Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
Le Traité du 23 mars 1907
« Dans le contexte de l’expansion coloniale française dans la région, plusieurs incidents opposent le Siam et la France, notamment celui de « PAK NAM » en 1893. Mais les relations s’apaisent. A deux reprises, en 1897 et en 1907, le Roi Rama V effectue une visite d’Etat en France » (Site officiel de l’ambassade de France).
« Mais les relations s’apaisent » ???
Nous allons voir que les relations franco-thaïes entre le traité du 3 octobre 1893 et celui du 23 mars 1907 furent tout sauf « apaisantes ».
La signature du traité de 1893 avait plongé la Cour du Siam dans une « véritable crise intérieure » (Duke, op. cité). Le refus de l’Angleterre d’aider la ligne soutenue par les pro-anglais, les attaques ouvertes du parti nationaliste contre les « conseillers » européens du Roi, l‘ultimatum français, le blocus, la signature du Traité avec pour la première fois une menace sur l’indépendance du Pays, les visées coloniales des deux superpuissances, ne pouvaient déboucher que sur une période incertaine, troublée, très « active »au niveau diplomatique.
Il faudra en fait dix ans pour régler les problèmes et les différends issus de ce traité et de la convention de 1893.
Pendant cette période, le « combat diplomatique » fut incessant, implacable, acharné, quotidien ; chacun défendant son point de vue avec opiniâtreté… La convention stipulait de régler les « affaires » de Kammon, de Tong Xieng Kham par exemple, les « problèmes » territoriaux demeuraient, comme ceux de Luang Prabang. L’abandon de la rive gauche du Mékong par les Thaïs ne leur donnaient pas de droit pour la rive droite. L’article 3 pouvait aussi être lu par les Thaïs comme une menace d’annexion de Battambung et de Siem Reap.
De nombreux incidents comme Paklay en mars1895 et Nong Khaï, Oubon, envenimèrent durablement les « négociations ». Les accords douaniers et commerciaux débouchaient souvent sur des conflits à régler au « plus haut niveau », et il y avait les problèmes épineux des populations.
Le traité donnait un droit de protection consulaire aux Français mais aussi à ceux qui dépendaient du « Protectorat français » comme les Annamites, les Laotiens, les Cambodgiens. De plus, le Consulat français proposait aussi aux Chinois et aux Japonais de s’inscrire. La France voulait aussi « obtenir le rapatriement des populations autrefois transplantées » (Duke, op. cité) (« transplantés » comprendre captifs et esclaves ramenés lors des guerres).Les discussions ne pouvaient être que très vives, l’entente impossible ; les Thaïs considérant comme Siamois ceux qui étaient sur leur sol depuis 10 ans.
Le Roi décide alors, en 1897, de régler lui-même ces questions, et part en Europe pour consulter et évaluer ses soutiens et fait un tour des capitales : Russie, Allemagne, Angleterre. Il est reçu en France en septembre 1897 par le Président Félix Faure et le ministre des Affaires étrangères.
Les négociations se poursuivent à Paris en novembre 1898 entre Phya Surya (ministre thaï à Paris) et Defrance (Consul à Bangkok), et le 13 mars 1899 entre l’envoyé spécial du roi de Siam Phya Sri Sahadeb à Saïgon avec le gouverneur général d’Indochine Paul Doumer. Celui-ci est reçu à Bangkok, le 21 avril 1899 par le Roi qui, satisfait, peut écrire « le seul gentilhomme français qu’il ait jamais vu » (Duke, op. cité). Mais aucun accord n’est encore en vue puisque Defrance est envoyé à la Cour pour négocier avec le Prince Dévawongse sur ces mêmes questions du droit de Protection française, de Luang Prabang, et de la zone des 25 km.
Le 28 février 1900 le Prince reconnait qu’il n’y a pas d’entente. Une rupture des négociations s’ensuivit de 1900 à 1902.
L’échec était patent après sept ans de négociations avec la France.
Le Roi, aurait pu être rassuré pour l’indépendance de son pays par la Déclaration anglo-française du 15 janvier 1896, établissant leur zone d’influence au Siam et garantissant une zone tampon, dans le bassin de la Ménam, par ses nouvelles alliances avec les Japonais ((traité du 25 février 1898), son rapprochement avec les Allemands… Mais il était informé que même au sein du Parlement français le ministre des affaires étrangères était attaqué, le parti colonialiste très influent, une partie de la presse virulente. Les pourparlers reprennent à Paris en 1902. Le ministre français des affaires étrangères Delcassé propose le 7 octobre 1902 la signature d’une convention destinée à régler les difficultés d’interprétation du traité de 1893. Mais il n’est pas soutenu au Parlement. Le parti colonial à la Chambre, le Comité Asie française, la presse de gauche, L’Echo de Paris, L’Intransigeant se font entendre…
Il propose alors à Phya Surya dans un mémorandum du 13 mai 1903, une nouvelle base de discussion qui devait aboutir à la signature de la Convention du 13 février 1904 (ratifiée en décembre 1904).
Le Siam, selon des sources diplomatiques françaises, avait fait toutes les concessions possibles (lettre de Boissonnas à Delcassé, in Duke). Le Bangkok Times indiquait bien comment la France et l’Angleterre s’étaient « appropriés de vastes territoires, arrachés morceaux par morceaux au patrimoine thaï » (Duke). Mais le rapprochement franco-anglais qui devait aboutir, le 8 avril 1904, à « L’entente cordiale » ne laissait plus de choix au Siam. Les zones d’influence avaient été nettement précisées, des cartes établies, des engagements pris.
La Convention de 13 articles établissait un nouveau cadre de « travail » très important, comme la délimitation des frontières entre le Siam et le Cambodge (article1), de Luang Prabang (article 2), entre le Siam et l’Indochine française (article 3). Le Siam renonçait à sa suzeraineté sur Luang Prabang et la rive droite du Mékong (article 4), Les troupes françaises devaient quitter Chantaboun (article 5). Elle comportait des dispositions « commerciales » sur les futurs ports, canaux, chemins de fer et précisait, une fois de plus, la juridiction et la protection des Français.
Le travail de délimitation de frontières fiables débouchait sur des questions vitales d’échanges de territoire (comme par exemple : la question de Trat, les limites entre Pursat et Battambang, le territoire de Dan Saï…). On peut se douter que chaque parcelle fut de part et d’autre âprement débattue, négociée entre les différents acteurs nationaux, partisans coloniaux, idéologiques… En novembre 1906, le nouveau Président du Conseil Clémenceau autorisait les nouvelles négociations, qui pouvaient reprendre et aboutiraient par le Traité du 23 mars 1907.
Le gouvernement siamois cédait à la France les Territoires de Battambang, Siemréap et Sisophon (article 1). Le Gouvernement français cédait au Siam les Territoires de Dan-Sai et de Trat (article 2).Des délais, une commission étaient établis (articles 3 et 4). Les articles 5 et 6 établissaient les statuts juridiques des Asiatiques sujets et protégés des Français.
Le Siam entrait dans une nouvelle période de son Histoire. Certes il avait perdu sa suzeraineté sur le Laos et le Cambodge, quatre territoires « malais » (Kedah, Perlis, Kelantan, et Trengganu) (1909), mais avait conservé son indépendance, grâce à « L’Entente Cordiale » franco-anglaise du 8 avril 1904, définissant leurs zones d’influence.
Le départ du Roi Chulalongkorn pour l’Europe en mars 1907 est peut-être le signe de l’acceptation de ce nouveau monde. Sa visite à Versailles, la réalisation de sa statue équestre, qui devait être exposée le 11 novembre 1908 à Bangkok, pour les 40 ans de son règne (CF. Eléonore Fosse, « Le Petit journal », 22/10/2007) la fierté de l’Oeuvre accomplie.
La France, le Royaume Uni et la Russie créaient la triple entente en 1907 pour contrer la Triplice (l’Empire allemand, l’Empire austro-hongrois, et l’Italie). Leur confrontation allait déboucher sur la 1ère guerre mondiale.