était divisé en trois catégories administratives, l'intérieur, les provinces extérieures (เมือง) et les états tributaires.

Les provinces intérieures étaient celles qui avaient constitué le cœur du royaume à partir du XVe siècle. Elles étaient initialement subdivisées en quatre classes. : Les provinces de quatrième classe étaient celles situées à proximité de la capitale. Les provinces de première et de seconde classe étaient soit celles des frontières, soit celles qui, une fois, avaient eu leurs propres maisons princières. Les provinces de troisième classe étaient de nouvelles unités administratives, formées lorsque certaines régions du pays, en raison de leur développement, avaient dépassé la capacité administrative de leurs anciens administrateurs, qui pouvaient être des provinces de première ou deuxième classe.

Les provinces extérieures se situaient entre les provinces intérieures et les États tributaires du Laos. Leurs relations avec le royaume étaient d'une date relativement récente, car elles ne remontaient qu'à la seconde moitié du dix-huitième siècle.

En 1892, les États tributaires du nord et du nord-est étaient le royaume de Luang Prabang  et les principautés de Chiangmai (เชียงใหม่), Lampang (ลำปาง), Lamphun (ลำพูน), Phrae (แพร่), Nan (น่าน) et Bassac. Le Royaume du Cambodge avait été (par intermittence) un état tributaire de la fin du XVIIIe siècle jusqu'en 1867. Les états tributaires du sud étaient les sultanats de Trengganu, Kelantan et Kedah.  

 

 

Concrètement, le gouvernement central ne contrôlait qu’une petite partie du pays appelé le Wang Ratchathani (วัง ราชธานี) qui s’étendait à Lopburi (ลพบุรี) au nord, Nakhonnayok (นครนายก) à l'est, Suphanburi (สุพรรณบุรี) et Phrapradaeng (พระประแดง) à l'ouest. Au sud en 1891, le gouvernement administrait directement seulement Prathumthani (ปทุมธานี) et Nonthaburi (นนทบุรี)  au nord et Phrapradaeng (พระประแดง) et Samutprakan (สมุทรปราการ).

Dépourvu de ressources le gouvernement ne pouvant nommer directement les fonctionnaires provinciaux perdait tout contrôle sur les ressources de ses provinces.

 

 

La faiblesse du gouvernement central était telle que le gouvernement dut même accepter des ennemis comme gouverneurs. En 1776, ayant chassé la famille régnante de Nakhonsithammarat (นครศรีธรรมราช) pour avoir déclaré la ville indépendante du Royaume, le roi Taksin dut immédiatement la réintégrer dans sa position. Il dut en outre élever le chef de famille au rang de Prince et admettre que la ville était un État tributaire et non une province sous son gouvernement. Ces concessions furent la conséquence de la puissance de cette famille et aussi de la position stratégique de la ville située entre les provinces intérieures et les états tributaires malais.

 

 

Tej Bunnag nous donne d’autres exemples de l’incommensurable faiblesse du pouvoir central. La force  militaire n'était pas le seul moyen de devenir un chef provincial. Le gouvernement tenait également compte de la situation financière. L'ascension des familles chinoises de Songkhla (สงขลา) et de Ranong (ระนอง) aux gouvernorats de ces provinces et la prise du pouvoir de Phetchaburi (เพชรบุรี) par la famille Bunnag  (la sienne) démontrent comment la puissance économique a conduit à l’obtention du pouvoir politique. En 1769 et 1844, lorsque les grandes fermes d'impôts de Songkhla et de Ranong, celles des nids d'oiseaux, furent vendues aux enchères, elles furent toutes deux gagnées par les Chinois. En 1859, la famille Bunnag a repris la ferme de la taxe sur le sucre qui était la principale ferme d'impôts de Phetchaburi. Dans les deux premiers cas, les nouveaux fermiers fiscaux devinrent gouverneurs de leurs provinces dans les dix années qui suivirent la signature de leurs contrats. Dans le troisième cas, un membre de la famille Bunnag devint gouverneur de Phetchaburi à la même époque.

 

 

Le gouvernement doit donc s’incliner devant la puissance financière qui devient synonyme de pouvoir politique. Il officialise alors ses relations avec le chef provincial qu’il reconnait en lui donnant un bref de nomination ou sanyabat (สัญญาบัตร). En obtenant ce document signé du roi lui-même, le chef local devint le représentant légitime du gouvernement. Mais comme le poste était lucratif et conférait beaucoup de pouvoir à son titulaire, le gouvernement imposait un taux fixe pour la délivrance du bref de nomination. Le sanyabat d'un gouverneur de province de première classe coûtait 560 baht en 1892.

Les gouverneurs des provinces de deuxième, troisième et quatrième classes étaient respectivement Phraya (พระยา), Phra (พระ) et Luang (หลวง). Les gouverneurs des trois provinces de première classe, Nakhonsithammarat (นครศรีธรรมราช), Nakhonratchasima (นครราชสีมา) et Phitsanulok (พิษณุโลก) étaient soit Phraya, soit Chao Phraya.

Par ailleurs incapable de centraliser l’administration provinciale, le gouvernement devait aussi permettre au gouverneur de choisir ses propres fonctionnaires.

 

 

Le prince Thewawong (กรมพระยาเทวะวงศ์วโรปการ) qui fut ministre des affaires étrangères décrit sans ambages la situation dans les provinces maritimes sous la tutelle de son ministère : « J’ai toujours nommé des fonctionnaires qui m'avaient été recommandés par les gouverneurs. Les gouverneurs sont totalement responsables de leurs provinces, et la nomination de personnes qui leur sont désagréables n'a pas donné de bons résultats ».

 

 

Le gouverneur recommandait évidemment ses relations pour des postes dans l'administration locale, les plus importants étant ceux de vice-gouverneur (palat  -ปลัด), de juge  (yokkrabat – ยกกระบัตร) et d'assistant  (phu chuai -  ผู้ช่วย). Ces postes étant tout aussi lucratifs que celui de gouverneur donc les futurs titulaires devaient payer des sanyabats qui légitimaient leurs positions. Si les sanyabats des hauts fonctionnaires étaient signés par le roi, ceux des postes moins importants dépendaient du mahatthai (มหาดไทย).

 

 

Le gouvernement n'intervenait pas dans l'administration financière des provinces et les autorités locales décidaient elles-mêmes de leur budget. Comme le gouvernement central ne payait pas de salaires, les revenus de toutes sources étaient partagés entre les fonctionnaires afin de leur assurer un moyen de subsistance. Les gouverneurs se voyaient attribuer un certain nombre d'hommes  à qui il pouvait demander soit une taxe de service soit une taxe de mutation.

Le gouverneur détenait également le pouvoir judiciaire. On le désignait volontiers sous le nom de Chao Muang (เจ้า เมือง), seigneur de la province, car il rendait la justice aussi arbitrairement qu’il le voulait. Henri Mouhot en 1859 et 1860 parlant du Gouverneur de Nakhonratchasima (นครราชสีมา) le décrit comme « très sévère, coupant une tête ou une main sans trop de scrupule ».

 

 

Laissant aux gouverneurs le contrôle des ressources, le gouvernement devait  supporter le fait qu'ils se lançaient parfois dans une véritable politique d'expansion territoriale ce qui fut le cas en particulier de celui de la province de première classe de Nakhonsithammarat (นครศรีธรรมราช) qui menait une politique de puissance provinciale. De plus, une fois une famille établie dans une province, le gouvernement par souci de stabilité et de continuité ne lui retirait pas sa position. Sans être totalement héréditaire, le poste passait ensuite au membre le plus influent de la famille.

 

 

Si le gouvernement avait formellement le droit d'envoyer de temps en temps des commissaires (khaluang – ข้าหลวง), dans les provinces, cette prérogative n’était que très rarement exercée.

La situation était pire encore dans les Etats tributaires totalement indépendants dans leur administration financière. Leur seule contrainte était d’envoyer un tribut d’or (l'arbre d'or) ou d’argent tous les ans ou tous les trois ans variant en fonction de la richesse des états. Le roi Chulalongkorn méprisait ces hommages scintillants considérant qu’ils ne représentaient pas le huitième ou un neuvième de l'impôt prélevé sur les populations.

 

 

Il n’y avait en réalité pas d’Etat, le pays était une féodalité au-dessus de laquelle régnait un monarque déifié mais dépourvu du plus important des pouvoirs, celui de se procurer des ressources. Nous avons cité le chiffre des revenus annuels l’année où le roi est monté formellement sur le trône, 1868, soit 4.800.000 baths et celle où il exerça effectivement ses prérogatives, 1873, 1.600.000 baths. Ceci se passe de tout commentaire. Quelques années auparavant Monseigneur Pallegoix qui écrit en 1854 donne un chiffre global de 26 millions de baths pour l’ensemble des ressources du trésor dont le poste le plus important est le « rachat des corvées » pour 12 millions. Sans précision de date, il est possible que ce chiffre concerne le règne de son ami Rama IV ? Pour le règne de Rama III sur lequel nous nous sommes penchés, il subsiste bien des incertitudes (11).

Quel fut le résultat de la politique de réformes engagée par le roi ?

Nous n’avons jusqu’en 1890 que des approximations issues de sources françaises Selon les années, l’Almanach de Gotha dans la partie administratives nous dit tantôt « Les employés qui n’ont aucune solde nominale s’approprient frauduleusement la plus grande partie des revenus » et tantôt « Une analyse spéciale des finances n’est pas possible faute de renseignements ».

Nous avons des chiffres précis à partir de 1892-1893 seulement (n’oublions pas que les années thaïes ne commençaient pas le 1er janvier). Nous nous arrêtons à la fin du Ve règne et ne donnons que les millions (de baths évidemment). N’oublions pas surtout pas les chiffres susvisés de 1868 et 1873 (4.800.000 baths - 1.600.000 baths).

1892-1893    15 millions - 1893-1894      17 millions - 1894-1895      17 millions - 1895-1896    18 millions - 1896-1897      20 millions - 1897-1898      24 millions - 1898-1899    28 millions - 1899-1900      29 millions - 1900-1901      35 millions - 1901-1902    36 millions - 1902-1903      39 millions - 1903-1904      43 millions - 1904-1905    46 millions - 1905-1906      51 millions - 1906-1907      57 millions - 1907-1908    55 millions - 1908-1909      60 millions - 1909-1910      62 millions - 1910-1911    63 millions.

4.800.000 baths en début de règne, 63 millions en fin de règne, c’est une multiplication par plus de 13 !

 

 

Notons – bien que ce ne soit pas notre sujet de ce jour – que les recettes couvraient très largement les dépenses. Par ailleurs et surtout, il ne semble pas que la population ait eu à se plaindre d’une pression fiscale devenue excessive ? (12) En dehors des privilégiés, le petit peuple fut beaucoup plus marqué par l’interdiction de pisser dans les rues pour les hommes ou de montrer ses seins pour les femmes que par la fiscalité.

 

Photographie prise en Isan au début du siècle dernier : 

 

 

De 1868 à 1910, 42 ans d’un règne pour changer le pays de fonds en comble et le doter d’un véritable système fiscal qui permit de financer cette phénoménale série de réformes… séparation de la justice et de l’administration, création d’un système fiscal cohérent, réforme des rouages centraux de l’administration et efforts pour en briser la vénalité, création d’un réseau de voie ferré brisant l’isolement du centre par rapport aux provinces éloignées et permettant à une administration centralisée de joindre les provinces lointaines du nord ou des rives du Mékong et instrument décisif de cette œuvre polymorphe de centralisation, création d’une gendarmerie – véritable armée du Siam -  dirigée par des officiers danois, développement de l’instruction, tout cela fut le fruit d’une politique résolument menée sous la direction du prince Damrong. Le roi mourut malheureusement jeune, à 57 ans et tous ses projets ne purent être conduits à terme. Le Prince Damrong dont les relations avec Rama VI n’étaient pas au beau fixe résigna son dernier poste ministériel en 1915 et se consacra à sa passion pour l’histoire, l’archéologie et les arts. Exilé en 1932, il ne revint à Bangkok qu’en 1942 pour y mourir l’année suivante.

 

 

Il est permis de penser sans faire de « politique fiction » que son maintien aurait pu conduire – n’était-ce le caractère pusillanime du roi Rama VI – aux projets de réforme constitutionnelle élaborés par le roi et ses « jeunes turcs » dès 1885 ignorés de la quasi-totalité des historiens du Siam (14). Le chaos constitutionnel consécutif au coup d’état de 1932 en aurait-il été évité ?

 

 

Nous faisons une comparaison qui vaut ce qu’elle vaut : Hugues Capet monte sur le trône en 987.

 

 

Il règne dans un état féodal sur des barons qui lui doivent hommage certes mais souvent plus nobles que lui, plus riches et plus puissants, qui battent monnaie et s’arrogent le droit de faire la guerre privée. Il y a d’étranges similitudes avec le Siam féodal dont hérita Rama V. Philippe Le Bel meurt en 1314. Il fallut une douzaine de rois capétiens sur plus de trois siècles pour faire de la France un état centralisé et cohérent.

 

 

NOTES

 

(1) Notre liste n’est peut-être pas exhaustive :

139. « LA NOUVELLE ORGANISATION ADMINISTRATIVE DU ROI CHULALONGKORN ».

http://www.alainbernardenthailande.com/article-139-la-nouvelle-organisation-administrative-du-roi-chulalongkorn-123663672.html

141. « L'ESCLAVAGE EST ABOLI DÉFINITIVEMENT AU SIAM EN 1905 ».

http://www.alainbernardenthailande.com/article-141-l-esclavage-est-aboli-definitivement-au-siam-en-1905-123721727.html

142. « LA SUPPRESSION DE LA CORVEE ROYALE AU SIAM ».

http://www.alainbernardenthailande.com/article-142-la-suppression-de-la-corvee-royale-au-siam-123823027.html

143. « LE CODE PÉNAL SIAMOIS DE 1908 ».

http://www.alainbernardenthailande.com/article-143-le-code-penal-siamois-de-1908-123864695.html

147. « LA CRÉATION DE L’ÉDUCATION NATIONALE PAR LE ROI CHULALONGKORN  (1868-1910) »

http://www.alainbernardenthailande.com/article-147-la-creation-de-l-education-nationale-par-le-roi-chulalongkorn-1868-1910-124067077.html

 

(2) Voir notre article 140  « LA RESISTANCE À LA REFORME ADMINISTRATIVE DU ROI CHULALONGKORN. LA RÉVOLTE DES "SAINTS » :

http://www.alainbernardenthailande.com/article-140-la-resistance-a-la-reforme-administrative-du-roi-chulalongkorn-la-revolte-des-saints-123663694.html

 

 

(3) Il est possible qu’il ait ramené de ses voyages en Europe des notions de pudeur royale à l’occidentale ? On conçoit évidemment mal que la Reine Victoria ait pu exhiber ses mamelles lors des chaleurs de l’été londonien ?

 

 

Les femmes du peuple et même celles du palais se promenaient torse nu. La raison en est d’évidence compte tenu de la chaleur épouvantable qui règne en raison chaude à Bangkok et même en saison dite froide qui ne l’est pas, les gens du peuple vivaient donc torse nu tout simplement

 

Photographie prise à Bangkok en 1900 : 

 

 

... et le roi lui-même dans une gravure répandue partout cuisine sans chemise (en tête de notre article.

Il prit un décret ordonnant aux femmes de porter des corsages « à l’européenne » qui dut être rapporté devant la résistance passive des intéressées : conduites au poste, elles remplissaient les geôles mais refusaient de revêtir un vêtement intolérable sous ce climat et il fallait bien les relâcher toujours seins nus. Voir à ce sujet le très amusant article du journaliste Robert de Caix « La réorganisation siamoise » in Journal des débats politiques et littéraires du 1er mars 1903.  

(4) Le roi avait également ramené d’Europe des louables habitudes sanitaires, installant en particulier dans ses palais des toilettes à l’intention de tous et des bidets à l’intention du personnel féminin de son sérail auquel il dut expliquer le mode d’emploi ainsi que des toilettes publiques dans toute la ville. Malgré cela, les habitants continuèrent à pisser et déféquer où leur en prenait l’envie et jusqu’aux portes du palais probablement par provocation. Bangkok resta l’une des villes les plus puantes au monde. Voir à ce sujet l’article de M. L. Chittawadi Chitrabongs « The Politics of Defecation in Bangkok of the Fifth Reign » in Journal of the Siam Society, volume 99 de 2011.

Plan des toilettes publiques installées en 1900 à Bangkok (dessin de Chittawadi Chitrabongs ) :

 

 

(5) Tet Bunnak  (เตช บุนนาค) qui fut en 2008 Ministre des affaires étrangères de son pays : « The provincial administration of Siam from 1892 to 1915 : a study off the creation, the growth, the achievements, and the implications for modern Siam, of the ministry of the interior under prince Damrong Rachanuphap », thèse de philosophie soutenue à Oxford en 1968  (ISBN 0-19-580343-4).

 

(6) Phaulkon, le Grec favori du roi Naraï avait titre de Phraklang que les français ont plus ou moins bien transcrit en « Barcalon ».

 

(7) Sur cette question qui est dans le détail encore plus complexe, voir Eugène Gibert « La famille royale de Siam, les princes Chaofa, Phra-Ong-Chao, Mom-Chao, les kroms : d'après des documents siamois inédits », à Paris, 1884.

La présence de quatre reines n’était pas inutile pour assurer la survivance d’une descendance princière male en l’état d’une mortalité infantile effrayante et de l’état sanitaire du pays qui ne l’était pas moins. L’usage sinon la loi voulait qu’elles soient de noble lignée. « Les rois ne font de princes qu’avec les reines leurs épouses » rappela le Parlement de Paris en annulant le testament de Louis XIV qui dans son incommensurable orgueil avait prétendu transmettre à ses batards le droit d’accéder au trône. Prince Mahidol Adulyadej, père du regretté Rama IX avait certes épousé une modeste autant que ravissante infirmière mais rien à la date de son mariage en 1926 ne pouvait laisser penser que sa lignée accéderait sur le trône à l’abdication de son frère Rama VII.

 

 

La roi Rama IX avait lui-même épousé une descendante directe de Rama V, la reine Sirikit.

 

 

Le roi actuel a lui-même épousé la Princesse Soamsawali également de sang royal. Nous ne parlerons pas des suites de sa vie privée.

 

 

Lorsque fut promulguée la Loi successorale de 1924, des 38 fils de Rama V (qui eut par ailleurs 39 filles) il ne restait en vie de cette descendance mâle que six de ses fils et la descendance d’un septième (qui n’était que le 69ème des enfants de Rama V), qui monta sur le trône. La dégradation des titres au fil des générations était une autre nécessité pour éviter la multiplication des Princes et leur descendance princière. Rama IV eut 82 enfants, son père en eut 51, Rama II en eut 73 et le premier de la lignée 42. Même en tenant compte de la mortalité infantile ou des épidémies (de choléra en particulier) qui faisaient des ravages dans la population, leur descendance, si elle était restée princière aurait couvert la Thaïlande de princes. La question des enfants des concubines ne se posait évidemment pas. 

 

(8) Voir à ce sujet notre article 48 « LA SAKDINA, LE SYSTÈME FÉODAL DU SIAM » :

http://www.alainbernardenthailande.com/article-48-la-sakdina-le-systeme-feodal-du-siam-110214155.html

 

(9) La France à la fin de l’ancien régime fut polluée par ses ducs sans duché, ses marquis sans marquisats, ses comtes sans comtés et ses barons sans baronnies ce qui ne leur enlevait rien de leur morgue et de leurs prétentions. Lorsque Napoléon créa sa propre noblesse en attribuant à ses chiens de guerre des titres gagnés au fil de l’épée, il en exclut le titre de marquis tant celui-ci avait été galvaudé  (Les « petits marquis » ridiculisés par Molière : « Paris abonde de ces marquis qui reçoivent l’investiture de leur laquais en s’en faisant donner par eux le titre » écrit Primi Visconti en 1673 dans ses « lettres sur la cour de Louis XIV »). A la fin de l’ancien régime et lors des états-généraux à laquelle la population participa, il y avait dans les états pontificaux (actuel département de Vaucluse) comme fiefs même minuscules 9 duchés et 13 marquisats outre deux bonnes douzaines de marquis sans marquisats.

 

(10) Le premier recensement de 1883 ne concerne que la ville de Bangkok : voir notre article 152. « LE PREMIER RECENSEMENT EFFECTUÉ AU SIAM EN 1883 » :

http://www.alainbernardenthailande.com/article-152-le-premier-recensement-effectue-au-siam-en-1883-124510064.html

Le second de 1904 ne recouvra qu’une partie du pays, Bangkok, le Nord-ouest, l’Isan et l’extrême sud en furent exclus faute de moyens : voir notre article 195 – « LA POPULATION DU SIAM EN 1904 : LE PREMIER RECENSEMENT DE 1904 » :

http://www.alainbernardenthailande.com/2015/08/195-la-population-du-siam-en-1904-le-premier-recensement-de-1904.html

 

(11) Voir notre article 121 « LES REVENUS DU ROI RAMA III ? (1824-1851) »

http://www.alainbernardenthailande.com/article-121-les-revenus-du-roi-rama-iii-1824-1851-122846466.html

 

(12) Nous n’en connaissons pas les taux. Si nous en jugeons par les taux actuels (2018) de l’impôt progressif sur le revenu : exonération pour les revenus annuels de moins de 150.000 baths et ensuite tranches allant de 5 à 35%, on peut penser que les chiffres sous le 5e règne ne devaient pas écraser les petits revenus.

Partager cet article
Repost0
27 décembre 2017 3 27 /12 /décembre /2017 22:25
H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Le langage diplomatique est un langage fleuri qui prend souvent quelques libertés avec la réalité historique.   Notre excellent ancien ambassadeur, S.E. Laurent Billi, lors d’une allocution en 2009 au « camp Taksin » à Chanthaburi (1), là même oú stationnèrent les troupes d’occupation française pendant près de 12 ans, y affirma le plus sérieusement du monde  - mais sans probablement être dupe - que cette visite était « un témoignage de notre longue histoire commune. Une histoire d’amitié profonde, malgré les tensions liées à l’expansion coloniale des puissances européennes ».

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

« Camp Taksin », le nom que les Thaïs donnèrent à ce camp lors du départ des Français en 1905 est celui du libérateur de leur pays du joug birman.  Il est donc lourd de symbole et peut-être destiné à égratigner leurs amis français, les Thaïs ayant aussi parfois le sens de l’humour au second degré. Il ne fut à cette occasion,  dans la presse francophone locale, que  d’une « occupation » qui n’avait causé que des « incidents mineurs » comme si une occupation, quelle qu’en soit les justifications, bonne ou mauvaise, ne pouvait être autre chose en elle-même qu’un incident …  majeur.

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Sans tenter le moins du monde de faire quelque acte de repentance que ce soit, nous avons cherché à avoir quelques précisions sur cette longue occupation, recherches qui nous paraissent justifier  le titre de cet article, surtout qu’on le retrouve dans tous les livres d’histoire scolaires !

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Nous avons de cette occupation une première vision, due au très bel article de l'historien français Amable Sablon du Corail qui a puisé dans les archives militaires jusque-là inexplorées (2). Ses recherches nous ont déjà permis de découvrir un personnage hors du commun, à savoir le Capitaine Adam de Villiers dont nous avons parlé il y a peu (3). Si ces recherches ont malheureusement la sécheresse des rapports militaires, elles nous apportent quelques précisions précieuses sur l’occupation de Chanthaburi. La vision siamoise repose –quant-à-elle- sur d’autres recherches à ce jour inédites, et fera l’objet de la deuxième partie de cet article.

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Un retour en arrière.

 

Le traité du 3 octobre 1893 aux termes duquel le Siam s’est purement et simplement incliné devant l’ultimatum français comporte en réalité plusieurs chapitres. Le traité proprement dit, dont le préambule évoque sans rire « les relations d’amitié qui existent depuis des siècles entre le Siam et la France », en son article 1er consacre l’abandon de la rive gauche du Mékong par la France : « ARTICLE I — Le Gouvernement siamois renonce à toute prétention sur l'ensemble des territoires de la rive gauche du Mékong et sur les iles du fleuve ». On ne prit même pas la peine alors d’invoquer une hypothétique suzeraineté des souverains annamites sur ces territoires comme on le fit dans les années antérieures.

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Il est un article VIII qui passa en général inaperçu dans les analyses de l’époque ainsi d’ailleurs que dans les analyses contemporaines : « ARTICLE VIII — Le Gouvernement français se réserve d'établir des consuls où il le jugera convenable dans l'intérêt de ses ressortissants, et notamment à Korat et à Muang-Nan ». L’importance souterraine de ce texte a très certainement échappé aux négociateurs siamois qui ne pouvaient préjuger de l’utilisation perverse qui en serait faite ultérieurement puisqu’il ne devait guère y avoir à cette date guère plus de cent Français ressortissants au Siam, pour la plupart d’ailleurs étant des missionnaires avec  un seul à Chanthaburi, le père Marie-Joseph Cuaz, curé de la paroisse.

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Le même jour est signé une « Convention concernant l’exécution du Traité du Paix et de l'ultimatum » (accepté le 5 août). Elle rajoute diverses contraintes par rapport aux conditions de l’ultimatum et précise « ARTICLE VI — Le Gouvernement français continuera à occuper Chantabon jusqu'à l’exécution des stipulations de la présente convention, et notamment jusqu'à la complète évacuation et pacification, tant de la rive gauche que des zones visées à l'article III du traité en date de ce jour ». L’article III visé concerne la démilitarisation de la rive droite du fleuve sur une largeur de 25 kilomètres.

Quant à l’occupation de Chanthabouri, elle avait été prévue non pas dans l’ultimatum du 20 juillet mais dans un additif du 30 rédigé en parfait langage diplomatique :

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

« Désireux de donner une nouvelle preuve des sentiments de modération qui l'ont constamment inspiré, le Gouvernement français se contentera, comme garantie indispensable de l'exécution pratique des clauses de l’ultimatum, d'occuper la rivière et le port de Chantaboun jusqu'à la complète et pacifique évacuation des postes établis par les Siamois sur la rive gauche du Mékong ».

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Sans entrer dans le détail de ce que va être l’exécution complète des obligations siamoises née du traité susvisé, il est de tout de même une disposition singulière -et point n’est besoin d’être un esprit juridiquement éclairé pour comprendre, qu’elle ne pourra être que source de difficultés-  concerne la zone démilitarisée :

 

« ARTICLE IV — Dans les zones visées par l’article III, la police sera exercée selon l'usage, par les autorités locales, avec les contingents strictement nécessaires. II n'y sera entretenu aucune force armée régulière ou irrégulière ». Il faut tout simplement en déduire que sur un territoire de 25 kilomètres de largeur sur 700 ou 800 kilomètres de frontières communes, le Siam n’aura aucun moyen d’assurer le simple maintien de l’ordre autrement qu’avec les contingents strictement nécessaires, ce qui ne veut rien dire, et de surcroît désarmés ! La création d’une véritable zone de non droit  où l’intervention de forces siamoises armées est interdite va de toute évidence entraîner son invasion par tout ce que la rive gauche français compte de voyoucratie : Il faut évidemment sourire lorsqu’on lit sous une plume française « En outre cette zone de 25 kilomètres était le refuge de tous les voleurs de la rive gauche. Là, les malandrins jouissaient d'une impunité certaine, la police n'étant pas faite dans la zone et les autorités siamoises opposant la plus grande force d'inertie aux demandes des autorités françaises » (5).

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Cette occupation sera effective à partir du 9 août 1893 et se prolongera près de douze ans jusqu’au 12 janvier 1905. Dans un procès-verbal annexe à l’additif du 30 juillet, il avait été noté que, répondant à une préoccupation du prince Dewawongsee, « M. Le Myre de Vilers répond que le Gouvernement français n'a pas l’intention de conserver Chantaboon ; que son propre intérêt est de hâter l'évacuation pour éviter de lourdes dépenses ; que, du reste, c'est une question de bonne foi ». Dont acte !

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Pourquoi Chanthaburi ?

 

Pour les Français tout d’abord, il s’agit tout simplement du port le plus proche de leurs  bases arrières au Cambodge, située à une centaine de kilomètres. Elle a la réputation d’être une base stratégique et économique essentielle, ainsi qu’il apparait des constations des visiteurs  successifs (6).

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Or nous n’avons pas de compétence particulière en matière de stratégie mais ce point est litigieux et plus encore. Lors des discussions relatives au traité (avorté) de 1902, Paul Doumer, que nous dotons de quelques compétences en la matière, le conteste formellement (7). Un argument nous parait frappé du sceau du bon sens : « A la vérité ce point était fort mal choisi, car il était situé à 16 heures de mer de Bang Kok et n'était relié à la capitale par aucune route praticable. Il eût mieux valu créer la même installation à l’île de Ko Si Chang, située à l’embouchure même de la Mae Nam (à environ 50 kilomètres), d'où on aurait pu surveiller l'entrée de la rivière et menacer plus directement le cœur du pays » (8).

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

L’importance économique essentielle, c’est, en dehors d’une région d’agriculture et de pèche prospère, la présence aux environs de la ville de mines d’or et de pierres précieuses. La presse coloniale (en particulier Le Figaro) a reproché avec virulence à Le Myre de Vilers notre diplomate négociateur de 1893 de n’avoir exigé que l’occupation de la ville et de son port et non de toute la province (voire même de tout le pays) beaucoup plus vaste que l’actuelle province de Chanthaburi puisqu’elle recouvrait alors celle de Trat et celle de Rayong. Ces fameuses mines se trouvaient donc hors zone d’occupation. Etienne Aymonier, qui connait bien le pays, a toutefois une opinion mitigée sur la qualité des filons aurifères médiocres et des pierres précieuses qu’il nous dit « de qualité inférieure » (9). Si la présence de ces trésors a pu susciter la cupidité du parti colonial et son irritation lorsqu’il a vu qu’ils lui échappaient, l’argument est sans portée de par les termes mêmes des conditions de l’occupation.

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Du côté Siamois, et il est permis de s’étonner de la négligence par Le Myre de Vilers d’un paramètre qui n’aurait pas dû lui échapper de par sa culture et son instruction – à moins que ce ne fut volontaire, ce dont on peut douter– : cette occupation fut inutilement injurieuse pour le Siam. Tous les petits Thaïs ont appris et apprennent encore qu’en 1767, après s’être emparé de Chanthaburi par vive force, le roi Taksin y établit un camp afin d’y préparer la libération du Siam de l’invasion birmane. La dynastie d'alors n'avait jamais reconquis son trône perdu : Phya Tak, un général de fortune, se mit à la tête des vaincus, ranima leur courage et les conduisit devant Chanthaburi tombé au pouvoir de l'ennemi.  La tradition rapporte que, campé devant ses murs, Phya Tak fit briser jusqu'au dernier tous les pots à riz de ses soldats : « Maintenant, leur dit-il, vous n'avez plus de pots pour cuire votre riz; si vous ne reprenez pas Chanthaburi vous mourrez de faim » ! Les Siamois se battirent alors comme des forcenés pour reconquérir Chanthaburi et ses pots à riz. Phya Tak devint roi du Siam et son successeur fonda la dynastie actuelle.

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Cette humiliation qui n’était peut-être pas nécessaire (mais la presse coloniale hurla Vae Victis) explique bien des éléments dans les rapports franco-siamois et des rancœurs dont nous trouverons des traces jusque bien après la guerre franco-thaï de 1941 et le contentieux relatif au temple de Praeh Vihar attribué dans des conditions douteuses par la Cour Internationale de Justice de La Haye au Cambodge, considérée, côté thaï, comme ayant purement et simplement chaussé les bottes de la France coloniale. Les Siamois furent d’autant plus amers qu’ils furent « lâchés » par les Anglais qui firent semblant de s’irriter de l’occupation de Chantaboun mais en définitive fut validée par le traité franco-anglais de 1896 délimitant les zones d’influence respective au Siam. L’histoire d’une amitié profonde ?

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Ceci explique pour quelles raisons le roi Chulalongkorn était prêt à tous les sacrifices pour retrouver cette ville symbolique. Ce fut en 1904 une province entière, celle de Sayaburi située sur la rive droite du Mékong et en 1907 les provinces (plus ou moins) siamoises de Battambang, Siemreap et Sisophon.

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

La ville de Chanthaburi de l’époque.

 

Nous en savons en réalité peu de choses. A l’époque de Montigny, elle abritait 6.000 habitants, Siamois, Annamites et Chinois, dont un cinquième, les Annamites, étaient catholiques (6). Selon Pavie qui l’a visitée en 1885, elle était habitée par 4.000 annamites dont 2.000 chrétiens et 1.000 chinois qui en tenaient le commerce (6). D’après une autre source qui n’est pas spécifiquement cléricale, les Annamites sont groupés autour du père Cuaz, « un brave homme s'il en fut, tout jeune, possédant toutes les langues du pays, qu'il parle et écrit avec une facilité surprenante. Ce prêtre est certainement dans la ville une autorité avec laquelle il faut compter, vu sa grande connaissance du siamois; il est souvent pris comme arbitre, dans les litiges que les indigènes ont entre eux. Presque tous les Annamites sont catholiques et par suite lui sont dévoués corps et âme, et de plus, il a su gagner à sa cause un grand nombre de Chinois et de Siamois » (10). Pour Charles Lemire (6) c'est un « gros bourg » de 10.000 habitants dont la population indigène est composée de Siamois, de Chinois, d’Annamites et de Birmans. C’est au moins partiellement une colonie d’Annamites catholiques.

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Le déroulement de l’occupation.

 

Ce sont les rapports dépouillés par Sablon du Corail dans les archives militaires qui nous donnent ces précisions un peu sèches. Après que les Siamois se soient inclinés devant l'ultimatum du 20 juillet 1893 et des garanties complémentaires exigées par le gouvernement français le 30 juillet 1893, une force d'occupation fut réunie le 9 août 1893 pour occuper le port de Chanthaburi. Commandée par le capitaine Gérard, elle comprenait la 11e compagnie du régiment de fusiliers annamites, une section du 9e régiment d'infanterie de marine, 196 hommes, dont 54 Européens, comprenant quatre officiers et un médecin.

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Parmi eux, le Capitaine Augustin Gérard eut une carrière exceptionnelle (11).

Il a alors 36 ans. Saint-cyrien à 18 ans, nous le trouvons capitaine à 30 ans dans le 3e régiment d’infanterie de marine au Tonkin. Embarqués depuis Saigon sur un bateau à vapeur à double pont, lui-même et ses hommes sont arrivés le 17 août à l'embouchure de la rivière menant à Chanthaburi proprement dite, 20 km à l’intérieur. Le 18, Il demande au gouverneur siamois d’évacuer de la ville les 600 ou 800 soldats siamois encore présents ainsi que la fourniture de dix jonques pour transporter ses troupes. Celui-ci refuse non sans raisons au motif que seul le port de Chanthaburi devait être occupé par les Français. Après deux jours de vaines discussions, au matin du 20 août, Gérard a embarqué son détachement sur une flotte hétéroclite, une douzaine de baleinières, des canots pneumatiques et des canots puisque les Siamois refusaient de lui fournir seulement deux jonques. À la fin de l'après-midi, il prit possession de la citadelle de Chanthaburi, remise par le gouverneur qui avait tenté d'échapper à une cérémonie humiliante en prétendant être malade. Il lui avait fait savoir que s'il ne venait pas, le commandant du détachement n'aurait aucun contact avec lui et le considérerait comme un ennemi.

 

La marche sur Chantaburi : croquis du Capitaine Gérard (source : Sablon du Corail)  :

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Les Français ont alors dressé un inventaire des armes présentes dans la citadelle qu'ils reconnurent avoir accepté de prendre en garde et de les restituer quand l'occupation prendrait fin. Ils trouvèrent huit canons Broadwell de 80 mm (fabrication Krupp) en parfait état, des munitions

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

et un millier de fusils obsolètes. La citadelle dominait d'environ 20 mètres la ville de Chanthaburi alors totalement inondée pendant la saison des pluies. Elle avait la forme générale d'un carré de 450 mètres de côté, entourée d'un rempart de terre d’environ 6 à 10 mètres avec des douves extérieures. En plusieurs endroits, le rempart était en mauvais état, surtout à l'est et au sud. Les douves étaient remplies d’une épaisse végétation constituant même au nord une véritable petite forêt. Dans l’angle nord-est, où se trouvent les casernes, le rempart était encore en bon état, là où il était le plus haut et le plus large. Les Français ont alors entrepris d’approfondir les fouilles dans le secteur nord-ouest et d'y installer des casernements adaptés à la taille de leur petit détachement. Au centre de la citadelle se trouvait la résidence royale entourée d'un jardin « à la française magnifiquement entretenu ». A la demande des mandarins, cette résidence ne fut pas occupée et le capitaine Gérard accepta d'inclure tout le jardin dans le périmètre de la protection française pour éviter qu’il ne soit endommagé. Le capitaine rédigea son rapport 10 jours après son arrivée, estima que sa position était sûre mais qu'il aurait besoin de 500 hommes au maximum et 350 au minimum et de trois canons de montagne de 80 mm.

 

Plan de la forteresse : croquis du Capitaine Gérard (source : Sablon du Corail)  :

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

L'hygiène était considérée par le capitaine comme satisfaisante, le nombre d'hommes malades ne dépassant pas 15 à 25 par jour, un taux de 10% malgré les pluies continuelles. Les soldats mangeaient de la viande fraîche un jour sur trois et du pain frais un jour sur deux. Il n’y eut pendant la durée de l’occupation chez les Français que 18 morts dont un officier, mais il ne nous reste d’eux guère que leurs noms et 83 soldats annamites dont il ne reste même pas le nom… et un oublié, ce qui est tout de même honteux puisque son décès a de toute évidence été transcrit sur les registres du Consulat (12).

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Il sembla au capitaine que le quartier était majoritairement peuplé de catholiques vietnamiens. Un missionnaire français, le père Cuaz, vivait dans la ville. Mais pour le Capitaine, Siamois, Chinois et Birmans étaient suspects. Ils lui semblèrent hostiles, ou plutôt craintifs et surpris. Les Annamites, au contraire, étaient plus détendus. Presque tous catholiques et formés par le missionnaire français ils étaient tous dévoués à la cause française. Les Annamites parlant la même langue que les fusiliers sympathisèrent avec eux. Ils venaient facilement au fort, mais, observés de près par les mandarins, ils n’osaient pas servir les Français autant qu'ils l’auraient souhaité par crainte de représailles si l'occupation cessait. Les relations entre le capitaine Gérard et les mandarins siamois étaient bonnes, mais non dépourvues d'ambiguïté : « les autorités siamoises ont jusqu'à présent été accommodantes, presque obséquieux ... Pour obtenir quelque chose de leur part, mieux vaut les dire très fermement, mais sans jamais s'éloigner de la courtoisie la plus correcte ».

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Le capitaine Gérard reste toutefois soupçonneux : Il entretient un réseau d’espions qui l’avaient informé que les soldats siamois qui avaient évacué la citadelle s'étaient dispersés en petits groupes dans les villages situés à moins de trois heures de marche de la ville. Ils avaient laissé leur artillerie sur Chanthaburi mais avaient emporté avec eux tous les fusils à répétition Mannlicher. En outre, dans les montagnes, à une heure et demie de marche vers le nord, se trouvaient des villages armés, mines d'or, d'étain, et de pierres précieuses comportant une population flottante de Chinois, de Birmans et de Malais qu'il était sage de surveiller à cause d’un commerce illégal d’armes.

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Le commandement central suivant ses recommandations avait envisagé de renforcer considérablement la garnison de Chanthaburi par l’envoi éventuel d’un bataillon supplémentaire de légionnaires dont le noyau, 1er et 2e régiment d'infanterie étrangère, étaient stationnés en Algérie depuis le début de la conquête mais seulement quelques bataillons étaient présents au Tonkin. Cette troupe d'élite, soumise à des règles strictes de discipline, était souvent appelé à prendre part aux expéditions coloniales les plus lointaines. Lorsque le besoin s'en faisait sentir, des bataillons de marche provisoires étaient constitués. Les bataillons envoyés au Tonkin en 1883 y étaient restés et constituaient une sorte de réserve permanente d’autant plus appréciée du Gouvernement général que leur paye relevait du ministère de la Guerre et non des autorités coloniales.

 

Un bataillon provisoire de la Légion étrangère pour le Siam (« bataillon de marche du Siam ») fut donc embarqué en deux épisodes les 13 et 21 juillet 1893 à Oran. Ils arrivèrent après les combats mais à temps pour être envoyés en occupation à Chanthaburi. Il comprenait 715 hommes, répartis en quatre compagnies, sous le commandement du chef de bataillon Tournier. Chaque régiment fournissait la moitié des hommes du bataillon. Deux compagnies (probablement une centaine d’hommes chacune ?) furent  envoyées à Chanthaburi, les autres partirent renforcer les garnisons sur le Mékong.

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Les premiers mois de l'occupation française se déroulèrent sans difficultés majeures à en croire les appréciations portées sur le capitaine par les autorités civiles. En octobre 1893, le gouverneur envoya un télégramme au commandant général des forces françaises en Indochine faisant l'éloge de sa capacité « notant la prudence et la fermeté qu'il avait montré dans sa mission à Chantaboun, assumant une occupation tranquille et s’assurant de la sympathie pour la population civile en difficulté ». Pavie depuis Bangkok fut plus explicite : « J'ai été particulièrement satisfait des services du capitaine Gérard. Cet excellent officier, par sa conduite prudente, a pu contrecarrer les intrigues des Siamois qui souhaitaient établir des forces d'occupation sur la plage malsaine de Paknam; les mesures militaires qu'il a prises dans la marche sur Chantaboun et la mise en place du camp ont démontré une grande prévoyance et une capacité exceptionnelle chez un officier de ce rang. J'ajouterais que, même pendant la période des négociations les plus difficiles, il a réussi, malgré toutes sortes de provocations, à maintenir des relations amicales avec les autorités locales et éviter que le gouvernement de la République ne soit sérieusement mis en difficultés et en  complications avec le Siam ou avec l'Angleterre ».

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Il y a évidemment beaucoup de « non-dit » dans cette note de Pavie inédite jusqu’à ce que Sablon du Corail la déniche dans les archives du ministère de la guerre, et on peut se demander ce que furent ces « intrigues des Siamois » et ces « provocations » ? L’appréciation de Pavie ne fut évidemment pas étrangère à la promotion fulgurante dont bénéficia le Capitaine.

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Augustin Gérard était contemporain de Pierre Thoreux et d'Adam de Villiers, de la même promotion que celui-ci à Saint-Cyr. Il entra dans l'armée coloniale en 1885 à 28 ans et fut immédiatement envoyé au Tonkin, rejoignant le 3e régiment de tirailleurs tonkinois. Après trois ans passés au ministère de la Marine à Paris, il retourna en Indochine en 1892 comme aide de camp du général Albert Duchemin, commandant des troupes françaises.

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Compte tenu de son succès à Chanthaburi, Lanessan demanda plus directement que Pavie son avancement. Le capitaine Gérard parvint le 1er septembre 1894 au grade de chef de bataillon, une promotion sans précédent dans la mesure où elle n'était pas le résultat d'une action exceptionnelle au combat. Il fut le modèle d’un officier non seulement entraineur d’hommes mais administrateur diligent attentif aux différences ethniques et culturelles des peuples de notre Empire colonial. Tandis que Villiers végétait dans les maisons de plaisir de la Cochinchine, Gérard eut un destin brillant. En 1894, il devient chef d'état-major du général Gallieni à Madagascar. Celui-ci le prit en protection et le poussa aux plus hauts niveaux de la hiérarchie tout en lui reprochant d’être « trop absolu dans ses idées » et de « manquer de flexibilité ».

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Son appartenance maçonnique (tout comme Pavie. S’étaient-ils connus dans les loges ?) que nous signale Sablon du Corail ne fut bien évidemment pas inutile à son avancement. Promu général de brigade en 1909, général de corps d’armée en 1912 et général d’armée en 1916 : 1ère armée en 1916, puis 8e armée en 1917-1918 sur le front en Lorraine.

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

C’est probablement son inflexibilité – militaire jusqu’au bout des ongles et non diplomate – qui lui interdit d’obtenir un bâton de Maréchal. Il fut tout de même élevé à la dignité exceptionnelle de Grand-croix de la Légion d’honneur le 16 mai 1917. Revenons à notre histoire.

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Après le départ du capitaine Gérard, la composition de la force d’occupation a été fluctuante et il fut impossible à Sablon du Corail de suivre avec précision les mouvements des unités. La présence de tout un bataillon de la Légion étrangère pour surveiller la frontière avec le Siam parut en tous cas vite superflu. Deux cents hommes furent alors renvoyés au Tonkin pour y compléter les quatre bataillons.

 

Les problèmes de santé habituels dans les unités européennes aux colonies furent évidemment inévitables. En juin 1894, le bataillon manquait d’hommes y compris quatre officiers malades. Lorsque le gouverneur de l'Indochine demanda au ministère de la guerre d’envoyer 235 hommes au Siam, celui-ci protesta en indiquant que lorsque ce bataillon avait été envoyé au Siam, il avait été convenu que son séjour en Extrême-Orient serait seulement temporaire… Un «  temporaire » de près de 12 ans.

 

Le ministère souhaita alors que les troupes d’occupation de Chanthaburi soient remplacées le plus rapidement possible par l’infanterie de marine. Le gouverneur général soutenu par le général commandant en chef fit remarquer que la présence de ces bataillons à pied au Siam était essentielle à la sécurité de la frontière et que, de plus, le budget de la colonie était si serré qu'il ne pouvait payer les frais de voyage des légionnaires.

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Après d'âpres négociations interministérielles, le ministère de la Guerre envoya 280 hommes de secours en juillet 1894, mais cinq mois plus tard, deux des quatre compagnies du bataillon repartirent pour l'Algérie. Seuls 315 hommes et 4 officiers restèrent alors en Indochine, probablement une moitié à Chanthaburi et une moitié à Khone et à Stung-Treng. En 1897, la sécurité des frontières semblait suffisante pour que les deux dernières compagnies retournent à leurs régiments d'origine à la fin de l'année. La garnison de Chanthaburi fut réduite après le départ de la compagnie de légionnaires. Une compagnie de fusiliers annamites y restera en permanence, ainsi que, selon toute probabilité, une compagnie ou au moins une section du 11e Régiment d'infanterie de marine. Il prit le nom de 11e régiment d’Infanterie coloniale en 1900 et  comme toutes les autres unités marines, fut rattaché administrativement au ministère de la Guerre et à celui des Colonies. La composition de la garnison de Chanthaburi après septembre 1903 est mieux connue.

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Le 12e Régiment d'infanterie coloniale et un nouveau régiment de fusil annamite furent constitués, tous deux en poste en Cochinchine. La défense de Chanthaburi et son port de Paknam fut alors assurée par une compagnie du 12e Régiment d'infanterie coloniale et trois compagnies du 2e régiment de tirailleurs annamites, soit environ 700 hommes. Ils y restèrent jusqu'à l'évacuation de Chanthaburi et de Paknam les 5 et 8 janvier 1905, conformément à la convention franco-siamoise de février 1904. La garnison de Chanthaburi comptait à cette date entre 200 et 300 hommes, la plupart des fusiliers étant annamites. Ce n'est qu'au début de l'occupation, à partir de Septembre 1893 à novembre 1894, puis de nouveau de septembre 1903 à janvier 1905, lors des négociations sur la mise en œuvre de la convention franco-siamoise que la garnison dépassa ces chiffres.

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Le quotidien de la garnison.

 

Nous en savons malheureusement fort peu de choses. Gérard se plaignit du coût élevé des fournitures et de la main d'œuvre, ainsi que du fonctionnement spasmodique des lignes télégraphiques reliant Chanthaburi à Bangkok et Battambang, coupées un jour sur deux. Un bateau à vapeur reliait Chanthaburi à Bangkok une fois par semaine.  Les chemins de terre jusqu’à Bangkok, étaient impraticables en saison des pluies. Notons toutefois qu’un service postal fut organisé dont il subsiste quelques vestiges qui font le bonheur des philatélistes (13).

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Rien non plus sur les rapports entre les militaires et le Consulat ou sur leurs rapports avec le R.P. Marie-Joseph Cuaz qui fut chargé de la paroisse de Chanthaburi de 1886 à 1899. Il n’a pas écrit ses mémoires et les seuls œuvres que nous lui connaissions sont ses études sur la langue laotienne. Nous avons trace d’une épidémie de béribéri en 1902 qui est le signe de carences alimentaires (14).

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Ces quelques centaines d’hommes plus ou moins désœuvrés dans un bourg de 10.000 habitants tout au plus n’avaient pas fait vœu de chasteté, et on peut se demander  comment était organisé le repos du guerrier ? On peut penser que les Chinois de la ville ne les avaient pas vus arriver sans déplaisir. La documentation sur ce sujet est malheureusement inexistante. Pouvaient-ils trouver l’assouvissement de leur libido auprès de prostituées régulières, de prostituées clandestines, de pensionnaires des BMC s’ils existaient et auprès des congay ? Y eut-il des relations suivies avec des autochtones ? La généralisation des « BMC » surveillés par l’armée en Indochine lors de la guerre de 1945-1954 fut essentiellement destinée à mettre un frein aux maladies vénériennes. Qu’en fut-il à cette époque ? Ce fut - parait-il – Saint Louis qui organisa les premiers établissements destinés à l’assouvissement de la libido de ses Croisés non tant pour leur éviter le « mal d’amour » que pour les dissuader des rapports sodomites. Le Capitaine Gérard avait-il organisé des maisons closes pour ses troupes ou laissait-il ce soin aux Chinois de la ville ? (15). Des Français et des Annamites morts à Chanthaburi, combien le furent-ils de la vérole ou du béribéri ?

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Un désagrément de cette vie de garnison est évidemment à signaler, celui du climat qui ne frappe évidemment pas les Annamites mais les Français. La province est l’une des plus arrosée du Siam, la moyenne des précipitations annuelles y est de 3 mètres, deux fois plus qu’à Bangkok, un record qu’elle dispute d’ailleurs à la province de Ranong sur la côte ouest.

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Notons enfin, appréciable contrepartie, ils ont le « bénéfice de la double campagne » c’est-à-dire le droit à une retraite majorée alors qu’ils n’appartiennent pas à une unité combattante ce qui est signe – peut-être -  qu’ils se trouvent dans une zone à risques (16). Les chefs de corps (en l’occurrence le Capitaine) bénéficiaient en outre d’une « indemnité de cherté de vie » qui sera toutefois supprimée le 1er janvier 1904 (17).

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Les incidents « mineurs ».

 

Les archives analysées par Sablon du Corail n’en font pas mention, mais  nous en avons trouvé quelques vestiges : En 1896 : « les journaux du Tonkin signalent de graves désordres qui se sont produits, à Chantaboun et à Battanbang, entre les sociétés secrètes chinoises et annamites. Les autorités siamoises, perdant l'espoir de réprimer ce soulèvement, ont demandé aux Français de leur prêter assistance mais ceux-ci ont refusé d’intervenir ». Les incidents se sont produits en zone démilitarisée oú les Siamois ne peuvent pas intervenir. Nous ignorons la suite de cet incident qui n’avait rien de mineur (18).

 

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

Six ans plus tard, en 1902 « Au Siam d'après une dépêche de Bangkok, une contestation au sujet d'un terrain se serait élevée, à Klung, à 32 kilomètres au sud de Chantaboun, entre des Chinois et un missionnaire catholique. Le commandant français de Chantaboun aurait insisté pour faire expulser les Chinois. Le gouvernement siamois, de son côté, soutenait que le différend devait être tranché par les tribunaux civils. 150 soldats français auraient été envoyés » (19). Nous sommes à la pleine époque de la république anti cléricale et franc-maçonne. Dans les colonies, elle envoie l’armée au secours des curés qu’elle martyrise en France. Encore un incident mineur ?

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

D’une façon plus générale si l’on en croit Isabelle Massieu qui écrit en 1901 : « Ils sont sans cesse sur le qui-vive, car on leur envoie des coups de fusil toutes les nuits, et le télégraphe est presque toujours coupé. Des bandes siamoises et chinoises les entourent et les menacent sans répit, et lorsqu'on se plaint à la cour de Bangkok, celle-ci se contente de répondre que ce ne sont que quelques pillards dont le gouvernement siamois ne peut être responsable » (20).

 

A suivre.

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

 

NOTES

 

(1) Le nom de la ville – จันทบุรีทท – se transcrit officiellement par Chanthaburi, c’est l’orthographe que nous utiliserons même si on trouve Chantaburi, Chantaboun ou Chantaboon.

 

 (2) « The French Army and Siam, 1893–1914 » par Amable Sablon du Corail, traduit par Michael Smithies in Journal de la Siam Society, volume 99 de 2011.

 

(3) Voir notre article H16 - LA « MARCHE DU MÉKONG », UNE VICTOIRE DU CAPITAINE LUC ADAM DE VILLIERS SUR LES SIAMOIS EN JUILLET 1893.

(4) Nous savons simplement qu’ils étaient à la veille de la mobilisation du 1er août 1914 240  français, 146 hommes, 63 femmes et 31 enfants selon le Bangkok Siam Directory de 1914.

(5) U. Malpuech, « Historique de la province de Savannakhet » 1920.

 

(6) C’est ce qui ressort de la visite de Montigny  en 1858 : longuement cité par  Charles Meyniard, « Le second Empire en Indo-Chine (Siam, Cambodge, Annam) : l'ouverture de Siam au commerce et la convention du Cambodge », 1891. C’est l’opinion de Charles Lemire « Les cinq Pays de l'Indo-Chine française, l'établissement de Kouang-Tchéou, le Siam (leur situation économique) » 1899 ou encore d’Auguste Pavie « Exposé des travaux de la mission » 1901 et « Exposé des travaux de la mission - Atlas et cartes » 1903.

 

(7) Voir l’article « FRANCE ET SIAM » dans « La quinzaine », numéro de 1902.

 

(8) Article du colonel Edouard Diguet « Rôle de la France en Indochine » in Revue coloniale, 1907).

 

(9) Etienne Aymonier « Le Cambodge », 1904.

 

(10) Revue Coloniale de 1895.

 

(11) Elle apparait dans son dossier à la Grande Chancellerie de la Légion d’honneur (dossier LH/1117/47)

http://www.culture.gouv.fr/documentation/leonore/NOMS/nom_00.htm -

 

(12) Leurs noms apparaissent sur la plaque apposée sur le site du l’ancien camp (aujourd’hui camp Taksin) aux diligences de l’Ambassade de France : Capitaine François DUMESTRE, mort le 3 avril 1903 à 41 ans, engagé dans l’infanterie de marine à 19 ans, un ancien des campagnes du Tonkin ce qui lui avait valu la légion d’honneur en 1897, VASEL Maxime, LAUPRERE Philippe, MARCAULT Abraham, GRATADOUR Jean, GUERIN Pierre, CHAUVINAU, BERNARD Celestin, BLEE Elie, MANSENO Joseph, CAVILLAC Edmond, CASANOVA Antoine, BRINSARD Pierre, JOURDEN Etienne, ECOIFFIER Claude, MONNERET Jean, JACQUET Benjamin, BUAILLON Theodore, dont nous ignorons d’eux et plus encore des 83 soldats annamites dont nous ignorons même le nom. L’oublié bien injustement est le Lieutenant M.C. Jeanmaire, Saint-cyrien de la promotion 1881-1883, « mort à Chantaboun le 29 mai 1899 » ainsi que nous l’indique l’ « Annuaire de la Saint-cyrienne » de 1903, page 222. Il n’était évidemment pas à Chantaboun en excursion.

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

(13) « Les annales de philatélie », volume I, 1935, article « contribution à l’histoire postale de l’Indochine française » et un monumental article de J.Desrousseaux « BUREAUX de POSTE et CACHETS du LAOS (Première partie) » dans Philao de 1974, la revue de nos amis philatélistes Philippe Drillien et Jean-Michel Strobino que nous avons rencontrés à diverses reprises (numérisée http://aictpl2.pagesperso-orange.fr/cachets1.htm). Les militaires bénéficiaient depuis 1886 de la franchise postale à la condition que soit apposé sur leur correspondance la mention ou un cachet « corps expéditionnaire du Siam ».

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) .

(14) « Étiologie et prophylaxie des maladies transmissibles » 1912.

 

(15) L’ouvrage de Michel Bodin de 2006 «  LE PLAISIR DU SOLDAT EN INDOCHINE (1945-1954) » est muet sur la période antérieure.

 

(16) Note ministérielle n° 31 du 1er février 1894, « Journal militaire officiel » de 1894.

 

(17) « Bulletin administratif du gouvernement général » d’avril 1904

 

(18) « La dépêche tunisienne » du 28 mai 1896.

 

(19) « Bulletin des congrégations » du 1er juin1902.

 

(20) Isabelle Massieu « Comment j’ai parcouru l’Indochine », 1901.

Partager cet article
Repost0