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  • : Le blog des Grande-et-petites-histoires-de-la-thaïlande.over-blog.com
  • : Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
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Pourquoi ce blog ?

  Il était une fois Alain, Bernard …ils prirent leur retraite en Isan, se marièrent avec une Isan, se rencontrèrent, discutèrent, décidèrent un  jour de créer un BLOG, ce blog : alainbernardenthailande.com

Ils voulaient partager, échanger, raconter ce qu’ils avaient appris sur la Thaïlande, son histoire, sa culture, comprendre son « actualité ». Ils n’étaient pas historiens, n’en savaient peut-être pas plus que vous, mais ils voulaient proposer un chemin possible. Ils ont pensé commencer par l’histoire des relations franco-thaïes depuis Louis XIV,et ensuite ils ont proposé leur vision de l'Isan ..........

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Merci d’être venu consulter ce blog. Si vous avez besoin de renseignements ou des informations à nous communiquer vous pouvez nous joindre sur alainbenardenthailande@gmail.com

28 avril 2013 7 28 /04 /avril /2013 03:05

titreNotre dernier article proposait une lecture linéaire de 10 nouvelles écrites* par cinq écrivains thaïlandais : Atsiri Thammachot, Chart Korbjitti, Sila Khomchai, Wanich Jarungidanan, et Win Lyovarin. Elles ont été traduites en français par  Louise Pichard-Bertaux, pour son livre « ECRIRE BANGKOK, La ville dans la nouvelle contemporaine en Thaïlande »**. Il s’agit ici de proposer LA vision « littéraire » de Bangkok de ces différents auteurs, de repérer ce qui leur est commun, leurs différences, leurs spécificités, mais aussi les « trous noirs », ce qu’ils n’ont pas vu ou voulu voir.


Bangkok est la capitale de la Thaïlande, certes. Elle est aussi une grande mégalopole de 10 millions d’habitants***, la « Ville des anges, grande ville, résidence du Bouddha d'émeraude,

 

Bouddha-d-Emeraude-BKK 3

 

ville imprenable du dieu Indra, grande capitale du monde ciselée de neuf pierres précieuses, ville heureuse, généreuse dans l'énorme Palais Royal pareil à la demeure céleste, règne du dieu réincarné, ville dédiée à Indra et construite par Vishnukarn ».****

 

Bangkok ou Krungtep pour Win Lyovarin :


2

 

« (pas de définition)

Si Bangkok était un livre, ce serait un livre de dix millions de caractères, avec des intrigues nombreuses et confuses, comme tous les films thaïs d’il y a vingt ans. Si Bangkok était une femme, ce serait une femme de petite vertu fascinée par la culture occidentale à bon marché. Une femme trop fardée qui cacherait sa décrépitude sous les cosmétiques. Si Bangkok, était un cocktail, il serait composé de : 10% de douceur naturelle, 40% de douceur synthétique,  30% d’essence de plomb, 20% de déchets ».


De façon plus conventionnelle on peut dire que Bangkok est le centre du pays, le cœur de la Nation, du Pouvoir royal, religieux, politique, militaire, financier, commercial, culturel … un espace avec ses quartiers (chinois,

 

quartier chinois4

 

affaires, temples, centres commerciaux de luxe, grands condominium, ses résidences de luxe, ses universités, ses marchés ...), mais aussi ses bidonvilles où s’entassent les nouveaux arrivants de la campagne, ses lotissements loin du centre pour les classes moyennes, ses usines, ses chantiers … ses lieux de prière, de travail, de formation, de plaisir, d’achat … ses avenues et ses « 56 000 soi » … Bref, autant dire que les sujets ne manquent pas.


Mais le sujet qui caractérise Bangkok pour trois des auteurs (Sila Khomchaï, Wanich Jarungidanan, et Win Lyovarin) dans  cinq nouvelles sont les embouteillages*****. Le paradigme en quelque sorte qui permet de critiquer, de condamner le mode de vie que doivent subir, quotidiennement, la majorité des Bangkokiens.


1/ Le temps des déplacements et des embouteillages à Bangkok.

 

embouteillages 5


Nos trois auteurs utilisent des styles, des tons différents, même si c’est l’humour qui prévaut. La dénonciation est la même, quel que soit le moyen de transport utilisé (ici, voiture, bus, taxi) et la classe sociale à laquelle on appartient. (même si la classe moyenne est la plus représentée) : le temps de transport pour aller et revenir du travail, est non seulement long (plus de deux heures pour la majorité), mais pénible, fatiguant, stressant, angoissant …  par ses embouteillages, la pollution, la chaleur moite …


Ainsi Sila Khomchaï, a choisi de traiter le sujet avec humour en présentant une famille se disant elle-même de la classe moyenne se rendant au travail et commentant leur « séjour » dans leur voiture, et les étapes de leur trajet (écouter les nouvelles à la radio, manger, prendre le café avec d’autres automobilistes faire l’amour, amener les enfants à l’école, discuter, penser à s’étirer, jardiner parfois lors des arrêts …).

 

vie en voiture6


Le temps passé en voiture est si long chaque jour que Sila dit que désormais il y a une vie en voiture comme il y a une  vie au bureau et une vie à la maison. « Avoir une voiture est indispensable, parce qu’on y passe autant de temps qu’à la maison ou au bureau. ». Il faut une voiture « assez spacieuse pour accueillir père, mère et enfant, avec tout l’équipement nécessaire aux activités familiales », « la transformer « en maison et bureau mobiles ».


Après la voiture, le bus.

 

Bus 7


Wanich Jarungidanan, dans Capitale, va donc raconter le long retour d’un employé de bureau à son domicile en bus, l’occasion d’évoquer le calvaire quotidien des employés et ouvriers de retour dans leur banlieue après leur travail de la journée.


Notre « héros » se sent déjà « faible et fatigué » parmi les embouteillages, un chemin de croix, feu rouge après feu rouge, carrefour après carrefour, « chaos » après « chaos, arrêt de bus après arrêt de bus, parmi les vapeurs polluées, la chaleur humide … dans les bus bondés, la promiscuité, l’indifférence des uns et des autres, - « Personne ne prête attention aux autres », « ne parle à personne »-, les combats pour monter et descendre, le manque d’air, la suffocation, l’odeur de la sueur, et la fatigue grandissante après plus de deux heures de bus, d’épuisement, de découragement …


Le plus original par le style, les formes stylistiques choisies et l’humour est incontestablement Win Lyovarin, avecPetit lexique à l’usage des Bangkokiens de la classe moyenne, et La ville des pêcheurs. (Cf. article précédent).


Son « Petit lexique » est l’occasion pour Win de raconter en  45 entrées sous forme humoristique, une journée d’une famille de la classe moyenne,  «  qui aime sa vie répétitive de tous les jours, comme plusieurs millions de robots à Bangkok »),  de son réveil à son retour à la maison, le soir. Un lexique formant une clé de compréhension humoristique de la classe moyenne, où on peut remarquer que les embouteillages occupent une bonne place. Dès le lever, on commence une course contre la montre, et on songe aux embouteillages à venir. (Embouteillage : « Equipement de série sur toutes les voitures achetées).  Et c’est la voiture, « le temps de la compétition », du gagne temps, des invectives, du petit déjeuner, du regret de ne pas pouvoir déménager au centre faute d’argent. Et après le travail, le retour avec encore les embouteillages, et s’il pleut, cela signifie « encore plus d’encombrements et un retour à la maison encore plus tardif que d’habitude. » Et « deux millions huit cent soixante-seize mille cinq cents habitants de Bangkok » qui disent « à la même minute » : « il faut qu’elle tombe à cinq heures, quand on sort du travail, pour faire des saletés d’embouteillages ». Et Sawang d’aller chercher sa femme, avec toujours ce retour lancinant et ces satanés embouteillages. « Regarde ça, les voitures n’avancent plus », lui dit sa femme.  Un peu plus tard, en prenant l’un des fils à l’école, « Il y a des embouteillages, mon chéri » pour justifier le retard. On n’en sort plus.


Après la voiture, le bus, on peut aussi utiliser le taxi.

 

bangkok-taxi 9


Deux nouvelles y sont consacrées dans des registres et des fonctions différents ;  La ville des pêcheurs de Win Lyovarin, et Merci Bangkok, de Sila Khomchaï.


La ville des pêcheurs de Win Lyovarin dans une forme originale choisit de nous embarquer dans un taxi avec un chauffeur isan accomplissant 10 itinéraires, avec des clients de toute condition et d’âge différent, évoquant des sujets divers, dont certains n’échappent pas aux récriminations contre les fatals embouteillages :

  • Critique et virulent : “Un vrai système de transports en commun, c’est pas  demain la veille qu’on l’aura. Comment peuvent-ils (ces fils de putes de députés) nous laisser mariner dans ce embouteillages », disent les chanteurs.
  • Résigné, fatigué, écoeuré : «  oui, c’est dur. Mais comment faire ? Je ne suis pas né fils de banquier », ou plus loin : « Moi, je suis un vrai chauffeur de taxi, mais à présent, je suis fatigué de tout cela. Toutes les professions ont leurs difficultés, mais franchement, j’ai chargé des gens à Phetchaburi, et pour venir ici, j’ai mis plus d’une heure ! Il est déjà minuit, et c’est toujours aussi embouteillé. Il faut que je supporte ça… »,  dit le chauffeur de taxi.
  • Exaspéré et en colère : « Quel foutu encombrement ! On pourrait mourir au milieu de la rue que ça ne bougerait pas plus », dit le couple en route en urgence vers un hôpital (Cf. article précédent).

 

Le taxi de Merci Bangkok, de Sila Khomchaï, oublie les embouteillages pour évoquer la violence et la peur dans Bangkok, la nuit. (Cf. ci-dessous)


2/ Critique de Bangkok, avec ses soï et ses bidonvilles.

 

bidonville 10


Si les nouvelles ne décrivent pas la vie dans les condominiums luxueux, ou dans les lotissements des classes moyennes,  situés surtout en banlieue,  « Nous habitions dans le même soï », de Wanich Jarungidanan et Quitter le canal  de Sila Khomchaï dressent un portrait déchirant des soï et des bidonvilles.


La vie dans les soïUne description qui fait peur.


La nouvelle « Nous habitions dans le même soï », de Wanich Jarungidanan, bien que consacrée à l’impossibilité pour un étudiant de  « déclarer sa flamme » à une autre étudiante qui habite le même soï, et qu’il n’ose pas aborder est aussi l’occasion de décrire la vie d’un soï « semblable aux 56 000 autres soi de Bangkok et de Thon Buri, étroit et populeux », un milieu criminogène et violent.

 

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La description est terrible, sinistre, cruelle, virulente … :


 « Ici, comme dans les autres soï, il y a « les habituels marginaux bruyants. Des groupes de bons à rien vantards qui trainent toute la journée », « des dealers et des accrocs à la drogue », « des voyous princiers et des voyous minables », « des spécialistes dans toutes les branches du crime ». Une violence que chaque habitant va connaître un jour ou l’autre : « J’ai déjà vu deux hippies battus presqu’à mort devant le café ». Et surtout la nuit où « Très peu de femmes osent emprunter ce soï à la nuit tombée ; les vols et les attaques physiques y sont monnaie courante ».


Un soï avec l’alternance du bruit du jour et du silence de la nuit,  avec sa typologie particulière : bordée de bâtiments et de boutiques dans la première partie, et ensuite une « alternance de maisons et de terrains vagues, avec des habitations éparpillées, qu’on ne peut même pas appeler maisons. En fait ce soï est un bidonville de plus en Bangkok ». « L’espace près de l’avenue est assez habité, mais quand on pénètre plus avant, on entre dans un autre monde »


On y trouve aussi le « traditionnel » canal, plein d’herbes et d’ordures, « avec l’odeur infecte qui se répand partout », et avec cette caractéristique si courante à Bangkok, d’être situé « à une dizaine de minutes de marche des immeubles luxueux de l’avenue. », que notre « héros » traduit, en plaisantant : Bangkok, enfer ou paradis ?

 

Notre héros apprendra « dans le journal, à la Une », que  celle qu’il avait aimée et qu’il n’avait jamais pu aborder avait été tuée.


Le Bangkok des bidonvilles.


La nouvelle  Quitter le canal  de Sila Khomchaï est centrée sur une scène de vie d’une mère avec sa petite fille et son fils de 11 ans vivant dans un bidonville, une baraque de tôle  à côté d’un pont bruyant et d’un canal à l’eau croupie et à l’odeur répugnante,  sur lequel passent des bateaux avec des prostituées offrant leur service.

 

379859-canal-bidonville-de-bangkok 11

 

Une scène de vie d’une famille pauvre - que le père a abandonné pour vivre avec une autre femme- essayant de survivre au jour le jour avec ce qu’ils ont trouvé dans  les rebus des marchés, des poubelles et des chapardages dans les restes des restaurants.

La mère prendra la décision de quitter ce bidonville, voulant épargner à sa petite fille de vendre son corps plus tard, mais pour aller où ?

Combien sont-ils de paysans pauvres à atterrir ainsi dans un bidonville après avoir rêvé à une vie meilleure. « A la capitale, il y a tout ce qu’il faut pour qu’on s’en sorte », avait pourtant dit le père.


3/ La vie « moderne » de Bangkok. Le prix à payer : la fatigue, la peur de l’autre, la violence, les foyers brisés, les espoirs déçus


Les nouvelles n’évoquent pas les lumières de la ville, ses charmes culturels, ses temples de prière et de consommation et ses marchés pittoresques, ses lieux festifs ni ses nuits fébriles avec ses beautés tristes comme le dirait Sangsuk, ni ses joies, ni ses plaisirs, ni ses ivresses ou si peu ou si mal, comme ces deux hommes en costume de ville dans La ville des Pêcheurs, heureux de pouvoir se payer des « filles » dans les karaokés.

 

Bar-karaoké-Japon-12


Non, si on peut apercevoir un « Notre vie est heureuse et dynamique », ce n’est que par antiphrase, et après un terrible réquisitoire :


« nous, humains, avons détruit la nature tout autour de nous, notre propre nature intérieure a été ravagée par la vie urbaine, le travail, la pollution, la circulation saturée…la vie de famille qui constituait un hymne au bonheur de par son rythme et ses composantes, a basculé dans l’incohérence et l’instabilité ». (Khomchaï, Une famille dans la rue).


Une autre nouvelle de  Win Lyovarin, la ville des pêcheurs, montre aussi que pour la majorité des Bangkokiens, le temps des transports qui augmentent leur fatigue, leur stress, après leur journée de travail, leur donne peu de temps pour s’occuper des enfants le soir. « Ca fait plusieurs soirs que je finis tard comme ça. Mes enfants ne se souviennent pratiquement plus de la tête que j’ai. Je suis trop crevé, dès que j’arrive, je me couche », dit un père de famille. Ou un autre venant chercher sa fille  dans une discothèque : « Un père qui n’a jamais eu du temps à donner à ses enfants… Tout le temps à travailler », et qui reconnaît : “Je n’ai pas eu beaucoup de temps à consacré à mes enfants. Je passe mes journées à travailler pour rapporter de l’argent à ma famille. Le résultat est là : un foyer brisé. »


  • La violence, la peur de l’autre. 

 

2bangkok460


Et après la fatigue du travail, des embouteillages, la pollution,  la violence des soï, la misère des bidonvilles, les enfants à l’abandon et ses foyers brisés, Sila Khomchaï de Merci Bangkok, plonge Bangkok dans la peur de la nuit.  


Un Bangkok de nuit qui agresse, tue, viole, kidnappe… s’insinue dans les consciences, les bouscule, et qui transforme l’autre en un danger, un criminel potentiel, en quelqu’un dont il faut se méfier.

 

la nuit 13


Ainsi dans le taxi, le passager et le chauffeur ont peur l’un de l’autre. Chacun s’attend à être attaqué et est sur la défensive. Ils lisent les journaux, ont vu « les photos en noir et blanc de tous ces morts à la une des journaux », ont entendu un proche leur raconter une mésaventure ou un crime.

« Au cours de ces dernières années. Il n’avait pas vu un seul journal sans un article sur un vol, un meurtre, un viol ou un kidnapping. Des histoires qui donnent à réfléchir quand on promène sur soi une grosse somme d’argent au cœur de la ville. Ce matin encore, un cadavre sans tête s’étalait à la une des journaux ». « Une sale histoire se produit à chaque heure … ».

Alors ils se méfient, interprètent négativement l’attitude et les gestes de l’autre :

Le chauffeur est crispé sur son volant, « son cœur battait plus vite, en alerte », il est inquiet, il se pose plein de questions … « c’était que ça n’annonçait rien de bon ». Il avait eu un collègue qui s’était fait braqué le mois dernier et s’était fait taillé l’oreille par un coup de rasoir d’un passager.

Le passager trouve le chauffeur « bizarre ». « Le regard et l’attitude du chauffeur de taxi le mettaient mal à l’aise ». Il a peur. Lui aussi sait que Bangkok est dangereux.

ET dans le huis-clos du taxi, la tension monte, « comme si le doigt était déjà sur la détente », « l’atmosphère équivoque et oppressante », les deux hommes se sentent à la merci de l’autre et se préparent à répondre à une attaque surprise.


Bangkok les a transformés. Le commentaire du narrateur est explicite :


« (L)a violence, qui avait augmenté jusqu’à devenir un élément indissociable de la ville de Bangkok ». « Ils ont entendu tellement d’histoires sur Bangkok, la nuit ».


A la fin de la nouvelle, quand le passager descend, et pousse le portail de sa maison, « il se sentit soulagé », « le chauffeur de taxi ressentait la même chose ». Ils ont le sentiment que cette fois-ci, ils s’en sont  « tirés sains et saufs encore une fois. Bien que rien n’est changé à Bangkok ».


  • Alors, quand Bangkok  devient ainsi si difficile à vivre, quand le quotidien devient insupportable, misérable, cruel, absurbe … on se souvient des espoirs déçus, et on rêve parfois.

 

On peut se souvenir comme la famille vivant dans le bidonville de Quitter le canal  de Sila Khomchaï, aux promesses du mari : « On ne sera pas misérable comme on l’était chez nous. Tout va bien se passer. A la capitale, il y a tout ce qu’il faut pour qu’on s’en sorte. Ce sera toujours mieux que de travailler dans leurs champs et de les enrichir par notre travail. On va  y arriver », qui les abandonnera et laissera sans ressources, au milieu de la pollution, du bruit, des odeurs répugnantes, et de la prostitution.


On peut rêver : « La nuit dernière, j’ai fait un drôle de rêve. Je voyais Bangkok comme la ville Utopia, il n’y avait pas de voiture, l’eau des canaux était propre, il n’y avait pas de fumées de pots d’échappement, je voyais des arbres d’un vert tendre … ».


utopia

 

Mais avec  les retours à la réalité.


Et sa femme, de l’interrompre : « T’es dingue ! N’importe quoi ! Va te coucher ! tu te lèves tôt demain. » (Win Lyovarin, Lexique…)

  • On peut penser et regretter les charmes du village.

 

 Comme notre héros de Capitale  qui coincé dans le bus, entend un « cinglé », un jeune gars du Nord-Est, qui se met à chanter « Idylles », une chanson mélodieuse dont les paroles lui rappellent le bonheur perdu et sa triste condition : « je suis pauvre », la nécessité de quitter la maison , et l’espoir de revenir « Lorsque je serai riche, tout ira bien … ». Et la chanson d’évoquer la nature, les senteurs, les parfums, « le parfum de terre sous la pluie », « Le doux parfum de la joue d’une très jolie fille », la pêche, « le doux son des chants populaires » (Capitale)

  • Un regret d’autant plus douloureux, que le retour est vécu comme  impossible par certains.

 

« Pourquoi les gens sont venus s’entasser à Bangkok » « dans cette affreuse grande ville » ?« Si seulement on pouvait choisir » … « Si seulement j’avais un peu d’argent … Je ne serais pas obligé de subir la torture de rester assis là. Je pourrais épouser ma fiancée. »

Ou :  

« J’aimerais rentrer chez moi, en province. Je voudrais tellement, mais qu’y ferai-je ?  Il n’y a pas de travail du tout, hormis pêcher ou ramasser des coquillages. Pas suffisamment pour vivre. Je ne pourrais pas supporter de prendre un emploi de manœuvre dans une rizerie. »

Ils sont donc plusieurs à penser le village comme le bonheur perdu, le lieu de l’amour laissé, de la famille qui attend, des amis, de la convivialité, au milieu des charmes de la nature, des traditions et des activités festives qui donnent sens à la vie. Mais certains se souviennent de la nécessité qui leur a fait quitter le village, la nécessité de trouver un travail rémunérateur, pour faire face aux charges, se marier et se payer les nouveaux objets.


4/ Le retour au village.


vie a la campagne

 

Trois nouvelles l’évoquent.

La ville des Pêcheurs se termine sur la décision du chauffeur de taxi de retourner à Buriram.

- « Mais vous, c’est pareil ; vous conduisez tard toutes les nuits. Vous avez du temps pour votre famille ? »- « Elle n’est pas ici, elle est en province. » - « C’est dur la vie de couple quand on est chacun de son côté ». -“Oui, j’espère que ça ne va plus l’être ! Car ce soir, c’est ma dernière nuit comme chauffeur de taxi. Demain, je rentre à Buriram ». Mais on ne sait pas ce qu’il va retrouver, ni s’il pourra rester.


Le personnage de  « De retour au village » de  Chart Korbjitti, n’éprouve  nul besoin de revenir, même si la vie à la ville  lui parait « insignifiante » avec cette course vaine aux choses, le crédit pour acheter, la maison, la télévision, le réfrigérateur, et puis la voiture … Il a le sentiment que le village ne bouge pas, que les choses sont restées en l’état, comme il y a 15 ans.


Par contre, l’« héroïne » de Atsiri Thammachot dans Le Passé est le passé se trouve contrainte de revenir  au village, après avoir perdu son poignet dans une usine de Bangkok, par « une machine infernale (qui) l’avait transformée en une handicapée qui était rentré chez elle solitaire et désespérée.  En plus l’énorme somme d’argent qu’elle avait reçue pour compenser son poignet tranché lui avait fait perdre tout ce qu’elle avait jamais eu dans la vie ».


Elle était pourtant partie à Bangkok avec « la volonté et l’espoir de se confronter aux problèmes du monde, et surtout, elle avait le devoir de soutenir sa famille envers toutes les difficultés. » Mais le retour au village est tragique.


A part l’empathie exprimé par le grand-père, notre « handicapée » est écoeurée par la cupidité de sa famille qui ne pense qu’aux moyens de dépenser l’argent, sans la consulter, ni  exprimer la moindre sympathie. La mort du grand-père causée par deux cambrioleurs la première nuit de son retour la poussera à la fuite, encore plus désespérée.


Notre jeune femme n’a pas eu  ici le ressort du mai pen rai.


Le  « mai pen rai » ?

 

Mai-Pen-Rai-balinese


La nouvelle de  Chart Korbjitti, in « La ville Mai pen rai », est consacrée, avec humour à  cette expression que tous les Thaïlandais utilisent dans leur quotidien pour faire face aux situations gênantes, difficiles voire graves parfois, comme le rappelle  dans sa note Louise Pichard-Bertaux :


« Cette locution signifie littéralement « ça ne fait rien », « ça n’a pas d’importance ». Mais plus qu’une simple expression de langage elle résume une façon de vivre, une philosophie du quotidien qui permet de prendre ses distances par rapport aux problèmes de la vie ».


Le conte, vous vous en souvenez, met en scène un dictateur qui veut imposer la disparition du man pen rai, cette « manière de vivre venue de leurs ancêtres », où l’on pouvait décider de son temps, selon sa convenance,  et qui est désormais incompatible avec la vie moderne, l’ère des usines, des machines, l’ère du progrès, « le grand bonheur du futur ». « Quand les machines fonctionnent, les hommes doivent fonctionner ». Nulle place pour le man pen rai. Mais la chute finale suggère que les Thaïlandais ne peuvent y renoncer, tant elle est partie intégrante de leur culture.

 

                                               ___________________

 

En guise de conclusion.


Alors quelle vision de Bangkok dans le corpus proposé?


Si Chart Korbjitti semble suggérer que cette philosophie du man pen rai est chevillée au corps des Thaïlandais et peut les aider à surmonter les affres de la vie moderne en ville, les autres nouvelles ont surtout montré, nous l’avons vu, une vision très négative voire destructrice de Bangkok, même si le ton humoristique est privilégié bien souvent. Alors après le man pen rai, l’humour pour supporter  la vie à Bangkok ?


Bangkok, « cette affreuse grande ville », est surtout vu à travers ses embouteillages, le paradigme du temps perdu pour la famille et les enfants, les foyers brisés,  la fatigue, le stress, la pollution, la chaleur moite … vécus différemment selon la classe sociale à laquelle on appartient. La classe moyenne apprécie sa voiture, qui devient un nouveau lieu de vie. Désormais il y a une vie en voiture comme il y a une  vie au bureau et une vie à la maison. Les ouvriers et les employés souffrent dans les bus bondés, dans la promiscuité, la suffocation, la chaleur, l’odeur de la sueur  et l’indifférence du voisin.


Et la nuit, Bangkok se transforme en un lieu violent, une « violence, qui avait augmenté jusqu’à devenir un élément indissociable de la ville de Bangkok », où règne l’anxiété, la peur alimentées par les « une » des journaux, sur les vols, les meurtres, les viols et les kidnappings, si ce n’est par les mésaventures vécues par des proches. Une peur qui vous fait voir « l’autre » comme un danger.


La vision de l’urbanisme n’est guère plus favorable.


Si on évoque furtivement la présence des immeubles luxueux des avenues, c’est pour mieux décrire la violence et les dangers de vivre dans un soï, « semblable aux 56 000 autres soï de Bangkok et de Thon Buri, étroit et populeux », au milieu des truands, des criminels, et des drogués,  un autre monde où «  les vols et les attaques physiques y sont monnaie courante ».

Ou bien encore, la vie dans les bidonvilles, où les pauvres, les femmes abandonnées avec leurs enfants, survivent dans des baraques de tôle, au milieu du bruit, des déchets, près d’un canal à l’odeur répugnante, dans la promiscuité de la prostitution.


Dans ce cadre de vie délétère, il est difficile de voir des gens heureux.


Si les représentants ici de la classe moyenne, veulent parfois se convaincre de vivre une vie heureuse et dynamique, ils ne peuvent que reconnaître qu’ils vivent comme des robots,


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« comme plusieurs millions », une vie répétitive, « ravagée par la vie urbaine, le travail, la pollution, la circulation saturée », avec une vie de famille qui «a basculé dans l’incohérence et l’instabilité ». Le constat est terrible.

Et ce n’est pas la femme abandonnée dans un bidonville avec ses deux enfants, ni la jeune femme qui retourne au village après avoir perdu son poignet dans un accident de travail, qui vont atténuer ce tableau sombre. Ni le chauffeur de taxi qui a décidé de retourner à Buriram, excédé par les embouteillages, la peur, et l’éloignement de sa famille.

Certes, ici ou là, on pourrait citer quelques « occurrences » qui indiquent des gens heureux de leur situation, mais ce n’est pas un hasard s’ils ont « réussi » et parlent de leur argent qui peut tout acheter, même les filles.  


Mais cela est très marginal, et LA vision qui demeure est une vision de Bangkok, embouteillée, bruyante, polluée, saturée, dangereuse, violente, criminogène, anxiogène, stressante …


 La ville des espoirs déçus. On était venu pour trouver un travail rémunérateur, une vie meilleure pour soi et aider la famille, et on se retrouve dans un bidonville ou un soï qui y ressemble, tuée, abandonnée, séparée, mutilée … ou pour le moins fatigué et résigné.


Bien entendu, d’autres Bangkok existent, d’autres vies possibles. On pense aux nobles, moines, militaires,  politiques, classes aisées, prostituées … on pense à la nouvelle génération vivant sans complexe leur nouvelle religion consommatrice d’ « objets » et d’ « idoles » à la mode, leur addiction à internet, facebook … 


Et il y a aussi d’autres auteurs; D’autres lectures de ce corpus, comme par exemple le livre de Louise Pichard-Bertaux : « ECRIRE BANGKOK, La ville dans la nouvelle contemporaine en Thaïlande. »** 


Et il y a votre propre expérience …


 

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*Atsiri Thammachot. Le Passé est le passé, Quitter le canal. Chart Korbjitti,  La ville Mai pen rai, De retour au village . Sila Khomchaï. Une Famille dans la rue, Merci Bangkok. Wanich Jarungidanan, Capitale, Nous habitons dans le même soi. Win Lyovarin, Petit lexique à l’usage des Bangkokiens de la classe moyenne, La ville des pêcheurs.


**Connaissances et Savoirs, 2010.


Ils sont tous, dit Louise Pichard-Bertaux,  lauréats du SEA Write, (le prix le plus prestigieux attribué chaque année à un auteur de chaque pays des 10 membres de l’ASEA), « tous connus du grand  public et cités dans les diverses études faites sur la littérature thaïe contemporaine », tout en précisant que d’autres auteurs sont aussi talentueux.


***voire 15 millions avec le grand Bangkok.


**** Wikipédia : en thaï : กรุงเทพมหานครอมรรัตนโกสินทร์มหินทรายุธยามหาดิลกภพ นพรัตน์ราชธานีบุรีรมย์อุดมราชนิเวศน์มหาสถานอมรพิมานอวตารสถิต สักกะทัตติยะวิษณุกรรมประสิทธิ์.


Sa transcription :

Krungthepmahanakhonamonrattanakosinmahinthrayutyamahadilokphopnoppharat ratchathaniburiromudomratniwetmahasathanamonphimanawatansathitsakkathattiyawitsanukamprasit

 

***** Sila Khomchaï. Une Famille dans la rue et Merci Bangkok. Wanich Jarungidanan, Capitale, et Win Lyovarin, Petit lexique à l’usage des Bangkokiens de la classe moyenne, La ville des pêcheurs.

 

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