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  • : Le blog des Grande-et-petites-histoires-de-la-thaïlande.over-blog.com
  • : Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
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  Il était une fois Alain, Bernard …ils prirent leur retraite en Isan, se marièrent avec une Isan, se rencontrèrent, discutèrent, décidèrent un  jour de créer un BLOG, ce blog : alainbernardenthailande.com

Ils voulaient partager, échanger, raconter ce qu’ils avaient appris sur la Thaïlande, son histoire, sa culture, comprendre son « actualité ». Ils n’étaient pas historiens, n’en savaient peut-être pas plus que vous, mais ils voulaient proposer un chemin possible. Ils ont pensé commencer par l’histoire des relations franco-thaïes depuis Louis XIV,et ensuite ils ont proposé leur vision de l'Isan ..........

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20 janvier 2024 6 20 /01 /janvier /2024 03:54

 

Les Siamois aiment le jeu jusqu’à se ruiner, cela a frappé sinon étonné les premiers visiteurs comme le Chevalier de La Loubère. Ils étaient capables d’y perdre la liberté de leurs enfants pour s’acquitter d’une dette de jeu et même jusqu’à vendre leur propre liberté en devenant esclaves.

 

Les jeux alors en vogue – il écrit en 1690 - dont il nous signale l’existence sont une espèce de tric-trac qu’ils auraient appris des Portugais. La stratégie y joue son rôle mais le hasard aussi puisque les coups de dés y ont leur part. Il ignore leurs jeux de cartes ou de dés mais signale et décrit longuement  leur jeu d’échec chinois qui ressemble peu ou prou au notre sinon que les cavaliers sont devenus des éléphants  et le hasard n’y a plus sa place mais ce sont toujours des parties intéressées.

 

En 1854, Monseigneur Pallegoix nous confirme qu’ils jouent au tric-trac, aux échecs chinois, aux cartes chinoises et aux dés :

 

On voit tous les jours des gens si passionnés pour le jeu, qu'après avoir perdu tout ce qu'ils ont, ils finissent par jouer même le langouti qu'ils portent sur eux. On ne jouait plus la liberté des enfants mai sa chemise !

 

Il ajoute, nous y voilà : Depuis quelques années, les Chinois ont établi une sorte de loterie dont ils ont le monopole elle se compose d'une trentaine de figures diverses sur lesquelles on place l'argent qu'on veut, et si la figure sur laquelle on a placé vient à sortir, on gagne trente fois son argent. Cette loterie fait fureur et cause un grand dommage au pauvre peuple, qui s'y fait gruger au profit du roi et des Chinois.

 

Les Chinois avaient alors le monopole pratiquement exclusif, en sus du commerce, des tripots, des bordels des fumeries et du négoce de l’opium. Il ne manquait à leur « press book » l’organisation d’une loterie nationale dont on peut s’étonner qu’ils ne l’aient pas imaginé auparavant ?

Table de tric-trac :

 

Quelle est donc l’histoire de cette première loterie ? Nous la devons essentiellement  à Basil Osborn Cartwright dans un article publié dans le bulletin de la Siam society, volume XVIII 1924-3 intitulé « THE HUEY LOTTERY ».Ce sont beaucoup de ses souvenirs puisque quoique non siamois - il est originaire des iles anglo-normande – il paraît avoir été un joueur d’habitude. Il était maître assistant au Civil service collège dépendant de l’Université Chulalongkorn. Membre de longue date de la Siam Society, nous lui sommes redevables d’un Student's manual of the Siamese language  publié en 1915 

 

 

et d’une traduction en anglais de l’œuvre de Turpin « A history of the Kingdom of Siam and of the revolutions that have caused the overthrow of the empire up to 1770 / F.H. Turpin ; translated by B.O. Cartwright ».

 

 

Qu’était donc cette loterie Huay ?

 

La loterie Huay a son origine en Chine et a été introduite au Siam sous le troisième règne, l'année du Lapin B. E. 23'74 (A. D. 1831), les précipitations étaient très abondantes, mais l'année suivante, la quantité de pluie fut faible, le riz était très cher et si rare qu'il fallut l'importer au Siam. Beaucoup n'avaient pas d'argent pour acheter de la nourriture et devaient par conséquent travailler et recevoir du riz comme salaire : même les fermiers fiscaux n'avaient pas d'argent liquide et étaient obligés de payer en marchandises, et les Chinois, incapables de payer leur capitation, devaient travailler en ville. La monnaie frappée depuis peu disparaissait et le roi pensa d’abord qu’il était capté par les vendeurs d’opium, vice auquel ses sujets s’adonnaient sans mesure. Il prit des mesures draconiennes, notamment saisie et destruction d’énormes stocks de la drogue. Cela ne fit rien, l’argent ne circulait plus, supposé enterrée dans le sol des habitations lui suggéra un Chinois nommé Chin Hong (จีนหง), il fallait trouver le moyen de le faire sortir de terre et seule la création d’une loterie officielle le permettrait. Il reçut alors l’autorisation de créer un établissement de loterie (โรงหวย) dont il serait le fermier ou concessionnaire. Le fermage fut officialisé en 1835. Le succès fit tel que ce Chinois dont nous ignorons tout et dont nous n’avons qu’une photographie, Chinois probablement proche du palais, devint plus tard Phra Si Chaiyaban (พระศรีไชยบาล) puis Phraya Sri Chaiyaban  (พระยาศรีไชยบาล).

 

 

Le succès conduisit un autre candidat, Phra Sriwirot (พระศรีวิโรจน์) à obtenir également une concession mais probablement parce qu’il avait « mangé la grenouille » son affaire fut absorbée par le premier qui eut ainsi un véritable monopole tant et si bien que plus que d’effectuer un tirage par jour, il en effectuait deux. Sous le quatrième règne, il installa un établissement à Petchaburi et un autre à Ayutthaya mais le roi ayant constaté les ravages dont était victime ses sujets, en ordonna la fermeture et il n’y eut plus de loterie qu’à Bangkok.

 

La loterie, imaginée de celle venue de Chine, portait là-bas le nom de « Huai Huai » (ฮวยหวย), ce qui signifie « cueillette de fleurs » car au départ, les numéros de loterie en Chine étaient écrits en forme de fleurs et dorénavant la loterie comme nous la connaissons toujours s’appelle huay (หวย) ou loterie huay (ลอตเตอรีหวย).

 

Petite friponnerie de la part de l’heureux fermier, alors que la loterie chinoise qui était son modèle comportait 34 figures et que celui qui avait choisi la bonne gagnait 30 fois sa mise, il rajouta deux figues pour augmenter sa propre chance et en installa deux de plus, 36 figures pour gagner toujours 30 fois sa mise.

 

 

Les tableaux affichés pour les joueurs comportaient le portrait de personnes connues de l’antiquité chinoise, celui d’un animal qui était la même personne dans une vis précédente et l’idéogramme du nom de la personne. Comme c’était évidemment du chinois pour les joueurs thaïs, il fut attribué à chaque personnage une consonne de l’alphabet thaï qui en comporte 44 mais faire du 30 sur 44 aurait été un peu gros même pour les joueurs crédules. Voici ce qu’étaient ces 36 lettes et celui de l’animal associé : ก  gibbon - ข tortue - ฃ poisson - ค huitre - ฅ poisson plat - ฆ coq - ง lion - จ chat sauvage - ฉ chat tigré - ช chien - ซ poulet - ณ faisan - ญ oie - ด cheval - ต cochon -  ถ conque - ฑ hirondelle - ธ  dragon - น  crabe - บ tortue de mer - ป serpent de mer - ผ faucon - ฝ crevette - พ brebis - ฟ corbeau - ภ tigre - ม buffle - ย paon - ร papillon - ล anguille - ว héron - ส grenouille - ห abeille - ฬ gazelle - อ serpent de terre - ฮ sanglier. Ce choix ne me paraît correspondre à aucune logique, seules les deux premières lettres ก  - ข sont les deux premières de l’alphabet thaï, pour les autres, difficile de savoir comment elles ont été choisies ? C’était évidemment parlant pour les siamois, du moins ceux qui avaient lire. Les personnages n’étaient parlants que pour la minorité chinoise. Je ne cite que les deux premiers, un vice-roi et un mandarin et le dernier, un garde de la frontière avec au milieu une belle fille, un pécheur et un mendiant. Ils ne représentent rien pour les Siamois et pas plus pour moi. Ainsi cette liste était appelée «  Huay ko kho », loterie ko kho. Ko kho  est le nom des deux premières lettres de la liste et de l’alphabet thaï que tous les petits siamois apprenaient à ânonner comme ils le font toujours. Les thaïs utilisaient donc pour appeler leur choix leur alphabet et les Chinois les personnages de leur histoire.

Lorsque le concessionnaire, qui ne perdait pas le nord, introduisit sa loterie au Cambodge, alors terres siamoise, il se contenta des noms d’animaux et des personnages pour la minorité chinoise de ce pays.

 

Le concessionnaire introduisait ces lettres dans un sac dans l’immeuble où se situait la loterie avant de tirer d’une main que l’on présume innocente la lettre de l’heureux gagnant. La mise était limitée par ticket  à un tical comme on appelait alors le bath mais elles pouvaient être multiples. Les mises s’effectuaient devant l’immeuble de la ferme à Bangkok. Des employés étaient postés à l'extérieur qui prenaient l'argent et remettaient les billets avec reçu. La foule était, paraît-il, compacte ? Il y avait à l’extérieur une troupe de « bookmakers » à la solde du fermier avec la mission d’attirer le pigeon.

 

 

Plus tard la loterie gagna en popularité, le fermier dut engager des commis pour recueillir les paris dans toute la ville. Bangkok était divisée en deux zones, le centre-ville et la périphérie, la loterie n’étant pas autorisée à l’extérieur du cercle. Il y avait dix-neuf districts extérieurs. Les districts intérieurs étaient privilégiés car l’argent y tombait à flot en priorité

 

Le fermier mettait lui-même aux enchères les postes de chef de ces districts extérieures et le serment de fidélité qu’ils lui prêtaient ne lui laissaient aucune possibilité de le gruger d’autant qu’ils devaient lui verser une caution. Ces chefs de district recrutaient encore des commis à sa volonté et ceux-ci devaient également lui verser caution.

 

Les joueurs impénitents étaient attirés d’abord par le rendement de 30 fois la mise d’autant que certains jouaient 20 ou 30 fois le même numéro ou plutôt la même lettre. Ils pensaient rouler vers la richesse en allant directement à la ruine. Tout comme les joueurs de roulette  ont un jargon pour décrire leur choix, tiers de cylindre, voisins du zéro, cheval, colonne etc… les joueurs siamois avaient le leur. Ils divisaient leur choix en six groupes :

 

Les quatre lettres nobles, ถ ย ญ ช  pour le premier.

Il est suivi des six rapides (pourquoi ?) : ฆ บ จ น ว ล.

Viennent ensuite les quatre mendiants : ฝ  ฬ ผ ช.

Viennent ensuite les quatre dames : ฑ ร ค ฅ.

Viennent enfin les cinq tigres ข ม ต ฮ ภ.

Les treize restantes sont les lettres non classées.

 

Pour connaître ce jargon, il me semble évident que l‘auteur de l’article avait quelque pratique en la matière ? Le « vrai » joueur ne jouait pas une lettre mais l’un de ces groupes.

 

Il circulait dans ce monde un certain nombre de légendes ainsi à la suite d’un incendie en ville, la lettre fo fai ฟ (le feu) fut tirée, la plupart des joueurs l’avaient choisie, grandes pertes pour le fermier !

 

Circulait aussi l’histoire de ce Chinois qui avait perdu un premier jour 10.000 ticals et qui en les ayant rejoué le lendemain sur la même lettre en doublant sa mise et en avait gagné 20.000

 

Les histoires de pertes spectaculaires circulent moins !

Mais comment gagner ?

 

Il y a naturellement des pratiques tenant de l’animisme, chercher des indices en frottant le tronc d'un arbre. Pourquoi pas ?

 

Certains prêtres bouddhistes sont mis à contribution pour avoir la possibilité de deviner la lettre à venir. L’histoire se souvient d’un certain

 

Phrakru (พระครู) saint professeur dont le nom est oublié qui devait fermer sa cellule comme Achille fermait sa tente et devait chasser les quémandeurs à coups de bâton.

 

Les jours de fêtes bouddhistes étaient pour le fermier des jours fastes.

 

Notre érudit anglo-normand donne une précision amusante : le joueur doit écrire sa lettre sur le billet extrait du carnet à souche mais encore faut-il écrire correctement or les consonnes thaïes, sauf deux d’entre elles, se caractérisent par une petite boucle plus ou moins bien formée dans  l’écriture manuscrite d’où risque de confusion sinon d’embrouilles problèmes volontaires. Ainsi entre la lettre KO ก (K) et la lettre PHO ภ (PH) ou la lettre THO ถ (TH) et la lettre NO ณ (N) ce qui peut faire d’un perdant un gagnant. La lettre ก devait donc être surmontée d’un signe diacritique de tonalité ainsi ก็. Les consonnes ขฺ ช น ล devenaient ขํ ชํ นํ ลํ surmontées d’une petite boule, un signe diacritique obsolète mais toujours présent sur nos claviers car il est utilisé pour transcrire le Pali qui n’a pas d’écriture dédiée en caractères thaïs.

 

Il y avait deux tirages par jour, celui du matin et celui du soir. Les gains de 10 ou 20.000 ticals étaient annoncés à grand renfort de publicité par les employés du fermier 

 

Celui-ci employait 200 personnes, chacune avec sa responsabilité propre toutes se contrôlant entre elles. Si le ticket était validé, le payement était instantané.

 

Cartwright décrit si minutieusement le fonctionnement de l’institution dans les deux districts, y compris le fonctionnement interne qu’il est permis de penser qu’il appartenait aux joueurs d’habitude ?

 

 

Nous avons quelques chiffres, malheureusement insuffisants : La première année, le montant du fermage était de 20.000 ticals et passa rapidement à 200.000. Lorsque Monseigneur Pallegoix écrit en 1854, le fermage était effectivement de 200.000 ticals sur un total des ressources du royaume de 27 millions. Lors de la dernière année, le fermage fut très précisément de  3 849 600 ticals sur un total des ressources d’environ 60 millions de baths La ferme était mise aux enchères tous les ans. Le fermage était payé par trimestre d’avance.

 

Le profit du fermier était probablement énorme : Cartwright parle pour les dernières années d’une moyenne de 40.000 ticals par jour. Il n’y avait pas de jour chômé, bien au contraire, pour les plus grandes fêtes bouddhistes ou le nouvel an chinois, les recettes passaient entre 120 à 140.000 ticals. Si l’on garde le chiffre moyen, cela représente sur une année Presque 15 millions de ticals, bien plus que la moitié du budget du royaume !

 

La moyenne de remboursement des gains était de 10.000 baths par jour soit 3.650 000 ticals dans l’année. Oté du revenu brut, il reste au fermier environ 12 millions de ticals, largement de quoi financer le fonctionnement et les salaires des 200 collaborateurs.

Il est évident qu’il y avait bien là de quoi susciter la cupidité du gouvernement central et le système fut arrêté en 1916 après 81 ans d’existence. Il fut immédiatement remplacé par le système que nous connaissons aujourd’hui, plus attractif pour les gogos que sont les joueurs puisque le premier gros lot annoncé dans le Bankok Time  en 1918 était de de 145.000 ticals.

 

 

Il couvre désormais tout le pays deux fois par mois. Il faut le comparer évidemment au plus gros et plus exceptionnel gain jamais payé dans le cadre de la « loterie des lettres » qui aurait été de 30.000 ticals. Mais ce joueur pour gagner 30 fois ses mises avait mathématiqueement joué 1000 ticals alors qu'un seul billet d'un petit tical (bath), le prix à l'époque, permettait de gagner 145.000 fois sa mise !

 

 

Ce serait actuellement un quart de la population qui participe à la loterie officielle attirée par l’énormité du gros lot mais un jour – dit-on – a plus de chance de mourir le lendemain mangé par un crocodie que de le toucher. Je ne parle pas de la loterie clandestine qui ne l’est presque pas et  qui draine un nombre tout aussi important de joueurs

 

L’ancien système, payer 30 fois la mise, une chance sur 36, peut se comparer – mutatis mutandis à notre roulette à 36 chiffres qui est le jeu de casino qui laisse le plus de chances au joueur qui est payé 35 fois  la mise lorsqu’il joue un numéro plein avec l’aléa qu’il ne faut pas oublier, le 37e chiffre, le zéro « tout pour le banquier ».

 

 

En créant la loterie officielle, il est certain que le roi Rama VI a voulu aussi rogner les ailes de la communauté chinoise qui avait déclenché quelques mois avant la mort de son père, en juin 1910, une grève générale qui fut massive, paralysa le pays pendant quelques jours, toutes boutiques fermées et arrêt de tous les travailleurs et coolies,  qui fut brisée par la force et heureusement sans effusion de sang.

 

 

La politique de Rama VI était ouvertement sinophobe. Sous son nom de plume de Atsawaphahu (อัศวพาหุ), il est l‘auteur d’un virulent pamphlet intitulé  « Les juifs de l’Orient et pays thaï, réveille-toi »(พวกยิวแห่งบูรพทิศ และ เมืองไทยจงตื่นเถิด). 

 

 

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commentaires

A
tjrs interessant !
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