Nous allons continuer notre récit dans les incertitudes et les à-peu-près, avec l’arrivée du roi Lithai (Thammaracha 1) (1347-1368) (cousin de Nguanamthom, Fils de Loethai) qui aurait succédé à son père Loethai pour certains ou à Nguanamthom (cousin de Loethai et fils de Ban Muang) (1323 et 1347) pour d’autres. Et même à un régent nommé Saisongkhram pour d’autres encore ( ?). C’est vous dire les incertitudes dynastiques !
1/ Le Prince Diskul
le présente ainsi * : Le petit-fils de Ram Kamhaeng, Lithai, qui régna de 1347 à 1368 environ, réunifia de nouveau le royaume sans toutefois lui garantir les limites antérieures. Adepte zélé du bouddhisme Theravada (issu de la secte Shri Lanka), il est le premier souverain thai à avoir vécu comme un moine pendant une partie de sa vie. Il combattit le puissant royaume d'Ayudhya qui s'était implanté au sud depuis 1350.
Le Prince Diskul, modéré pourtant, le présente donc comme un grand roi, un guerrier conquérant, résistant au nouveau royaume d’Ayutthaya, et pieux (a vécu longtemps comme un moine). Il a oublié le grand traité de cosmologie bouddhique que l’on lui attribue, le Tribhumikathà (les Trois Mondes bouddhiques organisés, à partir du mont Meru,
en trente-deux niveaux de progression spirituelle). qui fut utilisé comme charte politique bouddhique.
Mais vous avez beau chercher, vous ne trouvez pas comment le roi Lithai a réunifié le royaume, même « sans toutefois lui garantir les limites antérieures. ». Vous ne trouverez ni le récit, ni la référence d’aucune bataille.
On avait de suite le sentiment d’un déjà vu. Nous n’étions plus dans l’Histoire ou plutôt nous étions dans cette façon particulière qu’à le Pouvoir thai d’utiliser les rois ou princes à des fins idéologiques. On pouvait penser que « le grand roi » Lithai entrait dans l’histoire du nationalisme largement présenté dans ce blog.
2/ Guy David, professeur à l'Institut de science et de théologie des religions de Toulouse, dans un excellent article**, pouvait nous renforcer dans cette hypothèse :
« L'héritage laissé par Li'thai a été très important dans le processus d'intégration nationale et de légitimation politique pour la période moderne. Cependant certains chercheurs ont émis des doutes quant à l'authenticité du Tribhumikathà (les Trois Mondes), écrit par Li'thai. Ces chercheurs avancent l'hypothèse que ce traité cosmologique sur l'éthique du souverain bouddhiste (utilisé comme charte politique bouddhique) a été écrit à la fin du XVIIIe siècle, durant le règne de Rama I (1782-1809) afin d'aider à soutenir une monarchie thaïe dévastée par le sac birman d'Ayutthaya. Durant la période moderne, on peut noter que le Tribhumikathà (les Trois Mondes) fut utilisé par les groupes conservateurs néo-traditionnels pour renforcer le pouvoir des élites thaïes. »
Certes la méthode n ‘est pas nouvelle et de nombreux histoires nationales racontent différentes versions du sabre et du goupillon. Nous avons eu la nôtre :
L'un brandissant le glaive et l'autre le ciboire
Les peuples n'avaient plus à se poser de questions
Et quand ils s'en posaient c'était déjà trop tard
On se sert aussi bien pour tondre le mouton
Jean Ferrat.
Guy David rappelle la version du Sud-Est asiatique, avec le roi Asoka (qui) a souvent été utilisé par de nombreux rois pour acquérir leur légitimité et leur autorité dans la région.
« Le Roi Asoka, symbole ou mythe du souverain bouddhiste paradigmatique, sera à l'origine du rapport entre les institutions religieuses et le pouvoir royal en Asie du Sud-Est ».
« Le soutien des ordres monastiques bouddhistes fut établi sur la base d'une réciprocité, d'une part par une fidélité institutionnelle du pouvoir aux communautés monastiques, d'autre part par la construction de cosmologies et de mythologies religieuses de la part de ces communautés monastiques. Celles-ci valorisaient le roi comme propagateur de la religion du Buddha et comme clé de l'harmonie et du bien-être de l'univers, afin d'établir l'ordre du monde, de l'organiser et de le rendre sacré.
[…] À l'image du dieu Indra, le roi terrestre, le cakravartin, Li'thai fit construire son palais au centre symbolique du royaume, ainsi que des tours-caitya jusque dans les provinces éloignées afin de montrer les liens qui unissaient la capitale et les provinces. Stupa et reliques légitimaient les droits territoriaux de Li'thai. Une roue géante (cakra) et une ombrelle, symboles du pouvoir religieux et de la royauté, accompagnaient le roi dans ses déplacements. Il faisait en même temps distribuer par la communauté monastique des images de Buddha, des reliques, des empreintes de pas de Buddha aux 108 signes cosmologiques surnaturels. »
3/ Et oui, il vaut toujours mieux être de droit divin si on veut se maintenir au Pouvoir.
Si on est bouddhiste, on peut encore mieux faire comme par exemple le roi Mongkut. W Pongsripian, un éminent historien thai, nous rappelle *** : « dans son récit intitulé Témoin de miracles (Aphinihan kanprachak), le prince-patriarche Pavaret laisse entendre que le roi Mongkut se considérait comme la réincarnation du roi Lithai de Sukhothai.
(Cf. notre article sur le nationalisme thai et ses trois piliers : le roi, la nation et la religion).
http://www.alainbernardenthailande.com/article-notre-isan-13-le-nationalisme-thai-73254948.html)
4/ Les Légendes.
Le roi Lithai a donc bénéficié d’un statut particulier dans l’Histoire de la Thaïlande. Il est vrai que l’absence de documents vérifiables permet tous les récits fabuleux et autorise les légendes. (Il y en aura d’autres).
En effet, on peut trouver de nombreuses légendes à propos du roi Lithai. Ainsi par exemple :
- La Statue du Dieu Indra
La légende raconte que le souverain Li Thai, désireux d’acquérir ce qui serait le plus beau Bouddha du royaume du Siam. Il commanda trois statues à ses trois meilleurs sculpteurs : l’un originaire de Chiang Saen, l’autre de Sukhothai et le troisième sculpteur de Sawankhalok (…) La troisième statue Phra Chinarat, bénéficia de la touche personnelle du Dieu Indra, ce qui érigea la statue au rang de chef-d’oeuvre. Cette oeuvre d’art, fût choisie par le souverain Li Thai pour trôner dans le sanctuaire de sa capitale, en 1357.
Une statue similaire siège dans le temple de marbre, à Bangkok. Les chroniques racontent aussi que tous les souverains, au fil des siècles, vinrent rendre hommage à l’éveillé de Phitsanulok en le parant de feuilles d’or.
- L’origine de Loy Kratong. (Thaï ลอยกระทง)
-
Selon la légende la plus communément admise, il avait dans le Royaume de Sukhotai (v.1220-1350), à la cour du roi Pra-Ruang (aussi connu sous le nom de Lithai), un prêtre Brahmane qui avait une fille extrêmement belle du nom de Naang Noppamart … (Cf. la suite en note *****).
5/ Il est difficile de comprendre le succès posthume du roi Lithai de Suhkotai, surtout que va émerger durant le début de son règne en 1350 (ou 1351), le royaume d’Ayutthaya, qui va bouleverser la géopolitique de la Région.
Il est difficile de croire à un Lithai conquérant quand le nouveau royaume d’Ayutthaya peut déjà en 1353 prendre Angkor et l’occuper jusqu’en 1357 avec les fils de Ramathobi 1er, Chau Bassat (1353-1354), Chau Baat (1354-1355), et Chau Kampang Pisey (1355-1357).
Quand par exemple une cité comme Kamphaeng Phet qui s’est fortement développée sous le règne de Li Thaï nous dit-on, mais qui est annexé par Ayuttaya pour devenir un simple poste de garnison.( La province dispose d'un parc historique, classé au patrimoine mondialde l’UNESCO depuis 1991).
Il nous restait à évoquer comment le nouveau Pouvoir central d’Ayutthaya allait redistribuer les cartes par une politique de conquêtes qui aboutira à la vassalisation de Sukhotai en 1378 et son annexion en 1438.
*Le Courrier de l’UNESCOde juin 1979
**Guy david, (professeur à l'Institut de science et de théologie des religions de Toulouse), Article : Communauté bouddhique et pouvoir politique en Asie du Sud-Est,
In, DROIT ET RELIGIONS EN ASIE DU SUD-EST sous la direction de Jean-Marie Crouzatier, Université de Perpignan. Jeudi 10 mai 2001, Colloque organisé par l'Institut du droit et des institutions francophones d'Asie du Sud-Est et le Centre d'études et de recherches constitutionnelles et politiques. Copyright et diffusion : 2002 Presses de l'Université des sciences sociales de Toulouse Place Anatole France 31042 Toulouse cedex France
« B - Sukhotai
Sukhothai est situé à environ 350 km au nord de Bangkok en Thaïlande et fut la capitale la plus importante du Siam. A l'origine, la ville était un avant-poste khmer. Elle fut conquise par les tribus thaïes au milieu du XIIIe siècle et restera un centre de pouvoir jusqu'à la fin du XIVe siècle.
La ville était entourée de trois remparts concentriques en terre, séparés par des fossés. Quatre portes étaient percées aux points cardinaux. L'ensemble couvrait une superficie de presque trois kilomètres carrés. À la fin du XIIIe siècle, sous le Roi Rama Khamhaeng (1275-1317), le centre axial de la ville était le Manansilàpàtra, une pyramide à degré, représentant le mont Meru. Au sommet de cette pyramide, le roi accordait des audiences, de même que les moines prêchaient le dharma. En 1330, une tour en forme de bouton de lotus contenant une relique de Buddha fut ajoutée au sommet de la pyramide, la transformant en stupa bouddhique.
Nous clôturons cette présentation des villes thaïes par un bref regard sur le Roi Li'thai qui régna à Sukhothai de 1347 à 1361. Il serait l'auteur d'un traité de cosmologie bouddhique, le Tribhumikathà (les Trois Mondes bouddhiques organisés, à partir du mont Meru, en trente-deux niveaux de progression spirituelle). Ce traité fut utilisé comme charte politique bouddhique.
Li'thai mettait tout particulièrement l'accent sur les cinquième et septième niveaux de ces royaumes cosmologiques. Ces deux royaumes étaient gouvernés par des rois qui allaient servir de modèles aux monarques bouddhistes d'Asie du Sud-Est. Le sommet du mont Meru, était le centre cosmologique et le palais d'Indra.
À l'image du dieu Indra, le roi terrestre, le cakravartin,
Li'thai fit construire son palais au centre symbolique du royaume, ainsi que des tours-caitya jusque dans les provinces éloignées afin de montrer les liens qui unissaient la capitale et les provinces. Stupa et reliques légitimaient les droits territoriaux de Li'thai. Une roue géante (cakra) et une ombrelle, symboles du pouvoir religieux et de la royauté, accompagnaient le roi dans ses déplacements. Il faisait en même temps distribuer par la communauté monastique des images de Buddha, des reliques, des empreintes de pas de Buddha aux 108 signes cosmologiques surnaturels.
L'héritage laissé par Li'thai a été très important dans le processus d'intégration nationale et de légitimation politique pour la période moderne. Cependant certains chercheurs ont émis des doutes quant à l'authenticité du Tribhumikathà (les Trois Mondes), écrit par Li'thai. Ces chercheurs avancent l'hypothèse que ce traité cosmologique sur l'éthique du souverain bouddhiste (utilisé comme charte politique bouddhique) a été écrit à la fin du XVIIIe siècle, durant le règne de Rama I (1782-1809) afin d'aider à soutenir une monarchie thaïe dévastée par le sac birman d'Ayutthaya. Durant la période moderne, on peut noter que le Tribhumikathà (les Trois Mondes) fut utilisé par les groupes conservateurs néo-traditionnels pour renforcer le pouvoir des élites thaïes. »
***www.persee.fr/web/.../asean_0859-9009_2000_num_6_1_1691de W Pongsripian - 2000
**** Notre Isan 14 : Le nationalisme thaï ? http://www.alainbernardenthailande.com/article-notre-isan-13-le-nationalisme-thai-73254948.html
***** Légende de Loy Kratong de Lithai.
Suite : Elle était très intelligente et douée de talents artistiques la rendant capable de confectionner de magnifiques guirlandes de fleurs. Sa beauté et ses talents attirèrent l’attention du roi et à l’âge de 17 ans, elle fut admise au rang de concubine royale. À cette époque, les Hindouscélébraient au cours du 12e mois lunaire une fête où ils vénéraient leurs trois principaux dieux (Brahmâ, Shiva et Vishnou) avec des lanternes montées sur de longues perches et par le lâcher de lanternes dans le fleuve sacré du Gange afin de rendre hommage à la déesse Gangâ, « Mère des Eaux ».
Accompagnant l’expansion de l'hindouisme en Asie du Sud-Est, ces traditions atteignirent l'Empire khmer, puis la Thaïlande, d’abord le royaume môn d'Haripunchai puis ceux de Lanna et de Sukhothai. Le roi Pra-Ruang voulut créer une version thaïe de cette fête hindoue et organisa un concours de « Lanternes Flottantes » lors de la nuit de la 12e pleine lune. Naang Noppamart se servit de ses talents pour fabriquer une magnifique embarcation, utilisant un tronc de bananier comme flotteur et des feuilles de bananier pour la décorer en forme de feuilles de lotus. Sa création remporta le concours et le roi décréta que dorénavant, ce Kratong dénommé à l’origine Khamot, servirait de modèle pour cette nouvelle cérémonie thaie des Lumières ou Loy Kratong.
Naang Noppamart devint la favorite du roi et mena une vie heureuse. A son actif, on compte le Tumrub Thao Srichulaluck, un compte-rendu autobiographique sur l’histoire et le déroulement de la cérémonie du 12e mois lunaire, ou Loy Krathong. Légende ou réalité ? Qui sait ?(wikipédia).
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