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  • : Le blog des Grande-et-petites-histoires-de-la-thaïlande.over-blog.com
  • : Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
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  Il était une fois Alain, Bernard …ils prirent leur retraite en Isan, se marièrent avec une Isan, se rencontrèrent, discutèrent, décidèrent un  jour de créer un BLOG, ce blog : alainbernardenthailande.com

Ils voulaient partager, échanger, raconter ce qu’ils avaient appris sur la Thaïlande, son histoire, sa culture, comprendre son « actualité ». Ils n’étaient pas historiens, n’en savaient peut-être pas plus que vous, mais ils voulaient proposer un chemin possible. Ils ont pensé commencer par l’histoire des relations franco-thaïes depuis Louis XIV,et ensuite ils ont proposé leur vision de l'Isan ..........

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Merci d’être venu consulter ce blog. Si vous avez besoin de renseignements ou des informations à nous communiquer vous pouvez nous joindre sur alainbenardenthailande@gmail.com

30 novembre 2020 1 30 /11 /novembre /2020 22:16

 

Les populations primitives, souvent errantes, à la recherche de terrains de chasse vite épuisés et de cueillettes aléatoires, sont montées d’une échelle dans le degré de la civilisation en pratiquant il y a plusieurs milliers d’années, la  culture et l’élevage (1). Ainsi connaissons-nous la civilisation née à Ban Chiang, actuellement dans la province d’Udonthani, qui date probablement d’au moins 5000 ans, avec la culture du riz et l'élevage,  une métallurgie élémentaire, des formes d’art et des rites religieux encore mystérieux (2).

 

 

L’importance des rites est essentielle dans la mesure où, quel que soit le progrès apporté par la culture face à la cueillette, elle reste soumise aux aléas des éléments, pluies, sécheresse, dérèglements du climat, qui vont conduire les paysans à chercher un remède dans le recours à des puissances surnaturelles. Les céréales, base de l’alimentation, y sont particulièrement sensibles, blé et céréales voisines en Europe, en Afrique et au Proche – Orient, riz dans toute l’Asie et maïs en Amérique. Notre histoire est pleine de récits avec ces années d’abondance suivies par celles de famine et de disette. Les Grecs invoquaient Déméter, fille de Jupiter et déesse de la fertilité devenus Cérès chez les Romains.

 

 

Les Gaulois avaient le leur, Cernunos.

 

 

Les Amérindiens, Aztèques, Mayas, Incas, avaient également les leurs dont nous reparlerons

 

 

...comme  la Thaïlande a sa déesse.

Elle connaît depuis une époque lointaine et indéterminée la Mère du Riz qui préside à la destinée de ces récoltes. Elle est généralement connue comme Mae Phosop (แม่โพสพ), la « mère du riz » (mae khaoแม่ข้าว) ou encore maekhwankhao (แม่ขวัญข้าว). En Isan, elle est appelée khosok (โคสก) ou encore sueana (เสื้อนา) ou suearai (เสื้อไร่). Nous en avons déjà dit quelques mots en parlant des « Génies protecteurs » (3).

 

 

N’épiloguons par sur ces diverses qualifications. Est-ce une déesse, un génie tutélaire, une créature céleste ou un esprit ? Considérons-là comme la déesse du riz, et nous l’appellerons Mae Phosop dans cet article, ce qui nous évitera d’entrer dans des discussions théologiques byzantines. On ignore totalement l’origine du nom phosop, peut-être était-ce celui de l’une des femmes d’Indra ?

 

 

Vous ne pouvez pas vous tromper dans ses représentations qui sont surabondantes : C’est une belle jeune femme aux cheveux longs sertis d’un diadème, en position accroupie, tenant une gerbe de riz dans la main droite et parfois un sac de riz dans la main gauche. Elle porte une robe thaïe à l'ancienne, avec un foulard enroulé dans le style traditionnel autour de la poitrine, une extrémité chevauchant l’épaule gauche jusque sous l’épaule droite. Elle est assise sur une estrade dont les côtés comportent  généralement des représentations de fleurs de lotus et de poissons. Lors des cérémonies lui rendant hommage, c’est ainsi que se vêtent les jeunes filles qui la représentent.

 

 

Anuman Rajadhon que nous avons rencontré à de nombreuses reprises comme infatigable collecteur des vieilles traditions folkloriques de son pays a consacré à notre « mère du riz » en 1955 un très bel article (4). Il a certes les qualités d’un immense chercheur mais aussi d’un chercheur qui reste depuis Bangkok un « rat des villes » qui oublie souvent qu’à l’époque où il écrit la population de son pays est essentiellement composée de « rats des champs » dont il parle toujours avec une certaine condescendance. Quand il annonce la disparition programmée de ce rite et des cultes et cérémonies qui lui sont associés, il n’a pas pu constater qu’ils perdurent encore ce siècle même sous une forme peut-être simplifiée, au moins dans le pays profond.

 

 

Il nous rappelle qu’à une époque alors récente (n’oublions pas qu’il écrit en 1955), les Thaïs se devaient de rappeler à leurs enfants qu’en prenant leur repas, composé pour l’essentiel de riz et de condiments,  ils devaient manifester leur respect envers cette nourriture. Il était alors indécent de ramasser un grain de riz tombé sur le sol. Le riz non consommé à la fin du repas ne devait pas être jeté mais replacé dans la marmite au-dessus du riz en train de cuire ou être mis à sécher au soleil pour ensuite être éventuellement utilisé comme chapelure. Ainsi séché, il pouvait aussi être utilisé comme un aliment que les Thaïs consommaient lorsqu’ils partaient en voyage, l’emportant avec eux dans ce panier que nous connaissons bien !

 

 

Ainsi faisaient les militaires lorsqu’ils partaient en expédition. Ces restes de riz pouvaient aussi, être pulvérisés et mélangés à de la chair de noix de coco grillée et devenir une friandise appelée khao tu (ข้าว ตู)…toujours présente sur les marchés.

 

 

 

Avant de commencer le repas, le chef de famille devait fabriquer une boule de riz et la déposer sur le sol pour nourrir les oiseaux et les fourmis en signe du respect que nous devons à tous les êtres vivants. C’est pour cette raison que l’on ne devait pas ramasser un grain de riz tombé à terre par mégarde.

 

Rajadhon y voit une survivance du vieux rite indouiste du Shraddha passé au bouddhisme, qui consiste à donner de la nourriture aux dieux et aux ancêtres.

 

 

Le repas terminé, les assistants se devaient de faire le salut traditionnel du waï (ไหว้) pour remercier Mae Phosop de leur avoir procuré ce repas.

 

 

 

Rajadhon nous dit que ces coutumes étaient alors oubliées à Bangkok mais toujours présentes dans le pays profond.

 

L’étonnement de Rajadhon nous interpelle un peu. Nous sommes encore nombreux (des survivants ?) à avoir appris que l’on ne laissait rien dans son assiette et surtout que l’on ne jetait jamais un morceau de pain, compte tenu du prix payé par ceux qui avaient cuisiné en pensant à tous ceux qui n’avaient rien à mettre sinon dans leur assiette ou dans leur bol. Quant aux miettes de pain qui restaient sur la nappe, elles devaient être secouées dans le jardin pour nourrir non  pas les fourmis mais les oiseaux. Quant à l’usage du bénédicité avant les repas, l’usage ne s’en est peut-être encore pas perdu (5).

 

 

Il en est de même pour les Grâces à la fin du repas (6). Nous retrouvons ces usages chez les chrétiens, catholiques romains, catholiques orthodoxes et protestants, chez les juifs et les musulmans, elles consistent tout simplement à remercier le ciel de ses bienfaits et lui demandeur d’intervenir auprès de ceux qui n’en profitent pas, fussent-ils les oiseaux du ciel.

 

 

En dehors de ces considérations qui ne sont que de bon sens, Rajadhon a relevé sur le terrain, mais il ne s’est soucié que ce qu’il a constaté en direct dans le district de Chaya (ไชยา) au nord de la province sudiste de Suratthani (สุราษฎร์ธานี), ce qui est significatif bien que le district soit largement occupé par des mahométans.

 

 

Les habitants y pensent qu’il y a une divinité du riz nommée Mae Phosop, qui veille à la survie de l’humanité. Tous ceux qui vivent de la terre doivent l’adorer car elle leur donnera santé et richesse. Celui qui ne l’adore pas en souffrira. Il subira la faim et la maladie et sera harcelé par la pauvreté. Celui qui la respecte doit être attentif, soit en récoltant, soit en battant, à ce qu’aucun grain ne se répande sur le sol. Il sera alors heureux et riche. S’il n’est pas attentif, s’il laisse ses rizières piétinées par les bêtes ou envahir par l’eau, Mae Phosop se mettra en colère et lui refusera son soutien. Si son riz est de qualité médiocre, il doit en demander pardon à Mae Phosop.

 

 

Il est encore d’autres précautions qui sont signe du respect dû à la déesse :

 

Si l’on nourrit des animaux avec du riz cru ou bouilli, il ne doit pas être versé sur le sol mais placé par respect dans un récipient. Ne pas le faire et l’éparpiller sur le sol est un manque de respect envers Mae Phosop. Elle en tiendra rigueur au responsable.

 

Le vol de riz est considéré comme un acte gravissime et nul ne s’y risque.

 

Chaque fois qu'une quantité de riz est sortie de la grange, pardon doit être demandé à Mae Phosop.

 

Après avoir pilé le riz, le pilon ne doit pas être placé à l'embouchure du mortier. Si en effet, il tombe dans le mortier, Mae Phosop sera effrayée et se vengera.

 

Ces traditions, a  appris Rajadhon, se retrouvent dans tout le pays mais elles ne sont pas, quoiqu’il en pense, en voie de disparition. Loin de s’affaiblir, il est possible qu’elles se renforcent.

 

 

Il a aussi relevé d’autres croyances singulières :

 

Quand les plants de riz commencent à sortir de terre, on dit que Mae Posop est enceinte. C’est alors qu’il faut pratiquer dans le champ la cérémonie du tham khwan khao (ทำขวัญข้าว). Il s’agit alors de renforcer le khwam, l’esprit vital que tout être vivant, homme, animal ou arbre, a intrinsèquement dans son corps (3).

 

 

Nous savons en effet les effets d’une frayeur ou d’une maladie sur le khwan d’un être humain (3).

 

Dans chaque époque de la vie, naissance, puberté, mariage, une cérémonie de tham khwan est effectuée pour renforcer le khwan. C'est en fait une sorte de confirmation mystique. Il en est ainsi pour le riz.

 

Ainsi, lorsque le riz commence à sortir de terre, c'est un moment difficile  dans la vie de la plante. La cérémonie de tham khwan khao va lui redonner force ; elle est donc nécessaire. Un jour propice est choisi pour son exécution.

 

 

Ce jour est généralement un vendredi, en thaï est wan suk (วันศุกร์) mais ce jour-là c’est un autre wan suk, même prononciation mais orthographe différente (วันสุข) : Vendredi du calendrier c’est « le jour de Vénus » comme chez nous, celui-là, c’est « le jour du bonheur ». Le vendredi est d’ailleurs en général le jour choisi pour toutes ces cérémonies de bon augure. L'heure de l'exécution du tham khwan est généralement de trois à cinq heures de l'après-midi.

 

 

Une banane mûre coupée en petits morceaux, une orange ou tout autre agrume, quelques petits morceaux de canne à sucre sont placés dans une tasse composée de feuilles de bananier appelée krathong (กระทง). Ce sont les mêmes paniers qui sont utilisés pour les fêtes de Loi Krathong (7).

 

Cette coupe est placée dans un chaleo ou chalio (เฉลว ou ฉลิว). C’est une sorte de panier en bambou à mailles ouvertes souvent attaché au cou, tout comme ceux que l'on voit si souvent portés par ceux qui vendent quelque denrées sur les quais de nos gares.

 

 

Dans ce chaleo seront posés un peigne, de la poudre de toilette et une pommade parfumée pour les cheveux. N’oublions pas en effet que Mae Phosop est une femme !

 

Tout cela va être accroché au sommet d'un petit poteau planté dans le champ en offrande à Mae Phosop. Le rituel n’est toutefois pas terminé : Le paysan prélève ensuite une petite quantité de poudre de toilette et de pommade parfumée et les étale ensuite sur la feuille d’un plant de riz, puis la peigne comme s'il coiffait les cheveux de Mae Phosop.

 

Il demande alors à  Mae Phosop enceinte que ses offrandes soient gage de prospérité et le mette à l’abri du danger.

 

 

Cette installation, en dehors de son but rituel, a pour but pratique d’avertir que le riz va sortir de terre et que les passants doivent prendre soin de ne pas laisser leurs buffles, vaches ou autres animaux domestiques entrer dans le champ.

 

 

Pourquoi utiliser des agrumes comme offrande à  Mae Phosop  enceinte ? Chacun sait, vérité d’expérience, qu’une femme en début de grossesse a des « envies » et que les agrumes sont particulièrement recherchés pour lui éviter les nausées matinales.

 

Ce chaleo  est fait de petites bandes de bambou entrelacées de manière à former un certain motif, généralement une figure à six pointes ou huit pontes avec des espaces ouverts entre les lattes. Nous connaissons bien ces objets de bambou tressés auxquels nous avons consacré un article car ils avaient également suscité la curiosité toute citadine de Rajadhon (8).

 

Le chaleo  contient une petite marmite renfermant une décoction médicale dans chaleo  sur le couvercle du pot.

 

 

Après la récolte, il pouvait  rester quelques épis dans le champ. Ils étaient alors soigneusement rassemblés en hommage à l’esprit de Mae Phosop. Celui qui les rassemblait s’écriait « Oh Mae Phosop, s'il vous plaît venez et restez dans ma grange. Ne restez pas dans le champ pour que vos épis soient rongés par les souris ou picorés par les oiseaux. Venez donc dans un  endroit paisible nourrir vos enfants ».

 

 

L’invitation, faite après le battage, était accompagnée d’offrandes de riz bouilli, d'œufs de canard bouillis, de bonbons et de fruits, ni viande ni poisson, nourriture d'une personne sacrée ou ordonnée, pas nécessairement un moine bouddhiste. Il s’agissait probablement de l’écho d’un végétarisme hindou ?

 

Après cette offrande, tout ce qui restait dans la rizière et sur l'aire de battage était ramassé et conservé dans un sac ou un panier.  On l’appelait le riz de Mae Phosop.

 

On confectionnait alors une poupée faite de paille de riz mélangée avec les épis de riz récoltés sur le terrain comme déjà mentionné.  Elle n’était pas vêtue. Elle représentait Mae Phosop, elle-même et était conservée dans la grange familiale. On lui offrait souvent aussi deux pièces de tissu, l'une utilisée comme vêtement inférieur pour la partie inférieure du corps et l'autre comme écharpe pour envelopper la partie supérieure.  Ces deux pièces de tissus étaient étalées sur l'aire de battage et la poupée est placée au-dessus pour signifier que Mae Phosop avait revêtu de nouveau vêtements.

 

 

Lorsque le riz était entreposé dans la grange, rien ne devait en être sorti ni pour la vente ni pour la consommation, sauf les jours propices et avec l'observation de cérémonies appropriées. En général, le fermier réservait  une certaine quantité de riz pour sa propre consommation avant qu’il ne soit  stocké dans la grange. Si le riz devait en être retiré, quelques tasses étaient d'abord mesurées avant qu’il ne soit consommé  ou vendu. La personne qui mesurait le riz ne devait pas être un homme né l'année du rat ou l'année d'autres animaux qui mangent du riz comme le cheval, le porc ou la vache.

 

Lorsque vient l’époque des semailles, la poupée de Mae Phosop et son riz sont sortis de la grange.

 

La poupée est cérémonieusement détruite, le riz des épis dans la poupée et le riz de Mae Phosop sont mélangés avec les autres graines à semer. C’est le gage d’une future bonne récolte. La destruction de la poupée, l’esprit des grains, semble bien être le rappel des anciennes coutumes des sacrifices humains dont le sang répandu sur le sol devaient assurer sa fertilité avant les semailles. Ces sacrifices humains ont-ils existé dans le Siam ancien, rien ne nous le dit. N’oublions pas qu’ils ont existé chez nos ancêtres Celtes ou Gaulois, Srabon en atteste ainsi que Jules César qui a réussi à les éradiquer.

 

Pus proches dans le temps, nous les retrouvons chez les Amérindiens. Ils ont à juste titre indigné les Espagnols de Cortés qui ont répondu en faisant pire (9).

 

 

Rajadhon donne une version de l’histoire de la déesse :

 

Les dieux reçurent l'ordre du Dieu Très-Haut  (c’est-à-dire Indra) d'aller prier Mae Posop de revenir. Où était-elle partie et pour quelle raisons avait-elle quitté les rizières ? L'histoire ne le dit pas.

 

Les dieux la cherchèrent à l'aide de poissons, traversèrent les sept mers et les sept chaînes de montagnes jusqu'à ce qu'ils arrivent à la montagne de diamant où les dieux la retrouvèrent avec ses serviteurs.

 

Après beaucoup de palabres, elle consentit à retourner dans ce qui était sans doute le pays des rizières. Les sept mers et les sept chaînes de montagnes étaient les mers et les montagnes mythologiques entourant le mont Meru, la demeure des dieux de la cosmologie bouddhiste.

 

 

Quand elle revint, elle fut  suivie par un grand nombre de poissons. Le riz et le poisson sont, bien sûr, les aliments de base des Thaïs, « préparer le riz et le poisson » et «prendre du riz et du poisson» sont des expressions idiomatiques parlantes qui signifient « préparer la nourriture » et « prendre un repas ».

 

Cette légende explique que l’estrade sur laquelle elle est assise est souvent entourée de représentations de poissons et des fleurs de lotus dans l’eau.

 

 

Faut-il en trouver l’origine dans l’hindouisme qui a également sa déesse du riz, Dewi Sri ?

 

 

Contrairement à  ce que pense Rajadhon dans sa vision citadine, ce culte à la déesse du riz n’a pas disparu avons nous dit, même si le rituel a pu se simplifier, les Thaïs allaient-ils perdre une occasion de faire la fête ?

 

Les sites Internet qui lui sont consacrés sont pour l’essentiel en thaï. Nous vous donnons toutefois une vidéo de reportage sur la  cérémonie, à Phichit  en 2016. Il y en a beaucoup d’autres. Elles ne bénéficient évidemment pas du battage médiatique qui entoure les fêtes les plus spectaculaires, comme celles de la nouvelle année et de Loi Krathong, et les guides touristiques ne vous en parlent pas.

Une bande dessinée récente :

 

 

Cet ouvrage réédité en 2020  sur les traditions de l'Isan consacre un chapitre à la Déesse 

 

 

NOTES

 

- 1 - Ce n’est pas dire que les populations nomades n’aient pas connu une certaine forme de civilisation bien que les exploits des hordes d’Attila et de Gengis khan surtout adeptes du pillage permettent de relativiser cette affirmation.

 

 

- 2 - Voir notre article 9. La Civilisation Est-Elle Née En Isan ? :

http://www.alainbernardenthailande.com/article-la-civilisation-est-elle-nee-en-isan-71522720.html

 

- 3 – Voir notre article A 401 - LES  « GÉNIES PROTECTEURS » (ขวัญ) : UNE SURVIVANCE ANIMISTE DANS LA THAÏLANDE PROFONDE

 

- 4 – « Me Posop – the rice mother » in Journal de la Siam society,  n° 43-I de 1955.

 

- 5 – La formule la plus courante est « Bénissez-nous, Seigneur, bénissez ce repas, ceux qui l'ont préparé, et procurez du pain à ceux qui n'en ont pas ».

 

- 6 -  Une formule comme une autre, chaque famille ayant ou avait sa formule «  Merci Seigneur pour tous vos bienfaits ».

 

- 7 – Voir notre article R9. UNE DES PLUS BELLES FÊTE DE THAÏLANDE : LE LOIKRATONG (22 NOVEMBRE 2018)

http://www.alainbernardenthailande.com/article-a167-une-des-plus-belles-fetes-de-thailande-le-loykratong-124921789.html

 

- 8 – Voir notre article A 216- LES « YEUX DU BONHEUR » EN BAMBOU TRESSÉ.

http://www.alainbernardenthailande.com/2016/06/a-216-les-yeux-du-bonheur-en-bambou-tresse.html

 

Ils sont utilisés de façon rituelle comme un charme pour éloigner les esprits du mal, des sortes de yantra, schéma mystique. Ils sont aussi utilisés de façon plus terre à terre, manière pratique de marquer des frontières ou comme signe tabou toujours utilisé par les tribus montagnardes le plus souvent illettrées.

Dans le passé, ils indiquaient pour ces illettrés, par exemple posés sur un bateau ou une charrette que l’objet était à vendre. Ils étaient également un signal sur les chemins prévenant d’une inspection douanière ou policière.

L’article de Rajadhon ;  « Notes on the thread-square in Thailand » in journal de la Siam Society volume 55-2 de 1967

Ils font l’objet d’une remarquable étude : « เครื่องจักสานไทย 6 (ความเชื่อ) มีผสมผสานกันไปทุกภาค » (en thaï) numérisée sur le site de la faculté des beaux-arts de l’Université de Chiangmaï :

http://www.finearts.cmu.ac.th/e_doc/52/kreakjaksan%206.pdf

 

- 9 - Des cœurs arrachés pour les dieux du soleil ou de la pluie. Un enfant noyé pour la déesse de la nature. Pour Xipe Topec, le dieu du printemps et des semailles, on écorche un homme et le prêtre s’habille de sa peau. Il arrive aussi parfois qu’on mange les restes du sacrifié. Les Aztèques ne sont d’ailleurs pas les seuls à le faire. C’est le cas dans quasi toute l’Amérique du sud. Les Incas font la même chose, un peu moins souvent. Les Mayas également, qui jettent les victimes dans des puits naturels pour faire tomber la pluie. Tout cela cessera avec la victoire de Cortès quand, vaincus, les Aztèques seront convertis de force à la religion catholique. Leurs temples seront rasés ou recouverts par des églises. Assimilés à ces sacrifices humains par les Espagnols, leurs monuments, leurs livres, jusqu’à leur langue seront détruits. Toute leur culture sera effacée de la surface de la terre. Ces pratiques expliquent la férocité de la colonisation espagnole même si elles ne l’excusent qu’en partie.

 

Les murs de crânes des Aztèques que les archéologues découvrent en permanance  

 

 

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29 novembre 2020 7 29 /11 /novembre /2020 22:09

 

Nous savons que les peuples d’ethnie thaïe dont les descendants constituent aujourd'hui la grande majorité de la population du pays sont les descendants de populations venues probablement de Chine, qui étaient essentiellement animistes, Ils ont commencé à s'installer dans le pays actuel vers le XIe siècle, Ils y ont rencontré les Môns et peut-être des populations apparentées qui étaient déjà adeptes du bouddhisme, vers le XIIIe siècle, ils sont devenus bouddhistes suivant probablement leurs chefs qui établissaient des royaumes indépendants tout comme les Francs de Clovis devinrent chrétiens pour suivre leur chef ce qui ne fut pas marque d'une christianisation en profondeur,

 

 

Les croyances animistes subsistèrent et subsistent encore dans le pays profond faisant vaille que vaille bon ménage avec le bouddhisme orthodoxe malgré les réformes « protestantes » du roi Rama IV qui voulut rendre au bouddhisme sa pureté d'origine,

 

 

Il est une croyance primitive qui a survécu selon laquelle dans chaque personne, il y a un khwan (ขวัญ) que nous traduisons, faute de mieux, c’est la traduction qu’en donne le dictionnaire de Monseigneur Pallegoix, par « génie tutélaire » ou « génie protecteur » (1).

 

 

Ce concept n’a pas disparu de la mémoire collective des populations de la Thaïlande profonde. De nombreux sites Internet lui sont toujours consacrés. Peut-on le définir  C'est une chose immatérielle, sans substance, censée résider dans le corps physique d'une personne. Quand il est là, la personne jouit d'une bonne santé et du bonheur. S'il quitte le corps, la personne sera malade ou subira des effets indésirables. Un bébé qui a facilement peur, aura un khwan avec les mêmes effets : Si son khwan prend peur, il s'envolera dans une région sauvage et ne reviendra pas tant qu'il n'aura pas retrouvé sa nature normale.  S’il ne revient pas, le corps devient celui d’un Phi (2). À mesure que le bébé grandit, le khwan deviendra également plus fort. Il sera plus solide et plus ferme de tempérament comme la personne dans le corps de laquelle il demeure.

 

 

Cette croyance ne se limite pas aux Thaïs de Thaïlande, Nous la retrouvons chez les Shans de Haute-Birmanie, les Laos et d'autres groupes minoritaires thaïs, Elle semble avoir été généralisée dans toute l'Asie du Sud-Est, enracinée dans un passé antérieur au bouddhisme, elle a survécu  et donne lieu à un vocabulaire abondant.

 

 

Le khwan ne se limite pas aux êtres humains.

 

Nous le retrouvons dans les arbres,  les animaux et les objets inanimés utiles à l’homme, qui ont des khwans individuels. Par exemple: un éléphant, un cheval, un buffle ou un bœuf, le poteau d'une maison, une charrette à bœufs, une rizière et même une ville, ont chacun un khwan. Nous sommes loin de la conception pyramidale, occidentale et traditionnelle du monde : les roches qui sont, les plantes qui sont et qui vivent, les animaux qui sont, qui vivent et qui ont des sentiments, et les êtres humains qui sont, qui vivent, qui ont des sentiments et qui possèdent l'intelligence.

 

 

La construction d'une maison traditionnelle était en bois. La partie considérée comme la plus importante était le premier pilier (เสาเอก) appelé « pilier-khwan » (เสา ขวัญ). Les villageois observaient tout un rituel relatif à la sélection de l'arbre et à son implantation. Les piliers sont maintenant en béton mais le rituel demeure.

 

 

Le choix des arbres était essentiel puisque chacun des arbres abattus était la résidence d'un « esprit de l'arbre ». Le choix était essentiel car il y a des esprits féminins et des esprits masculins. Les arbres utiles, par exemple pour construire une maison, un char ou un bateau, ont un esprit féminin appelé « la nymphe des bois » (nang-mai – นางไม้)

 

 

....et les arbres sans intérêt utilitaire et sans valeur économique, comme le pipal ou le banyan, même s'ils sont par ailleurs sacrés, ont un esprit masculin appelé « ange (masculin) de l'arbre » (rukha thewada – รุกขเทวดา) (3).

 

 

La croyance généralisée est que l'esprit demeure dans l'arbre même une fois abattu. Il n'est donc pas souhaitable d'utiliser des arbres provenant de différentes forêts comme poteaux de la maison, car les esprits féminins qui y résident, venant de différentes localités, se querelleraient naturellement entre eux et il n'y aurait pas de paix pour les occupants. Il en est de même pour un char à bœufs ou une pirogue qui ont un esprit comme les poteaux de maison.

 

Une rizière a une « mère du riz » (mae khao – แม่ข้าว) ou encore maekhwankhao (แม่ขวัญข้าว) qui est un khwan. Il faut lui demander  pardon avant de moissonner la récolte (4).

 

 

De même une ville a son esprit tutélaire qui est aussi un khwan  (khwan mueqng - ขวัญเมือง).

 

 

Naturellement, tout ce qui a un esprit a aussi un khwan.

 

Nous savons que les bouddhistes ne croient pas comme les  chrétiens (en particulier) à l'existence d'une âme pérenne et immortelle dans un corps périssable. Ce que les Thaïs appellent « cheta » (เจต) peut se traduire par « esprit » mais ce n'est pas l'âme. Mais on peut suivre Rajadhon lorsqu’il nous dit que le khwan était  l’âme dans son sens premier. Le mot thaï moderne pour l'âme est vinyan (วิญญาณ) qui vient du pali et qui signifie simplement « conscience », Il est donc très probable que les Thaïs ont appréhendé ce mot lorsqu'ils ont élu domicile au Siam après avoir adopté le bouddhisme de l'école du Sud. Les Laos, les Shans, les Birmans et les Mons de Basse-Birmanie et les Cambodgiens ont le même mot « vinyan » pour désigner l'âme dans leurs langues modernes. La négation par le bouddhisme d'une âme individuelle permanente a brisé la vieille croyance animiste des peuples de cette partie de l'Asie qui ont donc adopté le mot vinyan comme un compromis avec la vieille croyance encore apparente chez de pourtant pieux bouddhistes.

 

 

Quelques expressions significatives

 

Néanmoins, le khwan, privé de son âme signifiante d'origine, existe toujours avec des significations décalées, comme on peut le voir dans de nombreuses expressions toujours vivantes.

 

Lorsqu'un bébé naît, son khwan inhérent est dans un état de fragilité et de faiblesse, On l'appelle « tendre khwan » (khwan on - ขวัญอ่อน) qui peut prendre par extension le sens de « soins tendre et affectueux » comme celui d'une mère pour son bébé.

 

 

Un jeune homme peut dire affectueusement à une jeune femme qui est facilement timide « tendre khwan». Lorsqu'un enfant est frappé par une peur soudaine et se mer brusquement à pleurer, on pense que c'est le khwan de l'enfant a pris son envol. On parle alors de « khwan effrayé » (khwan hai - ขวัญหาย), « khwan enfui » (khwan ni – ขวัญหนี) ou de « khwan envolé » (khwan bin - ขวัญ บิน), ces trois expressions exprimant un état d'alarme, de peur ou de surprise. Lorsqu'un homme éprouve une grande peur qui pourrait le tuer, on dit de façon imagée « le kwan fuit, la bile (vésicule biliaire) se fane » (khwan ni di fo - ขวัญหนีดีฝ่อ).

 

 

Une peur soudaine devient « khwan suspendu » (khwan – ขวัญแขวน). « Détruire le khwan »  (thamlai khwan – ทำลาย), c'est causer une grande frayeur. Khwan est parfois utilisé comme qualificatif pour caractériser l’ affection. Par exemple mia khwan (เมีย ขวัญ), luk khwan (ลูกขวัญ), suan khwan (สวน ขวัญ) qui signifient respectivement une femme précieuse, un enfant précieux, un jardin précieux.

 

 

Ces expressions sont en nombre important. Rajadhon en donne une longue liste qui n’est probablement pas exhaustive. Nous avons dit que la langue thaïe était la langue du cœur, elle est aussi celle de l’âme (5) !

 

 

 

Les khwans de l’être humain

 

Les yeux, les oreilles, la bouche, le nez et les mains ont leur kwan particulier; ce sont khwan ta (ขวัญ), khwan hou (ขวัญ หู), khwan pak (ขวัญ ปาก), khwan chamuk (ขวัญ จมูก) et khwan mu ขวัญ มือ).

 

Traditionnellement, une personne a 32 khwan. Cette tradition perdure au moins encore dans le Nord et le Nord-Est et chez les Laos. En dehors des quatre donc nous venons de parler, il y a celui du cœur, des intestins, des reins, etc…

 

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La croyance en la pluralité des âmes se retrouve chez de nombreux peuples primitifs : Chez les Mongols en particulier, les hommes en ont trois. Mais jusqu'à présent, nulle croyance n’atteint ce nombre. Il s’agit probablement d’une influence ultérieure du bouddhisme qui énumère trente-deux parties d'un corps humain ?

 

 

Bien que le khwan ne soit jamais décrit avec une forme physique, l'expression  khwan bin, le khwan s'envole de peur, laisse à penser qu’il doit avoir des ailes ?

 

Ce serait le plus souvent sous la forme d’un papillon ? Nous retrouvons curieusement les vieux mythes européens, le mythe grec de Psyché.

 

 

Chez Homère, les âmes des prétendants tués par Ulysse s’envolent sous forme de chauve-souris.

 

 

Quand le papillon s’envole, il le fait par une ouverture sur le sommet de la tête,  lequel s’appelle d’ailleurs khwan en thaï. C’est la raison d’une coutume dont on parle  beaucoup sans en expliquer l’origine. Un Thaï moyen ne tolérera pas que quiconque touche sa tête. Malheur à la personne qui tapote une tête thaïe, plus encore si cette personne est une femme. Pire encore si la main qui la touche est une main gauche, car cette main est impure, en particulier celle d'une femme. Aucun homme, s'il le peut, ne passera sous une corde à linge, ni ne laissera le vêtement inférieur d'une femme toucher sa tête. En passant ou en se tenant près d'un supérieur ou d'un ancien, il faut baisser la tête afin de ne pas être au-dessus ou à égalité avec la tête de ce personnage. Si ce personnage est assis sur une chaise ou sur une plate-forme surélevée, il faut baisser la tête en passant près de la personne. S'il s'accroupit sur un tapis ou sur le sol, il faut s'agenouiller ou ramper. Ces habitudes sociales sont devenues si conventionnelles qu'elles font maintenant partie de l'étiquette thaïe des bonnes manières et du décorum.

 

 

Le bouddhisme thaï contemporain ne manque pas de nous étonner. Religion sans dieu créateur mais les représentations des dieux du panthéon indouistes sont omni présentes dans tous ses temples. Religion sans créatures célestes, mais nagas,

 

 

garudas,

 

 

kinaris

 

 

...se retrouvent en permanence dans l’art religieux. Pays dans lequel le monarque doit constitutionnellement être bouddhiste mais où ses rites de son ordination sont brahmanistes. 

 

 

Religion sans thaumaturge, Bouddha s’est toujours refusé à accomplir des miracles mais on vient en permanence lui demander d’en accomplir, réussite à un  examen, exemption de service militaire ou gain à la loterie.

 

Nous avons consacré plusieurs articles à la persistance toujours au XXIe siècle de croyances et rituels animistes venus de la nuit des temps sinon de la préhistoire (6).

 

Il fallut attendre le milieu du XIXe siècle pour que les premiers textes sanskrits soient traduits et commencent à livrer un aperçu de cette singulière doctrine religieuse sans Dieu.

 

 

NOTES

 

 

(1) Une étude circonstanciée en a été faire par Anuman Rajadhon « THE KHWAN AND lTS CEREMONIES » in Journal of the siam society, volume 50-II de 1962, pp.119-164.

 

(2) Voir notre article « A151. EN THAILANDE, NOUS VIVONS AU MILIEU DES "PHi" » :

http://www.alainbernardenthailande.com/article-a150-nous-vivons-au-milieu-des-phi-en-thailande-123529919.html

 

(3) Le banyan (ต้นกร่าง   tonkrang)  est le  ficus bengalensis qui passe pour avoir des vertus médicinales.

 

 

Le pipal  (โพ – pho)  est le  Ficus religiosa .   C’est l’arbre sacré de la Bhodi sous le feuillage duquel Bouddha a atteint l’éveil.

 

 

(4) Voir l’étude d’Anuman Rajadhon « Me Posop – The rice mother » in Journal of the siam society volume 43 de 1955.

 

 

(5) Voir notre article A 397- LA LANGUE THAÏE EST LA LANGUE DU CŒUR

http://www.alainbernardenthailande.com/2020/10/a-397-la-langue-thaie-est-la-langue-du-coeur.html

 

(6) Voir nos articles, la liste n’étant pas limitative :

 

Bouddhisme, animisme, brahmanisme

 

21. Le Bouddhisme thaïlandais et d'Isan ?

http://www.alainbernardenthailande.com/article-20-le-bouddhisme-thailandais-et-d-isan-78694128.html

 

22. Notre Isan, bouddhiste ou Animiste ?

http://www.alainbernardenthailande.com/article-22-notre-isan-bouddhiste-ou-animiste-78694708.html

 

INSOLITE 4. THAÏLANDE : BOUDDHISME, HINDOUISME ET … ANIMISME AVEC LE CULTE DES ESPRITS ET AUTRES CROYANCES MYTHIQUES ET LÉGENDAIRES …

http://www.alainbernardenthailande.com/2016/12/insolite-4-thailande-bouddhisme-hindouisme-et-animisme-avec-le-culte-des-esprits-et-autres-croyances-mythiques-et-legendaires.html

 

 

A134. Les "Esprits" Thaïlandais Sont Toujours Vivants.

http://www.alainbernardenthailande.com/article-a134-les-esprits-thailandais-sont-toujours-vivants-120943911.html

 

 

A 331- LE CHAMANISME TOUJOURS PRÉSENT DANS LE BOUDDHISME DE L’ISAN.

http://www.alainbernardenthailande.com/2019/09/a-331-le-chamanisme-toujours-present-dans-le-bouddhime-de-l-isan.html

 

 

Des rites venus de la préhistoire

 

A93. Une Chasse Au Buffle Dans La Région De Kalasin En Thaïlande.

http://www.alainbernardenthailande.com/article-a9-une-chasse-au-buffle-dans-la-region-de-kalasin-en-thailande-114713457.html

 

 

A154. La Divination Dans Les Entrailles De Poulet En Isan. Une Vieille Tradition Perdue ?

http://www.alainbernardenthailande.com/article-a154-la-divination-dans-les-entrailles-de-poulet-en-isan-une-vieille-tradition-perdue-123941685.html

 

 

A 216- LES « YEUX DU BONHEUR » EN BAMBOU TRESSÉ.

http://www.alainbernardenthailande.com/2016/06/a-216-les-yeux-du-bonheur-en-bambou-tresse.html

 

 

A 208 - LE RITUEL DE LA PÊCHE AU PLABUK, « LE GÉANT DU MEKONG » DANS LE NORD – EST DE LA THAÏLANDE.

http://www.alainbernardenthailande.com/2016/01/a-208-le-rituel-de-la-peche-au-plabuk-le-geant-du-mekong-dans-le-nord-est-de-la-thailande.html

 

 

A 299- LES RITES D’OBTENTION DE LA PLUIE EN ISAN (NORD-EST DE LA THAÏLANDE)

http://www.alainbernardenthailande.com/2019/01/a-299-les-rites-d-obtention-de-la-pluie-en-isan-nord-est-de-la-thailande.html

 

 

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22 novembre 2020 7 22 /11 /novembre /2020 22:05

 

Chaque individu à sa naissance vient au monde sous les auspices d'un animal que détermine l'année de sa naissance au sein du zodiaque duodénaire chinois (1). Il suit encore un signe astrologique qui dépend du mois lunaire de sa naissance et qui a son équivalent dans l'un des mois de notre zodiaque même s’il y a quelques divergences. Il doit enfin vénérer un bouddha qui se rapporte au jour de sa naissance, sachant qu' il y en a huit, deux pour le mercredi en fonction de l’heure de la naissance. Nous vous en avons déjà parlé (2).

 

 

Dans les sociétés bouddhistes Theravada d'Asie du Sud-Est, il existe un certain nombre de lieux saints que les fidèles pensent avoir été visités par Bouddha de son vivant et (ou) des sanctuaires contenant des reliques de l'Éclairé. Comme les rappels de Bouddha qui sont associés à sa personne physique, ces lieux saints sont considérés par ceux qui les connaissent comme des centres vers lesquels les pèlerinages doivent être effectués. Les lieux saints réellement choisis pour les pèlerinages dépendent de la tradition religieuse locale à laquelle adhèrent les fidèles.

 

 

Dans le nord, la région associée à la tradition du nord du bouddhisme Theravada, un certain nombre de centres de pèlerinage furent et sont peut-être encore été liés à une année du cycle de douze ans ou cycle animal : Rat – bœuf ou buffle – tigre – lièvre – dragon – serpent – cheval- chèvre – singe – coq - chien – cochon ou éléphant.

 

 

Dans cette région, cet ensemble de correspondances est exprimé dans la formulation « Il faut vénérer la relique du Bouddha abritée dans un temple correspondant à son année de naissance »

 

 

Quel est donc l’explication de ces correspondances entre un ensemble de centres de pèlerinage bouddhistes et les années du cycle de douze ans ?

 

Il s’agit de la formulation d’un code de conceptions d'ordre moral développé dans l'espace et dans le temps, prêtées (et peut-être encore) au monde habité par les habitants des principautés de Lanna-Thai et partiellement de l’actuel Isan, aujourd'hui les provinces du Nord et du Nord-est (3).

 

 

LE CONTEXTE

 

En 1968, l’anthropologue américaine Charles Keyes effectuait des recherches sur les pratiques religieuses dans le district de Mae Sariang dans la Province de Mae Hong Son. Il y observa un rituel censé assurer la protection d’un individu dans le cadre d’une vie propice.

 

 

Ce rituel était bouddhiste puisque les célébrants étaient des moines bouddhistes. Il est habituel que le rituel soit exécuté au jour anniversaire de la personne qui souhaite protection la même année du cycle de douze ans que l'année de sa naissance.

 

 

Ainsi, selon l'année du cycle animal dans lequel on est né, on doit accomplir certains actes de piété parmi lesquels un pèlerinage dans un sanctuaire bouddhiste particulier. Le chef religieux interrogé par Charles Keyes fut toutefois incapable de se souvenir de l'ensemble des sanctuaires associés au cycle de douze ans; cependant, il lui fit rencontrer une dévote âgée qui a pu se souvenir de onze des douze sanctuaires. D’autres chercheurs qu’il interrogea se heurtèrent à la même difficulté.

 

Le fait est que la correspondance entre le cycle animal et les douze sanctuaires associés à la personne de Bouddha à l’époque contemporaine n’a sociologiquement pas survécu au fil des années, mais était peut-être encore présente dans un passé plus ou moins récent.

 

 

Les recherches de Keynes lui ont permis d’en trouver la liste dans deux ouvrages d’érudits thaïs relatives aux coutumes du Lanna qui constituent en fait un voyage nostalgique vers les coutumes du temps passé.

 

 

L'ensemble des correspondances entre les années de naissance et les centres de pèlerinage était connu des habitants sous forme d’images, qu’ils gardaient chez eux pour leur faire des offrandes. Lorsque Keynes écrit le résultat de ses recherches en 1970, il y a 50 ans, ces images existaient toujours dans les zones rurales, mais il n’a pu s’en procurer un exemplaire. Elles étaient souvent encadrées et placées sur une étagère supportant les images de Bouddha au-dessus de la tête du lit. En sus de la correspondance entre le cycle l'animal et les sanctuaires associés à la personne de Bouddha, il lui est apparu que non seulement il fallait faire un pèlerinage à un sanctuaire particulier en fonction de son année de naissance, mais également, toujours selon l'année de naissance, offrir au Sangha local le texte d'un Jataka spécifique correspondant au jour de la semaine où l'on est né et demander à l’un de ses membres d’en faire la base d’un sermon.

 

 

LE CYCLE ANIMAL DE DOUZE ANS

 

Le calendrier basé sur un cycle duodénaire d'années, chaque année étant associée à un animal, était utilisé dans le nord de la Thaïlande depuis au moins le XIIIe siècle, quand les Thaïs sont devenus le peuple dominant de la région, mais très probablement bien avant.

 

 

Ce cycle est-il d’origine chinoise ? La question est discutée par les érudits. Dans ce calendrier local par exemple l’année du dernier cycle n’est pas le cochon mais l’éléphant et le bœuf devient le buffle, différent en cela de l’année zodiacale des Khmers qui associent à chaque année une constellation du Zodiaque. Nous avons un système complexe, un cycle sexagénaire, basé sur la combinaison d'un cycle duodénaire avec un cycle dénaire (1).

 

Il faut y voir une représentation du cosmos même si la correspondance de ces animaux ne s’emboite pas totalement avec les signes du zodiaque. Le cycle duodénaire serait probablement d’origine totémique selon Lévi-Strauss. (5)

 

 

Le cycle de douze ans permet alors de rattacher la croyance bouddhiste à des éléments cosmologiques.

 

 

LES DOUZE SANCTUAIRES

 

Les douze sanctuaires sont tous étroitement associés à la présence et à la personne physique de Bouddha. L’histoire légendaire de ces sanctuaires est systématiquement d’ailleurs rapportée sur les panneaux explicatifs situés à leur entrée. Selon elles, sept d'entre eux sont associés à des visites faites par Bouddha de son vivant :

 

Phra That Takong (Shwe Dagon) (พระธาตุตะโก้ง - ต้นพระศรีมหาโพธิ์) à Rangoon en Birmanie, associé au cheval

 

 

Phra That Phanom (พระธาตุพนม), que nous connaissons bien, nous lui avons consacré deux articles (6), il n’est pas formellement dans le Lanna, nous nous en expliquerons.

 

 

Phra That Doi Tung, à Chiangsen dans la province de Chiangrai (พระธาตุดอยตุง), associé à l’éléphant, le dernier du cycle animal qui remplace le cochon.

 

 

Phra That Cho Hae (วัดพระธาตุช่อแฮ) à Phrae, associé au tigre.

 

 

Phra That Lampang Luang (วัดพระธาตุลำปางหลวง) à Lampang, associé au bœuf.

 

Phra That Hariphunchai à Lamphun (วัดพระธาตุหริภุญชัยวรมหาวิหาร), associé au coq,

Phra That Chom Thong à Chiang Mai (วัดพระธาตุศรีจอมทอง), associé au rat.

 

 

Chacun de ces sanctuaires contiendrait également une relique de Bouddha qui, dans la plupart des cas, a été apportée au sanctuaire par les émissaires du célèbre roi Asoka. Selon d'autres légendes, le roi Asoka est censé avoir envoyé ses émissaires distribuer les reliques de Bouddha dans le sud-est de l'Asie au IIIe siècle avant Jésus Christ. Deux sanctuaires, Phra That Phanom et le Shwe Dagon, sont aussi censés contenir des reliques des trois bouddhas antérieurs à Gautama Bouddha.

 

 

Les sanctuaires de Phra That Doi Suthep près de Chiang Mai (วัดพระธาตุดอยสุเทพ), associé au cheval

 

 

et le Phra That Chae Haeng (วัดพระธาตุแช่แห้ง) dans la province de Nan est associé au lièvre, contiennent une relique.

 

 

Le sanctuaire de Wat Phra Sing dans la province de Chiang Mai (วัดพระสิงห์วรมหาวิหาร), associé au dragon, contient une représentation de Bouddha qui serait l’objet de la vénération et selon d’autres sources on viendrait y vénérer des reliques contenues de son Phra That qui a été construit au XIVe siècle.

 

Un certain nombre de sanctuaires auraient été fondés peu après la disparition de Bouddha, La construction proprement dite des sanctuaires Phra Ket Kaeo Culamani (พระแกดกุลามานี) associé au chien mais qui serait situé dans l’un des paradis bouddhistes sur le Mont Meru

et celui de Si Maha Pho Bodhi tree (พระศรีมหาโพธิ์ข) à Bodh Gaya aux Indes, associé au serpent serait plus tardive.

 

 

Le Phra That Phanom aurait été construit pour la première fois dans la période protohistorique entre les sixième et dixième siècles, bien que sa forme actuelle il a été établie par le Rois laotiens de Vientiane au XVe ou XVIe siècle. Il semble difficile de dissocier l’histoire de ce sanctuaire de celle du Lanna plutôt que de le rattacher à celle de l’Isan.

 

 

Il est de tous ces temples le plus important, associé au singe. Il est le palladium du Laos et de l’Isan.

 

Le Shwe Dagon birman serait également très ancien mais il ne semble pas être devenu célèbre avant le quatorzième siècle.

 

 

Le Phra That Hariphunchai à Lamphun a apparemment été construit pour la première fois au onzième siècle

 

 

et Phra That Lampang Luang à Lampang au douzième.

 

 

Les autres sanctuaires sont associés à la domination des peuples de langue taï dans le nord de la Thaïlande.

 

Phra That Dôi Tung a probablement été construit la première fois au XIIIe siècle.

 

 

Phra That Doi Suthep,

 

 

Phra That Chae Haeng à Nan,

 

 

Phra That Cho Hae

 

 

et Phra That Wat Phra Sing

 

 

...  datent tous du quatorzième siècle. Phra That Chom Thong date du XVe siècle.

 

 

Il est significatif que certains de ces sanctuaires soient liés, selon leur légende, aux royaumes antérieurs et étaient probablement des lieux sacrés avant de devenir des sanctuaires pour les reliques du Bouddha et peut être même avant Bouddha.

 

Un certain nombre semblent être associés aux sièges traditionnels des anciennes puissances dans le nord de la Thaïlande : Phra That Hariphunchai avec Lamphun, l'ancienne capitale du royaume de Hariphunchai qui dominait la vallée de la rivière Ping avant l'émergence de royaumes taïophones dans cette région; Phra That Dôi Tung avec Chiang Saen, qui était la première capitale du peuple de langue Tai dans la région; Phra That Doi Suthep et Phra That Wat Phra Sing avec Chiang Mai; Phra That Lampang Luang avec Lampang; Phra That Cho Hae avec Phrae; et Phra That Chae Haeng avec Nan. Chiang Mai est exceptionnellement bien loti en étant associé non seulement à deux sanctuaires, dans et au-dessus de la capitale, mais aussi avec un troisième sanctuaire, Phra That Chom Thong situé à une soixantaine de kilomètres de la ville mais toujours dans la vallée de la Ping.

 

 

Le dernier sanctuaire de l'ensemble, celui de Bodh Gaya en Inde, ne contient pas de relique mais il est associé au lieu où le Bouddha a atteint l'illumination assis sous l'arbre Bodhi. C'est l'un des quatre endroits mentionnés dans les écritures bouddhistes.

 

 

En plus de visiter Bodhi à Bodh Gaya, les bouddhistes dévots devaient également faire des pèlerinages au lieu de naissance du Bouddha à Lumpini au Népal,

 

 

lieu où le Bouddha a prêché le premier sermon à Sarnath, près de Bénarès dans l'Uttar Pradesh, en Inde, et au lieu où Bouddha est décédé, aussi situé dans l'Uttar Pradesh.

 

 

 

Le sanctuaire de l'arbre Bodhi a pu représenter pour le nord de la Thaïlande les quatre sanctuaires associés à la vie du Bouddha au Népal et en Inde. Compte tenu de l'association des sanctuaires avec la personne du Bouddha, en tant que lieux où il a vécu ou visité et où une relique est enchâssée, ces sanctuaires sont dignes de pèlerinages des fidèles. De tels pèlerinages devraient être effectués au moment de la pleine lune dans le huitième mois lunaire, c'est-à-dire vers le 30 mai. Celui qui est né une année donnée doit aller présenter des offrandes à n'importe quel reliquaire de bon augure ; ce qui lui permettra de renforcer sa force vitale lui assurant une longue vie car il y recevra e nombreux bénédictions.

 

Si quelqu'un toutefois avait la chance d'être né l'année du chien, il lui serait impossible de remplir cette obligation, car Culamani est situé dans le mythique paradis de Daowadüng.

 

Ce serait aussi difficile, bien que physiquement possible, pour ceux qui sont nés l'année du serpent ou l'année du cheval pour faire leurs pèlerinages obligatoires à Bodh Gaya et au Shwe mais pour eux, il y une possibilité de substitution :

 

L'arbre de la Bodhi au Wat Phra That Doi Suthep ou tout arbre Bodhi dans n'importe quel wat pourrait remplacer l'arbre de Si Maha Pho à Bodh Gaya en Inde.

 

 

 

La relique de Phra Ket Kaeo Culamani pourrait être honorée au Wat Daowadung à Chiang Mai. Il en est de même pour le Wat Phottharam (maintenant Wat Chet Yôt) à Chiang Mai (วัดโพธาราม –วัดเจ็ดยอด) est un sanctuaire construit sur le modèle du Bodh Gaya est un substitut possible au sanctuaire de Bodh Gaya. Il est un lieu de pèlerinage pour les personnes nées l’année du serpent lui aussi.

 

 

Il apparait toutefois que des pèlerinages étaient encore organisés dans la première moitié du siècle dernier en direction du sanctuaire Shwe Dagon dans un passé « relativement récent », mais les observations de Keynes ont été effectuées en 1968.

 

 

Comment interpréter le culte à l'ensemble des douze sanctuaires ? Il faut y voir deux interprétations complémentaires sinon contradictoires, la conception bouddhiste du karma (kam - กรรม) et la croyance au destin (chata - ชะตา).

 

Dans la tradition bouddhiste du nord et du nord-est de la Thaïlande, comme dans d'autres traditions bouddhistes Theravada, le degré relatif de souffrance d'une personne est déterminé par son karma, c'est-à-dire par ses actes humains et leurs conséquences. Les bonnes actions produisent des mérites et les actes pervers produisent le « démérite ».

 

 

À la naissance, nous sommes dotés d’un destin karmique qui est la conséquence de nos actes passés, bons et mauvais, commis dans nos existences antérieures. Il est impossible de savoir si ces actes ont été bons ou mauvais jusqu'à ce que leur fruit de l'acte ait mûri et que la conséquence s’en soit manifestée.

 

Un dévot bouddhiste espère échapper à la règle du karma pour atteindre le nirvana, imitant ainsi le Bouddha. Il peut récolter plus immédiatement des avantages sous forme de réduction de la souffrance dans cette existence ou la suivante, grâce à la poursuite des mérites. Un moyen essentiel pour produire des mérites est de faire un pèlerinage dans un sanctuaire associé à la personne réelle du Bouddha, que ce soit sa personne physique ou ses reliques. Le parallèle avec le régime des indulgences de l’Eglise catholique ne peut être évité.

 

 

Si toutefois le destin karmique d’une personne à la naissance ne peut jamais être connu avec certitude, son chata peut être calculé avec précision si les informations requises, l'heure et le lieu de naissance sont connues.

 

 

Alors que le karma conduit l'individu à accomplir de bonnes actions, son destin le condit à accomplir des actes rituels dirigés vers les éléments cosmiques.

 

L'ensemble des douze sanctuaires fait référence à ces deux croyances, karma et chata.

 

Ils peuvent donc accueillir des pèlerins bouddhistes qui cherchent acquérir des mérites. Comme ils sont liés au cycle cosmique et à la présence physique de Bouddha, mieux accomplir les rituels dans ces sites sacrés que dans le modeste temple du village. Combien de catholiques fervents pensent qu’il vaut mieux prier la Vierge Marie à Lourdes ou à Fatima plutôt que devant sa statue dans leur église de village.

 

 

LE TRAÇAGE DANS L’ESPACE 

 

La carte établie par Keynes fait référence à la numérotation des années duodénaires à partir du premier animal, le rat jusqu’au douzième, éléphant ou cochon.

 

 

Le premier site dans l’espace géographique au sud est That Phanom. Vers le nord-ouest, nous nous dirigeons vers la Birmanie et ensuite vers les Indes. Un retour vers l’Est nous ramène vers huit des douze points sacrés dans un espace de forme ovale et relativement restreint. Ne parlons évidemment pas de l’envol vers le paradis ! De Lamphun à Nan, grand axe presque horizontal de l’ellipse, est d’environ 190 kilomètres. De Lampang à Chiang Saen, axe vertical direction nord-nord-est, elle est d’environ 300 kilomètres.

 

Comme nous l'avons vu, huit de ces sanctuaires sont associés aux sièges traditionnels des principautés du Lanna Thai. Deux seulement situés dans les capitales (Phra That Hariphunchai à Lamphun et Phra That Wat Phra Sing à Chiang Mai), les autres à plusieurs kilomètres des capitales et les quatre autres sanctuaires ne sont pas dans le nord du tout. Keynes estime, ce qui semble assez logique que la topographie politique du nord a été fragmenté en un certain nombre de petites principautés de petite taille liée à la topographie sacrée, marquée par les douze sanctuaires et unissait les peuples habitants dans une communauté spirituelle plus large.

 

Quatre de ces sanctuaires sont situés dans le bassin de la rivière Ping qui traverse le mueang dont la capitale était Chiang Mai. Le rajout de That Phanom dans l’ensemble des sanctuaires sacrés tient au fait qu’il était et est toujours le sanctuaire le plus sacré pour les adeptes du bouddhisme lao - peuples lao du nord-est de la Thaïlande et du Laos proprement dit. Relevons encore que l’utilisation de l’écriture traditionnel sacrée Lao-Isan, actuellement d’ailleurs en cours de renaissance est étroitement liée à l’écriture sacrée du Lanna (7).

 

L’intégration du sanctuaire de Shwe Dagon à Rangoon laisse à penser, toujours selon Keynes, que le bouddhisme du grand nord de la Thaïlande a plus d’affinités avec celui des Mons, des Birmans et de Shans de Birmanie pour lequel le sanctuaire est l’un des lieux les plus sacrés. Aucun sanctuaire n'est situé au centre ou au sud, bien que plusieurs à Sukhothai, Nakhon Pathom et Nakhon Sithamarat en particulier auraient pu se qualifier.

 

Le sanctuaire de l'arbre Bodhi à Bodh Gaya par contre est sacré pour tous les bouddhistes, son inclusion relie les bouddhistes du nord aux bouddhistes du monde connu.

 

Enfin, avec l'inclusion symbolique dans l'ensemble du sanctuaire Phra Ket Kaeo Culamani, rappelle que les dieux et les créatures célestes sont également liés par la loi du karma et pouvaient aussi recevoir le message de Bouddha.

 

Keynes le traduit dans un schéma significatif.

 

 

Ce lien archaïque entre les sanctuaires serait plus fort dans la tradition du nord de la Thaïlande que dans d'autres traditions Theravada partiellement au nord-est et surtout au centre, au sud et au Laos.

 

Lorsque le nord et le nord-est furent définitivement inclus dans l'État-nation au début du siècle dernier, les us et coutumes bouddhistes furent soumises aux nouvelles règles centralisatrices de la réforme – que Keynes considère à juste titre comme protestante - initiée par le roi Mongkut et les réformes du Sangha mis en œuvre par le prince Wachirayan (วชิรญาณวโรรส), 47e enfant du roi Mongkut, prince patriarche suprême de 1910 à 1921.

 

 

Les porte-étendards culturels de la tradition du nord de la Thaïlande, dirigés par Khru Ba Siwichai (ครูบาศรีวิชัย) en conflit systématique avec le sangha et les autorités centrales, ce qui le conduisit à de longues années de prison, menèrent un combat d’arrière-garde d’un conservatisme qui ne subsiste probablement plus guère que dans l’esprit de moines-vieillards dans les zones les plus retirées.

 

 

Si le lien entre les pèlerinages et le rapport cosmique avec le cycle duodénaire s’est probablement perdu, ces sanctuaires tout au long de l’année attirent des myriades de fidèles. Par contre, les représentations des Bouddhas du jour restent omniprésentes, et pas le moindre temple, fut-il le plus modeste, qui n’abrite leur représentation.

 

Si beaucoup de temples de ce pays abritent trop souvent les « marchands du temple » procurant un certain malaise,

 

Rayon de vente des fruits et légumes dans l'enceinte de l'un des temples les plus visités de l'île de Samui

 

 

il en est incontestablement d’autres dont nous pourrions dire en citant Maurice Barrès Il est des lieux qui tirent l’âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l’émotion religieuse.

 

 

NOTES

 

(1) Ce calendrier est d’une extrême complexité et ne se limite pas aux calembredaines que l’on trouve dans une certaine presse du style « votre horoscope chinois ». Il s’agit d’un cycle sexagénaire, basé sur la combinaison d'un cycle duodénaire avec un cycle dénaire. La meilleure analyse qui en a été faire est de Georges Coédès et a été publié dans la revue Toungpao de 1934 sous le titre « L'ORIGINE DU CYCLE DES DOUZE ANIMAUX AU CAMBODGE » mais il concerne tout autant le Siam. Selon lui, il fut utilisé bien avant la stèle de Ramakhamhaeng. Les années ne correspondent pas aux années du calendrier grégorien. Nés l’un et l’autre au tout début de l’année 1946, notre signe serait celui du coq allant du 13 février 1945 au soir du 1er février 1946. Notre signe astrologique est celui du capricorne couvrant la période du 22 décembre au 20 janvier.

 

 

(2) A 237 - LES SOIXANTE-SIX REPRÉSENTATIONS RITUELLES DE BOUDDHA

http://www.alainbernardenthailande.com/2017/08/a-237-les-soixante-six-representations-rituelles-de-bouddha.html


 

(3) Le Lanna Thai se composait d'un certain nombre de principautés majeures : Chiang Mai, Lamphun, Lampang, Phrae, Nan, et Chiang Saen - et leurs dépendances qui se trouvaient principalement dans ce qui est aujourd'hui le nord de la Thaïlande. Alors que ces principautés jouissaient d'une indépendance périodique, elles étaient souvent tributaires de la Birmanie du XVIe au XVIIIe siècle et, après le début du XIXe siècle, sont devenus tributaires du Siam. Au début du XXe siècle, les derniers vestiges de l'autonomie politique locale ont été éliminés suite à la mise en œuvre des réformes provinciales instituées par le roi Chulalongkorn et ses conseillers. A l’époque de sa plus grande extension, il descendait le long de la vallée du Mékong jusqu’à l’actuelle province Isan de Nakhon Phanom incluant le site religieux de That Phanom.

 


 

(4) Ils sont l’un et l’autre datés des années 60 : ประเพณีไทยภาคเหนืย Traditions du nord de la Thaïlande - Prapheni Thai Phaknuea) et ประเพณีสิบสองเดือนล้เนนาไทย (Tradition des douze mois dans le Lanna thaï - Prapheni Sip Song Duean Lanna Thai).

 

 

L’article de Charles Keynes « BUDDHIST PILGRIMAGE CENTERS AND THE TWELVE-YEAR CYCLE: NORTHERN THAI MORAL ORDERS IN SPACE AND TIME » a été publié en 1975 dans la revue « History of Religions »,

 

Les histoires légendaires des sanctuaires de Doi Tung, Hariphunchai, Lampang Luang, Chô Hae, Dôi Suthep, Chae Haeng et That Phanom, tirés de textes écrits sur des feuilles de palmier et maintenant conservés à la Bibliothèque nationale à Bangkok, ont été publiés dans Prachum tamnan phra analysées par François Lagirarde en 1970 : « Temps et lieux d'histoires bouddhiques. À propos de quelques « chroniques » inédites du Lanna » In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 94, 2007. pp. 59-94;

 

(5) Claude Lévi-Strauss «La Pensée sauvage », 1962.

 

 

(6) Voir nos deux articles

A 251- LA LÉGENDE DU TRÉSOR ENFOUI DU PHRA THATPHANOM SUR LES RIVES DU MÉKONG, LE LIEU LE PLUS SACRÉ DU BOUDDHISME DANS LE NORD-EST.

http://www.alainbernardenthailande.com/2018/02/a-251-la-legende-du-tresor-enfoui-du-phra-thatphanom-sur-les-rives-du-mekong-le-lieu-le-plus-sacre-du-bouddhisme-dans-le-nord-est.ht

A 307- ประวัติศาสตร์พระธาตุพนม - LA LÉGENDE DE PHRA THAT PANOM : « LE TEMPLE DU RESPECT » - SYMBOLE DE L’IDENTITÉ DU NORD-EST DE LA THAÏLANDE (ISAN) ET DU LAOS.

http://www.alainbernardenthailande.com/2019/03/a-307-la-legende-de-phra-that-panom-le-temple-du-respect-symbole-de-l-identite-du-nord-est-de-la-thailande-isan-et-du-laos.html

 

(7) Voir notre article A 304 - VERS UNE RENAISSANCE DE L’ANCIENNE ECRITURE ISAN ?

lainbernardenthailande.com/2019/02/a-304-vers-une-renaissance-de-l-ancienne-ecriture-isan.html

 


 

 

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15 novembre 2020 7 15 /11 /novembre /2020 22:56

 

 

 

LOY KRATHONG

 

 

Nous avons parlé de la fête de Loy Krathong » (ลอยกระทง), la fête des « paniers flottants »,  qui se déroule la nuit de la pleine lune du 12e mois lunaire, cette année 2020, le 31 octobre (1).

 

 

****

 

En  dehors de la description de ces cérémonies aussi pittoresques que festive, nous avons cherché à savoir si elle avait un sens et une histoire ? Les notes de cet article donnent nos sources.

 

 

 

 

Une étude circonstanciée et beaucoup plus détaillée a été faire par notre ami du site Merveilleuse Chiang Mai  qui lui a consacré une série d’articles particulièrement érudits et aussi merveilleusement illustrés, il n’est pas inutile de les rappeler (2).

 

 

 

 

En  dehors de la description de ces cérémonies aussi pittoresques que festive, nous avons cherché à savoir si elle avait un sens et une histoire ? Les notes de cet article donnent nos sources.

 

 

 

Le premier consulté fut évidemment le grand érudit et infatigable chercheur du folklore siamois, Phraya Anuman Rajadhon. Il fut le premier chercheur thaï à avoir étudié en profondeur le folklore de son pays, à se pencher sur ses traditions séculaires sinon millénaires et à recueillir inlassablement la tradition orale.

 

 

 

Cette fête marque la fin de la saison des pluies, rivières et canaux sont en pleines eaux, le ciel est clair et l’humidité de l’atmosphère a (relativement) disparu. Le dur labeur des labours et de la plantation du riz est terminé. Il reste aux paysans un mois de tranquillité avant le temps de la récolte. Les fêtes peuvent alors commencer. Il n’y voit qu’un cérémonial auquel il ne faut donner aucune signification religieuse, mais il signale (son article est de 1951) avoir interrogé des personnes âgées qui lui ont expliqué qu’il s’agissait d’un acte de révérence à l’égard de la déesse mère des eaux, Mè Khongkha, la Mère de l'eau (พระแม่คงคา) qui nous semble appartenir au panthéon des divinités hindouistes. Elles ajoutaient qu’en dépit de dons généreux de celle-ci à l'homme, celui-ci pollue son eau de multiples manières et qu’il est bon, par conséquent, de lui demander pardon (3).

 

 

 

Il nous donne une autre explication plus religieuse : Bouddha avait laissé l’empreinte de son pied sur la rive sablonneuse de la rivière Nerbudda, dans le Deccan à la demande du roi des Naga, qui voulait adorer l'empreinte à l’endroit où le Seigneur avait disparu. Le Loy Krathong serait donc un acte d'adoration de la sainte empreinte qui se trouve aux Indes mais il ne nous la donne qu’avec le sourire, il a étudié les canons bouddhistes et ne l’a trouvé narré nulle part.

 

 

 

 

Il fait également référence à la tradition de Sukhothaï et la légende de la belle Nang Nophamat (นางนพมาศ) qui appartenait à la cour du roi Loethai  probablement. Le roi et sa cour étaient allés pour un pique-nique au bord du fleuve une nuit de cette pleine lune, mais cela ne nous explique pas les raisons de ce lâcher au fil de l’eau de paniers en feuilles de bananier portant bougies et bâtons d’encens.

 

 

 

 

Il cite  enfin deux sources : la première est de la main du roi Chulalongkorn lui-même : Phraratchaphithi sipsongduan  (พระราชพิ ธิ ๑๒ เดือน) ou « les cérémonies royales au cours des douze mois de l'année » écrit en 1888. Les conclusions du monarque sont simples : « Pour le roi, Loi Krathong n'a rien à voir avec une quelconque cérémonie ou rite. C’est simplement une occasion de réjouissance à laquelle tous les gens participent et pas seulement la famille royale;  ce n’est ni une cérémonie bouddhiste ni brahmaniste ».

 

 

 

 

Il nous renvoie enfin à consulter le Dr. Quaritch Wales, auteur d’un ouvrage publié à Londres en 1932 « Siamese State ceremonies », un coup dans l’eau, cet érudit décrit effectivement la cérémonie mais n’en donne aucune explication ni religieuse ni historique.

 

 

Peut-on dans ces conditions déterminer sérieusement l’origine historique de Loy  Krathong ?

 

Une offrande aux esprits de l’eau ? Une action de grâce à la déesse de l’eau, pour ceux qui vivent de l’eau, source de vie économique ? Tout simplement un passe-temps agréable pour une soirée au frais, en plein air au bord de l’eau et à la lumière de la pleine lune  ou tout à la fois et pour une fois une fête purement civile ?

 

Notre ami de Merveilleuse Chiang mai  a ouvert d’autres portes, ceux d’entre vous que le sujet intéresse consulteront son site avec profit, c’est à ce jour et à cette heure très certainement ce que vous pourrez lire de plus sérieux sur cette fête.

 

Les origines chinoises ?

 

La fête est peut-être venue de Chine par le Lanna : il existait en Chine de nombreuses fêtes consistant à faire flotter des bougies,  disparues avec le régime actuel mais qui subsisteraient encore à Java et Singapour.

 

 

Les origines indiennes ?

 

Les indiens pratiquent une fête consistant à faire flotter des lampes, la fête des lumières (Diwali) célébrée en automne qui remonte à la nuit des temps, probable rite agraire pour remercier la déesse des eaux de ses bienfaits. 

 

 

Les origines khmères ?

 

Les khmers ont absorbé la culture indienne et on retrouve chez eux la légende de Nang Nophama remerciant la mère des eaux mais associant Bouddha à la fête.

 

 

Le Lanna ?

 

Y –a-t-il un rapport entre la fête de Loikrathong et celle de yipéng (ยี่เป็ง)  que les habitants du Lanna fêtent le même jour ? 

 

 

Il y a donc une certitude, c’est qu’en réalité, les origines et la signification de cette fête sont incertaines même si toutes tournent autour des bienfaits de l’eau et que le lien avec la fête celtique d’Halloween sont de pure fantaisie.

 

 

HALLOWEEN

 

 

 

 

Le hasard a voulu -c’est un pur hasard- que la fête sinon bouddhiste du moins thaïe de Loy Krathong, tomba le 31 octobre de cette année 2020, le jour de la fête celtique de Halloween qui est figée au 31 octobre de notre calendrier julien. Les Celtes avaient probablement un calendrier non pas lunaire mais solaire qui ne coïncide pas avec le calendrier lunaire puisque le cycle de la terre autour du soleil ne coïncide pas avec celui de la lune autour de la terre.

 

 

 

La référence au soleil qui donne vie à la terre dans une civilisation qui vit dans le froid permanent tout au long de l’année importe plus qu’une référence à la lune qui ne brille que dans le froid de la nuit. Quoi de plus naturel alors de vénérer l’astre du jour et non celui de la nuit.

 

 

En se rappelant que Loy Kratong est tombé ces dernières années le 3 novembre en 2017, le 21 novembre en 2018, le 10 novembre en 2019 et le 31 octobre en 2020, il n’y a donc aucune déduction ésotérique fuligineuse à en tirer au niveau des rapports entre les Celtes et les bouddhistes.

 

 

 

Si nous nous amusions à ce jeu stupide, nous trouverions au hasard de la comparaison des calendriers des liens évidents entre le bouddhisme et le christianisme. Nous savons que la seule fête chrétienne, la plus grande assurément, établie selon un cycle lunaire est celle de Pâques.

 

 

La définition est la suivante : Pâques est le dimanche qui suit le quatorzième jour de la Lune qui atteint cet âge au 21 mars ou immédiatement après. Elle varie entre le 23 mars et le 25 avril. Les fêtes de la nouvelle année thaïe sont désormais fixées entre le 13 et le 15 avril. Les coïncidences entre Pâques (fête de la résurrection) et la nouvelle année ont été nombreuses, n’en citons que quelques-unes passées et à venir : Le 13 avril : 1941, 1950, 2031, 2036 et 2104. Le 14 avril : 1963, 1968, 1974, 2047, 2058, 2069 et 2104. Le 15 avril : 1900, 1906, 1979, 1990, 2001, 2063, 2074, 2085 et 2096. Nul n’a pensé y faire un lien. Mieux vaut que nous en restions là !

 

 

Que savons-nous de cette fête d’Halloween : avant J.-C., les druides qui détenaient le savoir tenaient sous leur emprise le monde celte.

 

 

 

 

Chaque année le 31 octobre, ils célébraient en l'honneur de leur divinité païenne Samhain (ou Samain), un festival de la mort : Ils se déplaçaient de maison en maison, réclamaient des offrandes pour leurs dieux et exigeaient parfois des sacrifices humains.

 

 

 

 

En cas de refus, ils proféraient des malédictions de mort sur cette maison : C’était en quelque sorte « la bourse ou la vie ». Pour éclairer leur chemin, ces malfaisants portaient des navets évidés et découpés en forme de visage dans lesquels brûlait une bougie faite avec de la graisse humaine de sacrifices précédents car les sacrifices humains ne leur étaient pas étrangers. La christianisation des terres celtes fut réelle mais relative, les traces de paganisme subsistaient encore en Bretagne jusqu’à la veille de la révolution de 1789. Au 18e et 19e siècle, les immigrants irlandais exportèrent cette vieille coutume dans leur terre d’accueil en remplaçant toutefois le navet par une citrouille pour on ne sait quelle raison. Si on a tenté d'associer à cette fête à la tradition chrétienne de la Toussaint, ce n’est qu’une hypothèse ; les origines en sont païennes sinon sataniques.

 

 

 

 

Le problème mais il est de taille est qu’elle fut au fil des années transformée en une méprisable mascarade commerciale. C’est exactement la même perversion de cupidité qui fit d’Odin, dieu celtique transformé en Saint Nicolas par l’église catholique puis en père Noël pollué par l’image qu’en donna Coca Cola.

 

 

 

 

Que ce jour soit considéré comme un festival d’automne où les enfants se costument en personnages de l'histoire américaine n’a rien de répréhensible.  Ce serait aussi bien et plus sain qu’ils le fassent pour mardi gras : Que certains pratiquent encore le culte d’Odin et de Wotan, de Lucifer ou de Satan pourquoi pas si les sacrifices humains ont disparu.

 

 

 

 

Mais la question est surtout que les Américains ont exporté cette fête devenue exclusivement commerciale là où elle n’a rien à faire, non seulement en Europe, mais aussi en Thaïlande en particulier.

 

Il est modestement permis de penser que moins de 0,0001 % ceux qui fêtent Halloween savent ce que cette fête représente.

 

Quand nous lisons sur une page Internet qui se donne les apparences du sérieux : La similitude entre Halloween des Celtes et Loy Krathong de Thaïlande est frappante, les deux festivals sont organisés pour protéger des démons et du mal …  nous devons rester cois ! Ce sont les rédacteurs qu’il faudrait frapper. Est-il permis d’écrire de telles bêtises ? Internet le permet mais que ceux qui ont vu lors de ces festivités une invocation quelconque aux démons nous le disent !

 

Nous savons que la croyance en des êtres surnaturels est innée chez l'homme. Les Thaïs les qualifient du terme générique de ผี « phi ». La traduction que l’on retrouve dans la plupart des lexiques ou dictionnaires, « fantôme » « démon » ou « esprit » est sinon mauvaise du moins très largement insuffisante.  Ce sont « Des choses que les êtres humains croient exister sous une forme mystérieuse, que l’on ne peut pas voir mais qui ont parfois un corps » (3). Nous nous sommes longuement penchés sur ces créatures, car effectivement nous vivons au milieu d’elles (4).  Leur étude est d’autant plus singulière que la ligne de démarcation entre les dieux et les créatures célestes bienfaisantes et les démons et créatures célestes malfaisantes est beaucoup plus difficile à faire que dans notre tradition biblique ! Il y a en effet de mauvais dieux et de bons démons.

 

 

Mais il est une certitude, c’est que les fêtes de Loy Kratong ne font intervenir  aucune de ces créatures et ce n’est que le hasard d’une coïncidence de dates qui est à l’origine de ces fuligineuses comparaisons.

 

 

 

NOTES

 

(1) Voir notre article : R9. UNE DES PLUS BELLES FÊTES DE THAÏLANDE : LE LOY KRATHONG (22 NOVEMBRE 2018) :

http://www.alainbernardenthailande.com/article-a167-une-des-plus-belles-fetes-de-thailande-le-loykratong-124921789.html

 

(2) http://www.merveilleusechiang-mai.com/loy-krathong-et-ses-origines-chinoises

http://www.merveilleusechiang-mai.com/loy-krathong-et-ses-origines-indiennes-1ere-partie

http://www.merveilleusechiang-mai.com/loy-krathong-et-ses-origines-indiennes-2eme-partie

http://www.merveilleusechiang-mai.com/loy-krathong-et-ses-origines-indiennes-3eme-partie

http://www.merveilleusechiang-mai.com/loy-krathong-et-ses-origines-indiennes-naraka

 

(3) Définition donnée par le dictionnaire de l’académie royale (édition 2002) qui en donne ensuite une très longue liste non exhaustive.

 

 

 

(4) Voir notre article :

A151. EN THAILANDE, NOUS VIVONS AU MILIEU DES « Phi » : http://www.alainbernardenthailande.com/article-a150-nous-vivons-au-milieu-des-phi-en-thailande-123529919.html

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28 octobre 2020 3 28 /10 /octobre /2020 22:01

 

Nous avons parlé des Nagas, ces créatures mystiques qui peuplent le monde souterrain et sont un lien entre le monde divin et celui des humains.

 

 

Dans un très bel article, notre ami Philippe Drillien a traité de ce phénomène mystérieux, extraordinaire et inexpliqué qui se produit le 15e jour du 11e mois du calendrier lunaire à la fin du carême bouddhique sur un tronçon d’une vingtaine de kilomètres sur les rives du Mékong, en amont de Nongkhai jusqu’à la province de Bungkan en aval, lorsque les Nagas crachent des boules de feu (1).

 


 

Nous avons également parlé de Phra Ruang, le fondateur mythique du fondateur du pays aux environs du Ve ou Ve siècle de notre ère, né des amours du roi d’ Haripunchai et de la reine des Nagas et qui libéra le Siam du joug des Khmers (2), Ce héros civilisqteur appartenait à la race des mortels par son père mais à celle des Nagas par sa mère ce qui lui permettait de fuir les attaques en cheminant sous terre à la façon des reptiles,

 

Le Naga dans les croyances thaïes est le patron de la fertilité et est toujours représenté comme une divinité puissante dans les peintures murales et la sculpture et un certain nombre de traditions qui relient les mythes hindouistes des Nagas au bouddhisme. Ils sont omniprésents de chaque côté de l'escalier d'un temple où ils sont censés servir de porteurs conduisant les fidèles à travers le cycle de l'existence

 

 

 

Les Nagas en particulier ont protégé Bouddha de la pluie pendant qu'il méditait : La sixième semaine après l'Éveil, il était assis sous un arbre, au bord d'un lac. Un violent orage éclata et la pluie fit peu à peu monter dangereusement les eaux. Le Naga Mucilinda, roi des nagas, sortit du lac, enroula ses anneaux sous le corps du bouddha et déploya ses capuchons heptacéphales (à sept têtes) en éventail au-dessus de lui pour le protéger de la pluie durant tout le temps que dura l'orage. Le bouddha, perdu dans sa méditation, les yeux clos, resta dans cette position jusqu'à la fin de l'orage, ignorant du danger qui le guettait.

 

Ils ont reçu une utilisation plus singulière dans le cadre d’un ambitieux programme économique lancé au début du siècle, avec la création de zones économiques spéciales (Special economic zones) concernant quelques provinces frontalières dont celle de Mukdahan.

 

 

Le programme a été initié dans cette province au début du siècle et plus concrètement en 2014 après que le deuxième « pont de l’amitié » sur le Mékong, situé à environ 7 kilomètres en amont du centre-ville, eut été inauguré le 19 décembre 2006 et ouvert le 9 janvier 2007, les travaux ayant commencé le 21 mars 2004. Un événement mystérieux se rattacha à cette construction comme nous le verrons.

 

 

Les Nagas vont intervenir à la suite de la construction ou à l'occasion de trois gigantesques statues d’entre eux, dont la construction fut financée tant par des organismes officiels que par les dons des fidèles.

 

 

Un article du Journal of the Mekong Societies dans sa livraison de mai-août 2020 et sous la signature de trois professeurs de l’Université de Khonkaen, Chittima Phutthanathanapaa, Wanichcha Narongchaib et Rukchanok Chumnanmakc leur est consacré sous un titre singulier : « The Utilization of the Naga Sign in the special Economic Zone of Mukdahan Province, Thailand ». Ces trois universitaires font référence aux théories à tout le moins fuligineuses du Français Roland Barthes qui écrit sous des formes compliquées ce qui est simple à comprendre sans être philosophe ou sémiologue, à savoir que toute représentation religieuse ou para religieuse a un double sens, le sens apparent, un Naga est un gigantesque serpent mythique, ou celui que ne comprennent que les croyants, les symboles qu’il représente (3). Concrètement par exemple, on peut ne voir dans une croix de bois qu’un instrument de supplice, les Chrétiens y voient le symbole du Christ venu racheter les péchés du monde.

 

 

De même, en dehors de la représentation matérielle du Naga, souvent spectaculaires sur le plan de l’esthétique, les Thaïlandais dans leur immense majorité y voient la créature aux pouvoirs extraordinaires qu'ils invoquent à tout instant de leur vie religieuse.

 

 

L’édification de ces représentations des Nagas concerne deux districts, celui de Mukdahan proprement dit et celui de Wan Yai (หว้านใหญ่) en amont des rives du grand fleuve.

 

 

La province ayant pour activité principale l’agriculture et le commerce, le programme SEZ a eu pour ambition de promouvoir aussi le tourisme, essentiellement d’ailleurs le tourisme thaï. Notre propos n'est pas de jouer aux guides touristiques mais de nous pencher sur les singularités qui ont caractérisé ces constructions, la première dans le temps étant apparemment celles qui ont marqué la construction du second pont de l'amitié.

 

 

 

Cet événement fut probablement à l’origine de la construction de deux autres représentations géantes du Naga dans deux autres sanctuaires.

 

 

 

Il est évident au premier chef que chaque endroit a adopté la représentation du Naga pour promouvoir le tourisme. Plus il attire de touristes, plus les entreprises de services et les petites échoppes de vente de souvenirs, d’objets de piété et de nourriture se développent.

 

 

Le Naga géant dans l'enceinte du Wat Roi Phra Phutthabat Phu Manorom dans le district de Mukdahan. (วัดรอยพระพุทธบาทภูมโนรมย์)

 

Ce temple est situé à environ 5 kilomètres en aval de la ville de Mukdahan au sommet de la colline de Manorom haute d'environ 500 mètres au-dessus du niveau du Mékong. Il ne présentait aucunes particularités par rapport aux temples de la région  ...

 

 

.....si ce n'est de permettre un panorama extraordinaire sur la ville de Mukdahan et le fleuve

 

 

....et de recouvrir une empreinte de Bouddha (พระพุทธบาท) que vénéraient les dévots locaux.

 

 

Il était aussi un lieu privilégié de tourisme exclusivement local, oraisons au temple et pique-nique les jours de fêtes ou les fins de semaine.

 

 

Avant que ne soit entreprise la construction d'une gigantesque représentation du Naga, précisons qu'il est dominé aujourd'hui par une statue de Bouddha qui est l'une des plus grandes du pays. La construction en fut décidée en 2011 à l'occasion du septième cycle du Roi Rama IX le 5 décembre de cette année-là.

 

 Croquis affiché avant la  construction 

 

 

Elle débuta en réalité en 2014 et se termina en 2019.

 

janvier 2015

 

 

Avril 2016

 

 

Mars 2017

 

 

Janvier 2020

 

 

D'une blancheur immaculée, symbole de pureté, ses dimensions sont impressionnantes : 39,99 mètres de largeur à la base, elle repose sur un socle en forme de fleur de lotus de 24 mètres de hauteur, la statue proprement dite mesure 59,99 mètres de hauteur et l'ensemble 84 mètres. Nous n'avons pas pu déterminer pour quelles raisons les dimensions en sont données au centimètre. Elle est visible depuis des kilomètres à la ronde.

 

 

 

La construction de la reproduction tout aussi gigantesque du Naga fut entreprise ensuite, 122 mètres de long, 20 mètres de haut et 1,5 mètre de diamètre. Plus qu'un acte de piété, elle repose sur une légende locale : construisant une digue pour se protéger des débordements du fleuve, les habitants aperçurent un Naga de couleur sombre d'environ 30 mètres de long, qui, les voyant, se précipita dans une grotte. Les villageois pensèrent alors que la grotte était reliée au Mékong car ils y découvrirent des vestiges de bateaux et de nombreux trésors, une image de Bouddha en or, des pousses de bambou dorées, des lingots d'or, des bijoux et des pièces de monnaie. Plusieurs villageois cupides ramenèrent certains de ces objets chez eux, mais une fois arrivés à la maison, tout ce qu'ils avaient emporté se transforma en pierre.

 

 

Le Naga demanda ensuite à être ordonné après avoir été éclairé par Bouddha lui-même. Ce n'était pas possible car un Naga est un animal et non un être humain et ne peut réciter les incantations. Un jour, un énorme prunier jambolan s'effondra, bloquant l'entrée de la grotte. Les villageois pensèrent que c'était un signe de la détermination du Naga de pratiquer la méditation sans se distraire du monde extérieur. Il fut dès lors considéré comme le successeur et le dépositaire des principes bouddhistes.

 

Entre 2012 et 2018, les habitants virent dans cette légende l'occasion d'en tirer profit par le développement d'un tourisme pieux et pratiquement exclusivement local. Ainsi fut édifiée la statue.

 

 

Les habitants viennent rendre hommage au Naga avec des fleurs, de l'encens et des bougies. Si leurs vœux sont exaucés, ils y reviendront pour faire de nouvelles offrandes.

 

 

 

C'est un rêve d'un ancien abbé du temple qui ressuscita cette vieille légende et la transmis à des disciples. La couleur de la statue est celle que l’abbé vit en rêve

 

 

Les témoignages relatifs à des vœux exaucés se sont largement répandus sur la toile ! Le plus connu est celui d'un villageois qui gagna le gros lot à la loterie, il devint viral sur les réseaux sociaux puisqu'il affirma que cela s'était produit par l'intervention du Naga.

 

 

 

Les visiteurs s’y rassemblent pour y prier et gagner une bonne fortune. Une zone spéciale pour présenter les offrandes a été prévue et les fidèles sont invités à suivre tout un rituel. Ils doivent d'abord préparer un plateau contenant du bétel et de l'arec, des bâtons d'encens, des bougies et des rubans rouges. Ensuite, ils doivent prier en marchant sous le ventre du Naga divisé en petites sections à des fins différentes, par exemple, la chance, la santé, le travail, l'amour. Après cela, ils allument des bougies et des bâtons d'encens et écrivent leurs vœux sur le ruban rouge, qu'ils nouent autour des arbres.

 

 

 

Le sanctuaire du Naga au second pont de l'amitié  - (san ong pu phayanak lae chut chom wio saphan mittraphap thai - lao haeng thi 2) - (ศาลองค์ปู่พญานาค และ จุดชมวิวสะพาน มิตรภาพไทย-ลาว แห่งที่ 2)

 

Le phénomène de la croyance dans les Nagas a été incontestablement ravivé – même s’il n’avait pas disparu - lors de la construction du deuxième pont quelques kilomètres en amont de la ville.

 

 

Un tourbillon apparut autour du deuxième pilier et la population pensa que dans cette zone se situait la grotte des Nagas. Par la suite, un certain nombre d'incidents tragiques se sont produits : Plusieurs ingénieurs et ouvriers seraient morts, blessés ou auraient disparus (un mort, 14 blessés et 9 disparus). Ces incidents conduisirent à la suspension temporaire de la construction. Plus tard, les villageois et les responsables de la construction consultèrent un chaman spécialiste en ce domaine puisque lui-même pensait être un descendant de Naga donc protégé par eux. Il communiquait avec eux dans ses rêves et suggéra qu'un sanctuaire soit construit sur les lieux pour les Nagas. Une fois la cérémonie d’inauguration du sanctuaire terminée, le chantier se déroula sans incident.

 

 

Il fut admis que le Naga du Mékong entra en colère contre une construction au-dessus de son habitat. Le Naga noir y est représenté enroulant son corps autour d'un pilier doré, son regard tourné vers le Mékong. De nombreuses cérémonies pour solliciter son pardon furent organisées. On lui offre en permanence des pièces de monnaie de Bouddha, des bijoux et des bracelets et on y prie pour que les vœux soient exaucés. La croyance est répandue dans les populations locales que les Nagas ont le pouvoir de provoquer des catastrophes. Une cérémonie mêlant des croyances bouddhistes et hindoues se déroule tous les ans sous l'égide des autorités locales les 8 et 9 juin. Le premier jour est consacré aux prières et aux chants. Les participants y apportent leurs offrandes. Le lendemain, ils gagent des mérites en offrant de la nourriture aux moines et en faisant flotter des lotus sur le fleuve en hommage aux Nagas et au Mékong.

 

 

Kaeng Kabao dans le district de Wan Yai  (แก่งกะเบา)

 

 

Aucune légende et aucun événement mystérieux ne s'y rattache, le miracle viendra plus tard. Le site de Kaeng Kabao (les rapides de Kabao) dans le Mékong ...

 

 

...a longtemps été un site touristique en raison des grandes plaques de roche qui apparaissent pendant la saison sèche lorsque le fleuve est à son niveau le plus bas, situé à une trentaine de kilomètres en amont de la ville.

 

 

Après que ce site ait connu une certaine régression, les responsables du district parrainèrent la construction de l'une des plus grandes sculptures d'un Naga du Mékong. La sculpture mesure 51,40 mètres de long, 11,11 mètres de haut et 1,50 mètre de diamètre Elle est de couleur blanche, symbole de pureté. Sa présence permit un incontestable renouveau sur ces rives du Mékong. Les visiteurs la considèrent toujours comme un signe de bon augure, de bonheur et de prospérité.

 

 

Le rituel qui conjure la malchance consiste à franchir trois points du ventre du Naga - représentant la chance, la richesse et la santé - est censé aider à conjurer la malchance.

 

 

Naturellement tout autour nous trouvons les traditionnelles échoppes, objets de piété et de nourriture. Le Naga a au moins réalisé un miracle le 26 novembre 2018 : un voleur avait tenté de voler de l'argent dans une boîte à donation, mais n'a pas pu s'échapper. Il a été retrouvé allongé sur le sol devant la sculpture Naga, disant que quelque chose l'étranglait et l'étouffait avant que la police ne vienne l'arrêter. Les habitants pensèrent que c’était l'effet des pouvoirs du Naga. Une villageoise affirma d'ailleurs que le Naga lui avait dit dans un rêve qu'il ne voulait pas faire périr le malandrin mais seulement l'immobiliser pour que la police vienne l'arrêter. Cet événement connut un grand retentissement ce qui attira un nombre toujours plus grand de visiteurs, Les lieux sont même surpeuplés les jours de fête, en particulier pour Songkran ou les fins de semaine.

 

Zone de salas aménagés pour le pique-nique

 

 

Pour nos auteurs, chacun des événements surnaturels accomplis autour de ces sites incite une foule de visiteurs y chercher bonne fortune. La population locale y trouve évidemment son profit, d'ordre économique tout d'abord mais aussi sur le plan spirituel.

 

Avantages économiques

 

Les chiffres parlent : En 2008, le nombre de touristes visitant Mukdahan et les alentours était de 264 873, tandis qu'en 2015, il avait plus que doublé pour atteindre 597 873. Les dépenses quotidiennes moyennes étaient de 923,6 bahts par personne en 2008 et 1 141,18 bahts en 2015. La majorité des visiteurs viennent du nord-est mais d'autres viennent des autres provinces persuadés que les Nagas ont le pouvoir d'exaucer leurs souhaits. Les étrangers et plus encore les occidentaux ne sont qu'en petit nombre.

 

Nos auteurs donnent des chiffres sous forme de tableaux qui laissent à penser que l'ensemble de la population a profité de ces initiatives et en est parfaitement satisfaite.

 

 

Avantages spirituels

 

Les chants et les prières accompagnant les cérémonies rappellent systématiquement l'obligation de respecter les cinq préceptes du bouddhisme : Le premier est de s'abstenir de se suicider, ce qui permettra aux gens d'avoir une longue vie et une bonne santé. Le second est de s’abstenir de prendre ce qui n’est pas notre propriété, ce qui garantit la sécurité des biens. Le troisième est de s'abstenir de toute inconduite sexuelle, ce qui permet aux enfants, petits-enfants et conjoints de vivre heureux et empêche les gens de faire du mal. Le quatrième est de s'abstenir de discours nuisibles, de jurons, de mensonges et de sarcasmes. Les personnes qui pratiquent ce précepte seront respectées. Enfin, le cinquième est de s'abstenir de prendre des substances intoxicantes. Ceux qui pratiquent ce précepte seront dotés d'intelligence et de crédibilité. Notons que sur ces sites, il est totalement interdit de consommer de l'alcool et de fumer. Les cinq préceptes sont associés aux mythes des Nagas, qui sont considérés comme de véritables croyants au bouddhisme, qui méditaient et pratiquaient les préceptes dans l'espoir d'être libéré de la souffrance en tant qu'animal et de renaître en tant qu'humain.

 

Il est évident, comme dans toutes les sociétés et toutes les religions, que l'exigence selon laquelle les croyants doivent se comporter selon ces règles de base est le fondement de la paix sociale.

 

Il est remarquable par exemple que dans le passé, la zone autour du deuxième pont de l’amitié était déserte et nul ne voulait y aller la nuit. C'était un lieu mal famé, lieu de rencontre où les adolescents se réunissaient souvent pour des activités illégales ou que la morale réprouve.

 

 

La réhabilitation des lieux en a fait un endroit privilégié alors qu'auparavant, c'était un amas de détritus, de bouteilles cassées, de mégots et de préservatifs. Remercions donc les Nagas qui contribuent par la terreur qu’ils inspirent au respect de la nature.

 

 

Nous n’entrerons pas dans le débat philosophique sur le point de savoir si ce sont les religions, qu’elles qu’elles soient – qui ont créé les règles élémentaires de la vie en société. Ce que nous pouvons constater est que si Dieu est mort comme disait Nietzsche, en tous cas ses paroles demeurent.

 


 

Doit-on sourire de ces croyances ? Certains esprits forts ne manqueront pas de le faire qui conserveront néanmoins précieusement un trèfle à quatre feuilles dans leur portefeuille et ne manqueront jamais de consulter leur horoscope dans leur quotidien habituel,

 


 

NOTES

 

(1) Voir notre article NOTE. A 240 - LES MYSTÉRIEUX NAGAS DU MÉKONG CRACHEURS DE BOULES DE FEU

http://www.alainbernardenthailande.com/2017/09/a-240-les-mysterieux-nagas-du-mekong-cracheurs-de-boules-de-feu.html

(2) Voir notre article A 392- LA LÉGENDE DE PHRA RUANG, FONDATRICE MYTHIQUE DE LA NATION THAÏE, A-T-ELLE MIGRÉ CHEZ LES AMÉRINDIENS ?

http://www.alainbernardenthailande.com/2020/09/a-392-la-legende-de-phra-ruang-fondatrice-mythique-de-la-nation-thaie-a-t-elle-migre-chez-les-amerindiens.html

(3) L'article est numérisé sur le site de la revue :

https://so03.tci-thaijo.org/index.php/mekongjournal

 


 

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31 août 2020 1 31 /08 /août /2020 22:12

 

Nous avons consacré plusieurs articles aux représentations rituelles – sinon officielles – de Bouddha. Elles sont 66. Cinq d’entre elles représentent le maître étendu toujours sur le côté droit.

 

Ces cinq gravures sont extrqites de l'ouvrage de Khaisri Sri-Aroon « Les statues du Buddha en Thaïlande (Siam) », dont la dernière édition est trilingue (พระพุธทรูปปางตางๆ ในสยามประเทศ) publié à 2000 exemplaires sous l’égide du Ministère de la culture : 


la première représente les songes du futur Bouddha,

 

 

 

 

la suivante  représente Bouddha donnant l’enseignement à Asurindrahu,

 

 

une autre présente une prophétie,

 

 

elle est suivie par Bouddha sur sa fin donnant son enseignement à Subhadda

 

 

et enfin celle de la grande et totale extinction (1).

 

 

Nous avons par ailleurs fait justice d’une croyance trop répandue qui fait d’un personnage ventripotent et rigolard un « Bouddha rieur » ce qu’il n’est pas (2) !

 

 

Pourquoi ce choix systématique du côté droit ? Probablement parce qu’il est assimilé dans la tradition indienne au bien et le côté gauche au mal ? Dans la Bible aussi, le Christ est assis à la droite de Dieu. Lors de la passion de Jésus, c'est le bon larron qui est crucifié à sa droite.

 

 

 

 

Dextre de  Bouddha  - parcelle de l'infini - rayon de l'astre roi

Il existe pourtant de très rares représentations de Bouddha  (mais s’agit-il de lui ?) étendu sur le côté gauche. L’une des plus connue se situe au Cambodge mais dans ce qui fut le Cambodge siamois, dans la pagode de Preah Ang Thom dans le parc national, la montagne sacrée, de Phnom Kulen. Longue de 8 mètres, elle représenterait Bouddha atteignant le nirvana et daterait du XVIe siècle.

 

 

Celle du temple Wat Papradu (วัด ป่าประดู่) à Rayong est la plus connue, elle s’étend sur 11,95 mètres et 3,60 mètres de hauteur. Sa datation est incertaine.

 

 

 

Dans une petite chapelle du temple de Samret (วัด สำเร็จ) sur l’île de Samui se trouve un Bouddha de marbre blanc gisant sur le côté gauche dont les moines résidant disent qu’il a « plusieurs centaines d’années et serait venu de Ceylan ».

 

 

La chapelle contient 80 petites statues, ses portes sont verrouillées, le temple est à l’écart des circuits touristiques organisés et seuls ceux qui ont l’heur de convenir aux moines ont l’autorisation d’y pénétrer. Aucune précision n’a pu nous être donnée sur les raisons de cette position inhabituelle 

 

 

Le Wat Phuthanimit (วัดพุทธนิมิต) dans la province de Kalasin et le district de Sahasakan abrite à quelque distance des bâtiments conventuels dans une petite excavation de 5 mètres de largeur et 3 de hauteur une statue inhabituelle de dimensions plus modestes, 2 mètres de long et 5 de haut.

 

 

Elle semblerait de l’époque Dvaravati, Les habitants des villages voisins lui vouent un culte tout particulier. Le site d’origine est manifestement ancien et on y trouve de nombreuses bornes sacrées dont nous savons qu'elles datent aussi de cette époque et qu’elles sont pour l’essentiel spécifiques à la région de Kalasin (3).

 

 

Signalons enfin, bien que nous soyons en dehors des sites architecturaux et des statues de Bouddha gisant sur le côté gauche la présence au Musée National de  Nan d’une statuette représentant Bouddha gisant « du mauvais côté ». Selon Carol Stratton auquel nous devons une photographie, elle est datée du XIXe siècle (4).

 

 

 

Nous pouvions en rester là des questions que nous nous posions sur l’existence de ces  rarissimes représentations du maître gisant sur le côté gauche, quelques rares statues, une amulette, aucune représentation peinte et surtout aucune explication plausible de ce qui apparait en première analyse comme une incongruité. Nous avons toutefois trouvé une explication qui est plausible, sans qu’elle soit une certitude, c’est tout simplement qu’il ne s’agit pas de Bouddha lui-même mais probablement de l’un de ses disciples.

 

 

C’est tout eu moins une supposition concernant la représentation du Wat Phuthanimit que nous trouvons dans un petit ouvrage fort érudit concernant la province de Kalasin et qui donne de précieuses explications sur les plus importants de ses temples (5). Elle s’applique probablement aux autres représentations.

 

 

Il s’agirait de Moggallana le très saint (พระโมคคัลนะ-เถรเจ้า) parfois orthographié Mahamaudgalyayana, le second en titre des disciples mais le premier pour les pouvoirs surnaturels parmi ces disciples.

 

 

Bien que Bouddha en ait généralement réprouvé l’emploi, il aurait fait pour lui une exception tant la sagesse de Moggallana était grande (6). Il suit Saripputta, premier disciple, le Saint Pierre du bouddhisme


 

 

...et précède Ananda. Si Bouddha possédait des pouvoirs extraordinaires, Moggallana fut le plus célèbre pour ses miracles. Ananda, pourtant le disciple le plus proche, le Saint Jean du bouddhisme, et son cousin, ne put obtenir ces pouvoirs qu’après 25 ans d’entraînement.

 

 

Ils ne viennent jamais spontanément, l’homme les développe de vie en vie. S’ils apparaissent spontanément, c’est qu’ils ont été développés dans des vies précédentes.

 

Moggallana est le thaumaturge du bouddhisme par excellence.

 

Ces qualités exceptionnelles rendent fort plausible la possibilité d’une représentation dans la posture de la grande extinction mais en la différenciant de celle de Bouddha lui-même et le couchant sur le côté gauche.

 

 

NOTES

 

(1) Voir nos articles

A 237 - LES SOIXANTE-SIX REPRÉSENTATIONS RITUELLES DE BOUDDHA

http://www.alainbernardenthailande.com/2017/08/a-237-les-soixante-six-representations-rituelles-de-bouddha.html

A 332- 1 - LES SOIXANTE-SIX REPRÉSENTATIONS RITUELLES DE BOUDDHA. (DEUXIÈME PARTIE)

http://www.alainbernardenthailande.com/2019/09/a-332-les-soixante-six-representations-rituelles-de-bouddha.deuxieme-partie.html

A 332 - 2 - LES SOIXANTE-SIX REPRÉSENTATIONS RITUELLES DE BOUDDHA. (TROISIÈME PARTIE)

http://www.alainbernardenthailande.com/2019/09/a-332-2-les-soixante-six-representations-rituelles-de-bouddha.deuxieme-partie.html

 

A 332-3 LES SOIXANTE-SIX REPRÉSENTATIONS RITUELLES DE BOUDDHA. (FIN)

http://www.alainbernardenthailande.com/2019/10/a-332-3-les-soixante-six-representations-rituelles-de-bouddha.troisieme-partie.html

 

(2) Voir notre article  A 330 - QUI EST LE « BOUDDHA RIEUR » QUE L'ON PEUT VOIR EN THAÏLANDE ?

http://www.alainbernardenthailande.com/2019/09/a-330-qui-est-le-bouddha-rieur-que-l-on-peut-voir-en-thailande.html

 

(3) Voir notre article A 213- LES ORIGINES MYSTÉRIEUSES DES BORNES SACRÉES (BAÏ SÉMA) DES TEMPLES DE L’ISAN EN THAILANDE

http://www.alainbernardenthailande.com/2016/05/a-213-les-origines-mysterieuses-des-bornes-sacrees-bai-sema-des-temples-de-l-isan-en-thailande.html

 

(4) «  Buddhist Sculpture of Northern Thailand », 2003.

 

 

(5) « กาฬสินธุ์ » (en thaï) (ISBN   974484187 7)

 

(6) Voir le site (en anglais)  « Relatives and Disciples of the Buddha » :

https://www.budsas.org/ebud/rdbud/rdbud-00.htm

 

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12 août 2020 3 12 /08 /août /2020 22:15

 

Nous avons consacré deux articles au roi Li-Thai, petit-fils de Rama Kamhaeng-le- grand, qui régna de (environ) 1347 à 1368 sous le nom de Thammaracha Ier (1) en vous le présentant comme un pieux bouddhiste adepte du Théravada et premier souverain du Siam à avoir vécu comme moine une partie de sa vie, 30 ans peut-être. On lui doit, entre autres, l’une des plus belles représentations de Bouddha du Siam, le Phraputtachinnarat (พระศรีรัตนมหาธาตุ).

 

 

Il est aussi l’auteur (au moins présumé) du premier traité de cosmologie bouddhiste dont la date reste incertaine, (1348 ?) probablement un recueil des sermons prononcés lorsqu’il était encore moine et qui est considéré aussi comme l’un des premiers textes de la littérature siamoise et en tous cas le texte littéraire le plus important de l’époque de Sukhotai. Ce texte est connu sous le nom de Traiphum Phraruang (ไตรภูมิพระร่วง) c’est-à-dire les trois mondes du roi RuangLi-Thai est considéré comme l’un des piliers de la religion comme le sera son lointain successeur, le roi Mongkut, qui pensait en être la réincarnation.

 

 

Ce texte fut considéré comme aussi important que le Tripitaka (พระไตรปิฎก). Il l’est encore aujourd’hui. Ces trois mondes sont les mondes des sens, ceux des formes, et les mondes informels : Ce concept des trois mondes dont l’origine est probablement védique, ce sont les trois niveaux de la spiritualité, les trois sphères ou plans dans lesquels l'univers entier est analysé d'un point de vue éthique et spirituel, la sphère des sens c’est-à-dire le mondes des désirs, désirs des affections morales, désirs des objets extérieurs, désirs des aliments et désirs charnels ; la sphère matérielle est le monde des formes. Arrivé à ce monde par l'effet de la piété permanente,  l’homme conserve encore une substance corporelle, c'est pour cela qu'on l'appelle le monde des formes. Parvenu à la sphère immatérielle, l’homme se trouve sans souillures et sans désirs.'

 

 

Le texte est en réalité une étude « scientifique » de l’Univers considéré dans son ensemble. Le texte original est probablement basé sur les canons en pali et ses commentaires étudiés par le roi lorsqu’il portait la robe safran et constituait un recueil de ses sermons puisque son titre d'origine était le Traibhumikatha  (ไตรภูมิกถา) Sermon sur les Trois Mondes.

 

 

La forme comme nous allons le voir en est totalement décousue ce qui confirme qu’il s’agit bien de sermons compilés et assemblés en un volume sans ligne directrice et sur des sujets qui peu ou prou recouvrent la cosmologie de l’époque.

 

 

Le texte fut considéré comme si important qu’il déborda dans les pays voisins, au Cambodge et au Laos. Il resta texte fondamental jusqu’après la destruction d’Ayuthaya. S’il en existait des manuscrits, ils furent alors détruits mais le texte subsista par tradition orale. Lorsque la nouvelle dynastie s’établit à Thonburi Les Trois Mondes furent copiés et largement diffusés avec la bénédiction royale. Des peintures murales ornèrent de nombreux temples royaux et les manuscrits sur feuille de latanier se multiplièrent. Certains étaient fidèles à l'original du roi Lithai, d'autres – comme une compilation commandée par le roi Rama Ier au XVIIIe siècle - ont été modifiés ou altérés.

 

 

Nous le retrouverons sous une forme ou sous une autre en dehors des peintures murales dans la sculpture, la littérature et l'architecture traditionnelles. Des anecdotes et des références à cet énorme corpus  reviennent sans cesse dans l'art de la cour, la musique et les contes populaires. Les peintures murales ou les éléments architecturaux nécessitent d’être décodés par un bouddhiste instruit : par exemple l’élément architectural qui relie la flèche supérieure d’un chédi à son corps principal est souvent formé de 31 couches distinctes représentant le nombre des domaines habités par différentes formes de vie.

 

 

 

Ce texte fondamental fait l’objet de nombreuses et érudites études. (Nous donnons quelques-unes de ces sources en annexe). Toutefois la meilleure analyse qui en a été faite en français à notre connaissance est celle de Monseigneur Pallegoix qui lui consacre dans le premier volume de son Histoire du Siam un chapitre circonstancié (2). Ce volume est une description du pays, de ses habitants, de sa géologie, de la flore, de la faune, de son gouvernement, du commerce, de sa langue et de ses lois.

 

 

Mais comment connaître bien un pays si l’on n’en connait pas sa cosmologie et sa religion. La « foi du charbonnier », foi inébranlable, celle que Jean Paul II appelait le « fidéisme » est certes louable, elle est probablement celle de l’immense majorité des Thaïs qui pratiquent le bouddhisme théravada, Monseigneur Pallegoix est allé bien au-delà, fruit de sa connaissance de la langue vernaculaire et du pali tout autant que de ses liens d’amitié avec le moine Mongkut, devenu le toi Rama IV. 

 

 

« Les Siamois ont un ouvrage en soixante volumes qui s'appelle Trai-phum (les trois lieux) il embrasse tout le système des bouddhistes ». Mais  Il a aussi pris connaissance du canon bouddhiste proprement dit, le Tripitaka, qui comprendrait selon les éditions jusqu’à 232 volumes (3).

 

 

 

LA DESCRIPTION DE L’UNIVERS

 

Celui-ci comprend neuf degrés de sainteté : les trois voies, les trois fruits et l’extinction (le Nirvana) qui sont les moyens de traverser le monde.

 

Les talapoins sont les disciples de Bouddha doués de piété, de constance et de sagesse et sont divisés en huit ordres. Ils sont dignes de recevoir les offrandes des fidèles. Celui qui les salue ou qui leur offre des présents acquiert des mérites infinis.

 

Les trois pierres précieuses, ce sont les Ratanatrai  (พระรัตนตรัย) sont les trois diamants : Bouddha, les livres sacrés et le Sangha, la communauté monastique.

 

 

Il y a trois manières d'adorer : l'adoration du corps (ce sont les trois prosternations ou prosternements), l'adoration verbale, l'adoration mentale. Le plus grand pécheur peut obtenir son salut en adorant les trois diamants, excepté celui qui a commis un des cinq crimes suivants le meurtre de sa mère, le parricide, le meurtre d'un saint, tirer une goutte de sang du corps de Bouddha et la dispersion violente des talapoins,

 

Il est un article de foi, c’est celui de l'excellence et des mérites de bouddha : « Si un homme avait mille têtes, cent bouches dans chaque tête, cent langues dans chaque bouche, et par conséquent s'il avait dix millions de langues, quand il vivrait depuis la formation jusqu'à la destruction du monde, il ne pourrait pas célébrer suffisamment l'excellence de Bouddha qui consiste dans une miséricorde infinie et une science universelle ».

 

 

LA DESCRIPTION DES MONDES.

 

Chaque monde a un soleil et une lune qui tournent autour du roi des monts situé au milieu. Par espace, on entend la distance à laquelle peuvent parvenir les rayons du soleil, de la lune et aussi tout le firmament des cieux. L'espace se divise en huit lieux : La terre destructible par le feu, l'eau et le vent, la terre reconstituée à son premier état, les enfers grands et petits, la région des monstres et des géants, la région des animaux privés de raison, la région des hommes, les six ordres des cieux et enfin les cieux supérieurs qui se divisent en deux régions, celle des anges corporels et celle des anges incorporels.

 

La terre est supportée sur les eaux, les eaux sur l'air, à chaque point de l'horizon sont placés dix millions de millions de mondes, ou plutôt les mondes infinis et ces mondes sont tour à tour détruits de façon continuelle par l’eau, le feu et le vent en raison des perversions des hommes et des anges puis reconstruits (4).

 

Notre monde a en son milieu le Mont Meru, roi des monts, entouré de sept rangées de montagnes et de grandes îles situées aux quatre points cardinaux et deux mille petites îles qui entourent les grandes.

 

 

Il est lui-même entouré de hautes montagnes qui sont comme ses murailles. Le mont Meru est enfoncé de moitié dans une grande mer à une profondeur de quatre-vingt-quatre mille lieues, et il s'élève de quatre-vingt-quatre mille lieues au-dessus du niveau de la mer. Dans la grande mer, outre les petits poissons, il y a sept espèces de poissons énormes qui ont jusqu'à mille lieues de long.

 

 

Chaque monde est composé de la région des cieux, de la région des géants, de huit grands enfers entourés de leurs enfers plus petits, et au-delà un enfer d'eau corrosive. Chaque monde a trois cent soixante-dix mille trois cent cinquante lieues de circonférence, ces lieux étant quatre fois plus grande que nos lieux de 4 kilomètres.

 

 

 

Ces descriptions hyperboliques reposent sur la croyance que la terre est plate.

 

 

 

Par ailleurs, la question de la pluralité des mondes agite les philosophes et les scientifiques depuis au moins Epicure qui vivait  au troisième siècle avant notre ère.

Il existe vingt-sept constellations, le cheval, le trépied, le poussin, le poisson, la tête du cerf, la tortue, le navire, le cancer, l'oiseau, le singe, le taureau, la vache, la tête d'éléphant, le tigre, le serpent boa, la tête de buffle, le paon, la chèvre, le chat, le roi des lions, la reine des lions, l'ermite, le riche, le géant, !e rhinocéros mâle, le rhinocéros femelle, le grenier. Des spécialistes ont pu faire le parallèle entre ces constellations telles que reproduites sur des peintures murales et notre connaissance actuelle du ciel.

 

 

Nous avons aussi l’explication des éclipses de la lune et du soleil. Praathit, le soleil   (พระอาทิตย์) et Phrachan la lune  (พระจานทร์) sont deux frères qui ont un frère cadet appelé Phrarahu (พระราหู). Phraathit donnait l'aumône aux moines dans un vase d'or, Phrachan dans un vase d'argent, et Rahu dans un vase de bois noir. Ayant été un jour frappé par ses frères, il en conserva  un esprit de vengeance, et de temps en temps il sort de la région des géants, et ouvre sa bouche énorme, attendant le soleil ou la lune pour les dévorer lorsqu'ils passeront; mais lorsqu'il a saisi le soleil ou la lune, il ne peut pas les retenir longtemps à cause de la rapidité de leur course; et s'il ne les lâchait pas, ils le briseraient.

 

 

LES ANGES DES CIEUX INFÉRIEURS ET LES ANGES DES CIEUX SUPÉRIEURS.  

 

 

Il en est de nombreuses sortes réparties en six ordres en particulier ceux qui habitent sur les arbres et les montagnes, anges de la terre, ceux qui traversent les airs,  anges de l'air; ceux qui ont leur demeure sur le sommet des montagnes ou dans la partie supérieure de l'air égale à la hauteur de cette montagne, appelés les quatre grands rois-anges. Ils constituent le premier ordre. Ne parlons que d’eux. Le premier des rois-anges a sous sa domination les anges des parfums. Un autre a sous sa domination les anges ventrus. Un autre a sous sa domination tous les nagas, ces  serpents fabuleux qui peuvent prendre à leur gré la forme humaine ou une autre forme et qui sont dans les eaux ou sur la terre, Le dernier domine tous les anges qui ne sont pas soumis aux trois premiers rois. On les appelle quelquefois les quatre rois administrateurs du monde.

 

 

 

Les anges des cieux inférieurs 

 

 

 

Au-dessus des six cieux inférieurs il existe seize ordres d’anges corporels au-dessus desquels il y a encore quatre ordres d’anges incorporels. Les anges de la terre naissent de quatre manières, dans le sein d'une mère comme les hommes, dans des œufs comme les oiseaux, dans des fleurs comme le nymphéa. Quelques-uns enfin naissent d'eux-mêmes dans un état parfait. Ceux qui font leur demeure sur les arbres sont aussi appelés anges des arbres. Quelques-uns sont doux, et ne causent aucun dommage aux hommes qui coupent les arbres sur lesquels ils habitent, et vont s'établir ailleurs; d'autres au contraire sont irascibles et en tirent vengeance. Le plus puissant d'entre les anges de la terre et leur roi est appelé communément Phra Isuan, c'est le dieu Siva des Indous.  

 

 

 

Ces anges sont portés dans les airs avec le palais qu'ils habitent. Quelques-uns de ces palais sont de cristal, d'autres d'argent ou d'or et de pierreries très-brillantes. Ils sont abondamment pourvus de fleurs célestes, de musique et de délices de tout genre. Le soleil, la lune et toutes les étoiles sont autant d'anges aériens. 

 

Le vent, la pluie, les nuages les brouillards, la chaleur et le froid sont produits par certains anges l'ange du froid; l'ange de la chaleur; l'ange des brouillards; l'ange du vent;  l'ange de la pluie.  

 

Il est encore des anges au sommet du Mont Meru dans un ciel qui a dix mille lieues de largeur. Ils vivent dans un palais à mille portes, c’est le palais du roi Indra ou Phra-In. Celui-ci  a vingt-cinq millions d'anges femelles pour le servir.  

 

 

Les anges s'assemblent de temps en temps dans une salle immense. Là, Phra In  ordonne aux quatre rois-anges d'envoyer çà et là les anges qui sont sous leurs ordres, pour veiller au salut des talapoins dans tel ou tel temple. C'est là qu'on lit le catalogue des péchés et des mérites des hommes. Les mérites, écrits sur des tablettes d'or, sont gardés dans le ciel et Phra in envoie au roi des enfers le catalogue des péchés écrits sur des peaux de chien.

 

 

 

Les anges des cieux supérieurs

 

Il y a seize ordres d’anges corporels et quatre ordres d’anges incorporels. Certains ne sont adonnés qu’à la contemplation. Ils n'ont ni sexes, ni intestins, ni voies excrétoires; ils ne mangent rien et sont rassasiés d'une félicité continuelle. Ils n'ont pas le sens de l'odorat du goût, ni du toucher.Les anges incorporels n'ont point de corps, ils ont seulement une âme avec les esprits vitaux des yeux, des oreilles, des narines, de la langue, du cœur et des autres membres sans aucune forme ni couleur. Ils habitent dans des palais, mais ils sont tout-à-fait invisibles.

 

 

Monseigneur Pallegoix nous donne une très longue description de chacune de ces catégories d’anges qui peuplent les cieux. Nous ne venons d’en faire qu’un résumé. Le principe n’a rien pour le choquer. Les chrétiens connaissent les anges qui sont, sans que cette classification soit formellement dogmatique, classés par ordres croissants en chérubins, séraphins, trônes, dominations, vertus, puissances, principautés, archanges et anges. Ils peuplent, selon la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin, ce que les chrétiens appellent l’univers invisible. Ils sont en nombre incalculable puisque chaque baptisé est accompagné tout au long de sa vie par son ange gardien (5).

 

 

Ils peuplent, selon la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin, ce que les chrétiens appellent l’univers invisible. Ils sont en nombre incalculable puisque chaque baptisé est accompagné tout au long de sa vie par son ange gardien (5).

 

 

LA RÉGION DES ENFERS.

 

Nous avons au moins indirectement abordé cette question à l’occasion de la légende de la descente d’un pieux bouddhiste aux enfers (6).

 

 

C’est  encore une question qui ne dut pas perturber Monseigneur Pallegoix puisque la punition des méchants fait partie du dogme de son église mais la présentation bouddhiste est autrement plus pittoresque, c’est le moins que l’on puisse dire et une magnifique source d’inspiration pour les artistes.

 

 

Ceux qui pendant leur vie ont fait de bonnes actions « par pensée, par parole et par action », renaîtront après leur mort parmi les hommes nobles et riches ou dans quelque ordre des cieux. Mais ceux qui, pendant leur vie, ont commis de mauvaises actions « par pensée, par parole, par action et par omission », iront, après leur mort, dans le lieu de douleur, ou dans l'enfer ou dans la région des monstres ou deviendront animaux privés de raison ou bien fantômes. Ceux qui ont commis beaucoup de péchés descendront aussitôt dans les enfers mais ceux qui ont des péchés mêlés de bonnes actions naîtront dans la région du roi des enfers. Alors les démons des enfers les prendront par les bras et les traîneront au palais du roi des enfers, qui leur demandera s'ils n'ont jamais vu les députés des anges, c'est-à-dire un petit enfant dans l'ordure, un vieillard décrépit, un malade, un prisonnier chargé de chaînes, un condamné flagellé et un mort. Si vous en avez vu, pourquoi n'avez-vous donc pas pensé à la mort et à faire des actes méritoires? Alors il leur rappellera les bonnes actions de leur vie passée, et s'ils peuvent se les rappeler, ils sont délivrés des enfers; s'ils en ont perdu le souvenir, les démons les attachent et les conduisent dans l’un des enfers, selon ce qu'ils méritent. C’est en quelque sorte le jugement dernier de la Bible. Il y a huit grands enfers et chacun des grands enfers est entouré de seize autres enfers qui eux-mêmes sont entourés de quarante enfers plus petits. Les huit grands enfers ont la forme d'un coffre de fer carré, de cent lieues de longueur, autant de hauteur, de largeur et d'épaisseur. A chacun des côtés est une porte à l'entrée de laquelle les rois des enfers, ont placé leur tribunal.

 

 

Le premier enfer est celui du vent, un vent qui ressuscite les morts pour qu’ils soient  tourmentés de nouveau. Ceux qui ont tué les animaux, les voleurs, les ravisseurs, les rois qui entreprennent des guerres injustes, les oppresseurs des pauvres iront dans cet enfer; Là, les démons  armés de couteaux et de haches, les coupent par morceaux en sorte qu'il ne reste que les os. Alors il souffle un vent par la vertu duquel ils reprennent la vie, et leurs corps redeviennent entiers comme auparavant en se rencontrant les uns les autres, ils sont transportés de fureur, leurs ongles se changent en lances et en épées; ils se percent et se tuent mutuellement. Ils renaissent de nouveau par la vertu du vent et sont de nouveau coupés en morceaux par les satellites ou les démons, et ils périssent et renaissent successivement jusqu'à ce qu'ils reprennent une nouvelle vie dans la région des monstres; ensuite ils deviennent animaux, puis hommes lépreux, fous, pauvres ou difformes. Un jour dans cet enfer équivaut à neuf cent mille années terrestres.

 

 

Le second enfer au-dessous du précédent comporte une lame de fer élastique qui frappe les corps des damnés. Les démons de cet enfer attachent les damnés avec des chaînes de fer et les étendent sur un pavé de fer rouge; alors ils font vibrer une lame de fer qui les coupe et les dissèque par morceaux. Mais les morts ressuscitent et cherchent à fuir; bientôt repris par les démons, ils sont soumis à des supplices nouveaux et variés et en même temps ils sont brûlés par le feu. Un jour dans cet enfer équivaut à trente-six millions d’années parmi les hommes. Quand les damnés sortent de cet enfer, ils sont encore tourmentés dans l'enfer supérieur, et ensuite passent par tous les ordres mentionnés plus haut. Tous ceux qui, excités par la colère, ont chargé de liens d'autres hommes ou des animaux, les faux talapoins, les menteurs, les brouillons, ceux qui ont étouffé par le feu dans leur retraite les rats ou les serpents vont dans cet enfer.

 

 

Le troisième enfer situé au-dessous du précédent est celui d'une montagne qui écrase les damnés; Ceux qui sont condamnés à cet enfer ont un corps de bœuf, de buffle, de cheval, d'éléphant, de cerf, avec une tête d'homme, ou un corps d'homme avec une tête de bœuf, de cheval, etc. Les démons les chassent comme des troupeaux, les frappent fréquemment avec des barres de fer rouge. Ils fuient entre deux montagnes qui bientôt se heurtent l'une contre l'autre, et les damnés sont tous broyés. Là aussi, aux quatre points cardinaux, sont des montagnes rondes qui roulent tour à tour et écrasent les animaux de cet enfer. Après la mort, la résurrection et de nouveaux tourments.  Y Sont condamnés tous ceux qui traitent durement les troupeaux et les bêtes de somme; les pécheurs et surtout les chasseurs. Ceux qui sortent de cet enfer doivent passer par tous les enfenfers supérieurs et par tous les autres degrés déjà cités. 

 

 

Le quatrième enfer est celui des pleurs et des gémissements des damnés; il est situé au-dessous du précédent. Il est rempli de fleurs de nymphéa, de fer rouge, très-serrées, épineuses, au milieu desquelles les damnés sont plongés et brûlent aussi bien intérieurement qu’à l'extérieur, en poussant des hurlements et des gémissements épouvantables. Sont condamnés à cet enfer pour quatre mille ans surtout les adultères de l'un et l'autre sexe, les faux témoins, les calomniateurs. Un jour dans cet enfer équivaut à cinq cent soixante-seize millions d'années terrestres. Lorsque leur temps est expiré, les damnés passent dans tous les petits enfers qui l'environnent, ensuite ils montent aux enfers supérieurs et ensuite par tous les autres degrés de peines déjà cités.

 

 

Le cinquième enfer est situé au-dessous du précédent,   il est aussi planté de fleurs de nymphéa armées de pointes de fer rouge sur lesquelles sont placés et brûlent les damnés qui poussent des hurlements horribles; mais toutes les fois qu'ils sautent en bas, les démons les broient aussitôt avec un maillet de fer. Nouvelle résurrection, nouveaux supplices. A cet enfer sont condamnés surtout ceux qui ont brisé les têtes des animaux, et ils sont tourmentés pendant huit mille ans.

 

 

Le sixième enfer est celui de la chaleur intense des charbons ardents et des flammes. Les damnés y sont mis à de grandes broches de fer; alors s'allume un grand feu qui les cuit. Quand ils sont tout à fait rôtis, les portes de l'enfer s'ouvrent d'elles-mêmes, et des chiens énormes armés de dents de fer se précipitent aussitôt et dévorent les chairs rôties des damnés, qui bientôt ressuscitent, sont de nouveau mis à la broche et de nouveau dévorés. Les incendiaires surtout et tous ceux qui ont fait cuire des animaux sont y condamnés et leur supplice dure seize mille ans.

 

 

Dans le septième enfer le feu est beaucoup plus intense que dans le précédent. II y a une montagne très élevée et escarpée que les damnés s'efforcent d'escalader pour échapper aux démons qui les poursuivent. Dès qu'ils sont arrivés au sommet de la montagne, un tourbillon de vent très violent les saisit, les précipite en bas, et ils tombent sur des pieux de fer rouge qui les percent et les brûlent. Leur supplice dure des millions d’années. Sont condamnés à cet enfer les rois cruels qui ont fait empaler des hommes.

 

 

Dans le huitième enfer, le feu brûle sans cesse et  cet enfer est plein de damnés, de sorte qu'il n'y a pas de place vide. C'est le dernier et le plus profond des enfers, il est plein d'un feu continuel au milieu duquel les damnés percés de toutes parts de broches brûlantes sont tourmentés par des flammes dévorantes depuis l'apparition du soleil et de la lune jusqu'à l'apparition du nuage qui annonce la destruction du monde. On met dans ce lieu tous ceux qui ont commis des péchés continuels, les rois avides de guerres, les persécuteurs des saints, les parricides, ceux qui ont tué leur mère ou un saint, les infidèles, c’est-à-dire, ceux qui sont hors de la religion, et ceux qui trompent les hommes par des comédies, des danses et des bouffonneries.

 

 

Chacun des huit grands enfers a pour cortège seize enfers plus petits dont le nombre s'élève donc à cent vingt-huit.

 

Ils ont aussi la forme d'un coffre de fer de trente lieues de longueur, de largeur et de hauteur. Ils sont placés par quatre, aux quatre angles de chacun des grands enfers. Le premier de ces quatre petits enfers est rempli d’excréments et y fourmillent de grands vers qui percent et tourmentent les damnés. Le second est plein de cendre brûlante dans laquelle les damnés sont plongés et se roulent jusqu'à ce qu'ils soient réduits en cendre. Le troisième est planté d'arbres dont les feuilles sont des glaives à deux tranchants. Lorsqu'un vent violent souffle, les feuilles tombent de toutes parts sur les damnés et coupent leurs membres par morceaux. En outre, des corbeaux et des vautours aux becs de fer se jettent sur eux, les déchirent, les dissèquent et dévorent toute leur chair avec les entrailles. Le quatrième est le fleuve salé, il est plein d'eau extrêmement salée. Les damnés font tous leurs efforts pour arriver près de ce fleuve afin d'apaiser leur soif; mais il faut marcher sur de grandes épines de fer qui leur déchirent tout le corps; et aussitôt qu'ils sont descendus dans l'eau, les démons les percent à coups de traits ou de trident, ou les pêchent avec des hameçons comme on pêche des poissons, et lorsqu'ils les ont tirés à terre, ils les broient, leur arrachent les entrailles et les coupent en morceaux. Quelquefois même, pour étancher leur soif, ils leur versent du fer fondu dans la bouche.

 

 

En dehors des enfers secondaires il y a dix autres petits enfers qui les entourent de chaque côté, ce qui fait quarante pour chaque grand enfer. On les appelle les régions du roi des enfers, et ils sont au nombre de trois cent vingt; mais il suffira de parler de dix, parce qu'ils sont disposés dix par dix et que chaque dizaine est semblable. Le premier de ces petits enfers est une grande marmite de fer dont l'ouverture a soixante lieues de diamètre, elle est pleine de fer fondu et bouillant, dans lequel on fait cuire les damnés comme des grains de riz dans un chaudron. Le second est rempli d’arbres épineux. Les damnés, serrés de près par les démons, essaient de monter sur les arbres dont les épines déchirent leurs corps les corbeaux et les vautours se jettent sur eux et avec leurs becs de fer ils les déchirent, leur arrachent les entrailles et dévorent leur chair à cause du fer fondu et bouillant dans lequel les démons plongent les damnés après les avoir enchaînés. Le quatrième, enfer est celui des balles de riz parce qu'il y a un fleuve auprès duquel accourent les damnés pour étancher leur soif; mais dès qu'ils ont mis de l'eau dans leur bouche, elle se change en balle de riz ardente qui brûle leurs entrailles. Le cinquième est peuplé de chiens monstrueux armés de dents de fer qui se précipitent sur les damnés et dévorent leur chair. Le sixième porte le nom des montagnes ardentes qui par une rotation rapide écrasent les damnés et les réduisent en poudre. Le septième est mer d'airain fondu dans laquelle nagent les damnés qui sont pris à l'hameçon par les démons, traînés au rivage où on leur fait alors avaler de l'airain fondu. Le huitième est plein de boulettes de fer rouge que les satellites font avaler aux damnés. Dans le neuvième enfer les damnés ont aux pieds et aux mains des lances au lieu d'ongles, et ils se déchirent eux-mêmes. Les démons munis de différentes armes les percent et les coupent de toute manière. Le dixième porte le nom des pierres qui écrasent. Là, les damnés sont exposés à une pluie continuelle de pierres brûlantes qui les écrasent et les réduisent en poudre

 

 

 

Il existe encore des enfers qui occupent l'espace entre les mondes joints et là où il y a trois mondes qui se touchent. Dans cet enfer règnent des ténèbres éternelles et très épaisses; c'est la demeure des infidèles et des impies qui pensent qu'il n'y a ni péchés ni vertus. Ils naissent dans cet enfer avec une figure horrible et un corps énorme; ils sont accrochés par leurs ongles aux montagnes qui sont les murailles du monde, comme les chauves-souris se suspendent aux arbres; si quelquefois ils se rencontrent, ils se mordent et se luttent jusqu'à ce qu'ils roulent en bas dans l'eau qui supporte le monde. Cette eau devient aussitôt corrosive et dissout tous leur corps. Ensuite ils ressuscitent et s'efforcent de remonter avec leurs ongles sur les murailles du monde; ils se rencontrent de nouveau, luttent, sont précipités dans les eaux corrosives où ils sont dissous, et leur supplice recommence sans interruption.

 

 

Cette longue description des enfers et des démons n’a probablement pas étonné Monseigneur Pallegoix, la croyance aux démons faisant partie des dogmes de son église (7).

 

 

LE MONDE DES MONSTRES

 

Au-dessus des enfers et dans les forêts est la région des monstres. Ces pret  (เปรต) sont hideux, ce sont l’équivalent de nos démons ou les âmes des morts. Il ne faut toutefois pas les confondre avec les PHI dont nous avons longuement parlé (8). Ce sont des fantômes affamés. Ils souffrent une soif continuelle mais ils ne boivent pas d’eau. Ils errent pour boire l'humeur qui coule des narines, la sueur, la salive, les flegmes, le pus, l'urine, les excréments, les charognes, toutes les ordures qui font leurs délices. Certains ont une bouche aussi petite que le trou d'une aiguille et souffrent une faim continuelle. D'autres, ressemblent à des squelettes, et répandent une puanteur insupportable. Quelques-uns ont la forme de serpents, de cerfs, de chiens, de tigres, etc. Il y a des pret qui n'ont qu'un pied, un œil, une main; il y en a qui vomissent des flammes par la bouche, dont te corps est enflammé, et qui ont des cheveux hérissés et brûlants; il y a des pret blancs, noirs, jaunes, gigantesques, couverts de tumeurs qui répandent du sang et du pus, à demi-pourris, avec une tête énorme, des ongles de fer rouge; qui ont un corps humain avec une tête de bête ou un corps de bête avec une tête humaine. Ce sont des damnés mais leurs peines peuvent être abrégées et même supprimées par les prières et les aumônes des vivants.

 

 

LES ANIMAUX PRIVÉS DE RAISON.

 

Les animaux sont incapables de sainteté. On les divise en quatre classes, les animaux sans pieds, les bipèdes, les quadrupèdes, les multipèdes.

 

 

On y compte les nagas ou serpents, qui ont la faculté de prendre la forme des hommes et même des anges :

 

 

Ils ont sous terre un royaume de cinq cents lieues de largeur et une ville magnifique resplendissante d'or et de pierres précieuses où habite leur roi. Ils sont doués d'une force admirable et soufflent un poison mortel peuvent même tuer les hommes par leur seul regard ou par le contact. Les Garuda sont des oiseaux monstrueux, avec le corps d'un homme et le bec d'un aigle; ils habitent le bas du mont Meru. Ils peuvent saisir et dévorer les nagas de la petite espèce, mais ils ne peuvent pas enlever les gros.

 

LES HOMMES

 

L'homme est appelé Manut  (มนุษย์) parce qu'il est doué de raison et d'intelligence plus que les autres animaux. C’est l’homo sapiens. Ils se divisent en deux classes,  les méchants et les sages.

 

 

Ils sont soumis à cinq commandements : ne pas tuer les animaux, ne pas voler et tromper, ne pas commettre la fornication et l'adultère, ne pas mentir, ne pas boire toute espèce de liqueurs enivrantes. Les hommes pieux en ajoutent trois : s’abstenir de nourriture depuis midi jusqu'à l'aurore; s'écarter des comédies, de la danse, des chansons, des fleurs et des parfums; ne pas dormir ni s'asseoir sur un lit précieux ou élevé de plus d'une coudée, ni sur des coussins.

 

 

Il y a trois prières à pratiquer et ceux qui les récitent pensent s'acquérir de nombreux mérites : La première est la récitation des trente-deux parties du corps humain, par laquelle on se rappelle l'instabilité des choses humaines et la mort (9). La seconde prière est l’énumération des qualités divines de Bouddha. La troisième est une invocation à Bouddha, à la nature et aux talapoins : « Je sais et je crois que Bouddha est mon refuge, je sais et je crois que la nature est mon refuge, je sais et je crois que les talapoins sont mon refuge ».

 

 

DE L'ORIGINE DES CHOSES.

 

Toutes les créatures ont un commencement qui n'apparaît pas. On ne connaît pas l’origine des choses et il n’est pas séant de faire des recherches sur cette origine.  Les bouddhistes ne reconnaissent donc aucune cause première créatrice, mais ils supposent toutes choses créées : Tout se fait, est gouverné et coordonné par le mérite ou par le démérite. Les vertus générales des tous les être doués de  vie conduisent à la reconstruction des mondes, des cieux et tous les biens en général. Les vices des animaux conduisent à la destruction des mondes, aux enfers, aux différents degrés de peines et à tous les malheurs en général : La beauté, la noblesse, les honneurs, les richesses, la santé et une vie heureuse proviennent des vertus de chacun dans ses vies antérieures de même que la difformité, une basse extraction, les opprobres, la pauvreté, les maladies et les infortunes découlent du démérite de chacun dans les temps passés.

 

 

DE LA TRANSMIGRATION DES ÀMES.

 

Nous sommes évidemment au cœur du bouddhisme. 

 

Quand une personne meurt,  aussitôt le mérite et le démérite se présentent à lui. Si c'est le mérite qui ouvre la voie le premier, il renaîtra dans une vie meilleure et plus heureuse. Si c'est le démérite qui ouvre la voie, il renaitra dans une condition plus méprisable, ou bien descendra de quelques degrés dans quelque degré des enfers ou dans la région des monstres. Ceux qui sont dans les cieux, lorsqu'ils meurent, passent sur la terre ou dans les enfers; mais ceux qui sont dans les enfers ne peuvent reprendre une nouvelle vie parmi les hommes, qu'après avoir passé par tous les enfers supérieurs en suivant les degrés, ensuite dans la région des monstres, la région des géants et enfin par le corps des animaux. Chacun subit des transmigrations innombrables, une succession continuelle de naissances et de morts. Excepté Bouddha et les saints du premier ordre, tous oublient leurs vies passées dont le souvenir est effacé à chaque fois par un certain vent.

 

 

Les âmes doivent nécessairement subir des transmigrations jusqu'à ce que, s'élevant peu à peu par les huit degrés de sainteté, elles soient délivrées de toute concupiscence et alors, ayant traversé la mer orageuse de ce monde, elles abordent au rivage tranquille et éternel que l'on appelle  le royaume immortel et précieux de la grande extinction ou anéantissement.

 

 

CONCLUSIONS.

 

Les conclusions du prélat n’ont rien pour nous étonner, c’est une position que nous retrouverons ainsi développée beaucoup plus tard chez le Pape Jean-Paul II (10)

 

« Quoique les bouddhistes donnent de grandes louanges à leur Bouddha, cependant on peut donc conclure que la religion des bouddhistes est une religion d'athées et quoique cette religion cherche à réprimer les vices par la crainte des châtiments, elle n'offre cependant aucune récompense aux vertus, sinon des plaisirs passagers, et à l'abîme épouvantable de l'anéantissement ! ». Nous ne résonnerons pas en théologien comme sa Sainteté Jean Paul II.

 

 

 

Mais ce texte du XIVe siècle a beaucoup à nous apprendre sur l'essence du bouddhisme et les racines de la culture siamoise. La monarchie thaïe est fortement influencée par les concepts hindous et bouddhistes de la cosmologie. Le monarque est considéré comme un demi-dieu et une réincarnation d'un dieu hindou, et un avatar de Rama, Vishnu, Shiva ou Indra  qui a le droit divin de gouverner son royaume et le devoir de protéger son peuple. Lorsque sa mission est accomplie, il retournera dans les cieux. Ainsi, lorsqu'un roi décède, on prépare le chemin de son ascension. Nous en avons eu une démonstration éclatante lors des cérémonies de crémation de feu le roi Rama IX le 26 octobre 2017 qui préparèrent son retour en tant que Dieu au mont Meru. Le complexe de la crémation reproduit le concept de la cosmologie bouddhiste tel que détaillé dans Traibhumikatha. Le bâtiment central et principal, est une structure  carrée en forme de tente avec un toit à plusieurs niveaux surmonté d'une flèche dorée, symbolise le manoir d'Indra au sommet du mont Meru (11).

 

 

Le Traiphum Phraruang connaît toujours en ce siècle une large diffusion y compris sous les formes actuelles de l’audio-visuel (12).

 

 

NOTES

(1) Voir nos articles

30 : Le déclin de Sukhotai sous le règne du Roi Lithai ? :

http://www.alainbernardenthailande.com/article-30-le-declin-de-sukhotai-sous-le-regne-du-roi-lithai-104137500.html

 

RH 15 :  LE ROI LITHAI DE SUKHOTAI (1347-1368 OU 1374). http://www.alainbernardenthailande.com/2017/05/rh-15-le-roi-lithai-de-sukhotai-1347-1368-ou-1374.html

 

(2) « Histoire du royaume thaï ou Siam », premier volume, chapitre XV, publié à Paris en 1854 : CHAPITRE QUINZIEME « ANALYSE DU SYSTÈME BOUDDHISTE, TIR DES LIVRES SACRÉS DE SIAM », pages 417-478.

 

(3) Cette volumineuse source du bouddhisme n’est en soi pas étonnante et de toute évidence la connaissance de ces textes dans leur globalité dépasse les capacités d’un bouddhiste « de base ». On peut être bon chrétien sans connaître les 217 volumes de la Patrologie de l’abbé Migne publiés entre 1844 et 1855 (Patrologia latina et Patrologia Graeca), ensemble des textes des pères et docteurs de l’église que l’on n’étudie que dans les facultés de théologie. Après des études de philosophie, les postulants à la Compagnie de Jésus (jésuites) à laquelle appartient le Pape François doivent étudier la théologie pendant 5 ans (licence et maitrise, certains pouvant aller jusqu’au doctorat). Nous ne sommes plus au niveau de la « foi du charbonnier » !

 

 

(4) Toute cette cosmologie repose sur une croyance en un univers infini. En sommes-nous si loin de nos jours ? Les scientifiques nous apprennent que le diamètre de l'Univers observable serait d’environ 93 milliards d'années-lumière soit 8,8 × 1023 km (8,8 × 1026 m), ou encore 880.000 milliards de milliards de kilomètres  et admettent aussi qu’il est en perpétuelle extension mais aucun d’entre eux n’est capable de dire s‘il est fini ou infini.

 

 

(5) Le Pape François a rappelé à l’occasion de plusieurs homélies le jour de leur fête, le 2 octobre, la réalité de leur existence. Il les compare à un « compagnon de voyage » : « Ce n’est pas une doctrine un peu fantaisiste sur les anges : non, c’est la réalité », avait-il déclaré en 2014. Et en 2015, lors de cette même fête, il déclarait encore : « Il est comme un ambassadeur de Dieu avec nous. Et le Seigneur nous dit ”Ayez du respect pour sa présence !” Quand nous faisons un mal et nous pensons que nous sommes seuls : non, il est là. (…) Le chrétien doit être docile à l’Esprit Saint. La docilité à l’Esprit Saint commence avec cette docilité aux conseils de ce compagnon de chemin ». Le livre de Werber, l’empire des anges a remis dans l’actualité la question de la réalité de leur existence.

 

 

(6) Voir notre article A 375 - DES ENFERS BOUDDHISTES À L’ENFER DES CHRÉTIENS : LA LÉGENDE DE PHRA MALAI

http://www.alainbernardenthailande.com/2020/06/a-375-des-enfers-bouddhistes-a-l-enfer-des-chretiens-la-legende-de-phra-malai.html

 

(7) N’oublions pas la parole attribuée à Saint Bernard : « la plus grande force du démon est de faire croire qu’il n’existe pas ». La tentation du Christ est l’un des épisodes des évangiles canoniques. Ils remplissent des pages entières de la bible. S’ils ne sont pas catégorisés comme les anges, ce sont les anges déchus. Ils sont en nombre incalculable mais à leur tête se trouverait Lucifer.

 

 

(8) Voir notre article A151. EN THAILANDE, NOUS VIVONS AU MILIEU DES "PHI" http://www.alainbernardenthailande.com/article-a150-nous-vivons-au-milieu-des-phi-en-thailande-123529919.html

 

(9) Ce sont les cheveux, les poils, les ongles, les dents, la peau, la chair, les nerfs, es os, la moelle, la rate, le cœur, le foie, les poumons, l'estomac, le péritoine, les gros boyaux, les petits boyaux, le chile, le suc gastrique, le fiel, les flegmes, le pus, le sang, la sueur, la graisse, les larmes, la graisse liquide, la salive, la morve, les tendons, l'urine, la cervelle.

 

(10) Voir notre article

A.35 Le bouddhisme est-Il athée ? :  http://www.alainbernardenthailande.com/article-a-35-le-bouddhisme-est-il-athee-79098567.html

 

(11) Voir Narongkan Rodsap, Bhu-sit sawaengkit et Nipatpong Pumma « The  Concept of TraiBhum Related to Building a Crematorium and the Royal Funeral Pyre »  in Journal of Humanities and Social Sciences, Vol. 6 (2) pp. 33-46 de février 2016.

 

(12) Une version en thaï est numérisée et facile d’accès :

https://vajirayana.org/ไตรภูมิกถาฉบับถอดความ

Il en est de nombreuses versions imprimées y compris à l’usage des plus jeunes.

 

 

Il est de nombreuses versions en animation vidéos :

http://www.youtube.com/watch?v=ylaZvvO3gag

http://www.youtube.com/watch?v=2WJcY2PVkHg

http://www.youtube.com/watch?v=6lriHpL99ww

http://www.youtube.com/watch?v=9ePpUo8qBAQ

SOURCES

 

Georges Coedès et M. Rœské : « L'enfer cambodgien d'après le Trai Phum (Trï Bhûmî) "Les trois mondes" ». In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 15, 1915. pp. 8-13;

Mikaelian Gregory et Michel Tranet : « Gambīr trai bhūmi / Traité [de cosmogonie] des Trois Mondes ». In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 89, 2002. pp. 423-429;

Hiram Woodward  « Bangkok Kingship: The Role of Sukhothai » in Journal of the Siam Society, volume 103 de 2015

Dr. Bonnie Pacala Brereton « Envisioning the Buddhist Cosmos through Paintings: The Traiphum in Central Thailand and Phra Malai in Isan » in Social Science Asia, Volume 3 Number 4, p. 111‐120, 2017

André Bareau «  G. Coedès et C. Archaimbault. Les trois mondes ». In: Revue de l'histoire des religions, tome 187, n°1, 1975. pp. 102-103;

André Bareau  et André. E. Denis « La Lokapannatti et les idées cosmologiques du bouddhisme ancien ». In: Revue de l'histoire des religions, tome 194, n°2, 1978. pp. 190-191;

Deux thèses :

PhraSrisudhammedhi (Suthep Phussadhammo) : « Theravada Buddhism's Influence on The King Lithai's Idea of Politics and Government : A Case Study of Tebhūmikathā » de l’Université Chulalongkorn, 1993.

Phramaha Somdeth Tapasilo (Srila-ngad) « AN ANALYTICAL STUDY OF DEVELOPMENT OF TEBHŪMIKATHĀ IN THAI SOCIETY », thèse de philosophie de l’Université Chulalongkorn, 2017

Ces trois ouvrages anciens furent écrits pour deux d’entre eux avant les écrits de Monseigneur Pallegoix mais rejoignent ses conclusions. Pour le dernier, le bouddhisme est un « paganisme athée » :

François-Marie Bertrand « Dictionnaire universel historique et comparatif de toutes les religions du monde, Tome 2 » publié par l’abbé Migne en 1851.

François-Timoléon Bègue Clavel « Histoire pittoresque des religions, doctrines, cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde anciens et modernes », Tome 1 1845

Abbé Paul de Broglie : « Cours d'apologétique chrétienne : année 1881-1882 », 1884.

 

 

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6 juillet 2020 1 06 /07 /juillet /2020 22:59
A 375 - DES ENFERS BOUDDHISTES À L’ENFER DES CHRÉTIENS : LA  LÉGENDE DE PHRA MALAI
Les ouvrages contemporains et érudits ne s’étendent en général guère sur la cosmologie bouddhiste et de deux de ses éléments fondamentaux: les enfers et les paradis, au moins dans le bouddhisme Théravada (1).

 

 

ENFERS ET PARADIS BOUDDHISTES
Enfers et Paradis font l’objet d’une monumentale iconographie, peintures murales, bas-reliefs, affiches, parc de loisirs ou jardins des temples donnant une représentation souvent morbide de ces enfers, souvent effrayante de réalisme (2). Sous le titre « Le wat des enfers », notre ami de Chiangmai nous en livre un aperçu aussi érudit que remarquablement illustré (3).

 

Nous y voyons reproduisant, avec fertilité d’invention les châtiments que Bouddha réserve à ceux qui transgressent ses enseignements. Les lois divines ont deux sanctions: un châtiment pour les coupables, une récompense pour les vertueux; l’enfer pour les uns, le paradis pour les autres. L’homme est ainsi partagé entre deux mobiles : la crainte de l’enfer et l’espoir du paradis. Les prêtres savent faire appel à l’une ou à l’autre. Il semble qu’ils se soient adressé de préférence à la peur, les souffrances physiques et les spectacles de torture qui impressionneront plus fortement les masses que les scènes d’extase ou de béatitude, dont la compréhension exigerait une plus grande intellectualité des fidèles et sont au demeurant pour l’artiste beaucoup plus difficiles à rendre plastiquement.

 

 

La littérature est surabondante: les Thais croient à la  rétribution des actes et s'intéressent aux mondes des enfers et des cieux. Beaucoup de textes y font  allusion, tels le Traibhumiphraruang (ไตรภูมืพระร่วง) (4) 

 

 

...ou celui qui nous intéresse, le Phramalai sûtra (พระมาลัยสูตร) parmi les plus connus. Ils décrivent ce que sont les sanctions des bonnes ou mauvaises actions commises au cours d'une vie. Les dévots les acceptent comme réalité et croient à la véracité de ces écrits surtout lorsqu’ils sont dictés par de saints hommes – comme Phra Malai - qui avaient visité ciels et enfers, les 457 enfers et les 26 étages de paradis (5). Des extraits du Sutra sont toujours lus aux mariages et aux  cérémonies funéraires. Son texte a été reproduit pendant des siècles sur les samut khoi (สมุดข่อย) du XVIIIe et XIXe siècle, conservés dans les collections de la Thaïlande, du Cambodge, du Laos ou de la British Library.

 

Manuscrit siamois du XIXe siècle conservé au musée d'art siamois de Cagliari

 

 

Phramalai est présenté par ses nombreux mérites et de par ses connaissances savantes, comme débarrassé des souillures, son rayonnement est comparable à la pleine lune illuminant le ciel de sa clarté. C’est un Arahant, c’est-à-dire un Saint. Lors de sa visite dans les enfers, il y accomplit des exploits extraordinaires en provoquant une pluie rafraîchissante, en faisant éclater la grande marmite qui servait à faire bouillir les damnés, en rendant l'eau bouillante fraîche, sucrée et savoureuse, en faisant briser la kapokier sauvage et en faisant disparaître la montagne de charbons ardents qui grillait les damnés, ce qui aurait interrompu temporairement leurs tourments et leur aurait permis de demander au saint homme de rendre compte de leurs misères à leurs parents vivant sur la terre et de les encourager à acquérir des mérites en leur faveur afin qu'ils puissent renaître au ciel. Revenu sur terre, il fit  connaître  aux fidèles réunis autour de lui ce qu'il avait vu en enfer. Par la suite, lors de la visite qu'il fera au paradis, il y rencontra toutes les divinités et notamment le futur Bouddha, qui lui aurait révélé qu'il viendrait un jour sur terre pour y apporter le bonheur, mais qu'il ne pourrait y venir que si les hommes suivaient la loi du Bouddha (6).

 

 

Un détail historique n’est pas sans intérêt: Le grand roi de l’inde, Açoka, qui fut l’un des propagateurs du bouddhisme, avait un bourreau officiel chargé d’exécuter ses sentences de mort. Un jour, Tchanda Girika (c’était son nom) visitait un ermitage où un religieux lisait à ses frères un sutra sur les supplices de l’enfer. Quand il eut terminé sa lecture, le moine se tourna vers le bourreau du roi et lui dit : « Mets ces tortures en pratique, Tchanda ». Et le texte nous apprend, qu’à partir de ce jour, les condamnés du roi furent traités comme les coupables dans les enfers (7).

 

 

Toute cette iconographie bouddhiste sur les enfers provient de ces sutras et de leurs multiples versions. «Quand j’aurais cent bouches, cent langues et une voix de fer, je ne pourrais jamais dire tous les genres de crimes ni passer en revue tous les supplices, écrivit Virgile (8).

 

 

Encore celles qui sont représentées ne constituent qu’un choix parmi toutes celles que commettent journellement les hommes. Ce choix répond aux fautes les plus communément relevées ou dont la disparition est désirable. Nous y trouvons la calomnie, l’adultère des femmes (celui des hommes n’y figure point),

 

 

...le mensonge, le meurtre d’un homme ou d’un animal domestique, le meurtre de la femme sur son mari, l’infanticide, le mariage entre parents au degré prohibé, la concussion et la dilapidation des ressources de la communauté. C’est un mélange étrange de manquements aux préceptes religieux et de fautes d’ordre administratif ou social. 

 

 

Bornons-nous à quelques exemples suffisamment précis pour marquer l’esprit de la doctrine et constituant  le thème officiel auquel devront se conformer les artistes indigènes chargés de donner un corps aux révélations de Bouddha et de traduire, en particulier, ses idées sur l’Enfer. Cette liste n’est évidemment pas limitative (9). Lorsque les âmes des coupables ont expié dans l’enfer particulier qui leur avait été assigné, la faute qui les y avait conduites, il leur reste une ultime épreuve, qui est subie dans le dernier royaume des enfers. Elle consiste à franchir un pont jeté sur un fleuve et qui est parsemé de trappes béantes ; les âmes en règle avec leurs Juges passent sans difficulté; celles à qui reste encore une obligation à remplir, ne les peuvent éviter et s’abiment dans le fleuve, où elles continuent à expier.

 

 

Tout comme le pèsement des âmes, le symbole du pont-épreuve se retrouve dans de nombreuses religions antiques, large comme une route, mince comme un cheveu ou tranchant comme une épée. Une conclusion s’impose, qui n'est point écartée des idées générales de la doctrine bouddhiste sur la répression des fautes. Toutes leurs réalisations même les plus naïves, se rattachent côté aux principes essentiels des Sutras, traduction ad usum populi des visions de Bouddha, ils sont fidèles aux enseignements des prêtres et à la tradition de la subordination de l’art au dogme.

 

 

Les dévots continuent à y croire, comme s’ils avaient connu cette parole de saint Jean-Chrysostome dans l’un de ses sermons « Si quelqu'un revenait de chez les morts, tous ses récits seraient crus »... même s’il n’est pas inutile de rappeler ce mot de Cicéron, parlant des Enfers de son temps : « On ne trouverait pas dans Rome une vieille femme assez radoteuse pour s’effrayer encore du Tartare » (i.e. des démons).

 

A 375 - DES ENFERS BOUDDHISTES À L’ENFER DES CHRÉTIENS : LA  LÉGENDE DE PHRA MALAI
LA MIGRATION DES RÉPRESENTATIONS DE L’ENFER BOUDDHISTE CHEZ LES CHRETIENS. 

 

 

 

Nous avons abordé à plusieurs reprises la possibilité d’une migration du brahmanisme ou du bouddhisme et de son appréhension par l’Eglise qui a, qu’on le veuille ou non, canonisé Bouddha (10).  Il existe dans la représentation chrétienne de l’enfer des éléments troublants :

 

Certes, la conception bouddhique des enfers diffère de la conception catholique sur deux points principaux :

 

Ils ne sont pas éternels, tout comme notre purgatoire.

 

 

 

Ils sont multiples, chacun d’eux semblant assigné à l’expiation d’une catégorie déterminée de fautes.

 

L’éternité des peines est contraire à la doctrine de Bouddha mais la durée du séjour aux enfers atteint des chiffres stupéfiants pour une imagination européenne : elle serait d’au moins seize cents millions d’années, pendant lesquelles les âmes sont incessamment tourmentées, déchirées, broyées, brûlées.

 

 

 

Heureusement pour elles que l’intercession est admise chez les bouddhistes comme chez les catholiques et les offrandes aux Juges infernaux peuvent abréger la durée du séjour, comme chez nous les prières hâtent la délivrance des âmes du purgatoire. Ne parlons évidemment pas de la question des indulgences qui ne se vendent plus mais ne sont pas bannies dans l’église même postconciliaire.

 

 

Un point est sûr est que dans l’art thaï ancien, exactement comme en France au Moyen âge, l’art est subordonné au dogme et l'artiste au prêtre. Se pose alors évidemment la question des sources. Comme le Christ, Bouddha n’écrivit jamais rien. Toute leur action s’est exercée en paroles et leur enseignement, distribué dans leurs conversations journalières avec ses disciples qui furent après leur mort  recueillies par eux et consigné dans des récits, les Sutras ou les Évangiles, qui les reproduisirent avec une fidélité plus ou moins grande.

 

 

Nos cathédrales, disait Huysmans, sont les « Dictionnaires du Moyen âge » et les représentations de l’enfer s’y étalent, fresques, verrières et le plus souvent les tympans des portails. Quelles en sont les origines ? La doctrine évidemment. Mais quelle doctrine ? Pour le concile de Nicée, la composition des images religieuses n'est pas laissée à l’initiative des artistes : elle relève des principes posés par l’Eglise catholique et la tradition religieuse : « L’art seul appartient au peintre; l’ordonnance et la disposition appartiennent aux Pères » (11).

 

 

Nous retrouvons ces représentations des tourments de l’enfer dans les sculptures de nos cathédrales. De toutes les sources d'inspiration, l'Apocalypse de Saint Jean vient au premier rang suivie de l'évangile de Saint Mathieu ainsi qu'une floraison d'histoires naïves et légendaires ou apocryphes que l'on peut seules rattacher au bouddhisme. Le document qui paraît le plus ancien est l'Apocalypse de Saint Pierre. C’est un texte apocryphe chrétien en grec, probablement rédigé dans le premiers tiers du IIe siècle en Égypte, et attribué à l'apôtre Pierre. Le texte remonterait au règne de Trajan et pourrait être attribué à un Grec d’Alexandrie ?

 

 

Ce texte qui ne fut découvert qu’au XIXe siècle n’était pas connu directement au moyen-âge mais il l’était par un autre, la « Vision de St Paul », un texte qui remonte au moins au IVe siècle et qui était connu de Saint Augustin et Saint Epiphane. Ce texte fondamental appartient évidemment aux pieuses légendes composées à diverses époques avec l'intention d'encourager les chrétiens à la pratique des vertus en mettant sous leurs yeux  l’affreux tableau des tourments réservés aux méchants dans l’autre monde. Il est le récit de la visite de Saint Paul aux enfers sous la conduite de l’archange Saint Michel. Or, ces textes furent durant les premiers siècles du christianisme, considérés comme canoniques tout autant que l’Apocalypse de Saint Jean.

 

Manuscrit du XVIe siècle (Bibliothèque nationale)

 

 

L’auteur évidemment inconnu semble avoir collationné des traditions venues d’Orient. Par ailleurs, les Grecs devenus chrétiens avaient peut-être quelques peines à se débarrasser de leur vieille mythologie  et de se figurer un enfer différent de celui de leurs aèdes ? Nous savons avec certitude que le christianisme s’est répandu en Asie avant de l‘être en Europe et que des églises nestoriennes existaient aux Indes aux Ve ou VI siècles avant d’être martyrisées par l’arrivée des missionnaires portugais qui s’empressèrent d’importer l’inquisition (12). Le texte venu d’Orient, s’est ensuite répandu en Occident et il y fut accueilli avec ferveur.

 

 

Nous bénéficions d’une remarquable analyse de la totale péréquation entre la description imagée (sculpture ou fresques) des tourments de l’enfer dans nos cathédrales au vu des souvenirs qu’a rapporté Saint Paul de sa descente aux enfers (13). L’auteur, Paul  Gendronneau,  est un fervent catholique en symbiose avec la hiérarchie et n’a rien d’un sceptique comme Cicéron !

 

Comme nous l’avons dit plus haut, tout comme Phra Malai, Saint Paul est revenu de chez les morts, donc on le croit.

 

Descente de Saint Paul et de l'Archange Saint Michel aux enfers (Nicolas Poussin)

 

 

Nous savons que dans les deux régions la figuration de l’enfer fut sous la dépendance de la doctrine religieuse de l'époque : des Sutras d’une part, des livres canoniques, plus ou moins canoniques (Apocalypse de Saint Jean) ou apocryphes de l’autre (Apocalypse de Saint Pierre et vision de Saint Paul). Ont-ils entre eux une relation ? Nous retrouvons  la même affabulation naïve, la  même imagination mystique et tourmentée, les mêmes descentes aux Enfers, les mêmes complaisances dans l’invention des châtiments, les mêmes distinctions méthodiques des fautes, le même groupement des coupables en vue d'une application collective des peines.

 

 

Ces textes se sont-ils rencontré et comment ? Les deux religions ont été missionnaires, Jésus dit à ses disciples : « Allez et enseignez les nations », Bouddha tenait des propos similaires. Les intentions de Bouddha furent suivies et des missions s’organisèrent, qui se répandirent dans toutes les directions : au Ve siècle avant notre ère en Perse où elles furent bien accueillies par les mazdéens et rayonnèrent sur les régions voisines du Tigre et de l’Euphrate. En l’année 256, le roi indien Açoka envoie deux nouvelles missions à la conquête de l’ouest, l’une, chez Antiochus, roi de Syrie, l’autre, à la Cour des Ptolémée d’Egypte. Toutes deux se livrèrent à la prédication, pratiquant avec habileté sans crainte de transiger sur les doctrines ce qui les fait accueillir sans défiance et leur permit de s’insinuer sans bruit dans les habitudes religieuses des populations où elles s'installèrent.

 

 

En Galilée, les Juifs avaient  été au contact des peuples travaillés par les missions venues de la Perse et il est possible que la secte quasi-monacale des Esséniens ait été marquée par la morale de Bouddha ?  Ils passent pour avoir été des premiers à embrasser le christianisme et lui avoir fourni nombre de disciples de la première heure,  qui, vraisemblablement, ne rompirent point complètement, du fait même de leur conversion, avec tout leur passé, et cela d’autant moins que la morale bouddhiste n’avait rien d’agressif à l’endroit de la religion nouvelle.  La mission d’Egypte fut  favorisée. Depuis l’expédition d’Alexandre aux Indes, un courant d’échanges commerciaux s’était établi entre Alexandrie et l'Extrême-Orient. 

 

 

Des Grecs d’Asie-Mineure ou d’Egypte géraient des comptoirs aux Indes et des Indous s’installaient à Alexandrie qui était alors la capitale intellectuelle du monde, un bouillon de culture de toutes les connaissances.  Faut-il s’étonner que quelques principes moraux et quelques légendes bouddhistes soient  passés dans le christianisme naissant ? L’influence du bouddhisme chez les Esséniens au sein desquels se recrutèrent les premiers chrétiens, est une certitude (14).

 

 

Au proche Orient, berceau du christianisme, il s’est rencontré avec le bouddhisme.

 

 

Quand on vit au contact d’un adversaire, il est de bonne stratégie de chercher à le mieux connaître. Nos missionnaires au Siam furent tous des familiers du bouddhisme ! Il est dès lors plausible que l’un de ces hommes ait eu l’idée d'introduire dans la légende chrétienne des récits inspirés des sutras en les voilant sous le masque de Saint Pierre et de Saint Paul. Qui composaient alors l’église des  premiers chrétiens ? Les épitres de Saint Paul sont significatives, en dehors d’une seule adressée aux Romains, elles sont adressées aux Corinthiens, aux Galates, aux Ephésiens, aux Philippiens, aux Colossiens, aux  Thessaloniciens, à Timothée qui est en Macédoine, à Tite qui est en Crète et à Philémon qui est à Colosse. Nous n’y voyons que des Grecs ou des populations grécisées pour lesquels il fallut traduire les textes sacrés en grec. Tous ces Grecs par tradition  étaient imprégnés des considérations homériques sur le châtiment rigoureux des fautes, la roue enflammée d’Ixion,

 

 

le supplice de Tantale,

 

 

le rocher de Prométhée

 

 

ou celui de Sisyphe.

 

 

Face aux supplices horribles de la tradition bouddhiste, les premiers chrétiens ne disposaient guère que d’un verset de l’Apocalypse : « Mais pour les lâches, les infidèles, les êtres abominables, les meurtriers, les prostitués, les sorciers, les idolâtres et tous les menteurs, leur part sera dans l'étang brûlant de feu et de soufre : c'est la seconde mort » (15).

 

 

Voilà qui était bien léger si l’on peut dire par rapport aux mythes grecs et aux sutras. En concurrence avec le paganisme grec, il était délicat de lui emprunter son arsenal et plus commode d‘utiliser les sutras en les dissimulant sous la forme d’une apocalypse suivant et complétant celle de Saint Jean ou d’une descente aux enfers de Saint Paul. Si nous utilisions le grotesque jargon contemporain, nous parlerions de « fake news ». Il n’est d’ailleurs pas exclu que Dante qui écrivait au XIIIe siècle y ait puisé. Quand on parlait de lui à Florence à cette époque, on disait « Voilà l’homme qui revient de l’enfer ».

 

L'enfer de Dante vu par Boticelli 

 

 

 

Paul  Gendronneau (13) nous donne une longue liste de représentations de l’enfer dans nos cathédrales du moyen âge relevant essentiellement de la vision de Saint Paul, scènes sculptées le plus souvent sur le tympan, sur des verrières ou des fresques (16).

 

Manuscrit de la bibliothèque de Toulouse

 

 

En dehors de son ouvrage fondamental (11) Emile Male a consacré un grand nombre de monographies à de multiples monuments religieux romans et gothiques.

 

 

ET LE PARADIS ?

 

Il n’est pas absent de l’iconographie bouddhiste, nous en avons un exemple dans des affiches sous titrées toujours en vente dans les temples représentant des scènes extraites de l’une des innombrables versions du Phra Malay mais elle n’est certes pas de celles qui ont pu inspirer les artistes du moyen-âge. Ce n’est pas la conception chrétienne de paradis  (17) ! Nous devons cette publication au grand érudit et pieux lettré que fut Anatole-Roger Peltier

 

 

 

Nous ne sommes plus au moyen-âge et la tendance actuelle de l’Eglise n’est pas de nier l’existence de l’enfer comme le fit Cicéron mais d’insister sur l’infinie miséricorde du Christ qui a pardonné à la femme adultère.

 

 

Des propos du Pape François reproduits par un journaliste italien en 2018 selon lequel « l’enfer n’existe pas  » ont été férocement démentis par le Vatican.

 

 

 

Terminons sur cette citation attribuée à Aristote

 

 

Amicus Plato, sed magis amica veritas (18).

 

 

 

NOTES.

 

(1)

1-1 : Le remarquable « Dictionnaire du bouddhisme » de l’Encyclopédia Universalis (1999)  ne leur consacré qu’un modeste chapitre et encore ne concernant que le bouddhisme mahayana.

1-2 ; Le « Understanding thai buddhism » de Manich Jumsai (1998) est beaucoup plus prolixe (ISBN 0-685-25238-8).

 

 

(2) Un bon exemple en est le  wat patéwaphithak  (วัดป่าเทวาพิทักษ์) près de Roiét.

 

 

(3) https://www.merveilleusechiang-mai.com/wat-des-enfers-le-temple-of-hell

 

(4) Cette « cosmologie des trois mondes » aurait été écrite par le roi Lithai  vers 1345. Elle a été traduite par Coédès en 1973 et sa datation a fait l’objet d’une très savante étude de Michael Vickery « A NOTE ON THE DATE OF THE TRAIBHUMIKATHA » dans le Journal de la Siam society , 1974-2.

 

 

(5) Les 457 enfers bouddhistes

Les grands enfers sont au nombre de huit, et chacun d'eux est entouré de seize enfers secondaires, ce qui fait un total de 136 enfers. Chacun des huit grands enfers qui se présente sous la forme d'un carré  est entouré de quatre enfers ussada  naraka (อุสสุทนรก) de chaque côté intérieur et de dix enfers de chaque côté extérieur, ce qui fait 456 enfers. En en rajoutant un autre situé à la limite de l'univers, nous avons donc un total de 457 enfers. Renaissent dans ces enfers ceux qui, dans le monde des hommes, ont suivi dix voies  d'actions mauvaises : trois par le corps (meurtre, vol, luxure), quatre par la bouche (mensonge, parole injurieuse, calomnie, discours frivole), et trois par l'esprit (vision incorrecte, malveillance, convoitise). Suivant la nature  des fautes commises, les êtres renaissent d'abord dans les grands enfers puis dans les enfers secondaires où ils « éprouvent des sensations atroces, douloureuses, intenses, âpres, amères, et ils ne meurent pas tant que [les fruits de leurs actions n'ont pas été entièrement consommés ».

 

 

Les 26 étages des paradis bouddhistes.

Ils sont divisés en vingt-six étages, les six premiers sont ceux du « monde du désir » et les vingt autres sont ceux du « monde de Brahman », dont seize du « monde de la forme » et quatre du « monde sans forme » où ne subsiste que l'esprit.  Renaissent dans les « six mondes du désir » ceux qui ont accompli diverses actions méritoires et dans le « monde de Brahma », ceux qui, dans le monde des hommes,  ont atteint grâce à la méditation les différents degrés de la sainteté.

 

 (6) L'histoire de Phra Malai est tiré du Phra Malai Sutra, livre qui aurait été écrit par un bonze de Ceylan en pâli en 1153 et réédité par un bonze de Chiengmai au XVIIIe siècle. Le plus ancien manuscrit connu date de 1516. Voir P. Schweisguth « Étude sur la littérature siamoise ». Paris, 1951, p. 128-129). 

 

(7) « Il y a des êtres, ô Religieux, qui renaissent dans les Enfers. Les gardiens des Enfers, après les avoir saisis et les avoir étendus sur le sol formé de fer brûlant, échauffé et ne faisant qu'une seule flamme, leur infligent le supplice qui consiste à être enchaîné en cinq endroits. Ces malheureux marchent avec leurs mains sur deux barres de fer ; ils marchent des deux pieds sur une barre de même métal ; ils marchent avec une barre de fer au travers du cœur. Car les Enfers, ô Religieux, sont remplis de souffrances, et ce sont là les cinq supplices qui y sont infligés. Mets ces tortures en pratique, dit-il à Tchanda Girika ; et celui-ci se mit à infliger aux criminels ces diverses espèces de supplices et d'autres semblables ». (Emile Burnouf : « Introduction à l'histoire du buddhisme indien » 1876).

 

(8) L'Enéide, livre VI.

 

 

(9)

1) Meurtre : Les femmes qui ont tué leurs maris sans intention de se remarier sont enchaînées et traînées par les démons jusqu’à un brasier qui les consume; Les femmes meurtrières de leur mari pour contracter un nouveau mariage sont plongées dans une chaudière d’huile bouillante.

Les assassins ordinaires sont ou bien suspendus à une potence et fortement bâtonnés par des démons, qui les mettent ainsi à mort ou bien écrasés sous une presse de pierre; Les hommes qui tuent des animaux domestiques appartenant à autrui ont la tête fendue à coups de hache. 

2) Vol : Les voleurs de bœufs ont la tête fendue à coups de hache.

3) Mensonge : Les menteurs et les trompeurs sont précipités sur des planches garnies de lances en fer ou bien ont la langue arrachée avec une tenaille; Ceux qui ont trompé leur maître ou leur ami pour en tirer un bénéfice se voient enfoncer un clou dans le ventre. 

4) Adultère : Les femmes adultères sont sciées de haut en bas comme un tronc d’arbre un fil noir. 

5)  Divers : Les femmes coupables d’avortement sont plongées dans un fleuve de sang où elles circulent ayant sur la tête une bassine pleine de sang.

Les ravisseurs de femmes mariées sont précipités dans le fleuve des enfers où des serpents les dévorent.

Les personnes qui contractent mariage malgré leur parenté ont le pied coupé.

Les gens coupables de trahison envers la patrie sont découpés en petits morceaux ;

Les oppresseurs du peuple sont brûlés dans un fourneau.

Les concussionnaires ont le ventre ouvert et leurs entrailles sont jetées aux chiens.

Les dilapidateurs des vivres de la communauté sont précipités dans des mortiers et pilonnés.

 

(10) Voir nos articles

(11) Il faut évidemment consulter l’étude fondamentale d’Emile Male toujours rééditée : « l'Art religieux en France au XIIIe siècle, étude sur l'iconographie du Moyen Âge et sur ses sources », 1899.

 

(13) Paul  Gendronneau « De l'influence du bouddhisme sur la figuration des enfers médiévaux ».

 

(14) Voir André Dupont-Sommer « Essénisme et Bouddhisme ». In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 124 année, N. 4, 1980. pp. 698-715.

 

 

(15) Chapitre XXI verset 8.

 

(16) Portails des basiliques gothiques d’Amiens, de Bourges, de Reims, de Rouen,  de Chartres, de Saint-Trophime d’Arles  portail de Bourges, de Notre-Dame de Paris ou de la Sainte- Chapelle,  de Chartres, de l’abbatiale de Sainte- Foy de Conques, de Saint- Maclou à Rouen, de  Saint-Dézert à Chalon-sur-Saône, du  portail central de la cathédrale de Nantes. Si beaucoup de fresques ont disparu, il subsiste celles de la Collégiale de Saint Junien (Haute Vienne)  et  surtout celles de la cathédrale Sainte-Cécile d’Albi. Pour les vitraux dont beaucoup ont disparu, subsiste néanmoins la rosace du jugement dernier à Chartres ou une autre autre à Strasbourg

 

Cathédrale de Strasbourg

 

 

Il subsiste également quelques précieux manuscrits dont celui de la bibliothèque de Toulouse :

Le passage du pont : 

 

 

Le supplice de la roue

 

(17) Anatole-Roger Peltier : « Iconographie de la légende de Brah Malay » In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient,   Tome 71, 1982. pp. 63-76.

Cette image illustre un passage suivant du Phra Malai :

 « Ceux qui naîtront à l'époque où le futur Bouddha donnera son enseignement vivront 80 000 ans. A ce moment-là, il pleuvra tous les quatorze jours, à minuit. Les hommes vivront dans l'abondance, les rivières auront un volume d'eau toujours égal, les fleurs s'épanouiront suivant les saisons et ce, jusqu'à l'éternité. Les hommes vivront proches les uns des autres. Il n'y aura pas de voleurs, ils vivront dans l'abondance de  nourriture, de biens, de pierres précieuses et de bijoux d'or. Maris et femmes se comprendront mutuellement et ne se querelleront plus. Les êtres jouiront d'un bonheur divin, ils n'auront pas à travailler la terre ou à faire du commerce, les femmes n'auront plus à filer le coton, car ils s'habilleront avec des vêtements divins, les ministres observeront les dix préceptes de la Loi et n'exerceront pas de pressions sur la population. Ils n'auront que de la compassion. Les animaux tels que corbeaux et hiboux, chats et souris, serpents et mangoustes, tigres et bœufs, vivront en amitié dans l'observance des préceptes, se nourriront d'aliments divins, seront riches. La terre sera plate comme la face du tambour de la victoire, dépourvue de pieux tranchants ou d'épines pouvant causer des blessures. Tous les hommes seront beaux et propres. Il  n'y aura pas de muets, de fous, d'aveugles, d'estropiés, de nains et de bossus. Quand ils se verront, ils auront de part et d'autre un sentiment plein de compassion, ils vivront dans un bonheur éloigné de toute souffrance, maladie et danger ».

 

 

(18)  Φίλος μεν Πλάτων, φιλτέρα δε ἀλήθεια : « Platon m'est cher, mais la vérité m'est encore plus chère ».

 

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8 juin 2020 1 08 /06 /juin /2020 22:12

 

 

Didier Treutenaere est diplômé en philosophie de l'Université Paris-Sorbonne. Eminent spécialiste de textes bouddhistes en langue pali, il vit en Thaïlande où il poursuit ses travaux d'écriture et de traduction d'ouvrages consacrés à la tradition Theravada.

 

 

Dans une série d’articles érudits d’une série « pour en finir... » – nous y reviendrons- il s’est étonné sinon irrité de l’utilisation d’une terminologie souvent abusive concernant cette branche du bouddhisme. Tel est le cas du mot « bonze » utilisé selon lui à mauvaise escient pour désigner les moines en robe safran qui occupent nos temples (1).

 

 

Qu’en est-il?

 

 

Le mot n’est pas d’origine ni siamoise ni pali ni sanskrite mais japonaise « bonzo » et a été utilisé initialement par les missionnaires ayant évangélisé ou tenté d’évangéliser le Japon et la Chine. Initialement donc, et en bon français, il concerne le Japon:

 

 

Pour les Encyclopédistes, ils sont les «Philosophes et ministres de la religion chez les Japonais» (2). Les mêmes dont l’érudition ne peut être mise en doute nous parlent des talapoins: « TALAPOINS, ou TALEPOIS, c'est le nom que les Siamois & les habitants des royaumes de Laos et de Pégu donnent à leurs prêtres»  (3).

 

Larousse en 1857 nous dit «prêtres ou moines de la religion de Bouddha  en Chine et au Japon» (4). Les talapoins sont de Siam (5)

 

Littré en 1873 les définit comme «prêtres chinois ou japonais de la religion bouddhiste» (6). Pour les talapoins, c’est «le nom donné aux prêtres bouddhistes au Siam par les Européens» (7).

 

Pour Becherelle  en 1880 – source inépuisable quand on veut connaître le bon français - ce sont des «prêtres chinois ou japonais» mais il définit de façon erronée les talapoins comme «des prêtres idolâtres de certaines parties de l’Inde. Ce sont des espèces de moines mendiants» (8).

 

Si les «bonzes» de l’Académie française généralisent actuellement le terme, ce que dénonce à juste titre Didier Treutenaere, dans leur édition de 1835 ils définissent les bonzes comme des «Prêtres chinois ou japonais» et les talapoins comme les « prêtres bouddhistes dans le Siam » (9).

 

 

Sautons un siècle. Cette origine japonaise nous est confirmée, comme nous le rappelle Didier Treutenaere, dans le «dictionnaire du bouddhisme» en 1999. « Le nom de bonze est d’origine japonaise (bonzo). Il désigne avant tout les religieux bouddhistes de certaines pays d’extrême orient: Chine, Japon, Vietnam... quoique l’usage du terme tende à se généraliser en Occident ou on l’applique  notamment aux communautés bouddhistes de Ceylan, de Birmanie, de Thaïlande et du Cambodge» (10).

 

 

Parler de bonze en parlant des moines du bouddhisme thaï est incontestablement un abus de langage.

 

Comment donc les appeler ?

 

Sont-ils des talapoins ?

 

Le mot a été utilisé d’abondance par les premiers voyageurs français des ambassades de Louis XIV. Il provient du terme siamois de talapat (ตาลปต้ร) qui est l’éventail en feuilles de palmier ou de latanier utilisé par les moines lors des cérémonies pour se couvrir le visage, devenu talapao pour les Portugais et talapoin pour les Français. C’est l’étymologie que donne Littré (7). S’il sert à se voiler du soleil, son utilisation est lourde de symbole puisqu’il signifie que ce qui est derrière lui n’est pas un homme mais la sainte doctrine.

 

 

Didier Treutenaere nous explique les raisons pour lesquelles il est tombé en désuétude. Il a d’ailleurs selon celui qui l’utilise une connotation tout à fait négative puisqu’en argot de l’école polytechnique et de l’école normale supérieure, abrégé en «tala», il désigne l’étudiant catholique qui respecte les commandements de l’église.

 

 

Comment les appelle-t-on en Thaïlande?

 

Ils sont des bhikkhu, terme venu du pali parfois écrit bhiksu,  devenu en thaï : ภิกษุ soit phiksu en suivant la transcription orthodoxe mais la transcription bhikkhu est la plus répandue.

 

 

 

Les religieuses sont des phiksuni (ภิกษุณี), des maechi (แม่ชี) ou plus volontiers des chi (ชี)

 

 

... et les "bonzillons" ou novices sont des nen (เณร). Ne revenons pas sur les origines pali ou sanskrite de ces vocables, Didier Treutenaere nous les détaille du poids de son érudition (11).

 

 

Ce terme de phiksu ou bhikkhu est du langage choisi et soutenu. Il semble que dans le quotidien, les Thaïlandais du peuple utilisent plus volontiers celui de phra (พระ). Phra est un mot fourre-tout, souvent préfixe qui indique la grandeur ou la sainteté. Pris ut singuli, il désigne tout aussi bien un moine qu’une représentation de Bouddha. Il en est probablement ainsi en Isan et au Laos. La traduction du mot «bonze» donne celui de phra et non de phiksu ou bhikkhu dans le dictionnaire fondamental de la langue lao, celui de Monseigneur Cuaz. Lunet de la Jonquères dans son dictionnaire français-siamois donne pour le mot «bonze» et celui de «talapoin» la traduction phra (พระ). L’un et l’autre ne sont pas des érudits spécialistes de sanskrit et de pali mais des hommes de terrain dont la connaissance de la langue est celle de la langue parlée (12).

 

 

Le premier dictionnaire significatif anglais-siamois de Mac Farland donne également la traduction phra (13).

 

 

Que pensez de tout cela?

 

 «Je vis de bonne soupe et non de beau langage  – Vaugelas n’apprend pas à bien faire un potage » s’écrit Chrysale dans « Les femmes savantes » (14).  C’est une évidence mais pour penser correctement, il faut utiliser les bons mots. Notre langue est assez riche pour nous permettre d’éliminer, lorsque nous parlerons de religieux du bouddhisme théravada, le terme de « bonze »

 

Pourquoi ne pas parler tout simplement de «moines» ou de «prêtres», de «nonnes» ou de «religieuses» et de «novices»?

 

« C'est sérieux, les mots qu'on emploie. Il faut chercher le mot juste afin d'être bien sûr de penser selon une vérité profonde. Les mots aident à la découvrir ». (Marguerite Beaudry).

 

 

NOTES

 

(1) «Pour en finir avec le mot « bonze » - Étymologie, définitions et utilisation raisonnée du mot « bonze » »

https://www.academia.edu/35804594/Pour_en_finir_avec_le_mot_bonze_-_%C3%89tymologie_d%C3%A9finitions_et_utilisation_raisonn%C3%A9e_du_mot_bonze_

 

(2) « Encyclopédie » tome II - BE-CEZ

 

 

(3) « Encyclopédie » tome XXXXII – SUG – TENACITE

 

 

(4) « Grand Larousse du XIX  siècle », tome II.

 

(5) « Grand Larousse du XIX  siècle », tome XIV.

 

 

(6) « Dictionnaire de la langue française » tome I.

 

(7) « Dictionnaire de la langue française » tome IV.

 

(8) « Dictionnaire classique de la langue française ».

 

 

 

(9) « Institut de France- dictionnaire de l’Académie française » 6e édition, 1835.

 

 

(10) « Dictionnaire du bouddhisme – Encyclopedia universalis chez Albin Michel

 

(11)  Le « Pali-english dictionary » de W. Rhys Davids donne les deux orthographes bhikkhu et bhiksu qu’il définit comme un « moine ou un prêtre bouddhiste ».


 

 

(12) Pour Monseigneur Cuaz dans son « Lexique français-laocien » de 1904, il est pha (พะ), le « r » est souvent avalé.

 

 

Le « dictionnaire français-siamois » de Lunet de la Joinquères est de la même année.

 

 

13) « An english siamese dictionary » Bangkok, 1903.

 

 

(14) Acte II scène VII.

 

 

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18 mai 2020 1 18 /05 /mai /2020 22:30

 

 

Maha Sila Wirawongs (มหาสิลา วีระวงส์) est né sous le nom de Sila Chanthanam (สิลา จันทะนาม) dans le village de Ban Nong Muen Than (บ้านหนองหมื่นถ่าน) alors dans le district de Selaphum (อำเภอเสลภูมิ), actuellement district de At Samat (อำเภออาจสามารถ) dans la province de Roi-Et (จังหวัดร้อยเอ็ด). Son père était Sen Chanthanam et sa mère Da Chanthanam. La naissance eut lieu le 1er août 2448 (1905), le 1er mardi du 9e mois lunaire, à 12 h 30. Sa biographie sur Wikipédia en thaï est sommaire (1): Important érudit du Laos, auteur de livres d’érudition, il participa à la création du drapeau du Laos indépendant

 

 

 

 

...et à la simplification de l’alphabet lao en 1933. Elle est sur le site français plus circonstanciée (2)  puisqu’il est rajouté qu’il fut historien, philologue, «figure intellectuelle de la lutte pour l’indépendance du Laos» comme militant actif du mouvement indépendantiste non communiste Lao Issara (ลาวอิสระ), ce qui lui valut un exil en Thaïlande en 1946, secrétaire du richissime Prince Phetsarath, vice-roi de Luang Prabang, autre figure de la lutte pour l’indépendance et «rénovateur de la culture lao». Mais l’article est féroce dans ses conclusions «S'il fut bien une figure marquante de la reconstruction de l'identité nationale lao, par leur manque de rigueur scientifique dans la méthode et leur parti pris nationaliste les travaux du Maha Sila n'ont désormais plus qu'un intérêt historio-graphique». Son travail historique a été critiqué par exemple sur un autre site thaï «Bien sûr, le livre d'histoire de Maha Sila Viravong comporte de nombreux défauts ...» (3). 

 

 

Nous avons cherché plus avant dans ces critiques au vu des très rares œuvres de Sila qui aient été traduites en français, il n’y en a que deux:

 

Il a publié à Vientiane en 1957 «Phongsavadan Lao». Ce sont les chroniques du Laos dont il fait l’histoire du Laos. L’ouvrage fait l’objet d’une critique vinaigrée de Pierre Bernard Lafont (4) «Ce livre est le premier ouvrage d'histoire ayant été écrit en lao par un Lao. Son auteur, le Maha Sila, est membre du Comité littéraire et a la réputation de connaître parfaitement la littérature nationale. Cet ouvrage, qui vise à embrasser l'histoire lao de sa genèse à 1889, ne satisfait pas pleinement le lecteur, car il ne répond pas aux espoirs que suscite son introduction...». Il lui est reproché des erreurs grossières, des omissions abondantes, une absence totale de référence à ses sources, une absence de recherche critique dont il est cité de nombreux exemples. « Ces quelques exemples, pris au hasard, suffisent amplement à prouver que cet ouvrage ne doit être utilisé qu'avec une grande prudence».

 

 

 

L’érudition de P.B. Lafont ne peut être mise en doute : Décédé à Paris en 2008, il fut membre de l’Ecole française d’extrême Orient de 1953 à 1966 en poste au Vietnam et au Laos avant d'occuper la chaire «Histoire et civilisations de la péninsule indochinoise» à la IVe section de l'École pratique des hautes études et de créer au CNRS une unité de recherche associée (URA 1075) consacrée à l'histoire de la péninsule indochinoise. Il reçoit le prix Brunet de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres pour avoir relancé les recherches sur le Champa.

 

 

 

Une critique de Michel Lorillard plus récente est tout aussi critique et lui reproche plus courtoisement de ne citer aucune source et aucune extérieure au Laos (5).

 

Colonisation oblige, les dictionnaires de la langue Lao ont été nombreux. Sila Viravong  publia en 1962 un «dictionnaire français-lao». Celui-ci faisait suite à plusieurs ouvrages similaires. Le premier, sommaire, en 1894 dans le cadre de la Mission Pavie, sous la signature de M. Massie.

 

 

Un autre du Docteur Estrade en 1896, moins sommaire.

 

 

Celui de Monseigneur Cuaz ensuite en 1904, «lexique français-laocien». Un Dictionnaire français-laotien» de Guy Cheminaud fut publié en 1906,

 

 

un autre de Théodore Guignard, un missionnaire des Missions étrangères en 1912. Celui de Monseigneur Cuaz, considéré comme le plus sérieux, avait incontestablement besoin d’être rafraichi.

 

 

A l’occasion de la publication d’un dictionnaire français-lao de Pierre Somchine Nginn à Vientiane en 1969 et de sa critique, nous lisons ce commentaire qui n’est plus au vinaigre mais au vitriol, il est signé de Pierre-Marie Gagneux: « Il n'existait pas, à proprement parler, jusqu'à ces derniers mois, de bon lexique Français-Lao : ceux de Meyer, de Monseigneur Guaz, avaient beaucoup vieilli et étaient devenus introuvables. Un « Dictionnaire Français-Lao » avait bien été publié en 1962, sous la direction du Maha Sila Viravong alors membre influent du Comité Littéraire Lao, mais il présentait de graves imperfections. Il avait en effet été réalisé de façon plutôt simpliste en prenant la suite intégrale des mots du « Petit Larousse Illustré » et en en donnant une vague explication-traduction en langue lao. On y trouvait des mots aussi courants que : «chromique, dysurie, ébroïcien, interfolier, etc.», j'en  passe et des meilleurs ... Par ailleurs il fourmillait de coquilles et même d'erreurs graves ....» (6).

 

 

 

Ces articles ne nous permettent pas de connaître cet érudit venu de notre Isan et dont le culte est toujours présent au Laos.

 

Le personnage est en effet plus complexe, nous l’avons découvert dans un texte de Grégory Kourilsky «DE PART ET D’AUTRE DU MÉKONG le bouddhisme du Maha Sila» (7). 

 

Cet article qui est le premier, en français tout au moins, consacré à ce personnage est d’autant plus intéressant qu’il repose sur une solide bibliographie dont beaucoup d’ouvrages en lao plusieurs douzaines, une soixantaine, écrits par Sila entre 1927 et 2004 y compris un récit autobiographique publié en 2004, la plupart en langue lao que nous ne connaissons malheureusement pas et publiés après sa mort en 1987. Deux seulement ont été traduits en anglais: son histoire du Laos et son autobiographie.

 

 

Il est en effet un aspect qui échappa totalement à ceux qui s’intéressèrent à lui c’est qu’en dehors d’une littérature profane son œuvre est plus essentiellement tournée vers le bouddhisme.

 

Il naquit sur la rive droite du Mékong dans le Champassak (8).

 

Rappelons brièvement son histoire: au tout début du XVIIIe siècle, le royaume de Lan-Xang se scinda en trois royautés ou principautés distinctes : Luang Prabang, Vientiane et Champassak. Leur délimitation géographique stricte est d’ailleurs difficile à faire, car nous ne disposons que de  cartes sommaires.

 

 

Celles- ci passèrent sous tutelle siamoise. En 1828, après la tentative d’insurrection du roi Anouvong, les Siamois rasèrent Vientiane et mirent fin à sa dynastie. Le Champassak tomba sous administration siamoise et le prince fut remplacé par un gouverneur. Le 3 octobre 1893, les territoires de la rive gauche du Mékong passèrent sous la tutelle des Français, le Siam conservant, à l’exception de la province de Xayaburi, les territoires de la rive droite anciennement apanage des principautés ou royaumes lao. Cette région devint l’«Isan» ce qui signifie «Nord-est» en sanskrit. Le Mékong, frontière politique sépare la population Lao en deux groupes distincts, quelques millions seulement sur la rive gauche, aujourd’hui 20 ou 25 sur la rive droite.

 

 

Elle fit alors l’objet d’une « siamisation », en particulier en matière religieuse depuis Bangkok. Kourilsky s’étend sur cette expansion religieuse du nouvel ordre Dammayakutika Nikaya (ธรรมยุติกนิกาย) fondé par le roi Rama IV probablement en 1824 bien avant qu’il ne monte sur le trône, pour revenir aux canons originaires du bouddhisme en pali (9).

 

 

Sila Chanthanam naquit avons-nous dit en 1905 dans ce petit village de l’Isan. Sa famille est paysanne. Elle est originaire de la province lao du Champassak et ses ancêtres s’installèrent au XVIIIe siècle sur la rive droite. Ce que nous savons de sa vie vient de l’article de Kourilsky (7). Il est probable sinon certain que dans la famille, on parlait le lao et non le thaï.

 

Il reçut l’éducation traditionnelle antérieure à l’introduction de l’école obligatoire en 1917.

 

 

 

Son éducation se fit donc au temple. Il y apprit l’écriture tham (อักษรธรรม) utilisée sur les manuscrits à caractère religieux.

 

 

 

À l’âge de onze ans, il est ordonné novice et étudie alors l’écriture khom (อักษรขอม) écriture khmère archaïque utilisée pour les textes sacrés en pali et bien évidement l’écriture thaïe.

 

 

Il quitta la robe safran pour des raisons de santé en 1917 et intégra alors le système d’éducation primaire laïc. Son père mourut en 1920, son frère aîné qui avait pris la robe dut retourner travailler les champs et Sila fut à  nouveau ordonné.

 

 

Pour des raisons familiales, il quitte le village pour Roi Et où il poursuit ses études laïques tout en demeurant novice. Un différend familial le décidera en effet à quitter son village natal pour la ville de Roi-Et où il put poursuivre ses études à l’école élémentaire. Il a alors seize ans. Il découvre l’enseignement bouddhique mis en place par le prince Vajirayan, le nom d’abbé du fut roi Rama IV.

 

 

Il quitta Roi-Et pour un monastère d’Ubon Rachathani en vue de s’initier au pali. Le chef religieux du district remarqua ses qualités, le prit sous sa protection et le fit à nouveau ordonner novice dans l’ordre du Dammayakutika en 1922 dans son temple d’Ubon dans l’enceinte duquel il atteignit les niveaux supérieurs de pali et de Dhamma. En 1924, il rencontre Phra Maha Viravongs (พระมหาวีระวงส์), haut dignitaire dhammayut pour tout le nord-est.

 

 

Celui-ci se prit d’affection pour lui jusqu’à l’autoriser à porter son propre nom patronymique. Sila prit alors la décision de partir à Bangkok pour mener plus en avant ses études religieuses. Il s’installa dans un monastère dhammayut de Bangkok où il reçut l’ordination plénière, le voilà moine à part entière et honoré du titre de Maha (le grand). C’est à cette époque qu’il aurait eu ses premiers élans nationalistes ? Apprenant la création par les Français en 1929 d’une bibliothèque et d’une école de pali dans la capitale laotienne, il prit la décision de se rendre à Vientiane accompagné par d’autres religieux lao de l’Isan. Il s’agissait pour les Français de réagir contre l’emprise de Bangkok sur l’enseignement diffusé dans la capitale où des moines birmans, khmers et laos venaient recevoir l’ordination et suivre un enseignement religieux. Ce fut une initiative du résident supérieur français pour réagir contre cet état de fait. L’institution fut placée sous le patronage de l’École française d’Extrême-Orient et dirigée par le prince Phetsarath. Peu après son arrivée il prit définitivement le nom de Maha Sila Viravongs et se vit dans l’obligation de quitter la robe en raison de l’aversion qu’éprouvait l’abbé du Vat Sisaket, chargé des affaires religieuses de la province, pour les moines de l’ordre du Dhammayuṭ. Il est possible aussi qu’il ait souhaité se marier. La place à la tête des écoles de pali était vacante, Sila Viravongs, avait atteint les plus hauts niveaux dans la connaissance du pali, il tomba donc à pic. Il prit le poste en 1931 et réorganisa  totalement l’enseignement du pali sur le modèle siamois mis en application dans la province d’Ubon en partie par son propre maître, le Phra Maha Viravongs. Il rédigea lui-même les premiers manuels d’enseignement. Il s’écarta aussi des méthodes siamoises en incluant dans l’enseignement des matières séculières, mathématiques et astrologie.

 

 

Il rédigea alors un manuel de grammaire pali qui sera publié en 1938 par l’Institut bouddhique de Vientiane. Il se consacra encore à l’élaboration d’un alphabet lao élargi  et instaura des règles nouvelles pour l’écriture du pali dont nous savons qu’il n’a pas d’écriture spécifique, et des mots lao d’origine pali-sanskrite. Encouragés par Louis Finot et George Cœdès, le Prince Phetsarath et le Maha Sila réunirent une commission des membres de l’Institut bouddhique de Vientiane chargée d’aménager l’alphabet lao afin que celui-ci puisse transcrire correctement le pali et le sanskrit. Dès son arrivée à Vientiane 1929 il composa une douzaine d’ouvrages publiés par l’Institut bouddhique qui, en dehors d’une Grammaire lao en 1935, sont tous à caractère religieux.

 

 

En raison de son engagement grandissant auprès du prince Phetsarath dans des activités politiques anti-françaises, il fut révoqué par l’administration coloniale de son poste de professeur de pali par arrêté du 10 février 1941. Il rejoignit alors Bangkok où il travailla quelques années à la bibliothèque Vajirayan, conservatoire du savoir thaï en matière de littérature, de liturgie, d’histoire et de culture, au point de devenir l’une des représentations institutionnelles de la grandeur de la nation siamoise. Il y travailla aux côtés de Phya Anuman Rajadhon, le grand lettré siamois.

 

 

Paradoxalement, baigné dans ce bouillon de culture siamois, il va développer son intérêt pour la culture lao en faisant d’ailleurs l’exégèse de  nombreux textes pali conservés à la bibliothèque. Ses travaux publiés à Bangkok portent alors non plus seulement sur les écrits canoniques et la liturgie pali. Nous y trouvons une étude sur les anciens rites funéraires, d’autres sur les techniques de méditation et des textes de la littérature traditionnelle de l’Isan qui n’ont rien de religieux. Considéré par les autorités de Bangkok comme un «activiste de l’Isan», il dut en 1948 retourner au Laos pour se consacrer à la vie politique dans un climat tendu avant l’indépendance en 1954. Il y occupa divers postes administratifs entre 1948 et 1952. Il reprit ses activités littéraires lorsqu’il fut nommé au Comité littéraire créé au sein du Ministère de l’éducation tout en continuant à donner des cours à l’école de pali. Il publia alors des textes de la littérature séculière mais aussi beaucoup de textes religieux. Nous y trouvons une vision moderne et rationnelle des textes bouddhiques et un intérêt porté aux conceptions traditionnelles. Nous y trouvons enfin un intérêt de plus en plus manifeste pour la culture villageoise dont il est issu. Ses Mémoires s’ouvrent sur un parfum de nostalgie : «Je suis un enfant de la campagne, de ceux qui naissent au milieu des mottes de terre, chevauchent les buffles, qui savent ramasser grenouilles et rainettes, récolter des plantes, casser le bois et chercher de la nourriture dès qu’ils sont hauts comme trois pommes. Je suis un enfant de fermiers, à des lieues de la modernité de la vie citadine». Elles n’ont pas, comme la plupart de ses écrits, été traduites en français; nous citons donc Kourilsky.

 

 

Le culte dont il fait encore l’objet au Laos, où il mourut en février 1987, est rendu au plus grand des promoteurs de la culture lao dont le bouddhisme n’était que l’un des éléments. Ses publications sont basées aussi sur le corpus local en dehors des sources siamoises. Kourilsky débute son article par ce qui est en réalité une conclusion «Le Laos n’a connu de véritable communauté de lettrés que pendant une quarantaine d’années, de 1930 à 1970 environ. Le plus important d’entre eux fut incontestablement le Mah Sila Viravongs (1905-1987), sans doute le premier « érudit moderne » lao, c’est-à-dire un savant au sens académique du terme, faisant valoir une perception des connaissances en tant qu’objet d’étude, par opposition aux maîtres traditionnels dont le savoir est corrélatif de pratiques religieuses devant mener à un progrès spirituel ». Il est une exception unique compte tenu du confinement dans lequel le pouvoir communiste circonscrit la recherche hors toute analyse critique depuis 1975.

 

 

Il aurait été injuste de nous en tenir à ces visions négatives que nous avons citées au début de cet article. Malheureusement Sila n’a publié que de rares articles en thaï en 1927, un article sur la vie de Bouddha et un autre sur le Vessantara Jataka, d’autres entre 1942 et 1950 tous à Bangkok et tous religieux. Le reste de son œuvre est en lao, rien en Français bien que ses fonctions à Vientiane lui imposaient de connaître la langue en dehors de son médiocre dictionnaire, de son livre d’histoire et d’une vie du prince Phetsarath publiée post mortem en 2008 (sauf omissions ?)  et rien en Anglais ce qui n’est pas dramatique. Remercions Kourilsky d’avoir fait l’analyse de cette œuvre. 

 

 

NOTES

 

(1) https://th.wikipedia.org/wiki/สิลา_วีระวงส์

 

(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Sila_Viravong

 

(3) https://sites.google.com/view/morradokisan-db/ป-58/สลา-วระวงส

(4) « Phongsavadan Lao » In : Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 50 n°2, 1962. pp. 573-574.

 

(5) « Quelques données relatives à l'historiographie lao » In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 86, 1999. pp. 219-232;

 

(6) « P. S. Nginn : Dictionnaire français-lao ». In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 57, 1970. pp. 236-237.

 

(7) In revue Archipel n° 56 de 2008. Kourilsky est doctorant de l’école des hautes études en sciences sociales, il s’est spécialisé dans l’étude du bouddhisme lao-thaï et auteur de nombreux articles sur le sujet en particulier sur l’écriture sacrée tham à laquelle nous avons-nous même consacré un article A 304 « VERS UNE RENAISSANCE DE L’ANCIENNE ECRITURE ISAN ? » :

http://www.alainbernardenthailande.com/2019/02/a-304-vers-une-renaissance-de-l-ancienne-ecriture-isan.html

Nous lui devons sur ce sujet

« Exemple d’écriture oubliée par Unicode – l’écriture tham du Laos » (2005).

« L’ECRITURE THAM DU LAOS : RENCONTRE DU SACRE ET DE LA TECHNOLOGIE »

« Towards a computerization of the Lao Thai system of writing » (2005).

 

(8) Sur l’histoire de cet ancien royaume devenu province siamoise, voir l’article de Pierre Lintingre : « Permanence d'une structure monarchique en Asie : le royaume de Champassak » In: Revue française d'histoire d'outre-mer, tome 59, n°216, 3e trimestre 1972. pp. 411-431.

 

(9) Les raisons qui conduisirent le roi à initier cette réforme sont particulièrement complexes, beaucoup plus en tous cas qu’un simple retour aux sources originaires pali : voir en particulier le chapitre « King Mongkut’s Buddhist Reform: An Ethical  Transformation in Thai Buddhism and Invention of a Pali Script » dans l’épais ouvrage « Bouddhisme and ethicssymposium volume », compte rendu d’une conférence tenue à Ayutthaya du 13 au 15 septembre 2008. Nous savons qu’à cette fin, il inventa une écriture spécifique pour transcrire universellement le pali ce qui fut un échec :

Voir notre article A 352 « อักษรอริยกะ - LE ROI RAMA IV CRÉE L’ALPHABET ARIYAKA – L’« ALPHABET DES ARYENS » – POUR TRANSCRIRE LES TEXTES SACRÉS DU PALI ».

http://www.alainbernardenthailande.com/2020/02/a-352-le-roi-rama-iv-cree-l-alphabet-ariaka-l-alphabet-des-aryens-pour-transcrire-les-textes-sacres-du-pali.html

 

Le roi inventa alors un système appelé karnyut spécifique au thaï sur la base de l’alphabet thaï.

 

Les pieux bouddhistes qui souhaitent étudier les textes pali, à défaut d’une écriture universelle après l’échec de l’arikaya, peuvent les trouver en écriture romanisée d’abord, en écriture brahmi, en écriture devanagari, en écriture cingalaise, en écriture birmane, en écriture khom (khmère), en écriture tham, en écriture lao simplifiée et en arikaya pour les puristes, le souvenir n’en serait pas totalement perdu ?

 

Arikaya imprimé  :

 

 

Arikaya manuscrit : 

 

 

En écriture thaïe, le karnyut est pour les Thaïs beaucoup plus simple, il utilise 8 voyelles au lieu des 32 de leur alphabet, 33 consonnes au lieu de 44 de la grammaire. La langue pali n’étant pas tonale, il n’y a pas de signes de tonalité. Voir « An easy introduction to Pali », publication de l‘Université de Cambridge, 2018.

 

 

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