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  • : Le blog des Grande-et-petites-histoires-de-la-thaïlande.over-blog.com
  • : Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
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  Il était une fois Alain, Bernard …ils prirent leur retraite en Isan, se marièrent avec une Isan, se rencontrèrent, discutèrent, décidèrent un  jour de créer un BLOG, ce blog : alainbernardenthailande.com

Ils voulaient partager, échanger, raconter ce qu’ils avaient appris sur la Thaïlande, son histoire, sa culture, comprendre son « actualité ». Ils n’étaient pas historiens, n’en savaient peut-être pas plus que vous, mais ils voulaient proposer un chemin possible. Ils ont pensé commencer par l’histoire des relations franco-thaïes depuis Louis XIV,et ensuite ils ont proposé leur vision de l'Isan ..........

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Merci d’être venu consulter ce blog. Si vous avez besoin de renseignements ou des informations à nous communiquer vous pouvez nous joindre sur alainbenardenthailande@gmail.com

25 septembre 2014 4 25 /09 /septembre /2014 03:02

titreNous avons longuement disserté sur le roi Chulalongkorn dont il est dit partout, sous une forme ou sous une autre, la belle affaire, « qu’il a ouvert son pays au monde moderne » (1).

Né le 20 septembre 1853, il monte sur le trône le 1er octobre 1868, le premier couronnement a eu lieu le 11 novembre 1868, et il règne effectivement, le 16 novembre 1873, jour du second couronnement, jusqu’à sa mort prématurée le 23 octobre 1910 après un règne de 42 ans, le plus long de l’histoire du Siam jusqu’à celui du monarque actuel, son successeur médiat.

 

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Son père, le roi Mongkut n'a jamais voyagé au-delà de ses frontières, malgré des souhaits souvent renouvelés, pour y constater les « bienfaits » du progrès dans des pays plus développés que le sien, mais il fit de grands efforts pour étudier lui-même de nombreuses sciences de sa seule initiative. Il a surtout encouragé ses fils, les autres rejetons de la famille royale, et les descendants des nobles à apprendre l'anglais et étudier des disciplines modernes telles que la construction navale et l’art militaire européen. Permettant par ailleurs aux missionnaires étrangers de diffuser librement le christianisme, ceux-ci ont pu introduire au Siam la connaissance de nouvelles inventions et de nouvelles technologies, l’impression, la science médicale, les systèmes d'éducation (2).


Le prince Chulalongkorn, a eu par exemple l'occasion d'apprendre l'anglais avec un professeur britannique, Mme Anna Leonowens

 

Anna.jpg

 

mais bien d’autres sciences encore avec d’autres professeurs européens en sus de l’éducation « classique » de son pays, religieuse (il a été moine en septembre et octobre 1873), historique et littéraire.


Il est une constante dont il était évidemment parfaitement conscient, c’est que depuis les débuts de l’histoire de l’humanité, les progrès technologiques, techniques, et scientifiques ont connu une évolution non pas linéaire mais exponentielle : il s’est écoulé quelques dizaines de milliers d’années entre l’invention de l’outil de pierre au paléolithique et celle de l’imprimerie au XVème siècle, la période ultérieure voit également foisonner de nouvelles inventions, mais les découvertes du XVIIIème et du XIXème, 200 ans, sont fulgurantes par rapport à ce qui avait été inventé depuis les débuts de l’histoire de l’humanité jusqu’au seuil de l’année 1701. Une équation bizarre que l’on peut résumer ainsi : 20 (ou 30.000 ?) ans = 200 ans.


Et c’est essentiellement le monde européen (en ce compris évidemment son excroissance américaine) et non l’Asie qui voit cette foison d’inventions et leurs applications technologiques (3). Il était dés lors inévitable que ce monarque éclairé, très certainement doté d’une intelligence aigüe, après avoir connu tout ceci de façon livresque, ait voulu voir « sur le site », des travaux pratiques en quelque sorte.


Est-ce en Europe qu’il est allé chercher l’inspiration ?


Est-ce en Europe qu’il est allé au cours de ses deux longs voyages de 1897 et 1907 chercher ses modèles « à la recherche de la civilisation » ? Cette vision ouvertement déformée est largement contredite par le professeur Charnvit Kasetsiri (4) et Michael Wright (5).


***

 

En 1870, deux ans seulement après son premier couronnement, il est encore sous la tutelle de la régence, Chulalongkorn réalise le rêve de son père en effectuant une première visite à l'étranger, à Singapour et Batavia. Singapour est sous protectorat anglais, inclus dans le protectorat britannique des « établissements du détroit ». Il avait envoyé un télégramme à la Reine Victoria, selon l’étiquette pour l’en informer. C'était la première qu’un roi de Siam posait un pied sur une terre britannique. Ce voyage se déroule du 9 au 15 avril 1871, il est accompagné d’une suite de 208 personnes.

À Singapour et à Java, le roi s’est minutieusement intéressé à la construction du chemin de fer, à la planification urbaine, au service des postes et télégraphes, aux hôpitaux, aux prisons, aux tribunaux, aux pompiers, aux diverses usines, notamment de tissage de toile, et aux affaires militaires.

 

Malaisie

 

Singapour et les « établissements des détroits » ont connu dès la prise de possession par les Anglais dans les années 1820, un extraordinaire essor économique, industriel et agricole. Il en fut de même des « Indes orientales néerlandaises » sous l’égide de la Compagnie de la « Compagnie unie des Indes orientales » dès le début du XVIIème siècle. 


Dès son retour, il manifesta l'intention de visiter l'Europe mais ce projet fut contrecarré par le régent Bunnag invoquant de « possibles dangers ». Il a choisi donc de visiter l'Inde, moins éloignée du Siam, le fleuron de l’empire britannique. Il quitte son pays le 16 Décembre 1871 et s’en retourne à Bangkok le 16 Mars 1872 avec une suite de quarante personnes. Il navigue sur son navire royal depuis Bangkok vers le sud, et sur la route des Indes, s’arrête à Singapour, Penang, Moulmein et Yangoon en Birmanie. Il atteint Calcutta, la capitale administrative où se trouve la résidence du vice-roi et gouverneur général, le Comte de Mayo qui y règne en proconsul.

 

De-mayo.jpg

 

Celui-ci organise une somptueuse cérémonie d'accueil et le reçoit dans les termes suivants : « J’espère que Votre Majesté trouvera ici, et lors de sa visite à travers ce grand empire, de quoi l’intéresser; et que cette visite permettra d'améliorer et de développer ces relations amicales qui existent déjà entre les sujets de la Reine, et les millions de personnes sur lesquelles elle exerce son gouvernement royal ».


Le but de cette visite était incontestablement de lui permettre d'observer une fois de plus les progrès de la civilisation dans une colonie occidentale. Il visitera à la fois des plantations de menthe et de thé, des fortifications, des usines d’armement, des installations d’adduction d’eau, des moulins à riz, les prisons, les musées, les marchés et les églises. De Calcutta, il voyage en train pour la première fois de sa vie, un train spécialement et luxueusement aménagé qui le conduit à Dehli. Il y observe d’importantes manœuvres militaires à l’occidentale. Il y reste une semaine qu’il consacre à la visite d’établissements militaires. De là, il part à Agra, l’ancienne capitale historique où il visite en particulier la tombe du roi Akbar le Grand

 

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et l’admirable Taj Mahal.


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Il visite Lucknow et Bombay. Il est alors stupéfait de voir le train emprunter un tunnel entre Lucknow et Bombay, il n’y a pas de tunnel au Siam à cette époque, une preuve irréfutable des progrès scientifiques et techniques des Occidentaux !


Bombay présente de nombreuses similitudes avec Calcutta, ville nouvelle créée comme centre commercial sur la côte ouest pour les besoins du négoce avec la mère patrie. Il y apprendra d’ailleurs l’assassinat du Comte de Mayo et participe aux cérémonies funèbres en ayant la courtoisie de faire mettre le pavillon de son navire en berne, avant de rejoindre Calcutta puis sa capitale.

Il entreprendra encore d’autres périples de retour des Indes, un autre voyage en 1888 dans les états malais du Siam, Kelantan, Terranganu (encore tributaire du Siam) et Pattani, en 1890, il visite Langawi, Penang et Kedah. En 1896, il retourne à Singapour et à Java. Il effectuera encore trois séjours officieux à Java (son île de prédilection ?) et dans les îles indonésiennes et colonies hollandaise. Il a maintenant 43 ans et est accompagné de la reine Saowapha (6).

Ces nombreux voyages furent en quelque sorte la répétition des deux grands voyages en Europe, le premier officiel en 1897 et le second officieux en 1907.


***

Peut-on considérer que c’est à la suite des deux plus célèbres voyages de 1897 et 1907, que le roi doit être considéré comme « ayant fait entrer son pays dans le monde moderne » ?


C’est une interprétation classique mais trompeuse. Ce n’est mettre l’accent que sur ces deux voyages européens d’abord. C’est ensuite mettre l’accent sur ​​le succès plus ou moins relatif des tentatives du roi à jouer des Britanniques et dans une certaine mesure des Russes et des Allemands contre les Français.

Les voyages royaux asiatiques en 1871 et 1872 ont beaucoup plus probablement eu une influence puissante sur les réformes du roi et sur la  modernisation du Siam.

L’état d'avancement de Singapour, de l’Indonésie hollandaise et des Indes a de toute évidence impressionné le jeune roi au début de son règne : Colonies industrialisées, urbanisées, connaissant une agriculture et un commerce florissants et dirigées d’une main de fer par des proconsuls locaux qui ne s’embarrassent pas des règles constitutionnelles qui régissent le royaume de métropole.


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Ses réformes ont été mises en mouvement par le roi dès après l'ordination et le deuxième sacre.

Mais elles ont rencontré la résistance de puissants et des hauts fonctionnaires et le roi a été forcé d'aller lentement pendant quelques années (voir notre article 140 « La résistance à la réforme administrative du roi Chulalongkorn »).

Cette résistance a été celle des grands féodaux, elle s’est située aussi jusque dans des détails les plus triviaux : lorsque le roi voulut assainir Bangkok dont tous les visiteurs disent à demi-mots que la ville était puante et crasseuse (7), il créa en particulier dans sa capitale plus d’une centaine de toilettes publiques. La population, le bas peuple, avait l’habitude de pisser et de déféquer au bord des avenues, dans les klongs ou la Chaopraya où elle déversait également toutes ses ordures domestiques. Par esprit de bravade, on continua à pisser sur les marches des toilettes et jusqu’aux portes du palais royal jusqu’à en user la patience royale (8).

Caca

***

 

Mais dix ans plus tard, dans les années 1880, le roi et son entourage avaient la pleine maitrise du contrôle du pays.


La base même d’une politique fiscale efficace est le recensement, point n’était besoin de chercher un modèle en Europe, ne parlons que de celui effectué il y a plus de 2.000 ans en Palestine qui valut au Christ de naître dans une étable et celui de Ramsès II il y a plus de 3.000 ans. Le premier recensement de la population est de 1883, connu sous le nom de « Bangok Postal census » (9).

Le point d’orgue de la campagne de centralisation administrative survient en 1892 avec la création de ministères non territoriaux dirigés par ce que l’on peut appeler des ministres. Mais le Conseil d’état et le Conseil législatif avaient déjà été constitués le 8 mai 1874, les membres sont choisis par le roi et n’ont qu’un avis consultatif, difficile de parler de modèle « occidental ».

Une organisation administrative centralisée, un système judiciaire efficace, un système fiscal échappant à la rapacité des publicains et des fermiers généraux, un système éducatif pour tous, la construction d’un réseau routier et ferroviaire, un système sanitaire moderne, il y avait certes les modèles des colonies anglaises et hollandaises mais rappelons que celui de la Chine voisine, même s’il était rapidement devenu totalement dépravé, restait, au moins sur le papier, en tous points remarquable (10).

La nomination du fils aîné du roi comme successeur, admise officieusement, ne fut sanctionnée officiellement que le 8 janvier 1887, tout cela bien avant « les deux grands tours ».

N’oublions pas que l'incident de Paknam a eu lieu en 1893, un an après la réforme administrative. Au cours de cette crise, le roi et son cabinet attendirent en vain l'aide britannique qui n’est jamais venue, Londres étant surtout soucieuse de maintenir son entente  avec Paris contre Berlin ayant conduit à l'accord anglo-français de 1896,  un an avant le premier voyage européen et les rencontres amicales du roi Nicolas II et le Prince von Bismark.


***


Le roi reste le « maître de la vie », il n’y a pas de constitution, il n’y en aura qu’après le coup d’état de 1932, ce n’est pas non plus un modèle européen. Au sein de ses conseils, en 1908, nous trouvons, le prince Damrong (son demi-frère) comme ministre de l’intérieur et le prince Sri Sahadebh comme son vice-ministre, le prince Dewawongse, son demi-frère est son très habile ministre des affaires étrangères, le prince Chaofa kromluang Narisara Nuwatiwongse (autre demi-frère) a charge de la maison royale, le prince Chaofa Bhanurangsi Savangwongse (encore un demi-frère) est ministre de la guerre, le prince Sukhum Nayvixit a charge des gouvernements locaux et supervise le prince Inthrathibodi Siharatrongmuang, le prince de Chantaburi (Kitiyakara Voralaksana) encore un demi-frère, est ministre des finances, le prince de Rajaburi (demi-frère encore) est ministre de la justice et dirige le prince Wichitwongse Wudikrai comme vice-ministre, le prince Nares Varraridhi (un cousin germain) est ministre des travaux publics, le prince Dewesra est ministre de l’agriculture et supervise le Prince Sri Sunthara Wohara, vice-ministre de l’agriculture, le prince Inthrathibodi  Siharatrongmuang est ministre chargé des gouvernements locaux, le Prince Phipat Kosa est sous-secrétaire d’état permanent. Nous ne citons que les plus importants.

Ses conseils sont donc exclusivement composés de membres de sa famille proche,  ils sont ses féaux ; elle est suffisamment vaste entre ses dizaines de frères et ses centaines de cousins pour qu’il y puisse y trouver d’exceptionnelles compétences (le prince Damrong ou le Prince Dewawongse pour ne citer que les plus connus).


nepotismre

 

On est irrésistiblement conduit à penser que les conseils du roi fonctionnaient à peu près comme à Alger, le Comité français de la Libération nationale devenu Gouvernement provisoire de la République française au sein duquel selon Jacques Soustelle qui y a appartenu, la phrase favorite du général De Gaulle était  « Un oui, seize non, les oui l’emportent ».


De Gaulle

***

 

Mais cela n’empêche pas le « le maître de la vie » d’utiliser à bon escient des compétences qu’il ne trouve pas ou pas encore dans son pays.


Les conseillers européens.


C’est d’ailleurs une vieille tradition siamoise comme nous l’avons constaté (11). Les Européens sont là, certes, mais ils ne le sont que comme techniciens, nous parlerions aujourd’hui de « technocrates ». Ils sont même des centaines et ils sont partout :

Dans le domaine juridique, le conseiller juridique du gouvernement (general advisor) est le Belge Rolin-Jacquermyns qui avait été précédé par l’Anglais Edward H. Strobel. W.G.A Tilleke (un Anglais de Ceylan) est « attorney general » (procureur général), C.R.A. Niel (Un Français de Toulon) est Juge à la cour d’appel, René Sheridan (Belge) est « legal adviser to the court of foreign causes » (conseiller juridique à la cour des causes étrangères), Lawrence Tooth (Anglais) remplit les mêmes fonctions à la cour internationale, C.L. Watson (Anglais) les remplit devant la cour civile et le Docteur T. Masao (Japonais) est à la fois conseiller juridique personnel du monarque et juge à la cour suprême. Nous retrouverons comme inspecteur général de la police un Allemand, le colonel G. Schau. En matière financière, le conseiller du gouvernement est W.J.F Williamson, un Anglais. Le département de la santé publique est supervisé par le Docteur Campbell Highet, un Anglais. Le responsable du service des mines est encore un Anglais, John H. Heal. Le responsable national des services de l’irrigation est un Hollandais, J. Homan Van Der Heide. Encore un Anglais, W. G. Johnson, que nous trouvons comme conseiller en matière d’enseignement et d’éducation. Nous allons tout de même trouver un Français, L. R. de la Mahotière, comme responsable des services sanitaires de Bangkok.

Restons-en là, il en est de même par exemple dans le département de l’agriculture, encombré de conseillers européens, sans parler des chemins de fer, de l’électricité, du réseau routier, du système postal, de la marine, etc …

Nous ne les citons pas tous, loin de là car il faudrait encore y adjoindre les collaborateurs dont eux-mêmes s’entourent ! Dans notre article 143 « Le code pénal de 1908 », nous avons insisté sur le rôle capital du Français Padoux dans la rédaction du code. Tout cela a eu un coût difficile à chiffrer mais le service des compétences se paye. Ce que nous savons, c’est que Georges Padoux, le principal rédacteur du code pénal de 1908, avait négocié une rémunération supérieure à celle de l’Ambassadeur de France à Bangkok.

***

 

Cela ne nous écarte pas des deux périples de 1897 et de 1907 qui interviennent au plus fort de l'expansion coloniale des occidentaux dans la péninsule.

Ce fut de la part du roi preuve de clairvoyance de prendre la décision de se rendre en Europe, dans un but diplomatique certainement mais aussi pour faire la connaissance des dirigeants européens. Lors de son premier voyage, il y avait par ailleurs déjà plus de cinquante de ses sujets, aristocrates ou membres de sa famille, qui étudiaient en Grande-Bretagne ce qui permit au roi d’étudier de plus près le système éducatif britannique. La reine Victoria déroula d’ailleurs pour lui un tapis rouge en l’accueillant à l’intérieur même du palais de Buckingham. Il en fut de même à Paris, avons-nous vu (voir notre 149 « La visite du roi Chulalongkorn à Paris en 1897 vu par la presse française »). Il visite 14 pays accompagné de 44 personnes, du 7 avril au 16 décembre, 8 mois et 9 jours.

N’entrons pas dans le détail de ce voyage, il fut accueilli chaleureusement et triomphalement au Danemark, en Suède, en Belgique, en Italie, en Autriche-Hongrie, en Espagne, au Portugal, aux Pays-Bas, en Suisse, en Allemagne et en Russie.

Le voyage officieux de 1907 a été partiellement sinon principalement motivé par le souci de recevoir un traitement médical (cure thermale à Baden-Baden) conseillé par son équipe médicale. Il eut tout de même un résultat diplomatique puisqu’il y fut ratifié l’accord frontalier de 1907 avec la France, le 21 juin 1907.

La correspondance qu’il entretient avec sa fille chérie nous a fait découvrir hors protocole un monarque esthète visitant bibliothèques et musées depuis celui des offices à Florence jusqu’au musée d’art moderne de Mannheim,

 

Muséd de Mannheim

 

dont, soit dit en passant, beaucoup d'oeuvres d'art contemporain se retrouvèrent à Munich en 1937 dans l'exposition sur l'« art dégénéré » organisée par Goebbels !


art dégénéré

 

 

salons parisiens (12), gastronome (la description de son repas à « la Tour d’argent » est digne d’un chroniqueur gastronomique contemporain (12),

 

carte canard tour d argent

amateur de bijoux (il se fournit à Paris chez Cartier

 

RamaVPendant.jpg

 

et à Moscou chez Fabergé) (13),

 

Faberge-2.jpg

curieux de tout et de toutes les innovations techniques jusqu’aux plus intimes (14) tout en restant un père et un époux attentionné et affectueux même s’il a peut-être un peu égratigné le lien conjugal.

Ces deux voyages constituèrent un triomphe, un défilé de la victoire, confirmant le statut souverain du Siam et exposant au monde les progrès de son pays. Il entre incontestablement dans le concert des grands chefs d’état et dans le Gotha des monarques. La presse française a parfois été goguenarde en 1897, elle l’était déjà beaucoup moins en 1907 (15) !


***

 

Ses correspondances ou tout au moins celles qui ont été publiées, ne nous donnent malheureusement pas l’opinion que cet autocrate a pu retirer de ces chefs d’état. Il est probable qu’il a du faire quelques péchés d’orgueil en comparant leurs pouvoirs aux siens, tous plus ou moins soliveaux ou inaugurateurs de chrysanthèmes mais  tous soumis au verdict de chambres des députés et de chambres hautes issues d’un suffrage plus ou moins universel ? Il n’avait guère pu y trouver d’exemple !


François-Joseph,

 

Francois Joseph

 

le vieil empereur d’Autriche (il a 67 ans en 1897) est miné par la mort de son frère l’empereur du Mexique en 1867, celle de son fils et héritier Rodolphe en 1889 et le sera plus encore après l’assassinat de son épouse « Sissi » en 1898.


Sissi

 

Guillaume II,

 

Guillaulme

au demeurant infirme, cyclothymique et psychopathe, est gouverné par des premiers ministres dont il change au gré de ses humeurs fantasques,

 

Guillaume II

 

d’ailleurs le roi Chulalongkorn a rencontré Bismark, le « chancelier de fer » limogé en 1890 mais pas même Von Bulow, le chancelier en exercice !

La monarchie espagnole est en pleine déliquescence,


Espagnol

 

allant jusqu’à vendre sa colonie des Philippines aux américains, la famille royale étant d’ailleurs minée par une suite ininterrompue de mariages consanguins.

 

caricatura-de-epoca-alfonso-xxiii

 

Celle du Portugal est, elle, minée par l’agitation républicaine.


¨Portugal

Les monarques des pays nordiques sont dépourvus du moindre pouvoir constitutionnel, ils ont d’ailleurs été choisis pour cela.


Danois

Celui de Suède-Norvège est empêtré dans un scandale familial qui a alimenté les ricanements de la malveillante chronique mondaine de l’époque.

 

oscar de suede

 

Au Pays-Bas, le reine Wilhelmine a surtout profité de son long règne (1890-1948) pour permettre à sa fortune personnelle d’atteindre le milliard de dollars en spéculant sur les actions de la « Royal Dutch ».

 

Wilhemine

 

Léopold II de Belgique, probable ami de bamboche,

 

Leopold 2

 

est également dépourvu du moindre pouvoir, il a acheté le Congo à Stanley, les chambres le laissent faire ce qui leur évite d’avoir à financer ses frasques et permets de l’éloigner des affaires de son pays.

Leopold

 

Ils ont tous à faire à une chambre haute, sénat, chambre des lords, non élective et composée d’aristocrates qui ne sont soucieux que de leurs privilèges héréditaires, et à une chambre basse composée de grands bourgeois élus le plus souvent au suffrage censitaire et qui se prétendent représentant du peuple alors qu’ils ne représentent que leurs propres intérêts corporatifs, tous par définition hostiles à une évolution quelconque, les esprits éclairés y étant rarissimes.

Le Prince de Monaco,


Monaco

 

que d’ailleurs Chulalongkorn n’a pas rencontré, est censé être souverain « à part entière » mais il ne règne que sur un minuscule rocher où il ne pose jamais un pied, géré par des fonctionnaires français et transformé en tripot.


Monte Carlo

Entre sa première visite de 1897 et la seconde de 1907 la France censée être un état démocratique a connu trois Présidents de la république, Felix Faure,

 

Felix Fazure

 

Loubet

Loubet

 

et Fallières,

 

Fallieres

 

et huit chefs de gouvernement et Présidents du conseil sous dix gouvernements successifs : Méline, Brisson, Dupuy, Waldeck-Rousseau, Combes, Rouvier, Sarrien et Clémenceau au fil de ces renversements de gouvernement qui ne sont pas à mettre à l’actif de la IIIème république.

Il est encore une démocratie visitée par le roi en 1897, la confédération helvétique. Un système de démocratie directe la régit depuis plusieurs dizaines d’années : « Landsgemein » l’assemblée de tous les citoyens du canton qui ne subsiste plus qu’à l’état de fossile


landsgemeinde

 

et surtout le référendum d’initiative populaire, qui perdure.

Il est évident que ce ne pouvait être un modèle applicable au Siam.

En Angleterre, c'est sous le règne de la reine Victoria, le plus long de l'histoire du Ryaume de 1837 à 1901, que le Premier ministre gagne en importance vis-à-vis du monarque, celui-ci conservant essentiellement le droit d'être consulté, de conseiller et d'avertir. Après la mort de son mari Albert en effet, en 1861, Victoria se laissa dominer par ses sentiments, sombra dans une profonde neurasthénie (comme on disait à l’époque) et se retira de la vie publique.

victoria

En public, elle devint une icône symbolisant les normes de la « morale victorienne », respectable peut-être mais ne constituant pas un modèle idéal de gouvernement. Sur la même période (1897 – 1907) l’Angleterre ne sera gouvernée « que » par quatre gouvernements à la suite également des renversements de majorité à la chambre !

Tous règnent mais aucun ne gouverne.

 

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Ce n’est peut être pas un hasard si le roi a manifesté une dilection particulière pour deux souverains européens qui sont à cette date les seuls restés de véritables autocrates :

Le Tsar Nicolas II n’était pas encore tombé dans les griffes de Raspoutine et n’avait pas encore à subir les diktats de la Douma, créée en 1906,

 

Nicolas 2

les deux paramètres qui le conduiront irrémédiablement à sa perte, se qualifiant lui-même de « Tsar et autocrate de toutes les Russies » et de « petit père du peuple », titre repris ensuite par Staline qui était pour sa part (comme Chulalongkorn mais sans le savoir) « maître de la vie ». Les liens amicaux sont incontestables. Ils ne sont pas seulement diplomatiques, ne datent pas de 1897 mais de la visite que fit le Tsar, alors Tsarévitch, au Siam, en 1891, avant de monter sur le trône en 1894, au cours de laquelle il reçut un accueil aussi royal que triomphal (16).

Le Pape Léon XIII a perdu depuis 1870 tout pouvoir temporel,


Leon XIII

 

mais depuis la même année, ensuite du concile Vatican I, il bénéficie du dogme de l’infaillibilité dogmatique par rapport à un demi-milliard de ses fidèles catholiques, de quoi séduire le « maître de la vie ».

 

Infaillibilité

 

Nous avons souligné l’admiration du roi à son égard (17).


***

 

Le roi nous apparait en guise de conclusions comme ce qu’on appelait au « siècle des lumières » et sans la moindre connotation négative, un « despote éclairé » mais jamais un tyran. « Il est conscient de ses limites », avons-nous écrit (17). C’est tout simplement faire preuve de grande lucidité. Quand on sait connaître ses limites, on choisit de « déléguer » à des personnes compétentes, ce que fait le roi avec les meilleurs des membres de sa vaste famille et des sous-délégations au profit de « techniciens » étrangers mais ni les uns ni les autres ne bénéficient du droit de prendre la décision définitive, sans avoir à craindre les mouvements de résistance d’une ou de deux assemblées plus ou moins représentatives (18) !

Ainsi fit-il passer son pays d’un presque moyen-âge féodal au monde « moderne » en quelques dizaines d’années sans avoir par contre à renoncer à une once de ses pouvoirs d’origine divine. Curieusement, un autre royaume jamais colonisé, le Japon, entra dans la « modernité » avec l’ère Meiji à peu près à la même époque (1868) mais la première impériale réforme d’un empereur également de souche divine, consista à organiser un embryon de système sinon démocratique du moins représentatif (sur le modèle prussien il est vrai ce qui était loin de la démocratie directe !) ce qui fut loin de favoriser l’évolution du Japon impérial vers la « modernité » et favorisa au contraire les tendances guerrières et colonialistes de l’empereur !


Meiji

 

Jusqu’où aurait conduit l’esprit incontestablement novateur du grand roi ?


On a pu dire sans l’embryon d’une preuve qu’il aurait envisagé l’étude d’un système représentatif à l’image de celui de ses « cousins » européens une fois ses réformes conduites sans opposition « parlementaire » ? Il est mort trop tôt et ce ne sont que paroles en l’air.

Il est une certitude, c’est que la modernisation du Siam devait se faire de façon autoritaire, ce qui ne veut pas dire tyrannique, et qu’à cette date, le pays n’était évidemment pas encore mûr pour une évolution « démocratique » au sens occidental du terme.  Le chemin qui conduira la Thaïlande vers un système démocratique n’est en tous cas pas un « long fleuve tranquille ».


 

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NOTES 

Nous trouvons la liste de tous les membres des conseils, des ministres et sous-ministres et des conseilleurs européens dans toutes éditions de l’Almanach de Gotha à partir de l’année où le Siam a l’honneur d’y être introduit (1873).

Celle de la longue théorie des conseillers techniques européens se trouve beaucoup plus en détail dans les diverses éditions de Directory for Bangkok and Siam ou dans Twentieth impressions of Siam (Bangkok, 1908).

Pour les hauts fonctionnaires siamois, nous n’y trouvons que des Phraya.

       ***.

 

(1) Voir nos articles 134 « le roi Chualongkorn », 135 « La politique étrangère du roi Chulalongkorn », 139 « La nouvelle organisation administrative du roi Chulalongkorn », 140 « La résistance à la réforme administrative du roi Chulalongkorn », 141 « L’esclavage est aboli définitivement au Siam en 1905 », 142 « La suppression de la corvée royale au Siam », 143 « Le code pénal de 1908 », 146 « Pourquoi le roi Chulalongkorn a refusé le projet du canal de Kra », 147 « La création de l’éducation nationale par le roi Chulalongkorn », 148-1 et 148-2 « Le premier voyage du roi Chulalongkorn en 1897 », 149 « La visite du roi Chulalongkorn à Paris en 1897 vu par la presse française », 150 « Un portrait du roi Chulalongkorn en Europe en 1897 ».

(2) Voir nos articles 126 et 127 « Le Roi Mongkut ».

(3) Le problème des Chinois qui connurent une civilisation raffinée bien avant Jésus-Christ, à une époque où nos ancêtres vivaient dans des cavernes ou des cités lacustres vêtus de peaux d’auroch est de n’avoir tiré aucune conséquences pratiques d’une kyrielle d’inventions (boussole, poudre à canon, imprimerie, etc…etc) .. pour autant que l’on puisse considérer l’invention de la mitrailleuse comme un progrès ?

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(4) Charnvit Kasetsiri ชาญวิทย์ เกษตรศิริ conférence à la Siam society du 16 janvier 2008. Charnvit Kasetsiri, est un historien thaïlandais diplômé de l’Université Thammasat, diplômé du Collège Occidental de Los Angeles, docteur en histoire de l’Asie du Sud de l'Université Cornell. Il fut recteur de l'Université Thammasat (1994-95) avant de prendre sa retraite. Il y avait commencé une carrière brillante comme maître de conférences au département d'histoire en 1973, chef du Département en 1981-1983, directeur adjoint de l'Institut thaïlandais Khadi, Université Thammasat (1982-1985) et vice-président de l'Université Thammasat (1983-1988), doyen de la Faculté des arts libéraux de l'Université Thammasat, invité au Centre d'études d'Asie du Sud, Université de Kyoto (1977-1978); Professeur invité à l'Université de Californie, Berkeley et Santa Cruz, Etats-Unis (1978-1979); Professeur invité à l’Université d'Hawaii, invité à l'Institut d'études d'Asie du Sud à Singapour (1998), etc…

(5) « travels of king Chulalongkorn misrepresented » Bangkok Post 5 juillet 1997 que l’on peut traduire par « La représentation déformée des voyages du roi Chulalongkorn ». Mort en 2009, cet érudit anglais fit de la Thaïlande sa résidence permanente depuis 1961. Admirateur des écrivains contemporains, Kukrit Pramoj et Phraya Anuman Ratchadhon en particulier, il rédigea de nombreux articles sur l'histoire et la culture dans des revues thaïes dont beaucoup ont été publiés de 1979 à 2000 à « Silpa Wattanatham » (« Arts et Culture »).

(6) Ces voyages dans les colonies britanniques et hollandaises sont relatés en détail sur le site officiel du département royal des relations publiques :

http://thailand.prd.go.th/ebook/imprint/index.php

« King Chulalongkorn’s Visit to India: A Diplomatic Mission of Great Importance » 

http://thailand.prd.go.th/view_news.php?id=5313&a=1

http://thailand.prd.go.th/ebook/imprint/page4.php.

Il semble que les sources occidentales sur ces voyages soient inexistantes ?

(7) Nous trouvons une rapide allusion de Réau à la page 44 de ses « souvenirs d’une jeune diplomate au Siam » (voir nos articles 144 et 145) dans une correspondance privée qui n’était pas destinée à la publication « Autour du Consulat beaucoup d'Européens - puis plus loin, pendant des kilomètres et des kilomètres, la ville immense, grouillante, empestée par place, sale, puis de larges avenues, le Palais, avec ses pagodes dorées, ses statues géantes ... ». Carl Bock, consul général de Suède, après avoir décrit les splendeurs de la ville, fait une très brève allusion à sa crasse et à sa puanteur : « La boue des rues, les ordures entassées partout, les odeurs nauséabondes… » (« Le royaume de l’éléphant blanc », traduction française, 1889).

(8) Voir « The Politics of Defecation in Bangkok of the Fifth Reign » in Journal of the Siam society n° 99 de 2011 par Chittawadi Chitrabongs.

(9) « The 1883 Bangkok postal census and nineteenth century Bangkok economic history » par Porphant Ouyyanont et  Tsubouchi Yoshihirom 2000.

(10) Un empereur de la dynastie Han, 200 ans avant J.C, considérait, que son pays serait définitivement civilisé lorsque les mauvaises herbes envahiraient les cours des palais de Justice et que les marches des escaliers d’accès aux écoles seraient usées jusqu’aux fondations.
(11) Voir notre article 90 « Des étrangers au service du roi du Siam ».
(12) Dans les lettres à sa fille Nibha Nabhatala partiellement traduites par Camille Notton et publiées dans le journal de la Siam society, il narre sa visite au salon de 1907 et la recette du « père qui fait les canards ».

(13) Il ne subsiste plus que des souvenirs, sinon dans les archives de Cartier et de Fabergé, de ces achats somptueux, les joyaux ayant pour l’essentiel été partagés entre ses nombreux héritiers.

(14) Si l’on en croit Chittawadi Chitrabongs (note 8) c’est à la suite du voyage à Paris de 1897 qu’il retint l’usage du bidet dont il fit venir un grand nombre d’Angleterre à l’usage de la population féminine du Palais royal.

 

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Rappelons pour rester pudique, que les bidets que l’on trouvait à Paris dans des établissements que la morale réprouve (mais pas dans les maisons bourgeoises) portaient parfois cette inscription gravée « laissez venir à moi les petits enfants ». Ce n’était pas du meilleur goût mais avait le mérite d’être explicite.

(15) Voir notre article 29 « Jean Jaurès et le roi Chulalongkorn » sur l’article humoristique mais point trop féroce que « L’humanité » a consacré à ce voyage. 

(16) Voir « The russo-siamese relations » par Natanaree Posrithong, in Silpakorn University International Journal Vol.9-10 : 87-115, 2009-2010. Ayant logé l’héritier des Romanov à l’hôtel Oriental tout proche de la légation de France, le roi intervint de façon autoritaire sinon brutale pour qu’en soient dégagés les abords des monceaux d’ordures et des tas de merde qui pouvaient heurter la vue et l’odorat du jeune tsarévitch (note 8) mais nullement ceux des riverains.

(17) Voir notre article 150 « Un portrait du roi Chulalongkorn en Europe ».
(18) Nous rejoignons le fameux « principe de Peter » défini de façon mathématique par Peter en 1970 : Tout individu a de par sa naissance et son éducation des compétences qui varient évidemment de zéro à l’infini. S’il est quantifié aux compétences X, il sera bon avant de l’atteindre et excellent à ce niveau. SI par contre son orgueil, son ambition ou sa hiérarchie le poussent au delà de X, à X + ε, il sera médiocre et plus epsilon augmente et plus il sera mauvais. Il fallait évidemment être américain pour mettre en équation cette règle de bon sens selon laquelle une excellente mule fait un mauvais cheval de course !

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