Le 33e sommet de l'Association des pays d'Asie du Sud-Est (ASEAN) s'est tenu à Bangkok, du 31 octobre au 4 novembre 2019. Une occasion de s'informer, de connaître les enjeux géopolitiques et économiques des 10 pays de l'ASEAN (Thaïlande, Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Brunei, Viêt Nam, Laos, Birmanie (ou Myanmar), Cambodge) qui représentent aujourd'hui 645 millions d'habitants (9% de la population mondiale), dont le PIB cumulé représente 2800 milliards de dollars en 2017. (France 2762, 7e position, Indonésie 1101, 16e position, Thaïlande 517, 25e position en 2018) Ils participent pour environ 8% au commerce mondial. En sachant que le niveau de développement des pays composant l’ASEAN est très hétérogène, avec un revenu annuel par habitant moyen d’environ 4000 dollars, allant de 1100 dollars pour le Cambodge, 5640 pour la Thaïlande et 52000 pour Singapour. (1)
Un petit rappel historique.
Nous avions dans un article publié le 18 mai 2014 (2) présenté « La politique étrangère de la Thaïlande de 1948 à 2009 et l’ASEAN » en nous appuyant sur les articles de deux spécialistes, à savoir : Sophie Boisseau du Rocher « La Thaïlande au sein de l’Asean : une diplomatie en perte de vitesse ? » et Kajit Jittasevi « La politique étrangère de la Thaïlande au XXIe siècle, Entre la quête de sens et la recherche d’une place dans le monde globalisé.». (In « Thaïlande contemporaine », 2011) (3)
Nous y disions :
« Tout d’abord rappelons ce qu’est l’ASEAN.
L’Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE ou ASEAN) est une organisation politique, économique et culturelle regroupant dix pays d'Asie du Sud-Est. Elle a été fondée le 8 août 1967 à Bangkok par l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour et la Thaïlande, dans le contexte de la guerre froide -mais curieusement en l’absence de la Corée du sud pourtant alors première en ligne- pour faire barrage aux mouvements communistes, développer la croissance et le développement et assurer la stabilité dans la région.
La fin de la guerre froide en Asie du Sud-Est (Retrait de l'armée vietnamienne du Cambodge en 1989), permettra le Sommet de Singapour de 1992 qui se traduira par deux initiatives majeures :
L'instauration d'une zone de libre-échange : l'ASEAN Free Trade Area (AFTA), qui ne sera signée qu’en 2002, à cause de la crise financière de 1997.
L'élargissement à 10 membres de l'ASEAN avec l'entrée du Viêt Nam (1995), puis du Laos et de la Birmanie (1997) et enfin du Cambodge (1999).
L’Asean prendra une autre dimension avec la fondation de l’APT (L’ASEAN plus la Chine, le Japon et la Corée du Sud) avec un accord-cadre signé en 2002 en vue d'établir la zone en 2010 pour l'ASEAN 6 et en 2015 pour l'ASEAN au complet. ».
Mais d'autres associations et sommets peuvent contribuer à l'intégration au sein de l'ASEAN.
En 1996, sera créé « Le Dialogue Asie-Europe » ou ASEM (Asia-Europe Meeting) au sommet de Bangkok. L'ASEM est un forum interrégional qui regroupe d'une part la Commission Européenne et les 28 membres de l'Union Européenne, et d'autre part les 13 membres de l'ASEAN plus trois. « L’ASEM n’est ni une organisation internationale, ni une agence de développement, et ne dispose pas de secrétariat : c’est un cadre informel de dialogue entre Etats membres qui permet d’aborder tous les sujets, sans exclusion a priori. Ce dialogue s’articule depuis l’origine autour de trois « piliers » :
Pilier politique (Les ministres des Affaires étrangères ont une compétence générale) ;
Pilier économique et financier (Ce volet est piloté par l’AEBF, Asia-Europe Business Forum, qui se réunit avant les sommets de chefs d’Etat de l’ASEM et émet un certain nombre de recommandations) ; Pilier « autres coopérations » (Éducation, environnement, science et technologies, culture, contacts entre sociétés civiles. Ce volet est développé grâce à l’action de la Fondation Europe-Asie – ASEF, mais aussi par l’ASEM People’s Forum qui regroupe différentes ONG). Tous les deux ans, un Sommet réunissant les chefs d’État et de Gouvernement est organisé afin de fixer les priorités et les orientations du dialogue. (4)
Mais on peut citer d'autres forums comme le sommet de l'Asie orientale (EAS) qui est une enceinte de sécurité régionale dont le premier sommet s'est tenu à Kuala Lumpur le 14 décembre 2005, ou bien encore l' ASEAN Regional Forum (ARF), le premier grand forum multilatéral de la région pour des consultations officielles sur les questions de sécurité en Asie Pacifique.
Initié en 1993, il regroupe désormais 26 membres ; l'AIPO (ASEAN Interparliamentary Organisation – Organisation interparlementaire de l'ASEAN).
Et d'autres événements culturels et sportifs qui ont pour but de contribuer à l'intégration régionale, comme par exemple le S.E.A. Write Award, (Prix des écrivains de l'Asie du Sud-Est est une récompense donnée aux écrivains et poètes d'Asie du Sud-Est depuis 1979) ; Le ASAIHL (Association of Southeast Asian Institutions of Higher Learning ou Association des institutions d'enseignement supérieur de l'Asie du Sud-Est. ONG créée en 1956 qui cherche à renforcer les institutions d'enseignement supérieur ; en particulier pour l'enseignement, la recherche et le service public, avec l'intention de cultiver l'identité régionale ; l'ASEAN Heritage Parks (parcs de l'héritage de l'ASEAN) est une liste de parcs naturels créée en 1984 puis relancée en 2004.
Elle a pour but de protéger les trésors naturels de la région. Elle comprend 35 parcs. Et au niveau sportif : Les Jeux d'Asie du Sud-Est (Southeast Asian Games, abrégés SEA games) (Compétitions multisports qui ont lieu tous les deux ans et auxquels participent 11 pays.) ;
Le championnat de l'ASEAN de football (ASEAN Football Championship) est une compétition sportive internationale opposant les sélections nationales de football de l'Association. Elle a débuté en 1996 sous le nom Tiger Cup ;
Les ASEAN ParaGames, jeux sportifs d'Asie du Sud-Est pour handicapés, auxquels participent 11 pays d'Asie du Sud-Est qui a lieu tous les deux ans. La liste peut paraître fastidieuse, mais elle rappelle que la culture et le sport contribuent à forger une identité régionale, même si la Communauté économique de l’Asean en est la composante plus importante.
Toutefois la question de l'intégration est légitime et Bruno Jetin dans un article se demandait : « L’Asean peut-elle transformer l’Asie du Sud-Est en région intégrée? » (5)
Il rappelle qu'en 1997 « Asean Vision 2020 » annonce pour la première fois le projet de communauté économique au côté d’une communauté de la sécurité et d’une communauté socio-culturelle. Ensuite, l'Asean, lors de son 27ème sommet à Kuala Lumpur du 18 au 22 novembre 2015, crée la Communauté économique de l’Asean (AEC), censée créer un marché unique pour la production et la circulation des biens, des services, du capital et du travail qualifié au sein de l’association, en réduisant progressivement les barrières protectionnistes internes à la zone. Ce processus avait débuté en 1992 par la signature de « l’accord pour le libre commerce de l’Asean » (Free Trade Area ou AFTA) le 28 janvier à Singapour, mais est entré en vigueur en 2003.
C'est dire que le processus est long et qu'il faut distinguer les proclamations optimistes, les objectifs affichés, sur leur mise en œuvre réelle par les États membres. On pourrait comme Bruno Jetin donner des exemples mais surtout il nous met en garde contre toute comparaison avec l’avènement du marché unique européen tel que signé dans « l’Acte unique » en 1986. (Cf. (6) Luc Chasseriau répondant à la question : « l'ASEAN est-elle une version asiatique de l'Union Européenne ? »)
Bruno Jetin estime que les États membres de l'ASEAN ne pourront pas se constituer en entité autonome, avec un avenir commun, mais qu'ils pourront collaborer ponctuellement sur tels et tels intérêts ou tels projets propres, face aux grandes puissances régionales (Chine, Japon, États-Unis et Inde) qui soutiennent chacune des projets d’intégration plus larges et concurrents pour étendre leur zone d’influence.
Il avance certains arguments qui accréditent son opinion. Ainsi par exemple, dans un espace économique unifié :« les consommateurs de l’Asean devraient pouvoir choisir de façon in-discriminée entre produits nationaux et ceux provenant des autres États membres » ; « Les travailleurs devraient également pouvoir être employés dans tous les États membres dans les mêmes conditions que les travailleurs locaux.», ce qui paraît peu probable avec des États qui fondent leur légitimité sur un nationalisme exacerbé. On peut prévoir que la migration légale des travailleurs peu qualifiés n'est pas pour demain, même si la survie de l’économie de la Thaïlande, de la Malaisie ou de Singapour en dépend. (Cf. Nos deux articles sur les travailleurs illégaux et la birmanisation du Sud de la Thaïlande (7) )
De plus, l’Asean est une association sans réel exécutif et sans pouvoir réel.
Son siège basé à Djakarta ne dispose que de 300 personnes environ contre 34000 pour la Commission européenne. En 2013, son budget était de 16 millions de dollars contre environ 4,3 milliards pour la Commission européenne.
La faiblesse de cette institution régionale s'explique par le contexte historique régional, lors de sa création en 1967 « par cinq dictatures (Malaisie, Singapour, Philippines, Indonésie et Thaïlande) ou dans le meilleur des cas des « démocraties autoritaires » dont les hommes forts (Mahathir Mohamad, Lee Kuan Yew, Ferdinand Marcos, Suharto, et Prem Tinsulanond) sont parfois restés des décennies au pouvoir et n’étaient guère enclins à partager leur pouvoir avec une institution régionale. »
Il s'agissait alors « de protéger ses fondateurs contre la menace communiste et éviter tout conflit entre eux afin que chaque régime puisse concentrer ses efforts à l’édification d’un État-Nation. Dans ce contexte, le principe de non-ingérence dans les affaires internes aux pays membres et la règle du consensus constitutifs de l’Asean tiennent tout autant au nationalisme exacerbé de ces jeunes nations que de la volonté de pouvoir diriger sans aucun droit de regard extérieur. »
Mais la constitution d’une communauté économique en 2003 nécessitait de mettre en place une capacité institutionnelle plus grande. Elle prit la forme d’un secrétariat national dédié à l’Asean, au sein des ministères des Affaires étrangères de chaque pays membre, qui sont chargés de formuler des propositions qui sont discutées lors des sommets des chefs d’État, en sachant que bon nombre d’accords dans le domaine du commerce au sein de l’Asean ne sont pas signés par tous les États membres.
L’économie politique nationale n’autorise qu’une intégration régionale limitée.
Certes les ministères de l’Économie et des Finances et les banques centrales imprégnés d’idéologie néolibérale et les firmes multinationales (FMN) œuvrent pour le marché régional intégré et renforcent leurs investissements dans l’Asean, mais ils doivent faire face à l’opposition des petites et moyennes entreprises (PME).
Pourtant l'investissement étranger (IDE) est un élément important du développement économique. Ainsi pour la Thaïlande, « en 2018, les flux d'IDE ont poursuivi leur reprise de l'année précédente, faisant suite à des années de déclin entre 2014 et 2016, pour s'élever à 10,49 milliards de dollars, contre 6,48 milliards de dollars en 2017.
Cette reprise est due à la hausse des investissements du Japon, Hong Kong et Maurice. Le stock d’IDE a affiché une légère baisse par rapport à 2017, pour atteindre 223,8 milliards de dollars, soit 48,9% du PIB du pays. Le Japon et Singapour sont de loin les plus gros investisseurs du pays et représentent un peu plus de la moitié des entrées d'IDE. Hong Kong, les Pays-Bas, l'Allemagne, Maurice et le Royaume-Uni comptent également parmi les principaux investisseurs. Les activités manufacturières et financières et les activités d’assurance absorbent près de 70% des entrées d’IDE. Les investissements dans l'immobilier, le commerce et l'information et la communication sont conséquents. (…) Et en 2019 « La valeur totale des demandes d'investissements directs étrangers (IDE) reçues par la Thaïlande au cours des neuf premiers mois de l’année a augmenté de 69% par rapport à la même période de l’année précédente » (8)
Mais les petites et moyennes entreprises (PME) sont de très loin les plus nombreuses et emploient la grande majorité de la population active dans presque tous les pays membres et de nombreuses entreprises privées et publiques du transport aérien, des télécommunications, de l’énergie ou des banques qui sont tournées vers le marché intérieur et sont liées à l’État qui les protège de la concurrence extérieure, quand ils ne sont pas en situation de monopole. Elles appartiennent à de grandes familles et ont au sein de leurs conseils d’administration de nombreux anciens hauts fonctionnaires et très souvent des généraux à la retraite. (Cf. (9) L'article de Jean Baffie)
« L’État est donc partagé entre une fraction qui adhère pleinement au projet d’une baisse radicale des barrières protectionnistes et une fraction qui s’oppose fermement à la reconfiguration du « capitalisme de copinage ». « Il s’agit d’un compromis entre la nécessité de s’intégrer au marché mondial et s’associer au capital étranger et le maintien de la protection des secteurs clefs pour la reproduction des élites locales. » Jotrin donne des exemples de ces compromis difficiles à établir, comme dans la banque, qui explique la modestie de « l’Accord pour l’intégration bancaire de l’Asean » (ABIF) négocié depuis cinq ans et finalement signé à Kuala Lumpur le 21 mars 2015, ou pour la création d’un marché unique du transport aérien de fret et de passagers, où chaque pays a des spécificités et où certains d’entre eux veulent protéger leurs compagnies nationales. On pourrait en dire autant avec les services de santé, avec la Thaïlande qui possède de nombreux hôpitaux privés qui attendent un afflux supplémentaire de patients étrangers et est déjà la première destination pour le tourisme sanitaire, devant Singapour et l’Inde.
Mais malgré les grandes difficultés et les contradictions internes aux États de l'ASEAN, au nationalisme affiché, au refus d'ingérence dans la souveraineté de chacun, aux tensions entre le Japon, la Corée et la Chine, aux intérêts géostratégiques entre la Chine et les États-Unis, cela n'a pas empêché la recherche d'accords trans-régionaux comme ceux du CPTPP (le Partenariat trans-pacifique global et progressiste) (10),
le FTAAP (L’Accord de libre-échange de l’Asie et du Pacifique (Free Trade Agreement of Asia Pacific),
et celui du RCEP (Regional Comprehensive Economic Partnership), regroupant 16 pays ( Les 10 pays membres de l'ASEAN ainsi que 6 autres pays qui possèdent déjà un accord de libre-échange bilatéral avec l'ASEAN, à savoir : l'Australie, la Chine, l'Inde, le Japon , la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande) (11) qui a été si âprement discuté lors du dernier sommet à Bangkok qui serait signé au début de 2020, selon le gouvernement de Thaïlande.
L'accord vise principalement à une réduction des droits de douane, certaines barrières non tarifaires et de faciliter les investissements directs étrangers, avec peu ou pas d'ouverture des marchés publics, d'harmonisations des normes ou encore de conventions sur le droit du travail ou de l'environnement. Dit ainsi, cela paraît simple, mais la complexité est grande et le plus souvent ingérable pour les entreprises censées en bénéficier.(12)
Une fois signé entre les seize Etats de la région Asie-Pacifique soit environ 3,4 milliards de personnes, le RCEP deviendrait le plus grand pacte de libre-échange au monde, couvrant environ un quart des exportations mondiales. Mais de nombreux obstacles demeurent sur fond de rivalités géostratégiques entre les grands États et surtout ceux de la Chine et des États-Unis, qui sous Trump, mais il n'est pas le seul, préfère les accords bilatéraux. (Il s'est retiré du TPP). Ainsi l'Inde à ce sommet a refusé de signer le RCEP, craignant l'invasion des produits chinois. D'autres négocient des accords bilatéraux de libre-échange au sein du RCEP. « Australie et Nouvelle-Zélande [par exemple] veulent que l’accord inclue un renforcement du droit du travail, de la protection de l’environnement, mais aussi de la propriété intellectuelle, alors que de nombreux pays de la zone sont peu soucieux de « copyright. » (13)
On sait que les grands sommets, n'éliminent pas les négociations parallèles, le fait que les pays membres de l’Asean, en conflit parfois dans la diversité de leurs intérêts économiques, mais aussi politiques et sécuritaires se rapprochent tantôt des États-Unis, tantôt de la Chine.
D'ailleurs Valentin Cebron, comme de nombreux journalistes ont surtout remarqué : « Alors que le sommet de l'Asean vient de s'achever à Bangkok, les pays membres maintiennent leur position d'équilibre diplomatique entre la Chine et les États-Unis – du moins pour le moment. », ce que confirme la spécialiste et chercheuse à l'IFRI Sophie Boisseau du Rocher :«Les pays d'Asie du Sud-Est n'ont jamais choisi tel ou tel partenaire au détriment d'un autre ». (14)
Les pays de l'Asean sont en effet au cœur de la guerre commerciale que se livrent les deux premières puissances mondiales, mais ils doivent trouver un équilibre. Car si la Chine (qui est proche d'eux géographiquement, et où près de trente-cinq millions de Chinois vivent dans les dix pays du bloc, soit plus de 80% de la diaspora totale. «À Singapour, 75% de la population est d'origine chinoise, 25% en Malaisie et 15% en Thaïlande») est son premier partenaire commercial (En 2018, le volume total des échanges commerciaux entre la Chine et les pays de l'organisation a atteint un niveau record de 530 milliards d'euros), les pays d'Asie du Sud-Est ont besoin des États-Unis pour faire face aux appétits et agressions de Pékin en mer de Chine méridionale.
(Les États-Unis sont quand même le troisième pays avec une valeur des échanges en 2018 de 245 milliards d'euros)
Un contentieux maritime qui s'inscrit dans la volonté de Pékin de s'approprier 90% de la mer de Chine méridionale, riche en ressources halieutiques et énergétiques dans un espace maritime s'étendant des Philippines à Singapour qui voit passer chaque année 3 000 milliards de biens, l'équivalent d'un tiers du commerce mondial. Mais un espace dans lequel certains pays de l'Asean comme les Philippines, l'Indonésie, la Malaisie, le Vietnam, Brunei n'entendent pas céder ce qu'ils considèrent leur appartenant comme les archipels des Paracels et des Spratleys que Pékin bétonne, militarise puis colonise. (15)
Ou bien encore le récif de Scarborough dont s'est militairement emparé Pékin en 2012 et que le tribunal international de la Haye a attribué aux Philippines en 2016, mais que le président philippin Rodrigo Duterte ne peut imposer, au vu de sa politique pro-chinoise. D'ailleurs, la Chine fait fi des décisions internationales et continue de prospecter et de patrouiller dans les eaux territoriales de ses voisins. Mais début septembre 2019, les pays de l'Asean ont mené pour la première fois des manœuvres navales conjointes avec les États-Unis pour une volonté collective de rééquilibrer le jeu diplomatique et afficher leur neutralité vis-à-vis des deux super puissances.
Nous constatons donc que si lors de ce 33e sommet à Bangkok, le gouvernement thaïlandais s'est fortement engagé pour la signature d'un accord global pour le RCEP, l'Inde s'est retiré et les pays de l'ASEAN continuent de négocier, comme nous l'avons dit, des accords bilatéraux de libre-échange ou des systèmes de préférences généralisées (SPG) ( La Birmanie, le Cambodge, l’Indonésie, les Philippines et la Thaïlande sont ainsi bénéficiaires du SPG américain) ; Ou en dehors du cadre de l’ASEAN, le CPTPP (Pour Singapour, le Vietnam, le Brunei et la Malaisie).
Ainsi la Thaïlande veut aussi intensifier ses échanges avec ses voisins (Birmanie, Cambodge, Laos, Malaisie), qui représentent 10 % de son commerce extérieur et bénéficier des relocalisations d’investissements depuis la Chine. (Une nouvelle donne commerciale depuis la « guerre » commerciale entre les Etats-Unis de Trump et la Chine que nous ne pouvons pas évoquer ici dans le cadre modeste de cet article) (Cf. 16)
Le gouvernement thaïlandais mise sur le développement des infrastructures de transport et des zones économiques spéciales (les ZES), qu'on ne peut ici tous citer puisque « En 2019, la Thaïlande comptabilise 74 ZES (sur plus de 700 en ASEAN). Selon le Board of Investment, 52 projets ont été approuvés dans les ZES de 8 provinces pour un investissement total de 272 milliards de dollars. » (Cf. Exemples (17))
Et on pourrait évoquer les mesures prises par la Thaïlande visant à attirer l’investissement chinois (incitations fiscales, procédure d’implantation accélérée) dans les secteurs à haute valeur ajoutée, et comme l'a déclaré le 1er ministre thaïlandais M. Prayut lors de sa rencontre avec le premier ministre chinois Li Keqiang à Bangkok le 5 novembre : « la Thaïlande espère aligner son Corridor économique oriental avec la région de la Grande Baie Guangdong-Hong Kong-Macao de la Chine et ouvre ses portes aux entreprises chinoises pour qu'elles investissent, installent des usines en Thaïlande et coopèrent avec la partie thaïlandaise dans des domaines tels que le commerce électronique, le marché des tiers, le train à grande vitesse, la technologie 5G et l'économie numérique. ».
Ce que M. Li a confirmé en déclarant son souhait d' « aligner l'Initiative « la Ceinture et la Route » avec la stratégie de développement de la Thaïlande » dans son projet de construction du Corridor économique oriental, en encourageant « ses entreprises à participer à la construction des infrastructures de transport de la Thaïlande en accord avec les principes de « marchéisation » et de commercialisation, à bien utiliser les plates-formes de commerce électronique transfrontalier et à augmenter les importations de riz et d'autres produits agricoles thaïlandais de haute qualité ». (18)
Bref. Nous pensions en savoir plus sur les négociations du 33e sommet de l'Association des pays d'Asie du Sud-Est (ASEAN) qui s'était tenu tenu à Bangkok, du 31 octobre au 4 novembre 2019, consacré essentiellement à la signature d'un accord du RCEP (Regional Comprehensive Economic Partnership) regroupant 16 pays ( Les 10 pays membres de l'ASEAN ainsi que 6 autres pays qui possèdent déjà un accord de libre-échange bilatéral avec l'ASEAN, à savoir : l'Australie, la Chine, l'Inde, le Japon , la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande), mais nous avons surtout découvert la complexité de cet accord espéré par ces 16 pays pris par leur propre jeu géopolitique, au milieu d'autres accords multilatéraux et bilatéraux d'ordre économique, militaire, culturel, qui peuvent faire douter de l'optimisme affiché par le gouvernement thaïlandais qui espère que cet accord soit signé au début de 2020.
(Et encore n'avons-nous pas évoqué l'écologie passé au second plan des négociations, en sachant que « Quatre des 10 pays les plus touchés par le changement climatique sont des États membres de l'Asean ») (20)
Notes et références.
(1) L’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) regroupe 10 Etats membres. Créée par l’Indonésie, la Malaisie, Singapour, la Thaïlande et les Philippines en 1967, elle a été rejointe par le Brunei (1984), le Vietnam (1995), le Laos et la Birmanie (1997) et enfin le Cambodge (1999).
« Selon la classification de la Banque mondiale, basée sur le revenu national brut, la région compte cinq « pays à revenu intermédiaire tranche inférieure » (Laos, Cambodge, Birmanie, Vietnam, Philippines et Indonésie), deux « pays à revenu intermédiaire tranche supérieure (Thaïlande, Malaisie) et deux « pays à revenu élevé » (Brunei, Singapour). Regroupant des économies très ouvertes, elle participe pour environ 8% au commerce mondial. Le montant des investissements étrangers entrants, à 134 milliards de dollars fin 2017, est similaire aux IDE en Chine. L’ASEAN est une des régions du monde les mieux insérées dans les chaînes de valeur transnationales (électronique, informatique, automobile…) » https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/SG/l-asean-en-bref
L'ouvrage de référence sur l'ASEAN reste celui de Sophie Boisseau du Rocher, L’ASEAN et la Construction régionale en Asie du Sud-Est, L'Harmattan, 1998.
(2) A148. La politique étrangère de la Thaïlande et l’ASEAN.
http://www.alainbernardenthailande.com/article-a148-la-politique-etrangere-de-la-thailande-et-l-asean-1948-2009-123507177.html Publié le 18 mai 2014.
(3) In « Thaïlande contemporaine », Sous la direction de S. Dovert et J. Ivanoff, IRASEC, Les Indes savantes, 2011.
(4) https://mm.ambafrance.org/ASEM
Cf. Le site officiel de l'ASEM : https://www.aseminfoboard.org/
(5) « L’Asean peut-elle transformer l’Asie du Sud-Est en région intégrée? », Bruno Jetin, Institute of Asian Studies, Universiti Brunei Darussalam »
file:///C:/Users/acer/Documents/Jetin_Asean.pdf
Cf. aussi Communauté de l’ASEAN : quel modèle d’intégration pour l’Asie du Sud-Est ? Par Alexandre Gandil
https://asialyst.com/fr/2015/12/24/communaute-de-l-asean-quel-modele-d-integration-pour-l-asie-du-sud-est/
(6) Asialyst, « L'ASEAN en 10 questions » de Luc Chasseriau :
https://asialyst.com/fr/2017/08/12/memo-asean-en-dix-questions/
(7) http://www.alainbernardenthailande.com/article-a129-travailleurs-illegaux-ou-birmanisation-du-sud-de-la-thailande-120218930.html
http://www.alainbernardenthailande.com/article-a130-la-birmanisation-du-sud-de-la-thailande-est-elle-ineluctable-120323933.html
(8) Thaïlande : Les investissements. Les IDE en chiffres
(https://www.tradesolutions.bnpparibas.com/fr/implanter/thailande/investir
(9) A 50. Clés pour comprendre la politique en Thaïlande.
http://www.alainbernardenthailande.com/article-a-50-cles-pour-comprendre-la-politique-en-thailande-90647687.html
Avec l'article de Jean Baffie, « Une « démocratie » entre populisme et défiance envers le peuple : La politique en Thaïlande depuis la Seconde Guerre mondiale » (in Thaïlande contemporaine)
(10) Le CPTPP (le Partenariat trans-pacifique global et progressiste) une version assez proche de l'accord multilatéral originel TPP après la rétraction de Trump du TPP, entrera en vigueur dès le 30/12/2018. « Par rapport au projet initial, peu de changements sont intervenus. « Les différences portent essentiellement sur les règles de la propriété intellectuelle et le périmètre de la cour d'arbitrage des investissements », pointe Sébastien Jean, Directeur du Cepii. » (Cf. Les Échos, Publié le 6 mars 2018 à 16h57, Richard Hiault)
(11) « Le partenariat économique régional global1, ou en anglais : Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP), est un projet d'accord de libre-échange entre 16 pays autour de l'océan Pacifique.
Il inclut les 10 pays membres de l'ASEAN, à savoir : la Birmanie, le Brunei, le Cambodge, l'Indonésie, le Laos, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Vietnam ; ainsi que 6 autres pays qui possèdent déjà un accord de libre-échange bilatéral avec l'ASEAN, à savoir : l'Australie, la Chine, l'Inde, le Japon, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande.
Les négociations de cet accord ont démarré en novembre 2012. L'accord est vu pour beaucoup d'observateurs comme un accord alternatif à l'accord de partenariat transpacifique (TPP), notamment suite à l'annonce de l'abandon de ce dernier après l'élection de Donald Trump à l'élection présidentielle américaine de 2016. Le projet viserait principalement à une réduction des droits de douane, avec pas ou peu d'ouverture des marchés publics, d'harmonisations des normes ou encore de conventions sur le droit du travail ou de l'environnement. » (Wikipédia)
(12) Ainsi par exemple, ne serait-ce que le contrôle de l’origine de la nationalité des produits. Par exemple, un produit malaisien exporté vers la Chine, pour pouvoir bénéficier des avantages du libre-échange, doit prouver qu’il a été produit en Malaisie avec une proportion significative de ressources naturelles et de composants malaisiens pour éviter que des produits étrangers soient maquillés. On imagine les querelles, les suspicions, les batailles d'experts.
(13) https://lepetitjournal.com/bangkok/rcep-le-plus-grand-accord-commercial-au-monde-sans-les-etats-unis-260355
(14) http://www.slate.fr/story/183591/diplomatie-geopolitique-asie-sud-est-choix-chine-etats-unis
(15) 14 petites îles coralliennes riches en ressource halieutique et potentiellement en pétrole et en gaz sur le plateau continental. La Chine depuis 2013 a construit 7 îlots artificiels pour prétendre à une zone économique exclusive. Revendiqués par Brunei, Malaisie, Philippines, Taiwan, Vietnam. Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Îles_Paracels
(16) « Plusieurs pays de la région bénéficient toutefois de conditions d’accès privilégiées aux marchés européen et américain, grâce aux systèmes de préférences généralisées (SPG). La Birmanie, le Cambodge, l’Indonésie, les Philippines et la Thaïlande sont ainsi bénéficiaires du SPG américain. Le Vietnam et l’Indonésie bénéficient du SPG européen et des régimes plus favorables sont accordés aux Philippines (SPG+), au Laos, au Cambodge et à la Birmanie (TSA). En dehors du cadre de l’ASEAN, le CPTPP montre la voie, difficile, à une ouverture de la région sur le Pacifique et l’Amérique du Nord Singapour, le Vietnam, le Brunei et la Malaisie sont signataires du Comprehensive and Progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership (CPTPP). L’accord est entré en vigueur à Singapour le 30 décembre 2018 et au Vietnam le 14 janvier 2019 » In
(17) « Ces programmes ont déjà permis à la Thaïlande d’intensifier ses échanges commerciaux avec les pays frontaliers, qui représentent 10 % de son commerce extérieur. En 2018, les échanges commerciaux de la Thaïlande avec les pays frontaliers ont atteint 47,5 milliards de dollars, en hausse de 17 % par rapport à 2017. Le total des exportations de la Thaïlande vers ses voisins s’est élevé à 28 milliards de dollars (+18 % en g.a) et celui des importations, à 19,5 milliards de dollars (+15 %). Les échanges avec ces pays connaissent toutefois une baisse depuis début 2019 (–1,8 % en g.a.), sauf avec le Cambodge (+11,4 %), principalement en raison des tensions commerciales sino-américaines et de la hausse du cours du baht qui pèse sur les exportations thaïlandaises. A noter que le commerce frontalier entre la Thaïlande et la Birmanie devrait se développer après la mise en service le 30 octobre 2019 du deuxième pont d'amitié entre les deux pays à Mae Sot. La Thaïlande enregistre un excédent commercial de 8,5 milliards de dollars vis-à-vis des pays frontaliers en 2018. Le seul pays avec lequel la Thaïlande enregistre un déficit est la Malaisie (−1,6 milliard de dollar), pays qui représente 58 % des échanges commerciaux de la Thaïlande avec ses voisins. »
(18) « La région de Tak, frontalière avec la Birmanie, est la plus avancée et accueille 28 projets notamment dans les secteurs du textile et du plastique. La Thaïlande cherche également à tirer profit des ZES en développement dans les pays frontaliers, et notamment de celle de Dawei en Birmanie. Cette dernière devrait s’étendre sur 196 km2 et ainsi représenter l’un des plus grands parcs industriels d’Asie du Sud-Est, avec un port en eau profonde côté birman, relié à Bangkok par une voie rapide. »
Par Romain Philips Publié le 05-11-2019 Modifié le 06-11-2019 à 09:10 http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20191105-asean-asie-sud-est-indonesie-vietnam-chine-malaisie-rechauffement-climatique
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