Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
La sakdina ?
Vous pouvez lire chez différents auteurs qui traitent cette période, que le roi Boromtrailok (1448- 1488) avait commencé son règne en introduisant d’importantes réformes dans l’organisation de son « royaume », notamment en établissant des titres correspondant à un niveau hiérarchique et à une fonction et en attribuant à chacun un nombre correspondant de sakdina. Mais en fait, les Chroniques royales d’Ayutthaya n’ évoquent qu’une promotion effectuée par le roi Boromtrailok : « Le chef des armées est nommé « Chief minister Prah Kalahom », le chef de l’Administration devient « chief minister Nayok, Khun Muang devient Phra Nakhon Banmuang, Khun Wang devient Phra Thammathikon , Khun Na devient Prah Kaset, Khun Klang Phrah Kosathibodi. Chacun se voit attribué 10 000 sakdina. »
Par contre, les chroniques n’expliquent pas du tout ce que pouvait représenter une sakdina.
« Au Siam, la sakdina, octroi de lots de terre aux XIVe-XVIIe siècles selon la fonction assumée par une personne, semble incarner si parfaitement les principes du système de répartition que les auteurs thaïlandais contemporains trouvent ce terme commode pour rendre la notion de « féodalisme »**. Il s’agit d’un système de grades (le terme peut se décomposer en sakdi « pouvoir » et na « rizières »), d’après lequel chaque homme peut détenir une quantité de terre variable suivant son statut.
Le chiffre indiqué comme sakdina recouvrait, d’après H.G. Quaritch Wales***, la superficie en rai – mesure de surface équivalente à 1 600 m² –
qu’un vassal tenait de son seigneur. Cela permettait de déterminer le nombre de clients qu’un patron pouvait mettre à la disposition du service gouvernemental régi par tout un système de corvées civiles et militaires. En supposant que chacun de ses clients possédait 25 rai, un patron du grade 400 en sakdina contrôlait 16 hommes, tandis qu’un ministre du grade 10 000 en sakdina contrôlait 400 clients. »
"comme un système « qui régulait le droit foncier et les relations hiérarchiques en conférant à chacun un grade et une place dans la société. Les sakdina étaient des grades basés sur la surface de terrain sur laquelle une personne exerçait théoriquement son contrôle. Elles variaient entre cinq raï (1600 m2) pour les « dépendants » (that) et un nombre potentiellement infini pour le roi, lequel était censé détenir les droits sur tout le territoire contrôlé par lui et ses vassaux. En réalité, il est plus probable que ces grades correspondaient plus au nombre de personnes sous la dépendance d’un noble qu’à la surface de terrain qu’il contrôlait, une personne correspondant à 25 rai. Les personnes de sakdina 400 rai constituaient la classe officielle, dont les membres ne devaient pas tirer leur subsistance du labeur direct ».
La sakdina est donc :
La sakdina est un des moyens qui permet au chef du muang d’assurer son pouvoir en gérant : son territoire (son foncier), son « pouvoir économique », « ses subordonnées », de répondre aux « exigences « impôts et corvées) du muang supérieur. Elle constitue l’un des moyens d’organisation et d’exercice du pouvoir, avec les mariages les alliances, les « vassalisations » et les guerres …
La fonction primordiale de l’administration provinciale est de percevoir les redevances dues par les paysans et de les mobiliser pour les corvées et pour la guerre.
Deux qualifications sont essentielles pour pouvoir occuper les charges de gouverneur de province ou de chef de district. D’abord, parce que leurs pères ou d’autres parents ont déjà rempli les mêmes fonctions avant eux, et parce que leurs oncles et cousins occupent aussi des postes mineurs dans la province, ces administrateurs régionaux possèdent un réseau de relations familiales et un ensemble de protégés ou de clients dont ils ont hérité en tant que patrons; le gouvernement central ne peut donc ignorer leur position à l’intérieur de la hiérarchie locale. (NGUYỄN THẾ ANH)
Ceux-ci se divisent en Phraï ou hommes libres soumis à la corvée et attachés à un patron (Naï ou Chao) auquel ils doivent cadeaux et prestations en échange de sa protection, et en That ou esclaves,
à la disposition de leur maître (Naï ou Chao) mais pouvant avoir leurs propres terres et même racheter leur liberté. Les Phrai, soumis à une sorte de servage, ont la liberté de changer de patron. Il n'y a pas de propriété privée de la terre mais seulement une possession toujours révocable. (Cf. Michel Bruneau ***** http://www.alainbernardenthailande.com/article-15-le-muang-selon-michel-bruneau-99865623.html )
Il possède de plein droit le produit de la récolte qu’il a obtenue par son travail. En échange, il doit s’acquitter des « taxes royales » et des « services dus au roi ».
En pratique, les paysans travaillent trois ou quatre mois par an pour le roi et/ou pour le gouverneur, et/ou le seigneur local (creuser des canaux, construire des bâtiments ou des routes, ou accompagner une expédition militaire sur une longue période.)
« Au Siam, c’est de façon générale un personnage local (nai), auquel le contrôle sur un certain nombre d’hommes a été accordé en rémunération de sa charge, qui profite du travail de ces corvéables. » (NGUYỄN THẾ ANH citant Jeremias van Vliet, The short history of the kings of Siam, trad. Leonard Andaya. Bangkok, 1975. )
L’indépendance des müang s’accroît naturellement avec la distance par rapport au centre : bien qu’un édit (1468 ou 1469) ait proclamé que vingt « rois » rendent hommage à Ayutthaya, l’emprise du souverain n’est que relative sur les Etats tributaires éloignés dans la péninsule malaise, tels que Pahang, Kelantan, Trengganu et Pattani. Ceux-ci se conduisent pratiquement en Etats indépendants; aussi longtemps qu’ils envoient régulièrement des présents appropriés à Ayutthaya, le souverain n’interfère pas dans leurs affaires. Les identités régionales prennent forme et s’animent ainsi au niveau du müang. (NGUYỄN THẾ ANH)
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Autrement dit, il est plus aisé de donner une hiérarchie théorique, un modèle, que de rendre-compte réellement de l’histoire de ces muang, surtout que dans les Chroniques royales d’Ayutthaya le roi Boromtrailok ne distribue que 60 000 sakdina (pour 6 personnes).
Si l’on en juge par les mesures données par H.G. Quaritch Wales,
le roi accordant 6 fois 10 000 sakdina, n’aurait de fait octroyé que 6 fois 10 000 raïs. Ce qui fait peu pour le royaume d’Ayutthaya, non ?
Ne connaissant pas le nombre de sakdina, on ne peut dire le nombre de sujets. Or, on sait, que contrairement à l’Occident, le Pouvoir ne se mesure pas à la surface du Territoire mais au nombre d’hommes que l’on a sous son Autorité . Le Pouvoir a besoin de bras, de travailleurs pour défricher, augmenter le nombre de rizières. Le but des guerres n’est pas de conquérir des nouveaux territoires mais de faire des prisonniers pour mettre en valeur de nouvelles terres............. afin de créer des nouvelles sakdina.
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In Les féodalités, editors Jean-Pierre Poly, and Éric Bournazel (Paris: Presses Universitaires de France, 1998). Part of the series Histoire générale des systèmes politiques
** Cf. Craig J. Reynolds, Thai Radical Discourse: The Real Face of Thai Feudalism Today. Ithaca, Southeast Asia Program, Cornell Univ., 1987, 186 p., qui est la traduction d’une étude du radical thai Cit Phumisak, « Chomna khong sakdina Thai nai patcuban ».
*** Ancient Siamese Government and Administration. Londres, 1934, p. 49-50.
Féodalité. Encyclopædia Universalis. Paris, 1984, t. 7, p.874.
Dans l'histoire de la civilisation de l'Europe occidentale, la féodalité représente un moment particulier qui se caractérise par la dissolution de l'autorité publique ; elle répond à un état de la société et de l'économie fondé sur l'exploitation de la paysannerie par l'aristocratie dans le cadre de la seigneurie. À partir du ixe siècle, les relations de patronage et de dévouement personnel, qui s'étaient développées dans le privé, se sont introduites progressivement dans les structures de l'État. L'affaiblissement de la royauté en fit peu à peu la seule armature des rapports politiques. Le pouvoir de commander, de punir et de taxer les gens du commun se répartit entre de petites cellules autonomes construites autour des châteaux. Parmi les membres de l'aristocratie, l'engagement vassalique et la concession du fief servirent de cadre aux liens de subordination.
L'hommage et le serment de fidélité instituent entre le vassal et son seigneur des devoirs honorables et réciproques de non-agression et d'assistance, peu différents de ceux que déterminent entre parents les liens du sang. Le lien réunit les deux hommes leur vie durant, sauf manquement de la part de l'un ou de l'autre à ses obligations. Pour mériter le fief dont il a reçu la jouissance lors de la prestation de l'hommage, le vassal est astreint à des services, plus nettement positifs, d'aide et de conseil. Mais le réseau des clientèles demeura longtemps discontinu, et la place prépondérante qu'occupa le fief à partir du xie siècle dans la relation féodo-vassalique contribua à l'affaiblissement du lien affectif. Aussi, les institutions féodales ne parvinrent-elles pas à dégager de la violence et de l'anarchie la société aristocratique, malgré les efforts déployés par l'Église, qui s'était elle-même féodalisée, pour établir la « paix de Dieu ».Georges Duby in Encyclopédie Universalis. Paris, 1984, t. 7, p.874.
**** p. 127 in, article ” Kwanpenthaï “ in “Thaïlande contemporaine “(op. cit.)
****in Michel Bruneau « Évolution de la formation sociale et transformation de l’organisation de l’espace dans le Nord de la Thaïlande (1850-1977) » Cahiers de géographie du Québec, vol. 22, n° 56, 1978, p. 217-263. Pour citer cet article, utiliser l'adresse suivante :
http://id.erudit.org/iderudit/021394ar