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  • : Le blog des Grande-et-petites-histoires-de-la-thaïlande.over-blog.com
  • : Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
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  Il était une fois Alain, Bernard …ils prirent leur retraite en Isan, se marièrent avec une Isan, se rencontrèrent, discutèrent, décidèrent un  jour de créer un BLOG, ce blog : alainbernardenthailande.com

Ils voulaient partager, échanger, raconter ce qu’ils avaient appris sur la Thaïlande, son histoire, sa culture, comprendre son « actualité ». Ils n’étaient pas historiens, n’en savaient peut-être pas plus que vous, mais ils voulaient proposer un chemin possible. Ils ont pensé commencer par l’histoire des relations franco-thaïes depuis Louis XIV,et ensuite ils ont proposé leur vision de l'Isan ..........

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24 février 2024 6 24 /02 /février /2024 02:42

 

L’ethnie Tailue a conservé sa langue et ses coutumes. Elle conserve aussi  le souvenir d’une époque où elle occupait son propre État qui réussit à se maintenir contre vents et marées, contre des voisins prédateurs et des états coloniaux tout aussi prédateurs. Elle le doit au moins en partie à la gouvernance d’un administrateur colonial exemplaire, Joseph Vacle, un pionnier de la France au Laos.

 

 

Elle appartient à l’un des 62 groupes ethniques dont l’existence est reconnue en Thaïlande  et à l’intérieur  de ce groupe, au sous-groupe des 22 de langue taï-kadaï (1). Ils y seraient environ 100.000. Ils sont également reconnus plus ou moins bien au sein des 47 groupes ethniques recensés au Laos et aux 56 enregistrés plus ou moins mal en Chine dans le Yunnan dont ils sont probablement originaires et le SIpsongpanna (Xishuangbanna) sous le nom de groupe Daï, ils y seraient 280.000. Sans statut particulier en Birmanie, en nombre indéterminé, ils occupent essentiellement  les États Shan (รัฐฉาน). Quelques milliers vivent au Vietnam proches de la province chinoise du SIpsongpanna ? En Thaïlande, ils vivent essentiellement dans les provinces du nord, Chiangrai, Chiangmai, Phayao,  Lamphun,  Nan et  Lampang et partout dans le pays où ils vont chercher fortune.

 

 

Ils y sont nommés Thailue (ไทลื้อ ou ไทฮลื้อ), Tailue (ไตลื้อ) ou encore Thailueyong  (ไทยลื้อยอง) pour ceux qui vivent dans la Mueangyon (เมืองยอง) près de la frontière entre la Chine et le Laos, dans les états shans (2).

 

 

Cette ethnie est remarquable : dans leur vallée traversée par le Mékong, les Lue ont réussi à assurer la pérennité de leur principauté, un véritable État, bien qu’elle fut soumise à des revendications fortes, anglaise via la Birmanie, française via le Laos, Siamoise depuis Bangkok. Pour les Siamois, elle est « mueang samfaifa » (เมิองสามฝ่ายฟ้า), le pays des trois côtés du ciel, aux trois maîtres, Chiangmai et Nan eux-mêmes tributaires du Siam et Chiang Tung ou Kengtung, tributaire de la Birmanie. Cette principauté dont les contours sont incertains porta d’abord le non de Mueang Chiangkhaeng (เมืองเชียงแขง), la ville de Chiangkhaeng (aujourd’hui en Birmanie) en était la capitale, avant de devenir Mueang Sing (เมืองสิงห์),  la ville de Sing (aujourd’hui au Laos) en était la capitale.

 

 

Nous connaissons l’histoire chaotique de la principauté Lue par les articles de Volker Grabowsky datés de 1999 et 2011 et un autre de Pierre-Bernard Lafont (3) et de façon plus générale, les luttes d’influence dans cette région, Siam, Chine, Birmanie et les luttes des cités-états entre elles,  par les deux volumes de l’encyclopédique ouvrage de notre ami Jean de la Mainate, publiés en 2023 (4).

 

 

N'oubllions pas l'ami Philppe Drillien, animateur de l'Association des collectionneurs de timbres du Laos que nous remercions pour sa contribution

 

La situation se compliqua en 1885/86 lorsque les Britanniques conquirent le royaume d’Ava et poussèrent leur avantage jusqu’à la principauté Lue en se prétendant héritiers des rois birmans auxquels le prince lue rendait hommage, ce qui était faux puisqu’hommage était rendu au Siam depuis au moins 1774. Le monarque de Luang Prabang avait été investi en 1872 par Bangkok  auquel il payait tribut.  Mais comme on sait, la raison du plus fort est toujours la meilleure. De  là, ils voulurent pousser leur avantage en  avril 1895 sur la partie de la principauté située sur l’autre rive du Mékong laquelle appartenait incontestablement au domaine français puisque la rive gauche du Mékong  appartenait au domaine français depuis le traité franco-siamois de 1893.

 

 

Le Prince Sinokham (เจ้าฟ้าสรีหน่อคำ)....

 

 

... qui avait déjà perdu une partie – plus de la moitié -  de son territoire avec des cités importantes comme Chiang Lap, Yu et Luai (เมืองเชียงลา-เมืองยู้ - เมืองหลวยถ se réfugia alors à Luang Namtha (เมืองหลวงน้ำทา).

 

 

La situation devint explosive et la presse française se déchaîne contre les empiétements britanniques. Des débats au ton souvent virulent ont lieu à l’assemble nationale (5). Le 9 mai 1896, une troupe  française accompagna Joseph Vacle, qui avait alors rang de commissaire principal du gouvernement au Laos depuis l’année précédente, rencontre un certain Stirling à la tête d’une délégation anglaise. Les Britanniques avec leurs Gurkhas se retirèrent alors sur la rive droite et le drapeau français fut hissé à Sing que le prince put regagner (6). Il administra alors sa principauté sous la « protection » de la France. Il y mourut le 9 octobre 1901 âgé de 55 ans.

 

 

Le royaume de Luang Prabang jouissait alors non de son indépendance mais d’une autonomie certaine ; l’administration et la justice étant entre les mains des mandarins, on peut penser qu’il en était de même à Sing ; La France s’efforçait en priorité d’obtenir l’émancipation des Khas que les Lao considéraient comme des bâtes de somme.  Son fils aîné, nommé Ong Kham (เจ้าอ่องคำ) lui succéda sans opposition des Français qui lui assurèrent l’appui d’une présence militaire. Mais la tutelle se fit plus lourde lorsqu’une circulaire du gouvernement central de ‘Indochine de février 1906 à tirer des larmes des crocodiles du Mékong demandait d'urgence en termes pathétiques quelles réformes étaient, susceptibles d'apporter à l'indigène le confort, le bien-être, le progrès que lui doit une grande nation... et patati et patata !  Plus simplement, il fut décidé alors d’appliquer aux colonies indochinoises une « politique d’énergie » ; La tutelle se fit plus pesante. En 1914, la France entra en guerre et un groupe chinois appelé Ho (กลุ่มชาวจีนฮ่อ) en profita pour envahir le nord du Laos. Ong Kham tenta alors d’obtenir leur appui pour se dégager de la tutelle française. Il fut déposé le 6 avril 1916 sous l’accusation de s’être rendu  « coupable des crimes et délits de droit commun et de crimes politiques ». De la haute trahison tout simplement ! Il réussit à échapper au peloton d’exécution ou de la décapitation et se réfugia avec nombre de ses fidèles au Sipsongpanna.

 

 

Ainsi prit tristement fin la principauté que Vacle avait fait échapper à la voracité anglaise. Coupée en deux par les vertus de la colonisation mais « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » n’était pas à l’ordre du jour et les colonisateurs découvrir en pleurant des larmes de sang quelques dizaines d’années plus tard lorsqu’il qu’il leur fut alors retourné.

 

 

QUI ÉTAIT JOSEPH VACLE ?

 

Nous savons par son dossier à la Légion d’honneur (7) qu’il naquit Sébastien Joseph Prosper Vacle le 22 janvier 1857 à Macon. Son père, Joseph Prosper, est agent principal de la Compagnie d’assurances générales, âgé de 30 ans.  Sa mère, Jeanne Marie Verne, est âgée de 27 ans. Le couple habite au 9 de la bourgeoise rue Lamartine. Un milieu évidement aisé mais nous ignorons tout de sa jeunesse et de son éducation.

 

 

Il mourut à Juliénas le 25 novembre 1907, toujours selon son dossier de la légion d’honneur et,  nous apprend lev « le petit journal » du lendemain. Il y était venu en convalescence. Il fut décoré oeu de jours avant sa mort.

 

 

ll bénéficiât d’un très précieux éloge funèbre qui nous éclaire un peu sur sa carrière,  de Jean Louis de Lanessan qui fut Gouverneur général de l’Indochine française mais ne fut pas aimé de tous (8).

 

 

Sa participation à la Mission Pavie nous éclaire sur ses activités coloniales. Les comptes rendus contiennent d’intéressantes photographies (9).

 

 

Sa carrière se déroule avec une sécheresse administrative dans les publications officielles (10),

 

Lanessan nous en donne un portrait singulier ; Il se présenta à lui en 1891 vêtu d’une culotte courte, d’une chemise à jabot, de bas de soie noire et d’escarpins vernis à boucle d’argent. Souriant et bedonnant, d’une politesse exquise, portant un éventail à la main droite et un bracelet d’argent au poignet gauche « Il paraissait sortir d’un bal du XVIIIe siècle ».

 

 

La photographie que nous en donne Pavie est plus conventionnelle.

 

 

Il eut le chagrin de perdre cet accoutrement dans l’incendie accidentel qui détruit la résidence de Luang Prabang, avec, en dehors de ce déguisement avec lequel il recevait les indigènes, tout le mobilier et toutes les archives officielles. Pavie nous dote d’une photographie des lieux !

 

Un autre trait de son caractère dénote une éducation à tout le moins rigoureuse : Lors de son arrivée à Luang Prabang, «  craignant que les hommes de sa petite troupe ne se livrassent à l’égard du beau sexe, à des entreprises illégitimes d’où seraient sortis des conflits peut-être graves, il les réunit dès le premier soir et leur intima l’ordre d’avoir à se marier, tous, dans les vingt-quatre heures selon les rites du pays/ Dès le lendemain, chacun avait sa femme légitime ». Nous ignorons par ailleurs si lui-même arrivé en Indochine, on ne sait trop à quelle date, y prit femme et y fonda une famille ?

 

 

Arrivé dans ce pays « pour y faire du commerce », il rejoignit la mission Pavie avant d’être intégré dans l’administration et tout au long des comptes rendus de mission, celui-ci nous dit qu’ « il  avait toujours eu pour règle à l'égard des indigènes les principes de douceur que je recommandais moi-même ». C’est là un trait essentiel de son caractère : en 1891, il partit avec quelques miliciens réprimer des actes de piraterie sur la Rivière noire, aux confins du nord du Laos et du Vietnam, ce qu’il fit sans utiliser la moindre force (11).

 

En 1893, en exécution du traité franco-siamois du mois d’octobre, Lanessan, sans aucun moyen militaire,  envoya encore Vacle prendre possession du petit royaume de Luang Prabang à partir du Tonkin, deux mois de marche sans incidents !

 

 

Pavie ne parle de lui que comme « ce bon Vacle » ou « mon vieil ami Vacle » et demanda pour lui la légion d’honneur pour « ce compagnon simple et bon.à qui j’ai voué une affection aussi sincère que vive ». Il fut nommé chevalier alors qu’il était porteur du titre de « Commissaire du gouvernement au Laos – Commandant supérieur par intérim du haut Laos » le 17 novembre 1896 au titre du Ministère des affaires étrangères. Il reçut son brevet le 4 novembre 1897 alors qu’il se trouvait à Macon quelques jours avant sa mort. Il avait 50 ans et ramené probablement quelque mal exotique. Le budget général du Laos fait apparaître alors le versement d’une somme de 1750 francs à son père ce qui laisse à penser qu’il ne laissait ni veuve ni héritiers directs ?

 

Son dossier résume sa carrière ; attaché  à la Mission Pavie de 1888 à 1891 – soumission des rebelles de la rivière noire en 1891 – Commissaire du Gouvernement le 1er octobre 1891 – Délégué pour Luang Prabang le 1er janvier 1894 – Commandant supérieur du haut Laos le 21 février 1895.

 

Si les comptes administratifs publiés ne sont pas d’une grande limpidité,  il semble que sa rémunération ait été en son dernier état de 15000 francs (rémunération de  base) et de 18300 francs (indemnités pour frais de service et de représentation) soit 33300 de nos bons vieux francs  ce qui donne au vu du convertisseur de l’INSEE une équivalence à environ 150 000 euros 2024.

 

 

Lanessan souhaitait qu’un monument fût édifié à sa mémoire. Cela ne se fit pas mais la place centrale de Luang Prabang et une avenue portèrent son nom ainsi qu’une avenue à Paklay par arrêté du Gouverneur général de l’Indochine de 1932 mais elles sont probablement débaptisées depuis longtemps ?

 

 

NOTES

 

 (1) Sur les Taîlue de Thailande voir :

La carte ethnolinguistique « Ethnolinguistic maps of Thailand », iremplaçable même si elle date peut-être un peu sur les chiffres, une publication de l’Université Mahidol (2004)

 « The Stateless Tai Lue in Chiang Kham » par Prasit Leepreecha et Songkran Jantakad » in Journal of the sciences and humanities, une publication de l’Universit/ de Chiangmaï de 2020.

 

(2)  Sur les Taïlue en général, voir l’article de Paul Cohen dans « The Journal of the Siam Society » de 1986 « LUE ETHNICITY IN NATIONAL CONTEXT: A COMPARATIVE STUDY OF TAl LUE COMMUNITIES IN THAILAND AND LAOS »

 

Voir aussi une étude toute fraiche, « The Dynamics of Dai Lue Vernacular Houses: A Comparative Study of House Forms and Spatial Organization in Xishuangbanna, Yunnan, China and Mainland Southeast Asia » publié dans Journal of the Mekong societies de décembre 2023

 

 

Cet article nous offre une très belle carte de l'implantation actuelle de l'ethnie

 

 

(3) Volker Grabowsky « lntoduction to the History of Müang Sing (Laos) prior to French Rule : the Fate of a Lü Principality ». (Introduction à l'histoire de Müang Sing (Laos) avant la domination française : le destin d'une principauté Lü)  In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 86, 1999. pp. 233-291;

François Lagirarde, Volker Grabowsky et Renoo Wichasin « Chronicles of Chiang Khaeng: A Tai Lü Principality of the Upper Mekong », in: Aséanie 28, 2011. pp. 201-203;

Pierre-Bernard Lafont «  L'affaire de Muong Sing (1893-1896) vue par la chronique royale de Xieng Kheng ». In: Revue française d'histoire d'outre-mer, tome 72, n°267, 2e trimestre 1985.

 

(4).  Les deux premiers volumes d’une série qui en comportera trois, sont l’œuvre encyclopédique (peut-être trop !) de Jean de la Mainate, infatigable animateur de la page « merveilleuse-chiangmai.com » ; La diffusion est pour l’instant confidentielle et c’est dommage. Il dépasse de très, très loin la seule histoire du Lanna et l’œuvre initiale  de Camille Notton, le très érudit consul de France à  Chiangmaï. Qu’ils ne soient pas dépourvu de critiques est une chose mais il me semble difficile à celui qui s’intéresse à l’histoire du Siam de ne pas l’avoir sur sa table de travail : « CHRONOLOGIE DES EVENEMENTS CONCERNANT CHIANG-MAI, livres I et II.

 

(5) « Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Chambre des députés : compte rendu in-extenso ». Numéro du 24 février 1896.

 

(6) Nous trouvons le récit de cette restitution dans de nombreux organes de presse de cette époque ;  ne citons qu’un récit tardif dans La Dépêche coloniale illustrée du 31 mars 1914 sous le titre « Les royaumes du haut Mékong – chez le Tiao Fa de Luons Sing ».

 

(7) Les dossiers des légionnaires sont numérisés sur le site

https://www.leonore.archives-nationales.culture.gouv.fr/ui/

 

(8) « Un colonial modèle » à la Une du journal Le siècle du 23 décembre 1907.

 

(9)  Nous le trouvons surtout dans deux des volumes du compte rendu de la Mission Pavie :

«  Géographie et voyages – Exposé des travaux de la mission,  première et deuxième périodes, de 1879 à 1899 » publié en 1901.

«  Géographie et voyages – Exposé des travaux de la mission,  troisième et quatrième période, de 1889 à 1895 » publié en 1906.

 

(10) Diverses années de 1882 à 1905  de l’Annuaire général de l’Indochine, du Bulletin administratif du Laos  et du Bulletin officiel de l’Indochine française.

 

(11) Voir à ce sujet l’ouvrage de Philippe Le Failler « La Rivière noire », numérisé :

https://books.openedition.org/editionscnrs/24444

 

 

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