La majorité des habitants des villes ou des villages qui bordent le Mékong voue un culte particulier à ces deux déesses. Leur culte déborde d’ailleurs sur les autres provinces du Nord-est mais – semble-t-il – nulle part ailleurs dans le pays. De multiples sanctuaires leurs sont consacrés appelés tantôt San Chaomaesongnang (ศาลเจ้าแม่สองนาง) tantôt Ho Chaomaesongnang (หอเจ้าแม่สองนาง) le sanctuaire ou la chapelle des deux déesses.
Ils sont totalement inconnus des bons guides touristiques car n’ayant en général aucun aspect architectural exceptionnel. Ce sont pourtant de ces lieux où soufflent l’esprit et la foi. Une légende s’attache à chacun de ces sanctuaires, en général longuement reproduite sur un panneau à l’entrée de ces lieux de culte. Ce sont des légendes locales qui peuvent varier en fonction de leur migration au fil des siècles.
Comment se nomment-elles ?
Elles sont parfois simplement nommées « les deux princesses » (นางศรีสอง). Leurs noms varient en fonction des légendes mais ne me semblent pas significatifs. J’ai pu relever les Princesse Matri et Siwan (นางมัทรี - นางศรีสุวรรณ) , les Princesses Khamphaeng et Khamphan (นางคำแพง - นางคำพัน), les Princesses Lun et La (นางลุน – นางหล้า), les Princesses Lao et (นางเหลา – นางเทา), les Princesses Princesse Buangoen et Buathong (นางบัวเงิน - นางบัวทอง) c’est-à-dire lotus d’argent et lotus d’or, deux Princesses Hom (นางหอม) c’est-à-dire à l’odeur suave , ce nom unique laisse à penser qu’il s’agit de jumelles, Princesses Phi et Nong (นางพี่ นาง น้อง) ce qui laisse à penser qu’elle ne sont pas jumelles puisque cela signifie aînée et cadette, les Princesses Phimpha et Lomchoima (นางพิมพา – นางลมโชยมา), les Princesses Koeng et Thong (นางเกิ้ง – นางทอง), les Princesses Bua et Bang (นางบัว นางบาง), les Princesses Mat et Hui (นางหมัด นางฮุย) ou encore les Princesses Phim et Pa (นางพิม – นางพา). Restons en-là, peu importe leur nom. Avant d’accéder à la divinité, elles furent deux princesses de sang royal, jumelles ou pas.
Quelques sanctuaires
Ils jalonnent les provinces situées sur les rives du Mékong, Loei, Nongkhai, Bungkan, Nakhon Phanom et Mukdahan amais mais on les trouve aussi à l’intérieur, en particulier à Khonkaen, Mahasarakam, Udonthani, Yasothon, Roiet, Ubonrachathani et probablement partout ailleurs.
Leur implantation n’est pas toujours liée à un lieu de culte bouddhiste : le plus célèbre, celui de Mukdahan (มุกดาหาร) est situé au bord de la jetée d’embarquement de la navette qui traverse le fleuve dite jetée de la douane (ท่าเรือด่านศุลกากร), emplacement symbolique puisque les déesses protègent en particulier contre les dangers de la navigation. C’est dans un naufrage qu’elles périrent.
Celui de Bungkan (บึงกาฬ)
...est situé à l’entrée de l’hôpital, c’est parlant.
Celui de Khonkaen (ขอนแก่น) au bord du lac
...dans un nid de verdure,
...ouvert aux oiseaux et aux écureuils.
Dans la province de Nakhon Rachasima (นครราชสีมา) et le district de Phimai (อ.พิมาย) dans une vaste forêt : la chapelle est modeste
mais située à l’ombre d’un ficus géant dont l’arbre mère serait âgé de plusieurs siècles et les ramifications s’étendent sur environ 1500 mètres carrés
Elles ont leur chapelle dans l’enceinte de l’école Koeng witthayanukun (โรงเรียนเกิ้งวิทยานุกุล) du village de Koeng (บ้านเกิ้ง) dans la province de Mahasarakham (มหาสารคาม). Parmi leurs vertus elles ont celle de favoriser les réussites aux examens.
Celui qui est situé dans l’enceinte d’un hôtel de luxe de Khonkaen a probablement pour but de susciter l’augmentation de la clientèle ?
On peut en effet leur consacrer une place sur l’autel domestique (thaen bucha – แท่นบูชา que l’on trouve dans tout maison qui se respecte.
Le premier situé dans un temple en amont au bord du Mékong est situé dans la province de Loei (เลย). C’est un modeste édifice dans l’enceinte du temple qui porte leur nom le wat Sisongnang (วัดศรีสองนาง) dans le district de Chiangkhan (อ.ชียงคาน).
Elles ont leur chapelle dans l’enceinte du Wat Haisok (วัดหายโศก) à Nongkhai (หนองคาย).
Nous savons – c’est la seule légende qui en fait état - qu’elles devinrent après leur mort Nakhi (นาคี), version femelle des Nagas protecteurs (นาค) qui vivent dons les profondeurs du Mékong.
Un chédi porte leur nom (เจดีย์ศรีสองนาง) dans l’enceinte du Wat Klang (วัดกลาง) dans le district de Sichiangmai (อำเภอศรีเชียงใหม่) dans la même province. C’est là où auraient été enfoui leurs cendres après leur crémation.
Les légendes rejoignent-elles l’histoire ?
Elles varient toutes sensiblement mais toutes ont un tronc commun qui nous rattache de près ou de loin à l’histoire du royaume de Lan Chang (ล้านช้าง), le royaume du grand Chetthathirat (พระเจ้าชัยเชษฐาธิราช) dont le territoire occupait alors les deux rives du Mékong.
Les chroniques du royaume nous apprennent qu’en 1564, il s’est rendu en descendant le Mékong, restaurer le chédi de Phra That Phanom (พระธาตุพนม) situé sur les rives du fleuve en amont de la ville de Mukdahan qui est toujours le lieu le plus sacré du bouddhisme dans le Nord-est de la Thaïlande et du Laos et les pèlerins y affluent toujours en masse des deux rives du fleuve.
Il était accompagné de ses deux petites filles, peu importe leur nom, respectivement nées en 1561 et 1562 qui périrent lorsque l’embarcation chavira dans les rapides du fleuve. Je préfère cette version de deux innocentes mortes accidentellement à l’occasion d’un pieux pèlerinage. D’autres versions, plus guerrières, les font accompagner leur père alors qu’elles étaient adultes lors d’une opération militaire conduite par leur père contre le roi siamois d’Ayutthaya, Chetthathirat (พระเจ้าชัยเชษฐาธิราช).
La déification de deux gamines innocentes me semble plus adaptée à une déification que celle de deux guerrières ! Les habitants virent apparaître leurs esprits à l’endroit du naufrage, probablement à Sichiangmai et de là, la légende et leur culte se répandit. Il en est ainsi depuis cinq siècles et partout s’édifièrent des temples, des chédis et des sanctuaires pour honorer les deux déesses qui de leur paradis, font tomber des pluies de rose sur ceux qui invoquent leurs bienfaits…
Le sanctuaire de Mukdahan
Le sanctuaire de Mukdahan est assurément le plus connu et le plus fréquenté. Situé sur le port, une navette effectue plusieurs fois par jour le trajet depuis le Laos.
Les habitants du Laos viennent faire leurs emplettes et accomplir leurs dévotions. On vient de très loin de Thaïlande au très célèbre marché indochinois (ตลาดอินโดจีน) ou se pratiquent moins d’arnaques que celui de Nongkhai, véritable piège à touristes.
On y trouve tout et le contraire de tout et des statuettes des déesses évidement.
La province est par ailleurs un haut lieu du tourisme essentiellement thaï Les foules se pressent à Phra That Phanom vénérer les reliques de Bouddha et le très célèbre temple Simongkhonthai (วัดศรีมงคลใต้) qui abrite une statue de Bouddha
...découverte miraculeusement au pied du gigantesque ficus religiosa, le figuier des pagodes l’arbre de la bodhi (ต้นโพธิ์), sacré chez les bouddhistes et mitoyen du sanctuaire.
Le temple est signalé dans les bons guides touristiques mais ceux-ci négligent le sanctuaire qui est de l’autre côté de la rue et les pèlerins y affluent plus encore qu’au temple. Le sanctuaire est un modeste hangar qui serait placé sous la responsabilité de bouddhistes chinois. Il abrite une statue grandeur nature des deux déesses sœurs qui portent ici les noms de Phimpha et Lomchoima.
On leur demande fertilité, sécurité, protection contre les dangers, élimination des catastrophes, réussite aux examens, éviter la conscription.
On les fêtes à Mukdahan tout au moins deux fois l’an : les grandes fêtes du 11e jour du 6e mois lunaire puis du 13e jour du 11e mois lunaire mobilisent la population et toutes les autorités. Ces cérémonies n’ont rien de bouddhiste et ne doivent pas avoir lieu un jour de fête bouddhiste.
Elles sont égayées par des courses de pirogues.
Les deux déesses sont évidemment inondées d’offrandes, fleurs, bâtonnets d’encens, fruits et desserts puisqu’elles passent pour être gourmandes de sucrerie
L’université de Mahasarakham a une cellule qui s’intéresse à la conservation de ce patrimoine culturel
L’universitaire Narongrit Sumali (ณรงค์ฤทธิ์ สุมาลี) chargé de cours à l’Université de Nakhon Phanom est l’auteur d’un très bek et surtout très érudit article en thaï The Chao Mae Song Nang : Signification of Belief and the Role in Empowering Local Power (เจ้าแม่สองนาง : การสร้างความหมายของความเชื่อ และบทบาทการเสริมพลังท้องถิ่น) publié dans le journal académique Praewa Kalasin et numérisé :
http://praewa.ksu.ac.th/new2017/file/20170317_1870305696.pdf
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