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  • : Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
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  Il était une fois Alain, Bernard …ils prirent leur retraite en Isan, se marièrent avec une Isan, se rencontrèrent, discutèrent, décidèrent un  jour de créer un BLOG, ce blog : alainbernardenthailande.com

Ils voulaient partager, échanger, raconter ce qu’ils avaient appris sur la Thaïlande, son histoire, sa culture, comprendre son « actualité ». Ils n’étaient pas historiens, n’en savaient peut-être pas plus que vous, mais ils voulaient proposer un chemin possible. Ils ont pensé commencer par l’histoire des relations franco-thaïes depuis Louis XIV,et ensuite ils ont proposé leur vision de l'Isan ..........

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16 mars 2016 3 16 /03 /mars /2016 22:03
222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

Les critiques souvent virulentes concernant la période Sarit portent essentiellement sur des questions normatives : individu méprisable, expérience intolérable, dictateur cupide, avide et égoïste, etc. des adjectifs que nous pouvons partager au moins en partie. Mais il n’est pas inutile de faire la part des choses entre éloges et mises en accusation. La question est en effet de savoir ce qu’il a mis en œuvre sur le plan politique non sans efficacité tout en comprenant ce qui a suscité et suscite encore des haines parallèles aux admirations comme nous l’avons démontré dans notre article précédent.

 

Nous avons dans cet article (in fine) parlé de sa vision « révolutionnaire » (1) Il faut évidemment donner au mot « révolution » le sens d’un retour à ce qui était avant c’est-à-dire à une rupture complète avec la période 1932 – 1957.  

 

Les quelques paragraphes de cet article en deux étapes reposent pour l’essentiel sur les sources précédemment cités, le site (en partie germanophone) « Chronik Thailands กาลานุกรมสยามประเทศไทย » von Alois Payer pour les années Sarit qui nous livrent une foule d’articles de presse sur lesquels sont établis de nombreux tableaux significatifs (que nous avons traduit en français) et sur « Chronicle of Thailand since 1946 », publication du Bangkok Post comportant essentiellement la reproduction d’articles d’époque (voir en début de notes V° « sources)

Ces quelques pages ne sont pas une synthèse complète ni une hagiographie mais quelques chapitres de constatations sur ce qui nous a semblé des éléments importants pendant les quelques années du gouvernement Sarit.

 

Le Bouddhisme

 

Sarit prononce un discours devant la hiérarchie religieuse en 1960. Citons-en des extraits significatifs : Ils démontrent si besoin était que ses conceptions sont aux antipodes de nos conceptions occidentales, l’idéal religieux devant épouser toutes les formes de la vie civique :  

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

« …. Vous devez agir main dans la main avec le gouvernement. Ce gouvernement est un gouvernement révolutionnaire. Les spécialistes de la Dhamma l’ont enseigné que Bouddha lui-même a été le plus grand révolutionnaire du monde. Il a révolutionné l'esprit humain, en tuant la croyance frivole en des dieux comme Indra et Brahma… La révolution qu’initie le gouvernement actuel a  un objectif similaire: construire des conditions de vie favorables à la population. Divers projets qui ne servent qu'à servir le bien-être du peuple doivent être réalisés. Mais le monde d'aujourd'hui a changé et n’est plus le monde d'hier. Les habitants de la terre se sont multipliés. Et les produits de la nature ont diminué. Il est nécessaire d'augmenter la productivité humaine. Il faut travailler pour vivre. On ne peut mener une bonne vie sans travailler, en comptant sur les autres et en exploitant leur force de travail. La vérité de ce principe du Bouddha, selon lequel chacun doit se fonder sur lui-même, est de plus en plus apparente. La persévérance, le travail acharné et la ténacité, mettant en vedette les enseignements du Bouddha sont des idées morales qui doivent être appliquées… en particulier en ce qui concerne les projets conçus par le gouvernement ... diligence, persévérance et ténacité doivent être notre attitude mentale. Cela vaut également pour le secteur privé et pour le bien commun de la nation. Par conséquent, il est nécessaire de sélectionner dans les enseignements bouddhistes, le courage, le travail acharné et de persévérance pour guider les gens en les empêchant d'être insouciants et compter sur les autres…  Je veux donc faire appel à l'Ordre pour qu’il enseigne au peuple ce chemin. Ce sera une aide pour les objectifs économiques et la politiques du gouvernement révolutionnaire actuel. Votre objectif doit concourir au développement de la nation et au développement de la population dans le domaine religieux ".

 

Remarquable application, nous le verrons,  de la phrase de Saint Mathieu ainsi résumée « Faites ce que je dis et ne faites pas de que je fais » (2). Nous le démontrerons d’ailleurs de façon surabondante dans notre article suivant qui traitera de l’oligarchie militaire.

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

Le programme du gouvernement, avons-nous vu, précisait que « le gouvernement devait chérir le bouddhisme, apporter son soutien aux autres religions, ainsi que de se consacrer à l’éducation morale du peuple ». L’ « éducation morale », ce sera donc affaire de l’enseignement dans les temples.

 

Quant aux autres religions ? Une difficulté surgit dès la prise du pouvoir avec la hiérarchie catholique dont celle-ci était probablement sinon certainement directement et maladroitement responsable. Elle naquit d’un catéchisme sous forme de « questions-réponses » comme on le faisait à l’époque publié par l'Église catholique thaïe, diffusé dans ses églises et ses écoles, datant probablement de la période de Pie XII, mort le 9 octobre 1958, qui ne passait pas pour transiger avec la doctrine, « Hors l’Eglise, point de salut ». Les catholiques n’avaient pas oublié (ils ne l’ont toujours pas oubliée) l’histoire de leurs martyrs assassinés en 1940 par de pieux bouddhistes (et béatifiés en 1989). 

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

Cet ouvrage soulignait les points faibles du bouddhisme pour prouver la supériorité de l'enseignement catholique et avait été diffusé par la maison d’édition du collège de l’Assomption à Bangkok. La librairie fut fermée, trois prêtres ont été interrogés qui reçurent l’ordre de rassembler les exemplaires de l’ouvrage de tous les coins du pays. Le directeur général du Bureau des affaires religieuses s’en affligea, exprimant son regret pour ce mépris affiché envers le bouddhisme, en dépit du fait que la Thaïlande avait contribué à soutenir le catholicisme, en particulier en finançant la réparation et la construction de certaines églises avec des impôts perçus principalement au détriment de bouddhistes thaïlandais. La bombe fut toutefois rapidement désamorcée par la hiérarchie catholique d’une part, par Sarit d’autre part, compte tenu en particulier du fait qu’un certain nombre de hauts fonctionnaires étaient les anciens des écoles catholiques, en particulier le très élitiste collège de l'Assomption. Son ministre des affaires étrangères Thanat Khoman en particulier est un ancien de ce collège. L’élection de Jean XXIII à la même époque a probablement facilité la négociation. Le catéchisme fut donc mis au gout du jour « Vatican II » (« tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil »)

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

... et le Pape « thaïcisa » systématiquement la hiérarchie. Le passage à la même époque du latin, langue liturgique aux langues vernaculaire désormais autorisées dû aussi faciliter le dialogue. Sarit avait probablement beaucoup de défauts mais pas celui de manquer de bon sens. Les églises catholiques (en particulier et surtout dans le nord-est) y assuraient l’éducation primaire et avaient organisé des services médicaux en sus de multiples œuvres sociales… Sarit a toujours revendiqué sa qualité d’Isan et on voit plus de clocher dans certaines provinces (Nakon Pathom, Sakonnakohn, Mukdahan) ....

 

Cathédrale de Tharé (archidiocèse de Sakonnakhon) :

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

 ...que de djedis ou de minarets et autant de statues de « Saint-Michel Archange terrassant le démon » faisant bon voisinage avec celles que de Bouddhas géants. 

 

Face à la cathédrale :

 

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L’incident fut rapidement clos, depuis lors on prie toujours pour le roi dans les cérémonies catholiques et on y chante un cantique dont les paroles rappellent étrangement celles du « Vexilla regis prodeunt » (3).

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En ce qui concerne les musulmans, essentiellement ceux des quatre provinces musulmanes du sud, il ne parait pas que des complots séparatistes aient vu le jour sous le gouvernement Sarit comme il en a été pour les complots séparatistes du nord-est réprimés également dans le sang (1). Le roi et la reine visitent la Malaisie en 1961. Après avoir effectué lui-même effectué une tournée dans ces provinces, Sarit se montre favorable à une politique d’assimilation. Il dispense d’ailleurs de fortes sommes pour la construction ou la reconstruction de mosquées, à Pattani en particulier. Il est possible (mais nous n’avons pas d’éléments à ce sujet) que certains de ses ministres aient été de confession mahométane ? « Il n’y a pas de Malais en Thaïlande, il y a des Thaïs musulmans ». En 1963, il avait annoncé son intention de substituer le samedi et le dimanche comme jours de congé au jeudi et au vendredi qui continueraient à être chômés suivant la coutume musulmane dans les quatre provinces de peuplement malais. Deux mois plus tard, son ministre de l'Intérieur avait nommé une commission chargée d'étudier le problème du changement des noms de lieux non thaïs, particulièrement dans le Sud où 99 % des noms de lieux devaient être remplacés. La mort de Sarit mit fin à ces velléités, et si le problème ne fut pas résolu, il fut au moins tenu en sommeil pendant 5 ans (4) sans être résolu à ce jour. Il n’apparaît au demeurant pas pendant la période Sarit d’exécution sommaires de dissidents musulmans dans le sud comme pour ceux de l’Isan.

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La monarchie

 

Sarit, avons-nous vu (1) a remis la monarchie sur un piédestal, probablement par conviction, celle de la nécessité d’un retour aux traditions anciennes ? L’allégeance à la dynastie était (avant d’ailleurs l’amour du bouddhisme) en tête du programme soumis à son parlement. Pas un mot sur la monarchie dans le programme gouvernemental du 28 juin 1932. Pas un mot dans celui de décembre1932. Du bout des lèvres dans celui d’avril 1933 « le gouvernement doit poursuivre le programme politique en six points du précédent gouvernement, de sorte que le royaume, avec le roi comme chef de l’état prospère dans la voie constitutionnelle ». Rien dans celui de juin de la même année. Reprise de la phrase d’avril 1933 dans le programme de décembre. Dans le programme de septembre 1934, on parle simplement d’ « harmonie entre la famille royale, le clergé et le personnel politique ». Rien en août et en décembre 1937. Rien non plus en décembre 1938 ni en mars 1942 (Phibun). Pas plus en août 1944. En 1945 on se contente de dire du bout des lèvres « le gouvernement travaillera au nom du roi ». Rien en février et en mars 1946. Encore moins évidemment en juin 1946 (Pridi). Le 21 avril 1948, Phibun parle pour la première fois d’ « allégeance » au roi de la dynastie Chakri ainsi que dans tous ses discours successifs sans que cela se traduise le moins du monde sur le plan concret. Il y a d’ailleurs une nuance entre « allégeance » et « jurer allégeance » !  Nous savons d’ailleurs que le reine mère au nom de son fils Ananda et le prince Bhumibol ont probablement hésité avant de quitter Lausanne pour rejoindre leur capitale (5). Sarit rajoutera à ce serment d’allégeance que « le gouvernement doit respecter le statut du roi comme chef d’état ».

 

Nous n’avons malheureusement pas pu savoir si, concrètement, ce serment d’allégeance que le gouvernement devait prêter entrainait une cérémonie particulière d’adoubement.

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

Le roi et la reine sont désormais omniprésents. Leur portrait est affiché partout. 

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Ils font le tour du royaume, participent à d’innombrables cérémonies, le roi toujours l’appareil photo autour du cou, 

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

... ils se font construire dans chacune des provinces une « résidence secondaire » au demeurant souvent modeste, guère plus qu’une grande villa, dans laquelle ils font des séjours à la rencontre de leur « bon peuple ». 

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« Inauguration de chrysanthèmes ? » Peut-être mais il est difficile de faire la comparaison avec l’auteur du mot, le Général De Gaulle, qui ne bénéficiait pas d’une légitimité dynastique quasiment religieuse mais seulement élective.

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

L’activité intérieure est intense, pour visiter le pays ou recevoir les dignitaires étrangers, celle à l’étranger ne l’est pas moins. Ce tableau statistique est significatif 

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

On peut d’ailleurs voir à cette véritable délégation de pouvoirs au profit du couple royal, une raison de bons sens. Sarit a bien un ministre des affaires étrangères, Thanat Khoman (ถนัด คอมันตร์), diplomate de formation mais peut-être ne tient-il pas à lui lâcher la bride ? Par ailleurs, lui-même élevé essentiellement dans les écoles militaires et les casernes, ce qui ne lui a probablement pas appris le sens des bonnes manières et de la diplomatie, a-t-il considéré que ces fonctions convenaient parfaitement au roi et à la reine. Ils sont jeunes, ils sont cultivés, parfaitement polyglottes tous deux et la reine a un charme incontestable (6). Nous ignorons si Sarit parlait autre chose que le thaï et le langage Isan qui ne sont pas d’une grande utilité dans les rapports diplomatiques ? Au regard du monde et peut-être pas simplement dans la presse pour midinettes, la Thaïlande, ce n’est pas un chef brutal et sans partage, c’est le couple royal. 

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La presse

 

Elle a été muselée dès avant le coup d’état et un certain nombre de journaux (pour la plupart d’ailleurs étrangers) ont été interdits (7). Il est injuste d’en attribuer la responsabilité à Sarit. Mais il ne va en tous cas rien faire pour en adoucir le régime, pour les journaux du moins qui ont été épargnés en organisant un contrôle sévère en amont : Dès le 17 octobre 1958, une proclamation du « Groupe révolutionnaire » crée une censure préalable pour les sujets pouvant porter atteinte (en particulier) à la monarchie (8). Notons que cette atteinte à la liberté de la presse est rude mais les sanctions – aussi lourdes qu’elles soient – sont administratives et non pénales. Les « délits contre la famille royale » sont prévus par le code pénal de 1908, œuvre d’un français, Georges Padoux. Les diffamations et les outrages commis contre le roi, la reine, le prince héritier et le régent entraînent alors une peine de 7 ans d’emprisonnement au plus et une amende de 5000 ticaux au plus. Sarit n’a rien ajouté. Le code pénal ultérieurement réformé en sa version de 1956 est beaucoup plus féroce en matière de répression non plus du « délit » mais du « crime de lèse-majesté » ainsi que l’ont démontré diverses affaires surgies dans la dernière décennie du XXème siècle et depuis le début du XXIème

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

Par ailleurs, nous le verrons, il n’apparait pas dans les éléments que nous possédons sur la période Sarit la moindre condamnation de ce chef. Ces simples constatations ne l’exonèrent nullement de sa responsabilité (qu’il assumait) dans les exécutions sommaires de dissidents, d’incendiaires ou de journalistes communistes. Notons simplement qu’il reste alors 20 quotidiens à Bangkok, 14 en thaï, 4 en chinois, 2 en anglais et 7 en province.

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

La corruption

 

Ce fut l’un des motifs essentiels exposés par Sarit pour justifier son coup d’état. Voilà bien un domaine où fusent les accusations les plus graves contre son régime (« le plus corrompu de tous les régimes qu’ait connu la Thaïlande ») mais les affirmations péremptoires n’ont jamais constitué un procédé de preuve. Certes, la corruption est un cancer qui ronge les pays dits « émergents » (9), certes, la corruption a rongé le système Sarit mais encore faut-il savoir jusqu’à quel point ? Les liens étroit entre la politique, la fonction publique civile et militaire et le monde des d'affaires, sont l'épine dorsale des réseaux de corruption qui part du gouvernement central jusqu’aux plus modestes des gouvernements locaux. Une fois nommé à un poste supérieur, un Thaï a tendance à traiter son monde comme un domaine privé. Mais la corruption a fait l’objet de solides et récentes études, en particulier de  Prijono Tjiptoherijanto (10) sur la base desquelles ont été établis les tableaux suivants qui sont parlants (11). Sur le premier, l’ « avantage » est à Sarit mais pas à ses successeurs. Malheureusement, nous ne disposons pas des chiffres portant sur la période 1932-1957. Pour la période postérieure, nous aurons probablement l’occasion d’y revenir.

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

Sur le second, il revient, certes, un léger, très léger avantage à son successeur immédiat (disons « égalité ») mais pas au suivant !

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

Sur le dernier, Sarit a gagné haut la main, mais son interprétation est évidemment difficile dans la mesure où les politiciens sont aussi des bureaucrates. Les ministres conservent probablement leur rangs et fonctions civiles ou militaires ce qui leur donne la possibilité de manger à deux râteliers. 

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

Il en résulte néanmoins une constatation d’évidence, la corruption bureaucratique a été (presque) éradiquée, elle grimpera après la mort de Sarit non pas de façon linéaire mais de façon exponentielle. Comment est-on parvenu à ce résultat ? La question reste posée ? La presse ne se fait en tous cas pas l’écho de pendaison de fonctionnaire prévaricateurs en place publique ? Celle des politiciens – ses ministres et ses parlementaires (50 civils seulement) - tous gradés ou fonctionnaires, n’a pas diminué.

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

La question est de savoir quelle fut la part personnelle de Sarit dans ce partage des prébendes ? Il fallut attendre sa mort pour avoir quelques précisions – qui font dresser les cheveux sur la tête – nous y reviendrons en temps voulu.

La lutte contre la délinquance

 

Sarit, avons-nous vu, n’a pas touché au code pénal de 1908, œuvre d’un français et comme tel imprégné des principes fondamentaux de notre droit pénal aux termes duquel les procédures ne sont pas des arguties de juristes mais la garantie des libertés individuelles : « Nullum crimen, nulla pœna sine lege », nul ne peut être condamné pénalement qu'en vertu d'un texte pénal précis et clair. C’est ainsi que le 2 novembre, le Conseil révolutionnaire décide dans sa proclamation n° 21 destinée à lutter pour lutter contre la délinquance ordinaire, de créer une procédure en quelque sorte accélérée visant ce qu’il appelle les « atthaphan » (อันธพาล) c’est-à-dire les voyous ou « hooligans ». 

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

La définition en est suffisamment élastique pour viser tous ceux qui de près ou de loin portent atteinte à l’ordre public : « ceux qui par leur action propre ou leur brutalité contraignent, harcèlent ou perturbent la population ou qui constituent un danger économique comme les organisateurs de jeux ». Ils sont détenus provisoirement et préventivement pendant trente jours aux fins d’enquête mais toute prolongation sera ensuite décidée par le tribunal. Nous avons malheureusement fort peu de statistiques sur le résultat de cette politique pénale et avons dans notre précédent article dû faire appel aux souvenirs des anciens.

 

Quelques tableaux toutefois nous donnent un certain éclairage sur cette délinquance au quotidien.

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

Nous connaissons les ravages que cause la passion du jeu chez les Thaïs. Il semble donc que le gouvernement Sarit s’y soit attaqué de façon efficace.

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

Le nombre de détenus passe de 25 à 35.000, quarante pour cent d’augmentation. Celui de leurs gardiens est augmenté de plus de soixante-cinq pour cent. Mais si nous en tenons aux chiffres de 1961 (près de 70.000 procédures ouvertes), tous les prévenus ne finissent donc pas dans les geôles de Sarit ?

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

Nous constatons enfin une augmentation assez spectaculaire du nombre des femmes détenus préventivement ou définitivement. De quels délits étaient-elles coupables ? Probablement le jeu et la prostitution mais ce n’est qu’une hypothèse.

 

Pour compléter ces chiffres, nous connaissons des statistiques pour l’année 1961. La justice ne fait pas que remplir les prisons :

 

La circulation fait – déjà – de solides dégâts : Pour le seul grand Bangkok 3.908 accidents ont causé la mort de 184 personnes, et parmi les blessés, il y avait 2.947 militaires. 

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

Il y eut, toujours dans Bangkok 181 incendies, 153 dus à la négligence, 25 accidentels et 3 criminels. La police fluviale a procédé à 8.473 interpellations, en partie pour infraction aux règles de la navigation, et partie pour des délits de pêche et en partie pour des infractions douanières. Globalement, le nombre total des procédures pénales fut de 190.331 ayant conduit à la condamnation de 113.056 hommes (dont 9 à la peine de mort) et 15.491 femmes. Pour autant que ces comparaisons aient quelque sens, pour une population de 26,5 millions d’habitants, cela donne un taux de criminalité toutes causes confondues de 7,5 pour mille, ce qui peut expliquer les « bons souvenirs » que les anciens ont gardé de cette période (12). Si ces chiffres excluent évidement tout ce que l’on peut qualifier de « criminalité en col blanc » ou plus probablement « en col galonné », prévarication, concussion, corruption, trafic d’influence, la population « d’en bas » y était certainement beaucoup moins sensible qu’au vol d’une bicyclette ou l’incendie d’une récolte. En admettant que tous les 240 parlementaires et les 13 membres du gouvernement aient été à une échelle ou à une autre des corrompus, cela ne ferait qu’ajouter 250 personnes à cette liste.

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

L’économique et le social

 

Sarit lance en octobre 1960 un programme de planifications économique en 6 ans qui vise à éradiquer la pauvreté, améliorer l’éducation et favoriser les créations d’entreprises. A cette fin est créé en novembre ce qui deviendra le Board of investment (BOI) qui existe toujours aux fins de faciliter la tâche des entrepreneurs locaux et des investisseurs étrangers. La priorité revient au nord-est à la fois en raison de sa pauvreté, des risques de dissidence procommuniste et aussi du fait de ses origines, à court, moyen et long terme : constructions hydroélectriques, création d’industries lourdes à l’aide d’investisseurs étrangers et augmentation du nombre d’établissements d’enseignement. Pour Fistié qui ne porte pas particulièrement Sarit dans son cœur et à grands renforts de chiffres justificatifs (13), les résultats furent « indéniables » mais il est difficile de savoir quel aurait été le sort de cette planification à la thaïe prévue pour 6 ans et qui n’en a duré que 3.

 

Contentons-nous une fois de plus de chiffres mis en tableau :

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

C’est évidemment une moyenne nationale – tout de même significative – que ce soit en baths de 1962 ou en baths réajustés en 1969 mais une augmentation d’environ 20  pour cent sous le règne de Sarit qui ne nous dit pas de combien s’est augmenté son propre « PNB ».

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

Ce tableau est peut-être plus significatif, les dépenses dites « sociales » (dispensaires et écoles) ont augmenté sous le règne de Sarit de 135 pour cent. On ose espérer que lui-même et sa camarilla n’y ont tout de même pas participé ! Fruit d’une politique « populiste » peut-être ? Les mouvements de grèves seront par ailleurs presque inexistants sous son règne, fruit de cette politique « sociale », « peur du gendarme » ? Notons simplement qu’ils reprendront sous son successeur dont le régime n’était pas moins répressif que le sien :

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

Fruit de succès économiques évidemment », peut-être aussi, fruit de la manne américaine puisque grâce à Sarit les dollars vont tomber « comme à la Gravelotte » ? Nous allons en parlerons dans l’article suivant.

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

NOTES

 

Sources

 

Chronik Thailands กาลานุกรมสยามประเทศไทย :

http://www.payer.de/thailandchronik/chronik1957.htm

http://www.payer.de/thailandchronik/chronik1958.htm

http://www.payer.de/thailandchronik/chronik1959.htm

http://www.payer.de/thailandchronik/chronik1960.htm http://www.payer.de/thailandchronik/chronik1961.htm

http://www.payer.de/thailandchronik/chronik1962.htm

http://www.payer.de/thailandchronik/chronik1963.htm

http://www.payer.de/thailandchronik/chronik1964.htm

« Chronicle of Thailand since 1946 », publication du Bangkok Post (2009)

 

(1) Voir notre article 222.1 « LE GOUVERNEMENT DU « FIELD MARSHAL» SARIT. (9 FÉVRIER 1959 - 8 DÉCEMBRE 1963) ».

 

(2) chapitre XXIII, vers 2 et 3 : « Omnia ergo quaecumque dixeri vobis servate et facite : secundum opera vero eorum nolite facere ; dicunt enim et non faciunt »: « Observez donc et faites tout ce qu’ils vous diront, mais ne faites pas ce qu’ils font, car ils disent ce qu’il faut faire et ne le font pas ». 500 ans avant lui, Zénon parlait de la monnaie d’Alexandrie qui était belle, mais pleine d’alliage !

 

(3) « Catholicism and Thailand - A Review Article » par Dusadee ANGSUMETHANGKUR, publié par Thai Interreligious Committee for Development.  Le cantique « Vexilla regis prodeunt » (« les étendards du roi s’avancent ») qui a probablement plus de 1.000 ans était le chant de marche de l’armée vendéenne.

 

(4) Voir l’article de Pierre Fistié « Les Malais en Thaïlande » In : Revue française de science politique, 17ᵉ année, n°4, 1967. pp. 749-760.

 

(5)  Voir notre article 217 « LA VIE EN SUISSE DES DEUX FUTURS ROIS DE THAÏLANDE, RAMA VIII ET RAMA IX ».

 

(6) Sarit aurait-il délégué son roi si la reine avait eu le profil – par exemple – de Madame Kroutchev, quelles qu’aient été les qualités de cette estimable personne ? Le président Kennedy usa de la même façon du charme de son épouse en effaçant provisoirement leurs problèmes conjugaux.

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

 

(7) Voir la note 17 de notre article 222 – 1 « Le gouvernement du field Marshal Sarit ».

 

(8) « PROCLAMATION N° 17 DU GROUPE RÉVOLUTIONNAIRE » : « Considérant que la présentation des informations et des opinions par certains journaux a un caractère inapproprié,  qui en certaines occasions, a affecté la Couronne et en d’autres occasions ….. Le Groupe révolutionnaire a estimé  qu'il convenait de modifier la loi et de fixer certaines règles. Celui qui comme imprimeur, éditeur, rédacteur en chef ou propriétaire de journaux imprimés  …. doit déposer une demande de permis auprès des autorités sur les formulaires qu’elles fourniront et ne pourront y procéder seulement qu’après avoir été autorisé par lesdites autorités.

Si un ouvrage publie des articles sur les questions suivantes : toute matière portant atteinte à Sa Majesté le Roi, diffamatoire ou méprisante envers lui, la reine, l'héritier royal ou le régent, toute matière diffamant ou méprisant la nation ou la peuple dans son ensemble, toute matière  susceptible de porter atteinte au respect et la confiance des pays étrangers envers la Thaïlande et  le gouvernement thaïlandais …tout matière ambiguë, diffamatoire ou méprisante à l’égard du gouvernement, des ministres, des organisme publics qui ne donnerait pas de précisions sur les griefs qui leur sont faits …Les autorités compétentes ont le pouvoir de donner des avertissements ou de saisir et de détruire les documents ou ordonner la révocation de la licence de l'imprimeur, éditeur, rédacteur en chef ou le propriétaire du papier.

 

(9) La question ne se pose évidemment pas pour les pays civilisés comme le nôtre,  chacun sachant qu’il n’y a pas en France de magistrats qui rendent des services plutôt que la justice, de hauts fonctionnaires prévaricateurs, jamais de commissions occultes versées sur les marchés publics, de policiers « ripoux » ou d’élus du peuple corrompus.

222.2 - QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE REGIME DU « FIELD MARSHAL » SARIT (PREMIÈRE PARTIE).

(10) Ce chercheur et poète indonésien s’est spécialisé dans l’étude historique et chiffrée de la corruption dans les pays d’Asie-du-sud est. Son étude « Civil Service Reforms in Thailand : Political Control and Corruption »  publiée en mars 2012  sous les références «  Working Paper in Economics and Business  - Volume II No.1/2012 - Department of Economics - Faculty of Economics, University of Indonesia »  est assortie de solides références, notamment à la presse thaïe.

 

(11) Par le site « Chronik Thailands », voir nos sources en tête de notes.

 

(12)  Des renseignements plus ou moins fiables donnent à ce jour un taux de criminalité de 20 pour dix mille. Il est de 60 pour dix mille en France.

 

(13) Pierre Fistié, in « L’évolution de la Thaïlande contemporaine » pp 333-348. 

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commentaires

C
édifiant....
Répondre
G
à suivre .......