Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
Les nations s’inventent volontiers des origines lointaines pour exalter la gloire de leur dynastie. Les Francs s’inventèrent une origine troyenne, descendants de Francion, fils d’Enée, alors que l’Historia Brittorum fit descendre Britt, ancêtre des anglais de Silvius, fils d’Enée sur le modèle forgé par les historiens latins, Rome ayant été fondée comme chacun sait par les descendants des Troyens.
Nous n’avons pas la prétention d’apporter des idées nouvelles et personnelles sur les origines et l’histoire d’un pays que nous étudions depuis trop peu de temps face à des personnes infiniment plus renseignées que nous qui ont exprimé des opinions sérieuses et arrêtées.
On lit partout que les peuples qui se disent d’origine siamoise sont ou seraient originaires de la Province du Yunnan en Chine du Sud
et auraient déferlé à partir de leurs rizières jusqu’à la Thaïlande actuelle, s’installant au Lan Na d’abord, dans les plaines centrales ensuite en assimilant de nombreuses autres ethnies.
Qu’en est-il ?
S’il existe une litterature thaïe, et s’il existe de nombreux livres d’histoire, étudiés et compulsés notamment par Monseigneur Pallegoix, Pavie, Léon de Rosny, Aymonier ou Petithuguenin, tous s’accordent à dire que la plupart ne sont étayées que de légendes merveilleuses. Rosny la compare à l’histoire vue par Alexandre Dumas ou Walter Scott. Petithuguenin fait des sources thaïes une analyse serrée sinon féroce : Des listes de monarques remontant à la nuit des temps sans la moindre trace archéologique ou épigraphique.
1/ Que savons-nous sur l’origine des peuples de race thaïe à la lecture de nos propres auteurs français ?
Turpin, collaborateur prolifique de l’ « Encyclopédie » écrit en 1731 : « l’origine de ces peuple est couverte des voiles mystérieux qu’ils se font un scrupule de déchirer. Leur prétention sur leur antiquité ne sont qu’un ramassis de fables appuyées sur des traditions populaires qui chez eux suppléent aux monuments historiques ... ».
L’ énorme « Histoire universelle depuis le commencement du monde » (52ème volume sur 125)
nous déroule une litanie de monarques commençant en l’an 1300 de l’ère bouddhiste « L’histoire siamoise est pleine de fables et les livres qui en traitent sont extrèmement rares parce qu’on prétend que les Siamois affectent de les cacher. Ceux qui sont parvenus à lire quelques fragments de celle de Siam assurent qu’elle ne remonte pas bien haut avec quelques caractères de vérité » et nous dit se fier à la chronologie de Mendez Pinto, ce mercenaire censé avoir écrit la belle histoire de Suriyothaï tout en s’en défiant « faute de meilleur guide » mais rien sur l’origine des siamois proprement dit.
Monseigneur Pallegoix qui a eu accès aux textes siamois nous dit pour sa part « L’abrégé de l’histoire de Siam est tirée des annales de ce pays. Ces annales se divisent en deux parties. La première partie, composée de trois volumes seulement, sous le titre de phongsavada-muangnua ou l’histoire du royaume du nord donne l’origine des Thaïs et un abrégé de leur histoire jusqu’à la fondation de Juthia. Cette première partie est pleine de fables et présente peu de faits historiques ... ». Rien toutefois dans cette histoire qu’ il nous conte ne fait référence à une origine externe des Thaïs.
Auguste Pavie nous raconte la légende qu’il a recueillie (mais toute légende ne repose-t-elle pas sur une réalité née d’une longue tradition orale ?) selon laquelle Thaïs, Laotiens et Khas (les habitants originaires du Laos) ont eu pour berceau une même courge à Muong-Thèng (Dien-Bien-Phu)
laquelle, arrivée à maturité, a donné naissance aux différentes tribus. En attribuant déjà aux Thaïs et aux Laos une même origine, la légende semble d’accord avec la réalité.
D’autres origines ?
• Dans sa monumentale « Grammaire de la langue thaïe » Monseigneur Pallegoix émet l’opinion que le rameau thaï auquel appartiennent les Siamois, les Laos et les Birmans seraient originaires des plaines qui avoisinent le Bengale. De là serait partie cette race occupant les vallées de la Maenam et du Mékong, opinion basée sur des ressemblances linguistiques.
• Francis Garnier pour sa part, rejoint par Picanon, est favorable à une origine tibétaine.
• Pour le Duc de Montpensier, les Thaïs viennent du Yunnan, opinion émise au vu d’arguments ethnographiques.
• Paul Le Boulanger fait référence à des migrations mongoles et tibétaines antérieures à l’ère chrétienne, populations de caractère mongolique dépossédant les habitants d’origine, « qui expliquent en partie cette tour de Babel que forme aujourd’hui le bassin du Mékong ».
La première étude exhaustive à ce sujet paraît être celle d’Aymonier. Il y étudie plus spécialement l’histoire et l’archéologie du Cambodge mais la pénétration des deux peuples lui fait consacrer un chapitre au Siam ancien.
Passons sur la période préhistorique que nous avons déjà étudiée.
Dès le VIème siècle avant Jésus Christ, il présume que des groupes d’Indiens poussés par l’amour du gain tout autant que le désir de propagande religieuse se sont répandus vers l’Est dans la péninsule siamoise. L’indianisation est selon lui certaine compte tenu de noms manifestement sanscrits de nombreuses villes que l’on retrouve dans Ptolémée au IIème siècle de notre ère dans ce qui serait le Siam,
ce qui n’a rien d’impossible puisqu’à l’époque les navires romains ont poussé leurs croisières jusqu’en Chine.
A l’époque où les Khmers occupaient la basse et moyenne vallée de la Maenam, une partie de la péninsule malaise et le Champa, une autre race refoulée par les Chinois descendit du Yunnan et se répandait sur la péninsule. Ce sont les ancêtres des Thaïs. Aymonier rejoint Francis Garnier qui rattachait les Thaïs à des tribus occupant jusqu’au début de notre ère tout la partie chinoise du sud du Yang Tsé Kiang. Ils formaient six royaumes au Yunnan dont le plus puissant était celui du sud, le Nantchao.
Leur migration se répandit peu à peu vers la péninsule indochinoise et prit de l’ampleur avec la poussée chinoise. Nous touchons à la période historique.
Les idées d’Aymonier sont à cette époque révolutionnaires. Ses sources sont essentiellement de trois ordres :
• L’épigraphie,
les annales siamoises et les annales chinoises. (Les annales chinoises sont d’une lecture et d’une interprétation extrèmement difficile pour les profanes. Cf. note.).
Ne citons que le hors-d’oeuvre, l’opinion étayée sur quelques centaines de pages de démonstration a pu subir des critiques de détail (notamment de la part de Léon de Rosny), elle reste celle de la majorité « érudite » quoique non étayée formellement à ce jour par l’archéologie.
• L’argumentation linguistique par l’étymologie,
à laquelle Aymonier consacre quelques dizaines de pages, est troublante mais pas forcément irréfutable. N’oublions pas que le premier dictionnaire thaï – français – latin est celui de Monseigneur Pallegoix, n’a guère plus de 150 ans. Il donne souvent l’origine des mots thaïs mais de façon fort vague. Ne critiquons pas cette oeuvre monumentale, 30 ans d’un travail de fourmi, l’intention de l’auteur n’était pas de rédiger un « Littré » de la langue siamoise. Le premier dictionnnaire proprement thaï-thaï est celui de Bradley qui ne date que de 1873. Il a la prétention réussie de donner en thaï la définition des mots thaïs et pas celle de donner leur étymologie. L’académie royale enfin a été fondée en 1933 et la première édition de son dictionnaire ne date que de 1950. L’édition de 2002 ne donne que de façon allusive l’étymologie de certains mots. Celle de 2004 a supprimé les mots considérés comme « vulgaires » alors pourtant que l’étude étymologique du langage populaire et familier est souvent source de grande richesse. Beaucoup de travail en vue pour le département de linguistique de l’université Chulalongkorn ! Il y a peut-être une solution consistant en des investigations scientifiques approfondies du langage thaï (langue à ton) avec le tibétain dont la langue nous est connue par des inscriptions datant du VIIème siècle de notre ère. Chinois, Tibétains, Birmans, Siamois, Annamites, Bengalis (d’où l’opinion de Monseigneur Pallegoix) parlent tous une langue tonale dont la racine est irréductible. Faut-il en déduire qu’ils descendent tous d’un chimpanzé commun et perfectionné ?
Il est d’autres régions du globe où le langage est tonal (certains dialectes des indigênes d’Amérique du sud et la majorité des dialectes africains).
Les tests ADN ?
On trouve sur un certain nombre de sites Internet qu’il vaut mieux ne pas citer par charité des affirmations péremptoires sur des tests ADN qui auraient été réalisés (où ? par qui ?) et qui démontrent de façon naturellement irréfutable l’origine chinoise ou tibétaines des Thaïs actuels. Si les analyses ADN peuvent éviter la chambre à gaz à quelques noirs américains qui croupissent dans les couloirs de la mort, tant mieux pour eux.
Nous vous invitons à lire le très intéressant article de Jean Pierre Manach dans « le Monde » sur la fiabilité des tests ADN le 10 décembre 2010 (« ADN quand les experts se trompent ») ou encore « Les imposteurs de la génétique » par Bertrand Jordan (Seuil 2000). Les vrais scientifiques sont de plus en plus réticents compte tenu d’erreurs avérées qui ont failli envoyer des innocents à la potence. A plus forte raison, peut-on raisonnablement penser qu’en recueillant quelques rognures de tibias en mauvais état (qui ont parfaitement pu être contaminé par l’ADN d’un homme moderne, tout simplement celui de l’archéologue ou par celui de la flore et de la faune environnantes) dans une tombe tibétaine vieille de 2000 ans (un chantier de fouilles archéologiques ressemble plus à un chantier de travaux publics qu’à un laboratoire de police judiciaire), on en trouvera la preuve qu’il s’agissait d’un ancêtre de mon marchand de patongko ? Nous lisons un peu trop souvent « Grâce à des tests ADN, il a été établi que.. » « Les derniers tests ADN démontrent que... ».
Foutaise ! Il y a (un exemple) à titre indicatif, allez-donc voir sur Internet, deux écoles de sécialistes de l’ADN, ceux qui ont démontré de façon irréfutable que l’homme de Néanderthal
était de la même race (donc pouvait se reproduire avec ...) l’homo (mulier) sapiens dont nous descendons
et ceux qui démontrent de façon tout aussi irréfutable exactement le contraire.
Restons-en donc à ce que disent les auteurs sérieux .. « Il est généralement admis que ... » Excellent présentation dans le Guide « Lonely Planet » entre la théorie de l’origine dans une région « vaguement située entre le sud de la Chine et Dien-Bien-Phu », celle, beaucoup plus fuligineuse, d’une origine de l’ouest du pacifique, fondée sur des origines probablement asiatiques de la langue de Madagascar, et celle enfin de Paul Benedict, l’américain spécialiste incontestée dans les langues d’Asie-du Sud-est pour lequel les Thaïs viennent tout simplement de Thaïlande !
Prudence de bon aloi pour Pierre Larousse : « On ne sait rien de certain sur les origines de ce pays et il est impossible de démêler la vérité historique à travers les fabuleuses légendes des traditions indigènes ».
Les Thaïs viennent peut-être du Nord-est, du Tibet ou de la Chine, peut-être du Bengale, peut-être des océans ; ils viennent peut-être aussi tout simplement d’un potiron de Dien-Bien-Phu ou de … Thaïlande.
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Quelques références :
1731 Turpin « Histoire civile et naturelle du royaume de Siam »
1783 « Histoire universelle depuis le commencement du monde » volume 52
1850 Monseigneur Pallegoix « Grammatica linguae thaïe »
1854 Monseigneur Pallegoix « Description du royaume thaï ou Siam » 1 (tome II chapitre 19 « Histoire des Thai anciennement appelé Sajam »)
1868 Amédée Gréhan « le Royaume de Siam »
1868 Léon de Rosny « Variétés orientales »
1873 Francis Garnier « Voyage d'exploration en Indo-chine, effectué pendant les années 1866, 1867 et 1868, 2 volumes, Paris, »
1876 Louis Jacquoliot « les traditions asiatiques »
1889 Abbé Chevillard « Siam et les Siamois »
1895 Fournereau « le Siam ancien » annales du musée Guimet 1893
1898 Auguste Pavie « Etudes diverses II recherches sur l’histoire du Cambodge, du Laos et du Siam »
1898 Prince H. D’Orléans « Du Tonkin aux Indes »
1901 Eugêne Picanon « Histoire du Laos français »
1901 Aymonier « le Cambodge » II « le Cambodge siamois »
1903 Petit-Huguenin « A propos des origines et de l’histoire ancienne du Siam »
1904 « Histoire particulière du Nan Tchao » traduction du chinois d’une histoire de l’ancien Yunnan par Camille Sainson
1913 Duc de Montpensier « Notre France d’extrême orient »
1916 Petithuguenin « Notes critiques pour servir à l’histoire du Siam ». (Bulletin de l’école française d’extrème-Orient)
1918 Capitaine. Sylvestre « les thaïs blancs » Bulletin de l’école française d’extrême orient volume 4 I 1918
1921 « Bulletin de l’école française d’extrême orient » « Siam »
1930 Paul Le Boulanger « histoire du Laos siamois »
1931 Clayes « Archéologie du Siam » Bulletin de l’école française d’extrême orient
1962 Georges Coedes « Les peuples de la péninsule indochinoise »
1972 Paul Benedict « Sino-tibetan, a conspectus »
1976 « l’evolution de la Thaïlande contemporaine » cahiers de la fondation française des sciences politiques volume 156
1981 M. Hoang « la Thaïlande et ses populations » (Bruxelles)
1998 Saweng Phinit « Histoire du pays Lao de la préhistoire à la république »
Guy Moréchand et Solange Thierry in « Encyclopedia Universalis » « Origine des Thaïs »
Le Grand Larousse du XIXème en 17 volumes (1875)