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  • : Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
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  Il était une fois Alain, Bernard …ils prirent leur retraite en Isan, se marièrent avec une Isan, se rencontrèrent, discutèrent, décidèrent un  jour de créer un BLOG, ce blog : alainbernardenthailande.com

Ils voulaient partager, échanger, raconter ce qu’ils avaient appris sur la Thaïlande, son histoire, sa culture, comprendre son « actualité ». Ils n’étaient pas historiens, n’en savaient peut-être pas plus que vous, mais ils voulaient proposer un chemin possible. Ils ont pensé commencer par l’histoire des relations franco-thaïes depuis Louis XIV,et ensuite ils ont proposé leur vision de l'Isan ..........

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27 novembre 2014 4 27 /11 /novembre /2014 04:02

 

etudiantUn événement dans l’histoire du Siam : pour la première fois, un futur roi siamois allait étudier à l’étranger. Et pourtant vous trouverez peu de documents susceptibles de rendre compte de l’éducation anglaise du futur Rama VI, qui après une éducation reçue au Palais royal, partit en Angleterre en 1891, suivit une formation militaire en 1898 au Collège Militaire Royal de Sandhurst ; et en 1899-1901, étudia le droit et l’histoire à la Christ Church d’Oxford. Il reviendra au Siam en janvier 1903,  après avoir assisté, à la demande de son père, au couronnement du roi Edward VII en mai 1902

 

Edward VII (Puck magazine)

 

et à celui d’Alphonse XIII le 9 août 1902.


Alfonso XIII

Il avait passé 11 ans en Angleterre ! Peu le souligneront.


Le jeune  prince Vajiravudh était parti du Siam à l’âge de 11 ans en 1891, et n’y était revenu qu’en janvier 1903. Il avait alors 22 ans. 

(Vella dit qu’il part en Angleterre en 1893, à l’âge de 12 ans, et qu’il y restera 9 ans)*


Qu’avait-il bien pu apprendre de 11 ans à 16 ans ? Quelle fut sa formation militaire reçue au Collège Militaire Royal de Sandhurst en 1898 (il a alors 18 ans) ? Quels cours de droit et d’histoire avait-il suivi à la Christ Church d’Oxford de 1899 à 1891 ? Pourquoi y avait-il écrit un mémoire intitulé « The war of the polish Succession » ?

 

warofpolishsucce00vajirich

 

Bref, quelle fut la formation acquise du Prince durant toutes ces années ? Ses compétences ? Ses idées ?


La question était d’importance tant le roi Rama VI s’inspirera de la politique et de la culture anglaises pour agir dans son propre pays. Mais Jean Baffie, dans son article intitulé « Un règne de transition encore trop peu étudié » nous avait prévenu que « le roi Rama VI a assez peu intéressé les chercheurs thaïlandais et étrangers ». ( In: Aséanie 11, 2003. pp. 157-162.) Même le livre de Walter F. Vella, « Chaiyo! King Vajiravudh and the development of Thai nationalism »,  pourtant considéré comme l’un des travaux les plus « définitifs » sur Rama VI disait peu sur ces années de formation en Angleterre.


Chayo

 

Alors faute d’articles, d’études qui répondent à ces questions, il nous a fallu nous contenter d’inductions, de déductions, d’éléments disparates qui apportaient malgré tout quelques éclairages sur cette originale situation.


La 1ère piste était historique.


La première piste fut de nous demander ce qui avait pu présider à la décision du roi Chulalongkorn, d’envoyer le Prince Vajiravudh et d’autres de ses enfants poursuivre leurs études en Angleterre ou d’autres pays d’Europe.

 

 

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Nous vîmes de suite que cette décision s’inscrivait dans un processus historique d’ouverture et de confrontation du Siam avec les nations européennes, et surtout les nations britanniques et françaises dans leurs conquêtes coloniales en Asie du Sud-Est.


Les rois précédents de la dynastie Chakkri avaient constaté qu’il fallait désormais compter sur les ambitions des nations occidentales dans la géopolitique de la Région. Les différents traités qu’ils signèrent indiquent les étapes de ces affrontements et des accords conclus. (Cf. par ex. nos articles 118, 123, 128,129, 132, 135)


On vit aussi le rôle important joué par le roi Mongkut (Rama IV, le père de Chulalongkorn),

 

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un roi curieux de la culture occidentale, et s’entretenant avec Mgr Pallegoix et Sir Bowring, d’histoire, de sciences (d’astronomie notamment), de linguistique ; apprenant lui-même l’anglais et le latin; et invitant au Palais royal de nombreux précepteurs étrangers pour initier aux sciences et à l’anglais les enfants royaux et de la Cour.

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(Cf.124. Monseigneur Pallegoix. (1805-1862))


Le roi Mongkut sut transmettre cette curiosité, ce désir de savoir, et la pratique de l’anglais au futur roi Chulalongkorn, qui bénéficia aussi de l’expérience de Sri Suriyawongse, l’ancien premier ministre du roi Rama IV, devenu régent jusqu’au 16 novembre 1873, date à laquelle il céda le pouvoir à la majorité du roi Chulalongkorn.

 

Surawong.jpg

 

Nous avons déjà vu comment Rama V va bouleverser l’ordre ancien siamois en voulant fonder un Etat de type occidental

 

etat-de-type-occidental.jpg

 

et moderniser son pays, à la fois pour reprendre le contrôle du pouvoir de son pays et aussi pour faire face aux visées coloniales anglaises et françaises.

 

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L’analyse d’Audrey Gutty dans sa thèse**, estime aussi, que depuis la fin du XVIIIème siècle, l’ordre politique traditionnel du Siam était affaibli ;  l’unité politique du muang se craquelait  (agriculture commerciale, forte migration chinoise, rébellions internes dans le sud, volonté d’autonomie au Nord, dissensions avec les élites) et les  ambitions coloniales des Anglais et des Français menaçaient l’intégrité et l’indépendance du pays.


« Des réformes étaient nécessaires pour assurer le contrôle des territoires revendiqués par le Siam et pour arriver à la reconnaissance du royaume comme territoire indépendant par la France et l’empire britannique. Le Roi (Chulalongkorn) comprit ses enjeux et chercha à les concilier en trouvant un mode de gouvernement qui lui permette à la fois de renforcer son pouvoir, au détriment des nobles et des souverains provinciaux et de gagner en crédibilité dans le concert des nations. »


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Le roi Chulalongkorn de fait, conseillé par de nombreux conseillers européens,  mis en place un  mode de gouvernement qui s’inspira du modèle de l’Etat-Nation occidental, et lança de multiples réformes très importantes (nouvelle organisation territoriale et  nouvelle administration, création de l’éducation nationale, formation des fonctionnaires,  fin de la corvée, fin de l’esclavage, nouveau code pénal, etc, et adopta plusieurs idées, symboles et représentations occidentales.  (Cf.  Notre dizaine d’articles sur ces réformes).

Dans ce contexte, il entrait dans sa stratégie d’installer ses fils et la famille proche aux principaux rouages de l’Etat, et il estima que la formation de ses enfants et ceux des grands dignitaires de la Cour en Europe ne pourrait que profiter au bien du royaume de Siam (et à son Pouvoir qui restait absolu).

 

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Il y avait aussi chez lui un désir de reconnaissance des rois européens, un désir de les séduire, qui se transforma en un désir de les connaître, comme nous l’avons vu dans l’une des lettres de son « Premier voyage en Europe du roi Chulalongkorn » (1897) », où le roi Chulalongkorn avait explicité les buts de son voyage européen : «  connaître : La vie des Européens ; Leurs revenus et d’où ils viennent ; Leur puissance pour éventuellement attaquer et combattre l’ennemi ; et ces divertissements si variés. » (Cf. article 148)


Création de l’école royale et de l’éducation nationale.


Nous avions vu dans un article précédent que le roi Chulalongkorn avait compris que la fondation d’un Etat « moderne » nécessitait une nouvelle instruction, de nouveaux savoirs pour les Princes et les élites, et une nouvelle formation des fonctionnaires pour gérer ces nouvelles tâches. Il avait alors fondé en 1871 deux écoles royales dans l’enceinte du palais, une école anglaise en 1872, où des enseignants étrangers assuraient des cours de type occidentaux, avec de nouveaux manuels ; décidé ensuite en 1875, l’extension de l’éducation primaire dans tous les monastères royaux, et créé en 1887 le ministère de l’éducation. (Cf. 147. La création de l’éducation nationale par le roi Chulalongkorn).


On se doute que dans un tel contexte, le Prince Vajiravudh a bénéficié de toute l’attention voulue, et du roi et des précepteurs occidentaux, l’ouvrant ainsi à la culture européenne, à l’art, et l’étude de l’anglais et du français.  (Inthano signale qu’il avait commencé au Siam le français avec M. Bouvier, un professeur suisse***). Theeraphong Inthano, dans sa thèse***, indique également l’intérêt du jeune Prince Vajiravudh pour le théâtre ; qu’il a joué par exemple « dans une représentation de Nitha Chakhit, un extrait des Mille et une nuits, (…) traduit et adapté par le roi Chulalongkorn à partir d’une version anglaise ». Un tableau qui fut mis en scène par son frère aîné Vajirunhis.

 

Vajirunhis.jpg

Le prince était aussi passionné pour la danse classique, qu’il avait l’occasion de montrer lors de certains événements au Palais royal.


On peut donc supposer que le jeune Prince qui arrive à Londres en 1891 est un enfant qui a déjà un background culturel conséquent.


Mais qu’apprendra-t-il à Londres, entre ses 11 ans et ses 16 ans, nous en savons en fait peu, si ce n’est qu’il reçut des cours donnés par des précepteurs à sa résidence de Londres.


On peut deviner qu’outre un enseignement général, il reçut des cours d’anglais, qu’il maîtrisera, des cours d’allemand et de français, qu’il sera capable de parler. On peut surtout deviner son goût pour la lecture et l’écriture, si l’on en juge par ce qu’on nous apprend Theeraphong Inthano***, à savoir que durant son séjour anglais, le prince Vajiravudh  « a créé et publié deux revues, l’une destinée aux enfants,  The Screech Owl  et l’autre aux Siamois qui résidaient dans ce pays,  The Looker-On . Il a par ailleurs composé, à cette période, une quarantaine de poésies, en anglais et en français. ». Il dut consacrer de longues heures à la lecture de la littérature anglaise et française, si l’on en juge aussi par les talents qu’il développera plus tard dans l’écriture, la traduction et l’adaptation de pièces de théâtre anglaises et françaises, et le rôle fondamental qu’il joua, non seulement dans l’importation des formes dramatiques occidentales, et leur adaptation au Siam, mais dans l’institutionnalisation et la promotion de la littérature siamoise. (Nous reviendrons dans un autre article avec Theeraphong Inthano  sur  l’oeuvre théâtrale de Rama VI.).


On ne doit pas oublier le fait que le 9 mars 1894, il devient officiellement le Prince héritier, par une cérémonie d’investiture à la légation de Londres, « où le prince Sawatdiwat (l’un des fils de Rama IV) lui remet les insignes des ordres qui lui sont conférés ainsi que les documents établissant ses droits à la succession, en présence des fonctionnaires de la légation, de nombreux membres de la famille royale et de tout ce que Londres compte de visiteurs distingués ».


Nul doute que cette investiture lui a conféré un nouveau statut, des responsabilités nouvelles, une éducation spécifique en certains domaines et des relations plus privilégiées à Londres et avec la Cour de Siam. Elle impliquait pour le moins une formation militaire.

 

Sa formation militaire en 1898, au  Collège Militaire Royal de Sandhurst. 

Sandhurst in 1884

 

L’Académie royale militaire de Woolwich (Royal Military Academy, Woolwich), fondée en 1741, formait les officiers du Génie, de l'Artillerie et des Transmission. Le Collège Militaire Royal de Sandhurst (Royal Military College, Sandhurst), fondée en 1801, formait les officiers des autres armes (Cavalerie, Infanterie, Intendance) ainsi que ceux affectés à l’Armée indienne (à partir de 1861).


Le Collège Militaire Royal de Sandhurst, et  l’Académie royale de Woolwich,

 

Wool

 

devenus en 1947 l’Académie royale militaire de Sandhurst, étaient déjà à l’époque du prince, deux écoles de prestige, pour les futurs officiers britanniques et étrangers de marque. Ils étaient aussi une étape nécessaire dans la formation des aristocrates, des « gentlemans » de l’élite britannique et des Royals étrangers.


Ainsi par exemple, à l’époque du prince, on peut citer Winston Churchill,

 

Churchill

qui tenait à rentrer au Collège militaire royal de Sandhurst, puisqu’il s’y est pris par trois fois avant d’y être admis le 28 juin 1893, pour en sortir diplômé le 20 février 1895.


Auparavant, le fils de Napoléon III, Napoléon Eugène Louis Jean Joseph Bonaparte, avait passé l’examen d’entrée à l’Académie militaire royale de Woolwich, le 17 novembre 1872.


prince impérial

 

Encore aujourd’hui, elle constitue pour beaucoup « l’Académie des princes », si l’on en juge par un article du journal Le Monde**** :


« Sandhurst est une tradition dans la famille, confie le jeune prince de Brunei. Tout le monde y passe, un point c'est tout. Pour servir son pays sous les armes, une formation britannique est une évidence jamais remise en question dans notre famille. » Muda Abdul Mumin n'est pas une exception à Sandhurst.

 

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Il fait partie de la pléthore des futurs dirigeants des nations de l'ex-Empire britannique, en particulier du Proche-Orient et d'Asie […] outre celle de Brunei, la famille royale de Thaïlande forme ses rejetons dans cette école. »


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Certes. Mais tout ceci ne nous dit pas ce qu’a pu apprendre et retenir le Prince Vajiravudh durant cette formation militaire, même si celle-ci fut courte.

 

« A l'inverse de ses homologues, Saint-Cyr et West Point, qui offrent un enseignement pluridisciplinaire, à la fois militaire et académique de quatre ans aux futurs chefs militaires, Sandhurst se limite à une formation courte et compacte de quarante-quatre semaines. Cette instruction express est destinée à inculquer à un futur officier les principes de commandement de base lui permettant de diriger un peloton d'une trentaine de soldats » et « un compas moral, des valeurs éthiques de base (courage, loyauté, discipline, respect des autres, dévouement et intégrité.)», nous dit aujourd’hui le général Pearson. ****

 

Generqal pearson

 

 

Nul doute qu’à l’époque devaient s’ajouter d’autres valeurs, avec un Empire britannique qui dominait le monde avec sa puissance militaire et navale, mais aussi industrielle, commerciale, financière, technique (transport (chemin de fer, navires à vapeur) ; communications (télégraphe) ) … et idéologique ; le mode de vie britannique, le système politique (le westminster model),

 

West 02

 

le libéralisme,  les valeurs morales (et religieuses avec l’action des missions dans le monde),  étaient devenus LES modèles.

 

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Le prince a dû aussi beaucoup apprendre au milieu de ses congénères aristocrates,

gentlaman

 

dont les parents avaient toujours la mainmise sur la diplomatie, l’armée, la haute administration ; et dominaient au gouvernement, avec la Chambre des Lords.

 

chalbre des lords

 

Le prince d’ailleurs va suivre leur cursus et rejoindre la Christ Church d’Oxford.

Oxford

 

Sa formation en droit et  en histoire de 1899 à 1901, à la Christ Church d’Oxford.


Nous savons mieux depuis Bourdieu, comment se fait la reproduction sociale, le rôle du milieu familial, comment se transmet le « patrimoine » matériel mais aussi immatériel, comment la culture acquise dans la famille, permet l’accès aux grandes écoles et aux meilleures universités et assure la réussite et la domination sociale. Les héritiers.


Ainsi en va-t-il également en Angleterre, où les aristocrates

 

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et les élites se retrouvent dans les meilleurs collèges et les universités les plus prestigieuses comme Harrow, Cambridge et Oxford.


Le prince choisira la Christ Church, l’un des plus grands et plus riches collèges d’Oxford, qui en comporte des dizaines (aujourd’hui 38). La liste de ses célèbres étudiants  est impressionnante, avec des écrivains, des savants, et treize premiers ministres britanniques.

 

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Hyppolite Taine, dans ses Notes sur l’Angleterre, en 1872 présente Oxford et Cambridge ainsi :


 « Oxford et Cambridge étant le rendez-vous des fils de famille, le ton de l’endroit s’est approprié au caractère et à la position des habitants : une université anglaise est, à beaucoup d’égards, un club de jeunes gens nobles ou du moins riches. Beaucoup d’enrichis y envoient leurs fils, uniquement afin de leur donner l’occasion d’y faire de belles connaissances ; certains étudiants pauvres ou roturiers se font les complaisants de leurs camarades nobles, qui plus tard pourront leur donner un bénéfice. Dans certains collèges, les étudiants nobles ont une table à part, un habit particulier, divers petits privilèges. Beaucoup de ces jeunes gens ont par an 500 livres sterling et au-delà, qu’ils considèrent comme argent de poche ; de plus, les fournisseurs leur font crédit, ils tiennent à honneur de dépenser, de faire figure ; ils ont des chevaux, des chiens, un bateau ; ils meublent leur chambre avec élégance et richesse. ».


Autant dire que le prince a dû aussi fréquenter des gens illustres et cultivés, qui ont compté pour son éducation et sa culture. (Vella signale qu’il a même pris le thé avec la reine Victoria en 1894).


Victoria

 

Il a partagé leurs « us et coutumes », leurs lectures, leurs sorties (théâtre, restaurants), leurs clubs, leurs sports élitistes (l’équitation, le tennis) ; rencontré et fréquenté les familles royales et nobiliaires lors de ses vacances (France, Belgique, Italie, Hongrie, Espagne, Russie). (Cf. notre article 158. Les vacances  en France du futur roi Rama VI.)

 

GalerieCaricatures.jpg

 

L’éducation thaïe n’était pas négligée, avec l’étude de la langue et de la culture thaïes, et le bouddhisme. Son père, le roi Chulalongkorn, lui rappelait souvent, par courrier, les règles et principes d’une bonne conduite morale et responsable et l’encourageait à lui répondre en anglais et de lui monter ses progrès en français et en allemand. (in Vella)


Mais cela ne nous dit rien sur le style de vie du prince Vajiravudh, ni sur le cursus de formation suivie. pendant ces années de 1899 à 1901, si ce n’est qu’il a suivi des cours de droit et d’histoire, et  qu’il eut comme mémoire de fin d’étude « The war of the polish Succession », qu’il n’a d’ailleurs pas soutenu, à cause d’une appendicite. Il fut toutefois publié en 1901.***** Le mémoire de 80 pages comprend 4 chapitres intitulé : Le siège de Danzig ; La conquête du royaume des deux Siciles par l’Espagne ; et La campagne du Rhin.


On peut deviner l’intérêt du prince à étudier cette guerre de succession de Pologne qui eut lieu entre 1733 et 1738 à la mort d'Auguste II en 1733,

Auguste II

 

entre son fils, Auguste III


Auguste III de Pologne

 

et Stanislas 1er, ancien roi de Pologne déchu en 1709 , beau-père de Louis XV.

Stanislaz

 

Il verra la France soutenant Stanislas 1er  affronter les partisans d'Auguste III, soutenus par la Russie, l'Autriche et le Saint Empire avec les Espagnols qui prendront part au conflit.


Elle l’initiait à la géopolitique européenne, en identifiant les forces en présence, leurs intérêts en jeu, leurs ambitions,  leurs alliances, leurs perfidies, leurs luttes, leurs guerres, avec  ses conséquences importantes, les pertes ou acquisitions de territoires ; l’émergence de la Russie sur la scène européenne, l’affaiblissement de la Pologne, qui devenait une proie pour ses voisins.


pologne

 

Il avait pu étudier le traité de paix de Vienne négocié en secret en 1735  et ratifié en 1738, où Stanislas renonçait au trône de Pologne, mais devenait duc de Lorraine et de Bar; l’Espagne obtenait la Sicile et Naples, pour former le royaume des Deux-Siciles, en compensation de la Toscane que récupérait François-Etienne en dédommagement de la Lorraine; tandis que les  Habsbourg recevait les duchés de Parme et de Plaisance, possession espagnole depuis 1731, en compensation de Naples  et de la Sicile. 

Il pouvait constater, à partir de cette étude combien l’Europe avait changé en 150 ans, et combien la diplomatie et les alliances étaient essentielles dans la conduite d’un pays.


Mais pour l’heure, en assistant au couronnement du roi Edward VII en mai 1902 et à celui d’Alphonse XIII le 9 août 1902, il se rendait compte que le prince héritier du Siam faisait désormais partie des grands de ce monde.


Il exprimera dans une lettre son bonheur d’être reconnu par le roi  Alphonse XIII :

« En m'adressant à  lui, naturellement je l'appelais « Votre Majesté », sur quoi il a levé la main et m'a arrêté : « Pourquoi me parlez-vous de cette façon ? Quand vous étiez ici en 1897, j'étais Alfonso.

 

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Laissez-moi rester Alfonso. Vous et moi sommes assez bons amis pour nous adresser l'un à l'autre par nos noms ». Vous pouvez vous imaginer comme j'étais heureux ». *****


 

Le prince Vajiravudh revient donc au Siam en janvier 1903.

 

On peut rappeler un extrait d’un article du Figaro du 24 février 1903, qui annonce ce retour et la fin de ses études ainsi : « L’éducation d’un prince : Le prince héritier vient de passer quinze ans en Angleterre. Il y a fait, dit-on selon la formule, des études très sérieuses et très complètes et fut élève officier à Sandhurst. Il fut autre chose : auteur d’un petit volume très bien tourné sur ses impressions d’Oxford, fondateur d’un club d’étudiants, le cosmopolite club,

 

club anglais

 

conférencier et humoriste célèbre par une certaine causerie fort plaisant sur l’éléphant blanc siamois, auteur dramatique, il fit représenter une comédie, Carlton H. Terris qu’il mit lui-même à la scène et où il joua en personne le rôle d’un jeune arriviste. Voilà quels ont été pour cet oriental les bienfaits de la civilisation

 

tintin.jpg

 

et n’est-il pas tout à fait désigné pour régner à Bangkok ?


(Cité dans notre article 158. Les vacances en France du futur Rama VI (1895-1902).)


Walter F. Vella nous apprendra qu’il se verra confier, en tant que prince héritier, de nombreuses responsabilités comme inspecteur général des armées, commandant de la garde royale, secrétaire privé du roi Chulalongkorn, président de la Bibliothèque Nationale, etc. Il accompagnera son père au Conseil des Ministres, aura accès aux documents ministériels ; assurera même un intérim de ministre de la Justice (quand ?). Il deviendra le Régent du royaume de mars à novembre 1907, durant le séjour du roi Chulalongkorn en Europe, qui continuera néanmoins à prendre les décisions.

Mais si le prince accomplit ses tâches de prince héritier, il sera surtout intéressé par le théâtre (écriture, mise en scène, acteur), la pratique de la danse classique, la production littéraire et journalistique, et … les jeux de simulation surtout ceux liés à la guerre et aux utopies d’organisation politique.


Le prince Vajiravudh va donc s’installer en 1904 au palais Parusakawan,

 

Palais parusak

 

choisir un style de vie particulier, entouré de ses « pages » et où la gente féminine est absente. Il va y organiser, animer ce qui peut être vu à la fois, comme l’héritage de sa formation anglaise et comme une préfiguration de sa politique royale future.


Vella n’hésite pas à voir dans le prince, un prince siamois victorien.

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      Aristocrate victorien (caricature allemande)

 

 

Il écrit et parle, dit-il, un excellent anglais ; lit les journaux et magazines anglais ; apprécie le style de vie des gentlemans ;

 

fréquentait avec eux les meilleures tables et théâtres ; et a été impressionné par l’éthos victorien,

 

ethos.jpg

 

ainsi que par la puissance anglaise.


Une chose est sûre, il va créer un club au palais, le « Thawipanya Samoson » conçu sur un mode anglais, dans lequel on pouvait lire la presse, jouer au billard, ping-pong, échec et jeux de cartes ; tandis qu’à l’extérieur on pouvait s’initier à des sports encore inédits au Siam comme  le tennis, cricket, croquet et hockey. Trois jours par semaine des débats contradictoires étaient organisés et de temps en temps des  pièces dramatiques étaient représentées, où on pouvait voir parfois le prince se produire ; ce qui n’était d’ailleurs pas au goût de sa mère.


Il va aussi créer une troupe de danse (khon), lui écrire des textes ; assurera la direction d’un journal mensuel « Thawipanya » ; y écrira des articles et poèmes dont certains étaient déjà à tonalité nationaliste. Il y publiera aussi les récits de voyage qu’il effectuera en 1905 avec son père dans le nord du pays, un autre en 1907 à Sukhotai, et un en 1909 dans le sud du pays. Il avait déjà à cœur d’exprimer la fierté de la race thaïe,


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qui ne devait surtout pas renier ses ancêtres et la beauté de  son passé, malgré l’engouement pour les nouvelles « choses » d’Europe. (Vella, op. cit., p.5)


Il aimait raconter des histoires aux jeunes pages, avec une petite mise en scène, élaborer des jeux de simulation, surtout des jeux de guerre ; 

 

jeu de guerre

 

Il les faisait jouer à la nuit tombée de 22 h à 3 heures du matin. Pendant ses vacances à Nakhon Pathom, les jeux de guerre avaient lieu le jour et étaient plus élaborés avec un soin apporté aux uniformes, et incluaient des canons. Il avait aussi un temps fait construire un petit bâtiment au Palais Parusakawan, où une municipalité était simulée avec une constitution, un gouvernement, des départements comme  la police, la banque, un journal, des pompiers, etc.,  avec deux pages par pièce qui jouaient leur rôle attribué. (Vella, op. cit.)

  

Ce projet rappelle la cité idéale « Dusit Thani » signalée par Inthano ? (Il ne donne pas de date)


Un projet de cité «  à laquelle il donna une constitution, copiée sur le modèle de la Grande-Bretagne avec, après des élections, un parti politique au pouvoir et un parti d’opposition. Il espérait que ce laboratoire serait un moyen d’habituer les Siamois à la pratique de la démocratie ; nous nous rendons bien compte que cette tentative était une utopie puisqu’elle ne pouvait intéresser que le petit nombre qui venait de l’élite du royaume, choisi pour faire partie de cet état théorique. Même si cette expérience a été sans lendemain, elle montre pourtant une volonté intéressante de la part d’un roi absolu pour faire avancer son pays vers des modes de fonctionnement politique à l’occidentale. Il faut pourtant dire qu’elle souvent été comprise par les contemporains comme une représentation théâtrale plus que comme ce qu’elle était réellement, une tentative de mise en œuvre de la monarchie parlementaire. »

 

(Notons que la Grande- Bretagne n'a  pas de constitution écrite en tant que telle.)


 

cité idéale

 

Si nous n’avions pas pu retrouver les cours suivis par le prince durant son séjour anglais, nous avions découvert que cette éducation anglaise avait profondément marqué le prince, qui devenu roi, s’inspirera largement de sa culture (il traduira Shakespeare), de son éducation (va créer le Collège des pages royales sur le modèle d’Eton et Harrow et peu après le mouvement des scouts (les « enfants tigres »), qui deviendront adultes les « Tigres sauvages ».), de son nationalisme (qu’il développera à la siamoise), de son administration, de sa modernisation.


Mais nous avions aussi découvert, pour reprendre une formule d’Inthano, que Rama VI fut  roi par hasard et surtout écrivain par vocation. C’est ce que nous vous proposons de développer dans un prochain article : « Rama VI, écrivain, traducteur, journaliste, promoteur de la littérature au Siam. »

 

 

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* Walter F. Vella, “Chaiyo ! King Vajiravudh and the development of Thai nationalism”, The university press of Hawaï, Honolulu, 1978.

** Thèse de doctorat, « Paradigme politique et évolution des institutions éducatives. Le cas d’une société non-occidentale », Université Lumière Lyon 2, 2011.


*** Theeraphong Inthano, « L’influence occidentale sur le développement du théâtre moderne siamois », thèse soutenue le 24 juin 2013 à l’INALCO.


**** Sandhurst, l'académie des princes LE MONDE | 27.04.2007

http://www.lemonde.fr/europe/article/2007/04/27/grande-bretagne-sandhurst-l-academie-des-princes_902814_3214.html


***** “The war of the Polish succession” by H.R.H. The crown prince of Siam, Oxford, B. H. Blackwell, Broad, street, London, T. Fisher Unwin, 1901.


****** Dans une des huit  lettres qu’il a écrites directement en anglais,  traduites en thaï et en français sous le titre « The spanish coronation - le couronnement espagnol – ราชาภิเษกพระเจ้ากรุงสเปน », et publiées à Bangkok en 2007. (Cité dans notre article 157.  La vie privée de Rama VI.)

 

 

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