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Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.

14. Les nouveaux mythes thaïs : les héros nationaux.

titre14. Notre Histoire : les héros nationaux.

Comme toutes les nations, les Thaïs ont besoin de mythes, de symboles, de héros, d’héroïnes, pour écrire leur Histoire, justifier leur « idéologie » nationaliste.

Ainsi en France récemment, différents « partis » ont montré leur volonté de mettre Jeanne d’ Arc sur leur étendard  pour défendre leur « République », leur « France » !

Lévi-Strauss, en son temps  avait donné le fameux exemple de la Révolution Française. « Il indique que pour l'homme politique la Révolution Française est non seulement "séquences d'événements passés, mais aussi schème doué d'une efficacité permanente, permettant d'interpréter la structure sociale de la France actuelle, les antagonismes qui s'y manifestent et entrevoir les événements de l'évolution future. »


En effet, le « mythe » historique donne sens et sert à légitimer la « République » en France ou la Royauté en Thaïlande, à justifier et codifier de nouvelles institutions politiques, instituer des nouveaux rites, des nouveaux codes, des interdits, des tabous, constituer une nouvelle mémoire collective en établissant des nouvelles généalogies, en choisissant des événements fondateurs, des nouveaux héros ou héroïnes. Nous avons  vu dans notre article sur la légende de Suryothai que les Thaïlandais n’hésitaient pas à les inventer, si cela était nécessaire.


suriyothai


1/ Nous avons déjà raconté dans quel contexte historique, les rois du Siam, Rama IV* et RamaV ** avaient dû changer leur conception de leur pouvoir sur les provinces conquises du Laos et du Cambodge  face à la politique coloniale britannique et française. Il fallait désormais « moderniser » l’Etat, légitimer comme territoires siamois ce qui était hier des pays vassaux (Cf. par exemple comment le Laos siamois devient désormais l’Isan), transformer les muangs en des frontières reconnues établissant une nouvelle souveraineté (Cf. Notre article 13. Notre Isan : Le Siam et ses frontières), « créer une nation fondée sur une langue commune, des valeurs et une culture »**, « thaïfier» le pays, promouvoir la Thaïness avec ses 3 piliers (le roi, la nation thaïe, la religion bouddhiste) .***(Cf. aussi notre article 36. Découvrir l’Isan : La thaïness ? « LA » clé pour comprendre la Thaïlande moderne).


thainess


Il fallut imposer la langue thaïe, changer même le nom du Pays, instaurer un hymne national, un drapeau, des symboles, des emblèmes (Cf. les trois emblèmes nationaux  (la fleur « jaune » rathaphruek, l’éléphant et le sala thaï (pavillon de style thaï)**** ). Le mythe du concombre ne pouvait plus suffire pour légitimer le pouvoir thaï.


drapeau


2/ Il fallait « écrire » UNE Histoire des Thaïs siamois, UNE histoire d’UN royaume avec ses héros et héroïnes. UNE Histoire nationale, « une idéologie linéaire » qui veut faire croire à une continuité entre Sukhothaï considérée comme la « première capitale nationale », suivie par Ayutthaya, puis Thonburi et enfin l’actuelle Bangkok; UNE histoire que l’on a fait « accepter » aux peuples soumis avec le succès que l’on sait avec les Lao « siamois » et l’échec, avec les anciennes provinces malaises (et mulsumanes)  du Sud.


L’histoire de la Thaïness raconte cette formidable machine

« idéologique » pour imposer cette vision de l’Histoire. L’école en fut le « média » le plus efficace. Waruni Osatharom***** (chercheur au Thai Khadi Research Institute, Thammasat University, Bangkok.), nous montre dans Le complexe de l’altérité, comment « Depuis 1932 et le coup d’État qui a mis fin à la monarchie absolue, les manuels scolaires thaïs ne se sont pas départis de leur fibre nationaliste. Ils n’ont d’autre choix que de se conformer à la politique déterminée par le ministère de l’Éducation. [ … ] Les personnages historiques qui jalonnent les ouvrages sont principalement des seigneurs de la guerre (warlords), exemples à suivre de dévouement à leur pays et symboles du combat pour l’unité nationale. Rien d’étonnant à ce que le Department of Curriculum and Instruction Development [Direction des programmes et de l’enseignement] du ministère de l’Éducation introduise en 1966 des cours sur les « personnalités d’exception de la nation thaïe ». Les élèves doivent se voir inculquer la fierté des ancêtres et l’orgueil de l’indépendance, de la liberté. »


Ce qui ne signifie pas, comme pourrait nous le  dire Jacques Ivanoff ******, que les différentes ethnies, « n’ont pas « coupé le cordon » avec la tradition exprimée dans les rites,surtout la société malaise où l’islam domine. Le rite apparaît alors comme la seule possibilité d’expression acceptable; discret (ce peut être une prière murmurée et quelques gestes), il subsiste au nom d’une identité pré-islamique, folklorisée en apparence […] les mythes sont encore une force identitaire apte à cristalliser les problèmes. »

 

3/ Une Histoire thaïe avec ses « Héros », ses symboles. 

Comme tous ( ?)  les pays, la Thaïlande a donc ses « héros nationaux », personnages historiques (ou légendaires) à qui on attribue des actions et des qualités « exemplaires » (réelles ou fantasmées) qui doivent servir à légitimer le régime et proposer des modèles.


pollux-heros-national


Chaque pays a sa stratégie.

  • On a donné son nom à des villes, à des parcs, des écoles ;
  • Son effigie orne billets, pièces de monnaie ou timbres ;
  • Le jour de sa mort ou de sa naissance est fête nationale ou jour férié;
  • De nombreuses statues sont érigées, sa maison natale devient un musée ;
  • Des décorations sont instituées, des objets souvenir sont commercialisés.(wikipédia)

 

On peut se douter qu’ici, au royaume de Thaïlande ;


On va privilégier les rois (ou femme ou fils ou sœur de roi). Nous avons déjà évoqué le grand roi de Sukhotai, Ramkhamhaeng (vers 1279-1298),  qui réussit à coloniser tous les territoires jusqu’à la Malaisie, le roi Naraï, la dynastie Chrakri avec Rama IV, Rama V, et notre Roi adoré, le roi actuel Rama IX.


rama 5


Le calendrier des fêtes nationales le confirme avec :


  • 6 avril Journée du roi Chakri Wan Chakri   Célèbre le roi Rama 1er , fondateur de la dynastie Chakri
  • 5 mai Journée du couronnement Wan chattra mongkhon   Célèbre le couronnement du roi Bhumibol Adulyadej (Rama IX) en 1950 
  • 12 août Fête des mères Wan Mae   Célèbre l’anniversaire de la reine 23 octobre 
  • 23 octobre Journée du roi Chulalongkorn Wan Piyamaharat Célèbre l’anniversaire de la mort du roi Chulalongkorn (Rama V)
  • 5 décembre Fête des pères Wan phor   Célèbre l’anniversaire du roi Bhumibol Adulyadej 


Avec la célébration importante pour l’Histoire du pays :


  • 10 décembre Journée de la constitution Wan Ratthathammanoon   Célèbre le changement en monarchie constitutionnelle   en 1932


Les manuels scolaires et la philatélie nous donnent une idée de ses « hommes illustres » que l’on veut honorer. Nous vous présentons en note une première liste révélatrice.

  • On y trouve évidemment la famille royale, les fils et petits-fils  de Rama IV, de Rama V, voire neveux… qui s’illustrèrent dans un domaine politique, culturel ou social.
  • Les héros nationaux (et légendaires) défendant le Royaume  contre les Birmans : Nous avons évoqué la princesse Suryothai, la princesse Suphankalaya, sœur du grand roi Naresuan, qui avait aussi libéré Ayutthaya en 1569.
  • Les moines patriarches  
  •   Les artistes  

Il y aurait évidemment un travail à faire sur leur hiérarchie dans l’Histoire et la légende nationales, sur leur « utilisation » dans les différentes périodes historiques et/ou politiques. Nous reviendrons sur certains; personnages exceptionnels et/ou haut en couleur.

 

Il est temps de rentrer enfin dans cette Histoire, mais avant, suivant ce que nous avions promis, il nous faut et il vous faut comprendre ce qu’est  un muang (ou müang ou mueang ou meuang).

 

 

________________________________________________________________________

 

 

*Une lettre du roi Rama IV datée du 19 janvier 1867 (citée par Duke) confirmait bien cette volonté siamoise : « nous prions qu’on veuille bien faire droit à notre requête, et donner une décision favorable qui nous permette de conserver et continuer à posséder en paix des provinces qui sont en notre pouvoir depuis plus de quatre règnes successifs durant l’espace de 84 ans ». http://www.alainbernardenthailande.com/article-22-les-relations-franco-thaies-le-traite-de-1856-65362144.html


**http://www.alainbernardenthailande.com/article-article-9-vous-avez-dit-nationalisme-thai-66849137.html


***http://www.alainbernardenthailande.com/article-pour-comprendre-la-crise-actuelle-la-thainess-63516349.html


« La Thaïness a servi aux «aristocrates» et aux élites urbaines des Thaïs siamois à construire « l’unité » de la Nation thaïe et à légitimer leur pouvoir sur le dos des identités régionales, que l’on considérait comme « cadettes » dans le meilleur des cas mais le plus souvent inférieures, incultes, « paysannes » »


****Les Liens qui unissent les Thaïs, Coutumes et culture, de Pornpimol Senawong, 2006.

http://www.alainbernardenthailande.com/18-categorie-11719711.html

 

*****Waruni Osatharom « Thaïlande : le complexe de l'altérité », Outre-Terre 3/2005 (no 12), p. 105-113. URL : www.cairn.info/revue-outre-terre-2005-3-page-105.htm.
DOI : 10.3917/oute.012.0105

 

****** Jacques Ivanoff, Les mythes s’adaptent-ils ?, Tradition et innovation mythologique chez les Austronésiens de Birmanie et de Thaïlande


*******On pense aussi  à Garuda (गरूड, aigle en sanskrit) L’emblème de la monarchie en Thaïlande ; un drapeau jaune frappé d'un Garuda rouge (appelé en thaï Khrouth ครุฑ) flotte sur le palais quand le roi est présent. Oiseau fabuleux de la mythologie hindouiste et bouddhiste, fils de Kashyapa et de Vinatâ et frère d'Aruna, le conducteur du char de Sûrya. C'est le vâhana ou véhicule de Vishnu.


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********Cette première  petite liste est révélatrice.


On y trouve évidemment la famille royale :


Prince Bhanurangsi  Savangwongse, 1859 -1928,fils de Rama IV  (Roi Mongkut)  est le fondateur du service postal siamois (Nous en avons longuement parlé).


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Prince Narisanuvathiwong, Fils de Rama V, 1863 – 1946, un esprit universel, architecte, ministre des travaux publics, conservateur en chef des archives royales, vice-président de l’académie royale. Régent jusqu’au départ du Roi Rama VII, Peintre, poète, traducteur du Ramayana.


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Prince Mahidol de Songkla, Fils de Rama V, 1891 – 1929. Officier de marine en Allemagne puis au Siam,  après des études à Harvard,  devint médecin à Chiangmaï, mort prématurément.


Prince Chudadhuj Dharadilok, Prince de Phetchabun, 72ème enfant de Rama V, 1892 -1923, artiste, musicien, professeur à l’Université Chulalonngkorn.


Prince Wan Waithayakon, 1891 – 1976 fin diplomate, petit-fils du Roi Mongkut (Rama IV), Président de la 11ème assemblée générale de l’ONU après avoir représenté son pays à la SDN. Titulaire d’une chaire de professeur dans la section artistique de l’Université Chulalongkorn,  professeur de philologie.


Prince Abhakara Kiartiwongse, 1880 1923 « Père de la martine royale thaïe » mais aussi médecin spécialisé en médecine, médecin des pauvres.


Prince Sithiporn Kridakara, 1883 – 1920 Neveu de Rama V, fils du roi Mongkut ; étudiant en Angleterre et en rupture avec sa famille, il édifia en s’y ruinant une ferme agricole modèle près de Huahin. Ses mérites ne furent reconnus que post mortem...


Prince Dani Nivat Kromamun Bidiyalabh Bridhyakorn, 1895-1974, ministre de l’éducation qui fit beaucoup pour l’éducation populaire.

 

Les héros nationaux (et légendaires) défendant le Royaume  contre les Birmans :

Nous avons évoqué la princesse Suryothai, la princesse Suphankalaya, sœur du grand roi Naresuan, qui avait aussi libéré Ayutthaya en 1569.


suphan-kala


Thep Kasattri et Thao Sri Sunthon. Les deux héroïnes de Phuket. Elles défendirent, selon la croyance populaire, la ville contre les Birmans en 1785 en se déguisant en soldats pour rallier les troupes.

 

Phuket


Les héros de Bangrachan. Héros légendaires de la lutte contre les Birmans à Suphanburi (ils ont leur page sur facebook)


Bangrachan


Phrayaphichaïdaphak «  à l’épée brisée » (Utaradit) né en 1741, célèbre pour s’être battu contre les Birmans deux épées à la main, en 1768, il mourut au combat les deux épées brisées.

 

emission 1970 page 47

Les moines : 


Phra maha Samanachao Krompra, Paramaunuchitchinorot, 1851–1915, « patriarche suprême », poète, auteur de nombreux ouvrages théologiques et d’une vie de Bouddha estimée.

 

patriarche

Les artistes :


Louang Praditphaïro 1881-1951. Musicien, maître de chant au Palais royal et compositeur de nombreuses mélodies populaires


Sunthon Phu. 1786-1855. Poète épique de la région de Rayong.


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Silpa Bhirasri (né Corrado Feroci1892-1962) est un sculpteur thaïlandais d'origine italienne. Fondateur en 1943 de l'Université Silpakorn. Naquit le 15 septembre 1892 à Florence, en Italie. Le gouvernement siamois, sous le règne de Rama VI, sollicita du gouvernement italien un sculpteur doué pour des commandes d'État et l’enseignement de l’art de style occidental. Contribua à créer en 1938, l’école des Beaux Arts, transformée le 12 octobre 1943 en université Silpakorn. Silpa Bhirasri fut son premier directeur et le premier doyen de la faculté de peinture et de sculpture. Il fit connaître au monde l’art thaï traditionnel et contemporain.

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Hém Véjakorn. 1903-1969. Peintre et illustrateur de livres thaïs.


Phraya Anuman Rajadhon ,1888 – 1969 ethnologue, romancier, connu sous le nom de plume (romancier) de Sathiankoset. Lors des fêtes du centenaire de sa naissance, il a été salué comme héros « national »

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 Khaoko 02.201224

 

 

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