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  • : Le blog des Grande-et-petites-histoires-de-la-thaïlande.over-blog.com
  • : Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
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  Il était une fois Alain, Bernard …ils prirent leur retraite en Isan, se marièrent avec une Isan, se rencontrèrent, discutèrent, décidèrent un  jour de créer un BLOG, ce blog : alainbernardenthailande.com

Ils voulaient partager, échanger, raconter ce qu’ils avaient appris sur la Thaïlande, son histoire, sa culture, comprendre son « actualité ». Ils n’étaient pas historiens, n’en savaient peut-être pas plus que vous, mais ils voulaient proposer un chemin possible. Ils ont pensé commencer par l’histoire des relations franco-thaïes depuis Louis XIV,et ensuite ils ont proposé leur vision de l'Isan ..........

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10 août 2021 2 10 /08 /août /2021 13:11

 

Un article relativement récent d’un checheurs américain Ken Lohatepanont, de l’Université de Berkley et au Thailand Development Research Institute in Bangkok, revient sur la question des canons offerts par le roi Naraï à Louis XIV et qui auraient participé à la prise de la Bastille le 14 juillet 1789 (1).

 

Ces canons figuraient parmi les cadeaux envoyés par le roi à la suite de l’ambassade conduite par le Chevalier de Chaumont et revenue en France avec les Ambassadeurs siamois et les cadeaux royaux. Tous ces cadeaux avaient disparu corps et bien jusqu’à une récente et miraculeuse découverte dévoilée en 2018 sur laquelle nous allons revenir.

 

Nous savons qu’une première ambassade siamoise s’était perdue en mer en 1681 (2). Une légende tenace voulut qu’elle transportât des trésors inestimables, propagée par des journalistes à sensation ayant moins de flair qu’un chien-berger des Pyrénées ayant surtout donné lieu à une opération de véritable escroquerie ayant permis à un aigrefin de soutirer plusieurs millions de francs à l’une de ses victimes.

 

Nous connaissons toutefois le contenu de ce « trésor » qui présentement git 3500 mètres de fond. Il est de peu de choses.

 

Les cadeaux de la seconde Ambassade nous sont parfaitement connus, le Chevalier de Chaumont nous en donne une liste détaillée dans sa relation de 1686. Elle est la même que celle donnée par l’abbé de Choisy dans la relation de son voyage. Nous vous en donnons la liste en annexe en vous épargnant celle des cadeaux aux autres personnages de la cour : présents de M. Constance au roi, présents du roi de Siam à Monseigneur, présents que la princesse reine de Siam envoie à Mme la Dauphine, présents que la princesse reine de Siam envoie à Monseigneur le duc de Bourgogne et présents de M. Constance à M. le marquis de Seignelay.

 

Malheureusement Chaumont qui nous dote de quelques belles gravures dans ses souvenirs ne nous en donna aucun détail sur ces présents.

 

Le Marquis de Dangeau qui colporte en 19 volumes les cancans de la Cour, nous dit à la date de la présentation des cadeaux, le 28 août « le chevalier de Chaumont revint de Siam; il était parti de Brest au mois de mars de l'année passée, et est arrivé à Brest le 18 de ce mois; il a ramené trois ambassadeurs du roi de Siam. S. M. a nommé Torf, gentilhomme ordinaire, pour les recevoir et les défrayer dans tout leur voyage. Le roi de Siam envoie de beaux présents au roi, à Monseigneur, à madame la Dauphine, à messeigneurs les ducs de Bourgogne et d'Anjou; il y a des présents aussi pour M. de Seignelay et pour M. de Croissy, l'un comme secrétaire d'État de la marine, et l'autre comme secrétaire d'État des étrangers ».

 

Que sont devenus ces «  beaux présents » : « Le roi alla tirer dans son parc. Monseigneur courut le loup, et donna le soir un grand souper dans son appartement à madame la princesse de Conty et à quelques dames, et ensuite il fit une loterie d'une partie des présents qu'il a eus de Siam ». Nous sommes le 2 septembre ! On jouait beaucoup à la loterie à la Cour de Louis XIV nous apprend en effet Dangeau mais c’était à tout le moins fort humiliant pour le roi de Siam.

 

 

La valeur de ces présentes a donné lieu à une altercation entre Louvois et l’abbé de Choisy : « ...Les présents qu'ils avaient apportés étaient rangés dans le salon au bout de la galerie. M. de Louvois, qui n'estimait pas beaucoup les choses où il n'avait point de part, les méprisait extrêmement. « M. l'abbé me dit-il en passant, tout ce que vous avez apporté là vaut-il bien quinze cents pistoles ? » – « Je n'en sais rien, monsieur, lui répondis-je le plus haut que je pus, afin qu'on m'entendit ; mais je sais fort bien qu'il y a pour plus de vingt mille écus d'or pesant, sans compter les façons ; et je ne dis rien des cabinets du Japon, des paravents, des porcelaines. » Il fit en me regardant un sourire dédaigneux, et passa. Quelqu'un apparemment conta au roi cette belle conversation car dès le soir même, M. Bontemps me demanda de la part de sa Majesté si ce que j'avais dit à M. de Louvois était bien vrai. Je lui en donnai la preuve en lui donnant un mémoire exact du poids de chaque vase d'or, et je l'avais fait faire à Siam avant que de partir. Je suis persuadé qu'on le vérifia dans la suite. Cette bagatelle ne laissa pas d'irriter M. de Louvois contre moi : il ne m‘aimait pas déjà, parce que j'étais des amis du cardinal de Bouillon, sa bête »

 

 

Or, nous savons que Choisy, peut-être un peu naïf, considérait que tout ce qu’il voyait au Siam de doré était d’or alors que Forbin plus lucide, savait qu’une statue de Bouddha dorée n’était pas d’or massif mais de plâtre doré. Nous connaissons l’abbé de Choisy, nous rajouterons simplement ce qu’en dit La Bruyère qui trempa sa plume dans le jus de mancenillier (3).

 

Avec lui d'ailleurs la nature s'était trompée qui avait voulu en faire une   femme. On disait à la Cour citant Ausone « dum dubita natura, marem faceretne puellam ; factus es, o pulcher, pene puelle puer ». Des plus féroces insinuaient en reprenant le mot de Suétone « qu'il servait de femme à tous les hommes et d'hommes à toutes les femmes » pour expliquer la montée en puissance de Jules César et la comparer à celle de l'abbé que sa modeste extraction n’expliquait pas.

Si nous reprenons la liste de ces présents, poste par poste, force nous est de constater qu’ils constitueraient aujourd’hui le rêve et la fortune d’un amateur d’antiquités mais qu’à cette époque, ils n’avaient rien qui puisse faire rêver les membres de la Cour du roi Soleil.

Sur cette montagne de pièces en porcelaine, aucun détail n’est donné, pas même un chiffre exact, ce qui laisse à penser qu’elle était tout à fait secondaire. Or, la France importait depuis longtemps de la porcelaine de Chine. Elle avait depuis longtemps ses porcelaines de Sèvre et depuis peu celles de Limoges.

 

 

Quelques soieries aussi (notamment des paravents et une robe de chambre) mais y avait-il de quoi impressionner la Cour ? Lyon était devenue depuis Louis XIV la capitale mondiale de la soie, ce qu’elle est restée. La mode de la cour de Versailles s'imposait à toutes les autres cours européennes. Du même coup, les soyeux lyonnais allèrent d’innovations techniques en innovations techniques entretenant des dessinateurs de qualité et une innovation stylistique permanente.

 

 

Beaucoup de petit mobilier aussi mais y avait-il de quoi impressionner les courtisans ? Le mobilier de ce temps est majestueux, luxueux, utilise des techniques de marqueterie innovante. Il a résisté au temps beaucoup mieux que les soieries probablement toutes depuis lors mangées de mites.

 

En ce qui concerne la tapisserie on connaissait Aubusson et les Gobelins, les Siamois faisaient-ils mieux ?

 

 

Versailles affichait déjà dans la Galerie des glaces de fastueuses pièces d’argenterie imaginés d’après des dessins du premier peintre du roi, Charles Le Brun, exécutés à la manufacture des Gobelins, aux galeries du Louvre et par les plus éminents orfèvres de la corporation parisienne. Ces fastes coûtèrent 10 millions de livres. Envoyées à la fonte en 1689 pour financer les guerres royales. 20 tonnes de métal fondu, vendues « à la casse » rapportèrent au roi 2 millions de livres. Les pièces d’argenterie de la Galerie des glaces avaient incontestablement suscité l'admiration stupéfaite des envoyés du roi siamois.

 

 

Ces conversions sont certes à prendre avec circonspection mais on peut estimer que les 10 millions de livres du coût de l’argenterie représentent aux environs de 300 millions d’euros de nos jours. L’estimation de Choisy réduite en euros serait d’environ 1,7 millions d’euros et celle de Louvois de 450.000 euros ? 20 tonnes au cours de l’argent hors façon bien sûr, à ce jour représentent une valeur de près de 15 millions d’euros.  Comparer les prix entre l’époque des moucheurs de chandelles (combien y en avait-il à Versailles ?) et celle de l’électricité nucléaire reste toutefois parfaitement aléatoire.

 

Nous n’en tirons qu’une seule conséquence, les cadeaux du roi de Siam étaient bien peu de choses face aux fastes de Versailles.

 

 

Que sont devenus ces trésors ?

 

Un seul lot échappa à la loterie, à la destruction, aux fontes et à l'oubli, ce sont les fameux « canons du Siam » que nous pouvons suivre à la trace pendant plus d'un siècle,

 

Tous les objets d'or et d'argent ainsi que les deux canons avaient été placés au Garde-Meuble et inclus dans le « mobilier de la couronne ».

 

Les pièces d'orfèvrerie d'or et d'argent ont probablement été incluses dans les ventes de l'argenterie royale pour financer les guerres, celles de Louis XIV comme nous l'avons vu et plus tard les fontes consécutives aux guerres désastreuses de Louis XV,

 

Si des pièces d'orfèvrerie d'or et d'argent ont été jouées et gagnées à la tombola, elles tombèrent donc dans le patrimoine de familles de la haute-noblesse, Nous étions en 1686, nous sommes en 2021, il y a près de trois siècles et demi, Si l'on compte à cette époque comme le faisait déjà Hérodote trois générations par siècle, en 10 ou 11 générations, ces familles ont connu des hauts et des bas, le plus souvent des bas, successions, partages, division des héritages et souvent vente par nécessité, Par ailleurs, les propriétaires ont pu répondre aux appels pathétiques, de Louis XV notamment, de porter leur argenterie et orfèvrerie à la Monnaie pour qu'elle y soit fondue et finance l'effort de guerre puis aux saisies révolutionnaires. Cette pratique a perduré qui consiste à prendre le bon argent des épargnants et à leur échanger contre de la monnaie de singe. La découverte de l'un de ces pièces d'argenterie en 2018 relève, nous allons le voir, du miracle.

 

Pour les objets de moindre valeur, la vaisselle de porcelaine n'a probablement pas résisté à trois siècles d'utilisation et de lavages successifs, Tapisseries et soieries sont probablement et depuis longtemps mangées des insectes et les petits meubles ont depuis longtemps succombés à la voracité des vrillettes et autres termites,

 

 

LES « CANONS DE LA BASTILLE »

 

La description que nous en donnent Chaumont et Choisy est brève : « Deux pièces de canon de six pieds de long, de fer battu à froid, garnis d'argent, montés sur leurs affûts aussi garnis d'argent faits à Siam ». « L’inventaire général du mobilier de la couronnes » analysé par Michel Jacq-Hergoualc'h sur les manuscrits des archives nationales les décrit comme suit : « Deux beaux canons de Siam de fer battu verni, damasquinés d'argent en trois endroits, la culasse à huit pans et le bout rond, longs de cinq pieds neuf pouces, montés sur leurs affûts de bois des Indes verni de noir ; dont toutes les ferrures sont de fer poli damasquiné d'argent »

 

Il s’agit très probablement de pièces d’artillerie provenant des Portugais qui alimentent par leur savoir l’arsenal des armées royales. L’arquebuserie portugaise atteignit la perfection, on en voit des pièces exceptionnelles au « Musée militaire de Lisbonne ». Ces canons sont du calibre d’une ou deux livres. A l’époque, on mesure le calibre du canon au poids du boulet qu’il peut lancer, un peu moins donc que 500 grammes ou un kilo. Ce ne sont guère que des escopettes ou des canardières. Louvois a normalisé l’artillerie de Louis XIV en généralisant le calibre de 36 jusqu’à celui de 48 pour l’artillerie de siège. Les petits canons d’une ou deux livres ne sont pas inconnus mais utilisés dans l’artillerie de montagne ou dans la marine. Ils ne sont pas capables de causer le moindre dommage aux coques des navires en chêne massif le plus souvent doublées de cuivre. Ils peuvent par contre en ravager la mature ce qui est suffisant pour désemparer le navire de l’ennemi. Ils sont évidemment inefficace dans une guerre de siège ne pouvant causer le moindre dommage aux murailles massives, pas même d’arracher une escarbille aux épaisses portes en bois bardée de ferraille.

 

 

Une tradition orale d’origine indéterminée mais largement répandue voulait pourtant qu’ils aient été utilisés lors de l’attaque de la Batille par la populace parisienne le 14 juillet 1789.

 

Un remarquable article de Michel Jacq-Hergoualc'h nous démontre qu’il ne s’agit pas d’une légende mais d’une réalité (4).

 

 

Probablement trop raffinés et surtout inutiles pour compléter le corps des artilleurs royaux déjà largement pourvu par Louvois.

 

Ils se trouvent au Garde Meuble, un véritable musée qui contient en particulier de nombreuses armes anciennes, historiques ou curieuses. Il est partiellement ouvert au public. Les parisiens ne pouvaient donc pas en ignorer l‘existence

 

Ne revenons pas sur la triste histoire de la journée du 14 juillet 1789. La Bastille avait mauvaise réputation, un ministre ayant le pouvoir d’y enfermer et de mettre un sujet aux oubliettes sans procédure préalable et sans obligation d’engager ensuite un procès mais sous la condition de la signature du Roi. Ce n’était toutefois pas le bagne et nombre de personnages distingués y firent quelques séjours largement adoucis par la possibilité de lire, d’écrire, de se faire accompagner d’un serviteur et de se faire livrer leur nourriture de l’extérieur.

 

Le Garde Meuble fut envahi par la populace qui s’empara des armes qu’elle considérait comme utilisables et notamment de « deux canons garnis d’argent ». S’agissait-il bien de ceux que le roi Narai avait offert à Louis XIV ? Ce qui permet de le penser sans absolue certitude, nous dit Jacq-Hergoualc'h, est leur garniture d’argent et le damasquinage. La foule s’était également emparé d’autres canons mais sans référence à cette décoration luxueuse.

 

 

Michel Jacq-Hergoualc'h nous décrit longuement cette journée en étudiant plusieurs versions souvent contradictoires entre elles. Trois pièces de canon furent utilisés par les émeutiers dont une de petit calibre, peut-être un des canons siamois et deux pièces de quatre qui ne sont donc pas les nôtres ?

 

La conclusion de Michel Jacq-Hergoualc'h est sans équivoque « Quoiqu'il en soit, nous croyons avoir prouvé que les canons du roi de Siam Phra Narai offerts au Roi-Soleil en 1686 ont, ironie du sort, tiré sur la forteresse qui aux yeux des Parisiens symbolisait le mieux le despotisme royal, si bien incarné par Louis XIV lui-même ».

 

Nous en tirons une autre conclusion, c’est que si ces escopettes, quoique luxueuses, ont bien été utilisées, elles n’ont pas du causer grand mal aux murailles de la forteresse. Si elles furent utilisées, ce fut probablement sans dommages ?

Les armes utilisées retournèrent ensuite du Garde-Meuble. Nous les retrouvons ensuite jusqu’en 1792, date à laquelle ils disparurent à jamais pour une raison que nous donne encore Michel Jacq-Hergoualc'h « … victimes de déprédations visant à en extraire l'argent qui les ornait. Devenus méconnaissables, ils purent être alors la proie de quelques ferrailleurs à une date que nous ne saurions préciser ; ce n'est qu'une hypothèse, mais nous n'en voyons pas d'autres ».

 

Ne rajoutons rien, le travail de Michel Jacq-Hergoualc'h repose sur l’analyse de nombreux documents d’archives non numérisés. « L’inventaire général du mobilier de la couronnes sous Louis XIV » ne l’a été que très partiellement à ce jour.

 

Nous pouvions dès lors penser qu'il ne restait rien de ces cadeaux royaux jusqu'à une découverte récente près de 350 ans après leur remise dans la Galerie des Glaces ?

 

LA DÉCOUVERTE DE LA DERNIÈRE PIÈCE D'ORFÉVRERIE SUSISTANTE CONNUE

 

La trace en est assurée : il s'agit de l'une des rares pièces d’orfèvrerie des collections de Louis XIV à ne pas avoir été fondue, soit pour alimenter les finances de la Couronne, soit plus tard lors des fontes révolutionnaires.

 

L’objet, devenu doublement royal, disparut des radars de l’histoire et on le pensait victime des fontes qui ont marqué la fin du règne. Jusqu’à un classique inventaire de succession, mené par Maîtres Beaussant et Lefèvre. Les deux commissaires-priseurs se retrouvent devant un placard rempli de ces pièces d’argenterie noircies aujourd’hui désuètes, voire inutiles, mais qui constituaient l’apanage de toute bonne famille ancienne. Une petite verseuse totalement oxydée retint leur attention. Par son décor de fleurettes, d’oiseaux, de papillons et de pagodes, avec son anse et son long bec simulant le bambou, en argent rehaussé d'or sur les motifs en relief de fleurs, elle ressemblait à un objet néo-oriental fabriqué à la fin du XIXe siècle.

 

 

Mais elle portait le poinçon de titre « Paris 1809-1819 », des armoiries ajoutées à l’époque Napoléon III, et dans son couvercle et sous le talon, un numéro d’inventaire ainsi qu’un écu couronné.

 

 

Tout cela ne fonctionnait guère ensemble et prêtait à étude. Ils demandèrent à ce que l’objet leur soit confié pour recherches et l’apportèrent chez Émeric Portier, expert parisien en orfèvrerie. Celui-ci se plongea avec intérêt dans son étude, confirma que la marque du fond aux trois couronnes fleurdelisées en triangle correspond à celle, royale, apposée à partir du règne de Louis XIV et, pour plus de certitude, fit appel à Philippe Palasi, héraldiste reconnu, pour sonder les inventaires du Garde-Meuble du XVIIIe siècle. Sous le numéro inscrit, « DVn° 65 », sont mentionnées deux verseuses au décor exotique dans des réserves, en tout point semblables et au poids identique. La petite pièce en argent se para d’une tout autre dimension.

 

 

Tous prirent conscience de se trouver devant un objet royal, impossible à présenter en vente sans passeport de libre circulation. La suite fut logique : l’État refusa de délivrer le certificat et, le 12 juillet 2016, la verseuse fut classée en tant que Trésor national par le ministère de la Culture, présentant « un intérêt majeur pour le patrimoine national du point de vue de l’histoire et de l’art ». D’autant que, depuis, son parcours s’étoffa et les dernières zones d’ombre furent levées. On savait désormais avec certitude que l’œuvre, inventoriée pour la première fois par le Garde-Meuble de la Couronne en 1697 apparaissait à plusieurs reprises tout au long du XVIIIe siècle dans d’autres éditions de ces inventaires, avant de se retrouver dans l’une des dernières ventes révolutionnaires de 1797. Elle rejoignit alors certainement le commerce  d’où le poinçon au coq, avant d’entrer dans la famille Terray de Morel-Vindé, descendante en ligne directe de Pierre Terray, frère du contrôleur général des Finances de Louis XV de 1769 à 1774. La négociation fut confiée à la maison Beaussant Lefèvre, son inventeur. Restait alors à se mettre d’accord sur son prix d’acquisition. Ce sera un million d’euros et, le 14 février 2018, la verseuse (qualifiée d'aiguières dans la liste de Chaumont) fut acquise par l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles. Cet achat exceptionnel à plus d’un titre fut possible grâce au mécénat de Moët-Hennessy – Louis Vuitton, très engagé auprès de Versailles depuis 1991.

 

Ne restait plus qu’à redonner à la royale verseuse son lustre initial. Un simple nettoyage a suffi pour que ses rehauts d’or resplendissent à nouveau.

C’est ainsi un objet d’un intérêt artistique, historique et scientifique majeur qui entra dans les collections publiques nationales, l’un des rares des collections de Louis XIV à ne pas avoir été fondu et, à ce jour, la seule pièce d’orfèvrerie connue offerte par le roi de Siam.

 

Elle a retrouvé sa place dans la Galerie de Glaces, là même où elle fut présentée à Louis XIV (5)

 

 

NOTES

(1) Ken Lohatepanont « How Siamese Cannon Ended up at the Bastille », article du 7 avril 2020, numérisé :

https://kenlwrites.com/2020/04/07/how-siamese-cannon-ended-up-at-the-bastille/

(2) Voir notre article

R2. 84. Le Trésor englouti de la 1ère ambassade du Roi Naraï auprès de Louis XIV en 1681 ?

https://grande-et-petites-histoires-de-la-thailande.over-blog.com/article-84-la-1ere-ambassade-du-roi-narai-aupres-de-louis-xiv-en-1681-118035147.html

 

(3) Nous avons consacré un article à l’abbé de Choisy :

9. Les relations franco-thaïes : L'abbé de Choisy ?

https://grande-et-petites-histoires-de-la-thailande.over-blog.com/article-9-les-relations-franco-thaies-l-abbe-de-choisy-63771276.html

L’abbé est de petite noblesse sinon de noblesse d’apparence. Il descend en droite ligne d’un marchand de vin, une « noblesse qui sent le tonneau » comme on disait alors. En ce siècle où la naissance a plus d’importance que le talent comme on dit alors, son seul espoir d’ascension sociale est de s’attacher par la flagornerie à un « grand », ce qu’il fit aux côtés du cardinal de Bouillon, de la famille princière de Turenne. Son état et son passé sulfureux lui interdisaient d'obtenir le poste d’ambassadeur qu’il convoitait et qui fut attribué à Chaumont, de bonne noblesse. Le Roi lui fit fait l’aumône d’un titre de « coadjuteur » ce qui en réalité ne représentait rien.


Dans le chapitre « De la Cour » («  Les caractères » sont de1688) il donne sous le paragraphe 61 le portrait de Théodote. Tous les commentateurs pensent que le modèle en fut Choisy.

« Théodote avec un habit austère a un visage comique, et d’un homme qui entre sur la scène ; sa voix, sa démarche, son geste (son comportement), son attitude accompagnent son visage. Il est fin, cauteleux, doucereux, mystérieux ; il s’approche de vous, et il vous dit à l’oreille : Voilà un beau temps ; voilà un grand dégel. S’il n’a pas les grandes manières, il a du moins toutes les petites, et celles même qui ne conviennent guère qu’à une jeune précieuse. Imaginez-vous l’application d’un enfant à élever un château de cartes ou à se saisir d’un papillon : c’est celle de Théodote pour une affaire de rien, et qui ne mérite pas qu’on s’en remue ; il la traite sérieusement, et comme quelque chose qui est capital, il agit, il s’empresse, il la fait réussir : le voilà qui respire et qui se repose, et il a raison ; elle lui a coûté beaucoup de peine. L’on voit des gens enivrés, ensorcelés de la faveur ; ils y pensent le jour, ils y rêvent la nuit ; ils montent l’escalier d’un ministre, et ils en descendent, ils sortent de son antichambre, et ils y rentrent ; ils n’ont rien à lui dire, et ils lui parlent ; ils lui parlent une seconde fois : les voilà contents, ils lui ont parlé. Pressez-les, tordez-les, ils dégottent l’orgueil, l’arrogance, la présomption ; vous leur adressez la parole, ils ne vous répondent point, ils ne vous connaissent point, ils ont les yeux égarés et l’esprit aliéné : c’est à leurs parents à en prendre soin et à les renfermer, de peur que leur folie ne devienne fureur (furie) et que le monde n’en souffre. Théodote a une plus douce manie (obsession): il aime la faveur éperdument, mais sa passion a moins d’éclat ; il lui fait des vœux en secret, il la cultive, il la sert mystérieusement ; il est au guet et à la découverte sur tout ce qui paraît de nouveau avec les livrées (l’habit) de la faveur : ont-ils une prétention, il s’offre à eux, il s’intrigue pour eux, il leur sacrifie sourdement mérite, alliance, amitié, engagement, reconnaissance. Si la place d’un Cassini devenait vacante, et que le suisse ou le postillon du favori s’avisât de la demander, il appuierait sa demande, il le jugerait digne de cette place, il le trouverait capable d’observer et de calculer, de parler de parélies (et de parallaxes. Si vous demandiez de Théodote s’il est auteur ou plagiaire, original ou copiste, je vous donnerais ses ouvrages, et je vous dirais : "Lisez et jugez." Mais s’il est dévot ou courtisan, qui pourrait le décider sur le portrait que j’en viens de faire? Je prononcerais plus hardiment sur son étoile. Oui, Théodote, j’ai observé le point de votre naissance ; vous serez placé, et bientôt ; ne veillez plus, n’imprimez plus : le public vous demande quartier ».

(4) Michel Jacq-Hergoualc'h « A propos des canons siamois offerts à Louis XIV qui participèrent à la prise de la Bastille ». In: Annales historiques de la Révolution française, n°261, 1985. pp. 317-334;

(5) Voir en particulier :

https://www.gazette-drouot.com/article/retour-royal-d-une-verseuse-a-versailles/3952

https://www.chateauversailles.fr/actualites/vie-domaine/acquisition-verseuse-argent

https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000032939821

 

ANNEXE

 

Mémoire des présents du roi de Siam
au roi de France

Deux pièces de canon de six pieds de long, de fer battu à froid, garnis d'argent, montés sur leurs affûts aussi garnis d'argent faits à Siam

Une aiguière de tambac, plus estimé que l'or, avec sa coupe propre à laver les mains, qui a été faite à Siam à la mode du pays (le tambac est un alliage d’or et de cuivre)

Une aiguière d'or, ouvrage relevé sur quatre faces avec sa soucoupe au plat pour son soutien de même ouvrage, faite au Japon.

Un navire d'or qu'on appelle somme, à la façon chinoise, avec tous ses agrès.

Deux flacons d'or, d'ouvrage relevé, du Japon, pour servir ou sur un buffet ou pour transporter dans l'occasion dans un coffre du Japon où leurs places sont destinées.

Un dard  couvert d'ouvrage relevé en façon du Japon (Le dard est une arme de jet).

Deux petites coupes d'or avec leurs petits bassins, sur un pied assez haut, ouvrage du Japon relevé très riche.

Deux petites coupes d'or accotées, sans couvertures, bien travaillées d'un ouvrage relevé du Japon.

Une cuillère d'or du plus bel ouvrage du Japon.

Deux dames chinoises, chacune sur un paon, portant entre leurs mains une petite tasse d'argent, le tout partie d'argent et émaillées, lesdits paons pouvant par ressort marcher sur une table de la manière qu'on les dispose ; leurs coupes sont droites et sur leurs mains.

Deux coffres d'argent, relevés du plus bel ouvrage du Japon, dont une partie est d'acier.

Deux grands flacons d'argent avec deux lions dorés pour couverture, avec deux grands bassins, le tout de même ouvrage, les deux plus beaux du Japon.

Deux grandes coupes couvertes sur deux bassins, le tout d'argent et du plus fin ouvrage du Japon.

Une grande coupe découverte avec son bassin d'argent.

Une aiguière d'argent à quatre faces avec une soucoupe de même du Japon.

Deux vases d'argent à la façon des Anglais à boire de la bière, avec deux soucoupes de même ouvrage du Japon.

Deux paires de chocolatières  avec leurs couvertures d'argent, ouvrage du Japon.

Deux tasses assez grandes, ouvrage du Japon.

Deux autres tasses plus petites avec leurs bassins d'argent, pour boire des liqueurs, toutes deux couvertes d'un rameau d'argent et de même ouvrage.

Deux grandes gargoulettes d'argent à la chinoise, avec leurs bassins de même ouvrage du Japon. Deux cavaliers chinois portant en main deux petites coupes, qui marchent par ressort, le tout d'argent à la façon de la Chine.

Deux aiguières sur deux tortues, le tout d'argent, et ouvragées, pour mettre de l'eau à laver les mains, ouvrage de la Chine.

Deux couverts d'argent, ouvrage du Japon, qui marchent par ressort et qui portent chacun une petite coupe.

Deux grands cabinets du Japon, fleurdelisés par-dedans, garnis d'argent partout du plus beau vernis et ouvrage du Japon.

Deux coffres d'une grandeur médiocre, garnis d'argent, et du même ouvrage, sans fleurs de lis.

Deux petits cabinets d'écaille de tortue, garnis d'argent, d'un ouvrage fort estimé du Japon.

Quatre grands bandèges garnis d'argent, ouvrage du Japon (Ce sont des guéridons)

Un petit cabinet d'argent, enjolivé d'un ouvrage du Japon.

Deux pupitres, vernissés garnis d'argent, ouvrage du Japon, dont un est d'écaille de tortue.

Une table vernie garnie d'argent, du Japon.

Deux paravents de bois du Japon ouvragé à six feuilles, qui est un présent que l'empereur du Japon a envoyé au roi de Siam.

Un autre paravent de soie sur un fond bleu, de plusieurs oiseaux et fleurs en relief, d'ouvrage fait à Siam. Il est aussi à six feuilles.

Un grand paravent plus grand que les deux autres, pour tenir de jour et de nuit, à douze feuilles, ouvrage de Pékin.

Deux grandes feuilles de papier en forme de perspective, dans l'une sont toutes les sortes d'oiseaux de la Chine, et dans l'autre, les fleurs.

Un service de table de l'empereur du Japon, ouvrage très curieux et très difficile à travailler.

Un service de campagne pour un grand seigneur du Japon, et du plus beau vernis.

Vingt-six sortes de bandèges du plus beau vernis du Japon.

Un petit cabinet du Japon, qui passe pour une curiosité.

Une petite table vernie du Japon.

Deux petits coffres pleins de petits bassins vernis, du Japon.

Deux coffres de bois vernis, couleur de feu par le dehors et noirs par-dedans, ouvrage du Japon.

Douze différentes sortes de boîtes, ouvrage du Japon.

Une grande boîte ronde, rouge, vernie, ouvrage du Japon.

Deux lanternes de soie à figures, ouvrage fort curieux du Tonkin.

Deux autres lanternes rondes, la grande d'une seule corne, chacune avec leur garniture d'argent.

Deux robes de chambre du Japon, d'une beauté extraordinaire, l'une couleur de pourpre, et l'autre couleur de feu.

Un tapis de Perse à fond d'or de plusieurs couleurs.

Un tapis de velours rouge bordé d'or avec une bordure de velours vert aussi bordée d'or.

Un tapis de la Chine à fond couleur de feu, avec plusieurs fleurs.

Deux tapis d'Indoustan, fond de soie blanche à fleurs d'or et de soie de plusieurs couleurs.

Neuf pièces de bézoard  de plusieurs animaux (Le bézoard  est un corps étranger que l'on trouve le plus souvent dans l'estomac des humains ou des animaux ruminants et qui ne peut être digéré. Considéré comme un antidote, il a également servi d'objet décoratif chez les collectionneurs de curiosités des xviie et xviiie siècles).

Deux coffres de bois vernis noir à fleur d'or, du Japon.

Deux manières d'ablerdos dont le fer a été fait à Siam, garnies de tambac, le bois est du Japon, dans un étui de bois doré du Japon. (Le terme d’ablerdos est inconnu de Larousse et de Littré. Il semblerait qu’il s’agisse d’une arme blanche ?)

Il y a quinze cents ou quinze cent cinquante pièces de porcelaines des plus belles et des plus curieuses de toutes les Indes ; il y en a qu'il y a plus de deux cent cinquante ans qui sont faites, toutes très fines, et toutes des tasses et assiettes, petits plats et grands vases de toutes sortes de façons et grandeurs.

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