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  • : Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
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  Il était une fois Alain, Bernard …ils prirent leur retraite en Isan, se marièrent avec une Isan, se rencontrèrent, discutèrent, décidèrent un  jour de créer un BLOG, ce blog : alainbernardenthailande.com

Ils voulaient partager, échanger, raconter ce qu’ils avaient appris sur la Thaïlande, son histoire, sa culture, comprendre son « actualité ». Ils n’étaient pas historiens, n’en savaient peut-être pas plus que vous, mais ils voulaient proposer un chemin possible. Ils ont pensé commencer par l’histoire des relations franco-thaïes depuis Louis XIV,et ensuite ils ont proposé leur vision de l'Isan ..........

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23 novembre 2016 3 23 /11 /novembre /2016 22:56
H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.

Le Bouddha d’émeraude, lit-on partout, est le Palladium du Siam. Ce vocable rappelle la statue de la déesse Pallas tombée du ciel et gage de la conservation de la ville de Troie (1).

H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.

La statue est pour les Thaïs Phra kaeomorakot ce qui signifie tout simplement Bouddha d’émeraude (พระแก้วมรกต) ou plus cérémonieusement Phuta Mahamanirattanapatimakon  (พุทธมหามณีรัตนปฏิมากร), la « grande sculpture précieuse de Bouddha ». Son nom entre dans celui, officiel, de la capitale comme « précieux joyau » (2). Nous l’avons probablement tous admiré de loin mais sans pouvoir la photographier, vêtue de ses atours de saison dans la chapelle du temple du palais royal qui porte son nom, Wat phrakaeo.  

 

Citons quelques descriptions anciennes de voyageurs curieux :

 

En 1894, Lucien Fournerau, géographe, archéologue et explorateur nous donne une description un peu cavalière de ce « bibelot » qu’il a visité en 1891 :

 

« …Enfin, comme point extrême de l’autel, la célèbre figurine de Bouddha, taillé dans un émeraude, préside à l’olympe siamois. Cet objet fut pris en l’an 1777 de notre ère par le roi Phaya Tack dans la capitale du Laos, Vieng-Chan et rapporté dans cette pagode à laquelle il donna le nom de Phra Khéo. Cette petite merveille dont tous les voyageurs ont parlé a pour principal défaut de n’être pas en émeraude ; elle est en jade ce qui n’en fait pas moins un assez joli bibelot » (3).

H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.

Nous avons rencontré Isabelle Massieu, un « bas bleu » dont il est de bon ton de dire qu’elle fut une intrépide voyageuse (4). En 1901, elle nous décrit le Bouddha d’émeraude  comme suit :

 

« Le Wat Phrakéo renferme des trésors infinis. Un grand nombre de bouddhas assis ou debout sont en or massif, resplendissants de pierres précieuses. Ils proviennent, paraît-il, de l'ancienne capitale du Laos, la superbe Vien-Chan ou Vien-Tian, sur le Mékong. Les Siamois la détruisirent de fond en comble en 1829, après lui avoir dérobé ses richesses, parmi lesquelles se trouvait le fameux palladium, le Bouddha en émeraude, le Phra-Kéo, qui, en réalité, est en jade. L'idole est juchée sur un amoncellement d'autels superposés et mesure 0m25 de hauteur ».

 

Ceci établit à tout le moins que notre « aventurière » n’a pas vu ce qu’elle décrit et que ses notions de l’histoire du Siam sont balbutiantes. Mais elle lance une réflexion qui a son importance : 

 

« Depuis que les événements de 1893 ont donné Vien-Tian à la France, les Siamois craignent de voir cette effigie déserter leur capitale pour retourner au Laos. Ils y font bonne garde, car sa disparition serait la fin de la domination siamoise » (5).  

H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.

L’idée d’attribuer ce monument au patrimoine colonial de la France est reprise par Claudius Madrolle en 1902 « Ce fétiche, que la France serait en droit  de réclamer puisqu'il provient de pillages sur la rive gauche du Mé-kong, est un précieux talisman pour les asiatiques : sa possession assure, d'après eux, la puissance et l'opulence » (6). Ne lui reprochons pas ces délires du parti colonial, ils sont de son temps, mais  il a l’immense mérite d’avoir rédigé le premier guide touristique de la région qui, les prix mis à part, a toujours sa valeur !

 

En 1904, une  autre voyageuse, Cäcilie von Rodt (Cécile de Rodt) nous en parle aussi de façon plus enthousiaste (7) :

 

« Le centre de ce parc auquel de beaux arbres, des fleurs des tropiques, des étangs couverts de lotus prêtent un charme tout poétique est occupé par le grand wat où trône un Bouddha d'émeraude. C'est celui que le souverain vient implorer. Le toit revêtu de mosaïques brillant comme de l'or aux rayons du soleil dresse ses trois faîtes superposés garnis de flammes au-dessus d'une cella de style grec entourée de colonnades. De hautes marches conduisent aux deux portes noires incrustées d'or entre lesquelles siège le maître du lieu. Des fresques trop chargées décorent les murailles; les chasses, les processions, les batailles, les fêtes se succèdent sans perspective, mais frappent par leurs couleurs vives et harmonieuses. Très haut, au-dessus d'un autel, on entrevoit vaguement dans la pénombre, une figure de jade vert dont la tête est formée d'une seule pierre précieuse; c'est le Bouddha d'émeraude. Un demi-jour mystérieux flotte autour du dieu à peine visible sous l'amoncellement de ses vêtements d'or. Soulevées par la main d'un prêtre, les lourdes draperies qui interceptaient la lumière s'écartent, et le sanctuaire est inondé d'un flot de rayons dorés. Il en tombe un sur l'image du dieu qui se détache, lumineuse; Bouddha, serein et majestueux, sort de l'ombre et semble s'avancer pour bénir les fidèles groupés à ses pieds ». 

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Paul Le Boulanger en 1930 nous dit peu de choses de « cet insigne de la puissance et du commandement » qu’il nous le décrit comme « taillé dans un bloc de jaspe verte » (8).

 

Signalons enfin sur un point précis une monographie récente (1996) d’un érudit laotien « La statue du Bouddha fut finalement taillée en émeraude. Parfaitement fabriquée, elle ne laissait voir aucun défaut » (9).


Mais notre Bouddha eut au siècle précédent deux observateurs privilégiésMonseigneur Pallegoix et Sir John Bowring, tous deux ayant vécu, le premier beaucoup plus que le second, dans l’intimité du roi Mongkut. Pour Monseigneur Pallegoix qui écrit en 1854, il ne s’agit évidemment que d’une « idole » mais « faite d’une seule émeraude d’une coudée de haut, évaluée par les Anglais à 200.000 piastres (plus d’un million) » (10). On ne sait quelle coudée utilise Monseigneur Pallegoix, celle-ci variant selon les régions, admettons 60 centimètres environ. La statuette, bien que nul ne soit jamais allé prendre ses mesures, est de 66 centimètres (26 pouces) sur environ 48 centimètres (19 pouces) bien que certains (Wikipédia) parlent de 76,20 centimètres et d’autres de 75. Nous sommes toutefois loin des 25 centimètres de Madame Massieu !

 

Le prélat ne nous donne malheureusement aucune autre précision. Quand il parle d’émeraude (มรกต morakot), 

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on peut penser, rédacteur de la première grammaire siamoise et du premier dictionnaire significatif, qu’il fait la différence entre cette pierre, le jade (yok หยก) 

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et le jaspe (anmani อัญมณี) (11). 

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Sir John Bowring n’a pas eu avec le roi Mongkut les rapports privilégiés et amicaux de l’Evêque. Il excipe toutefois en 1857 d’une correspondance que lui a ou lui aurait adressée le roi en 1854 selon laquelle la statuette serait en jaspe venu de Chine, dressée sur un piédestal de 34 pieds 23 quarts de pouce (un peu plus de 10 mètres ce qui correspond à la réalité) faisant bon marché en outre de l’histoire légendaire de la statuette. (12).

 

Nous devons la description des vêtements à Robert Lingat dans sa remarquable étude sur laquelle nous reviendrons (13). Ce vêtement est changé au début de chaque saison, le premier jour de la lune décroissante, les 4ème, 8ème et 12ème mois c’est-à-dire mars, juillet et novembre au cours de cérémonies que  nous décrit longuement Robert Lingat.

 

C’est au roi seul qu’il appartient de dévêtir, dépoussiérer puis revêtir la statue.

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Ces dernières années, c’est le prince héritier qui en fut chargé, ce qui lui confère,  soit dit en passant, une incontestable légitimité.

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Cette pratique des « Bouddhas parés » serait d’ailleurs d’origine spécifiquement indienne ce qui nous conduit à nous pencher sur les origines de la statuette (14).

 

Les origines légendaires

 

Nous n’en dirons que quelques mots. La statuette a fait l’objet de trois communications remarquables de notre ami du site « Merveilleuse Chaing-maï » (15), c’est assurément à ce jour la meilleure analyse sur le sujet, même si l’auteur est parfois (à notre goût) quelque peu iconoclaste.

 

Les textes anciens ont été étudiés par Lingat (13).

 

Le Rattanaphimphuang ou Ratanabimbavangsa (รัตนพิมพวงศ์) qui a été édité en 1913 par les soins de la Bibliothèque Vajirana (วชิรญาณ). 

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Elle est l’œuvre d’un moine nommé Phromratpanya (พรหมราชปัญญา) et daterait de la seconde moitié du XVème siècle. Une autre chronique  appelée Jinakalamalini (ชิกาลมาลินี) écrite en Pali au début du XVIème par un moine nommé Ratana  Panyayana  รัตนปัญญาณ a été publiée à Bangkok en 1908  et traduite par Coédès (16). 

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Un troisième récit, Amarakata buddharupanidana  (พระพุทธรูปพมรกตนิทาน) est un  manuscrit birman du XVème écrite en pali et en langue du Lanna (yuôn) traduit par Camille Notton, le remarquable érudit consul de France à Chiangmaï  a publié en 1932 « The chronicle of the Emerald Buddha » (17).

 

C’est un manuscrit sur feuilles de palmier trouvé à Chiangmaï qui ne renferme aucune indication sur le nom de l'auteur ni sur la date à laquelle il a été composé. Toutes ces sources ont été fort doctement analysées par Coédès selon qui les auteurs auraient en réalité reproduit une source « en langue indigène unique » (18). 

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Nous nous garderons, faute de compétences, d’entrer dans ces querelles érudites tout en relevant que trois sources différentes peuvent relater de mêmes événements relevant d’un lointain passé, transmis par une longue tradition orale (19). Faut-il nier la valeur du texte qui demeurera le meilleur panorama d'une expérience religieuse vécue dans un passé lointain, même s’il subsiste des zones d'ombre ou des mystères ?

 

Cinq siècles après le passage du Bouddha dans le Nirvana, vivait en Inde un ascète nommé phra Nakhasena (พระนาคเสน) profondément dévoué aux enseignements du Bouddha. Il devint moine dans la ville de Patalibutra dans la région de Bénarès, ville dont les habitants avaient oublié les enseignements de Bouddha. 

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Sa tristesse devant cette impiété atteint les pentes du mont Meru, le domaine des dieux, et le puissant dieu Indra. Indra et Vishnu descendirent de la montagne pour rejoindre le temple de Nakhasena. En voyant les deux divinités, Nakhasena tomba à genoux. Indra lui demanda de lui expliquer ses soucis. Il lui  expliqua que les enseignements de Bouddha devraient être suivis par tous et qu'une image du Bouddha devait être créée afin que tous puissent lui manifester leur respect.  L'image de Bouddha pour durer éternellement devait être ciselée dans une pierre précieuse.

 

« Si je fais une statue du Buddha en or ou en argent, les hommes des temps futurs, qui seront cupides et animés des pires intentions, détruiront cette image ; aussi vais-je employer pour faire la  statue une pierre précieuse douée de pouvoirs surnaturels » (20). 

 

Indra  chargea Vishnu d'aller rechercher la plus précieuse de toutes les pierres précieuses pour l'image de Bouddha. Indra calma les craintes de Vishnu et l'accompagna dans une montagne peuplée de démons malfaisants gardant leurs trésors avec autant de soin que les rois de Siam gardent leurs éléphants blancs. Il fallait récupérer une pierre assez grande pour y sculpter l’image. Reconnaissant Indra, les démons abandonnèrent leurs armes et Indra et Vishnu furent autorisés à emporter une pierre à la lueur verte lumineuse.

 

Ils revinrent au temple avec elle. Indra retourna au mont Meru ...

 

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... et Vishnu resta avec Nakhasena, prenant l’apparence d'un sculpteur pour créer l'image du Bouddha, l'image brillante du Bouddha d'émeraude. Il fut placé dans un temple au toit d'or somptueux et attira des milliers de personnes de tous les coins de la terre. Mais suite à une guerre civile dans la ville de Padalibutra et  pour la sécurité de la statue, le  souverain l’envoya au roi de Lankadvipa (Ceylan) avec l'intention de le faire revenir dans son royaume une fois que les troubles auraient cessé mais l'image resta en Lankadvipa pendant deux siècles pour les uns, quatre pour les autres y assurant la prospérité du bouddhisme.

 

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Commencèrent alors les pérégrinations de la statue, 

 

PaganAngkorLigor (Nakhonsrithammarat) ou il se retrouvait au Wat Phra Mahathat (วัดพระมหาธาตุวรมหาวิหาร), construit il y a 1700 ans pour l’accueillir à son retour du Cambodge... 

 

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...Khampengphet,  puis à Chiangraï. C’est la fin de la période légendaire ou pseudo historique (21). Suivra ensuite la période laotienne qui durera jusqu’à la fin de son séjour à Vientiane et la période siamoise qui va de la prise de Vientiane par les siamois jusqu’à nos jours.

 

C’est à Chiangrai qu’il est redécouvert en 1434 ou 1436 nous passons du mythe à la réalité. Il s’y trouvait à l’intérieur d'un grand stupa qui s’écroule frappé par la foudre.

 

Un moine remarqua une image de Bouddha recouvert de feuilles d'or sous le stuc émietté. Estimant que l'image était composée de pierre ordinaire, les moines du temple placèrent la statue dans le wihan (sanctuaire) en compagnie de nombreuses autres statues.

 

Deux ou trois mois plus tard, le plâtre qui recouvrait la statue recouvert de feuilles d'or fut ébréché à la pointe du nez.  L’abbé du temple s’aperçut que l'intérieur était fait d'un beau cristal vert et l’ébrécha sur toute sa surface. La statue était faite d'une pierre sans marques ni imperfection. C’était celle de la tradition que l’on croyait  perdue à tout jamais. La population de Chiangraï et des environs affluèrent bientôt pour vénérer le Bouddha d'Emeraude. Nous allons le retrouver à Lampang où il resta 30 ans dans un temple toujours appelé wat Phra kaeo ; Puis à Chaigmaï en 1468 pendant 84 ans, puis enfin à Luangpranbang et enfin à Vientiane jusqu’à la prise et au sac de la ville par les siamois de Taksin en 1778.

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Celui-ci, de retour dans son pays le plaça dans un bâtiment près de Wat Arun où il resta jusqu’à la mort de Taksin, mis à mort par Chao Phra Chakri, qui à son tour monta sur le trône et prit le titre de Rama Ier. Il déplaça la capitale à travers le Maenam Chao Phra à son emplacement actuel et construisit pour l’accueillir le Wat Phra Keo après sa montée sur le trône en 1782.

 

En ce qui concerne son passage au Laos, Louis Finot nous donne la traduction d’une chronique laotienne qui doit être citée : « Le Pra Kaeo fut taillé par Viçvakarman, à la demande du thera Nâgasena, de Pâtaliputta, dans une émeraude cédée par les yaksa du mont Vemullapabbata. 

 

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Cette statue miraculeuse eut une existence errante : elle passa de Pâtaliputta à Lanka, puis successivement à Indapattha (Cambodge), Ayuthia, Kamphêng Phêt, Lavo, de nouveau à Kamphêng Phêt, Xieng Rai, Xieng Mai, d'où elle fut transportée à Luang Prabang par le roi Jaya Jettha, fils de PôMisarat (1547) ». 

 

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Le récit s'arrête à cette date et les destinées ultérieures du Phra Kaeo sont connues,  Finot continue : Á peine était-il arrivé à Luang Prabang qu'il fut transporté à Vientiane où il resta jusqu'à la prise de cette ville par les Siamois en 1827 : il fut emporté à Bangkok où il est encore, dans le wat Phra Khaeo (22).

 

Cette introduction fut longue mais ceux qui souhaitent approfondir ce sujet trouveront tous les textes que nous citons accessibles sans difficultés soit  sur le site de la bibliothèque nationale (gallica.bnf.fr) soit, pour les articles du BEFO sur le site www.persée.fr. Notre souci est purement ponctuel et porte sur une triple question, n’ayant pas à notre connaissance pour les deux premières, fait l’objet d’une étude systématique : Quelle est en réalité la date à laquelle la statue a été ciselée, quelle est la pierre dans laquelle elle l’a été et quels sont les pouvoirs charismatiques que lui prêtent toujours les thaïs ?

 

La date de la statuette ?

 

Les représentations anthropomorphes de Bouddha ont commencé à apparaître vers le Ier siècle au nord et au nord-ouest de l'Inde. Les deux principaux centres de création étaient Gandhara au Penjab actuel (Pakistanet Mathura au nord de l'Inde.

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La position de la statuette, position de méditation, a existé de tous temps. Nous en avons deux exemples, une statuette de Bouddha ascète en méditation de style Gandhara datée du IIème ou IIème siècle après N.S.J.C au musée de Lahore

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 et une autre du même style qui se trouve ou se trouvait au musée de Kaboul (23). 

 

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La question du style se pose de toute évidence, ne l‘éludons pas : Pour Lingat ainsi que pour notre ami de « Merveilleuse Chiangmaï » la représentation est caractéristique du style de Chiang Saen (เชียงแสน), petite ville de la province de Chiangraï qui a 1500 ans d’histoire et qui est réputée pour son style particulier de représentation de Bouddha dont les plus anciens datent du XIème siècle de notre ère (24). 
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Mais une question vient à notre esprit, « qui a fait l‘œuf, c’est la poule ? ». Est-ce le style de Chiang Saen qui a servi de modèle à l’artisan qui a ciselé notre Bouddha ou est-ce le Bouddha d’émeraude qui a servi de modèle au style de Chiang Saen ? La question est posée, nous n’aurons pas la prétention d’y répondre… D’autant que d’autre croient y reconnaitre le style du Sri Lanka et d’autres celui, spécifique, du Lanna  ?
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Emeraude, jade, jaspe ou jadéite ?

 

Nous avons relevé que nul n’est jamais allé examiner la statue de façon attentive et scientifique. 

 

Nous en ignorons même les dimensions exactes qui varient selon les sources entre 25 centimètres ou 75 centimètres, la réalité étant probablement d’environ 60. Toute approche, toute photographie sont interdites. La seule photographie que nous avons sans les vêtements d’apparat est celle de l’article de Lingat datée  de 1935 en noir et blanc. N’ayant ni  l’un ni l’autre de compétences en matière de géologie et encore moins de gemmologie, nous avons posé à deux spécialistes la question suivante : « Peut-on à l’œil différencier un bibelot en émeraude d’un bibelot en jade vert, surtout quand le bibelot est éloigné de plusieurs mètres en éclairage défavorable comme le Bouddha d’émeraude ».

 

Le premier, bijoutier issu d’une école de gemmologie réputée, nous répond « faribole … Le spécialiste à barbe blanche qui simplement en l’observant à la loupe au grossissement 10 x, va diagnostiquer une gemme sans faiblir ni sourciller, est un charlatan ».

 

Le second, notre ami géologue et paléontologue Romain Liard ajoute « faribole, of course, ai-je  envie de dire.  Déjà en l'ayant en main ce n’est pas forcément évident alors à l'œil  … ».

 

Pour Robert Lingat au contraire, bon juriste et bon linguiste assurément mais pas forcément bon gemmologue, il suffit de le regarder pour s’apercevoir qu’il s’agit de jade et non d’émeraude ! Selon lui, on trouve à 80 kilomètres au nord-est de Nan alors en plein pays laotien des pierres très semblables à celle dans laquelle le Bouddha a été taillé dont les habitants font des bagues. Il s’en fit ramener un spécimen par un érudit de ses amis, auteur d’un ouvrage sur la littérature siamoise, Paul Schweisguth dont il déduisit qu’il s’agit d’une variété de quartz plus claire que le Bouddha (25) ?

 

Il existe des blocs  de jade gigantesques il est vrai. Les Chinois auraient découvert dans les années 60 un bloc  de Jaspe de 260 tonnes dans lequel aurait été taillé un bouddha géant. 

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Et pour les émeraudes ? La plus grosse émeraude au monde (381 kilos) a été découverte au Brésil en 2001, 180.000 carats (26) dont la  valeur est estimée à plus de 350 millions d’euros ...

H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.
et une plus petite en 2009 (38 kilos « seulement ») (27). La plus grosse émeraude taillée à ce jour  en Inde en  2012 est susceptible de permettre d’y ciseler un autre Bouddha (28). 
H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.
Historiquement, Pline l’ancien après Hérodote nous apprend qu’il existait « dans le labyrinthe d'Egypteun un colosse de Sérapis, en émeraude, de neuf coudées » (29) que les troupes de Bonaparte ont cherché sans succès. La coudée égyptienne valait probablement la nôtre (50 ou 60 centimètres).
H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.

Le trésor de la cathédrale Saint-Laurent de Gênes encore contient le Sacro Catino (« la bassine sacrée »), une coupe réputée pour être en émeraude, et avoir été offert par la Reine de Saba à Salomon et avoir servi lors de la Cène, le Saint Graal, présent et connu depuis le XIIème ou  le XIIIème siècle. Pendant des siècles, ce précieux objet servit aux autorités de Gênes de garantie pour obtenir des usuriers juifs ou lombards dans les moments de crise des sommes immenses.

 

Les hordes de Bonaparte s’en emparèrent durant la campagne d'Italie, il fut dérobé à la cathédrale et emmené à Paris en 1809, où il fut étudié par une commission de l'Académie des sciences de l'Institut de France qui conclut qu'il était fait en verre coloré et non pas en émeraude. Il fut alors conservé au cabinet des antiques et restitué en 1815. Il est retourné dans le trésor de la cathédrale et ne paraît pas avoir depuis lors fait l’objet d’analyses serrées. Il plane évidemment un doute, mais entre les savants de Bonaparte dont on ne sait trop bien quels critères ils ont conclu à l’existence  d’un cul de bouteille et non d’émeraude et les usuriers levantins qui ont prêté à la république de Gênes des sommes énormes, où situer les compétences sinon chez les joaillers  ?

 

Le rapport de l’Académie des sciences est consternant de légèreté dans la mesure où les auteurs se contentent d’affirmer sans aller plus loin dans l’examen, ni pesée ni examen de densité ni de dureté (« nous croyons devoir borner là notre examen ») que l’existence d’une gemme de cette taille est impossible (le diamètre est de 39,15 centimètres et le périmètre de l’hexagone de 1,21 mètres pour une profondeur intérieure de 12,35 centimètres) alors que le contraire est démontré par les photographies ci-dessus (30). Les plus grosses émeraudes connues d’eux à cette époque, considérées comme énormes, n'excédaient pas 10 à 12 centimètres de longueur sur 3 ou 4 de largeur.

H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.

Citons pour le seul plaisir de nos souvenirs d’adolescents l’énorme émeraude taillée en forme de bonbonnière fermée d’un écrou d’or qui servait au Comte de Monte-Cristo à y conserver ses pilules d’opium (31).

 

 

H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.

Existe-t-il un moyen de déterminer la nature  de ce joyau, émeraude, jade ou jaspe, ce sont des pierres précieuses pour la première, semi précieuse pour les autres de nature et de composition chimique fondamentalement différente.

 

Il existe plusieurs critères, le premier étant la densité de la pierre (32).

 

Le deuxième critère est l’indice de réfraction (33).

H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.

Le troisième est l’indice de dureté de la pierre calculée actuellement  sur l’échelle de Mohs (34).

 

Il existe encore d’autres procédés ou d’autres procédures utilisées par les gemmologues, microscope bien sûr, polariscope, dichroscope, spectroscope, spectrographe de masse, nous entrons dans un domaine qui nous dépasse. Ces examens se dérouleront-ils un jour (35) ?

 

Il est important de noter qu'aucun chercheur à ce jour n'a jamais pu procéder à un examen attentif de l'image.

 

Nous avons au moins une certitude, c’est qu’il est impossible d’affirmer péremptoirement que la statuette a été taillée dans une émeraude (venue des mines de Golconde ?) ou dans un bloc de Jade venu des carrières de Birmanie ou de Chine ? Rien non plus ne permet d’affirmer qu’elle a ou qu’elle n’a pas été ciselée bien avant sa découverte ou sa redécouverte sinon miraculeuse du moins accidentelle à Chiangraï au XVème siècle après un oubli de quelques siècles, un grand saut dans le temps sous un camouflage de stuc probablement destiné à lui éviter les pillages ?

 

La palladium du Siam

 

Il existe en Thaïlande probablement des dizaines de millions de statues de Bouddha, beaucoup en matériaux précieux dont la valeur vénale peut dépasser celle du Bouddha fut-il en émeraude. Pour quelles raisons tous les monarques de la région ont-ils souhaité le détenir dans leur capitale ? Pour quelles raisons devint-il le symbole du pays indépendamment de son origine divine ? Il tient dans le culte officiel et dans la vénération populaire une place dont nulle autre statue n’a jamais bénéficié.

 

Il veille sur la nation thaïlandaise et il est plus qu'un butin de bataille, il est censé apporter la légitimité et la prospérité à tous ceux qui la possèdent. 

H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.

Selon Lingat les raisons en sont purement personnelles : Le Roi Yot Fa de la seconde dynastie lui vouait un culte spécial persuadé de ses pouvoirs surnaturels. Son arrivée à Bangkok a marqué le début et la montée de la dynastie Chakri : Le fondateur de la dynastie considérait comme miraculeux que la statue soit entrée en sa possession si peu de temps avant sa montée sur le trône. L’importance exceptionnelle qu’il y attachait se manifesta dans la place d’honneur qu’il lui attribua dans la chapelle royale et dans le nom qu’il donné à la nouvelle capitale. Il plaça son royaume  sous sa protection, elle servait de témoin à la prestation de serment des vassaux et fonctionnaires. Le couronnement doit avoir lieu en sa présence. Elle était transportée dans la salle du palais où il se déroulait. Le roi Mongkut mit fin à cet usage de crainte de dégradations pendant le transport mais elle est alors fictivement reliée au palais par un cordon de coton.

 

Son parcours fut marqué par plusieurs miracles, ils nous sont contés par Lingat : Le bruit de sa  découverte à Chiangraï parvint aux oreilles du roi de Chiangmaï. Celui-ci ordonna de la transférer dans sa capitale. La statue fut placée sur le dos d’un éléphant blanc qui quitta la ville en grand cortège. Tout au long de la route, elle reçut l’hommage des fidèles. Arrivée dans une ville nommée Jayasaka (?) l’éléphant refusa d’aller plus loin et la statue se fit si lourde qu’il s’écroula sur son poids en poussant d’effroyables barrissements. Le roi comprit que la statue refusait de se rendre dans sa capitale et décida d’un tirage au sort qui fut alors favorable à Lampang. Elle ne put rejoindre Chiangmaï qu’en 1481.

 

Lors de la grande épidémie de choléra de 1820, la statue fut promenée solennellement dans la ville pour conjurer le mal ce à quoi ne parvenaient  pas les cérémonies propitiatoires et ce à quoi parvint la procession.

H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.

Au début de la seconde guerre mondiale, Phibun le 14 Décembre 1942, signa un accord secret avec les Japonais, promettant d'engager des troupes thaïes en Birmanie. Le traité formel d'alliance entre les deux pays fut signé par Phibun et Tsubokami en face du Bouddha d'émeraude, considéré comme l'objet le plus sacré de la Thaïlande.

 

Mais le Bouddha sait aussi se venger de ceux qui osent porter la main sur lui. Lingat cite l’anecdote d’un commerçant qui avait eu l’idée saugrenue de mettre en vente des flacons de parfum ayant la forme de la statue, le bouchon étant constitué  de la tête de Bouddha qu’il fallait donc décapiter pour déboucher le dit flacon. Peu de temps après, il fut victime d’un accident significatif devant la chapelle du palais royal, une automobile le renversa et il fut décapité.

 

Pour les chroniqueurs, les  pouvoirs surnaturels de la statue y furent incorporés lors de sa fabrication, des « Phi » bénéfiques faisant UN avec la pierre. Nous ne devons pas non plus négliger les pouvoirs surnaturels attachés à la matière elle-même bien qu’elle n’explique pas tout : La littérature relative aux pouvoirs magiques que les Asiatiques (et pas seulement eux) attachent à certaines pierres, émeraude en particulier, est surabondante.

H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.

Les origines  de la statuette restent légendaires et incertaines tout au moins avant sa découverte au début du XVème siècle, soigneusement camouflée pour éviter les pillages. L’immense renommée de cette découverte laisse à penser que son existence restait présente dans la mémoire des hommes transmise  par une longue tradition orale plus que millénaire. Tout le reste n’est que suppositions.

 

En ce qui concerne la pierre dans laquelle elle a été ciselée par un artiste à l’immense talent nous ne pouvons évidemment pas nous satisfaire d’affirmations péremptoires… de vérités ou de contre-vérités qui ne sont pas un moyen de preuve. Qu’elle ait été taillée dans une énorme émeraude est une possibilité sans être une certitude. Les trésors des grands royaumes d’Asie que l’on admire dans les musées d’Istambul, de Téhéran, des Indes bien sûr, contiennent de somptueuses émeraudes pour la plupart venues des Indes qui en regorgeait dans des mines dont on a perdu jusqu’à la trace, ce qui est  d’ailleurs un argument en faveur d’une origine indienne. L’interdiction faite à tout profane autre que le roi de s’en approcher, fut-ce pour les ablutions, qui interdit évidemment une analyse  scientifique, ne nous étonne guère : Seul l’archevêque de Laon, duc et pair avait le droit de porter la saint-ampoule et celui de Reims le jour du sacre laquelle fut pendant 1000 ans le palladium de la France.

 

La question de ses pouvoirs surnaturels est intimement liée en la croyance des Thaïs dans toutes les couches de la population dans des êtres surnaturels, y compris les plus cultivées, dont nous avons longuement parlé (32). La foi peut déplacer des montagnes ! Pendant près de 1000 ans notre palladium fut la Sainte ampoule : seule l’onction de l’huile sacrée qu’elle contenait conférait au roi sa légitimité et le pouvoir miraculeux de guérir les écrouelles le jour du sacre.

 

Jamais les rois d’Angleterre ne purent s’en emparer.

H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.

NOTES

 

(1) Elle fut enlevée par Ulysse et Diomède qui s’emparèrent de la citadelle qui l’abritait. Tombée du ciel près la tente d’Ilius lorsqu’il bâtissait la cité d’Ilion (Troie), un oracle lui ordonna de lui consacrer un temple déclarant que la ville serait imprenable tant que la statue ne tomberait pas en des mains ennemies. Voilà qui explique l’acharnement des Grecs à s‘emparer du palladium dès qu’ils mirent le siège devant Troie. Les Athéniens conservèrent à leur tour cette statue qui devint le palladium de leur ville.

H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.

(2) Ce nom n’est pas, comme on le lit trop souvent, le nom de ville le plus long du monde, mais une périphrase de 32 mots comme Paris est « la ville lumière » ou  la Corse « l’île de beauté », l’écriture thaïe ne sépare pas  les mots dans la phrase ce qui rends son apprentissage difficile :กรุงเทพมหานคร อมรรัตนโกสินทร์ มหินทรายุธยามหาดิลกภพนพรัตน์ ราชธานีบุรีรมย์ อุดมราชนิเวศน์ มหาสถาน อมรพิมาน อวตารสถิต สักกะทัตติยะ วิษณุกรรมประสิทธิ์ soit en transcription officielle : Krung Thep Maha Nakhon  Amon Rattanakosin  Mahin Thra Yut Yam Ha Dilok Phop Noppharat  Ratchathani Buri Rom  Udom Rat Niwet  Maha Sathan  Amon Phiman  Awatan Sathit  Sakka That Ti Ya  Witsanukam Prasit. Ce nom signifie : « La ville des anges, grande ville, résidence du précieux joyau,  ville imprenable du Dieu Indra, grande capitale du monde ciselée de neuf pierres précieuses, ville heureuse, riche dans l’énorme Palais royal pareil à la demeure céleste, règne du dieu réincarné, ville offerte à Indra et construite par Vishnukarn ».

 

(3) « Le tour du monde » volume LXVIII, 2ème semestre 1894, article « Bangkok ».

 

(4) http://www.alainbernardenthailande.com/2015/08/a-la-decouverte-du-siam-par-madame-massieu-une-aventuriere-francaise-de-la-fin-du-XIXème.html

 

(5) Isabelle Massieu « Comment j'ai parcouru l'Indo-Chine : Birmanie, États shans, Siam, Tonkin, Laos » 1901.

 

(6) Claudius Madrolle « De Marseille à Canton, guide du voyageur, par Cl. Madrolle, publié par le Comité de l'Asie française : Indo-Chine, canal de Suez, Djibouti et Harar, Indes, Ceylan, Siam, Chine méridionale » 1902.

 

(7) « Voyage d'une Suissesse autour du monde » 1904. 

 

(8) « Histoire du Laos français ».

 

(9) Duangsay Luangphasy « Histoire du Phra Keo Morakot » Vientiane 1996.

 

(10) Equivalent probable et approximatif de 3 millions d’euros 2016.

 

(11) « Description du royaume thaï  ou Siam » volume I, 1854.

 

(12) « The Kingdom and people of Siam », Londres 1857. Ce qui nous fait douter de l’authenticité de la correspondance du roi, c’est tout simplement que celle-ci ne fait aucune référence aux origines quasi miraculeuses de la figurine et que le roi, observateur privilégié, ne fasse pas la différence entre le  jade, le jaspe et l’émeraude ? Lorsque Bowring écrit à Londres en 1857, il n’est plus au Siam et ne risque pas d’encourir la colère du monarque qui tient justement tout ou partie de ses pouvoirs charismatiques de la possession de cette statuette. Le mérite toutefois de l’ouvrage de Bowring, qu’il ait ou non « arrangé » la correspondance royale à sa façon, est d’avoir publié une photographie datée de 1857, assurément la première, de la statuette parée de tous ses atours et coloriée par ses soins. La qualité n’est malheureusement pas au rendez-vous. 

H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.

On peut aussi supposer que le monarque, connaissant la légendaire cupidité des Britanniques qui pillaient systématiquement les trésors des potentats indous, célèbres pour l’énormité de leurs joyaux, a délibérément induit l’anglais en erreur pour éviter que ce pillage n’atteigne son royaume alors qu’il avait probablement une grande confiance en l’évêque qui était son ami ?  Les Indiens sont conscients de ces pillages « Rapatrier le fabuleux et légendaire Koh-i-Noor, diamant de 105 carats... qui orne une couronne fabriquée pour la mère de la reine Elizabeth II d'Angleterre: tel est le projet de personnalités du spectacle et des affaires en Inde qui entendent porter l'affaire devant la justice. Stars de Bollywood et hommes d'affaires se sont regroupés pour demander à des avocats de lancer une action en justice devant la Haute Cour de Londres »,  Voir Le Figaro du 9 novembre 2015 et The Independent de la veille.

H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.

(13) « Le culte du Bouddha d’émeraude » in journal de la Siam society, volume XXVII de 1935, pages 8-38.

 

Celui de la saison chaude et celui de la saison des pluies sont antérieurs à la présente dynastie et ont  été offerts par Phra Phuttha Yot Fa qui régna de 1546 à 1548. Celui de la saison froide, est beaucoup plus récent, offert par Phra Nang Klao (Rama III) qui régna de 1824 à 1851. Le vêtement de la saison chaude est une parure, collier, pendentif, sautoir, bracelet, ceinture, épaulières, genouillères, bijoux d’or, diamants et pierres précieuses, la tête recouverte d’une couronne pointue semblable à la couronne royale en  or, sertie de pierres précieuses à la pointe  ornée d’un gros diamant. C’est le costume d’apparat. Pendant la saison des pluies, la statue est habillée plus sobrement, à la manière des bonzes. Le vêtement consiste en une plaque d’or portant des dessins en relief ornée de rubis, le tout laissant l’épaule et le bras droit découverts. La tête est coiffée d’une perruque d’or émaillée de couleur bleue. Chacune des spirales figurant les boucles des cheveux est sertie d’un saphir. La flamme qui pointe sur le somme de la tête est faite d’or recouverts de divers émaux  colorés. Le vêtement de la saison froide est un « simple » filet de perles d’or posée sur les épaules avec la même coiffure que pour la saison des pluies.

 

 

H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.

(14) Voir l’article de Paul Mus «  Etudes indiennes et indochinoises »  In : Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 28 N°1, 1928. pp. 153 s. « LE BUDDHA PARÉ : SON ORIGINE INDIENNE. ÇÂKTAMUNI DANS LE MAHÀYÀNISME MOYEN ».

 

(15) http://www.merveilleusechiang-mai.com/bouddha-daemeraude-le-13 http://www.merveilleusechiang-mai.com/bouddha-daemeraude-le-23 http://www.merveilleusechiang-mai.com/bouddha-daemeraude-le-33

 

(16) Georges Coedès « Documents sur l'histoire politique et religieuse du Laos occidental ». In : Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient, tome 25, 1925. pp. 1-201.

 

(17) « The Chronicle of the Emerald Buddha » Bangkok Times Press, 1932 et un article de Linat « Notton : The Chronicle of the Emerald Buddha » In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient, Tome 32, 1932. pp. 526-530;

 

(18) « Note sur les ouvrages palis composés en pays thaï » In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient, tome 15, 1915. pp. 39-46.

 

(19) Trois évangiles évènementiels, Saints Marc, Mathieu et Luc, écrivent sous une forme et dans un style différents, les mêmes événements, nul ne songe à parler d’une source unique ?

 

(20) Traduction de Coedès «  Documents sur l'histoire politique et religieuse du Laos occidental » In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 25, 1925. pp. 1-201;

 

(21)  Sur ces pérégrinations voir en particulier François Lagirarde « Un pèlerinage bouddhique au Lanna entre le XVIe et le XVIIe siècle d'après le Khlong Nirat Hariphunchai »in Aséanie 14, 2004. pp. 69-107.

 

(22) Louis Finot  « Recherches sur la littérature laotienne »  In : Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 17, 1917. pp. 1-218;  Un article du site « MerveilleuseChiangmaï » (15) évoque l’hypothétique possibilité d’un retour de la statue à Vientiane entre 1787 et 1828 ?

 

(23) Voir le site des amis du Musée Cernuschi « le Musée des arts de la ville de Paris » qui ne le cède qu’au musée Guimet :

http://blog-comptes.rendus.amis-musee-cernuschi.org/2013/12/05/limage-du-bouddha-dans-linde-ancienne-et-classique-iiie-s-av-j-c-vie-s-apr-j-c-2/

H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.

(24) http://www.buddha-images.com/chiangsaen.asp

 

(25) Relevons simplement que lorsqu’un vénérable moine en 1987, Phra Wiriya décida après une vision céleste de faire tailler un Bouddha dans l’un des matériaux les plus précieux, le jade, il dut faire venir le bloc  d’une mine du Canada et les artistes de Carrare. La statue se trouve au wat Thammamongkon (วัด ธรรมมงคล) à Bangkok.Source : http://pierres-cristaux-mineraux.over-blog.org/article-le-bouddha-de-jade-de-wat-dhammamongkol-bangkok-thailande-56683574.html

H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.

(26) http://www.natgeotv.com/fr/emeraude-plus-grande-monde/description

 

(27) http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/la-plus-grosse-emeraude-du-monde-pomme-de-discorde-entre-etats-unis-et-bresil-890962.html

 

(28) http://www.geoforum.fr/topic/22540-la-plus-grosse-emeraude-au-monde/

(29) « Description de l'Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l'expédition de l’armée française », tome IV à Paris en  1821.

 

(30) G. Hagemans « Notices archéologiques et description raisonnée de quelques monuments de haute antiquité : un cabinet d'amateur », Paris 1865 – Bossi « Observations sur le vase que l’on conservait à Gênes sous le nom de sacro catino », Turin 1807 – « Procès-verbaux des séances de l‘académie des sciences », tome III, Paris 1804-1807.

 

(31) Alexandre  Dumas « le Comte de Monte-cristo », chapitre XL.

 

(32) La densité varie  de 2,67 à 2,78 pour l’émeraude, de 3,30 à 3,38 pour le jade et de 2,58 à 2,91 pour le jaspe. La densité, c’est le poids d’un centimètre cube par rapport à un volume d’eau équivalent. Elle est  facile à déterminer, il suffit de peser la pierre, c’est l’affaire d’une balance de précision, ensuite de la plonger dans un récipient gradué d’eau pure dont la densité est de 1 à 4 degrés et de trouver le volume d’eau déplacé. C’est de la physique élémentaire mais on conçoit difficilement une pesée de la statue (passe encore) et surtout sa plongée dans une quelconque lessiveuse graduée. Comme il peut y avoir coïncidence entre la densité de l’émeraude et celle du jaspe, ce ne sera qu’une première étape.

H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.

(33) Lorsque le rayon lumineux quitte le milieu naturel (l’air) pour pénétrer dans un autre (eau, diamant, émeraude) il subit une légère déviation, le rayon lumineux entre sous un angle et  sort sous un angle différent. Il joue un rôle décisif dans le processus d’identification des pierres gemmes. Il permet d’en mesurer la brillance. Il y  a une échelle d’identification, celui de l‘émeraude varie de 1,565 à 1,602, le jade de 1,652 à 1,688 et celui du jaspe est de 1,54. Il n’y a plus de confusion possible. Comme nous ne sommes plus au temps de l’optique de Descartes, cet indice se mesure facilement à l’aide d’un appareil appelé  réfractomètre.

 

H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.

(34) Mohs est un minéralogiste viennois du 19ème siècle. L’indice qui porte  son nom indique la capacité d’une pierre gemme à résister aux rayures sur sa surface. La dureté s’évalue sur une échelle de 1 à 10, 10 correspond à la dureté la plus forte (diamant) et 1 à la dureté la plus faible (talc). Les degrés de dureté dépendent du minéral choisi. Il ne s’agit donc pas d’une échelle relative, mais bien d’une échelle comparative. Le matériau naturel le plus dur est le diamant, suivi du corindon (rubis et saphir) et de la topaze. Celle de l‘émeraude varie de 7,5 à 8, celle du jade et du jaspe de 6,5 à 7. Pour mesurer la dureté, il faudrait, en principe, disposer d'au moins un échantillon de chacun des dix minéraux de l'échelle de Mohs, ce qui n'est pas forcément très pratique, et, surtout, pas très facile, puisque tout le monde ne peut pas se procurer facilement un échantillon de diamant. Mais le corindon, le numéro neuf sur cette échelle, est le deuxième minéral le plus dur sur terre : il n'existe aucun minéral dont la dureté soit comprise entre 9 et 10, c'est-à-dire un minéral capable de rayer le corindon, et d'être rayé par le diamant : si un minéral raye le corindon, c'est forcément un diamant, et cela ne peut rien être d'autre. Le diamant n'est donc pas absolument nécessaire pour mesurer la dureté d'un minéral. Il existe aussi des pointes de métal numérotées créées spécialement pour cela : chacune a une dureté égale à l’un des minéraux de l'échelle de Mohs. Elles sont très pratiques pour mesurer la dureté, surtout quand le scientifique travaille sur le terrain.            

H 5 – A PROPOS DU BOUDHA D’ÉMERAUDE DU WAT PHRA KEO.

(35) Voir parmi d’autres sites : http://www.juwelo.fr/guide-des-pierres/faits-et-chiffres/

 

(32) Voir notre article 151 «  En Thaïlande, nous vivons au milieu des « Phi ».

 

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9 novembre 2016 3 09 /11 /novembre /2016 22:07
H4- « SUPHASIT PHRA RUANG » OU LES PRÉCEPTES DU ROI RUANG (LITHAÏ) (1347-1368 ENV.)

On connait cet ouvrage sous le nom de « Suphasit Phra Ruang » (สุภาสิต พระร่วง « les proverbes du roi Ruang ») ou encore de « Bannat Phra Ruang » (บัญญติ พระร่วง « les préceptes du roi Ruang ») attribués au potentat de ce nom qui régnait à Sukhothai, la première capitale d'un Siam uni et indépendant pendant la seconde moitié du XIIIème siècle, un vaste empire autonome s’étendant de la partie supérieure de la Maenam à la mer des détroit et de la Salwin au Moyen Mekong.

H4- « SUPHASIT PHRA RUANG » OU LES PRÉCEPTES DU ROI RUANG (LITHAÏ) (1347-1368 ENV.)

Ce recueil est, par les érudits actuels, attribué à Mahathammaracha Ier (มหาธรรมราชาที่ ๑) ou Lithai (ลิไทย) mort en 1368, petit fils de Ramkhamhaeng. Si celui-ci est ou serait le créateur du premier alphabet thaï, le règne de Lithaï voit la naissance d'une littérature nationale (1).

 

 

H4- « SUPHASIT PHRA RUANG » OU LES PRÉCEPTES DU ROI RUANG (LITHAÏ) (1347-1368 ENV.)

Quelques mots sur la littérature de l’époque de Sukhothai  (1238-1377) :

 

Il nous en reste peu de choses mais les œuvres littéraires de cette période ont été conçues pour réaffirmer l'identité culturelle nationale, la stabilité politique et les valeurs spirituelles, les monarques prenant les devants dans la promotion des arts, de la religion et de l'administration. Ainsi, l'inscription du roi Ramkhamhaeng et d’autres plus ou moins contemporaines rapportent le mode de vie de la population à cette époque dans une société agricole régie par une sorte de système de caste. 

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La plupart des œuvres littéraires ont été écrits en prose simple. Les œuvres principales sont l’inscription lapidaire du roi Ramkhamhaeng, l’inscription du  Wat Sichum ...

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et celle du Wat Pa Mamuang

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... le livre des proverbes de Phra Ruang et le Traiphummikatha.

 

La première est considérée comme la première œuvre littéraire thaïe en écriture thaï. Elle rend compte de la vie du roi Ramkhamhaeng le Grand, du mode de vie de la population, de ses lois, sa religion, son économie et la politique générale (2). 

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L'inscription lapidaire du Wat Sichum à Sukhothai est attribuée au Vénérable Phra Maha Sisattha Ratchachulamani, qui, venu de Ceylan, prêchait le bouddhisme à Sukhothai. Gravée entre 1347 et 1374 sous le règne du roi Lithai, elle rend compte de l'origine de la décision de la dynastie de la construction des villes jumelles de Sukhothai et Sisatchanalai, de la construction du stupa contenant les reliques de Bouddha, et de la plantation des arbres sacrés en hommage aux reliques. L’alphabet utilisé est pratiquement similaire à celui de la précédente.

 

Les inscriptions lapidaires du Wat Pa Mamuang à Sukhothai sont probablement les premières œuvres littéraires traduites. Les quatre tables comportent le même message en trois langues différentes: thaï, khmer et pali. Elles ont été gravées autour de 1362. Elles décrivent la construction de monuments religieux et la construction d'un monastère dans la forêt pour le roi Lithai, une retraite pour sa pratique religieuse et l'étude du Tripitaka.

 

Les « préceptes de Phra Ruang » attribués à Lithaï sont une collection de dictons traditionnels siamois nés sous la dynastie Phra Ruang dont Lithaï fut le dernier représentant. Ils reflètent la manière idéale de la vie de l'ancienne société siamoise. Ils sont l’objet de cet article.

 
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Citons enfin le « Traiphummikatha » ou « Traiphum Phra Ruang » (ไตรภูมิกถา / ไตรภูมิrพระร่วง) écrit en 1345 par le roi Lithai. C’est un traité de cosmologie et de philosophie bouddhiste basée sur une étude approfondie de plus de 30 textes sacrés. Il a été écrit en une belle prose riche en allusions et en métaphores. Il n’est pas d’un accès facile. 

H4- « SUPHASIT PHRA RUANG » OU LES PRÉCEPTES DU ROI RUANG (LITHAÏ) (1347-1368 ENV.)

Revenons donc à nos dictons.

 

Un sujet négligé

 

Bien que la langue siamoise ne soit pas moins riche en traditions proverbiale que les autres, il est surprenant de constater combien peu d'attention a jusqu'ici été accordée à ce sujet alors que son intérêt est immense pour le philologue, l’ethnologue l'historien ou le simple curieux qui s’intéresse aux mœurs, opinions, et croyances de ce peuple. Ces cristallisations de la pensée populaire sont des témoignages précieux. L'étude de la gnomique d'un peuple est un moyen d’en appréhender la mentalité dans ses aspects les plus intimes. Fragments négligés de la sagesse locale et précieux documents sur les traditions locales, ils sont l’indice du génie et de l'esprit d'une nation permettant  de découvrir le caractère du peuple, ses modes de pensée et ses façons particulières de vivre, permettant une meilleure compréhension de leurs mœurs et de leurs coutumes, une image que l’on trouve difficilement ailleurs.

H4- « SUPHASIT PHRA RUANG » OU LES PRÉCEPTES DU ROI RUANG (LITHAÏ) (1347-1368 ENV.)

Personne avant Mgr Pallegoix n’avait jamais tenté de présenter une liste de proverbes siamois communs. Mais les proverbes que le prélat nous cite dans sa « Grammatica Linguae thai », dans son dictionnaire, et dans sa description du Siam, peu nombreux, ne semblent pas avoir été toujours choisis parmi les meilleurs (3). Les proverbes siamois ont fait l'objet d'un essai du professeur Lorgeou, consul de France à Bangkok mais nous n’avons pas pu consulter cette monographie (4). Le travail le plus exhaustif, toujours inégalé à ce jour, est celui du colonel Gerolamo Emilio Gerini (5). Son étude volumineuse déborde très largement la question des « préceptes de Phra Ruang » à laquelle nous nous limiterons.

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Ils sont la plus ancienne collection siamoise de proverbes qui a traversé les âges depuis 650 ans. Nous allons y trouver laconisme, esprit caustique, concision, sagesse, perspicacité, bon sens. Elle comporte selon les versions 160 aphorismes, nous n’en citerons qu’une partie mais en suivant la classification de Gerini (6).

 

L’introduction que l’on retrouve sous une forme ou sous un autre est la suivante :

 

« Lorsque le roi Ruang régnait sur le royaume de Sukhothai, il eut une vision claire de l’avenir et a alors donné ses instructions destinée à la terre entière. Chacun doit faire l’effort de les apprendre pour son propre bénéfice et son profit personnel et ne jamais se départir du respect qui leur est dû. Le souverain qui aspirait à l’omniscience a consacré une partie de ses vastes connaissances  à l'instruction de l'humanité ».

 

 

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Quelques dizaines de citations suggestives suffiront à donner en quelques lignes une idée de la morale qu'elles inculquent.

 

Mettons en exergue un aphorisme que Gerini assimile au très orgueilleux « Civis Romanus sum » de Cicéron, caractéristique de cette époque ou le mot « thaï » a le sens de « libre » dans une société hiérarchisée (7) :

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คนเป็นไทยอย่าคนทาส

Khon pen thai ya khon that

« Un homme libre n’est pas un esclave »

 

A cette époque de guerres fréquentes, le monarque énonce une série de préceptes exhortant à une nécessaire vigilance pendant le temps des hostilités et en temps de paix

 

La guerre

น่าศึกอย่านอนใจ

Na suek ya nonchai

« Dans la guerre sois sans pitié ».

เมือเข้าศึกระวางตน

Muea kha suek rawang ton

« Quand tu entres en guerre prends garde à toi »

ที่ทัพจงมีไฟที่ไปจงมีเพือน

Thi thap chong mi fai thi pai chong mi phuean

« A l’armée tu dois avoir le feu sacré et au retour, des amis »

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La fierté et l’honneur

 

รักตนกว่ารักทรัพย์

Rak ton kwa rak sap

« Aime-toi-toi même plus que les trésors »

สู้เสียสินอย่าเสียศักด์

Su sia sinya sia sak

« Sacrifie tes richesses mais pas ton honneur »

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La loyauté et dévotion aux supérieurs

 

อาษาเจ้าตนจนตัวตาย

Asa chao ton chon tua tai

« Sois fidèle à ton prince jusqu’à la mort »

อาษานายจงแรง

Asa nai chong raeng

« Sois fidèle à tes supérieurs avec constance »

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L’obéissance et le respect

 

จงนบนอบผุ้ใหญ่

Chong nop nop phu yai

« Tu dois respecter tes supérieurs »

ตระกูลตนจงค่านัย

Trakun ton chong khanai

« Honneur à ta famille »

ที่รัก อย่า ดูถูก

Thi rak ya du thuk

« Ne condamnes pas ceux que tu aimes »

คนจนอย่า ดูถูก

Khon chon ya du thuk

« Ne méprise pas les pauvres »

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La bonté envers les autres

 

โอบอ้อนเอาใจคน

Op on aochai khon

« Gagne le cœur des autres »

คนโหดให้เอนดู

Khon hot hai en du

« Sois miséricordieux avec les méchants »

ข้าเการ้ายอดเอา

Kha kao ray ot ao

« Pardonne les fautes des vieux esclaves »

อย่า ขุดคนด้วยปาก

Ya  Khut khon duai pak

« N’enterre pas les autres avec ta langue »

อย่าถากคนด้วยตา

Ya thak khon duai ta

« Ne les blesse pas par tes regards »

อย่านินทาท่านผู้อืน

Ya nin tha than phu uen

« Ne calomnie pas les autres »

อย่าไฟ่เอาทรัพย์ท่าน

Ya fai ao sap than

« Ne convoite pas le bien d’autrui »

ได้ส่วนมักมาก

Dai suan mak mak

« Ne convoite pas plus que ta part »

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L’humilité

 

มีสินอย่าอวดมั่ง

Mi sin ya uat mang

« Si tu es riche, ne t’en vantes pas »

อย่าใฝ่สูงให้พ้นศักดิ์

Ya fai sung hai phon sak 

« Ne cherche pas à accéder à de plus grands honneurs »

อย่าตื่นยกยอตน

Ya tuen yok yo ton

« Ne cherche pas à faire tes propres louanges »

ท่านสอนอย่าสอนตอบ

Than son ya son top

« Ne donne pas de leçons à tes professeurs »

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La piété et les vertus

 

สร้างกุสลอย่ารู้โรย

Sang kusonla ya ru roi

« Accomplissez des bonnes œuvres sans relâche »

ปลูกไมตรีอย่ารู้ร้าง

Pluk maitri ya ru rang

« Construisez des amitiés indissolubles »

ท่านรักตนจงรักตอบ

Than rak ton chong rak top

« Réponds à l’amour par l’amour »

ท่านนอบตนจงนอบแทน

Than nop ton chong nop thaen

« Réponds au respect par le respect »

เอาแต่ชอบเสียผิด

Ao tae chop sia phit

« Adopte le bien et rejette le mal »

โทษตนผิดรำพึงอย่าคะนึงถึงโทษท่าน

Thot ton phit ram phueng ya kha nueng thuengthot than

« Blâme tes fautes avant de blâmer celles des autres » (8)

หว่านพืชจักเอาผลเลี้ยงคนจักกินแรง

Wan phuet chak ao phon liang khon chak kin raeng

« Semez et vous récolterez » (9);

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La fermeté dans les projets

 

ผิจะจับจับจงมั่น

Phi cha chap chap chong man

« Ce que tu tiens, tiens le avec force »

ผิจะคั้นคั้นจงตาย

Phi cha khan khan chong tai

« Ce que tu serres, serres le jusqu’à la mort »

ผิจะหมายหมายจงแท้

Phi cha mai mai chong thae

« Quand tu as un but, vas jusqu’au bout » (10).

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La prudence

 

คิดแล้วจึงเจรจา

Khit laeo chueng cheracha

« Réfléchis avant de parler »

อย่าเข้าแบกงาช้าง

Ya khao baek nga chang

« Ne cherches pas à remplacer l’éléphant dans sa tâche »

น้ำเชี่ยวอย่างขวางเรือ

Nam chiao yang khwang ruea

« Quand la rivière est turbulente, ne mets pas ton esquif en travers » (11)

เผ่ากษัตริย์เพลิงงูอย่าดูถูกว่าน้อย

Phao kasatri phloeng ngu ya du thuk wanoi

« Le sang royal, c’est le feu et le serpent, ne le sous-estime pas »

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La frugalité

 

ของแพงอย่ามักกิน

Khong phaeng yamak kin

« Ne convoite pas des nourritures couteuses »

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iLa concorde

 

อย่ายลเยี่ยงถ้วยแตกมิติด จงยลเยี่ยงสัมฤทธิ์แตกมิเสีย

Ya yon yiang thuai taek mitit  chong yon yiang samrit taek mi sia

« N’imite pas la tasse en porcelaine qui, une fois cassée ne peut être recollée mais suis l'exemple de la tasse en  bronze, une fois brisé, elle n’a pas disparu ».

ยลเยี่ยงไก่นกกระทาพาลูกหลานมากิน

Yon yiang kai nokkratha pha luklan ma kin

« Imite la poule et la perdrix qui, lorsqu’elles découvrent de la nourriture, la partagent avec leur progéniture ».

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La politique et la diplomatie

 

หิ่งห้อยอย่าแข่งไฟ

Hing hoi ya khaeng fai

« Quand il y a le feu, ne lutte pas avec le feu »

พบศัตรูปากปราศรัย

Phop sattru pak prasai

« Quand tu rencontres l’ennemi, tiens un discours de paix »

อย่าตีปลาหน้าไซ

Ya ti pla nasai     

« Ne frappe pas le poisson qui va entrer dans la nasse »

อย่าตีสุนัขห้ามเห่า

Ya ti sunak kham hao

« Ne frappe pas le chien qui aboie »

อย่าตีงูให้แก่กา

Ya ti ngu hai kae ka

« Ne frappe pas le serpent pour le compte du corbeau »

อย่ารักลมกว่าน้ำ

Ya rak lom kwa nam

« Ne préfère pas le vent à l’eau »

อย่ารักเดือนกว่าตะวัน

Ya rak duean kwa tawan

« Ne préfère pas la lune au soleil » (12).

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Lorsque des différences se produisent entre un proverbe siamois et son homologue européen, il est intéressant et instructif d'observer comment la même idée a été élaborée et exprimée dans des nations ethniquement si éloignées. Gerini se plaît à tirer la conclusion que la gnomique siamoise, loin d'être  foncièrement divergente de la gnomique européenne, se rencontre plus d'une fois avec elle : dans beaucoup de cas, le sens est le même, l'expression seule diffère ; dans d'autres, le texte siamois est très voisin du texte européen. Proverbes, sentences, aphorismes, adages, apophtegmes, maximes, dictons, maximes des sept sages de la Grèce gravés sur tous les monuments publics d’Athènes, maximes de La Rochefoucaud, proverbes du roi Salomon (le plus ancien collecteur de proverbes !), exprimés en peu de mots sous une forme facile à retenir, furent pendant des siècles l’unique fond intellectuel sur lequel vivait la société. S’ils se ressemblent de façon souvent étrange n’est-ce pas simplement que les règles fondamentales de la sagesse humaine et de la vie en société étaient les mêmes à Rome au temps de Cicéron : « Ne puero gladium dederis » (13) ou à Sukhothaï 1400 ans plus tard : « อย่าให้เด็กเล่นมีดเล่นพร้ » (14).

 

 

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Les origines

 

Plusieurs recensions des dictons attribués au roi Ruang existent avec de nombreuses variantes la plupart du temps insignifiantes. L’une des plus connues a été rédigée lors de la fondation de Wat Pho aux débuts du premier règne de la dynastie actuelle. Cette recension a été gravée, comme beaucoup d'autres textes, sur des dalles de marbre et encastrées dans les murs et les piliers de l'un des nombreux salas qui ornent les cours intérieures de ce monastère célèbre. C’est probablement celle utilisée par Gérini même s’il donne de nombreuses sources imprimées en général du XIXème siècle.

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Certains experts de la littérature soutiennent que cette œuvre littéraire appartient à l'ère Rattanakosin et a ou aurait été améliorée sinon créée dans les débuts de cette époque. Cette contestation qui semble n’être que de morosité iconoclaste a été démontée scientifiquement et au vu d’arguments linguistiques (en thaï) par Madame Chosita Maneesai (โชษิตา มณีใส) professeur de linguistique à l’Université Chulalongkorn (15). 

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Ces contestations relèvent d’ailleurs – ignorance ou mauvaise foi - de l’oubli d’un paramètre essentiel, nous sommes à une époque où la transmission du savoir est orale et peut passer imperturbablement les siècles. Homère a ou aurait vécu au VIIIème siècle avant Jésus-Christ. Les textes homériques ont été transmis par voie orale, chantés par les aèdes. Les premiers fragments écrits les plus anciens datent de la fin du IIIème siècle avant Jésus-Christ, postérieurs de 500 ans, le premier texte complet du Ier siècle après Jésus-Christ.

 

H4- « SUPHASIT PHRA RUANG » OU LES PRÉCEPTES DU ROI RUANG (LITHAÏ) (1347-1368 ENV.)

Qu’y a-t-il alors d’extraordinaire à ce que les textes de Lithaï aient été psalmodiés pendant des siècles avant de trouver un support écrit ?

 

…Et concluons avec Gerini (et Horace !) « Si quid novisti rectius istis, Candidus imperti. Si non, his utere mecum » (15).

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NOTES

 

(1) Voir notre article 30 « Le déclin de Sukhotai sous le règne du roi Lithai ».

(2) Voir l’article de Georges Coédès « Notes critiques sur l’inscription de Ramakhamheng », en réalité une traduction complète in Journal de la Siam society, volume 10 de 1913, pp 1-28

(3) Dans sa « Description du royaume thaï ou Siam » volume I, et dans da grammaire, nous avons relevé, qui ne viennent pas du recueil à une exception près (le premier de cette liste) :

« Ne mettez pas votre barque au travers du courant du fleuve ».

« Quand vous irez dans les bois n’oubliez pas votre couteau ».

 «L’éléphant quoiqu’il ait quatre pattes peut faire un faux pas, ainsi le docteur peut se tromper »version siamoise de « errare humanum est ».

«Celui qui nourrit l’éléphant se nourrit de la fiente de l’éléphant ».

«Si vous montez à terre, vous rencontrerez le tigre, si vous descendez dans une «barque, vous rencontrerez le crocodile ».

«La noblesse dénote l’origine, les mœurs dénotent la personne ».

«Si un chien vous mord, ne mordez pas le chien ».

«Celui qui est sous le ciel, comment peut-il craindre la pluie ? ».

« Un femme sans mari, c’est un cheval sans frein, une maison sans toit, un barque sans gouvernail ».

 « Va lentement et tu arriveras au but ».

« Pour sortir une épine du pied, il faut user un autre épine ».

« Les bonzes font les champs sur le dos de leurs ouailles  (glissé non sans malice).

(4)  E. Lorgeou, « Suphasit Siamois » in Bulletin de l'Athénée oriental, 1881·82. L’année n’est pas malheureusement pas numérisée à la BNF.

(5) « On Siamese Proverbs and Idiomatic Expressions » in Journal de la Siam society, pp 1-158.

Né en 1860, Gerolamo Emilio Gerini rejoint l’armée siamoise en 1861 avec le grade de Lieutenant. Il quitte l’armée en 1863 et devient secrétaire du Ministre des provinces du nord. Il voyage et visite le pays. Il acquiert une parfaite maîtrise de la langue thaï et aussi d'autres langues comme le malais, le birman, le khmer et de nombreux dialectes locaux ainsi que du sanskrit et du pali. Il est l’un des fondateurs de la Siam society. Il meurt en 1913 comblé d’honneur sous le titre de พระสารสาสน์พลขันธ์ (Phra Sarasat Phonlakhan). En 2010, le Commandement de l'Armée de Bangkok, au cours d’une cérémonie solennelle, a érigé son buste à l'entrée de son siège, deuxième italien ainsi honoré, le premier était Corrado Feroci alias Silpa Bhirasri, fondateur de l'Université Silpakorn de Bangkok.

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(6) Le site de Madame Sri Chatsudhi en fait un inventaire probablement complet, en thaï évidemment :

http://www.st.ac.th/bhatips/su_praroung.html

(7) Les matrones du temps de la république romaine se baignaient sans fausse honte nues devant les esclaves qu’elles ne considéraient pas comme des hommes. Le juriste Linguet dans sa « théorie des lois civiles » écrit en 1767 « excepté qu’il ne sait ni mugir ni hennir et qu’à sa mort on ne tire parti ni de sa chair ni de sa peau, il n’y a aucune sorte de différence entre lui et un bœuf ou un cheval ».

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(8) « Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n'aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? » (Saint Mathieu – VII – 3)

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(9) « Ut sementem feceris, ita et metes  « comme vous semez vous récolterez » a dit  Cicéron.

(10) « Certum pete finem » « Viser son but » a dit encore Cicéron.

(11) «Ne mettez pas votre barque au travers du courant du fleuve » a traduit Mgr Pallegoix (3).

(12) « Se il sol mi splende, non curo la luna » « si le soleil brille, je ne me soucie pas de la lune » disent les Italiens. « Il vaut mieux manger des puces que de faire bouillir la lune quand son image se réfléchit dans la marmite » disent les Arabes.

(13) « Pas d’épée aux enfants »

(14) Ya hai dek len mit len phra « Ne laissez pas les enfants jouer avec un couteau ou une machette ».

(15) « สุภาษิตพระร่วง : การศึกษาแง่ประวัติวรรณคดี » (« Étude historique sur Suphasit Phra Ruang ») in วารสารมนุษยศาสตร์และสังคมศาสตร์ (Journal des sciences humaines et sociales) vol. 3.

(16) « si vous pouvez améliorer ces principes, dites-le moi; sinon, joignez-vous à moi pour les suivre ».

 
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2 novembre 2016 3 02 /11 /novembre /2016 22:13
H3. LE CALENDRIER DES JOURS FÉRIÉS, FÊTES CIVILES ET FÊTES RELIGIEUSES EN THAÏLANDE.

Vous trouverez facilement des articles donnant la liste des jours fériés et des fêtes en Thaïlande*, qui permettent à de nombreux Thaïlandais de prévoir leur visite au village des parents, ou aux touristes, leurs vacances, mais peu s’attardent sur leur signification. Un exercice pourtant nécessaire pour ceux qui veulent savoir ce que le roi et la nation thaïlandaise ont retenu comme des « événements majeurs » de leur Histoire.

 

En effet, chaque pays a sa fête nationale,  ses fêtes civiles et religieuses, fériées ou non, à date fixe ou variable, et qui peuvent changer au fil de son histoire.

H3. LE CALENDRIER DES JOURS FÉRIÉS, FÊTES CIVILES ET FÊTES RELIGIEUSES EN THAÏLANDE.

Ainsi en France en 2016, on célèbre 5 fêtes civiles :  le 1er janvier, Jour de l’an, le 1er mai, fête du travail, le 8 mai, fête de la Victoire mettant fin à la seconde guerre mondiale, le 14 juillet, fête nationale commémorant la fête de la Fédération du 14 juillet 1790 qui célébrait la prise de la Bastille l'année précédente, le 11 novembre, jour anniversaire de l’armistice célébrant la fin de la 1ère guerre mondiale ; et 6 fêtes religieuses : le lundi de Pâques (date variable), le jeudi de l’ascension (40 jours après Pâques), le lundi de Pentecôte (50 jours après Pâques), le 15 août, l’Assomption (fête célébrant Marie), le 1er novembre, la Toussaint et le 25 décembre, Noël. On peut aussi ajouter une vingtaine d’autres fêtes civiles non-fériées, auxquelles on pourrait ajouter les fêtes religieuses des différentes religions (Plus d’une vingtaine pour la religion catholique).

 

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Evidemment chaque fête a une origine historique et une histoire particulière et peut être sujette à discussion voire à contestation. Ainsi par exemple pour les fêtes chrétiennes, qui certes ont rythmé la vie en Europe depuis le Moyen Age, au temps où l’Eglise fixait le temps social et où la France était sa « fille ainée »,  mais aujourd’hui le sens se perd (ou est perdu), surtout dans une République qui revendique la laïcité comme une de ses valeurs fondamentales.
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Quant-à la fête nationale du 14 juillet, si elle commémore en France, le passage de la monarchie à la République et symbolise l'union fraternelle de l’ensemble des citoyens français dans la liberté et l'égalité,  elle varie – évidemment - selon l’histoire des différents pays.  Mais pour la majorité, elle marque la naissance de la nation (Cf. le 4 juillet est aux Etats‐Unis «The Independance Day» (Le jour de l’indépendance), le 27 juin  à Djibouti, le 6 décembre en  Finlande, etc.),  mais on peut aussi trouver par exemple la Saint Patrick en Irlande le 17 mars, Saint Georges en Angleterre le 23 avril,  la mort du poète Luis de Camões (1580)  au Portugal le 10 juin, le retour au pouvoir de Khomeini et la chute du Chah en Iran le 11 février (Remplaçant la fête du 1er jour du printemps (Norouz) du 21 mars), etc, 

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... ou le 5 décembre en Thaïlande pour fêter à la fois l’anniversaire de feu le roi et tous les pères du royaume.

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Chacun a donc sa façon particulière ou insolite de fêter l’Histoire de sa nation. Mais outre la fête nationale, chaque nation a d‘autres fêtes civiles ou religieuses. La Thaïlande – elle - a  les fêtes « internationales » comme le nouvel An et la fin de l’année, le 1er mai, la fête du travail,

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... mais surtout celles liées à l’Histoire du pays.

 

Ainsi le 6 avril, célèbre le roi Rama Ier, fondateur de la dynastie Chakri ; le 5 mai, est la Journée du couronnement de feu le roi Bhumibol Adulyadej (Rama IX) ;  le 12 août ; célèbre l’anniversaire de la reine et la Fête des mères ; le 23 octobre, l’anniversaire de la mort du roi Chulalongkorn (Rama V) ; le 5 décembre, l’anniversaire du roi Bhumibol Adulyadej et la Fête des pères ; et le 10 décembre, Journée de la Constitution célèbre le changement de la monarchie absolue en monarchie constitutionnelle en 1932.

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Les autres fêtes officielles sont religieuses et sont liées à Bouddha et au bouddhisme : Makha Bucha (le 22 février 2016) pour rappeler le jour où 1250 disciples de Bouddha se réunirent afin d'écouter ses enseignements ;  

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Le Festival de Songkran est la célébration du nouvel an du calendrier bouddhique. Normalement basé sur le calendrier lunaire, les dates de la fête de Songkran sont aujourd’hui fixes, elle a lieu tous les ans du 12 au 15 avril, et sont des jours fériés. Pour certaines villes, les dates peuvent variées. A Chiang Maï, le festival de Songkran peut commencer plus tôt, mais il dure également plus longtemps que dans les autres villes. Visakha Bucha, au mois de mai (20 mai 2016), fête l'anniversaire de la naissance, de l'illumination et de la mort de Bouddha

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Asana Bucha fêté lors de la pleine lune du 7ème mois (le 19 juillet en 2016) commémore le premier sermon de Bouddha et marque le début du carême. 

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Khao Phansa  commence le lendemain de la fête Asalha Pucha, et se termine le lendemain de la pleine lune du onzième mois. Cette tradition  remonte à l’interdiction faite aux moines par Bouddha de voyager durant la saison des pluies, par peur qu’ils nuisent involontairement à la végétation et aux insectesPendant trois mois, les moines sont en retraite. De nombreuses ordinations sont célébrées à cette occasion.

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Les fêtes religieuses revendiquent donc que la nation thaïlandaise est bouddhiste, même si les différentes constitutions n’ont jamais voulu la déclarer comme « la religion nationale du pays ».**

 

 

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Il y a évidemment beaucoup d’autres fêtes dont les plus populaires sont le  Nouvel an chinois, fin janvier ou février, selon le calendrier lunaire, célébré tous les ans en Thaïlande par la majorité de la population et le Loy Krathong,  pour la pleine lune de novembre, et à la fin de la saison des pluies, événement durant lequel les Thaïlandais remercient Mae Konkha, la déesse des eaux, pour sa générosité pendant la mousson…

 

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Pour célébrer tous ces évènements, les Thaïlandais suivent trois calendriers : le calendrier bouddhique, le calendrier chinois, le calendrier chrétien et le calendrier musulman dans les provinces musulmanes du sud. 

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De manière générale, les fêtes populaires et religieuses sont basées sur le calendrier lunaire, alors que les fêtes officielles ont lieu à des dates fixes.

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On peut donc constater que les fêtes civiles de Thaïlande ont pour objectifs de légitimer la dynastie Chakri avec son fondateur Rama Ier, le roi Chulalongkoron (Rama V),  le père de la nation, et feu le roi actuel, Rama IX, dont on fêtait le 5 mai, son couronnement, le 5 décembre son anniversaire, sans oublier la reine dont on fête également l’anniversaire le 12 août. Par contre, la fête du 10 décembre rappelle qu’en ce jour de 1932, la monarchie absolue devenait une monarchie constitutionnelle.

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Certes, l’histoire du royaume de Siam ne commence pas avec la dynastie Chakri, mais la « nation » thaïlandaise est née sous son ère, et le roi actuel, Rama IX, en est le 9ème représentant.

 

Rama Ier, le fondateur de la dynastie.

 

Il a fallu évidemment des circonstances « exceptionnelles » pour qu’un homme nommé par le roi d’Ayutthaya gouverneur de Ratchaburi en 1758  devienne le fondateur d’une dynastie le 6 avril 1782.

 

Il a fallu pour cela que les Birmans rasent la capitale d’Ayutthaya en avril 1767, qui allait mettre fin au royaume qui avait vu 34 rois se succéder depuis 1351. Il  a fallu que Praya Chakri  devienne l’un des deux généraux les plus proches de Taksin, qui de gouverneur de Tak allait reconquérir Ayutthaya le 7 novembre 1767, soit  8 mois après sa chute, fonder une nouvelle capitale à Thonburi, se faire couronner roi de Siam le 28 décembre 1768, réunifier le pays et  reproduire la cour d’antan, avec son protocole, sa hiérarchie, son étiquette, son administration.  Il a fallu  que le général Praya Chakri, se distingue lors de nombreux combats, tout en restant proche du roi, jusqu’à devenir l’homme le plus puissant du royaume. Il a fallu qu’il  « profite » d’un coup d’Etat  organisé par Phra Sun, pour prendre le pouvoir en éliminant  le roi Taksin le 6 avril 1782 et se faire couronner le 7 avril 1782 et régner jusqu’à sa mort  le 7 septembre 1809. Nous vous avons raconté son règne et les règnes des rois suivants de la dynastie Chakri dans « notre » histoire de Thaïlande.

H3. LE CALENDRIER DES JOURS FÉRIÉS, FÊTES CIVILES ET FÊTES RELIGIEUSES EN THAÏLANDE.

Le roi Chulalongkorn (Rama V) (1868-1910), le Père de la Nation.

 

 Nous avons consacré plus de 15 articles au long règne du roi Chulalongkorn (46 ans !) qui nous ont permis de comprendre pourquoi il fait l’objet d’un véritable culte en Thaïlande et est considéré comme le père de la Nation.

 

Il est déjà le roi qui a réformé et modernisé le royaume dans tous les domaines : l'administration unifiée et centralisée, le système d’impôts, la justice, les codes du pénal et du commerce, les travaux publics et les infrastructures (canaux, chemin de fer, lignes télégraphiques et téléphoniques, eau, etc.), la poste, l’éducation, les écoles primaire, secondaire, les écoles de droit, de médecine, des mines, de gendarmerie, de police, des arts et métiers, de commerce, etc. Il a de fait  transformé la société traditionnelle et posé les fondations d'un Etat moderne. Il est également toujours présenté comme le roi qui a mis fin à l’esclavage et qui a évité la colonisation de son pays. Le superlatifs ne manquent pas et sont fondés.

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Mais la fête fériée du 23 octobre, célèbre avant tout le « Père de la Nation ».

 

Nous avons maintes fois rappelé les circonstances historiques qui ont conduit le roi Mongkut (Rama IV. 1804-1868), puis ensuite le roi Chulalongkorn, son fils,  « à fonder la nation »  pour lutter contre les appétits coloniaux des Français et des Britanniques et préserver au mieux les territoires siamois.

 

Il fallut prouver que le Siam était une grande nation dont l’origine remontait à la fondation du royaume de Sukhothaï  en 1238 par le roi Si Intharathit. Le roi Mongkut – nous l’avons dit - découvrit « heureusement» la stèle de Ramkhamhaeng de 1292 qui  montrait aux occidentaux colonisateurs,  l'antiquité de la nation thaïe et celle des frontières du royaume, et  le haut degré d'organisation de la société thaï du XIIIème siècle sous l’autorité bienveillante du roi. (Cf. 19. Notre Histoire : La stèle de Ramakhamhèng (fin du XIIème ou début du XIIIème ?)**

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Il fallut « écrire » une histoire nationale, avec ses mythes, ses symboles, ses héros et  héroïnes, pour fonder la politique nationaliste.

 

« Rama IV et Rama V  durent  changer leur conception de leur pouvoir sur les provinces conquises du Laos et du Cambodge  face à la politique coloniale britannique et française. Il fallait désormais « moderniser » l’Etat, légitimer comme territoires siamois ce qui était hier des pays vassaux. Il fallut, face à la menace coloniale, faire reconnaître ses frontières. (Cf. Nos articles sur la question des frontières ***)

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Il fallut de fait établir et faire reconnaître une nouvelle souveraineté ;  créer une nation fondée sur une langue commune, des valeurs et une culture, promouvoir le nationalisme. Nous avions dans notre article sur le   «  nationalisme thaï ? » présenté quelques éléments de ce processus d’unification de la nation thaïlandaise engagé par le roi Chulalongkorn, basé sur l’appartenance ethnique thaïe et sur la fidélité et la soumission au Roi. « Cette politique fut intensifiée par son successeur le roi Rama VI (1910-1925) lui-même éduqué en Angleterre et conscient sinon imprégné des mouvances nationalistes européennes ou japonaise. Il donna au nationalisme thaïlandais une dimension culturelle et mis en avant le principe de « Thaï-ness » : modèle culturel issu des caractéristiques communes aux ethnies thaïes censées constituer le nationalisme. Les trois piliers du nationalisme thaï devenaient : « le roi, la nation et la religion bouddhiste» avec son idéologie, la Thainess. (Cf. Nos articles sur le sujet ****)

 

Après la révolution de 1932 qui établissait la monarchie constitutionnelle, de nombreux 1ers ministres poursuivirent l’œuvre du nationalisme siamois, pour laquelle  on peut distinguer le maréchal Phibun qui donnera une nouvelle couleur au nationalisme thaï. Il changera le nom du pays, pour faire du Siam le Prathétthaï, la Thaïlande ; instaurera le nouvel hymne national, etc. Le nationalisme sera ensuite un axe majeur de la politique du  militariste Sarit Thanarat (1957-1963), du  maréchal Thanom Kittikachorn (1963-1973) et du nationaliste virulent Thanin Kraivichien (1976-1978) et d’autres 1er ministres par la suite …

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La Nation est désormais pour ceux qui se considèrent Thaïlandais une valeur essentielle, une partie inaliénable de leur identité.  Elle est en tout cas pour le royaume l’occasion de le reconnaître officiellement le 23 octobre avec l’hommage rendu au roi Chulalongkorn.

 

Le roi Bhumibol Adulyadej (Rama IX) et la reine. 

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Le royaume célèbrait donc officiellement le roi actuel, Rama IX,  le 5 mai pour rappeler la Journée de son couronnement (5 mai 1950) ; 

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et le 5 décembre son  anniversaire (5 décembre 1927).

 

Il est naturel que dans une royauté on puisse fêter solennellement le roi. Et cela est encore plus évident quand on connait un peu l’histoire de ce pays.

 

Jusqu’au 10 décembre 1932, la Thaïlande fut une monarchie absolue, où les rois devenaient lors de leur couronnement les maîtres absolus dans le monde des humains, « Le Saint Suprême Souverain Roi des Rois, Éminent Seigneur Rama, L'Unique Glorieux Omniscient, Shiva, le Suprême et Grandiose Conquérant du Monde, Rama Régnant, Éminent Seigneur des Lois et des Royaumes, Glorieux et Éminent Seigneur de la Création, Préservation et Conservation de la Montagne Cakkrawan, Éminent maître du Soleil Agni, Glorieux, Merveilleux et  Étendu Mérite, Agni le Génial et Brillant, Soleil des Trois Mondes, Puissance de Brahma, Maître des Dieux, Seigneur des Dieux sur Terre, Atmosphère Précieuse de la Race Humaine, etc… ». La liste est plus longue.

 

Mais s’il incarnait : Brahma, Shiva, Bouddha, Agni, etc, il avait effectivement tous les pouvoirs, « Le roi à  Ayutthaya, est  en sa qualité de devarâja, le dieu-roi hérité de la tradition khmère, le « Seigneur de la Vie » (Chao Chiwit), et commande en principe à tous les êtres, humains et autres, du royaume. Il est  aussi Chao Phendin, « le Maître de la Terre ». Autrement dit,  la terre du royaume appartient au souverain, et ses sujets qui l’exploitent n’en ont que l’usufruit. Le souverain  dispose donc  en maître absolu des biens fonciers, de son droit d’octroyer ou de confisquer les terres, de son droit de percevoir l’impôt sur toutes les terres. Il incarne l’Etat. » (In Notre 48. La sakdina, le système féodal du Siam ?)

 

S’il y eut une évolution, surtout avec les rois Mongkut et Chulalongkorn, rois plus éclairés, ils demeuraient néanmoins des monarques absolus et bénéficiaient encore du prestige ancien et des pouvoirs très importants. La coupure se fit avec la « révolution » de 1932 qui établira une monarchie constitutionnelle, mais néanmoins le 1er chapitre de la Constitution du 10 décembre 1932 déclarera que la personne du  roi était sacrée et inviolable, le mainteneur de la religion bouddhiste, le chef des forces siamoises, qu’il exerce le pouvoir législatif sur l'avis et avec le consentement de l'assemblée des représentants du peuple, le pouvoir exécutif par l’intermédiaire du Conseil d'Etat, le pouvoir judiciaire par l'intermédiaire des tribunaux dûment établis par la loi, etc.  (Cf. Son analyse in 189.1 et 189.2)

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Ce pouvoir sera maintenu dans les autres constitutions et  même dans celle approuvée par référendum le 7 août 2016, qui reprenait les articles de la Constitution « démocratique » de 1997, dans laquelle, la personne du roi  doit faire l’objet de vénération et est inviolable, qu’il est bouddhiste et défenseur des religions , chef des armées, etc. Mais aussi et ce n’est pas rien « qu’il est interdit de l’exposer à quelque accusation ou action (judiciaire) que ce soit », entendons le crime de lèse-majesté, largement utilisé par la junte actuelle.

 

Mais, si Rama VI signe la Constitution du 10 décembre  1932, qui instaure une monarchie constitutionnelle et parlementaire, il ne put supporter la perte de ses pouvoirs effectifs et abdique le 2 mars 1935 ; N’ayant pas d’héritier mâle,  

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l’assemblée désigne Ananda Mahidol comme le futur roi. Mais  il a alors 10 ans et vit en Suisse. La régence est instituée et désormais la politique du royaume est menée par les 1re ministres. Le roi Rama VIII ne reviendra au Siam que pour un séjour de deux mois du 15 novembre 1938 au 13 janvier 1939. Il a alors 13 ans.  Il y retourne en décembre 1945  pour décéder le 9 juin 1946 à l'âge de 21 ans. On le retrouve dans  sa chambre avec une balle dans la tête et une arme une arme dans la main.   Accident ? Suicide ? Crime ? Les circonstances sont encore très obscures à ce jour.

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Un Conseil de régence présidé par le prince Rangsit (พระองค์เจ้ารังสิต), le 52ème fils du roi Chulalongkorn, oncle du roi, nomme le frère cadet du roi défunt, le prince Bhumibol Adulyadej comme nouveau roi ; Celui-ci poursuit ses études en Suisse et ne revient en Thaïlande qu’en 1950. Il se marie le 28 avril avec celle qui deviendra donc la reine Sirikit le 5 mai 1950, lors de son couronnement.

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Mais il revient durant le « régime » autoritaire du maréchal Phibun, après le coup d’Etat pacifique du 8 avril 1948 et qui le gardera 9 ans et 5 mois jusqu’à un autre coup d’Etat le 16 septembre 1957. Une période durant laquelle Phibun va surtout promouvoir son propre culte et remplacer la photo du roi par la sienne. Aussi quand le maréchal Sarit s’empare du pouvoir le 16 septembre 1957, la position royale est sans équivoque :

 

« Compte tenu du fait que le gouvernement du maréchal P. Phibunsongkhram a été incapable de gouverner avec la confiance du peuple et  qu'il a été incapable de maintenir la paix et l'ordre, le Groupe militaire dirigé par le maréchal Sarit Thanarat a pris le pouvoir. Celui-ci a assumé les fonctions d’administrateur militaire spécial pour Bangkok. Nous demandons à la population de rester pacifiques et à tous les fonctionnaires du gouvernement de suivre désormais les instructions du maréchal Sarit Thanarat ». (Cf. Notre article 220).

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Dès lors le gouvernement du maréchal Sarit (9/02/59-08/12/63) va restaurer le culte monarchique, soutenu d’ailleurs financièrement par les Américains qui voyaient là un bon rempart contre la menace communiste et un facteur de stabilité pour le royaume. On organisa le culte du roi, les photos du roi furent mises au sein de chaque foyer ; l’éducation nationale et les médias purent  saluer quotidiennement les multiples talents du roi, toutes ses activités menées en faveur du développement des zones défavorisées du royaume, etc.  Il va non seulement acquérir une réelle popularité au sein de la population thaïlandaise et retrouver le prestige royal d’antan, jusqu’à être considéré pour beaucoup comme un demi-dieu.

 

De plus, aidé la loi contre le lèse-majesté, il a su passer pour un sage qui sait intervenir quand il le faut, lors des nombreux coups d’Etats qu’a connu le pays.

 

Dans notre article « A 50. Clés pour comprendre la politique en Thaïlande. » reprenant l’article de Jean Baffie, « Une « démocratie » entre populisme et défiance envers le peuple : La politique en Thaïlande depuis la Seconde Guerre mondiale » (in Thaïlande contemporaine)*****, nous nous étions déjà interrogé sur le pouvoir politique du roi et de son Conseil privé.

 

« Même si le roi est vénéré et a un réel prestige  personnel, il bénéficie de la loi du lèse-majesté (beaucoup utilisé depuis 2006) pour faire taire toute critique virulente ou toute analyse le mettant en cause.

 

On lui reconnait des interventions politiques essentielles à certaines périodes sombres de l’histoire politique thaïlandaise, comme  celle du 14 octobre 1973 : « le roi demanda et obtint la démission des maréchaux Thanom Kittikachorn et Praphas Charusathien, respectivement Premier ministre et ministre de l’Intérieur ». Il nomma comme premier ministre, un de ses conseillers royaux .Il interviendra de même le 8 octobre 1976, après un nouveau massacre d’étudiants en nommant Thanin. Mais nous dit Baffie, « l’action la plus marquante du souverain reste, dans l’esprit du peuple, la rencontre du 20 mai 1992 », où il sermonna le premier ministre et le leader des manifestants en public (Suchinda et Chamlong), responsable de la mort de nombreux manifestants, et mis en place deux de ses conseillers privés, Sanya et le général Prem,  au poste de Premier ministre. Il est dit que le général Prem, redevenu conseiller du roi,  joue actuellement un rôle essentiel depuis 2001, dans  la politique du pays. »

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Mais nous dit Baffie, si trois conseillers sont devenus premiers ministres ou que le général Surayud , premier ministre de 2006 à 2008, est devenu Conseiller royal, « Toute la question est de savoir si les conseillers royaux sont de simples représentants -des instruments- d’un souverain en principe « au-dessus de la politique », ou s’ils disposent d’une réelle part d’autonomie ». Eh oui, c’est une clé essentielle à saisir. Toutefois la « guerre  » ouverte entre le conseiller Prem (très proche de la reine) et l’ancien premier ministre Thaksin,  était de notoriété publique. (Etait-ce une lutte entre le pouvoir royal menacé et le nouveau pouvoir « démocratique »  issu des urnes de Thaksin ? En tout cas le coup d’Etat du 19 septembre 2006 mené par le général Sonthi contre Thaksin fut  légitimé dès le lendemain par un décret royal. (Un décret royal légitimant le renversement d'un gouvernement légitime !)

 

De toutes façons, le roi, de par la Constitution, doit faire l’objet de vénération et est inviolable, qu’il est bouddhiste et défenseur des religions, chef des armées, etc ; et  qu’il est -de fait- vénéré et le père de la Nation.

 

Les jours d’anniversaire de feu le roi (Le 5 décembre)  et de la reine (Le 12 août) coïncident également  avec la fête de tous les pères et de toutes les mères  du royaume.

 

C’est évidemment une idée politique géniale qui ne peut que renforcer le lien affectif qui unit le peuple à leur roi et reine. Mais cette décision a une histoire puisque la fête des mères liée à l’anniversaire de la reine ne  fut instituée qu’en 1976 et celui de la fête des pères liée à l’anniversaire du roi en 1980. (Cf. Un bref historique pour la reine sur le blog de Patrick******)

 

La fête du 10 décembre Journée de la constitution de 1932, qui célèbre le changement de la monarchie absolue en monarchie constitutionnelle.

 

Cette date est si importante que nous lui avons déjà consacrée un article intitulé justement « Le 10 décembre, un jour férié pour « le jour de constitution » en Thaïlande.  (Cf. Nos articles consacrés aux constitutions en note *******)

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De même que  nous avons déjà – bien entendu - présenté cette « révolution » de 1932 dans «notre » histoire de la Thaïlande. Dans notre introduction de l’article intitulé « Le coup d’Etat du 24 juin 1932 au Siam. », nous disions :

 

« Nous avions vu dans un article précédent que la crise économique mondiale avait eu des effets importants sur la situation sociale des fonctionnaires, des militaires, des salariés et des masses rurales du Centre du Siam, mais que cette crise n’avait provoqué aucun mouvement collectif de mécontentement ou de protestation. Les cérémonies de célébration d’avril 1932, du 150ème anniversaire de la  fondation de Bangkok s’étaient bien déroulées au milieu de la liesse populaire.

 

Ils étaient peu nombreux alors à penser à un renversement de régime et encore moins à savoir qu’un coup d’Etat aurait lieu le 24 juin 1932, qui allait mettre fin à la monarchie absolue et instaurer une monarchie constitutionnelle.

 

Les sources sont nombreuses qui racontent cette date historique, et nous en  avons déjà maintes fois donné les éléments importants. (…) Mais il nous fallait bien – en abordant le règne de Rama VII (1925-1935) -  revenir sur cet événement capital qui a changé le cours de l’Histoire de la Thaïlande.

 

Il nous a paru intéressant de vous présenter deux versions différentes, voire deux récits de ce Coup d’Etat de 1932. Le premier est de Pierre Fistié relaté dans son livre « L’évolution de la Thaïlande contemporaine », et le second sera une version remaniée de l’article intitulé alors  « A.68  Il y a 80 ans en Thaïlande,  le 24 juin 1932, coup d’Etat ou  complot ? » ; un récit qui s’inspire de l’article de Robert Lingat, correspondant de l'Ecole française d'Extrême-Orient au Siam, intitulé « Instauration du régime constitutionnel ».

 

Il en est de même pour la Constitution  du 10 décembre 1932, que nous vous avons présentée en deux articles : 189.1 et 189.2  « La constitution du 10 décembre 1932. 

 

Depuis, il semble que les coups d’Etat  soient devenus  le moyen « démocratique » de gérer le pays et les constitutions, une tradition thaïe, puisque le pays a déjà vu 19 coups d’Etat (au moins), avec le dernier en date le 22 mai 2014 et 16 constitutions (ou 18 chartes selon certaines sources), dont la dernière a été approuvée par référendum le 7 août 2016. (Cf. Notre article A219. « Que penser du référendum du 7 août 2016 et A.5 : Une tradition thaïe : chartes et coups d’Etat ?)*******

 

Cela valait bien une fête nationale !

 

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Notes et références.

*Le Petit Journal du lundi 29 août 2016 : « CONGES - La Thaïlande 3éme pays au rang des jours fériés!,  C.V. » (http://www.lepetitjournal.com/bangkok)   

http://www.guidethailande.fr/activites/festivals-et-evenements/#asalha-puja

***http://www.alainbernardenthailande.com/article-19-notre-histoire-la-stele-de-ramakhamheng-101595328.html

 « Le Siam et ses frontières. (http://www.alainbernardenthailande.com/article-11-le-siam-l-isan-et-ses-frontieres-72124773.html).

Voir comment nous avions été surpris en lisant les « NOTES SUR LE LAOS », d’Etienne Aymonier qu’il décrivait en fait en 1885 notre Isan comme un territoire lao..

http://www.alainbernardenthailande.com/article-11-l-isan-etait-lao-au-xix-eme-siecle-72198847.html

14. Les nouveaux mythes thaïs : les héros nationaux.

.http://www.alainbernardenthailande.com/article-14-les-nouveaux-mythes-thais-les-heros-nationaux-98679684.html

****http://www.alainbernardenthailande.com/article-article-9-vous-avez-dit-nationalisme-thai-66849137.html)  

Pour la Thainess : Cf. notre article 36. « La thainess ? « LA » clé pour comprendre la Thaïlande moderne »

http://www.alainbernardenthailande.com/article-36-decouvrir-l-isan-la-thainess-la-cle-pour-comprendre-la-thailande-85398764.html)

*****http://www.alainbernardenthailande.com/article-a-50-cles-pour-comprendre-la-politique-en-thailande-90647687.html

 ****** Blog de Patrick : « Le 12 août, jour anniversaire de la Reine Sikirit, coïncide aussi avec la fête de toutes les mères du Royaume.

 

Les Thaïlandais offriront à leur maman un bouquet de jasmin.  La blancheur de la fleur de jasmin rappelle la pureté de l'amour d’une mère pour son enfant, l’intensité du parfum en illustre la force, et le fait que cette fleur s’épanouie toute l’année suggère l’éternité de cet amour. Cette fête est aussi commémorée dans les écoles où l’on ressent beaucoup d’émotion entre l’enfant et la mère

 

Des débuts difficiles avant que la reine n'y soit associée

 

La fête des mères est apparue pour la première fois en Thaïlande le 10 mars 1943. Elle avait alors été instaurée par le ministre de la Santé publique qui se serait inspiré de la fête de mères aux Etats-Unis. Mais le contexte de la seconde guerre mondiale rend difficile l’adoption par le peuple de cette nouvelle fête qui tombe aussitôt aux oubliettes.

 

En 1950, le gouvernement thaïlandais cherche à nouveau à promouvoir la fête de mères et la place sur le calendrier au 15 avril. Mais là encore, c’est un échec. C’est finalement en 1976 que le Conseil national de l’Assistance Sociale de Thaïlande, sous le patronage du Palais Royal, déclare le 12 août, jour de l'anniversaire de Sa Majesté la reine Sirikit, comme la journée de toutes les mères.

 

L’année suivante, le ministère de l'Education publie un livre intitulé « La mère de tous les Thaïlandais », démontrant que  la reine Sirikit agit telle la mère du peuple thaïlandais. L’ouvrage passe en revue les actions menées par la reine pour venir en aide aux Thaïlandais, notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé, aux côtés de l’amour et de la tendresse maternelle qu’elle manifeste pour ses propres enfants. La reine Sirikit s’attache également à ce qui touche à la préservation des arts et de la culture thaïlandaise pour cultiver la fierté nationale de ses sujets.» http://udonthani-en-isan.over-blog.com/article-34853408.html

 

 

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5 octobre 2016 3 05 /10 /octobre /2016 22:05

Peinture murale du temple de Wat Phumin (วัดภูมินทร์) à Nan : 

H 2 - L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 : II – LE PROCÉS : JUSTICE DES VAINQUEURS OU JUSTICE  DE CONCUSSIONAIRES ?

 

II – LE PROCÉS : JUSTICE DES VAINQUEURS OU JUSTICE  DE CONCUSSIONAIRES ?

 

H 2 - L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 : II – LE PROCÉS : JUSTICE DES VAINQUEURS OU JUSTICE  DE CONCUSSIONAIRES ?

L'année 1892 a marqué un tournant dans l’histoire du colonialisme français. On constate  l'émergence d'un électorat français de plus en plus préoccupé par les questions coloniales. Le parti colonial s’agite pour envoyer des forces de police occuper les territoires laos tributaires du Siam. La doctrine qui finit par triompher fut celle de Charles Le Myre lui-même conseillé par le Comte de Kergaradec, Consul à Bangkok : nous ne pouvions étendre notre domination sur l'ensemble de la rive gauche du Mékong, «  occupée » par les Siamois soutenus par l'Angleterre, qu'en nous référant aux droits de l'Annam sur lequel notre protectorat était déjà reconnu. 

H 2 - L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 : II – LE PROCÉS : JUSTICE DES VAINQUEURS OU JUSTICE  DE CONCUSSIONAIRES ?

Une fiction à laquelle d’ailleurs Pavie ne croyait pas un mot.

 

La campagne prend une tournure inattendue quand l’Inspecteur de la Garde Civile Gustave Grosgurin est tué à Kham Muon. Cette disparition fouette le parti colonialiste pris d’une frénésie nationaliste, l’incident fait pendant un mois la « une » de toute la presse française, si bien qu’un article spécifiquement liés à l'incident fut inséré dans l'un des deux traités d’octobre 1893 qui ont marqué la fin des hostilités entre la France et le Siam, l’article III : « Les auteurs des attentats de Tong-Xieng-Kham et de Kammuon [Khammuan] seront jugés par les autorités siamoises; un représentant de la France assistera au jugement et veillera à l'exécution des peines prononcées. Le Gouvernement français se réserve le droit d’apprécier si les condamnations sont suffisantes, et, le cas échéant, de réclamer un nouveau jugement devant un tribunal mixte dont il fixera la composition ».

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Dispositions singulière : si le territoire sur lequel Grosgurin a été tué le 5 juin 1893 était tributaire de l’Annam, c’était la procédure applicable à l’Annam qui devait jouer, l’affaire devant être examinée par la Cour d’appel de Saigon statuant comme Cour criminelle de façon à peu près similaire à une Cour d’assises de métropole avec toutes sortes de garanties procédurales, dont les décisions sont soumises à un pourvoi en cassation et éventuellement au droit de grâce du Président de la république.

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Si Grosgurin a été tué sur un territoire siamois, c’est bien la justice siamoise qui est compétente, celle-là même dont les Français cherchaient à tout prix à éviter à leurs « protégés » compte tenu de son caractère alors archaïque et brutal ?

 

Les négociations sont conduites par Le Myre auquel le ministre Develle a enjoint d’éviter  « une attitude de bienveillance » pendant les négociations. Le Myre ne fait aucun secret de son intention d'imposer des mesures « très dures » aux Siamois, considérant que toute négociation est une perte de temps. Comment va-t-on régler la question de l’affaire de Kham Muon ? Les discussions furent âpres avec le Prince Devawongse. Le Myre propose de traduire le mandarin devant une commission mixte franco-siamoise à prépondérance français. Les Siamois, sans illusions, suggèrent la création d’une « Cour mixte internationale » présidée un juge neutre, américains ou néerlandais et des magistrats anglais de Singapour en présentant toutes garanties d'impartialité. Devant l’intransigeance française, il ne resta plus au roi qu’à signer un arrêté créant un « Tribunal spécial et temporaire » pour juger Phra Yot.

H 2 - L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 : II – LE PROCÉS : JUSTICE DES VAINQUEURS OU JUSTICE  DE CONCUSSIONAIRES ?

Tout en étant persuadés que celui-ci finirait devant des Juges français, les Siamois font alors des efforts considérables pour concevoir une cour de justice devant appliquer la législation siamoise mais au vu de règles de procédure inspirées de l'Angleterre. Le Tribunal sera composé de six juges et d’un président ayant tous pouvoirs pour convoquer des sujets nationaux ou étrangers, contraindre les sujets siamois à témoigner ou produire des documents, et en général à prendre les mesures appropriées pour éclairer la conscience de la Cour. L'accusé avait droit à l'assistance d'un ou plusieurs avocats, ainsi que celui de fournir une réponse complète aux accusations, de contre-interroger les témoins de l'accusation, de produire des témoins et des preuves pour sa défense, et d'avoir « le droit au dernier mot ». 

H 2 - L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 : II – LE PROCÉS : JUSTICE DES VAINQUEURS OU JUSTICE  DE CONCUSSIONAIRES ?

Il aura également droit à un interprète pour tout élément de toute preuve portée contre lui dans une langue qu'il ne comprendrait pas. L’arrêté royal autorise également un représentant désigné par le gouvernement français à conférer avec le procureur siamois sur le contenu de l'acte d'accusation, demander qu'un témoin soit entendu, bref à participer au bon déroulement de la procédure.

 

Le Dr John MacGregor, un officier anglais du Service médical indien, de passage au Siam a assisté  au procès et le décrit dans ses mémoires.

 

« La salle du tribunal, où l'affaire a été jugée, était l'un des grands bâtiments publics dans l'enceinte de la ville fortifiée mais une relativement petite chambre pour une  si grande épreuve. Sur une  estrade élevée sont assis les six juges siamois, présidé SAR le Prince Bitchit. A droite de la Cour sous un dais est assis l'avocat français, le consul français, et un expert juridique français venu de Saigon. A gauche de la cour et faisant face à la partie française sont assis les plaideurs, consistant en un anglais et un avocat Cinghalais, tandis que l'ex-précepteur du prince héritier jouait le rôle d'interprète. Derrière les juges était le Bureau des greffiers avec trois ou quatre personnes. Face à la table se trouve Phra Yott jugé pour tous ces crimes mentionnés. Il est inutile de dire qu'il est observé par tous. Il est vêtu d'un manteau et un gilet bleu, et une jupe ayant quelque lointaine ressemblance avec un kilt mais pliée à la mode siamoise, tandis qu’aux pieds, il porte de mignonnes chaussures et de longues chaussettes blanches ».

 

« Après une exception préliminaire due à la présence d'un témoin clé de l'accusation dans la salle d'audience et une demande de renvoi du procès (rejetée) pour permettre aux avocats de préparer leur défense,  il est procédé à la lecture de l’acte d’accusation » (1).

 

« Phra Yot est accusé d'avoir ordonné l'assassinat volontaire et prémédité de Grosgurin et d’un nombre inconnu de soldats annamites, de vol, d’incendie criminel, et d’avoir infligé des blessures graves à Boon Chan, interprète cambodgienne de Grosgurin et à Nguen van Khan, soldat annamite ».

 

« Malgré la gravité des accusations portées contre lui et la sévérité des peines encourues, Phra Yot affiche un grand sang-froid lors de la lecture, une réaction qui a fait une très forte impression sur le public. Le correspondant du Bangkok Times, couvrant le procès a noté « ses ressources et une maîtrise de soi considérable » tout comme James G. Scott, chargé d’affaires britannique à Bangkok chargé de suivre  le procès ».

H 2 - L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 : II – LE PROCÉS : JUSTICE DES VAINQUEURS OU JUSTICE  DE CONCUSSIONAIRES ?

« L'accusé était aussi frais qu’un concombre (« cool as a cucumber » est une expression typiquement anglaise) et mâche son bétel. Il n’a rien de sanguinaire ou de féroce et n'a rien dans son apparence qui le distingue comme un criminel ou un héros ».

 

« Après les préliminaires habituels Phra Yott annonce qu’il plaidera « non coupable »  à toutes ces accusations. Il va ensuite s'asseoir à côté de son avocat à  gauche de la cour, sous la garde d'un soldat siamois, qui se tenait toujours derrière lui. Quand il eut fini de mâcher son bétel, il sort calmement de sa poche un gros cigare et  commence à fumer. La scène frappe tous les européens, si étrangère  à nos coutumes de voir un prisonnier qui risque sa vie fumer son cigare. J’aurais aimé avoir le talent d’un artiste pour peindre la scène ».

 

L'attitude et la conduite des deux représentants français, M. Pavie et M. Ducos, président de la Cour d'appel à Saigon  a laissé une impression tout aussi indélébile à ceux qui ont assisté au procès (2)Dans son compte-rendu officiel de la procédure pour le Foreign Office, Scott a pris soin de signaler que les représentants « se moquaient ouvertement de la procédure, arrivaient en retard tout en sachant que  la Cour ne pouvait pas opérer sans eux, et n’hésitaient pas à répéter tous les jours que le procès était une simple perte de temps, puisque l'affaire devait nécessairement être jugée à nouveau devant un Cour française… Ces représentants devaient sans doute penser que par leur attitude, ils pourraient perturber le déroulement du procès et contrecarrer les efforts siamois pour légitimer le Tribunal spécial aux yeux du public européen. En fait, les juges, en se fondant tirant sur le témoignage du seul témoin à charge (Boon Chan) et de sept témoins de la défense en sus de Phra Yot,  entendus pendant huit jours de séance publique a réussi à reconstituer le premier récit complet et convaincant des événements de Kieng Chek.

 

Selon le verdict d’acquittement du 17 Mars 1894, à la mi-mai 1893 une colonne armée de soldats français et annamites commandés par le capitaine Luce a été envoyé à Kham Muon avec ordre de déposer le commissaire siamois de la province. Le commissaire (Phra Yot) a résisté pendant plusieurs jours, mais le 23 mai 1893 il a accepté d'être escorté jusqu'à Kieng Chek, (3) par un petit contingent de troupes annamites sous le commandement de l'inspecteur Grosgurin. Les protestations de Phra Yot ont été enregistrées dans une lettre adressée au capitaine Luce, dans laquelle le commissaire a insisté sur les « droits absolus et continus » du Siam sur le territoire, de Kham Muon  et a exigé que la lettre soit transmise au gouvernement siamois. Il a ensuite envoyé une seconde au commissaire de Uthene, Luang Vichit, dans laquelle il a fait appel à l'aide, sous la forme d’hommes et d’armes, en renfort de son escorte

 

Lorsque le convoi a atteint Kieng Chek, l’inspecteur Grosgurin a été informé que le second de Phra Yot, Luang Anurak, avait été vu prônant en public la résistance armée contre les Français. 

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Luang Anurak a été rapidement arrêté et conduit à la maison de Grosgurin, où il fut placé en garde à vue. Phra Yot, conscient de faire face à un « acte de violence » rencontra secrètement les commandants des troupes mobilisés par le commissaire de Uthene pour chasser les soldats étrangers du pays.

 

Le 3 Juin 1893 en compagnie de Phra Yot et d’environ environ vingt soldats siamois, ils se rendirent  à la résidence de Grosgurin à Kieng Chek oú il se trouvait en mauvaise santé. Luang Anurak a couru hors de la maison, ce qui a conduit les soldats annamites à tirer sur les Siamois. Phra Yot après discussions avec les chefs de sa troupe a donné l’ordre de riposter. L’Inspecteur Grosgurin, environ douze soldats annamites, six soldats siamois et un traducteur siamois ont été tués au cours de cet échange.

 

La décision a été prise à l’unanimité le 25 mai 1894 au bénéfice d’une argumentation circonstanciée en réponse notamment à un évident acharnement du Procureur siamois mais sans évoquer explicitement la référence au droit de la guerre soulevé par les avocats de Phra Yot. 

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Cette réticence est compréhensible, une telle décision rendue par un tribunal siamois aurait mis en danger la fragile détente qui avait prévalu depuis octobre 1893. Mais tout au long du jugement, les juges qualifient à plusieurs reprises les forces françaises et annamites d’ « envahisseurs armés ».

 

L'opinion publique fut évidemment divisée, la communauté des expatriés non français et les Siamois ont considéré ce verdict comme raisonnable et la procédure comme fondamentalement juste. Il n’en fut évidemment pas de même des Français du Siam et à Paris ou la presse se déchaîne en hurlant à la mort. Le Myre et de hauts fonctionnaires français affirment alors que de toute façon Phra Yot serait condamné par le tribunal mixte.

 

Ducos fait immédiatement connaître le 26 mai 1894 son intention de constituer le Tribunal mixte selon l'article III de la convention. La Cour mixte (mais non paritaire !) devait être composée de deux juges français, deux juges siamois et un président français, chacun autorisé à faire toutes démarches nécessaire pour découvrir la vérité.

 

L'accusé avait droit à :

 

1) recevoir une copie de l'acte d'accusation au moins trois jours avant l’ouverture de son procès;

2) comparaître  libre;

3) l'assistance d'un avocat;

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4) recevoir une traduction fidèle de la procédure;

5) répondre aux dépositions des témoins à charge;

6) faire poser des questions à un témoin à charge par le Président;

7) apporter tous éléments à décharge portant atteinte à la crédibilité des poursuites.

 

L’acte d’accusation avec une remarquable diligence est établi le 27 mai 1894. Nous vous en épargnons la longue lecture.

 

Il faut ajouter, compte tenu des chefs d’accusation,  que les règles prévoient la peine capitale pour un accusé reconnu coupable d'assassinat, de vol ou d'incendie, mais qu’il sera permis aux juges d'exercer leur pouvoir discrétionnaire et de réduire la peine de mort à entre cinq et vingt ans de travaux forcés si, à leur avis, il existe des circonstances atténuantes.

 

Le procès débute le 4 Juin 1894, c’est une mascarade. 

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Il a lieu à l'ambassade de France dans une chambre pièce gardée par des marins armés de fusils chargés baïonnette au canon. Pour être admis, il est impératif d’avoir une autorisation de la légation française.  L’accusé comparait devant la cour « libre » mais enchainé. 

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Le Tribunal est composé du Président Paul-Etienne Mondot (Président de la Cour d'appel de Hanoi), du juge Joseph Cammatte (conseiller à la Cour d'appel de Saigon), du juge René Fuynel (Procureur de la république à Mytho), et pour les siamois du juge Maha Thibodia et du juge Phya Sukari. Le siège de l’avocat général est tenu par Louis-Georges Durwell, procureur de la république à Saigon. 

 

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L’accusé est assisté d’un dénommé Duval « de Saigon » sur lequel nous ne savons rien et de William Alfred Tilleke, avocat siamois à Bangkok dont l’énorme cabinet est toujours en activité.

 

Nous y constatons avec stupéfaction la présence au siège du magistrat du parquet (le procureur de la république Fuynll, ce qui est une monumentale hérésie procédurale puisque les magistrats « du siège » (juges) sont inamovibles et indépendants ou censés l’être et que ceux du parquet (procureurs) sont soumis à la hiérarchie de la chancellerie. Autre monumentale hérésie évidemment, l’absence de référence à toute possibilité d’une voie de recours est une atteinte fondamentale aux principes généraux du droit français. Mais si l’on aime bien faire référence en France à la déclaration des droits de l’homme c’est à la seule condition qu’elle ne déborde pas dans les colonies.

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Mais quelques mots sur la magistrature coloniale des débuts de la troisième république s’imposent sur un plan général et en Indochine en particulier :

 

Tout d’abord, ce que l’on peut concevoir, c’est que dès la consolidation du pouvoir républicain en 1879, le gouvernement a commencé à effectuer un « nettoyage » dans la magistrature en s’assurant la fidélité des « chefs de cour », présidents des cours d’appel qui ont pouvoir disciplinaire sur tous les magistrats de leur ressort et des procureurs, magistrats du parquet sur lesquels il exerce directement son pouvoir hiérarchique. Mais la Loi « Jules Ferry » du 30 août 1883 organise l’épuration en supprimant purement et simplement l’inamovibilité des magistrats du siège. Il y a environ à cette époque 7000 magistrats en France, plus de 2000 ont alors été éliminés qu’il a fallu remplacer. 

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Le problème se pose évidemment dans les colonies. Le sujet est peut-être sensible mais, sous les réserve d’usage, il apparait que les colonies ont été un exutoire pour les magistrats « à problèmes » évacués pour des motifs pas toujours avouables (dettes criardes, désordre des mœurs, parfois pire), refuge des déclassés et des indésirables de la métropole … Le problème s’aggrave en Indochine oú une véritable organisation judiciaire ne fut mise en place que dans les années 80 d’oú difficultés de recrutement et obligation d’aller chercher des fonctionnaires d’autres corps sans la moindre formation. Ne citons qu’un exemple, Paul-Etienne Mondot, président du Tribunal mixte, avant de se retrouver en Indochine avec un premier poste de conseiller à la Cour d’appel de Saigon en 1886 exerçait les très nobles mais très modestes fonctions de procureur de la république à Embrun puisqu’il y avait à cette époque un Tribunal civil à Embrun. Une promotion fulgurante qui s’explique évidement par le talent dont il fit preuve dans la poursuite des voleurs de pommes dans le Queyras… ou autrement ?
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La Cour entend le témoignage de l'accusé et les témoins de la défense, il n’y a rien de nouveau par rapport aux débats devant le Tribunal siamois. Ce que signal notre observateur, c’est l’attitude du Président Mondot qui se révèle particulièrement agressif en procédant à un interrogatoire agressif de l’accusé, « interrogatoire à charge » disent les praticiens qui ne correspond guère à ce que la déontologie des magistrats impose à un président de juridiction.

 

Le 7 juin, la Cour entend la plaidoirie de Duval, nous n’avons malheureusement pas celle de Tilleke. Elle commence en exergue par une citation de La Fontaine (« Le paysan du Danube ») qui nous laisser à penser qu’il savait fort bien qu’il plaiderait dans le vide :

 

 

H 2 - L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 : II – LE PROCÉS : JUSTICE DES VAINQUEURS OU JUSTICE  DE CONCUSSIONAIRES ?

«  Je supplie avant tout les Dieux de m'assister,

«  Veuillent les immortels conducteurs de ma langue,

« Que je ne dise rien qui doive être repris »

 

Plaidoirie très technique, trop peut-être alors qu’un peu d’agressivité n’aurait pas été superflue mais la mode n’est pas alors aux défenses de rupture qui n’ont pourtant pas été inaugurés par Jacques Vergès : « Je suis ici pour accuser, non pour me défendre » (Karl Liebkncht à Berlin en 1916).

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Le 13 juin 1894, l’affaire est terminée, l'accusé a été reconnu coupable à la majorité, les deux juges siamois ont refusé de signer le verdict, non pas comme assassin  mais complice de l'assassinat de Grosgurin et de quinze soldats annamites, mais acquittés de toutes les accusations de vols et  incendies qui ont eu lieu pendant ou après les combats.

 

Phra Yot est donc  condamné à mort pour l'assassinat, mais sa peine commuée en vingt ans de travaux forcés au motif qu'il n'a pas agi dans le but « de satisfaire ... la cupidité ou des sentiments de haine ou de vengeance personnelle» qui caractérisent les assassins ordinaires ».

 

Nous apprenons par un article de « La Lanterne » du 17 juin 1894 que sur l’indemnité de 3 millions versée par le Siam, il reviendra 150.000 francs à sa mère, veuve et receveur des postes à Sucy-en-Brie, ce qui correspond à environ 375.000 euros 2016 somme importante puisqu’un magistrat colonial chef de Cour gagne alors en moyenne 13.000 francs par an (4). Il ne revint rien aux Annamites, oubliés sans nom. Le 17 juin 1894 est le dimanche de la Pentecôte. L’arrêt a été rendu le 13. Quand on connait les délais de règlement en matière de comptabilité publique, il est ÉVIDENT que la dépense avait été ordonnancée bien avant mais il fallait attendre que la décision soit rendue pour officialiser la dette !

 

Des difficultés vont ensuite s’élever sur l’exécution de la peine ! Les Français voulaient envoyer le mandarin dans « une colonie pénitentiaire française » et se heurtent à une opposition farouche des Siamois qui ne veulent pas l’envoyer « en un lieu où les langues, le climat, les idées lui  seraient totalement inconnu et où il perdrait, dès le premier instant toute perspective de jamais revoir son pays, ses amis et sa propre famille ». C’est sur une intervention opportune du Foreign office que Phra Yot a pu purger sa peine dans une prison siamoise (nous n’avons pu savoir laquelle) où un membre de la légation française lui rendait visite périodiquement pour vérifier que sa punition était dûment effectuée.

 

 

H 2 - L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 : II – LE PROCÉS : JUSTICE DES VAINQUEURS OU JUSTICE  DE CONCUSSIONAIRES ?

Ce procès n’a en réalité rien éclairci. Le bilan de la cour est douteux et les insuffisances de procédure flagrantes, les plus évidentes étant le peu de temps (une semaine, en réalité trois jours) laissé à la défense pour préparer le dossier, l’attitude au moins agressive du président lors de l’interrogatoire de l’accusé et une analyse partielle et partiale de la Cour en ce qui concerne à l'inapplicabilité des lois de la guerre. Le chargé britannique James G. Scott a rapporté que le président avait ouvertement bafoué les témoins de la défense avant même qu'ils aient commencé à témoigner. Peut-on considérer comme impartiale une Cour qui a pris un peu plus d'une heure pour interroger tous les témoins de la défense ? Un toute petite partie de l’opinion française n’est pas dupe, consciente qu’il pèse un nuage de suspicion sur ce procès : Nous lisons dans la très sérieuse « revue de Géographie » en juillet 1899  « …Grosgurin fut assassiné en exécutant sa mission dans des circonstances assez mystérieuses » (5);

 

Grosgurin n’intéresse en réalité personne. Une condamnation s’imposait, aussi inique soit-elle, faute de quoi l’opération de Pak Nam perdait tout justification et devenait ni plus ni moins qu’un acte de piraterie.

 

Il n’y a guère que dans « La lanterne », journal atypique et souvent iconoclaste que nous trouvons le 19 juin 1893 cette analyse qui nous semble bien proche de la vérité : Les marins brulaient d’en découdre avec les Siamois, ils vont être servis, ils ont enfin leur casus belli : « Depuis hier on est en liesse à la rue royale (NB siège du ministère de la marine). Jamais pareille aubaine n’était échue à la marine dans de pareilles conditions. Sans doute, il est fâcheux qu’il y ait eu mort d’homme et ce pauvre Grogurin mérite bien un regret quoiqu’après tout il n’appartint pas à la marine ni même au corps des marsouins, ce qui diminue évidemment la gravité de la perte. Mais après avoir versé le pleur obligatoire, il est impossible de ne pas apprécier à sa juste valeur l’occasion sans pareille qui se présente pour la marine de manger l’herbe sur le dos des colonies et même d’entamer un peu la peau ».

H 2 - L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 : II – LE PROCÉS : JUSTICE DES VAINQUEURS OU JUSTICE  DE CONCUSSIONAIRES ?

Grosgurin n’intéresse en réalité personne : alors que les dépouilles des trois marins morts lors du blocage de Pak Nam ont été rapatriées en France et qu’ils sont considérés comme « morts pour la France », il a été enterré sur les lieux de son décès oú sa tombe existait encore en 1932, sans la moindre médaille à titre posthume (6).

H 2 - L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 : II – LE PROCÉS : JUSTICE DES VAINQUEURS OU JUSTICE  DE CONCUSSIONAIRES ?

Grosgurin n’intéresse en réalité personne : Dans un courrier au Consulat de Bangkok du 25 octobre 1897, Hanotaux, ministre des affaires étrangères écrit  « Le Roi m'a … de son côté, exprimé le désir que des mesures de clémence fussent prises en faveur du Siamois Phra Yot, emprisonné depuis quatre ans à la suite du meurtre de l'inspecteur Grosgurin » (7). Nous ignorons les suites exactes qui furent donnés à cette requête mais toujours est-il que Phra Yot fut très rapidement libéré le 6 novembre 1898, le roi lui accorda immédiatement comme « patriote héroïque » une pension de 500 baths par mois et le droit de porter les deux surnoms de « yot phet » et « Kritnamit »  (ยอดเพ็ชร์ – กฤษณมิต – « le héros de diamant » et « l’ami de Krishna »). La presse française, probablement satisfaite de l’occupation du Laos ne dit pas un mot sur la libération de celui qui, quelques années auparavant, était considéré comme un assassin sanguinaire, un pillard et un incendiaire et se retrouve soudain couvert d’honneurs.

 

Grosgurin n’intéresse en réalité personne : Le seul renseignement trouvé sur lui relève de l’éloge funèbre d’un sous-chef de bureau par un sous-préfet de province : « M. Grosgurin était un fonctionnaire de grand avenir et le sous-secrétariat des colonies perd en lui un de ses agents les plus distingués, qui joignait à une grande expérience un grand esprit de décision » (8). Pas même une photographie, la seule que nous vous livrons provient d’un site thaï concernant Phra Yot !

 

 

H 2 - L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 : II – LE PROCÉS : JUSTICE DES VAINQUEURS OU JUSTICE  DE CONCUSSIONAIRES ?

Ne parlons pas des tirailleurs annamites tombés dans cet échange, ils sont inexistants, on n’en connait pas le nom et pas même le nombre exact.

 

Nous aurions pu limiter nos explications à ce qui fut, probablement pour la première fois en France, « La Justice des vainqueurs ». 

H 2 - L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 : II – LE PROCÉS : JUSTICE DES VAINQUEURS OU JUSTICE  DE CONCUSSIONAIRES ?

Mais d’autres éléments nous permettent d’affirmer en pesant nos mots qu’il s’agit également et au moins pour partie d’une justice de crapules. Nous avons quatre magistrats français, Paul-Etienne Mondot, Joseph Cammatte, Fuynel et Durwell. Il est évident qu’ils n’ont pas été désignés  à ce poste pour rendre la Justice mais pour rendre des services, ce qu’ils ont fait.

 

Le 6 septembre 1894, Camatte avait présenté de concert avec un Sieur X au « Conseil colonial » une demande de concession gratuite de terrains dans l’arrondissement de Mytho où Fuynell est procureur portant sur 2000 hectares. Il leur en fut tout de même alloué 600 à chacun le même jour. Peu de temps avant sa désignation pour siéger à la Commission, le 28 avril, Fuynell de son côté avait reçu une concession gratuite de 850 hectares. Il recevra une nouvelle concession gratuite en 1896 pour 430 hectares et encore en 1898 pour 205 hectares…. L’attribution de concessions gratuites d’énormes superficies de terraine domaniaux à deux magistrats dans le ressort territorial où ils exercent leurs fonctions ne relevait pas de l’indélicatesse, elle relevait de la concussion ou de la corruption passive (7).

H 2 - L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 : II – LE PROCÉS : JUSTICE DES VAINQUEURS OU JUSTICE  DE CONCUSSIONAIRES ?

Le Président Mondot a été moins vorace, il s’est contenté d’un congé « de convalescence » dès le mois de juillet. Ne parlons pas des légions d’honneur qui sont tombés comme à Gravelotte, rien de bien méchant mais un détail mérite d’être  souligné, elles ne venaient pas du Ministère de la Justice mais de celui des colonies, ne le reprochons-donc pas à Durwell.

 

 

H 2 - L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 : II – LE PROCÉS : JUSTICE DES VAINQUEURS OU JUSTICE  DE CONCUSSIONAIRES ?

Particulièrement mal venu, mal et scandaleusement conduit par au moins deux crapules sur quatre, ce procès inutile puisque le parti colonial avait obtenu satisfaction, a eu un effet retentissant au Siam, il a créé un martyr ce dont les rapports franco-siamois n’avaient nul besoin. 

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Il y a au moins deux camps militaires qui portent le nom de Phrayot et au sein desquels un mémorial lui est consacré, le camp du 3ème régiment d’infanterie à Nakhon Phanom dans le village qui porte désormais le nom de Ban Phrayot, et celui de la 3ème  division de la police des frontières dans la province de Nakhonrachasima.

 

 

H 2 - L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 : II – LE PROCÉS : JUSTICE DES VAINQUEURS OU JUSTICE  DE CONCUSSIONAIRES ?

La défaite du Siam n’a pas suffi, les Siamois n’étaient pas seulement des vaincus, ils n'étaient pas des vaincus ordinaires. Il ne s’agit pas de prendre la défense du Siam mais simplement la défense de la vérité. Existe-t-elle ? Ce que nous savons c’est que la déformation systématique des faits existe.

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SOURCES

 

Sur les deux procès :

 

Kevin Heller et Gerry Simpson « The Hidden Histories of War Crimes Trials  » Published to Oxford Scholarship Online : Janvier 2014 sur le site :

http://www.oxfordscholarship.com/view/10.1093/acprof:oso/9780199671144.001.0001/acprof-9780199671144-chapter-3

 

H 2 - L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 : II – LE PROCÉS : JUSTICE DES VAINQUEURS OU JUSTICE  DE CONCUSSIONAIRES ?

« The Case of Kieng Chek Kham Muon before the Franco-Siamese Mixed Court. Constitution of the Mixed Court and rules of procedure Paperback », 1923, reprint 2010.

 

Sur l’organisation judiciaire en Indochine :

 

A. Arnaud et H. Méliay « Colonies françaises - Organisation administrative, judiciaire, politique et financière », 1900.

 « L'Organisation de la justice en Indochine »,  HANOI, IMPRIMERIE D'EXTRÊME-ORIENT, 1930.

 

Sur la magistrature coloniale :

 

Jean-Claude FARCY « Les carrières des magistrats (XIXème - XXème siècles) -  Annuaire rétrospectif de la magistrature », juillet 2009.

Jean-Claude FARCY «  Quelques données statistiques sur la magistrature coloniale française (1837-1987) » Clio@Thémis - n°4, 2011.

 

Sur l’épuration dans la magistrature :

 

« La magistrature épurée de 1878 à 1884 : documents parlementaires et législatifs », Publication de la Gazette de France, 1884.

 

Sur les concessions en Indochine :

 

Louis Cros « L’Indochine française pour tous », 1931.

 

Sur les carrières professionnelles des magistrats :

 

« Agenda et annuaire de la magistrature, du barreau et des officiers publics » (qui existe toujours) depuis 1887 et les dossiers de la Légion d’honneur sur le site « base léonore » : http://www.culture.gouv.fr/documentation/leonore/recherche.htm

 

Sur les attributions de concessions gratuites à Camatte et Fuynell :

 

Procès-verbaux du Conseil colonial dans le « Bulletin officiel de l’Indochine française » essentiellement 1895.

 

Sur Phra Yot :

 

Il n’existe rien ni en français ni en anglais. La littérature et les sites Internet à son sujet sont surabondants, par exemple :

http://www.oknation.net/blog/voranai/2008/07/01/entry-1

H 2 - L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 : II – LE PROCÉS : JUSTICE DES VAINQUEURS OU JUSTICE  DE CONCUSSIONAIRES ?

NOTES

 

(1) Il est de règle absolue qu’un témoin ne peut pas assister aux débats avant d’avoir été entendu.

 

(2) Antoine Alexandre Etienne Gustave Ducos finira sa carrière comme résident supérieur au Cambodge.

 

(3) Le village est situé  sur la rive droite dans l’amphoe de Tha Uthen, amphoe de Nakhon Phanom à environ 30 kilomètres en amont.

 

(4) « Agenda et annuaire de la magistrature, du barreau et des officiers publics » 1894.

 

(5) TOME XLV de juillet – décembre 1899, page 391.

 

(6) Guide Madrolle édition 1932 : «  Indochine du Nord : Tonkin, Annam, Laos, Yunnan, Kouang-Tcheou Wan », page 295.

H 2 - L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 : II – LE PROCÉS : JUSTICE DES VAINQUEURS OU JUSTICE  DE CONCUSSIONAIRES ?

(7)  « Archives diplomatiques 1901-1902 » – 3ème série, tomes XXIX et XXX, page 81.

 

(8) «  Journal des voyages et des aventures de terre et de mer », décembre 1893 page 31.

 

(7) La question des concessions de terrains domaniaux aux colons en Indochine a posé de graves problèmes : Elles pouvaient être payantes ce que l’on peut concevoir ou gratuites à la condition que cette gratuité ait une justification, au profit des missions en particulier. Elles ont incontestablement profité au développement économique de l’Indochine pour les plantations d’hévéas en particulier mais elles portaient sur des terrains censés « sans maîtres » sur lesquels vivaient des autochtones en vertu de droits coutumiers qui n’avaient rien à voir avec notre code civil et qui durent prendre la poudre d’escampette.

H 2 - L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 : II – LE PROCÉS : JUSTICE DES VAINQUEURS OU JUSTICE  DE CONCUSSIONAIRES ?

La question a donné lieu à tant de scandales qu’en 1925, le gouvernement général a limité les concessions à 50 hectares appliquant un arrêté du ministre des colonies du 30 octobre 1924. Nous sommes loin des 100.000 hectares de Michelin. On considère alors qu’une parcelle de 50 hectares complantée en hévéas permet à un colon de prospérer.

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28 septembre 2016 3 28 /09 /septembre /2016 22:01
H 1- L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 :  I - LES PRÉMICES : L’AFFAIRE GROSGURIN.

Au soir du 13 juillet 1893, quelques coups de canon furent échangés près de l'embouchure du Ménam entre les batteries siamoises qui la gardent et deux canonnières françaises, l’ « Inconstant » et la « Comète ». Celles-ci ont forcé le passage et ont remonté le fleuve jusqu'à Bangkok. Une autre canonnière française, le « Lutin », s'y trouvait déjà depuis quelques semaines du consentement du gouvernement siamois et conformément aux dispositions sans équivoque du traité franco-siamois du 15 août 1856 (1).

H 1- L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 :  I - LES PRÉMICES : L’AFFAIRE GROSGURIN.

Cet engagement n'a eu en fait, militairement, que peu d'importance. Rapporté dans les journaux d'Europe, nous apprenons qu’une bombe française a tué dix Siamois et en a blessé douze autres. Les canonnières françaises n'ont pas souffert du feu siamois grâce à la protection de leurs cuirasses et n’ont perdu que trois hommes. Seul un steamer de la Compagnie des Messageries fluviales de Cochinchine, le « J.-B. Say », qui servait de guide aux canonnières françaises, a été atteint par l'artillerie siamoise et a dû s'échouer.

H 1- L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 :  I - LES PRÉMICES : L’AFFAIRE GROSGURIN.

Ces quelques coups de canon relativement inoffensifs ont eu néanmoins en Europe un écho considérable et immédiat. Non seulement les journaux français, mais la presse européenne, celle de Londres surtout, se sont emparés de l'événement, le commentant, l'expliquant, en recherchant les causes, les circonstances et les suites possibles. En même temps, cette affaire occupait immédiatement les Parlements de Paris et de Londres, celui de Paris se déchainant.

H 1- L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 :  I - LES PRÉMICES : L’AFFAIRE GROSGURIN.

La situation du Siam explique évidemment ce vif intérêt, seul état indigène (relativement) indépendant entre les colonies anglaises, Birmanie, qui le bornent à l'ouest, et les colonies et protectorats français de Cochinchine, du Cambodge, de l'Annam et du Tonkin qui l'enserrent vers l’est. On comprend, dès lors, l'importance exceptionnelle de tout événement qui pouvait influer sur l'indépendance ou sur l'intégrité de ce royaume assez étendu pour faire utilement l'office de tampon entre ses puissants voisins, assez riche et opulent pour être une proie sinon facile du moins tentante.

 

Incontestablement, cette tension des relations entre la France et le Siam résultait au premier chef de l'absence de tout traité de délimitation entre le Siam et l'empire d'Annam sous protectorat français depuis le traité de Hué de 1884. Il ne semble pas que les dispositions de l’article IV du traité du 15 juillet 1857 « réglant la position du Cambodge » et prévoyant une procédure de délimitation frontalière contradictoire qui aurait régler au moins partiellement cette question au carrefour entre la Cochinchine, la partie sud du Laos (Siam) et le Cambodge. Aucun allusion n’y a en tous cas été  faite lors du procès fleuve devant la Cour de Justice internationale de La Haye relatif au temple de Preah Vihar (2).

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Il faut probablement y voir la raison expliquant que la France ou tout au moins le « parti colonial » se soit mis en devoir d’obtenir la cession de gré ou de force de la rive gauche du Mékong qui, au dire des Siamois, était alors soumise à leur autorité depuis plus d'un siècle. Il est au moins un fait certain, en 1875 et de nouveau en 1883 et en 1886, quand les fameux « Pavillons-Noirs », dont la France n'avait pas alors réussi à débarrasser le Tonkin, envahirent un moment la rive gauche du Mékong, l'ordre et la paix furent rétablis, dans cette région plus étendue à elle seule que tout l'Annam, par les soldats du roi de Siam. 

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C’est alors, après 1886 et jusqu'en 1888, qu’une commission franco-siamoise parcourut cette région en vue de la délimitation des fonctions, les commissaires français voyagèrent sous la protection et avec l'assistance des autorités siamoises. Enfin, le fait de l'occupation actuelle de la région par les Siamois est indéniable; il est notamment reconnu en termes exprès par le prince d'Orléans dans la relation d'un long voyage effectué en 1892 (3).

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Si cette commission a  établi un rapport, il est, assez remarquable que celui des commissaires français n'ait jamais vu le jour ou du moins n’ait jamais été publié. Mais dès 1890, les journaux français, spécialement les journaux coloniaux, commencèrent à reprocher aux Siamois leurs empiétements sur le territoire « annamite ». A l'appui de cette grave accusation, on se bornait à produire cette affirmation vague qu'à une époque antérieure, cette région, aujourd'hui occupée par le Siam qui s'étend entre le Mékong et la chaîne Annamitique, aurait été soumise à la suzeraineté des souverains annamites. Des députés suivirent bientôt ce mouvement et prononcèrent, à la Chambre française, des discours violents dans la forme et dans le fond. L'un d'eux, François Deloncle, se montra particulièrement virulent (4). 

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Le ministère français était vivement pressé, par ces députés et par la presse, de prendre en mains ce qu'on appela dès lors, sans preuve aucune, les droits absolus de l'Annam sur la frontière du Mékong - et même sur une partie de la rive droite (ouest) de ce fleuve. En 1887 et 1888, Ernest Constans, gouverneur de l’Indochine est conseillé par Charles Lemire, ardent colonialiste préoccupé de la délimitation de la frontière siamoise auquel il a consacré six ouvrages entre 1879 et 1903 (5)Mais tous deux estiment plus prudent d’arguer d’un supposée sinon imaginaire suzeraineté des empereurs de Hué sur un hinterland qui sera donc englobé de jure dans un territoire sous protectorat français. Constans demande  à un historien annamite francophile, Petrus Ky, de trouver des éléments permettant de soutenir que « l’hinterland » appartient à l’Annam (6).

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 « La France paraît croire que l'Indochine française a le droit de s'emparer de la rive gauche du Mékong. Il faudrait  expliquer en vertu de quels titres cette contrée se trouverait avoir passé du Siam au Cambodge ou à l'Annam » (7).

 

Les ouvrages de géographie antérieurs tout au moins aux incidents de la fin des années 80 sont dépourvus d’équivoque :

 

Une carte établie en 1869 par le grand géographe Malte-Brun fait de la région de Luang-Prabang un état tributaire de la Birmanie mais tout le reste de l’actuel Laos jusqu’à la chaine annamitique est tributaire du Siam :

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Ainsi une carte du Ministère de la marine de 1886 concernant la partie sud place la partie située entre « Cambodia river » (Mékong) et la chaine annamitique dans l’aire siamoise :

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Il en est encore d'une carte française de 1885 :

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Il en est de même encore d’une carte allemande de 1886 :

 

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Le juriste Belge Edouard Rolin dans un remarquable article de 1893 en donne de nombreux exemples (8).

 

En 1891, Alexandre Ribot, alors ministre des affaires étrangères, avait déclaré à la Chambre des députés que « la rive gauche du Mékong était le minimum des revendications de la France ». Le gouvernement siamois aurait alors bien inspiré de demander par l'organe de son ministre à Paris l'explication de ce langage.

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Sur ces entrefaites, une série d'incidents de frontières se produisirent entre le Siam et l'Annam. Sans aucune enquête, quant à la réalité des griefs, ils furent aussitôt représentés par la majorité de la presse française comme autant d'atteintes aux droits de la France et de l'Annam. Nous n’avons malheureusement pas la version de la presse siamoise probablement tout aussi manichéenne. La presse française s’indigne que le Siam ait établi de nouveaux postes militaires sur la rive gauche du Mékong et de s'être ainsi rendu coupable de ce qu'elle appelle sans hésitation une « violation des droits de l'Annam ». Ce reproche est étrange quand l’on sait que ces incidents se sont tous produits dans une région que la France revendique mais où le Siam avait établi son autorité plus ou moins solide bien avant que l'Annam ne fût soumis au protectorat français.

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 De son côté les Français établirent des postes militaires annamites sur divers points de la zone frontière qui ne relevaient pas de l’Annam mais bien du Siam. Les Siamois soutinrent que les deux pays étaient en pleine paix et que, pour neutraliser les effets de l’attitude française, ils avaient de leur côté établi de nouveaux postes sur les mêmes territoires sous domination siamoise.

 

La question va se corser lorsque, le 14 mars 1893, Pavie fit savoir officiellement au ministre des affaires étrangères que, suivant les instructions formelles qu'il avait reçues de Paris, il devait .....:

 

Caricature siamoise :

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« 1° Affirmer les droits du protectorat franco-annamite sur la rive gauche du Mékong « « 2° Insister pour l'évacuation immédiate des postes militaires siamois récemment établis;

« 3° Presser la solution de certaines questions pendantes entre la France et le Siam, au sujet de mauvais traitements dont auraient été victimes des sujets français ou annamites. »

 

Le même jour le ministre des affaires étrangères, le prince Dewawongse, fit réponse sur-le-champ à M. Pavie, au nom de son gouvernement :

 

 

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« 1° Quant à la demande concernant la rive gauche du Mékong, que cette communication verbale de M. Pavie était le premier avis officiel que le gouvernement siamois eût reçu de cette prétention et qu'il saisissait, ainsi que c'était son devoir, cette occasion de protester contre toute affirmation de droits appartenant à la France ou à l'Annam sur cette portion considérable du royaume de Siam ; que ce n'était plus là une simple proposition de régularisation des frontières, mais une demande d'annexion d'un territoire plus étendu que l'Annam même; que toutefois, le gouvernement siamois se refusait à admettre que la France voudrait, soutenir cette prétention, ou plutôt celle de l'Annam, sans la fonder sur aucun droit, et qu'il attendrait donc avec confiance que la preuve du droit allégué fût produite; qu'au surplus, le gouvernement siamois maintenait et renouvelait sa proposition de prendre pour base de la régularisation des frontières l'état actuel d'occupation, modifié éventuellement dans telle mesure où il serait prouvé qu'une partie quelconque du territoire occupé par le Siam appartient, en réalité, à l'Annam, tous dissentiments devant être tranchés par un arbitrage international;

 

« 2° Quant à la demande d'évacuation des postes, que le gouvernement siamois était prêt à agir conformément à ses déclarations de février dans lesquelles il avait mis en avant l'idée d'un modus vivendi;

 

« 3° Quant aux prétendus mauvais traitements infligés à des sujets français ou annamites, qu'une longue correspondance avait déjà été échangée à ce sujet; que les dernières lettres de M. Pavie à ce propos étaient de date toute récente et que le gouvernement siamois y répondrait aussitôt qu'il aurait recueilli les renseignements nécessaires. »

 

A l'heure même où ces déclarations étaient échangées entre les deux gouvernements, la canonnière française « le Lutin » arrivait à Bangkok. Démonstration menaçante ? Le gouvernement siamois ne mit en tous cas aucun obstacle à son arrivé autorisée par les traités. Mais de nouveaux incidents vont alors se produire aux frontières, à l'est du Mékong, et il ne pouvait en être autrement, la réponse du Prince Dewawongse étant restée sans suite.

 

Deux d’entre eux ont eu un énorme retentissement en France : l'affaire de Khone et l'affaire Grosgurin.

 

L’affaire de Khone est de la plus extrême simplicité. Khone est une île du Mékong faisant partie du territoire dont la France exigeait l'abandon, mais qui dépendait alors en fait du Siam. Les Français s'y sont établis et retranchés. Or, le 3 mai, une troupe française, commandée par le capitaine Thoreux, a été surprise aux environs de Khone en territoire siamois par les Siamois et a été complètement battue; le capitaine Thoreux a été fait prisonnier au cours de cet engagement. Sa situation juridique était celle d'un étranger arrêté en temps de paix à la tête d'une troupe armée sur territoire siamois. Il obtint la faveur d'être considéré par les Siamois comme prisonnier de guerre - quoiqu'il n'y eût pas de guerre -  et d'être traité comme tel. A ce titre, il a été l'objet des plus grands égards pendant toute la durée de son séjour forcé au Siam et fut très rapidement remis aux autorités françaises à Bangkok.

H 1- L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 :  I - LES PRÉMICES : L’AFFAIRE GROSGURIN.

L'affaire Grosgurin est un peu moins claire et il y eut mort d’homme. La presse s’en empara avec avidité. Il eut lieu dans la province (aujourd’hui laotienne) de Khammouane (คำม่วน) située sur la rive gauche du Mékong face à Nakhonphanom. 

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La première nouvelle de cet incident semble avoir été apportée à Saigon et de là à Paris et à Bangkok par une dépêche du résident Luce au gouverneur général de Lanessan. Une correspondance de Saigon, adressée au Figaro et publiée dans ce journal le 18 juillet, donne comme suit le texte de ce télégramme :

 

« Cammon, le 9 juin 1893.

 

« Le mandarin siamois de Cammon, après avoir abandonné ce poste sur notre injonction, nous avoir remis ses fusils et avoir déclaré être résolu à ne pas résister et laisser les deux gouvernements régler la question, avait été reconduit au Mékong par l’inspecteur de la milice Grosgurin, pour le protéger contre les habitants. Arrivé à Ken-Kiec, Grosgurin étant tombé gravement malade, le mandarin siamois a fait venir secrètement d'Houten une bande de 200 Siamois ou Laotiens armés, a entouré, le 5 juin, la maison où Grosgurin était couché malade et l'a assassiné lui-même avec revolver, pendant que bande massacrait son escorte. Dix-sept miliciens et un interprète cambodgien tués; trois miliciens ont pu échapper ».

 

Cette version, bien faite pour indigner l’opinion, fut reproduite dans toute la presse française de façon quasi unanime entrainant une véritable frénésie nationaliste.  Elle devint même une image d’Epinal où l’on affuble ce malheureux Grosgurin d’un costume de militaire alors qu’il n’était que civil.

H 1- L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 :  I - LES PRÉMICES : L’AFFAIRE GROSGURIN.

Mais la presse française n’est pas entièrement aux mains du « parti colonial ».

 

Nous trouvons dans « La Lanterne » du 19 juin 1893 un article plein de fiel mais qui explique beaucoup de choses, le « parti colonial » a enfin son casus belli : « Depuis hier on est en liesse à la rue royale (NB siège du ministère de la marine). Jamais pareille aubaine n’était échue à la marine dans de pareilles conditions. Sans doute, il est fâcheux qu’il y ait eu mort d’homme et ce pauvre Grogurin mérite bien un regret quoiqu’après tout il n’appartint pas à la marine ni même au corps des marsouins, ce qui diminue évidemment la gravité de la perte. Mais après avoir versé le pleur obligatoire, il est impossible de ne pas apprécier à sa juste valeur l’occasion sans pareille qui se présente pour la marine de manger l’herbe sur le dos des colonies et même d’entamer un peu la peau ».

 

L'acte du mandarin siamois Phrayot (Phantri  Phrayot Mueang Khwang พันตรี พระยอดเมืองขวาง) tel qu’exposé dans cette dépêche méritait de sévères sanctions y compris l'envahissement du territoire siamois.

H 1- L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 :  I - LES PRÉMICES : L’AFFAIRE GROSGURIN.

HLe seul point à éclairer était de savoir si les faits s’étaient vraiment passés de la manière dont les exposait le résident Luce et si Grosgurin avait été vraiment tué par trahison ou s'il était tombé dans un engagement régulier. Immédiatement, le gouvernement siamois se déclara prêt à une réparation, pour le cas où les faits se seraient passés de la manière indiquée dans la dépêche, mais il reçut des renseignements contraires : L'inspecteur Grosgurin aurait été tué dans un engagement régulier entre troupes siamoises et franco-annamites.

 

C'est sur ces entrefaites qu'intervint alors à l'embouchure de la Ménam, la canonnade du 13 juillet. Le gouvernement français ne voulut plus en rester là puisqu’il tint – enfin – un casus belli - D’ailleurs, dans les premiers jours de juillet, une escadre du contre-amiral Humann s’était déjà emparé du cap Samit et des îles alors inoccupées situés face au cap, à l'extrémité sud du Siam, pendant que les canonnières françaises ne tardèrent pas à paraître devant les bouches de la Ménam. Le 8 juillet, le gouvernement français adressait à Pavie, son représentant à Bangkok, la dépêche suivante :

 

« Le gouvernement anglais ayant résolu d'envoyer plusieurs bâtiments de guerre à Bangkok en vue de protéger ses nationaux, nous avons décidé de renforcer nos forces navales. Veuillez annoncer au gouvernement de Siam l'arrivée des navires qui rejoindront le Lutin, en précisant qu'il s'agit exclusivement d'une mesure identique aux dispositions dont l'Angleterre et d'autres puissances ont pris l'initiative. « Il est d'ailleurs entendu qu'on ne devra engager aucune hostilité sans qu'il nous en ait été référé, sauf le cas où nos bâtiments seraient, attaqués et forcés ainsi de répondre au feu de l'ennemi. »

 

Deux jours après, le gouvernement siamois fit savoir qu'il était décidé à ne tolérer devant Bangkok la présence que d'un seul navire par puissance. Aux termes en effet du traité de 1856, le gouvernement siamois ne pouvait s'opposer à l'entrée de navires de guerre français dans la Ménam et jusqu'à Paknam mais il ne pouvait tolérer l'arrivée à Bangkok de plus d'un seul navire de guerre. Néanmoins le 13 au soir les canonnières françaises guidées par le vapeur le « J.-B. Say » franchirent la barre, dépassèrent Paknam sous le feu des batteries siamoises auxquelles elles répondirent énergiquement, et arrivèrent à Bangkok.

 

Le 19 juillet, ensuite d'une question de Deloncle, transformée en interpellation par le député Camille Dreyfus, Jules Develle, ministre des affaires étrangères s'expliquait à son tour devant la Chambre :

H 1- L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 :  I - LES PRÉMICES : L’AFFAIRE GROSGURIN.

 « Messieurs, avant de donner à la Chambre les explications qu'elle attend de moi, je tiens à rappeler brièvement quelle politique a été suivie dans ces derniers temps par le gouvernement vis-à-vis du Siam. Vous n'avez pas oublié l'origine et les causes du conflit qui nous divise; plusieurs fois on a rappelé à celte tribune nos justes griefs contre le gouvernement siamois, non seulement à raison des retards qu'il apportait à accorder à nos nationaux les réparations qui leur étaient dues, mais surtout à raison de ses empiétements successifs sur nos dépendances du Cambodge et de l'Annam.

 

Je ne puis dire depuis quand ces empiétements se sont produits, mais il est certain que le silence, l'inaction, peut-être une indifférence trop prolongée à cet égard, avaient enhardi le Siam à ce point qu'un poste de ses soldats s'était installé à 40 kilomètres de Hué, et que d'autres postes avancés menaçaient de couper le Tonkin de l'AnnamLe gouvernement ne pouvait tolérer plus longtemps ces empiétements. Il a toujours dit que la rive gauche du Mékong devait être considérée comme la limite de nos possessions d'Indochine; M. Delcassé, sous-secrétaire d'État aux colonies, l'avait déclaré à la Chambre dans le courant du mois de février, et les applaudissements qui ont accueilli ses déclarations ont suffisamment prouvé que le Parlement pensait comme nous. 

H 1- L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 :  I - LES PRÉMICES : L’AFFAIRE GROSGURIN.

Forts de votre assentiment et de votre confiance, nous avons jugé que le temps était venu de faire valoir les droits de la France, et nous avons résolu de reprendre la rive gauche du Mékong. »

 

La personnalité la plus autorisée, le ministre des affaires étrangères de la République française lui-même, expose la politique et surtout les prétentions de la France au Siam. Aussi l'ordre du jour suivant, proposé par MM. Dreyfus et Deloncle et accepté par le ministère, fut-il voté à l'unanimité :

 

« La Chambre, comptant que le gouvernement prendra les mesures nécessaires pour faire reconnaître et respecter les droits de la France en Indochine et exiger les garantie indispensables, passe à l'ordre du jour. »

 

Le Sénat adopta ensuite un ordre du jour identique.

 

A la suite de cette approbation des Chambres, le gouvernement français adressa le 30 juillet un ultimatum à Bangkok exigeant :

 

« 1° Reconnaissance formelle des droits de l'empire d'Annam et du royaume de

Cambodge sur la rive gauche de Mékong et sur les iles;

« 2° Evacuation des postes siamois sur la rive gauche du Mékong dans un délai maximum d'un mois ;

« 3° Satisfaction que comportent les incidents du Mékong et les agressions dont nos navires et nos marins ont été l'objet dans la montée du Ménam;

« 4° Châtiment des coupables et indemnités pécuniaires aux familles des victimes ;

« 5° Indemnité de 2 millions de francs pour les divers dommages causés à nos nationaux ;

« 6° Dépôt immédiat de 3 millions de francs en piastres pour garantir ces réparations pécuniaires et ces indemnités. Ou, à défaut, à titre de gage, la perception des fermes et des revenus des provinces de Battambang et d'Angkor ».

 

Il renferme la revendication d'un territoire immense et l'exigence d'une indemnité pécuniaire. La revendication territoriale de la France ne se fonde sur aucun argument de droit. C'est le « sic tolo, sic jubeo, sic pro ratione voluntas » (« je le veux, je l’ordonne, que ma volonté tienne lieu de raison ») dans sa simplicité; Jamais, à aucun moment, le ministre de France n'a remis au gouvernement siamois un mémorandum ayant pour but d'établir le fondement de ses prétentions.

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Réponse devait être donnée dans les quarante-huit heures. Fière de sa force et imbue de l'idée de sa grandeur, la France n'a pas eu, dans les diverses phases de cette affaire, le sentiment bien net des égards auquel avait droit, dans les relations internationales, tout État indépendant. Convaincue de la légitimité de ses revendications, elle a toujours négligé d'en établir la justification, comme si elle ignorait que ces territoires étaient occupés et administrés, tout au moins à titre traditionnel, par l'autorité siamoise.

 

Le fonds de l’affaire semble simple : la France éprouvait la nécessité impérieuse et stratégique au point de vue de la solidité de son empire d'Indochine d'élargir la bande relativement étroite de l'Annam, pas plus de 50 kilomètres, resserrée entre les montagnes et la mer. Des fautes évidentes ont donc été commises dont la première responsabilité remonte à ceux qui ont affirmé les droits territoriaux de la France et de l'Annam, sans prendre la peine de les justifier ni même de les déterminer. Les années 1880 sont celles où les Siamois s’engagent entre le Mékong et la cordillère annamitique pour y asseoir leur domination, au moins nominale. Ces deux incidents ont été précédés de biens d’autres dans lesquels la responsabilité siamoise est probablement à mettre en cause. Ils sont symptomatiques de la poussée simultanée des deux impérialismes siamois et français dans les hautes terres.

 

Ceci dit et cédant à la pression des circonstances, le gouvernement siamois accepta toutes les conditions de l'ultimatum français le 5 août. Ne revenons pas sur les termes du traité 3 octobre 1893. Nous savons que le Siam a abandonné à la France tous les territoires soumis plus ou moins directement à sa souveraineté sur la rive gauche du Mékong, parti de la rive droite et les iles. C’est le début de l’histoire du « Laos français »… La naissance d’un état-nation qui n’avait auparavant jamais existé !

 

La question de la justification de l’action française par les droits qu’elle tenait comme héritière légitime de l’empereur de Hué relève de la fantaisie historique. Dans son histoire chaotique, le Laos, nous devrions plutôt parler des trois Laos, le royaume de Luang Prabang au Nord, le royaume de Vientiane autour de la capitale actuelle, et le royaume de Champassak au sud autour de l'actuelle Paksé, est sous l’emprise siamoise même si à une époque plus reculé, le nord-est du Laos a pu dépendre plus ou moins directement non pas de l’Annam mais du Tonkin voisin. La partie sud du pays au sud de la province de Savannakhet entre Mékong et chaîne annamitique est constitué de hauts plateaux faiblement peuplés de minorités ethniques, Bahnars, Sedangs, Jaraïs, Rhés qui n’étaient soumises nominalement au Siam que de fort loin, certainement jamais aux Annamites qu’ils haïssaient. Il fallut la déferlante de la piste Ho Chi Minh en 1975 pour qu’ils se laissent approcher. Mais l’implantation siamoise était si ténue qu’en 1888-1889, un aventurier qui se faisait appeler baron Marie de Mayrena devenu Marie Ier, roi des Sédangs, crée, au nez et à la barbe des Français et des Siamois une confédération bahnar-sedang dont il devient le souverain, avec l’aide de la mission catholique de Kontum, province frontalière peuplée de Bahnars convertis. Désavoué, il ne put rentrer dans son royaume après un séjour en Europe où il avait distribué à grands renforts de « droits de chancellerie » les concessions, décorations et titres nobiliaires mais nous vous conterons un jour son histoire ! (6).

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Cet argument est si peu convaincant qu’une fois le Laos arraché à la domination du Siam ces territoires seront englobés dans le Laos français ! La création en 1886 d’un Consulat de France à Luang-Prabang prouve par A + B que la France considérait alors cette région comme siamois. Mais notre propos n’est pas de jouer le jeu de la casuistique avec le vénérable Pétrus Ky !

 

La France ne voulut pas en rester là, était-ce pour se donner bonne conscience ? Au traité de paix du 3 octobre 1893, s’ajoute une « Convention Concernant l’exécution du traité de paix et de l’Ultimatum » dont l’article III est le suivant :

 

« Les auteurs des attentats de Tong-Xieng-Kham et de Kammuon seront jugés par les autorités siamoises; un représentant de la France assistera au jugement et veillera à l'exécution des peines prononcées. Le Gouvernement français se réserve le droit d’apprécier si les condamnations sont suffisantes, et, le cas échéant, de réclamer un nouveau jugement devant un tribunal mixte dont il fixera la composition ».

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Cette disposition originale, la « Justice des vainqueurs », ne tourna pas à l’avantage de la Justice français qui réussit à se déconsidérer aux yeux des observateurs étrangers, à faire du mandarin Phrayot un martyr et un héros national dans l’histoire du Siam ce qui n’était assurément pas le but recherché.

 

C’est de ce procès dont nous vous parlerons dans un prochain article.

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SOURCES

 

Journaux consultés :

« La lanterne », « le Temps », « Le monde illustré », « Le rappel », « La quinzaine coloniale ».

 

Ouvrages consultés :

 

Charles Lemire : « L’Indochine – Cochinchine française, royaume de Cambodge, royaume d’Annam et Tonkin », 1884. 

 

Léonce Détroyat : « La France dans l’Indochine », 1886.

 

Albert Septans : « Les commencements de l’Indochine française », 1887.

 

Albert de Pourville : « L’affaire de Siam », 1897.

 

Eugène Picanon : « Le Laos français », 1901.

 

Marquis de Barthélemy : « En Indo-Chine, 1896-1897, Tonquin, Haut Laos, Annam, septentrional », 1901.

 

A. Salaignac : « La question du Siam et la défense de l’Indochine », 1904. « La carte de l’Indochine français désirable » est significative du Parti colonial :

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HLucien de Reinach : « Le Laos », 1911.

 

Ouvrage collectif : « Histoire militaire de l’Indochine française », 1930.

 

Paul Le Boulanger : « Histoire du Laos français – essai d’une étude chronologique des principautés laotiennes », 1930.

 

Mathieu Guérin et Jonathan Padwe : « Pénétration coloniale et résistance chez les Jarai. Revisiter le rôle des colonisés dans la mise en place des frontières en Indochine » in Revue d'Histoire, Société française d'histoire d'outre-mer, 2011.

 

NOTES

 

(1) Article XV : « Les bâtiments de guerre français pourront pénétrer dans le fleuve et jeter l'ancre à Paknam ; mais ils devront avertir l'autorité siamoise pour remonter jusqu'à Bangkok et s’entendre avec elle relativement à l'endroit où ils pourront mouiller ».

 

(2) Article IV : « Les provinces de Battambang et d'Angkor (Nakhon Siemrap) resteront au Royaume de Siam. Leurs frontières, ainsi que celles des autres provinces siamoises limitrophes du Cambodge, telles qu'elles sont reconnues de nos jours de part et d’autre, seront, dans le plus bref délai, déterminées exactement à l'aide de poteaux ou autres marques, par une commission d'officiers siamois et cambodgiens, en présence et avec le concours d'officiers français désignés par le Gouverneur de la Cochinchine ».

 

(3)  « Autour du Tonkin » par Henry d’Orléans, à Paris en 1894. Il est l’’un des nombreux arrière-petits-enfants de Louis Philippe, d’une culture encyclopédique, qui consacra sa vie aux voyages.

 

(4) Universitaire diplômé de l’Ecole des Langues orientales, il est nommé consul de France à Hué en 1883. Il fut député des Basses-Alpes dans l‘arrondissement « pourri » de Castellane (18.000 habitants) siégeant à gauche de 1889 à 1898, date à laquelle il fut battu par Boni de Castellane

H 1- L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 :  I - LES PRÉMICES : L’AFFAIRE GROSGURIN.

et se présente ensuite en 1902 en Cochinchine, dont il fut député de 1902 à 1910. Battu en 1910, il redevient député des Basses-Alpes en 1912 à l'occasion d'une élection partielle. Il ne se représente pas en 1914 et quitte la vie politique oublié de tous. Il établit en 1889 une « carte politique de l‘Indochine » qui est un modèle d’incompétence : 

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Sa préface à cet opuscule daté de 1905, quoique dans l’air du temps, est consternante.

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(5) En particulier « Le pays des Moïs entre l’Annam et le Mékong », 1889  et « Le Laos annamite », 1893 au titre significatif.

 

(6) Petrus Trong Vinh Ky devenu chrétien sous le nom de  Jean-Baptiste Pétrus Ky, annamite érudit de très haut niveau, fut élevé chez les jésuites ce qui peut expliquer bien des choses, d’autant qu’il jouait apparemment double jeu. Sa casuistique a été férocement démontée dans le remarquable ouvrage d’Antoine Michelland « Marie Ier, le dernier roi français » 2012.

 

(7)  « Lettre sur la France et le Siam » publiée dans le Journal de Genève du 2 juillet 1893).

 

(8)  Edouard Rolin « Le conflit franco-siamois » in « Revue de droit international et de législation comparée » 1893 : « En effet, les atlas récents montrent le Siam maître des deux rives du grand fleuve jusqu'à la frontière du Cambodge; nous avons sous les yeux deux atlas de Perthes de 1886 et de 1891, et un petit atlas de Philips, de 1887. Ce sont des atlas anglais et allemands. Mais voici mieux. Tout le monde connaît, au moins de nom, le magnifique Voyage d'exploration en Indochine, effectué pendant les années -1866, 1867 et 1868 par une commission française, etc., publié par les ordres du ministre français de la marine, sous la direction du célèbre lieutenant de vaisseau Francis Garnier, qui fut tué si malheureusement en 1873, l'année même où parurent ses deux volumes et son atlas. 

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En tête de cet atlas se trouvent deux grandes cartes ; la première est intitulée : « Carte générale de l'Indo- Chine et de la Chine centrale, telle qu'elle résultait des documents les plus récents avant le voyage de la commission française. » La seconde est intitulée : « Carte générale de l'Indochine, telle qu'elle résulte des travaux de la commission française. Or, sur les deux cartes, les frontières sont sensiblement les mêmes, et toutes deux donnent au Siam les territoires de la rive gauche du Mékong que la France revendique aujourd'hui, et qu'elle s'est mise en devoir d'occuper. " Le récit même de l'expédition faite en 1866-1868 par la commission française que présidait le capitaine de frégate Doudart de Lagrée, et dont le but était précisément de reconnaître la vallée du Mékong, montre que les explorateurs étaient munis de passeports délivrés par le gouvernement siamois, et que, sur tout leur parcours dans les régions aujourd'hui revendiquées, ils ont rencontré des mandarins siamois qui leur ont fait le meilleur accueil, leur procurant vivres, bateaux, moyens de transport, etc. 

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Les deux localités que les Français ont occupées par surprise les 2 et 4 avril dernier sont spécialement désignées sur les cartes de l'expédition comme territoire siamois. La relation constate que l'expédition sortie du Cambodge a rencontré, à Stungtreng (une de ces localités) le « premier fonctionnaire dépendant du Siam avec qui elle devait entrer en rapports ». Il ne s'agissait  donc pas d'une possession purement nominale, mais d'une possession effective et manifeste; on peut ajouter paisible, car l'Annam avait, longtemps avant la conquête française, renoncé de fait aux prétentions que l'on veut, paraît-il, faire revivre sur ces parages ».

 
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