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  • : Le blog des Grande-et-petites-histoires-de-la-thaïlande.over-blog.com
  • : Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
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  Il était une fois Alain, Bernard …ils prirent leur retraite en Isan, se marièrent avec une Isan, se rencontrèrent, discutèrent, décidèrent un  jour de créer un BLOG, ce blog : alainbernardenthailande.com

Ils voulaient partager, échanger, raconter ce qu’ils avaient appris sur la Thaïlande, son histoire, sa culture, comprendre son « actualité ». Ils n’étaient pas historiens, n’en savaient peut-être pas plus que vous, mais ils voulaient proposer un chemin possible. Ils ont pensé commencer par l’histoire des relations franco-thaïes depuis Louis XIV,et ensuite ils ont proposé leur vision de l'Isan ..........

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7 novembre 2018 3 07 /11 /novembre /2018 22:06

 

La littérature érudite sur l’architecture de l’Isan (Nord-est) est abondante. Nous lui avons consacré plusieurs rubriques, concernant l'architecture religieuse, l'architecture khmère ou les vestiges de la civilisation perdue du Dvaravati. Mais l’architecture populaire est oubliée, née et développée avec un type d'économie et de civilisation qui disparaît à chaque instant, à travers le monde. De nouvelles formes d'économie ont imposé un autre type d'habitat et de villages. Les vieilles maisons traditionnelles sont abandonnées. Leurs matériaux, pauvres et périssables souvent, ont facilité leur rapide disparition. Or, si l’histoire de nos manuels et aussi celle de notre blog est toujours une chronique des grands événements, l'histoire racontée par cette architecture populaire est une histoire mineure certes mais essentielle pour comprendre l'évolution culturelle des populations de notre région.

 

 

Sur un plan général l’architecture populaire n’a pas attiré grande attention des chroniqueurs. Il faut toutefois noter un renouveau récent depuis le début de ce siècle mais manifeste des habitants de l’Isan pour leur passé, leurs ethnies et leurs culture en voie de perdition. Le site Isangate créé en 1998 pour préserver les trésors de l’Isan a consacré une très belle monographie (en thaï) aux maisons traditionnelles superbement illustrée (1).

 

 

LES PREMIÈRES DESCRIPTIONS

 

La Loubère ne néglige toutefois pas le sujet, il écrit en 1695 « Si les Siamois font simples dans leurs habits, ils ne le sont pas moins dans leurs logements, dans leurs meubles et dans leur nourriture parce qu'ils savent se contenter de peu de chose ». La suite est plus précise (2).

 

Monseigneur Pallegoix écrit un siècle et demi plus tard, rien n’a changé ni dans la simplicité de la construction ni celle du mobilier en ce qui concerne les « habitations des pauvres » c’est-à-dire l’immense majorité de la population (3).

 

Lorsque le Capitaine de Malglaive écrit en 1902 dans le cadre de la Mission Pavie, dans un village de l’ethnie Phuthai sur les bords du Mékong sa description de l’habitat est brève mais il nous donne une belle gravure des constructions d’un village Phuthaï (4). Rappelons les quelques lignes que nous avons consacré aux habitations de l’ethnie Phuthai en ajoutant : « L’architecture, maisons en bois sur pilotis, ne diffère guère de celles des ethnies voisines. Elle reste encore (pour combien de temps) telle que Malglaive l’a photographiée » (5).

 

 

EN 1950, QU’Y AVAIT-IL DE CHANGÉ ?

 

 

Nous bénéficions maintenant d’une étude effectuée sur le terrain pendant deux ans (1948-1949) presqu’un siècle après Monseigneur Pallegoix et il n’y a guère plus de 60 ans, par un anthropologue américain, John De Young, de l’Université de Berkeley (6). Concernant au moins pour partie le nord-est, l’auteur consacre un chapitre à l’architecture vernaculaire. Il y a décrit méticuleusement ce qu’étaient alors les constructions traditionnelles dont par ailleurs la disparition lui semblait inéluctable, dans des unités villageoises compactes, établies de longue date, pratiquant une économie rizicole autonome et dépendant de cultures secondaires et d’autres sources pour équilibrer leurs faibles revenus.

 

 

L’ISAN EN 1950

 

Lors de ses recherches sur le terrain, il bénéficiait du dernier recensement de 1947 évaluant la population du pays à 17.343.714 habitants mais compte tenu de son augmentation annuelle de 1,9%, il l’évalue lorsqu’il écrit à 20.000.000 dont environ 80 % de paysans. Les 15 provinces du nord-est (7) comportent alors 5.850.010 habitants que nous pouvons dans les mêmes conditions arrondir à 6 millions. C’est la plus grande des quatre régions de la Thaïlande, d’une superficie de 167.000 km2, un tiers de la superficie totale du pays. Ce sont 6 millions d’habitants soit 35% de la population du pays qui y gagne difficilement leur vie.

 

 

La donne est aujourd’hui en 2018 complètement différente puisque la population du pays est de plus de 69 millions d’habitants, celle de l’Isan d’environ 25 millions et il n’y a plus de 48 % de paysans.

 

Divers paramètres ont de toute évidence joué un rôle essentiels dans l’architecture vernaculaire, celle des « pauvres » comme le dit Mgr Pallegoix sans connotation négative.

 

La topographie du nord-est affecte considérablement la température pendant la saison fraîche : bien que les journées soient chaudes, les températures nocturnes peuvent descendre jusqu’à 10 degrés Celsius, parfois moins dans la province de Loei, à la limite du gel. Pendant la saison chaude, entre mars et mai, les températures peuvent atteindre une température supérieure à 38 degrés Celsius. La saison des pluies tombe principalement entre mai et novembre, diminuant à fin septembre. La région reçoit moins de précipitations que le reste du pays car les montagnes situées au sud-ouest et à l'ouest agissent en partie comme une barrière anti-pluie mais les inondations y sont fréquentes.

 

Carte De Young :

 

 

L’EAU A DÉTERMINÉ L’EMPLACEMENT DES VILLAGES

 

Les villages (banบ้าน en isan) sont composés de maisons (huan เฮือน en isan) regroupées, il n’y a pas d’habitat dispersé dans nos 20 provinces comme il peut y en avoir dans la Thaïlande centrale, au centre de vastes propriétés dans les régions de culture intensive du riz. Le choix de l’emplacement répond à un impératif d’évidence, tellement que nul n’en parle, la présence de l’eau tout simplement. Sur les 20 provinces, seules celles de Loei (pour partie), Nongkhai, Bungkan, Nakonphanom, Mukdahan et Ubonrachathani sont riveraines du Mékong. Les villages s’y alignent tout en longueur sur la rive droite. Dans l’intérieur, soumis aux aléas climatiques dont le pire est la sécheresse, De Young note plusieurs types de regroupement : un groupe de maisons le long d'une voie navigable ou d'une route, ou un groupe de maisons parmi des arbres fruitiers, des cocotiers et des rizières ou le long d'une large rivière, des maisons construites sur une seule rive, le long d'une rivière étroite, d'un canal ou d'une route, des maisons peuvent être situées des deux côtés; le village peut s’étendre sur un ou plusieurs kilomètres.

 

Dessins De Young :

 

 

Rien n’a d’ailleurs changé à ce jour. L'observateur occasionnel ne peut souvent pas dire où un village s'arrête et où commence le suivant bien qu’il y ait une démarcation administrative entre les limites. Leur taille varie avec en général un minimum de cinquante foyers, le plus souvent une centaine et parfois deux cents. Le village moyen comprend une centaine de foyers et 450 à 500 habitants.

 

 

Toute la vie tourne autour de l’eau. Il est permis de penser que cette implantation autour d’un point d’eau suffisait aux besoins quotidiens puisque l’absence de gouttières destinées à recevoir les eaux de pluie de la toiture est alors constante. Leur apparition sur les toitures en matériaux modernes destinées à alimenter les énormes cuves en ciment constituant de précieuses réserves d’eau avant l’apparition de l’eau au robinet doit donc dater de la seconde moitié du XXe siècle ?

 

 

De Young relève encore les difficultés de circulation pendant la saison des pluies malgré une expansion constante du réseau routier. En saison des pluies, une grande partie du transport se fait toujours par voie d’eau.

 

 

Nous voyons deux éléments ponctuels qui justifient cette importance de l’eau dans une région qui subit durement la sécheresse :

 

- Lorsque les hasards de la climatologie ou de la géologie font surgir une source, elle devient volontiers immédiatement « Bonam Saksit » (บ่อน้ำศักด์สิทธิ์) en quelque sorte, traduction libre, « source miraculeuse » et se trouve aussi vite placée sous la protection des moines.

 

 

- Plus généralement sur le plan de l’onomastique, quatre de nos vingt provinces font référence à l’eau : Kalasin (กาฬสินธุ์) « les eaux noires », Buengkan (บึงกาฬ) « l’étang noir », Nongbualamphu (หนองบัวลำภู) « le lac des lotus » et Nongkhai (หนองคาย) « le lac qui crache » (?). Nous le retrouvons dans tout le pays, puisque sur les 7.500 districts de la Thaïlande, 652 portent le nom de huay (ห้วย) « le ruisseau », 33 celui de bo (บ่อ) « la source », 70 celui de nam (น้ำ) « l’eau », 42 celui de bueng (บึง) « l’étang », 501 celui de nong (หนอง) « le lac » et 145 celui de klong (คลอง) « le canal » (8).

 

Il y a aujourd’hui environ 75.000 villages en Thaïlande, 49.832 lorsqu’écrivait De Young,. Nous ne bénéficions pas (à notre connaissance) de l’équivalent français du « dictionnaire des communes » !

 

En dehors des besoins domestiques et de ceux de l’irrigation, c’est l’eau qui fournit également partie de la nourriture, les poissons et les grenouilles au premier chef, et diverses espèces végétales de nos jours en voie de presque disparition en Isan du fait de la pollution des cours d’eau. Nous avons parlé des algues d’eau douce, une gourmandise appréciée (9).

 

Photographies J.M. Strobino :

 

La forêt était proche partout et omniprésente. En dehors de compléments alimentaires appréciés, champignons, fruits sauvages et bien sur le gibier, elle était la source principale des matériaux servant à la construction.

 

La construction du barrage de Lampaodam sur la province de Kalasin terminée en 1968 a créé un plan d’eau qui ferait avec toutes ses ramifications et en pleines eaux près de 7.000 kilomètres carrés, plus vaste que la plupart des départements français et probablement la plus grande pièce d’eau artificielle du pays. Il est d’ailleurs oublié dans le palmarès des plus grands lacs artificiels du monde.

 

 

La construction du barrage d’Ubonrat dans la province de Khonkaen en 1964 a créé un lac artificiel dont les riverains sont très fiers de dire qu’il est plus grand que le lac Léman (ou de Genève si vous préférez), la belle affaire ! Il n’est par rapport au précédent qu’une mare à crapauds de 580 kilomètres carrés.

 

Si ces superficies ne sont pas parlantes, le total de la superficie de ces deux lacs représente 758.000 hectares soit pour parler thaï 4.737.500 raïs.

 

Il ne s’agit -bien évidemment- pas de nier de quelque façon que ce soit l’utilité de ces travaux pharaoniques qui ont permis tout à la fois de procurer l’électricité à une région qui en était dépourvue (Ubonrat) et de réguler les caprices des eaux en faveur des paysans.

 

Mais l’immersion de 7 milliards 580 millions de mètres carrés essentiellement de surfaces boisées a coupé l’accès à une immense source d’approvisionnement en matériaux essentiels pour la construction de la maison traditionnelle, le bois dur qui est le premier composant de l’architecture traditionnelle. Nous ne parlons évidemment pas du bambou qui pousse partout comme et aussi vite que du chiendent

 

 

LES CONSTRUCTIONS

 

Il y avait en réalité plusieurs styles de construction des maisons (huanเฮือน) en Isan en fonction de leur utilisation : les constructions temporaires, en réalité des abris (chuakhrao - ชั่วคราว), les constructions semi – permanentes (kuengthawonกึ่งถาวร) et les constructions permanentes (thawon กึ่งถาวร).

 

Les constructions temporaires

 

C’étaient et ce sont d’ailleurs toujours des constructions sommaires que les Isans appellent rueanyao (เรือนเหย้า) ou  hueanyao (เฮือนย้าว). Elles peuvent aussi constituer la construction de départ d’un jeune ménage  pauvre avant d’en faire par améliorations successives leur foyer permanent. La construction en est sommaire. Elles sont le plus souvent édifiées pour des besoins temporaires ou saisonniers comme le « thiangna » (เถียงนา) ou le « thianghai » (เถียงไฮ่) des mots spécifiquement isan que l’on peut traduire par « travail des champs » Elle utilise du bois de récupération ou des matériaux abondant, le bambou essentiellement (maipai - ไม้ไผ่), des piliers (sao - เสา) en bambou, une plate-forme en lattes de bambou et parfois des parois en lattes de bambou tressées. La toiture est en herbe. Facilement démontable, les matériaux peuvent être réutilisés pour une plus grande construction.

 

On en voit encore souvent au milieu de champs un peu éloignés du village servant à la fois de lieu de repos - il y en général un hamac suspendu - et d’entreposage du petit matériel agricole.

 

 

Elles ne résistent pas plus de deux ou trois ans aux outrages des éléments. Elles ont actuellement une utilisation fréquente puisque implantés dans les jardins de nombreux restaurants locaux ou comme lieu de repos dans les cours des grandes maisons, devenues « sala » (ศาลา).

 

 

Les constructions semi-permanentes

 

Ce n’est guère qu’une amélioration du modèle précédent. Un peu mieux ancrée au sol, elles peuvent servir de construction de début de vie ou souvent d’annexe à une maison principale pour le stockage du riz en particulier et elles sont cloisonnées.

 

 

Les constructions permanentes

 

Nous avons une longue description de De Young, en 1950, rien de bien différent des descriptions de La Loubère et Monseigneur Pallegoix. Leur construction ne fait intervenir que du bois, la brique ou la pierre sont réservées aux temples.

 

Elles sont construites en tenant compte des contraintes climatiques (chaud et froid) accompagnée souvent du grenier à riz à proximité. Elles sont élevées sur des poteaux de bois situés à cinq ou six pieds du sol, éventuellement plus hauts dans les zones inondables. Deux des piliers ont une signification religieuse essentiellement animiste : La construction de la maison commence toujours par leur pose, le premier c’est le saomongkhon (เสามงคล) que l’on peut traduire par « pilier de bonne augure » appelé aussi saoék (เสาเอก ou เสาแฮก), « le premier pilier ». Le second est le saonang (เสานาง) que l’on peut traduire par « le pilier féminin ». Le premier abrite l’esprit qui protège les mâles de la famille et le second celui qui protège les femmes. Lors de la construction le propriétaire choisit impérativement une paire de poteaux neufs, exempts de taches et ne provenant ni d'un cimetière ni de récupération dans une maison abandonné. Le plus grand des deux abritera l’esprit mâle et l’autre l’esprit femelle.

 

 

La construction sur pilotis est en particulier une protection contre les animaux. Il parait que les serpents ne montent pas les escaliers ? L’accès se fait parfois par une échelle amovible rentrée la nuit dans la maison et souvent par des escaliers fixes. En générale, elle comprend trois pièces oblongues séparées le long de trois côtés d'une plate-forme centrale en bambou ou en teck. De Young nous donne une intéressante précision : Les chambres devaient être en nombre impair, un nombre pair étant considéré comme maléfique. Normalement, la maison était donc divisée en trois parties ou pièces : la véranda ouverte, les chambres à coucher et la cuisine. Même le modeste abri en bambou devait suivre cette règle et à défaut de cloison, c’est un chiffon qui faisait marque ! De même encore le nombre de marches de l’escalier ou de l’échelle devait être impair ainsi que le nombre des portes et des fenêtres. Celles-ci ont une taille réduite au maximum pour éviter l’entrée du soleil brûlant en saison chaude et du vent pénétrant en saison froide. L’intérieur est souvent sombre mais on vit sur la terrasse. Cette véranda est une véritable pièce à vivre, elle longe les trois côtés de la plate-forme centrale. Pour des raisons cérémonielles, le sol des pièces donnant sur la véranda est légèrement plus élevé que la véranda elle-même.

 

Maison semi permanente en bambou et maison permanente en teck photographiés par De Young :

 

Beaucoup de vieilles maisons en bois de teck qui subsistaient encore du temps de De Young étaient de ce type. Il a également constaté des constructions selon d’autres schémas (10).

 

Cependant, il y avait toujours un coin de la véranda sous auvent servant à y faire la cuisine sur un foyer en terre cuite. Il est essentiel qu’elle soit éloignée des pièces à vivre ne serait-ce que pour éviter l’odeur pénétrante des épices et des assaisonnements fétides (même pour les Thaïs !) comme la pâte de crevettes pourries ou la sauce de poisson fermenté et tout aussi pourri. Elle doit donc être ouverte et aérée. Sa situation extérieure élimine en outre les risques d’incendie comme le signalait déjà La Loubère (2)

 

 

Les maisons de village reflétaient dans une large mesure le statut économique et social du propriétaire. Le teck lorsqu’il était abondant et peu coûteux était utilisé massivement pour les piliers, les poutres et les planchers. La toiture était couverte de tuiles en bois de teck ou de tuiles en argile. Si elle était en feuillage ou en chaume, elle ne résiste pas plus de 3 ans mais la réfection du toit ne coûtait quasiment rien. Les pièces étaient séparées par des cloisons en bambou tressé.

 

 Toiture en tuiles de teck (maison de Jim Thomson) :

 

 

La maison était située en général au milieu d’une enceinte clôturée où l’on trouvait un potager et quelques arbres fruitiers, cocotier, bananier, papayer, palmier à bétel ainsi que le grenier à riz. Il s’y trouvait également un petit lieu de baignade sans toiture mais avec une enceinte en bambou tressé atteignant la hauteur des épaules.

 

La volaille (poulets et canards) caquète et roucoule en jouissant des bienfaits de la vie au grand air en cherchant sa nourriture au hasard des épluchures accumulées par le balais des ménagères et ne regagnent leur abri dans l’enclos que le soir tombé.   

 

 

Si le village était éloigné d’une voie d’eau ou d’un étang, ils se trouvaient des puits à utilisation collective le plus souvent dans l’enceinte du temple. C’était cependant toujours là que l’on allait chercher à dos d’homme (ou de femme) l’eau à boire et pour la cuisine (11).

 

Dans les régions mieux desservies en eau, une cour de ferme contenait souvent un petit étang servant à la fois d'approvisionnement en eau pour irriguer le potager et de vivier à poissons pour la nourriture et les canards.

 

 

On trouvait parfois mais rarement des latrines en terre, probablement ce que nous appelons des feuillées, nous apprend De Young. Si l’on sait que Rama V s’est escrimé tout au long de son règne à organiser une politique de défécation à Bangkok, il est permis de se demandent ce qu’il en était dans nos campagnes… Un coin du champ un peu éloigné de la maison. Nous savons en effet que les habitants de Bangkok pissaient et déféquaient partout, y compris aux portes du palais ou des temples, y compris dans les canaux de la ville où ils se baignaient et se lavaient. Nous en avons une description illustrée assez saisissante (12).

 

Peinture murale du temple de Suthat à Bangok représentant les Thaîs déféquant dans les klongs (souce 12) 

 

 

La zone ouverte sous la maison était utilisée de plusieurs façons, emplacement du moulin à riz, métier à tisser, stockage du matériel agricole, séchage des récoltes, terrain de jeu pour les enfants en cas de pluie, ils y avaient leur balançoire, ou lieu de détente sur un hamac aux côtés de l’enclos où on élevait le cochon.

 

 Moulin à riz (photo De Young) :

 

 

 N’ayons garde d’oublier la « maison des esprits » présente dans tous les enclos et l’autel domestique à l’intérieur de la maison sur une étagère placée en façade nord.

  

Maison des esprits typique du nord-est (photo De Young) :

 

C’est sur la véranda que sont pris les repas ou reçus les invités.

LA CONSTRUCTION

 

Traditionnellement, la construction des logements était affaire de coopération villageoise, la vie sociale y était intense : Amis et voisins, ceux qui aidaient également aux plantations et aux récoltes, se réunissaient à la famille pour couper les bambous ou les arbres de teck (maisak - ไม้สัก) dans la forêt ou pour tisser les nattes et les cloisons. Toutes ces constructions sont faites par emboîtage et chevillage sans utilisation de clous. Ceci explique la présence d’un important outillage constaté déjà par Monseigneur Pallegoix (3). Elles sont en outre parfaitement démontables, transportables et reconstructibles. De nombreuses maisons de bois dans la région ont été démontées et vendues vers d’autres régions, ainsi le propriétaire se donnait les moyens de construire une nouvelle maison « moderne » :

 

 Mais lorsque De Young écrit, cette pratique était en voie de disparition et l’intervention d’artisans professionnels commençait à se généraliser. Les autorités locales se battaient alors pour interdire les coupes sauvages de bois dans les forêts. La première loi destinée à lutter contre la déforestation et les abattages sauvages date de 1941 (13). Il ne restait plus guère que la possibilité de construire une simple maison en bambou au toit de chaume ce qui ne prenait jamais plus de deux jours, les matériaux étant abondants et sinon gratuits du moins peu onéreux.

 


 Il nous donne un chiffre assez significatif : en 1949, un chef de village qui est l’un des hommes les plus riches construisit une nouvelle maison dans laquelle il incorpora la moitié du bois de teck de son ancienne maison. Le travail et les nouveaux matériaux lui coûtèrent 9.000 baths, le coût aurait été bien supérieur si tous les matériaux avaient été neufs. Si l’on considère mais sous toutes réserves un taux d’inflation approximatif de 2000 % donc un facteur multiplicateur de 20, cela représenterait aujourd’hui une somme de 180.000 baths 2018 ?

 

  

Notons, encore une comparaison qui vaut ce qu’elle vaut : des constructeurs proposent toujours la construction de maisons en teck livrées « clefs en mains », la plus petite, 30 m2, un cabanon, à un million de bahts. 

http://thailannahome.com/pricesF.html

 

 

 

Dans la catégorie des vraies maisons, 3 pièces et 83 m2 dont 20 de terrasse, nous sommes à trois et dix pour une maison de 5 pièces sur deux niveaux et 250 m2.

 

 

La consultation de plusieurs sites Internet nous amène à des résultats similaires mais il s’agit de teck qui est devenu une denrée précieuse. Le prix du teck (maisak) sous forme de grumes est difficile à connaître d’autant que sa provenance n’est pas toujours bien régulière serait de l’ordre de 90.000 baths le mètre cube pour le teck de forêt, beaucoup moins pour celui de culture utilisé pour le mobilier et qui ne serait pas apprécié des puristes ? Il faut évidemment rajouter le prix du traitement et de la coupe. Nous pouvons rencontrer quelques fois de ces superbes et spectaculaires constructions traditionnelles au hasard de nos pérégrinations dans le nord-est.

 

 

LE MOBILIER

 

Il y avait peu de meubles même dans les ménages aisés. L’ameublement ordinaire comprenait des matelas ou des nattes pour dormir, roulés ou pliés pendant la journée, des nattes pour s’asseoir, des plateaux-repas, quelques oreillers, des boîtes à bétel et des crachoirs. Un ménage agricole aisé pouvait avoir un placard ou deux et une machine à coudre pour les femmes. Habituellement, les seules tables et chaises du village se trouvaient dans le dortoir du temple et dans la maison du chef.

 

 

Même les familles les plus pauvres avaient un miroir et les familles riches de plus grands bien en évidence, les plus grands là où il y avait des filles célibataires. On trouvait aussi des lithographies colorées bon marché représentant des scènes bouddhistes avec l’animal représentant l’année de naissance de l’individu. On trouvait alors souvent une lithographie en couleur du jeune roi Ananda, décédé dans des circonstances mystérieuses en 1946, ainsi qu’une photographie de Phibun, le premier ministre de l’époque.

 

 

Ces images furent imprimées en grand nombre et vendues à bas prix ou distribuées dans les campagnes. On trouvait parfois en décoration des bois de cerfs ou une tête de cerf moulée en plâtre. Souvent aussi étaient collés au mur les billets de loterie nationale conservés en souvenirs. On coupait également souvent les images des magazines pour les coller au mur. Il n’y avait ni placard ni armoires, un clou sert à suspendre les vêtements qui sont par ailleurs conservés dans des coffres en bois.

 

 

L’électrification en 1950 est inexistante dans nos campagnes. Le premier plan d’électrification dans le nord-est date des années 1977-1980, des efforts énormes d’investissements ayant été effectués par PEA (Provincial electricity authority kanfaifasuanphumiphak การไฟฟ้าส่วนภูมิภาค). Actuellement (2018), 99,98 % des villages en bénéficient. Elle n’a atteint nos deux villages respectifs qu’aux environs de 1980. On s’éclairait à la lanterne à pétrole (takiang –  ตะเกียง

 

 

. ..  ce qui n’est pas dramatique puisque l’on vivait essentiellement dehors, dans les champs ou sur la véranda mais les jours tombent vite en Isan, on se couche avec le soleil et on se lève avec lui. Avec l’arrivée de l’électricité (9) va suivre celle de l’eau courante avec l’édification des châteaux d’eau. Les premiers châteaux d’eau sont le plus souvent édifiés dans l’enceinte du temple où se situait le puits collectif.

A 278  - LES MAISONS TRADITIONNELLES DU NORD-EST DE LA THAILANDE– UN ASPECT DE LA VIE DANS NOS VILLAGES EN 1950. (บ้านแบบดั้งเดิมของอีสาน   - ปี 2493)

Selon le site de PEA en 1972, seulement 10 % des villages bénéficiaient de l’électricité, 21 % en 1976, 73 % en 1986 et 95 % en 1996. Il y en a actuellement 99,98 %. L’électrification systématique du nord-est a commencé en 1977. Les 148 villages qui ne sont pas électrifiés (sur un total de 73.348) se situent probablement dans des zones inaccessibles.

 

Relevons simplement que jusque dans les années 80, il n’y avait dans la plupart de nos villages ni électricité ni eau courante. Dans les villages respectifs de nos épouses dans leurs villages de la province de Kalasin, l’électricité fut installée dans les années 80 et l’eau « au robinet » a rapidement suivi.

 

 

Pour avoir un bon aperçu de cette architecture traditionnelle, une visite au Musée de la maison isan dans l’enceinte de l’Université de Mahasarakham est instructive. (Ban isan museum พิพิธภัณฑ์บ้านอีสาน). Les constructions d’un hameau proviennent de récupération de belles maisons en teck démontées et remontrées sur le site. L’entretien laisse toutefois sérieusement à désirer.

 

 

 

 

De belles maisons traditionnelles sont plus soigneusement entretenues dans un petit musée de la ville de Renunakhon dans la province de Nakonphanom.

 

 

Le musée national de Khonkaen abrite dans une salle consacrée à la culture traditionnelle de l’Isan la reconstitution d’une modeste maison paysanne.

 

 

Le petit musée consacré à l’ethnie So dans le petit village de Kusuman (กุสุมาลย์) dans la province de Sakonnakhon nous offre la reconstitution effectuée par un artisan local d’une petite maison semi permanente en bambou

 

 

... et à l’intérieur des maquettes réalisées par les enfants du village.

 

 

Aujourd’hui, le coût excessif du bois et aussi la nécessité d’un entretien méticuleux entraîne l’utilisation systématique de matériaux classiques : piliers en béton ferraillé, parpaings ou briques, charpentes métalliques et tuiles industrielles mais nous retrouvons quelques constantes :

- De nombreuses constructions sont en quelque sorte semi-traditionnelles puisque le rez-de-chaussée est en  maçonnerie et l’étage supérieur en bois qui n’est évidemment plus en teck. L’état dans lequel se trouvent souvent les parois de bois établit l’impérieuse nécessité de cet entretien méticuleux, ce qui ne semble pas être la règle.

 

 

- La construction commence toujours par la pose des piliers au cours de cérémonies purement et simplement animistes. Les murs viennent ensuite mais ne sont pas porteurs.

 

 

- Si elle est édifiée en étage sur piliers, le niveau du sol a toujours son utilité pour garer les véhicules et souvent abriter le métier à tisser le coton ou les nattes en paille.

- Pour autant que les Thaïs ne veuillent pas toujours singer le schéma des constructions européennes, le plan général est orienté sur la vie à l’extérieur, vaste terrasse couverte, coin cuisine et buanderie également à l’’extérieur sous auvent abrité.

- Le mobilier intérieur reste toujours aussi modeste et pour la décoration, c’est le portrait du roi actuel qui remplace celui du roi Ananda mais la maison des ancêtres et les autels domestiques restent omniprésents.

 

 

Que penser de la construction fréquente dans nos campagnes de spectaculaires maisons répondant plus ou moins aux standards occidentaux ? Tout simplement qu’une maison de Pompéi est charmante sous le ciel de Naples et pour des gens qui vivaient il y a deux mille ans, ce n'est pas une raison pour qu'elle convienne à notre temps et à notre climat.

 

 

NOTES

 

(1) Le site : www.isangate.com et la page consacrée aux maisons traditionnelles : http://www.isangate.com/new/32-art-culture/knowledge/538-huan-tiang-na.html

 

 

(2) La Loubère « Du royaume de Siam » tome I, p.107s : Leurs maisons font petites, mais accompagnées d'assez grands espaces. Des claies de bambou fendu souvent peu serrées en sont les planchers, les murs et les combles. Les piliers, fur lesquels elles sont élevées pour éviter l'inondation, sont des bambous plus gros que la jambe et d'environ treize pieds de haut sur parce que les eaux montent quelquefois autant que cela. Il n'y en a jamais que quatre ou six, sur lesquels ils mettent en travers d'autres bambous au lieu de poutres. L'escalier est une vraie échelle aussi de bambou, qui pend en dehors comme l’échelle d'un moulin à vent. Et parce que les étables font aussi en l'air, elles ont des rampes faites de claies par où les animaux y montent. Si donc chaque maison est isolée c’est plutôt pour le secret du domestique, qui serait trahi par des murs si minces, que par aucune crainte du feu : car outre qu'ils font leur petit feu dans les cours et non pas dans les maisons, il ne leur saurait en tout cas consumer grand-chose. Trois cent maisons brûlèrent à Siam de notre temps, qui furent rebâties en deux jours. Leur foyer est une corbeille pleine de terre et appuyée sur trois bâtons comme un trépied…. La plupart n’ont d’autre lit qu’une natte de jonc. Leur table est un plateau sans pied, ils n’ont ni nappes ni serviettes ni cuillères ni fourchettes ni couteaux, Ils n’ont point de sièges que des nattes de jonc… »

 

(3) Monseigneur Pallegoix « Description du royaume thaï ou Siam » 1854 tome I p. 208s. : « Les habitations des Siamois sont très-propres, très-saines et bien appropriées au climat, parce qu'elles donnent passager un air rafraîchissant. Celles des pauvres sont extrêmement simples; elles sont de plain-pied, les colonnes sont en bambous ainsi que les parois, et le toit est composé de feuilles de palmier nain entrelacées et liées à une charpente également de bambou. Dans la chambre à coucher il y a toujours un plancher à la hauteur d'un mètre environ la plupart du temps, ces maisonnettes ont un étage, auquel on monte par une échelle de bambou, qui est divisé en trois petites chambres, séparées par des cloisons de feuilles ou de lattes entrelacées. Le dessous sert d'entrepôt pour le riz, l'eau et les ustensiles de ménage… Les meubles qu'on rencontre dans les maisons des Thai sont des nattes de jonc ou de rotin plus ou moins fines et délicates, selon la condition ensuite une estrade en planches, qui ordinairement sert de lit. Ajoutez à cela quelques bancs, des corbeilles, des paniers, quelques bassins et vases en cuivre , un arc, des couteaux de différentes formes, des coussins, une moustiquaire, des cruches de terre et quelques vases de porcelaine grossière, voilà tout ce qui compose l'ameublement des gens du peuple. Comme les Siamois font eux-mêmes leurs maisons et emploient leurs esclaves à toute sorte d'ouvrages, ils ont besoin de divers instruments ainsi, dans presque toutes les maisons, vous trouverez de gros marteaux, des couperets, une scie, des ciseaux, un rabot, un vilebrequin, une pioche, une bêche, une hache, etc. »

 

(4) Voir notre article : « INSOLITE 20 - LES PHUTAÏ, UNE ETHNIE DESCENDUE DU CIEL ? » :

http://www.alainbernardenthailande.com/2017/08/insolite-20-les-phutai-une-ethnie-descendue-du-ciel.html

 

(5) MISSION PAVIE, INDO-CHINE, 1879-1895, GÉOGRAPHIE ET VOYAGES – IV - VOYAGES AU CENTRE DE L'ANNAM ET DU LAOS ET DANS LES RÉGIONS SAUVAGES DE L'EST DE L'INDOCHINE » par le capitaine de Malglaive, 1902. : « Les habitants sont des Thaï Lao purs et leurs maisons affectent la forme classique des cases du Mékong : toit à deux pans aigus, formant auvent d'un côté. Elles sont fermées, en bout à deux petits pans coupés surmontés d'une paillote triangulaire en bambous. Les cases ont souvent accolées deux à deux et réunies ».


 

(6) John E. De Young : «Village life in modern Thailand », Institute of East Asiatic Studies - University of California, publiée tardivement en 1955.

 

(7) Le province de Mukdahan était alors amphore dans celle de Monophosphate, celle de Yasothon dans celle d’Ubonrachathani, celle de Nongbualamphu dans celle d’Udonthani, celle de Amnatcharoen dans celle d’Ubonrachathani et enfin celle de Buengkan la dernière créée dans celle de Nongkhai.

 

(8) Source : https://th.wikipedia.org/wiki/รายชื่อตำบลในประเทศไทย

 

(9) Voir notre article INSOLITE 8 – « KHAÏ PHAEN : SPÉCIALITÉ GASTRONOMIQUE DE LUANG-PRABANG ET DÉLICE SUR LES DEUX RIVES DU MÉKONG » : http://www.alainbernardenthailande.com/2016/12/insolite-8.khai-phaen-specialite-gastronomique-de-luang-prabang-et-delice-sur-les-deux-rives-du-mekong.html

Ces kaipaen (ไคแผ่น) ne coûtent que la peine de les ramasser dans les cours d’eau et de les préparer mais elles ne prospèrent que dans des eaux claires et aérées et que tel n’est – hélas ! – plus le cas des rivières de l’Isan intérieur. On la trouve encore difficilement sur les marchés locaux.

 

(10) Des constructions de forme à peu près oblongue avec une véranda ouverte sur toute la largeur de la maison à l'avant. En ouvrant sur cette véranda se trouvaient deux ou trois pièces légèrement surélevées. Les maisons les plus pauvres étaient exclusivement en bambou avec une toiture en herbes ou en feuilles de palmier et ne comporter qu’une véranda, une chambre à coucher avec des intervalles séparés par des moustiquaires et à l’arrière de la maison une pièce partiellement ouverte servant de cuisine.

 

(11) L’eau de la ville (namprapa - น้ำประปา – « l’eau publique » ou namkok -  น้ำก๊อก - « l’eau du robinet ») existait dans les villes dès le début du XXe siècle, elle ne s’est répandu dans nos campagnes que dans le dernier quart du siècle dernier consécutive à celle de l’électricité. Le château d’eau (honam - หอน้ำ) se situe souvent dans l’enceinte du temple à l’emplacement de l’ancien puits.

 

(12) Voir l’article de M. L. Chittawadi Chitrabongs « The Politics of Defecation in Bangkok of the Fifth Reign » in Journal de la Siam Society, volume 99 de 2011.

 

(13) La loi a été promulguée le 14 octobre 1941.

 

 

 

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