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Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.

A151. EN THAILANDE, NOUS VIVONS AU MILIEU DES "PHi"

titreLa croyance en des êtres surnaturels est "innée" chez l'homme.

Les Thaïs qualifient ces êtres surnaturels du terme générique de ผี « phi » (1). La traduction que l’on retrouve dans la plupart des lexiques ou dictionnaires, « fantôme » ou « esprit » est sinon mauvaise du moins très largement insuffisante.

 

Ce sont « Des choses que les être humains croient exister sous une forme mystérieuse, que l’on ne peut pas voir mais qui ont parfois un corps » (2).

 

Il existe chez les « phi » comme chez les être humains, en quelque sorte (même si la comparaison est hasardeuse), des anges et des démons, des bons et des mauvais (3).

 

Selon Anuman Ratchathon, ces croyances proviendraient des contacts entre les Thaïs et les Khmers hautement « hindouisés » au 12ème siècle. Il est beaucoup plus probable qu’ils appartiennent à la tradition fondamentale que l’on retrouve dans toutes les civilisations depuis des milliers sinon des dizaines de milliers d’années.

 

anuman.jpg

 

Au 12ème siècle, le « phi » n’est pas un être mystérieux, voir la célèbre inscription de  Ramkamhaeng daté 1283 faisant référence au roi des Khmers de l'époque comme ผีฝ้า « phi fa », littéralement « phi céleste ». C’est le roi divin, un qualificatif que les rois siamois adopteront par la suite.

 

Quelques siècles plus tard, le sens du mot change, le « phi », (un ou une puisqu’ils sont sexués) ;  เทพ thép ou เทวดา théwada (le mot vient du sanscrit) « celui qui brille », traduisons-le faute de mieux par « créature céleste ».

 

thevada

 

Dans notre quotidien, un « phi » sera plutôt mauvais, tantôt fantôme, tantôt démon, tantôt mauvais esprit, mais pas toujours « pur esprit » puisqu’il leur arrive de se matérialiser, et un bon « phi » sera plutôt qualifié de théwada.

 

Néanmoins, le sens originaire n’est pas complètement obsolète. Nous le retrouvons dans quelques expressions : une mauvaise action commise en secret reste inconnue des hommes mais pas du « phi » (ผีบอก phibok le phi le sait) qui apparait alors (toujours une comparaison hasardeuse) comme un ange gardien. Le groupe Carabao a consacré une chanson au phibok.

 

 

 

 

Il en est de même pour un sorcier qui utilise une formule magique qui doit rester secrète pour rester efficace, la formule est phibok, elle lui a été donnée par un phi - thevada

 

La ligne de démarcation entre les dieux et les démons est beaucoup plus difficile à faire que dans notre tradition biblique ! Il y a en effet de mauvais dieux et de bons démons.

 

เจ้าผี chao phi

 

A tout seigneur, tout honneur ! C’est « le seigneur phi », tout autant phi que théwada. Dans l’imagination populaire, il vit dans des lieux isolés, forêt ou zone désertique, tous lieux peuplés d’autres phis le plus souvent néfastes. On trouve toujours (encore aujourd’hui) placé bien en vue à l’entrée de ces lieux un sanctuaire édifié par les villageois qui viennent faire des offrandes au chao phi pour lui demander sa protection. Il est le gardien tutélaire des lieux, appelé selon les circonstances เจ้า พ่อ chao pho ou เจ้า แม่ chao mè, le père ou la mère.

 

sanctuaire

 

La langue thaïe est d’une richesse infinie en matière de pronoms personnels, il en est un singulier ici : Quand on s’adresse à eux, on ne se qualifie pas de « je » mais de  ลูก ช้าง louk chang, « petit éléphant ». L’origine de cette expression singulière nous est donnée par Anuman Ratchathon ; son explication est séduisante. Elle vient d’un temps (probablement l’époque proto historique) où les plaines siamoises étaient ravagées par des hardes d’éléphants qui détruisaient les cultures sans que les paysans ne puissent rien faire. L’invasion éléphantesque serait la punition de ceux qui avaient été négligents à remplir leurs devoirs à l’égard du chao phi.

 

Lorsqu’on pénètre dans la forêt, on doit avant toute chose rendre hommage au chao phi devant son sanctuaire et lui demander l’autorisation de tuer du gibier ou de couper des arbres. Cette requête se fait sous une forme singulière avec un bâton planté dans le sol dont l’extrémité forme un crochet. Pourquoi un crochet ? En thaï, un crochet se dit ขอ kho, mais ce mot est aussi une manière courtoise de demander. Le bâton doit rester planté la nuit, s’il est encore là au matin la permission est accordée (4). Quand on a la certitude qu’elle l’a été, alors on peut aller dans la forêt abattre des arbres ou tuer du gibier, mais uniquement pour les besoins familiaux. De retour on offrira au chao phi une partie du gibier, en général les oreilles.

 

Le chao phi ne donne pas toujours cette autorisation, selon la saison, puisque la végétation doit croitre et le gibier se reproduire. Passer outre à cette interdiction suscitera la colère du chao phi qui punira le coupable de maladies graves. Voilà bien une forme ancestrale du respect que nous devons à la nature. De thévada, le seigneur de la forêt deviendra un phi malfaisant !

 

Ce seigneur de la forêt prend en d’autres lieux le nom de chao pa (เจ้าป่า pa c’est la forêt) ou de chao khao si nous sommes en montagne (เจ้าเขา khao c’est la montagne), chao thalé (เจ้าทะเล) pour la mer, etc …

Ces esprits voyagent le jour entre midi et deux heures de l'après-midi. Il faut donc à ce moment-là s’arrêter de peur de leur marcher involontairement sur les pieds, une bien belle justification de la nécessité d’une sieste reposante, d’autant que la punition infligée par la colère du chao sera l’insolation.

 

Les phi malfaisants

 

Ne citons que les plus connus :

 

Phi Krasu ( ผีกระสือ)

 

C’est la pire, un véritable démon femelle, une vieille femme affreuse, équivalente de nos sorcières. Elle vit au milieu des humains mais évite tout contact avec eux. Ses goûts sont singuliers, elle ne se nourrit que de victuailles volées, de poisson et d’excréments humains. Elle ne sort que la nuit, en laissant la plus grande partie de son corps à la maison, elle ne déplace en effet que sa tête et ses entrailles.

 

krasu

 

Elle laisse toutefois une trace phosphorescente. Si le terme de krasu n’a pas de sens particulier, il a toutefois donné son nom au ver luisant (หนอน กระสือ nom krasu)

 

ver luisant

 

ou à une espèce de lanterne sourde (โคม กระสือ khom Krasu)C’est à l’époque de l’accouchement qu’elle manifeste sa malignité chez les humains, attirée par l’odeur du sang ou par d’autres odeurs plus ou moins nauséabonde. Il est essentiel d’interdire son entrée dans la maison en conservant une propreté absolue pour éviter les mauvaises odeurs et en barrant symboliquement l’entrée de la maison à l’aide d’une plane épineuse et avec un « cordon sacré » (สายสิญน์ saïsin)

 

saisin

 

portant des caractères magiques, faute de quoi elle pénétrera dans la maison à l’heure où tous sont endormis. Elle entrera alors furtivement dans le corps du nouveau-né pour lui dévorer les entrailles jusqu’à ce que mort s’ensuive. Mais, vorace, insatisfaite de ce hors d’œuvre, elle pénétrera ensuite dans le corps de la mère pour se régaler de ses entrailles. Celle-ci va alors dépérir et ce démon ne quittera son corps qu’après sa mort !

 

Il subsiste dans le langage familier quelques expressions qui ne sont pas encore obsolètes, qui nous rappellent cette infernale créature : On est vorace comme une phikrasu (กินเมือนผีกระสือ kinmuankanphikrasu), si on est anémié, on est maigre comme une personne aspirée par une phikrasu (ผอมเมือนผีกระสือ phomuanphikrasu) ou encore les rhizomes phosphorescents d’une plante locale (ไพล plaizingiber casumuna) sont appelés wankrasu (ว่านกระสือ)

 

plai-500x500

 

Lorsqu’elle n’a rien trouvé à voler et n’a pas trouvé non plus de poisson, elle se régalera d’excréments humains. Elle va alors (car elle est propre) s’essuyer la bouche avec le premier linge suspendu qui lui tombe sous la main. Il faut donc être extrêmement attentif au séchage du linge : le jour au soleil, mais jamais la nuit. Si par hasard le linge est resté étendu à l’extérieur et qu’au matin on y trouve des taches de couleur ocre, ce n’est pas de la moisissure, il a été pollué par la phi krasu. Il faut alors le faire longuement bouillir, elle se tordra de douleur et plus long sera le traitement et plus elle souffrira. Elle apparaitra alors soudain sous sa forme humaine et proposera à la personne de lui acheter son linge !

Mais lorsqu’une personne est connue comme phi krasu, on ne la fera pas périr sur le bucher comme une sorcière de chez nous, on se contentera d’éviter tout contact avec elle. Elle en profite d’ailleurs, car lorsqu’elle marchande chez un commerçant, celui-ci accepte facilement son offre de peur de s’attirer ses maléfices.

Elle doit enfin, pour éviter de mourir dans d’atroces douleurs (car elle est mortelle), réussir à cracher dans la bouche d’une personne qui acceptera d’être son héritier. Celle-ci deviendra à son tour phi. Si elle ne trouve pas de volontaire, elle n’a pas d’autre ressource que de cracher dans la bouche d’un chat dont on ne sait par contre pas s’il devient phi ou non ?

 

Anuman Ratchathon a connu dans son enfance une vieille femme qui avait la réputation d’être phi krasu et il prenait ses jambes à son cou dès qu’il la voyait de loin !

 

Phi krahang ผีกระหัง 

 

C’est le mâle de la phi krasu. On sait malheureusement peu de choses sur lui. On sait qu’un adepte de la magie peut se voir pousser des ailes et être capable de voler.

 

krahang

Il devient alors Phi krahang. Il perd ses jambes qui sont remplacées par deux longs pilons (สากตำข้าว saktamkhao)

 

pilon

 

et il lui pousse une petite queue sous forme d’un petit pilon (สากกะเบือ sakkabua).

 

oetit pilon

 

 

Nous savons aussi qu’il se nourrit de la même façon que la phi krasu et qu’il ne laisse personne lui caresser le fondement pour ne pas dévoiler sa véritable nature. C’est un malfaisant lui aussi mais la manière dont il exerce ses maléfices est mal connue.

 

Phi phong ผีโพง

 

phipong

 

Ils sont de la même espèce que les précédents mais plus spécialement implantés dans le nord-ouest et dans le nord-est. Pour Anuman Ratchathon le mot phong est une déformation du mot โพลง phlong qui signifie « brillant ». Ils se nourrissent de la même façon que leurs confrères krasu et krahang et comme eux, scintillent la nuit. C’est l’utilisation de plantes médicinales magiques rendant invulnérable qui vous transforme en phi phong, un état contagieux, puisque toute personne sur laquelle crache le phi phong devient phi phong à son tour. Il utilise une procédure tout à fait particulière pour jeter ses maléfices : il doit jeter sur le toit de la personne un ไม้คาน mai khan,

 

maidan

 

ce bâton en bambou qui permet de porter des charges sur les épaules, mais il est indispensable que ce bâton ait appartenu à une veuve faute de quoi le maléfice ne joue pas. S’il réussit, c’est tout simplement la ruine !

Il sort les nuits de pluie pour chercher la même nourriture que les krasu et les krahang en émettant lui aussi des scintillements. Les mêmes précautions sont requises lors d’un accouchement.

 

Les phi « archaïques »

 

La législation thaïe archaïque fait référence aux phi krasu, aux phi krahang dont nous venons de faire la connaissance, et à deux autres sortes de phi, les phi chamop (ผีชมบet les phi chakla (ผีจะกลา).

 

chamop

 

 

Cette législation  a en effet été compilée par notre auteur et prévoit les procédures nécessaires au traitement de ces phi. Elle interdisait de mettre à mort une personne convaincue d’être phi, ordonnait des punitions à l’encontre de ceux qui accusaient injustement une personne d’être phi. Si les deux premiers sont bien connus, nous ignorons actuellement tout des caractéristiques des chamop et des chakla. Sont-ils devenus obsolètes ?

 

Phi ka ผีกะ, phi de Chaing-maï

 

phika 2

 

Ce seraient des phi à apparence humaine reconnaissables parce qu’ils agitent les yeux en permanence. Ils sont aussi voraces que les krasu et les krahang. Lorsqu’une personne se fait ronger les entrailles par un phika, elle doit faire appel à un médecin spécialisé en phi, un หมอผี mophi. Celui-ci doit battre son patient avec un bâton magique (notre baguette magique ?) ou le piquer en différents endroits du corps avec un couteau tout aussi magique. C’est un véritable exorcisme au terme duquel le phi sort du corps de sa victime.

 

Phipop ผีปอบ, phi du nord-est.

 

phiphop

 

C’est, semble-t-il, le nom local du précédent ? La procédure d’exorcisme est la même. Nous savons en outre que lorsqu’une personne est soupçonnée d’être phipop, elle ne finit pas sur le bucher mais est bannie du village avec sa famille. Il arrive que ces expulsions concernent plusieurs personnes qui vont alors au loin former un village de phipop. Existe-t-il encore des villages de phipop (บ้าน ผีปอบ) ? Certains le croient :

 

village.JPG

 

Nous avons au moins trouvé un ouvrage qui confirme l’existence de ces deux phi du nord : « Les phiphop et les phika existent bien » :

 

phika

 

Les phi – fantômes 

 

Si nos phis coprophages et mangeurs d’entrailles paraissent pouvoir se rapprocher de nos ogres, ces trois-là entreraient plutôt dans la catégorie des fantômes. Ce sont les phi tai hong (ผีตายโหง),

phitaihong

 

les phi tai thang klom (ผีตายทั้งกลม)

 

phitaiklom

 

et les phi dip ผีดิบ.

 

phidip

 

Une personne qui meurt d'une mort violente deviendra phi tai hong et une femme qui meurt avec son enfant pendant l'accouchement va devenir phi tai thang klom. Habituellement le cadavre d'une personne décédée de mort violente n'était pas incinéré comme un cadavre ordinaire mais seulement enterrée et devenait alors phi dip.

 

Ces phi là s’attaquent plus volontiers aux femmes. La victime commence à pleurer sans cause apparente tout au long du jour et de la nuit. Suivent ensuite des symptômes de folie, les yeux brillent, la personne s’agite comme une forcenée et griffe tout ceux qui l’approchent, elle a des forces surhumaines et ne fait que des gestes incohérents, elle est possédée par un phi qui se venge probablement du mal qu’elle lui a fait antérieurement ? Il faut donc faire appel à un médecin spécialiste en phi qui se livre là encore à une véritable cérémonie d’exorcisme à l’égard d’une femme qui semble manifester les signes d’une maladie mentale ?

 

Mais le phi tai thang klom n’a pas que des vertus maléfiques :

 

Quand une femme morte après accouchement est enterrée, ceux qui ont des dons pour la magie doivent se rendre au cimetière au milieu de la nuit, de préférence le troisième jour après la mort de la femme. Ils déterrent le cadavre en prenant la précaution d’entourer les lieux d’un fil sacré et de prononcer de mystérieuses incantations en allumant des bougies, qui interdiront à l’esprit de la défunte de s’échapper. Une bougie est appliquée sous le menton de la morte sous lequel est placé un récipient en forme de bateau qui reçoit des ruissellements d’huile. Cette huile macabre est placée dans un pot de terre. Lorsque quelques gouttes en sont ensuite répandues sur une jeune fille, celle-ci devient follement amoureuse de celui qui l’en a barbouillée. C’est un infaillible filtre d’amour, nam man phraï (น้ำมันพราย).

Les filtres d’amour qui sont toujours vendus sous ce nom ont, souhaitons-le, une composition différente ?

 

namprai

 

ผีผราย phi phrai, un fantome maléfique.

 

 phiprai

L'esprit d'une femme qui meurt pendant l'accouchement est appelée phi phraï et si l’enfant est mort, il devient également phiphraï. Ce sont de redoutables phi. Il y a diverses procédures magiques pour empêcher ces malheureux de devenir phiphraï.

Elles sont décrites en détail dans une œuvre romanesque ancienne et toujours célèbre de la littérature thaïe, connue sous son titre de « Khun Chang Khun Phaen » (ขุน ช้าง ขุนแผน).

 

khonchang

 

ผีเปรต phi phret, un phi vampire.

 

phipret

 

 

C’est encore un fantôme maléfique également affamé. Ce serait une tradition hindoue selon laquelle, après la mort, nous continuons à avoir faim. Si aucune offrande sous la forme d'une boule de riz et d'eau n’est offerte chaque jour pendant les dix premiers jours après la mort de la personne, son esprit subira la faim et deviendra un phi agité et malfaisant.

Il en existe douze espèces. La plus populaire est celle d’un phi à forme humaine grand, décharné, émacié, cheveux en broussaille, une bouche minuscule pas plus grande que le chas d’une aiguille, une immense langue pendante. Il ne se nourrit que de pus et de sang. Il habite les cimetières et se plait à sortir la nuit pour effrayer les honnêtes gens.

C’est aussi le sort obligé d’une personne qui a commis de graves péchés dans sa vie terrestre.

 

Dans le roman «  Khun Chang Khun Phaen » un chapitre est consacrée à Wanthong, une héroïne devenue phi phret.

Dans le sud du pays, une fête en l’honneur des phiphret est toujours régulièrement célébrée en septembre (ชิงเปรต).

 

fete

 

ผีห่า phiha,  ผีป่า phipa,  phi inclassables

 

Ces deux-là n’ont pas de forme humaine.

 

ผีห่า phi ha

 

ผีห่า

 

C'est le phi des maladies épidémiques, notamment le choléra. Ils sont, en cas d’épidémie généralisée, accusés d’en être responsables. Seules des pratiques magiques permettent d’échapper à leur emprise.

 

ผีป่า phi pa

 

phipa

 

C’est le redoutable et redouté phi de la forêt ou jungle. Il en existe de nombreux types qui ne viennent eux aussi dans les villages que sous forme d’épidémie. Ils viennent, généralement sous la forme de la maladie épidémique. On les prétend venir sous forme d’un nuage de papillons qui viennent de village à village transmettre le mal.

 

ผีกองกอย phi kong koi, le phi unijambiste

 

phiunijambiste

 

Il n’a qu'une jambe et se déplace en sautillant. Il vit en forêt et ne sort que la nuit. Nul ne l’a jamais vu, on ne connait que son cri « kong koi kong koi ». Il a la réputation de venir sucer le sang des voyageurs qui dorment la nuit dans la jungle, encore un phi vampire.

 

ผีโป่งค่าง phi poang khang, le phi amateur de sel

 

phi amateur de sel 

Celui-là affectionne les lieux où se trouvent des gisements de sel de terre. En réalité, le khang est une espèce de lémurien à longue queue. Il aime lécher les blocs de sel mais également aussi sucer le sang des personnes qui dorment dans la forêt.

 

ผีเรือน phi ruan, l’esprit de la maison

 

C’est le génie tutélaire de nos demeures, l’esprit de la maison. Il est parfois aussi appelé «phi pu ya ta yai » ผีปู่ย่าตายาย, « pu ya » sont les grands-parents paternels et « ta yai » les grands-parents maternels. Mais dans le nord-est, il devient simplement « phi pu ya », indiquant que seuls les grands-parents paternels sont reconnus comme des esprits ancestraux. Quoique les phi et les humains ne doivent pas coexister, il habite, invisible, la maison. Il s’occupe de notre bien être. Il doit avoir sa place, l’autel domestique, où nous lui apportons nourriture et boisson. Il doit avoir ses cadeaux pour le nouvel an, bref, il est traité en membre de la famille. C’est un bon esprit.

 

autel

 

Pourquoi alors le qualifier encore de phi et non de thévada ? La raison en est simple, les ancêtres des nobles sont des théwada, ceux des roturiers restent des phi qui ne peuvent aspirer à l’honneur d’être qualifiés de théwada. La société siamoise était et reste verticale !

 

***

Certains seront peut-être enclins à sourire devant ces croyances d’un autre âge comme le font les thaïs de la ville ? Elles sont pourtant solidement ancrées dans l’esprit des thaïs de ce siècle. Les phis de toutes espèces font l’objet d’une invraisemblable quantité d’ouvrages « populaires », de bandes dessinées ou de films d’horreur. Il n’y a pas l’un de ces phis dont nous venons de vous parler et de tous ceux dont nous n’avons pas parlé auquel ne soit consacré des pages entières sur une multitude de sites Internet. Sans parler de photographies (?) dont l'auteur affirme avoir photographié un phi  (?)

 

photo

 

photos

 

 

ou de films qui font parfois la « une » à la télévison dont celui-ci qui nous montre une phikrasu :

 

 

 

***

 

Terminons en disant que les cas de « possession » par de mauvais phi nous semblent étrangement similaires aux possessions démoniaques de la Bible et de nos évangiles. Sans parler de la description terrifiante de ces démons dans l’Apocalypse de Saint Jean (XIII), les évangiles citent de nombreux cas de possession, Jésus chasse par exemple des légions de démons du possédé de Gérasène (Marc, 5 1-13) et donne à ses disciples le pouvoir de les chasser (Marc, 6).

Le rituel de l’exorcisme a été dépoussiéré par Jean Paul II en 1999 : « De exorcismis et supplicationibus quibusdam » et sa version française a été diffusée en 2006. Il est toujours applicable dès lors que l’hypothèse d’une maladie mentale est médicalement écartée (5). Il y a plus d’une centaine d’exorcistes en France seulement qui pratiquent annuellement plusieurs centaines de cérémonies (6).

 

exorcisme

 

Et on se souvient de l'aphorisme du grand Saint Bernard :

 

 « La plus grande ruse du démon est de faire croire qu’il n’existe pas ».

 

 

 

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Notes

 

(1)ผี se prononce « phi » (et non « fi » comme en français où ph est un duplicata de la lettre f, tribut inutilement payé aux étymologistes), le son p suivi selon la transcription officielle de la lettre « » marque une forte expiration et non pas une « aspiration » comme on le lit trop souvent : le français connait le h muet (présence inutile encore due à l’étymologie : l’homme) et le h répulsif qui interdit la liaison (les homards). Le h s’expire parfois (ha, ha, ha !) mais essayez-donc de rire en aspirant !

 

(2) Définition donnée par le dictionnaire de l’académie royale (édition 2002) qui en donne ensuite une très longue liste non exhaustive.

 

(3) Nous avons utilisé d’abondance l’article de พระยาอนุมานราชธน Phraya Anuman Ratchathon « The Phi » dans le journal de la Siam society, volume 41-2 de 1954. Né en 1888 et mort en 1969, il est l’un des premiers sinon le premier à avoir étudié le folklore thaï. Ces dates nous permettent de situer ses souvenirs d’enfance aux environs de début du siècle dernier.

 

(4) Une sympathique coutume, nous apprend encore Anuman Ratchathon bien qu’elle ne s’adresse pas au Chao phi : Si vous voyagez dans un lieu désert, fatigué et altéré et que vous tombiez sur un champ de melon qui vous permettra d’étancher votre soif ? Vous ne pouvez trouver le propriétaire du champ ? Il ne vous reste plus qu’à planter le crochet dans le sol et de déguster quelques melons !

 

(5) Voici le rituel français (extrait du site de « la Vie » :

http://www.lavie.fr/dossiers/exorcisme/le-rituel-d-exorcisme-officiel-de-l-eglise-catholique-26-01-2006-14701_208.php)

 

«Je te conjure, Satan, ennemi du salut des homme, reconnais la justice et la bonté de Dieu le Père, qui, par son juste jugement a condamné ton orgueil et ton envie;
Quitte ce serviteur (cette servante) de Dieu (ici on prononce le nom de la personne).
Le Seigneur l'a fait à son image, l'a paré de ses dons et, par miséricorde, l’a adopté comme son fils (sa fille). Je te conjure, Satan,
prince de ce monde, reconnais la puissance et la vertu de de Jésus-Christ, qui t'a vaincu dans le désert, a triomphé de toi dans le jardin, sur la croix, t'a dépouillé,
et, se relevant du tombeau, a transporté tes trophées au royaume au royaume de la lumière. Retire-toi de cette créature (ici on prononce le nom de la personne.)
En naissant, Il a fait d'elle son frère (sa sœur) et en mourant, Il l'a fait(e) sien (sienne), par son sang. Je te conjure, Satan, qui trompes le genre humain, reconnais l'Esprit de la vérité et de la grâce, qui repousse tes embuscades et embrouille tes mensonges;
Va-t'en de cet humain créé par Dieu (ici on prononce le nom de la personne)
Il l'a marqué du sceau d'en haut ; Retire-toi de cet homme (de cette femme) :
Dieu, par l'onction spirituelle, a fait de lui (d'elle) un temple sacré.
Retire-toi donc, Satan !  Au nom du Père, du Fils et et du Saint Esprit, retire-toi par la foi et la prière de  l'Église ; Retire-toi par le signe de la sainte Croix de notre Seigneur Jésus Christ, qui  vit et règne pour les siècles des siècles.  
Tous répondent : Amen.»

 

 (6) « Exorciste, un métier d’enfer », article de Louise Couvelaire dans « le Monde » du 10 janvier 2014.

 

 

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