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  Il était une fois Alain, Bernard …ils prirent leur retraite en Isan, se marièrent avec une Isan, se rencontrèrent, discutèrent, décidèrent un  jour de créer un BLOG, ce blog : alainbernardenthailande.com

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12 août 2019 1 12 /08 /août /2019 22:25

 

Au cours des trente premières années du XVIIe siècle, le Japon connut un âge d'or dans ses relations avec le monde extérieur : il s'ouvrit à de nouveaux marchés, découvrit de nouveaux modes de pensée et envoya ses marchands et ses aventuriers à travers toute l'Asie du Sud-Est. C’est l’ère de l’émergence du commerce maritime japonais avec l’Asie du Sud-Est.

 

Nous faisons référence dans cet article à des « sources japonaises » que nous n’avons pu consulter. Elles proviennent d’un remarquable article de Vu Duc Liem, lecteur à l’Université de Hanoï : « JAPANESE MILITARY INVOLVEMENT IN AYUTTHAYA, 1600 – 1630 » (1).

 

 

 

 

 

LES ORIGINES

 

 

C'est l’époque des navires japonais porteurs du « sceau vermillon », les « bateaux à licence vermillon » qui est pour l’essentiel à l’origine, de relations commerciales d’abord, mais aussi d’une intervention de l’armée japonaise dans la vie politique siamoise (2).

 

 

 

 

Ce fut la conséquence inéluctable de la présence dès le début du XVIIe de l’implantation de la communauté japonaise à Ayutthaya, l’une des premières communautés étrangères établies dans la capitale : marchands, guerriers, fonctionnaires japonais venus avec leur argent, leurs cargaisons, leurs armes et leurs domestiques alors que les influences européennes sur le Siam se situaient à l’extérieur de ses frontières, les Japonais furent en grande faveur aux yeux des rois siamois plus que n’importe quels autres étrangers dans le royaume. De nombreux ports, Hoian (au Vietnam), Manille, Ayutthaya, Patani virent l’installation de colonies japonaises, centres d’échanges économiques, mais aussi d’interactions culturelles et politiques avec la population et l'administration locales (3).

 

 

Parmi ces colonies, l'une des plus anciennes et des plus importantes fut Ban Yiipun, (บ้านญี่ปุ่น) la colonie japonaise située dans la banlieue sud d’Ayutthaya. On estime qu'il y eut au début du XVIIe siècle environ 800 colons japonais à Ayutthaya et leur nombre aurait atteint à son apogée dans les années 1620, le point culminant de leur prospérité, avec 1.500 personnes (4).

 

 

 

 

Ceux-ci eurent un rôle pendant plus de trois décennies et leur présence fut aussi un facteur important de l’intervention leur branche militaire dans la vie politique.

 

Les échanges militaires en Asie du Sud-Est à cette époque concernaient surtout le négoce des armes et des interactions entre technologies militaires dès avant l’arrivée des écrasantes influences européennes. Ayutthaya était alors la « Cosmopole » stratégique du siècle, la « Venise de l’Est ». L'engagement militaire japonais va, entre 1600 et 1630, dès avant la direction du remarquable et ambitieux Yamada Nagamasa (5), considéré comme un héros dans les deux pays, être essentiel.

 

 

 

 

Dans ce contexte régional, le Siam devint progressivement l’un des carrefours commerciaux de l’Asie du Sud-Est, accueillant marchands, missionnaires, guerriers étrangers ont été accueillis. Ayutthaya y a une position géographique stratégique lui permettant de devenir un important port maritime international en Asie du Sud-Est. Sa population varie selon les estimations mais comportait plusieurs centaines de milliers d’habitants (4). Port important et grand centre économique, l'Est et l'Ouest pouvaient s’y rencontrer au milieu d’étrangers cherchant leurs propres rêves de prospérité et de richesse.

 

 

 

]

Or, à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle, Ayutthaya dut se défendre contre les attaques des Birmans dès 1549. En 1569, après une série de campagnes complexes, les Birmans réussirent à capturer et à piller la capitale siamoise avant de la quitter. En quelques décennies, les destructions furent réparées. Le pouvoir militaire d’Ayutthaya fut rétabli qui permit à la ville de retrouver son ancienne grandeur. Ce renouveau fut l’œuvre du roi Naresuan (1590-1605) qui vainquit les Birmans à l’aide d’un bataillon de japonais (6) et mit le Cambodge une nouvelle fois sous contrôle d’Ayutthaya.

 

 

 

 

Il reste l’une des rares figures de l’histoire siamoise qui, par son charisme, son courage personnel et son caractère incisif accomplit une tâche herculéenne. Contrôlant un vaste territoire et, rétablissant le commerce maritime d’Ayutthaya, le royaume retrouva pas à pas le chemin de la prospérité. Ekathosarot, qui lui succéda en 1605, avait profité du génie militaire de son frère et savait qu'un pays ne pourrait être fort qu’entouré de puissants amis. Ainsi, le nouveau roi non seulement cimenta les relations amicales avec les États étrangers, mais fit également tout ce qui était en son pouvoir pour promouvoir le commerce. Il accueillit avec bienveillance les commerçants étrangers, notamment japonais, portugais, néerlandais et anglais, en leur accordant des privilèges de résidence, de protection et de commerce.

 

 

 

A cette époque, les guerres civiles perpétuelles qui avaient ravagé le Japon touchaient à leur fin et de nombreux seigneurs (daimyo) commencèrent à se consacrer au commerce extérieur. Le développement de l'économie nationale et la croissance des villes donnèrent naissance à une classe de négociants aisés qui commencèrent à investir dans le commerce international.

 

 

 

 

Le premier shogun Tokugawa Ieyasu au tout début du XVIIe siècle, encouragea le commerce extérieur comme moyen de renforcer les finances de son shogunat. Les navires japonais portant son sceau vermillon commencèrent à naviguer en Asie du Sud-Est, accueillis favorablement par les dirigeants locaux parce qu’ils portaient des lettres personnelles et des cadeaux du shogun lui-même.

 

 

 

 

Entre 1600 et 1635, plus de 350 navires japonais partirent outre-mer porteur du sceau vermillon, leur « permis de naviguer ». On les trouve au Vietnam, au Cambodge, dans les îles de l'archipel malais-indonésien et l’île de Luzon aux Philippines. Une part importante de leur commerce était l’exportation d'argent. Entre 1615 et 1625, selon les estimations, 130.000 à 160.000 kilogrammes d'argent ont été vendus, ce qui représenterait 30 à 40% de la production mondiale de ce métal hors production japonaise. À la suite de ces navires porteurs du sceau vermillon, un afflux de colons japonais s’établit dans la région et en particulier à Ayutthaya en raison de sa position centrale à mi-chemin sur la route entre la Chine et l'Inde. De son côté, faisant régner la paix dans son pays Tokugawa persuada ses daimyo et autres chiens de guerre à se diriger vers le commerce. L’accueil des souverains siamois fut alors bienveillant aux marchands, aux aventuriers, aux guerriers et aux mercenaires étrangers, assurant ainsi tout à la fois les revenus de l'État et renforçant leurs forces armées et leur armement. Les historiens discutent de la date exacte de l’arrivée des Japonais à Ayutthaya. N’entrons pas dans ces spéculations. Notons toutefois qu’en 1570, lorsque les Espagnols prirent possession de Manille, vingt Japonais y vivaient et faisaient du commerce et d’autres étaient établis à Malacca au début des années 1580. Ils auraient été particulièrement bienvenus au Siam à cette époque, compte tenu du dépeuplement partiel du royaume d'Ayutthaya et du manque de main-d'œuvre après la conquête de 1569 par les Birmans et la déportation forcée d’une partie de ses habitants.

 

 

 

 

 

Les relations commerciales entre le Japon et le Siam auraient commencé entre 1600 et 1635, encouragées par l'administration Shogun. Il est probable qu'à la fin des années 1620, le commerce entre le Siam et le Japon était le plus important que celui avec les autres nations. Des sources japonaises indiquent qu'entre 1604 et 1635, cinquante-six navires japonais dotés du Sceau rouge parvinrent à Ayutthaya (7). Les récits de l’arrivée de ce Japonais partis en général du port d’Edo pour gagner le Siam sont malheureusement inexistants. Ce qui n’est ne sera pas le cas pour les sources néerlandaises, françaises et portugaises postérieures

 

 

 

 

Selon des sources japonaises, une première vague serait arrivée entre 1573 et 1591. Elle fit découvrir le Japon aux Siamois. Ce serait sous le règne du roi Maha Thammaracha entre 1569 et 1590 (?).

 

 

 

Elle fut suivie par plusieurs vagues de samouraïs ayant perdu leur statut et leur emploi après leurs défaites dans les batailles de Sekigahara (1590 ?)

 

 

 

et d'Osaka (1615),

 

 

 

 

cherchant l’aventure et la fortune dans des lieux aussi lointains que le Siam. Sous le règne du roi Ekathosarot (1605-1610), parmi les colons japonais, certains lui servaient de gardes du corps et appuyaient ses propres forces. Cette participation continua sous le règne du roi Songtham (1610-1628).

 

 

 

 

La nouvelle de la carrière glorieuse et réussie de Yamada Nagamasa entre 1614 et 1630 fit l’objet d’une large diffusion au Japon. Et n’a pas manqué de susciter une inflation de migrants en quête d’aventures (5).

 

 

 

À la différence des colonies néerlandaise, portugaise et anglaise d'Ayutthaya, dont on trouve facilement les traces matérielles de nos jours, il est difficile d'identifier exactement le lieu où la communauté japonaise s'était installée. Elle aurait été située dans des villages construits sur des terres attribuées par les rois siamois et situés à l'extérieur des remparts afin de réduire le risque de rébellion latente et de créer une zone tampon entre les envahisseurs potentiels et la ville. Nous n’avons d’autres sources que les cartes datées de 1686 et 1693 (4)

 

 

 

 

On y trouvait naturellement les entrepôts pour stocker et collecter les marchandises d'importation du Japon (essentiellement des produits de luxe, l’argent métal tout d’abord ainsi que des produits d’artisanat, de luxe et semi-luxe : sabres, porcelaines, boîtes laquées, paravents, articles d’argenterie) et d’exportation vers le Japon (soies venues de Chine, peaux de cerfs, de raies et de requins utilisées par les Japonais pour les poignées de leurs sabres).

 

 

 

 

Tout fut détruit lors de l’invasion birmane en 1767.

 

En 1633 le Japonais Tokugawa lança sa politique de « porte fermée » et les colons japonais perdirent le soutien du roi Prasat Thong (1629-1656).

 

 

 

Après des massacres perpétrés au sein de la colonie japonaise, il reprit une politique plus clémente à l’égard des Japonais pour les inciter au retour. En fait, 70 ou 80 personnes répondirent et furent autorisées à s’installer à Ayutthaya, recevant des terres et des privilèges notamment celui de nommer leurs propres chefs, dans un effort visant à promouvoir les échanges commerciaux et à encourager le retour des commerçants. Il envoya ainsi une ambassade au Japon en 1635 qui fut un échec cuisant puisque le Shogun refusa de la recevoir. Plus tard, le roi Fachai (1655-1656), et plus particulièrement le roi Narai (1656-1688), firent plusieurs tentatives qui échouèrent également. La communauté japonaise n'avait plus aucun rôle à jouer à nouveau comme au cours des dernières décennies.

 

Cette communauté comportait essentiellement deux catégories, les marchands et les guerriers.

 

 

 

MARCHANDS ET GUERRIERS

 

Pendant 29 ans avons-nous dit, de 1606 à 1635, 56 navires japonais se rendirent à Ayutthaya, soit en moyenne deux navires par an. Cela peut sembler peu de choses ? Que non pas ! Il ne faut pas oublier que ces voyages étaient soumis au régime des deux moussons, que ces embarcations étaient énormes, parfois plus de 100 mètres de long et capables de transporter des centaines de tonnes de marchandises essentiellement précieuses : Les jonques de haute mer passent pour avoir pu transporter 5 ou 600 tonnes de marchandises, peut-être plus.

 

 

 

Il était évidemment plus intéressant de transporter une cargaison de lingots d’argent qu’une cargaison de paille de riz. N’oubliez pas que les premières caravelles de l’époque Christophe Colomb, 20 ou 30mètres, semblaient auprès des jonques asiatiques à des canots de sauvetage. Il n’existe malheureusement pas la moindre trace de la nature et du montant des mouvements de marchandises, toutes archives ayant disparues lors du sac d’Ayutthaya par les Birmans. 130 à 160 tonnes d’argent parvenues au Siam ne sont qu’une estimation. Pour autant que cette comparaison valle ce qu’elle vaut, cela représenterait en 2019 au cours de l’argent fin une valeur d’environ 70 millions d’euros.

 

Lingot d'argent japonais de cette époque :

 

 

De même, bon nombre de jonques siamoises se rendirent au Japon. L’immigration vers le Siam fut en outre facilitée par les persécutions religieuses contre les chrétiens au Japon alors que les chrétiens japonais convertis jouissaient d'une grande liberté de religion à Ayutthaya. En 1627, un jésuite portugais d'Ayutthaya déclarait que sa communauté chrétienne comportait 400 fidèles. En 1628, il y aurait également eu 600 chrétiens tous soldats.

 

 

 

 

Les « Chroniques royales d’Ayutthaya » font état de la présence de 500 japonais en 1593 (8) pour la plupart aventuriers et mercenaires, gardes du corps du roi ou auxiliaires dans l’armée siamoise.

 

 

 

 

S’agissant essentiellement de rônins (samouraïs errants et sans maître),

 

 

 

 

il leur fallut bien émigrer pour retrouver ailleurs leur honneur perdu ou, peut-être de manière plus réaliste, pour gagner leur vie. Leurs exceptionnelles compétences guerrières en firent des recrues de choix pour aider Ayutthaya à remporter la victoire dans les guerres sans fin de la fin du XVIe au début du XVIIe siècle. Leur première implication significative dans l'armée siamoise est celle de la bataille de Nong Sarai en 1593, sous la direction du roi Naresuan et de son frère Ekathotsarot. Plusieurs centaines de Japonais avaient rejoint l'armée siamoise. Les Chroniques royales décrivent en détail comment une armée de 100.000 hommes prêts à affronter les Birmans comprenait Phra Sena Phimuk (titre siamois attribué au chef de l'armée japonaise) monté sur l'éléphant taureau Phop Trai et commandant un corps de cinq cent Japonais (6). Toutes les sources s’accordent à louer leur intrépidité, leur audace et la qualité de leurs armes blanches, semant la terreur chez leurs ennemis en poussant des hurlements. Même si la question de savoir s’ils ont joué un rôle clé dans ces combats, il est certain qu’il fut en tous cas important. Sans entrer dans les légendes des sources japonaises, il est en tous cas assuré qu'un groupe de guerriers japonais, composé d'environ 500 à 600 hommes a formé la troupe des gardes du corps du roi et joué un rôle important dans les événements qui suivirent la mort du roi Songtham en 1628. L’instabilité chronique à cette époque explique facilement le choix de troupes étrangères, unique d’ailleurs dans l’histoire des autres pays d’Asie qui considéraient les étrangers comme peu fiables. Il n’est pas inutile de rappeler qu’au début du XVIe siècle, par exemple, le roi Phra Ramathibodi II (Chettathirat I) avait été témoin de la supériorité de l’armement portugais en 1516, quelques années seulement après la prise de la ville de Malacca et avait avec eux signé un traité concernant les armes à feu. Le roi Chairacha, en 1534, embaucha cent vingt Portugais qui servirent de gardes du corps au palais. Au cours des décennies suivantes, les gardes du corps étrangers furent une constante au Siam. Après les Portugais, ce furent les Japonais : En plus des gardes du corps, l'armée d'Ayutthaya comprenait des escadrons de troupes auxiliaires formées de Japonais avec aussi de Portugais et de Hollandais.

 

 

 

 

Bien que leur tâche fût de protéger les rois, ils s’impliquèrent dans les conflits au sein du Palais royal, engagés dans les trois successions épineuses caractérisées par des coups d'État et la violence en 1612-1628-30 et 1648.

 

En dehors de leurs remarquables aptitudes au combat, le fait qu’ils soient immigrés sans le plus souvent espoir de retour dans leur pays d’origine ajouta à leur détermination. Les Européens présents au Siam au début du XVIIe siècle en furent les témoins et rapportèrent leurs exploits en particulier Van Vliet qui décrivit le soulagement des Siamois lorsque la plupart de ces hommes « audacieux et perfides quittèrent Ayutthaya. À mesure que l'influence des Japonais augmentait, leur fierté et leur impudence naturelles devinrent si grandes qu'ils ont finalement osé attaquer le palais et s'emparer du roi jusque dans sa chambre ».

 

 

 

 

L’amiral Hollandais, Cornelis Matelief de Jonge les considérait comme « une race très déterminée, capables de se suicider plutôt que de tomber vivants dans la main de leurs ennemis et être torturés à mort ». Dans le même style, le gouverneur général espagnol des Philippines, Don Pedro Bravo de Acuna, écrivit en 1605 à son roi que les Japonais «  étaient des hommes courageux qui craignent peu la mort et aiment aller à la guerre, leur caractère est cruel et féroce, ce sont par nature des bandits ». Nous trouvons des réflexions aussi peu amènes chez La Loubère.

 

 

 

 

LE COUP DE FORCE DE 1611

 

L'émeute au palais royal d'Ayutthaya en 1611 fut probablement le tout premier trouble militaire que les Japonais causèrent à Ayutthaya. Il en est deux versions dont vous ne serez pas étonnés qu’elles soient contradictoires, une hollandaise et une siamoise.

 

La première est celle d’un marchand néerlandais Peter Floris, employé de la Compagnie anglaise des Indes orientales arrivé à Ayutthaya en août 1612 dont le manuscrit qui dormait au British Museum a été transcrit et publié une première fois en 1934 (9). Selon lui, un groupe de 280 « esclaves » japonais aurait pris d'assaut le Palais royal pour se venger de quatre seigneurs siamois qui avaient tué leur maître. Après que les coupables présumés aient été massacrés sur place, les Japonais auraient obtenu une promesse d’immunité du « jeune roi » contraint de signer un document avec son sang. Une fois cette immunité certifiée, les Japonais commirent d’autres violences au hasard et repartirent du palais avec de grandes richesses.

 

 

Il existe également une source thaïe tardive qui semble avoir été répandue dans la vision populaire de l’histoire d’Ayutthaya (1). Dans ce récit, le roi Songtham est appelé «Tilokkanat ». Il est décrit comme un homme érudit et voué à l'étude du bouddhisme. À cette époque, un groupe de commerçants japonais arriva à Ayutthaya avec des marchandises à vendre. Un haut responsable (Ammat), qui était un homme malhonnête, avait prétendu à tort que le roi lui avait ordonné d'acheter diverses denrées. Lorsque l’affaire fut faite, il les paya avec de la monnaie de cuivre argenté qu’ils reçurent sans prendre soin de l'examiner. Après le payement, ils constatèrent qu'il s'agissait non pas d'argent mais de cuivre ce qui les rendit furieux. Ils pensèrent que le roi les avait trompés. Ils envoyèrent quatre domestiques dans le palais avec des armes dissimulées. Le roi Tilokkanat (Songtham) tenait audience et expliquait des sculptures bouddhistes aux moines. Quand les Japonais entrèrent, ils sortirent leurs armes. Les fonctionnaires présents purent les désarmer. Le roi leur demanda pourquoi ils cachaient des armes et venaient avec des intentions hostiles. Ils lui expliquèrent qu’un haut responsable les avait payés en monnaie de cuivre et que leur maître, furieux, faisait peser la responsabilité de cette escroquerie sur le roi. Celui-ci ordonna alors une enquête, arrêta le responsable et découvrit la vérité. Il fit alors payer les Japonais avec du bon argent et les fit libérer. Les Japonais ont évidemment le beau rôle de victimes. Il est évidemment difficile de savoir où se situe la vérité historique. Les différentes versions des Chroniques sont nébuleuses et nous apprennent simplement que 500 Japonais ont pénétré dans les appartements royaux et furent en définitive massacrés (8). Dans la mesure où les Chroniques royales existantes sont des reconstitutions tardives d'événements antérieurs et pas toujours fiables, il est permis de penser que la version de Peter Floris écrite « à chaud » est la plus vraisemblable.

 

 

 

L’ARRIVÉE DE YAMADA

 

L’arrivée de Yamada au cours de cette période d'instabilité causée par certains de ses compatriotes est postérieure. Il n’est cependant mentionné dans aucun document contemporain au cours des dix premières années qu'il a passées à Ayutthaya, il est en particulier inconnu des Chroniques. On suppose seulement que durant cette période, il a appris la langue et monté pas à pas dans la hiérarchie de la communauté japonaise. Nous le trouvons en 1621 comme chef officiel des Japonais d’Ayutthaya. Engagé dans les affaires diplomatiques, commerciales et militaires, il joua un rôle de plus en plus important dans les relations diplomatiques entre Ayutthaya et les Shoguns japonais. En échange de ses services, il reçut le titre officiel d’okphra, intermédiaire indispensable entre la cour d’Ayutthaya et la diplomatie japonaise qui le reconnut comme tel.

 

 

 

 

Joost Schouten, responsable de la société de négoce néerlandaise à Ayutthaya, exprima son inquiétude dans une lettre de 1629 adressée au gouverneur général néerlandais de Batavia sur le rôle du chef des résidents japonais. Commandant en chef du corps des japonais gardes du corps du roi et des soldats japonais de l’armée siamoise, nous avons trace de sa première action militaire en 1624, lorsqu'il mena un groupe de soldats siamois et japonais attaquer un navire espagnol sur la Chao Phraya qui s’attaquait à des bâtiments néerlandais alors que le roi Songtham avait une dilection particulière pour les Bataves. Celui-ci envoya un émissaire pour demander aux Espagnols de libérer les captifs et la cargaison. Don Fernando de Silva, le capitaine espagnol, refusa. Songtham lança alors de nombreux bateaux pour attaquer sa flotte dont l’artillerie castillane ne put venir à bout. Les Japonais partirent à l’attaque, prirent d’assaut les navires espagnols, Don Fernando de Silva fut massacré avec la plupart de ses compatriotes.

 

 

Après cet épisode, Yamada fut conforté dans la faveur du roi Songtham qui lui proposa de devenir ministre et chef militaire de sa cour. Toujours selon une source japonaise, il commandait 800 soldats japonais et 20.000 soldats siamois. En raison de sa position Yamada était tenu de jurer fidélité au roi mourant et de lui promettre de faire tout ce qui était nécessaire pour permettre à son fils de monter sur le trône. Dans ce contexte, il était cependant subordonné à Phya Sriworawong choisi par Songtham pour devenir régent et tuteur du jeune prince et de ce fait le deuxième homme le plus puissant du Siam. Ce fut le début d’un conflit qui dura deux ans et dont l’issue eut de lourdes conséquences, non seulement pour Yamada mais pour l’ensemble de la communauté japonaise.

 

 

 

Nous avons des manigances de Yamada entre 1628 et 1630 la longue description de Van Vliet. Le roi Songtham mourut le 12 décembre 1628, fut remplacé par son fils âgé de quinze ans qui prit le nom de Chetthathirat. Comme dans toutes les successions à cette période, le changement de titulaire au trône fut l'occasion de règlements de compte. Phya Sriworawong en profita pour se débarrasser de ceux qui constituaient des obstacles à son éventuelle ascension au trône. Un massacre généralisé suivit l'intronisation du jeune roi. Yamada passe pour avoir été hostile à ces bains de sang (?). Van Vliet nous appprend que peu après la montée sur le trône de Chetthathirat, Phya Sriworawong fut promu au rang de Chao Phya Kalahom Suryawong. Il pouvait contrôler complètement le jeune roi et éventuellement accéder au pouvoir à tout moment. Il avait toutefois deux puissants rivaux. L’un était le frère de Songtham appelé Sri Sin, alors moine et l’autre, bien sûr, Yamada. Sriworawong qui fit preuve d’habile fourberie en opposant les deux hommes. Il réussit à convaincre Yamada que, pour tenir une promesse faite à Songtham sur son lit de mort, Sri Sin devait être éliminé comme usurpateur potentiel du trône que feu le roi voulait réserver à Chetthathirat. Yamada fit alors le nécessaire mais en devint le seul obstacle entre  Sriworawong et le trône.

 

 

 

Pour ce dernier, tuer Yamada à Ayutthaya était hors de question, car il aurait dû faire face à la colère des Japonais dont le soutien lui était toujours nécessaire. Sriworawong lui offrit alors la vice-royauté de Pattani pour le tenir à l'écart, lui et son armée, d'Ayutthaya. Les Japonais quittèrent Ayutthaya en août ou en septembre 1629. En janvier 1630, Yamada s'était installé à Ligor avec 300 soldats japonais et 3 à 4000 soldats siamois. Entre-temps, Sriworawong avait fort rapidement fait déposer et tuer le jeune roi et était monté sur le trône sous le nom de Prasat Thong. Yamada pour sa part mourut rapidement soit des blessures reçues lors de la conquète de Pattani soit sur instructions de Prasat Thong qui aurait ordonné de l’empoisonner.

 

 

La mort de Yamada marqua un point final à l’influence des Japonais à Ayutthaya. Leur communauté fut alors anéantie et ses membres massacrés par le nouveau roi. La Loubère résume cette fin comme suit : « Autrefois les Rois de Siam avoient une Garde Japonaise composée de six-cent hommes : mais parce que ces plus de six cent hommes seuls faisaient trembler quand ils voulaient, tout le Royaume, le Roy père du Roy d'aujourd’hui après s'être servi d'eux pour envahir la Couronne, trouva le moyen de s'en défaire plus par adresse que par force » (10).

 

 

 

LA FIN.

 

Arrivés à Ayutthaya probablement avant 1600, au bénéfice de l’ère du « sceau vermillon », les Japonais dominèrent les autres communautés étrangères d’Ayutthaya. Prenant part aux campagnes militaires siamoises et agissant comme gardes du corps du roi entre 1600 et 1630, ils intervinrent dans certains des événements les plus importants du royaume, capturèrent même probablement le roi siamois et participèrent à l’instabilité politique de cette époque. Van Vliet observa que le roi Prasat Thong les avait chassé du pays « au grand bonheur des habitants… les grands hommes du pays et les nobles en furent très heureux, car ils craignaient depuis toujours les Japonais pour leur audace et leur tentative perfide pour faire du roi un prisonnier ».

 

 

 

 

Après avoir dominé le commerce international siamois et participé activement à la vie politique pendant trente ans, ils en disparurent jusqu’au traité d’amitié de 1887 entre le Roi Chulalongkorn et l'empereur Meiji. Le chemin entre le Capitole et la roche tarpéienne est court : « Arx tarpeia capitoli proxima ».


Cet épisode fulgurant de 30 ans de l’année dans l’histoire du Siam nous conduit à poser deux questions, le pourquoi et ses suites.

 

 


 

POURQUOI DES MERCENAIRES ?


 

Des observateurs français des ambassades de Louis XIV, le plus serein et le plus précieux est le Chevalier de La Loubère, entre le père Tachard qui n’est que flagornerie et le chevalier de Forbin qui n’est que mépris. Ses considérations sur les armées siamoises qui datent de 1695, 65 ans plus tard, sont consternantes (10) : Les Siamois ignorent tout de l’art de la guerre, ni tactique ni à fortiori stratégie. Ils ignorent tout de la fabrication des armes (armes à feu (affaire portugaise) ou armes blanches (affaire japonaise)). Ils ignorent tout de la stratégie de l’investissement d’une place (guerre de siège) et encore moins de sa défense. Leur attitude au combat enfin est désolante de veulerie. L’utilisation de guerriers de profession s’impose alors et alors les meilleurs sont les Japonais ! L’histoire récente a démontré leur pugnacité, leur courage, leur mépris de la mort et leur férocité lors du dernier conflit mondial.


 

 

LES CONSÉQUENCES ?


 

Pour autant que l’histoire puisse se répéter, il est une leçon à en tirer, l’exemple le plus caractéristique est celui de la garde prétorienne de l’Empire romain. Garde personnelle et rapprochée du divin Empereur, composée initialement et exclusivement de latins, le fut très rapidement par de véritables mercenaires illyriens. L’Illyrie c’est l’actuelle Albanie, réservoir de farouches et impitoyables guerriers au sein desquels des siècles plus tard les Turcs recrutèrent l’élite de leurs janissaires. Les cohortes prétoriennes intervinrent à plusieurs reprises dans les luttes pour la succession impériale, et devinrent rapidement maîtres du choix du successeur. Le nouvel empereur était toujours acclamé par les prétoriens avant même de l’être par le Sénat et les légions des provinces. Le prix à payer était le «  donativum », le « don de joyeux avènement ». Ils n’étaient que quelques milliers mais faisaient trembler un empire de 50 millions d’habitants.

 

 

 

 

Il ne devait pas y avoir au Siam à cette époque plus de 3 millions d’habitants, qui tremblaient devant 5 ou 600 mercenaires !

H 44 - LES JAPONAIS AU SIAM, GRANDEUR (1600) ET DÉCADENCE (1635).

NOTES


 

(1) C’est une publication de « Southeast Asian Studies Program, Chulalongkorn University » numérisée : http://arcmthailand.com/documents/documentcenter/JAPANESE%20MILITARY%20INVOLVEMENT%20IN%20AYUTTHAYA,%201600%20%E2%80%93%201630.pdf

 

(2) Appelé en japonais le shuinsen  ce sceau vermillon est tout simplement une licence d’exportation autorisant les navires à se rendre dans les ports d’Asie d- Sud-Est depuis le shogunat Tokugawa entre 1600 et 1635 jusqu’à la fermeture du pays.

 

(3) Au sujet du commerce avec le Japon, voir nos articles :

 

87 : «  Le Commerce du royaume de Siam au temps du Roi Naraï (1656-1688) » :

http://www.alainbernardenthailande.com/article-87-le-commerce-du-royaume-de-siam-au-temps-du-roi-narai-1656-1688-118237885.html

H 42 « ASPECTS DE L'HISTOIRE DU SIAM AUX XVIIe-XVIIIe SIÈCLES. 1. »

 

 

(4) Au sujet de la ville d’Ayutthaya, voir nos deux articles

H 36 « AYUTTHAYA AVANT LA CHUTE DE 1767, LA POPULATION ET SES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES - PREMIÈRE PARTIE »

http://www.alainbernardenthailande.com/2019/06/ayutthaya-avant-la-chute-de-1767-la-population-et-ses-activites-economiques-premiere-partie.html

 

H 37 « AYUTTHAYA AVANT LA CHUTE DE 1767, LA POPULATION ET SES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES - SECONDE PARTIE »

http://www.alainbernardenthailande.com/2019/06/h-37-ayutthaya-avant-la-chute-de-1767-la-population-et-ses-activites-economiques-seconde-partie.html

 

(5) Voir notre article 73 «  Yamada Nagamasa, le Japonais qui devint Vice-Roi au Siam au XVIIème Siècle ».

http://www.alainbernardenthailande.com/article-73-yamada-nagamasa-le-japonais-qui-devint-roi-au-siam-au-xviieme-siecle-115599893.html


 

(6) La bataille est relatée dans « The royal chronicle of Ayutthaya » de Cushman et Wyatt, p. 128.


 

(7) Sur les 350 navires autorisés, nous avons pour la région 14 pour l’Annam, 36 pour le Tonkin, 70 pour la Cochinchine, 5 pour le Champa, 44 pour le Cambodge, 56 pour le siam et 53 pour Luzon. Les autres partaient probablement vers la Chine et la Corée ?

 

 

 

(8) « The royal chronicle of Ayutthaya » de Cushman et Wyatt, p. 208-209.

 

(9) « Peter Floris –His voyage to the East Indies in « the Globe » - 1611 6 1615  - The contemparory translation of his journal »

 

(10) La Loubère consacre tout un chapitre du premier volume de son ouvrage « Du royaume de Siam », chapitre intitulé « De l'art de la guerre chez, les Siamois, et de leurs forces de mer et de terre » et un autre intitulé « du Palais et de la garde du roi »

 

 

 

 

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