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  • : Le blog des Grande-et-petites-histoires-de-la-thaïlande.over-blog.com
  • : Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
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  Il était une fois Alain, Bernard …ils prirent leur retraite en Isan, se marièrent avec une Isan, se rencontrèrent, discutèrent, décidèrent un  jour de créer un BLOG, ce blog : alainbernardenthailande.com

Ils voulaient partager, échanger, raconter ce qu’ils avaient appris sur la Thaïlande, son histoire, sa culture, comprendre son « actualité ». Ils n’étaient pas historiens, n’en savaient peut-être pas plus que vous, mais ils voulaient proposer un chemin possible. Ils ont pensé commencer par l’histoire des relations franco-thaïes depuis Louis XIV,et ensuite ils ont proposé leur vision de l'Isan ..........

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15 octobre 2018 1 15 /10 /octobre /2018 22:35

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

Quand on parle d’esclavage, encore faut-il s’entendre sur le sens des mots. Puisque nous parlons du XIXe siècle utilisons les définitions que nous donne Larousse  en 1870 « L’esclavage est l’état  de celui qui est privé de liberté et sous la puissance d’un maître. L’esclave est un homme asservi à la puissance absolue d'un autre homme ». La définition de Littré en 1874 est similaire : l’esclave est « Celui, celle qui est sous la puissance absolue d'un maître, par achat, par héritage ou par la guerre ».

 

 

En thaï, l’esclave, that (ทาส) devient dans la définition du Dictionnaire de l’académie royale « une personne qui est soumise à la puissance  virtuelle d’une autre personne ».

 

Cette nuance terminologique va-t-elle nous expliquer les raisons de ce paradoxe : le Siam qui se qualifie de « pays des hommes libres », muang thaï (เมืองไทย) comporte probablement plus du tiers de sa population sous statut d’esclave ?

 

Si nous avons déjà largement traité ce sujet, nous avons tenu à nous pencher sur cette étonnante contradiction (1). 

 

 

Pour beaucoup d’esprits contemporains européens, l'esclave ne pouvait être que noir au milieu d'un champ de coton ou de canne à sucre soumis à l’arbitraire d’un maître le plus souvent sanguinaire. Cette image provient évidemment de l’exemple antillais (2) et surtout de celui des États-Unis popularisé par des romans comme « La case de l'Oncle Tom » paru  en 1852, traduit l’année suivante en France et qui connut un retentissant succès dans le monde entier ; Ecrit dans un style mélodramatique et sentimental,  l’ouvrage insiste sur un thème unique: celui du caractère maléfique et immoral de l'esclavage. Décrivant la vie des « pauvres nègres » dans les propriétés des planteurs du sud d’une façon qui ne correspondait peut-être pas toujours – mais parfois et peut-être souvent – à la réalité. L’ouvrage était destiné, et il y réussit, à provoquer compassion et émotion chez le lecteur.  
 

 

Il fut au milieu de beaucoup d’autres l’un des facteurs de l’exacerbation des tensions qui conduisirent à la Guerre de Sécession. Elle opposa de 1861 à 1865 les États abolitionnistes et les États confédérés et esclavagistes du sud causant la mort de probablement 750.000  combattants et d’un nombre indéterminé de civils. En dehors des ravages économiques, ses conséquences  sociales et les traumatismes qu’elle suscita continuent à toujours peser sur la pensée américaine contemporaine.

 

 

Si nous parlons de l’esclavage dans les Amériques, il en est deux raisons :

 

 Le roi Rama IV, lui-même maître de la vie de tous les sujets de son royaume, esclaves ou pas (chaochiwit เจ้าชีวิต) aurait été tellement outré de la situation des esclaves aux États-Unis qu’il aurait proposé au président Lincoln de lui envoyer des éléphants de guerre pour participer aux opérations contre le sud. L’information est-elle vraie ou fausse ? Souvent reproduite, nous n’en avons toutefois pas trouvé de source fiable.

 

 

- Lorsqu’à la suite de son père, Rama V engagea à partir de 1874 plusieurs  réformes progressives du régime de l’esclavage, celles-ci se terminèrent par la loi du 31 mars de l’année 123 de l’ère Ratanakosin (1905) baptisée « Nouvelle loi pour l’abolition de l’esclavage ». Il prend soin de préciser en son préambule et ce préambule n’est pas innocent

 

« Bien que l’esclavage dans notre royaume soit très différent de l’esclavage tel qu’il a existé dans de nombreux autres pays - la plupart des esclaves étant des personnes qui l’étaient devenues volontairement et non par force, et que les pouvoirs du maître sur l’esclave étaient strictement limités - nous avons toujours considéré que l’institution, même sous cette forme modifiée, était un obstacle au progrès de notre pays…. ». Ce fut le fruit d’une lente évolution sur plus de trente ans, la guerre américaine lui ayant démontré les résultats catastrophiques d’une réforme brutale.

 

 

Il est donc incontestable que l'esclavage qui existait au Siam et également dans d’autres régions colonisées d'Asie apparaît ainsi fondamentalement éloigné de celui des « plantations d'Amérique » auquel on a toujours tendance à le réduire ce qui ne signifie d’ailleurs pas qu’il ait été un état de rêve. Lorsque le 27 avril 1848, le Gouvernement Provisoire de la France prononça l'abolition définitive de l'esclavage dans nos colonies et possessions, la situation était totalement différente de celle du Siam jusqu’en 1905.

 

 

Qu’elle était donc la situation de l’esclavage au Siam qui aurait été organisé par un décret royal de 1359 de Ramathibodi Ier dont nous trouvons des traces probables dans la recension des vieilles lois siamoises que fit opérer le fondateur de la présente dynastie en 1805 ? (3).

 

Nous avons puisé en de nombreuses sources et en particulier dans une étude d’un universitaire américain de l’Université de Yale, R.B. Cruikshank qui a suscité notre intérêt car elle donne une version atypique  sinon iconoclaste de la situation (4).

 

 

 LA VISION DES CONTEMPORAINS

 

Avant d’en venir à la situation juridique de ces personnes, il est évidemment intéressant d’en connaître la vision qu’en ont eue les visiteurs.

 

Nous savons que la connaissance scientifique du Siam est pour la plus grande part une œuvre française. Dès le XVIIe siècle, La Loubère en donne un tableau d'une remarquable précision. Il sera suivi au milieu du XIXe siècle par Monseigneur Pallegoix. Que nous disent-ils au sujet de l’esclavage ?

 

Le premier en date qui nous a donné de l’esclavage au Siam une vision détaillée et non dépourvue d’humour est comme toujours l’incontournable La Loubère. Certes,  elle ne date pas du XIXe siècle mais reflète une situation née de la législation de Ramathibodi Ier en 1687, nous verrons qu’elle ne change guère 150 ans plus tard (5). Citons-le intégralement : « Au Siam les personnes sont libres ou esclaves. Le maître y a tout pouvoir  sur l’esclave hormis celui de le tuer : et quoiqu’on dise  que les esclaves y sont fort battus (ce qui est bien vraisemblable en un pays où l’on bat si fort les personnes libres) néanmoins, l’esclave y est doux, ou si l'on veut, la liberté y est si vile, qu'il a passé en proverbe, que les Siamois la vendent, pour manger d'une sorte de fruit, qu'ils appellent Durions. J'ai déjà dit qu'ils aiment mieux la jouer que de ne point jouer du tout : il est certain aussi qu'ils craignent plus la mendicité que l'esclavage et cela me fait croire que la mendicité y est aussi pénible" que honteuse et que les Siamois qui ont beaucoup de charité pour les bêtes, jusqu’à les secourir, s'ils en trouvent de malades dans les champs, en ont fort peu pour les hommes. Ils emploient leurs esclaves à cultiver leurs terres et leurs jardins et à quelques services domestiques ou bien ils leur permettent de travailler pour gagner leur vie sous un tribut qu'ils en retirent, depuis quatre jusqu’à huit ticals par an, c'est à dire depuis sept livres dix sols jusqu’à quinze livres. On peut naître esclave, ou le devenir.  On le devient ou pour dette  comme j’ai dit ou pour avoir été pris en Guerre, ou pour avoir été confisqué en justice. Quand on n'est esclave que pour dette, on redevient  libre en payant : mais les enfants nés pendant cet esclavage, quoi que passager, demeurent esclaves. On naît esclave, quand on naît d’une mère esclave et dans l’esclavage les enfants se partagent comme dans les divorces. Le premier, le troisième, le cinquième, et  tous les autres en rang impair appartiennent au maître de la mère. Le second, le quatrième et les autres en rang paire appartiennent au père, s'il est libre ou à son Maître, s'il est esclave. Il est vrai  qu'il faut pour cela que le père et la mère n'aient eu commerce ensemble, qu'avec le consentement du maître de la mère  car autrement tous les enfants appartiendraient au maître de la mère. La différence qu'il y a des esclaves du Roy de Siam à ses sujets de condition libre, c'est qu'il occupe toujours ses esclaves à des travaux perforés et  qu'il les nourrit; au lieu que ses sujets libres ne lui doivent tous les ans que six mois de service, mais à leurs propres dépens. Au reste les esclaves des particuliers ne doivent aucunes corvées à ce Prince. Et quoi que par cette raison il perde en un homme libre quand cet homme tombe en esclavage ou pour dette ou pour éviter la mendicité, ce Prince ne s'y oppose pourtant pas, ni ne prétend à aucune indemnité pour cela. Les hommes libres doivent six mois de service par année, corvée ou armée. Il ne leur doit que l’équipement militaire mais ils doivent s’habiller et se nourrir ».

Nous verrons plus tard que La Loubère est le premier sinon le seul à noter que les Siamois considéraient la mendicité comme un état inférieur à celui de l’esclavage.

 

 

Monseigneur Pallegoix écrit en 1854, il est au Siam depuis 1830 et ami très proche du roi (6). L’esclavage lui apparaît aux antipodes de celui qu’on l’on connaissait ailleurs à cette époque, en Amérique essentiellement  :  Il ne faut  pas croire que les esclaves, à Siam, soient traités comme les esclaves nègres; il est vrai que certains maîtres les nourrissent assez mal, ne leur épargnent pas les coups de rotin, les injures, les malédictions; quelquefois même ils les mettent aux fers et au cachot mais on peut dire, en général, que les ont beaucoup d'humanité pour leurs esclaves, ne les font travailler que très modérément et les traitent souvent beaucoup mieux qu'on ne traite  les domestiques en France ». Citons le début de ce chapitre, il s’agit d’une brève analyse d’ordre juridique, nous y reviendrons dans la deuxième partie de notre article (7).

 

 

La vision d’un missionnaire catholique, Monseigneur Pallegoix, le premier dans la hiérarchie du Siam, est précieuse. Ce prélat n’ignore évidemment pas les saintes écritures. Saint-Paul nous rappelle  « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme » (8). Il n’est toutefois pas indigné de la persistance de l’esclavage au Siam. Saint Paul lui-même prêche aux esclaves la permanence de leur état et l’obéissance à leurs maîtres (9). Il sera suivi pendant des siècles par les pères de l’Église, Saint-Augustin en particulier pour lequel le fait que des hommes soient esclaves — y compris de leurs passions — est une conséquence du péché originel. C’est une position qui perdurera jusqu’au milieu du XIXe siècle. Et encore, quand le Pape Grégoire IX prohibe clairement l’esclavage en 1839, il ne le fait qu’à l’égard des maîtres chrétiens ce que n’étaient et ne sont toujours pas les Siamois (10). Une interdiction plus générale n’interviendra qu’en 1888 et 1890 sous le pontificat de Léon XIII (11).

 

 

Notons toutefois que la justification par le poids du péché originel n’est pas sans rappeler l’opinion bouddhiste selon laquelle la situation dans laquelle se trouve un être humain est la conséquence des actions, bonnes ou mauvaises, commises dans une précédente existence et qu’ils doivent, en acquérant des mérites, contribuer à se retrouver dans leur prochaine existence en une situation meilleure. Croyance en la vie éternelle pour les uns, croyance en une future existence plus heureuse pour les autres, y a-t-il une différence fondamentale ?

 

 

John Bowring, qui fut également très proche du roi Rama IV (12) écrit en 1857 en rejoignant les constatations du prélat sur le sort des esclaves siamois incontestablement meilleur que celui des nègres d’Amérique. Il nous apprend aussi que lorsqu’ils ont réussi à se racheter il est fréquent de constater qu’ils vont se revendre. Il ne nous dit toutefois pas comme La Loubère si c’est pour acheter les immondes durians, financer une partie de dés ou parier dans un combat de coqs ?

 

 

Nous allons retrouver une constatation similaire venant d’Amédée Gréhan qui fut collaborateur de Charles de Montigny lors de son ambassade, très proche du roi et ultérieurement représentant du royaume de Siam à Paris. Il écrit en 1867 : « Du reste, l'esclavage est entré à tel point dans les mœurs du pays, que les esclaves y forment au moins un tiers de la population. Ils peuvent se racheter, et sont d'ailleurs traités avec beaucoup d'humanité. La situation de la population esclave n’est pas aussi pénible qu’on pourrait le supposer au premier aperçu ; car les maîtres traitent avec beaucoup d’humanité et ne font travailler que modérément les malheureux qu’une des deux causes précitées ont réduit en servitude » (13).

 

 

Citons encore pour en rester au Siam l’éminent juriste belge Émile Jottrand, l’un des proches conseillers juridiques du roi Rama V (14) : « … Quelques mots au sujet de l'esclavage : J'en vois naturellement les plus vilains côtés; car le triste privilège de l'homme de loi est de ne voir que les misères humaines. Pourtant les mauvais maîtres sont rares et la scène de mélodrame qui m'a frappé un jour (l'esclave arrivant avec sa chaîne au cou) est bien exceptionnelle ! Il n'y a au Siam d'autre esclavage que l'esclavage pour dettes, et encore ses règles sont assez débonnaires … »

 

 

Il nous faut bien évidemment parler des explorateurs et visiteurs de la péninsule. Reprenant les grandes idées de la Révolution, la France du Second Empire et de la IIIe République se donnèrent mission de diffuser la « civilisation et les Droits de l'Homme », dans le cadre d'une expansion coloniale qui trouvait dans la lutte contre l'esclavage une justification idéale. Colonisateurs, missionnaires et explorateurs vont se rencontrer à la croisée des chemins. Ils s’aperçurent vite combien étaient différentes les pratiques locales et que l’esclavage qui existait dans les régions en voie de colonisation d’Asie-du-sud-est était éloigné de celui des plantations. Quand les Français passaient des traités avec les chefs locaux, ils affirmaient garantir la possession des biens et le maintien des coutumes. Les esclaves pouvaient constituer un réservoir commode pour les explorateurs de porteurs, recrutés sous forme de corvées et censés être payés par les explorateurs par l'intermédiaire d'un chef de village qui négligeait bien souvent de reverser la somme à qui de droit.

 

 

Pourquoi parler de l’Indochine française ? Tout simplement parce que le « parti colonial » vociférait  pour que soit engagée contre le Siam une action à force ouverte pour y éradiquer l’esclavage. Nous trouvons certes dans un article du très conservateur  « Petit Journal » du 11 mai 1905 sous le titre « ABOLITION DE L'ESCLAVAGE AU SIAM », rien de bien méchant mais un retentissant et fanfaronnant cocorico : « Tenant compte du vœu formulé à la Chambre des députés de France par le rapport de M. François Deloncle sur le dernier  traité Franco-siamois, le roi de Siam vient de décréter l'abolition de l'esclavage dans ses États. On considère ce décret comme un succès marqué  par l'influence civilisatrice de la France au Siam ». Par contre, le 1er septembre 1905, le très catholique, ultramontain et conservateur « L’univers » nous démontre que les mensonges et la mauvaise foi journalistique ne sont pas de ce siècle dans un article consternant intitulé « Esclavage au Siam » : « ... Reste l’esclavage de guerre contre lequel la loi ne dit rien. Et cela est d’autant plus regrettable que ces esclaves, annamites, cambodgiens et laotiens, sont nos protégés et auraient dû, d’après le traité de 1893, revenir dans leur pays d’origine. C’est donc près de 1.500.000 esclaves qui ne profiteront pas de la nouvelle loi. Contre ce fait nous devons protester : il faut exiger du roi de Siam l’abolition complète de l’esclavage. Nous savons que cet esclavage est à l’ordinaire assez doux, mais il est quand même déshonorant pour le gouvernement français ». Nous parlerons naturellement du statut juridique des « esclaves de guerre » dans la deuxième partie de cet article.

 

 

Erreur sur la rive droite du Mékong (esclavage) et vérité sur la rive gauche  (respectables coutumes ancestrales sur lesquelles on ferme volontiers les yeux) ? Une situation quasi esclavagiste qui va perdurer dans les territoires de l’Indochine française en dépit de l’abolition de 1848. Il est probable que la banalisation de ces coutumes ancestrales tient pour une grande partie aux explorateurs, tous incontestablement esprits éclairés et scientifiques, tous plus ou moins éloignés de l’Église catholique mais influencés par le darwinisme (15).

 

 

L’influence de Gobineau dont l’ « Essai sur l'inégalité des races » paru en 1853 avec un succès tout aussi retentissant n’y est probablement pas non plus étrangère (16).

 

 

Postulat de l’évolution et obsession d’une classification hiérarchique des races humaines sont  un paramètre majeur de la vision européenne des sociétés indigènes primitives ou considérées comme telles et constituent une justification commode à un colonialisme prétendument humanitaire et civilisateur. Sauvons le Siam de l’esclavage ! (17)

 

 

C’est le conseil de Saint Mathieu traduit par le dicton populaire « Faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais » (18). Ne citons au passage que Jean-Jacques Rousseau qui avait abandonné purement et simplement ses enfants et écrit « l’Émile » très docte et surtout prétentieux traité sur l’éducation des enfants.

 

 

Quelle que soit toutefois la légèreté du joug qui pesait sur les épaules des esclaves, reste évidemment posée la question philosophique de savoir comment l'équité était possible dans les rapports entre deux hommes dont l'un possède l'autre comme une chose, rapports qui constituent, par le fait même de leur existence et de leur persistance, une iniquité souveraine ?

 

C’est l’honneur des Missions étrangères de Paris, essentiellement à la diligence du père Constant Prodhomme,  arrivé au Siam en 1874 d’avoir procédé à des rachats massifs d’esclaves,  essentiellement de l’ethnie des Lao-Phuan (ลาวพวน), descendants de prisonniers de guerre (et bien sûr d’en avoir fait de bons chrétiens).  Cette question du rachat des esclaves siamois par les missionnaires ne semble pas avoir fait l’objet d’une étude exhaustive à ce jour. Notre invitée, Mademoiselle Sutida Tonlerd lui consacre un chapitre dans son étude (19).

 

 

Dans la suite de cet article que nous consacrerons à la condition juridique de ces « esclaves » - et c’est délibérément que nous mettons le mot cette fois entre guillemets – nous essayerons d’expliquer ce contresens du nom que les Siamois se donnent de Thaïs,  c’est-à-dire « hommes libres » alors que des opinions générales, un tiers au moins de la population était esclave.

 

 

NOTES

 

 

(1) Voir nos articles 

110. « La place du peuple et des esclaves au Siam ».

http://www.alainbernardenthailande.com/article-110-la-place-du-peuple-et-des-esclaves-au-siam-121390588.html

111. « L’esclavage au Siam »

http://www.alainbernardenthailande.com/article-111-l-esclavage-au-siam-121488465.html

141. « L'esclavage est aboli définitivement au Siam en 1905 ».

http://www.alainbernardenthailande.com/article-141-l-esclavage-est-aboli-definitivement-au-siam-en-1905-123721727.html

142. « La suppression de la corvée royale au Siam ».

http://www.alainbernardenthailande.com/article-142-la-suppression-de-la-corvee-royale-au-siam-123823027.html

 

(2) Dans le « code noir » (« Édit du roi touchant la police des îles de l’Amérique Françoise »)  de Louis XIV datant de 1685, l’esclave n’a qu’un seul droit, celui d’assister à la messe dominicale et son maître un seul devoir à son égard, le faire baptiser dans la religion catholique.

 

 

(3)  Voir notre article 44  « Avez-vous trouvé le Code de Ramathibodi 1er, fondateur du Royaume d'Ayutthaya ? »

http://www.alainbernardenthailande.com/article-44-avez-vous-trouve-le-code-de-ramathibodi-1er-fondateur-du-royaume-d-ayutthaya-109520907.html

 

(4) « SLAVERY IN NINETEENTH CENTURY SIAM » in: Journal de la Siam society, 1975 n° 63-II, pp. 316-333.

(5) La Loubère  « Du royaume de Siam » tome I page 296 s.

 

(6) Monseigneur Pallegoix, « Description du royaume thaï ou Siam » volume I pp. 298-299. 

 

(7)  « Les esclaves font au moins le tiers de la population. On les divise en trois classes les captifs, les esclaves irrédimibles, et les esclaves ordinaires qui peuvent se racheter. Pendant les guerres, c'est la coutume d'amener captifs tous les habitants des places qu'on a prises, et le roi en distribue une partie à chaque mandarin, selon son rang et son mérite. Lorsque ces captifs ne se plaisent pas chez leurs maîtres, ils ont droit de passer chez un autre, pourvu que celui-ci paie leur rançon, fixée à quarante-huit ticaux par personne. On appelle esclaves irrédimibles, les enfants qui ont été vendus irrévocablement par leurs père et mère dans leur bas âge et avec un écrit de vente en due forme; ceux-ci ne peuvent plus sortir de chez leur maître et, d’autres ressources s’ils y sont maltraités que de souffrir ou de prendre la fuite. Quant aux esclaves ordinaires, ce sont de pauvres gens qui sont obligés de se vendre pour payer leurs dettes. Le service des esclaves est réputé comme tenant lieu des intérêts du capital avancé par le maître, de sorte que l'esclave qui aura servi son maître pendant une vingtaine d'années doit, pour se libérer, rembourser toute la  somme pour laquelle il s'est engagé. Si l'esclave veut changer de maître, il n'a qu’à s'offrir à un autre qui paie sa rançon. Le prix des esclaves varie selon l'âge et le sexe; depuis douze ans jusqu'à: seize, on les achète de quarante à soixante ticaux; un homme fait s'engage ordinairement pour quatre-vingts jusqu'à cent soixante ticaux.

 

(8) Épître aux Galates III-28.

 

(9) Épître aux Corinthiens, VII - 21-22 : « As-tu été appelé étant esclave, ne t’en mets point en peine. Mais alors même que tu pourrais devenir libre, mets plutôt ton appel à profit. Car l’esclave qui a été appelé dans le Seigneur est un affranchi du Seigneur, de même l’homme libre est un esclave du Christ ».

 

(10) Il écrit en 1839 dans la Constitution In supremo apostolatus fastigio : « C'est pourquoi, désireux d'éloigner cette infamie si grande de tous les territoires des chrétiens, en vertu de l'autorité apostolique, Nous avertissons tous les fidèles chrétiens, de toute condition, et Nous les conjurons instamment dans le Seigneur : que personne désormais n'ait l'audace de tourmenter injustement des Indiens, des Nègres et d'autres hommes de cette sorte, de les dépouiller de leurs biens ou de les réduire en esclavage, ou d'en aider ou d'en soutenir d'autres qui commettent de tels actes à leur égard, ou de pratiquer ce trafic inhumain par lequel des Nègres, qui ont été réduits en esclavage d'une manière ou d'une autre, comme s'ils n'étaient pas des hommes mais de purs et simples animaux, sont achetés et vendus sans aucune distinction en opposition aux commandements de la justice et de l'humanité, et condamnés parfois à endurer les travaux parfois les plus durs ».

 

(11)  Le 5 mai 1888 dans l'encyclique In Plurimis puis le 20 novembre 1890 dans l'encyclique Catholicæ Ecclesiæ  toutes deux concernant l'abolition de l'esclavage.

 

(12) John Bowring « The Kingdom and people of Siam » volume I, p. 189 s.

(13) Amédée Gréhan « Notice sur le royaume de Siam », 1867 et « Rapport sur un mémoire sur le royaume de Siam » in  Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, II° Série, tome 6, 1871. pp. 416-427.

 

(14)  Émile Jottrand «  Au Siam. Journal de voyage de M. et Mme Émile Jottrand » pp 93 s. 1905,

 

(15) L’ouvrage de Darwin « L’origine des espèces humaines » a été publié en anglais en 1859 et en français en 1862.  Il a connu un succès phénoménal. L’idée de la transformation progressive des espèces par sélection naturelle peut justifier biologiquement l’esclavage et ne justifier sa suppression qu’à terme. Il n’y a que des races plus ou moins avancées sur l’échelle de la civilisation.

 

(16) Gobineau  distingue trois races principales, les noirs considérés comme inférieurs face aux blancs, race supérieure détentrice de la civilisation. Entre les deux, on trouve  les jaunes, race intermédiaire susceptible  d'être civilisée.

 

(17) Voir à ce sujet Karine Délaye « Esclavage et représentations coloniales en Indochine de la seconde moitié du XIXe au début du XXe siècle » In: Outre-mer, tome 89, n°336-337, 2e semestre 2002.  L’article concerne partiellement le Siam.

 

(18) Évangile selon Saint-Matthieu (28, 2 et 3) « Calomnia ergo quaecumque dixeri vobis servate et facite : secundum opera vero eorum nolite facere ; dicunt enim et non faciunt » « Observez donc et faites tout ce qu’ils vous diront, mais ne faites pas ce qu’ils font, car ils disent ce qu’il faut faire et ne le font pas ».

 

(19) Voir l’article présenté dans notre blog « มิชชันนารีชาวฝรั่งเศสในเมืองอุบลราชธานี ช่วงปี พ.ศ.2409-2453 » (« Les missionnaires français dans le mueang d’Ubonrachathani de 1867 à 1910 »)

 

 

 

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