1/ S’ installer dans un village d’Isan ……….à la retraite, faudrait-il rajouter.
J’avais déjà dans un article intitulé « S’installer en Isan ? » proposé un récit, une histoire possible basée sur mon « vécu » et quelques « expériences » d’ « amis », vues, entendues, commentées … Cette histoire racontait, entre autre : qu’ On ne s’installe pas en Isan par hasard. Chacun a son histoire, son récit. En effet, que de chemins pris parmi les 2,5 millions d’ expatriés français, que d’ étapes, d’ « aventures »…
Auparavant, il avait fallu visiter la Thaïlande ! et puis, un jour, décider de s’y installer.
On avait alors pensé et relaté que ce choix s’était souvent fait, pour les hommes, en fonction de la renommée sulfureuse des « filles » de Thaïlande. Qui n’avait pas entendu parler de ces « fameux massages », de ces « gogos » ? Qui n’avait pas un ami qui lui avait raconté son « voyage ». Des forums, des émissions TV françaises, des films, des livres en parlaient … en condamnant souvent . Alors, forcément, un jour, on avait fait le « voyage » pour « voir » …
On avait alors évoqué les principaux cas de figure, qui là comme ailleurs, étaient divers : de l’échec à la « réussite », de l’arnaque
à la belle histoire d’Amour.
Et on en avait entendu des « histoires ». Chacun avait même la sienne à raconter, une « expérience » unique qui était donc forcément LA Vérité. Il y avait aussi « ceux qui débinent, décrient, réprouvent, condamnent, éreintent (les femmes thaïes)… la voix des déçus, le chant des acrimonieux, le chœur des « lamentations » de ceux qui savent […] : « Elles ne pensent qu’à l’argent. Elles ne savent pas ce qu’est l’Amour. Elles ont toutes un petit ami thaï. Elles sont vendues, envoyées par leur famille. Ce sont toutes des « putes »… »
Il suffisait bien souvent que vous passiez vous même par un échec, une « escroquerie » pour partager ces sentences qui se voulaient générales, définitives.
Alors, j’avais raconté ma modeste expérience de vie : le premier échec à Pattaya, la rencontre de ma femme, le mariage, les inquiétudes et les espoirs, l’installation en pays Isan, à Udon Thani.
Un article du 22 avril 2010 du « Petit journal » (avec AFP) confirmait que nous étions nombreux à avoir tenté « l’aventure » (Cf. en note : quelque 60 à 70.000 couples interculturels recensés dans la région, selon Buapan Promphakping, professeur associé dans le développement social à l'université de Khon Kaen).
Mais il avait fallu auparavant quitter la France, décider de s’installer en Thaïlande, vivre pour beaucoup une première expérience dans les principaux lieux touristiques comme Phuket, Ko Samui, Pattaya… et un jour, opter pour une vie plus « thaïlandaise », plus « authentique », et de choisir de s’installer dans la région de leur femme, en ville ou au village, pour rester entre compatriotes pour certains , pour partager la vie des Thaïlandais pour d’autres, pour rester avec la langue française ou en passant par l’apprentissage de la langue thaïe… en voulant en tous cas, en savoir un peu plus sur leur Région d’adoption , et pour nous sur l’ISAN, cette province particulière de Thaïlande.
J’avais rencontré Bernard et nous avions décidé de créer un blog, ce blog, qui prenait jour le 1er janvier 2011. Nous avions voulu rendre –compte des premiers contacts de nos compatriotes avec les Siamois et relaté les relations franco-thaïes depuis l’arrivée des premiers missionnaires, les ambassades dites de Louis XIV … jusqu’à la visite de Jacques Chirac. En chemin, nous avions « découvert » des personnages hors du commun.
Et puis nous nous sommes dit qu’il faudrait quand même en savoir un peu plus sur notre Région d’adoption : l’Isan et nous vous avons proposé : NOTRE Isan, en pensant à notre cher Montaigne :
"Le voyager me semble un exercice profitable; L’ âme y a une continuelle exercitation(sic) à remarquer les choses inconnues et nouvelles; et je ne sache point meilleure école, comme je l’ ai dit souvent, à former la vie, que de lui proposer incessamment la diversité de tant d’ autre vies, fantaisies et usances, et lui faire goûter une si perpétuelle variété de formes."
2/ Et puis, il y eut cette décision : s’installer dans le village isan de ma femme.
Il y avait eu sur plus de 10 ans : un séjour à Bangkok, à Pattaya, à Udon Thani et en août 2011 une installation dans un petit village d’Isan … au milieu des rizières !
Et immédiatement le besoin de se justifier, tant les « amis » considéraient comme un exploit, au moins une « aventure » risquée le fait de s’établir dans un village rural de Thaïlande !
Ils s’inquiétaient d’avance, assurés qu’ils étaient de « mon ennui », de mon « inadaptation », de me trouver loin de la « civilisation » , des « hôpitaux », des « amis » … et aussi, de me faire « manger » par la famille !
Je ne sais si leurs inquiétudes étaient justifiées, mais du moins, elles m’incitaient à chercher et à leur donner les raisons de ce choix de vie.
Je savais qu’ il y avait les raisons conscientes et inconscientes, les « belles » raisons et les « inavouables ». On pouvait craindre la « posture » !
Les forums en étaient truffés : vivre loin des centres touristiques, vivre de façon plus authentique, vivre dans la « vraie » Thaïlande, connaître enfin les Thaïlandais. Certains même parlaient d’ « intégration », diable !
Et chacun arrive avec ses « bagages ».
Je « voyais » les miens chargés déjà de « vie » à « l’étranger » : de nombreux voyages avec la visite d’une cinquantaine de pays dont 10 mois en Amérique latine, des séjours au Tchad ( 4 ans), en Mauritanie, en Nlle Calédonie (16 ans) et en Thaïlande ...
Il y avait eu aussi une maîtrise sur le voyage d’ Antonin Artaud au pays des Tarahumaras,
et un doctorat sur la représentation du monde canaque dans une oeuvre d’un auteur calédonien. On ne pouvait pas dire que j’arrivais en toute « innocence ».
Et puis j’avais lu « Tristes tropiques » de Levi Strauss,
l’un des meilleurs, sinon le meilleur des « voyages philosophiques ». Certes, je n’étais pas ethnologue, mais je pouvais entendre :
- « Je hais les voyages et les explorateurs. Et voici que je m’apprête à raconter mes expéditions »
- « des bribes d’information délavées, traînant depuis un demi-siècle dans tous les manuels, et qu’une dose d’ impudence peu commune, mais en juste rapport avec la naïveté et l’ignorance des consommateurs, ne craint pas de présenter comme un témoignage, que dis-je, une découverte originale » .
- « il tient à sa disposition une société : la sienne ; pourquoi décide-t-il de la dédaigner et de réserver à d’autres sociétés (…) une patience et une dévotion que sa détermination refuse à ses concitoyens ».
Eh oui, les questions, les interrogations, les contradictions et les doutes étaient là, même chez l’un des plus grands.
3/ Après cette « envolée » il fallait revenir sur terre, sur mon « sol » ; je n’allais quand même pas chez les Bororo, les Nambikwara, ou les Tupi- kawahib, même si l’inquiétude des « amis » semblaient le faire accroire.
Je voulais plus simplement, à la fois laisser un milieu francophone dont les us et coutumes n’étaient pas à la hauteur de mes « attentes » , découvrir un autre « environnement », et surtout permettre à ma femme de « vivre », de retrouver pleinement sa vie : aider la mère, assurer l’éducation des deux enfants d’un frère décédé, et participer aux activités de la famille et du village, vivre au plus près de la culture traditionnelle d’ Isan.
4/ Certes un tel « programme » nécessitait pour MOI une préparation :
Le désir de connaître l’autre, de vivre dans un petit village, de respecter sa culture, ses usages, ses règles dites et non-dites, nécessitaient aussi que je ne m’y « perde » pas, que je puisse conserver mon « identité» dans ce qu’elle a de fondamentale, ma part de « décision », ma part de liberté de choix, une forme d’ « autonomie » qui me permette d’ « harmoniser » le « vivre ensemble ».
En effet, il y avait un certain nombre d’obstacles
Notre travail pour le blog m’aidait quelque peu. N’avait-on pas cherché à déterminer ce que pouvait signifier l’Isan, « marqué » surtout, comme disent les ethnologues, par son histoire, sa langue, « sa » religion, ses mythes, sa condition socio-économique …
Mais à l’évidence :
Je ne parlais pas lao
Je n’étais ni bouddhiste ni animiste
Je n’étais pas paysan
Je ne connaissais pas la géographie sacrée connu de tous, les esprits du village, le temps sacré, les histoires des relations familiales, les traditions orales …
Bref, on pouvait dire que je ne connaissais pas grand chose de mes hôtes. Mais au moins, avais-je ma singularité : j’étais le seul farang du village ! une aspiration : devenir un farang isan (comme le dit mon ami Jeff) !
Et puis, la connaissance n’était pas tout, il y avait : le village, ma femme, la famille isan, ma famille (au loin), les « amis » (au loin) et moi … des relations « différentes » à établir, à conforter et surtout à « vivre ». Eh oui, le plus important était le « VECU ».
Et je pensais (encore !) à la fin admirable de « Tristes tropiques » :
« cette faveur que toute société convoite, quels que soient ses croyances, son régime politique et son niveau de civilisation; où elle place son loisir, son plaisir, son repos et sa liberté; chance, vitale pour la vie, de se déprendreet qui consiste – adieu sauvages ! adieu voyages ! – pendant les brefs intervalles où notre espèce supporte d’interrompre son labeur de ruche, à saisir l’essence de ce qu’elle fut et continue d’être, en deçà de la pensée et au-delà de la société : dans la contemplation d’un minéral plus beau que toutes nos œuvres ; dans le parfum, plus savant que nos livres, respiré au creux d’un lis ; ou dans le clin d’œil alourdi de patience, de sérénité et de pardon réciproque, qu’une entente involontaire permet parfois d’échanger avec un chat ».
A chacun, bien sûr, ses moments « heureux », « magiques », de « communion », de complicité avec le monde, où on a le sentiment de vivre pleinement. Moments rares, bien sûr mais O combien réconfortants.
Ces moments ne manqueraient pas au village : avec les ballades dans les rizières, le travail des buffles, les retours des champs avec les cueillettes du jour, les nouveaux plats dégustés, les visites inattendues, les fêtes du temple … Ou moins lyrique : les bonnes bières, et divers alcools de riz partagés !
ou plus vrai : le sourire de ma femme…HEU REU SE d’être revenue, avec le sentiment d’avoir « réussi » (que chacun peut interpréter selon son état d’esprit), de pouvoir, de nouveau, renouer les « liens » avec sa « terre », avec sa mère, d’assurer la vie de la maisonnée, avec quelques assurances pour l’avenir.… avec mon aide (mais n’est-ce pas une des missions du mari).
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Le « vécu » donc, et une autre réalité que beaucoup utilisent sans avoir le sentiment de la « révolution » qu’il représente : INTERNET ! Eh oui, les villages d’Isan ont (presque) tous accès à internet. Et cela change tout.
Nous sommes « connectés » au monde, et on doit se « connecter » au monde « Isan ».
Nous avions rendu-compte des craintes de Pira Sudham (le grand écrivain d’Isan) sur les changements qu’il observait dans la société traditionnelle de son village. Il ne pouvait pas prévoir internet et la « révolution » qu’il opère.
Il nous faudrait donc modifier le titre de cet article et de notre projet pour :
S’installer dans un village d’ Isan ( qui a internet) à la retraite.
Eh oui, j’arrivai dans un village isan, chez ma belle-famille, mais avec une autre ouverture au monde, une autre « réalité » fut-elle « virtuelle » : mon coin « internet ».
5/ Il fallait d’ailleurs s’organiser, marquer son territoire.
Outre le coin internet, il fallait établir des règles de vie, qui prenaient la forme d’un territoire -mon territoire- à partir duquel je pouvais découvrir la vie du village, des villageois, et de son « environnement », partager en « invité » leurs activités, leurs « fêtes »,
eurs joies et leurs peines …
Oui, il me semblait fondamental d’établir un « Territoire » que je pouvais « contrôler ».
Il allait prendre la forme d’un espace plus « confortable », « décoré » avec mes « choses », mes livres....
Il était entendu (assez facilement) que je pouvais aménager le rez-de-chaussée (le 1er étage restait en l’état). Ainsi, j’investissais (un peu) dans la création d ‘une chambre fermée, un petit salon avec un coin TV (français) et un coin internet, une belle salle de bain (avec chauffe-eau !), une cuisine extérieure de style farang, avec remise fermée ( pour le contrôle du frigo, des bières et autres "friandises" …) et une belle terrasse (100 m2) qui serait le lieu de vie COMMUN (avec coin cuisine isan). Et, et …….. ??????????? le contrôle du coffre, de la « banque ».
Oui, aujourd'hui comme hier, il fallait être clair sur l'argent donné par semaine. (C'était tant par semaine. Chacun en fonction de ses moyens ). Un argent que votre "dame" doit gérer pour contribuer au bien-être de la famille (Vous êtes là aussi pour cela !) et non pour s'enrichir, et en considérant que l'on ne doit ensuite jamais discuter d'argent.(une clé de la réussite du couple).
5/ Voilà trois mois que je suis installé (nous sommes fin octobre 2011) !!!
Vous pouvez vous douter que j’ai beaucoup à dire et j’ai noté ce qui m’a marqué, étonné, surpris, éberlué, frappé, ébahi … conforté dans ce choix de vie.
Oui, la vie peut être belle dans un village d’Isan, même pour un farang marié à une Isan.
A suivre.
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Un article du 22 avril 2010 du « Petit journal » (avec AFP) confirmait que nous étions nombreux à avoir tenté « l’aventure » :« Les vacanciers en Thaïlande s'aventurent rarement en Isan, l'une des régions les moins prospères du royaume, et où les exploitations fermières sont plus communes que les hôtels fastueux et les plages paradisiaques du sud. Pourtant, beaucoup d'étrangers semblent partager l'enthousiasme de Justin. Lui et Eve font partie des quelque 60 à 70.000 couples interculturels recensés dans la région, selon Buapan Promphakping, professeur associé dans le développement social à l'université de Khon Kaen. La tendance a commencé dans les années 60 lorsque plusieurs milliers de soldats américains ont été stationnés dans la région durant la guerre du Vietnam. Mais elle a ensuite continué au même rythme, d'autant que beaucoup de femmes pauvres d'Isan ont quitté leur foyer pour trouver du travail dans les zones touristiques – souvent en tant que fille de bar – où elles peuvent rencontrer des hommes étrangers et les pousser à s'installer dans le nord-est. »