Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
Nous avons longuement parlé de l’organisation administrative actuelle de la Thaïlande (1) issue des réformes administratives de la fin du XIXème et du début du XXème. Nous avons également parlé d’abondance de l’ancien système administratif des « mueangs » (2), une soixantaine en nombre, dépendant pour certains du Ministère de l'Intérieur, pour d’autres du ministère de la Guerre et pour d’autres enfin du ministère des affaires étrangères, Bangkok ayant son propre ministère. (Pour autant que l’on puisse parler de « ministères » au sens où nous l’entendons aujourd’hui avant les réformes du roi Chulalongkorn.)
Certains mueangs dépendaient donc directement de la capitale, mais d’autres, d’un plus grand mueang et d’autres enfin de royaumes tributaires. Plus précisément, le territoire était divisé en plusieurs catégories en fonction de l’éloignement de Bangkok, les « provinces de l’intérieur », celles de l’extérieur et au delà, les états tributaires. Si les provinces de l’intérieur, proches de Bangkok, étaient administrées directement par la capitale, les « provinces extérieures » et les états tributaires étaient relativement indépendants dans la gestion de leurs affaires internes et avaient pour obligation de payer un tribut annuel à la capitale tous les trois ans et de prêter assistance en cas de guerre.
Avant les réformes, les postes de gouverneur des mueangs étaient devenus, de façon plus ou moins informelle, héréditaires et les dits gouverneurs vivaient des taxes perçues dans leur mueang, retransmises plus ou moins fidèlement à Bangkok. Sur d’autres, régnaient comme monarques tributaires de véritables monarques et non des « chaos mueang » comme au Lanna par exemple, (3),
des Rajahs dans les principautés malaises du sud.
Le premier souci de la réforme fut de supprimer cette féodalité au profit de fonctionnaires du gouvernement désignés par le pouvoir central, dépendant de lui et rémunérés par lui.
Le roi Rama V, dans un évident souci de centralisme véritablement « jacobin » va créer de toutes pièces une nouvelle organisation administrative de concert avec le Prince Damrong, des circonscriptions administratives avec en corollaire et attachée à chacune d’elle, à tout seigneur tout honneur, une administration fiscale, une administration judiciaire, un système éducatif et évidemment une police et une armée.
C’est un abus trop répandu, de dire qu’il le fit sur un « modèle européen ». Des systèmes administratifs élaborés, centralisés et évolués ont existé bien avant l’Empire romain, ne citons que l’exemple du système mandarinal chinois qui a fonctionné du IIème siècle jusqu’en 1905 ainsi que dans les états voisins sinisés comme le Vietnam.
Le roi a besoin de ressources pour « moderniser son pays » - ce qu’il fit – et surtout d’un système fiscal permettant une rentrée régulière de « ticals » pour financer ses coûteuses réformes (4).
La subdivision administrative que va créer le prince Damrong (ministre de l’intérieur en 1892) à partir de 1897 est le « monthon » (มณฑล un terme issu du sanscrit signifiant tout simplement « cercle »), de mandala (en sanskrit « cercle »). C’est la politique du thesaphiban (เทศาภิบาล, « le contrôle du territoire ») introduite par le prince Damrong.
Une structure pyramidale : sous cette unité administrative de base, nous trouvons les changwats (les anciens mueangs) qui ne seront baptisées changwat (จังหวัด) qu’au fil des années (en 1907 pour la province de Pattani et généralisé ensuite en 1916 seulement), puis les amphoe et en dessous les tambon et enfin les groupes de villages et villages. Chaque monthon est sous la direction d’un « commissaire royal » dépendant directement de Bangkok, appelé thesaphiban. Le système a été généralisé en 1897 mais précédé auparavant d’essais ponctuels.
Une étape essentielle et préalable … pour permettre le recouvrement de l’impôt fut la création, le 3 Septembre 1885 d’un véritable service du cadastre qui ne fut effectif sur le terrain qu’en 1901.
Il a fallu attendre 1910 pour que le système soit généralisé dans l'ensemble du pays.
La raison première en est de toute évidence le manque de fonctionnaires compétents, il en est une seconde, évidente aussi, la résistance des potentats locaux qui perdent ainsi leur prébende. Nous y reviendrons car elle fut à l’origine d’une sanglante révolte populaire au Laos qui débordé sur l’autre rive du Mékong au détriment du pouvoir royal siamois.
Nous trouvons ainsi en 1915, 19 monthon contenant 72 provinces (mueang avant de devenir changwat). Le nombre en a varié, essentiellement pour des raisons économiques, fusion de plusieurs monthon, suppression pure et simple d’autres (Phetchabun a déjà par exemple été dissous en 1915). En 1932, quatre autres ont été supprimés (Chanthaburi, Nakhon Chaisi, Nakhon Sawan et Pattani). En 1933 enfin, l'ensemble du système du monthon a été abolie par la Loi sur l'administration provinciale 2476 BE / AD 1933, suite du coup d’état de 1932.
Dressons leur liste, non pas sur le plan chronologique mais sur celui de la géographie :
Le nord-ouest
En 1899 est créé le monthon baptisé Phayap (มณฑลพายัพ)
ce qui signifie tout simplement en sanscrit, le nord-ouest ou encore monthon fai tawantok chiangnua (มณฑลฝ่ายตะวันตกเฉียง เหนือ) ce qui signifie exactement la même chose en thaï. Son organisation administrative a été laborieuse, de 1907 à 1915. Il regroupait essentiellement les anciennes principautés du royaume de Lanna (Chiangmai, Lamphun, Maehongson, Lampang, Chiangrai, Nan et Phrae).
En 1915, ce monthon a été divisé en deux par la création du monthon Maharat (มณฑลมหาราษฎร์. Il a couvert la partie orientale de l'ancien Phayap, à savoir les provinces de Chiangrai, Nan, Lampang et Phrae.
Le monthon de Nakhonsawan (มณฑลนครสวรรค์)
fut l’un des premiers créés en 1895. Il couvrait les provinces de Nakhonsawan, Chainat, Kamphaengphet, Manorom (actuel amphoe de la province de Chainat), Phayuhakhiri ( actuel amphoe de la province de Nakhonsawan), Sankhaburi (actuel amphoe de la province de Chainat), Tak et Uthaithani.
L’année précédente, en 1894, avait été créé celui de Phitsanulok (มณฑล พิษณุโลก) qui incluait les provinces de Phitsanulok, Phichai, Phichit, Sukhothai, Sawankhalok.
Le monthon de Phetchabun (มณฑลเพชรบูรณ์) a été séparée de celui de Nakhonratchasima en 1899. Il était composé des deux provinces Lomsak et Phetchabun, qui furent ensuite fusionnée, en faisant le seul monthon couvrant une seule province. Il a été ensuite provisoirement intégrée dans le monthon de Phitsanulok de 1903 à 1907, avant d'être finalement définitivement supprimé 1915 et incorporé dans monthon de Phitsanulok.
Le nord-est
Le monthon de Nakhonratchasima (มณฑล นครราชสีมา) fut le premier créé en 1893, recouvrant les provinces de Nakhonratchasima (Khorat), Buriram, Chaiyaphum et jusqu’en 1899 comme nous venons de la voir, le monthon de Phetchabun.
Le monthon Isan (มณฑลอีสาน) fut créé en 1900 et en 1912 divisé en deux autres, Roi-Et et Ubon (5).
Le monthon de Roiet (มณฑลร้อยเอ็ด), venons-nous de voir, provenait de la division du précédent en 1912 et recouvrait les provinces de Roiet, Kalasin et Mahasarakham.
Même origine pour le monthon d’Ubon (มณฑลอุบล) en 1912, comprenant les provinces d’Ubonratchathani, Khukhan (actuellement amphoe de la province de Sisaket), Sisaket et Surin.
Le monthon d’ Udon (มณฑลอุดร) a été créé en 1899 incluant les provinces d’Udonthani, Khonkaen, Loei, Nakhonphanom, Nongkhai et Sakonnakhon.
Le sud
Le monthon de Phuket (มณฑลภูเก็ต) a été créé en 1898, comprenant les provinces de Phuket, Thalang (actuellement amphoe constitué de la partie nord de l’île), Ranong, Phangnga, Takuapa (acturellement amphoe de la province de Phangnga et Krabi.
En 1909 il lui fut adjoint la province de Satun, auparavant incluse dans le monthon de Kedah « cédé » aux Anglais.
Le monthon de Chumphon (มณฑลชุมพร) a été créé en 1896 composé des provinces de Chumphon, Chaiya (actuellement amphoe de la province de Surathani), Kanchanadit (également amphoe de la province de Surathani) et Langsuan (actuellement amphoe de la province de Chumpon). Chaiya etKanchanadit ont ensuite été fusionnées en une seule province nomméChaiya. En 1905, l'administration du monthon a été déplacée à Ban Don au centre de la province de Chaiya. Fut ensuite créée le monthon de Surathani (dont Chaya devint simple amphoe),
monthon qui fut provisoirement en 1925 incorporé dans le monthon de Nakhonsithammarat.
Le monthon de Nakhon sithammarat (มณฑลนครศรีธรรมราช) fut créé en 1896 regroupant les provinces de Songkhla, Nakhonsithammarat et Phattalung.
Le monthon de Pattani (มณฑลปัตตานี) fut créé en 1906, regroupant les « sept provinces malaises » Pattani, Yala, Saiburi (actuellement amphoe de la province de Pattani), Yaring (aussi amphoe de la province de Pattani), Nongchik (également amphoe de la province de Pattani), Raman (actuellement amphoe de la province de Yala) et Rangae (actuellement amphoe de la province de Naratthiwat).
Le monthon de Kedah (มณฑลเกดะห์) dont le nom malais fut ensuite siamisé en saïburi (มณฑลไทรบุรี) fut créé en 1897 regroupant les provinces de Kedah, Perlis et Satun.
En 1909, Kedah a été cédée à la Grande-Bretagne, Satun seule province malaise restante siamoise a alors été rattachée au monthon de Phuket.
Le centre
La capitale eut un sort particulier : le monthon Krungthep (มณฑล กรุงเทพ) fut créé en 1897 couvrant Thonburi (actuellement district intégré dans Bangkok), Nonthaburi, Pathumthani, Phrapradaeng alias Nakhonkhueankhan (actuellement amphoe de la province de Samut Prakan), Samutprakan, Thanyaburi (actuellement amphoe de la province de Pathumthani), Minburi (actuellement district intégré dans Bangkok) et Thanyaburi (actuellement amphoe de la province de Pathumthani) qui fut ultérieurement transféré au Monthon d’Ayutthaya. En 1915, la ville reçut son nom complet de Krungthepmahanakhonphra etc…etc…etc…etc…
Le monthon d’Ayutthaya (มณฑลอยุธยา) fut un des premiers créés en 1893 sous le nom de Monthon Krungkao (มณฑลกรุงเก่า), « la vieille capitale » composé de la province d'Ayutthaya, Angthong, Lopburi, Phromburi (actuellement amphoe de la province de SIngburi) et Saraburi.
Le monthon de Ratchaburi (มณฑลราชบุรี) fut créé en en 1895 couvrant les provinces de Ratchaburi, Kanchanaburi, Samutsongkhram, Phetchaburi et Prachuapkhirikhan (anciennement Pranburi).
Le monthon de Nakhonchaisi (มณฑลนครชัยศรี) a été créé en 1895, composé des provinces de Nakhonchaisi, Samutsakhon et Suphanburi. Nakhonchaisi est actuellement un amphoe de la province de Nakhonpathom.
Est
Le monthon de Prachinburi (มณฑลปราจีนบุรี) est également l’un des plus anciens, fondé en 1893 et comprenait les provinces de Prachinburi, Chachoengsao, Nakhonnayok et Phanomsarakham (actuellement amphoe de Chachoengsao).
Le monthon de Burapa (มณฑลบูรพา) a été créé en 1903, regroupant les provinces de Sisophon, Battambang, Phanomsok et Siamriap, toutes provinces siamoises devenus françaises en 1907 et présentement situées au Cambodge.
Le monthon de Chanthaburi (มณฑล จันทบุรี) a été créé en 1906 comprenant les provinces de Chanthaburi, Trat et Rayong.
***
Cette organisation qui regroupe sous un peu moins d’une vingtaine de monthon quelques dizaines de mueangs devenus provinces, avec installation de fonctionnaires venus de Bangkok pour gérer et percevoir les impôts aux lieux et place des potentats locaux paraît assez logique et cohérente. Depuis le Haut-commissaire responsable du monthon, qui doit rendre compte à Bangkok, le gouverneur du monthon qui doit rendre des comptes au Haut-commissaire, le chef d’amphoe qui doit rendre des comptes au gouverneur, et jusqu’au chef de village, la pyramide centralisatrice est en place.
Elle devait bien évidemment se heurter à des résistances, les féodaux n’acceptant nulle part facilement la perte de leurs privilèges, le roi avait les moyens militaires de leur faire entendre raison.
La malchance voulut pour lui que cette ère de réforme coïncide avec l’arrivée des Français. Elle va alors se heurter à des mouvements locaux de résistance que ni lui ni les Français n’avaient probablement prévu. Le plus connu sera nommé « La révolte des saints ».
Il sera l’objet de l’article suivant.
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Notes
(1)Voir notre article « notre-isan-4-organisation-administrative-de-la-thailande ».
(2)Voir nos articles sur les mueangs 15 – 16 - A 55.
(3) Voir nos articles 27 « La formation de l’état de Lanna », 51 « Un autre royaume au nord », 108 « Le royaume thaï du nord ».
(4) Sur l’histoire de la réforme administrative, voir « Directory for Bangkok and Siam » édition 1914 et « Twentieth Impressions of Siam » publié à Londres en 1908.
Par ailleurs, actuellement chaque province a un site Internet (en thaï évidemment !) le plus souvent fort bien ficelé, rarement bilingue, mais donnant toujours de précieux détails sur l’histoire de la dite province, nous y avons puisé d’abondance.
(5) Avant les réformes de Rama V, on ne parle pas encore d’ « Isan », la partie nord, c’était huamuanglao (หัวเมืองลาว) tout simplement « le district lao », ce que les français de l’époque appelaient le « Laos siamois », et les alentours de Korat jusqu’à la frontière de l’actuel Cambodge, Khamenpadong (เขมรป่าดง) « la jungle cambodgienne », un terme qui paraît assez négatif. Il fallut bien « siamiser » les deux !