Le billet du samedi : Hérodote et les fourmis aurifères du Siam
Cicéron a qualifié Hérodote de « père de l'histoire » (Les Lois, I, 1). On sait de lui qu’il est né aux environs de 484 avant Jésus-Christ à Halicarnasse. Son livre, Histoires ou Enquête, est l'une des plus longues œuvres de l'Antiquité. Il contient essentiellement le récit de ses voyages, il décrit en détail les lieux qu'il a visités, la vie animale et végétale de ces régions, les caractéristiques particulières des populations, leurs droits politiques, sociaux et culturels, les histoires et les légendes qu'il recueillait. C’est un explorateur, un historien, un ethnologue, et l’un des premiers prosateurs grecs dont les écrits nous soient restés
La légende ou l’histoire des fourmis productrices d’or.
Hérodote est friand d’anecdotes, est-ce la raison pour laquelle Aristote le qualifie de « mythologue » dans sa « Poétique », et Aulu-Gelle le traite d'affabulateur (homo fabulator) ?
Dans un passage bien connu des Histoires (III-102), il rapporte une histoire de « fourmis plus petites que des chiens mais plus grosses que des renards » que l’on trouvait dans un désert chez les plus septentrionaux des indiens, voisins de la ville de Kapastyros et du pays des Paktuïke. Ces fourmis emmagasinaient des sables aurifères dans leurs fourmilières. Au prix de grands risques tant elles étaient vives et redoutables, les indiens allaient leur voler leur or. C'est ainsi, disent les Perses, que ces Indiens recueillent la plus grande partie de leur or.
Dans la version que j’ai sous les yeux (Histoire d’Hérodote, traduction nouvelle avec une introduction et des notes par P. Giguet, Paris, Hachette 1913 III-CII) le traducteur donne une note explicative un peu sommaire : « Une variété de l’hyène et les fourmilières sont le terrier ». Hérodote est un érudit, il n’a pu confondre une fourmi (μύρμηξ murmèx) avec une hyène (ΰαινα uaïna).
Cette légende des fourmis aurifères des « indes » se retrouve dans le Mahabharata, épopée indiennes relatant de très anciennes, légendes où s’affrontent les hommes et les dieux, dont l’origine est incertaine, probablement une œuvre collective revue et modifiée au fil des siècles entre le IVème avant Jésus-Christ et l’IVème après ? On la retrouve chez Ctésias, médecin grec au servie du roi de Perse Artaxerxés II mais les fourmis sont devenus des griffons (« traditions tératologiques ou récits de l’antiquité et du moyen-âge » par Jules Berger de Xivrey – à Paris, 1836). Et encore chez Néarque, un compagnon d’Alexandre le grand (« Inde, Grèce ancienne regards croisés en anthropologie de l’espace » Jean-Claude Carrière, 1995), chez Mégasthène (Jules Berger de Xivrey loc.cit.) qui est resté 10 ans aux Indes comme ambassadeur et plus tard encore chez Strabon (« Introduction historique et critique aux livres de l’ancien et du nouveau testament » Jean-Baptiste Glaire, 1839) où les fourmis sont devenues des fourmilions. On la retrouve encore dans « De rebus in oriente mirablis » ou « lettres de Farasmanes », (Claude Lecouteux, Berlin 1979) : Ce recueil se présente sous forme de lettres adressées à l’empereur Hadrien ou Trajan par un personnage inconnu, peut-être Farasmanes, roi d’Ibérie sur les merveilles de la nature. Le grand géographe Malte-Brun rapporte ces légendes (« Précis de la géographie universelle ou description de toutes les parties du monde » volume I, 1847)
Nous allons fort étrangement retrouver ces fourmis au Siam.
Nous devons cette étonnante découverte à J. Burnay, conseiller juriste auprès du gouvernement siamois et correspondant de la très savante « Ecole française d’extrême orient » (Bulletin de l’école française d’extrême orient, 1931 – tome 31, pages 212 et 213). Il a déniché un très curieux récit (kham haï kan xao krung kao – Bangkok 2457 EB pages 97-98, traduction siamoise moderne d’un ancien manuscrit Birman à cette époque conservé aux archives royales de Rangoon). Il y figure des termites (ปลวก plouak) et un objet en or trouvé dans leur nid. D’après ce texte, le roi Prasat Thong ปราสาททอง (« Palais d’or ») père et prédécesseur du célèbre Phra Naraï eut un songe qui lui montra un palais d’or enfoui dans une termitière situé en un lieu où il s’était autrefois rendu. A son réveil, il ordonna de fouiller cette termitière où l’on trouva le « palais d’or » en miniature de neuf étages. Aucune autre explication n’est donnée sur la manière dont l’objet se trouvait dans la termitière.
La comparaison avec Hérodote et le Mahabharata était inévitable même si chez lui il s’agit de fourmis et d’or brut et non de termites et d’or façonné. Y a-t-il une filiation entre ces légendes ? Ces fourmis aurifères ont fait couler beaucoup d’encre.
Il y a peut-être une explication ou tout au moins une explication plausible, dûe à Alain Fraval, un chercheur de l’INRA (Institut national de la recherche agronomique)
http://www.inra.fr/opie-insectes/pdf/i142herodote-fraval.pdf
Il s’agit pour lui de la marmotte rouge, « marmota caudata aurea » qui vit notamment au Tibet, chez les Minaros, et remonte de l’or, parfois, avec la terre de ses excavations.
Elle a une longue queue, des dents et des griffes acérées et peut se montrer agressive si on la dérange. Il en trouve l’explication dans un ouvrage de Michel Peissel, ethnologue, intrépide explorateur et écrivain fécond :
Selon l’ethnologue, l’erreur d’Hérodote qui ne rapportait pas ce qu’il avait vu mais rapportait une légende viendrait tout simplement de ce qu’en persan, « marmotte » se dit quelque chose comme « fourmi de la montagne » ? Voilà une explication que je n’ai malheureusement pas les moyens techniques de vérifier, « comment peut-on être persan ? » Hérodote savait aussi faire la différence, une marmotte dans sa langue, c’est όρει oreï.
Et le Siam alors ?
Le grand Pavie aurait-il vu ou signalé nos fourmis d’or ?
Son oeuvre collective est une véritable et magnifique encyclopédie du monde animal de l’Indochine (Cambodge, Annam, Tonkin, Siam), tout ce qui y bouge est inventorié sur plus de 600 pages. Des centaines de mammifères inventoriés, y compris des espèces fouisseuses mais pas trace de marmottes ! Est-ce à dire qu’il n’y a pas de marmottes en Thaïlande, au moins dans les régions les plus froides ? Qu’elles soient absentes de l’œuvre de Pavie et de son équipe de savants est une chose. Là, je rentre dans le domaine des hypothèses.
D’après le WWWF, les scientifiques ont découvert dans la région du Mékong plus de 1000 nouvelles espèces cette dernière décennie et ce ne sont pas de minuscules insectes qui passent inaperçus, le « crotale vert de Gumprecht » a été découvert en 2002 sous la toiture d’un restaurant du parc national de Khao Yai, dans le nord de la Thaïlande.
Ils ont également découvert un mille-pattes, de paillettes roses vêtu sécrétant du cyanure. Le nom de cette veuve rose est le « dragon millipede ».
Et encore un rat disparu il y a 11 millions d’années, on l’a revu pour la première fois en 2005. C’est le « rat des montagnes du Laos ».
Terminons sur une désagréable vision, une découverte de 2001 « Heteropoda maxima », de 25 à 30 centimètres d’envergure.
Qui dit que ces savants ne découvriront pas un jour prochain en Thaïlande quelque animal fouisseur, rat, fourmi, termite ou marmotte qui en fouissant la terre en remonte avec des paillettes d’or accrochées à ses poils ou à ses pattes ? Il y a des gisements d’or partout en Thaïlande. Il est permis de rêver à ces vieilles légendes.
Rappelons simplement que cette région a depuis le début du siècle selon la WWWF permis la découverte de 279 poissons, 88 grenouilles, 88 araignées, 46 lézards, 15 mammifères, 4 oiseaux, 4 tortues, 2 salamandres,un crapaud. Et cela est un véritable trésor.
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