Nous commençons donc notre Histoire du royaume d’Ayutthaya, fondé en 1351 par le roi Ramadhibodi 1er (dynastie U Thong, 1350-1369), un royaume qui va voir se succéder 33 rois ( plus un usurpateur et un roi birman), cinq dynasties, sur une période de 416 ans jusqu’à sa destruction par les Birmans en 1767.
Nous pensions raconter une Histoire classique, en choisissant une intrigue, des personnages, des dates, des événements, selon une chronologie admise. Mais très vite, nous avons rencontré le problème de la fiabilité des sources.
Déjà, lors de notre « Histoire de Sukhotai » nous n’avons pas cessé de nous interroger sur les sources (Cf. article 23), constaté avec Mgr Pallegoix que les annales du pays (« phongsawada Muang nua » ou « histoire du royaume du Nord ») donn(ant) l'origine des Thais, et un abrégé de leur histoire jusqu'à la fondation de Ayutthaya, étaient « pleine de fables et présente peu de faits historiques », observé que les « spécialistes » avouaient le plus souvent leur ignorance et leurs hypothèses, reconnu que bien souvent les Thais « entre plusieurs hypothèses, (ils) privilégient volontiers la légende au profit d’une réalité plus ou moins bien connue. »
Mais surtout nous répétions sans cesse, que cette Histoire avait une Histoire officielle « encadrée » par le Pouvoir royal et le « nationalisme » thaï, et était une fabrication idéologique qui ne distinguait pas les faits historiques des légendes et des mythes.
Même leurs preuves étaient sujettes à de nombreuses théories, interprétations, polémiques. Cette Histoire était enseignée comme telle à l’école, relayée par les médias voire les films « historiques » et n’avait comme fonction que de montrer la grandeur du royaume thaï, de ses rois et de la Nation.
1/ Mais on se souvenait des promesses de Mgr Pallegoix qui disait à propos des Annales que
« la fondation d’Ayuthaya, forme quarante volumes, et donne l'histoire bien suivie de la nation thaie jusqu'à nos jours. »
On pensait alors avoir NOTRE document.
Quelle ne fut pas notre surprise !
Les « Annales » proposaient déjà deux versions complètement différentes pour U Thong, le futur Ramadhibodi 1er .
L’une le faisait descendre d’une princesse cambodgienne qui devint la reine du Cambodge (sic).
« Les grands du royaume, ayant tenu conseil, élurent pour roi le fils d'un richard appelé Xôdok, et lui firent épouser la princesse cambodgienne. Le nouveau roi, nommé Phra-Chao-
Uthong, régna sept ans à Inthapat- Nakon; mais la contrée ayant été ravagée par une peste terrible,
Phaja-Uthong, avec tout son peuple, abandonna le pays et, s'étant dirigé vers le sud-ouest, après vingt jours de marche, il arriva au bord d'un grand fleuve où il trouva une île d'une forme ronde. Il passa la rivière pour visiter cette île, et il y trouva un ermite qui lui dit que dans les siècles passés Somana –Khôdom était venu là et avait prédit que dans la suite on y bâtirait une grande ville. Phaja-
Uthong fut charmé d'apprendre cette nouvelle et résolut de fixer sa résidence dans cette île. II fit construire des murailles, s'y bâtit un palais, s'y établit avec tout son peuple, et donna à sa nouvelle ville le nom de Krung-Thèp-Maha-Nakon-Si-Ajuthaja, qui devint par la suite fort célèbre sous le nom de Juthia. »
« Il existe une autre version touchant la fondation de Juthya; on lit dans certains exemplaires des Annales qu'un roi de la nation Thai, ayant fondé la ville de Khampëng-Phet, eut un fils de beaucoup de mérite au moment de sa naissance, Indra lui fit cadeau d'un berceau d'or; c'est pour cela qu'il fut nommé Uthong. Ce prince ayant succédé à son père, envoya ses officiers reconnaître le pays qui est au midi. Ceux-ci, à leur retour, annoncèrent au roi qu'ils avaient trouvé une contrée très-fertile et abondante en poissons. Alors Phaja-Uthong émigra avec tout son peuple et vint bâtir Juthia dans l'ile dont nous avons parlé. Cette seconde version me paraît plus vraisemblable que la première car si l'on adoptait la première, il s'ensuivrait que les Thai actuels ne sont plus de race Thai, mais de race Cambodgienne hypothèse qui est tout à fait inadmissible, vu la grande différence qui existe entre ces deux races. »
« Phaja-Uthong, après avoir fondé en 1350, Juthia, prit le titre de Phrah Rama Thibodi , il établit son fils Phra Ram Suen roi de Lophaburi ;
Voici la liste des 16 États qui étaient alors sous sa domination :
Malaka, Xava, Tanaosi (Ténassérin), Nakhon Si-thamarât (Ligor), Thavai, Mo Ta Ma (Martaban), Mo-Lamlong (Molmein), Song-Kla,Chantabun, Phisalunok, Sukhotai, Phixai, Savankha-Lok, Phichit, Khampheng-phet, NakhonSawan ; ».
Il ne passa rien de remarquable sous son règne,si ce n'est qu'il porta la guerre dans le Cambodge d'où il amena un grand nombre de captifs.
Phra-Rame- Suén succéda à son père et mourut une année après (sic). (en 1369). »
Malgré tout le bien que nous pensons de Mgr Pallegoix, de ce savant et de son Oeuvre exceptionnelle, il manquait ici d’esprit critique, et s’exprimait avec une certaine naïveté, en évoquant « la vraisemblance ».
On peut remarquer :
- Une crédibilité quelque peu limitée des « Annales ». Il signale plusieurs exemplaires (sans donner de références) qui donnent des versions très différentes de la fondation du royaume.
- Un fondateur qui reçoit un hommage d’ Indra à la naissance ne fait pas très historique.
- Des Annales évoquant La Nation thaïe (un roi de la nation Thai) sent trop la construction idéologique du nationalisme du XIX ème siècle.
- Le savoureux commentaire de Mgr Pallegoix « Il ne passa rien de remarquable sous son règne », permet de déduire que ces fameuses Annales du pays (« phongsawada Muang nua » ou « histoire du royaume du Nord » ne nous apprendrons rien ou si peu sur la fondation d’Ayutthaya et de son fondateur.
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On savait désormais quoi penser des histoires thaïes qui s’écrivent sous l’Autorité des « Annales ». (sachant que l’argument d'autorité tend à faire valider un message non sur base de son contenu mais sur base de la source dont il émane.)
2/ Mais alors où trouver nos informations ?
Wikipédia ?
L’article consacré à U Thong se met sous l’autorité d’ « une chronique royale », sans donner la référence.
« Au moins une chronique royale identifie U Thong comme le fils de Chodüksethi, chef présumé de la communauté marchande chinoise »
Ou bien encore l’expert thai « L’érudit Charnvit Kasetsiri a présumé que... ».
Ou encore plus précis ( !), dans le même article « Quelques sources indiquent que », « d'autres indiquent qu'elle » pour donner deux versions opposées de l’abdication du fils de Ramathibodi.
*(Cf. en note ce texte de wikipédia)
In Thaïlande comtemporaine **?
Stéphane Dovert (une référence pour nous), dans son chapitre sur Ayutthaya (p. 205), donne aussi la référence de Charnvit Kasetsiri***, ainsi que celle de Jean-Claude Brodeck qui aurait traduit des « chroniques d’Ayutthaya » (Lesquelles ?)****.
Par contre, Dovert nous donne une piste de travail en citant Richard D. Cushman :
« Mais on se référera surtout au travail monumental de Richard D. Cushman, The Royal Chronicles of Ayutthaya, the Siam Society, Bangkok, 2000 . (à propos de la fondation du royaume, voir les pages 9 à 11) ».
Il y aurait donc des Chroniques royales d’Ayutthaya !
Une nouvelle recherche s’imposait.
(Cf. l’article suivant « Les Annales d’Ayutthaya, l’Arlésienne »)
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* Wikipédia
Ramathibodi Ier (en thaï: สมเด็จพระรามาธิบดีที่) (1314 - 1369) est le fondateur du royaume d'Ayutthaya, dans l'actuelle Thaïlande, sur lequel il a régné jusqu'en 1369. Il était connu sous le nom de prince U Thong avant son ascension au trône le 4 mars 1351. Natif de Chiang Saen (maintenant dans la province de Chiang Rai), il se réclamait de la descendance de Khun Borom et a propagé le bouddhisme theravāda comme religion d'État.
Règne
L’érudit Charnvit Kasetsiri a présumé que U Thong pouvait en réalité être né d’une famille marchande chinoise dans le secteur de Phetburi. Au moins une chronique royale identifie U Thong comme le fils de Chodüksethi, chef présumé de la communauté marchande chinoise.
La position de Ramathibodi a été probablement fixée par un mariage politique et des connexions familiales. Il a épousé une fille de la famille régnante de Suphanburi, et a pu avoir également conclu une alliance matrimoniale avec le roi de Lopburi, qui l’avait probablement choisi pour lui succéder. Il a nommé respectivement son beau-frère et son fils comme Uparaja (vice-rois) de Suphanburi et Lopburiet a établi sa propre capitale dans la nouvelle ville d'Ayutthaya. Le règne de Ramathabodi a uni les dirigeants khmers de Lopburi, les Thaï de l'ouest et les négociants chinois et malais habitant les secteurs côtiers.
La mort de Ramathibodi a allumé une bataille pour sa succession : son fils Ramesuan est d'abord devenu gouverneur d'Ayutthaya (1369), mais il a dû abdiquer dès l'année suivante en faveur du beau-frère de Ramathibodi, Borommoraja. Quelques sources indiquent que l'abdication s'est produite paisiblement, alors que d'autres indiquent qu'elle est survenue à la suite d’une guerre civile sanglante.
**Thaïlande contemporaine, Sous la direction de Stéphane Dovert et Jacques Ivanoff, IRASEC, 2011
***Charnvit Kasetsiri, « Origins of a Capital and Seaport : The Early Settlement of Ayutthaya and its East Asian Trade”, in Kennon Breazeale, From Japan to Arabia : Ayutthya’s Maritime Relations with Asia, The foundation for the promotion of Social Sciences and Humanities, Textbook, Project, Bangkok, 1999.
****Jean-Claude Brodeck, in Kromphra Paramanuchit, « Petites chroniques d’Ayutthaya, ancien royaume du Siam (1350-1767 », Charlemint éditeur, Bangkok, 1974.
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