Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
Il était temps, disions-nous, de commencer « notre » Histoire des Thaïs. Mais ces « Thaïs » « qui se sont répandus au Siam comme une grande nappe d’inondation » disait le Duc de Montpensier (« Notre France d’extrême-Orient » 1913) lorsqu’ils sont sortis de la légende pour rentrer dans l’histoire, d’où viennent-ils ? Avant de répondre – ou de tenter de le faire – à cette question, il nous a semblé curieux de savoir s’il en restait seulement encore de ces Thaïs venus de Chine.
« Je suis sans doute la seule siamoise de race » déclarait fièrement une princesse au début du siècle dernier.
Las ! il ne faut plus parler de Siamois : le 24 juin 1939, le Gouvernement siamois a notifié au Gouvernement français qu'il emploierait désormais les termes de « Thaïlande » et de « Thaï », les substituant aux mots « Siam » et « Siamois » dans ses communications diplomatiques en langue française. Exercice intellectuel périlleux que de qualifier d’ « hommes libres » une population qui était il y a 150 ans seulement dans sa quasi-totalité en quasi-esclavage.
« Cherchez le Bulgare » disait-on à l’époque des guerres balkaniques (celles du XIXème siècle). « Cherchez le Siamois » pouvait-on dire déjà à l’époque de Monseigneur Pallegoix. « Cherchez le Thaï » peut-on dire aujourd’hui.
Monseigneur Pallegoix s’est penché sur les antiques annales du royaume, les Ponsavadas. Il les a déroulées pour nous. (« Description du royaume thaï ou Siam » édition des missions, 3 volumes 1854)
Les anciens Siamois étaient belliqueux et coureurs d’aventures, en guerre avec leurs voisins contre lesquels ils lançaient des expéditions souvent victorieuses. Après chacune de leurs campagnes, ils ramenaient des prisonniers qu’ils établissaient sur une partie du territoire siamois la plus éloignée qu’il se pouvait. Vinrent les Laos, les Birmans, les Khmers et les Annamites. Ils les laissaient groupés sous la direction d’un chef de la même origine, espèce de chef suprême chargé de régler les affaires internes et seul en rapport avec les autorités siamoises. Pas de politique de « siamisation » à l’époque, ils conservent leurs langues, moeurs coutumes, religion, architecture pour autant qu’ils en eussent une, ils avaient des terres et le pays se construisait ainsi un peu de la même façon que les domaines de l’Empire romain.
Vinrent aussi les Chinois mais dans de toutes autres conditions, simple nécessité d’artisans ou d’artistes de talent.
« Laissez-leur prendre un pied chez nous, ils en auront bientôt pris quatre ». Ce n’est pas une citation « identitaire » mais (sauf erreur) du bon La Fontaine ! Voila qui était bien vrai à l’égard des Chinois qui virent, vinrent encore et continuent à venir avec leurs téléphones portables. Combien sont-ils à ce jour ? Les anciens Siamois se refusaient à toute industrie, ignorant l’art élémentaire de la poterie que leur apprirent les Pégouans ou les Môns, venus de leur plein gré dans le pays. Les Môns leur fabriquaient leurs marmites, les Birmans virent volontairement aussi travailler le teck et les pierres précieuses.
Les doux Laos ?
Ceux-ci subirent l’invasion siamoise de 1827 à 1829. Vientiane fut rasée par les hordes menées par le Général Bodin (peut-être un aventurier français). 80.000 familles furent déportées en particulier sur Korat et Saraburi. Le grand roi lao fut conduit à Bangkok dans une cage de fer. Il y fut exposé devant le palais royal aux crachats de la populace et y mourut de faim avant que son corps ne soit donné en pature aux vautours et ses ossements jetés au fleuve. Ses épouses et ses enfants furent conservés au palais et installés dans les environs de Bangkok ou d’Ayuthaya. Esclaves de guerre, donc main d’oeuvre facile qui fut utilisé dans les grands travaux en direction du Cambodge, à l’est.
Un deuxième exode eut lieu en 1875. Le tribut n’ayant pas été payé par les princes laos, la région de Luangprabang fut envahie et de nombreuses familles furent déportées dans la région d’Utharadit. Il y en eut tant que le Roi Chulalongkorn, de crainte de dépeupler le Laos, dut en renvoyer de nombreuses dans leurs foyers.
En 1884-1885, nouvelle expédition en direction de Luangprabang. Les hordes siamoises tels les barbares des premiers âges du monde, déportèrent 30.000 hommes, femmes et enfants. Ce bétail fut décimé par le choléra, les cadavres s’amoncelèrent sur les routes laissés en pature aux fourmis. Les Siamois avaient utilisé une stratégie qui ne devait rien à Napoleon, ils avaient invité les chefs à venir boire l’ « eau du serment » et festoyer. Les chefs voulurent faire participer leurs familles à cette réconciliation et lorsque tous furent réunis, les malheureux furent enchaînés, chargés de cangues et dirigés sur Oubonratchathani. Le roi de Luangprabang se réconcilia ensuite avec son « cousin » du Siam. A la demande du Roi Chulalongkorn plusieurs de ses fils et quelques dizaines de jeunes gens de familles princières furent envoyés étudier à Bangkok. On ne voulut pas ensuite les laisser reprendre le chemin de leur patrie. C’est le grand Pavie qui, aux termes de longues négociations put en 1893 leur faire rendre leur liberté. A cette époque, une foule de femmes laos étaient employées au palais comme esclaves des concubines royales. Les registres tenus par les chefs de ces villages d’esclaves permirent aux consulats de France d’inscrire ces Laos comme « protégés » sur leurs registres. Beaucoup de ces malheureux purent en vertu du traité franco-siamois de 1893 retourner sur la rive gauche du Mékong. Pavie considérait à juste titre que, prisonniers sinon esclaves de guerre, ils ne pouvaient devenir siamois que par la libre manifestation de leur volonté. La France protégeait le berceau de leur famille et nul ne pouvait s’opposer à leur retour. Il n’a pas été tenu comptabilité de ces retours. (Voir Paul LE BOULANGER, « Histoire du Laos français » 1930)
Les Khmers
En 1826, le Roi de Siam refusa de recevoir l’ambassadeur anglais venu lui proposer un traité d’amitié et fit jeter dans la Chaopraya ses précieux cadeaux. Un casus belli ! Le roi fit alors fortifier Paknam, et barrer le fleuve par une énorme chaine. Acharné, l’ambassadeur anglais se rendit auprès de l’empereur annamite qui lui refusa moins brutalement ses présents.
La péninsule était à cette époque en ébullition. Le premier Roi de l’actuelle dynastie s’était jeté sur le Cambodge en 1810 et lui avait arraché les provinces de Battambang et Angkor. Son successeur, plus belliqueux traina ses hordes des confins de la Malaisie aux limites du royaume de Luangprabang. Nous avons conté les exploits du Général Bodin qui ne laissa pas pierre sur pierre du palais royal de Vientiane. Le même aventurier marche sur le Cambodge en 1835 jusqu’à Pnom Penh. Les Annamites annoncent alors (déjà !) qu’ ils viennent aux secours du Cambodge, les Siamois battent en retraite mais en chassant selon leur coutume toutes les populations qui se trouvaient sur leur passage, qui furent réparties entre Bangkok et Ratchaburi. Un second corps d’armée fut vaincu par les troupes annamites. La retraite sonna, on se retira en bon ordre non sans oublier les populations de Tiams musulmans installés aux environs de Bangkok. Enfants de la mer, ils venaient probablement de la péninsule malaise. Ils furent employés sur les navires du roi et ce sont eux qui tirèrent de leurs canons sur les navires français à Paknam le 13 juillet 1893. A la suite du traité de la même année, 4.000 familles se placèrent sous la protection de la France au consulat de Bangkok. Combien ne le firent pas ?
Quant aux Khmers de Ratchaburi, probablement quelques dizaines de milliers, même vêtements, mêmes religion, mêmes demeures que les Siamois, ils ne se distinguèrent plus que par la langue et la politique ultérieure de « thaïfication » les a assimilés tout autant que les Laos dont nous parlions à l’instant.
Mais compte tenu de l’action qu’avait exercée le Cambodge sur les provinces siamoises, la Cour royale avait emprunté de nombreuses coutumes khmères. Il est même probable que le Cambodge a civilisé les Thaïs venus du nord (nous y reviendrons). Il est amusant de noter que des expressions cambodgiennes vulgaires sont entrées dans le langage de la Cour ! Nous savons que le respect que nous avons perdu en Europe reste profond ici. Il existe pour parler à – ou - des - supérieurs un vocabulaire inusité dans le langage courant. Le mot kin manger ne s’adresse qu’aux subalternes. Les gens distingués, vous et moi, than, les moines tchan. Ces mots ne sauraient être prononcés lorsqu’il s’agit de l’opération masticatoire de S.M. le Roi, il ne mange pas, il sawéï. Mais ce mot n’est que du Cambodgien vulgaire !
Les Annamites
Leur arrivée remonte à 1835, entraînés avec les Cambodgierns par les hordes de Bodin. Plusieurs milliers de famille se retrouvèrent aux environs de Bangkok où ils firent souche. Beaucoup étaient catholiques, Monseigneur Pallegoix évangélisa les autres. Il entretenait avec le Roi des relations privilégiées et ils passèrent pratiquement sous sa « juridiction ». Ils se répandirent par la suite dans tous le pays, exerçant l’activité de saleurs de poissons et leurs descendants forment actuellement le gros des bataillons de l’Eglise catholique thaïe.
Un autre groupe, plus de 2.000 familles, catholiques martyrisés en Annam, se réfugièrent dans la région de Chantaboun de leur plein gré où ils constituent la population maritime de cette côte.
« Inscrits maritimes », lorsque l’amiral danois « de Richelieu » réorganisa le corps de la marine, il eut la sagesse de ne pas leur confier les navires et forteresses royales, ces Annamites considéraient alors les français comme leurs maîtres.
Les Pégouans
Les Môns ont constitué le fond de la population de l'ancien royaume de Dvavarati, les plus anciens habitants de la région de Pégou, raison pour laquelle les Européens les ont appelés Pégouans.
D'après Georges Coedés, le pays Môn aurait été le premier de la péninsule indochinoise à être en contact avec la culture indienne. Selon la tradition Bouddhique, c'est dès le IIIe siècle avant l'ère chrétienne, que l'empereur Ashoka aurait eu des contacts avec les Môns.
C'est par eux que l'influence indienne serait parvenue jusqu'aux Birmans.
A la fin du XVIIème, le royaume d’Ayuthaya est dans la plénitude de sa force. Sur lui règne Phra Naraï, roi soleil de l’Extrême-orient.
Il s’est emparé du royaume de Pégou que ses successeurs consevèrent jusqu’à la chute d’Ayuthaya. La guerre reprend avec les Birmans sous le premier roi de la dynastie actuelle aux frontières du Nord et de l’Ouest. Il refoule les Birmans des provinces du Nord qu’ils avaient envahies. Les habitants ayant conservé bon souvenir de l’occupation du pays par les Siamois sollicitèrent du roi de Siam l’autorisation de venir s’établir sur ses terres. Il leur assigna la région de Bangkok. C’est parmi les pégouanes que les premiers Européens établis au Siam choisirent leurs « petites épouses ». C’est celles que choisissait le chevalier de Forbin, homme de goût, pour agrémenter ses nuits.
Ils sont venus au Siam de leur plein gré et sont devenus de bons siamois.
Les Malais
Les Malais furent enlevés des provinces frontalières alors malaises (essentiellement Patani) lors des expéditions parties de Ligor (Nakonsithammarat) de 1821 à 1824 comme prisonniers de guerre et établis dans la région de Bangkok et Ayuthaya.
Indépendament des provinces présentement musulmanes du sud, leurs descendants qui ont conservé leur religion, leur costume et leurs coutumes y forment l’actuelle minorité musulmane. Plus ponctuellement, bons marins, ces « peuples de la mer » occupèrent le chapelet des cent îles au large de Surathani, essentiellement Samui et Tao et les îles de la mer d’Andaman, y compris Phuket, où leurs descendants exercent toujours leur activité de pêcheurs chevronnés à l’ombre de leur blanche mosquée.
Il est de bon ton dans les guides usuels, y compris les sérieux (hélas !), de les appeler « les gitans de la mer ». Voilà bien une traduction purement et simplement grotesque. Les Thaïs les appelent les « tchao lé », abréviation de « tchao thalé » - le langage du sud a l’habitude déconcertante d’avaler la première syllabe du mot - cela veut tout simplement dire « peuple de la mer » ! (Voir สมุยที่รัก, 2000, ISBN 974 91127 1 7)
Les Hindous
Leur installation est ancienne et ils occupèrent tout un quartier de Bangkok. Spécialistes dans le tissus, issus de l’actuel Pakistan, musulmans pour la plupart, leur présence est toujours visible, un peu lourdement parfois.
Les japonais
Le Chevalier de Chaumont, la Loubère, Choisy, le père Tachard, parlent tous de la grande affluence des japonais à cette époque. L’épouse principale de Falcon, l’aventurier grec, était une japonaise et plusieurs japonais occupèrent des fonctions importantes à la Cour. Lorsque le roi et son conseiller furent assassinés, Japonais et Français, partisans du monarque déchu, durent quitter le pays. On les revit lorsque, sous la dictature militaire, le pays flirta avec l’Italie fasciste et le Japon et bien sûr, en force quelques années plus tard !
Les Portugais
Premiers arrivés parmi les Européens, ils ont laissé des traces de leur passage. Ils célébrèrent ainsi au début du siècle dernier le troisième centenaire de l’établissement de leur factorerie au Siam. Complètement métissés, on les retrouve encore dans les églises catholiques de Bangkok. La raison en est évidente, à l’inverse de la colonisation espagnole, génocidaire et la plus infame,
de la hollandaise et de l’anglaise guère moins infames et dans une bien moindre mesure de la française, la colonisation portugaise n’a jamais manifesté de répugnance au métissage, le Brésil actuel en est un magnifique exemple.
Les Chinois
Leur présence est ancienne mais jusqu’en 1824, ils venaient seulement commercer à bord de leurs jonques. Il est possible que Marco Polo ait suivi la même route maritime au début du XIIIème siècle lors de son retour par voie de mer ? Robinson Crusoé, le vrai, celui de notre enfance dont nous ne lisions que des histoires abrégées que nous pensions finies après la mort de Vendredi, fut repris par son goût des voyages à son retour en Angleterre et se mit à trafiquer l’opium entre le Siam et la Chine vers 1702 – 1703, 150 ans avant la fameuse « guerre de l’opium » ! Nous avons recueilli cette histoire à la fin du chapitre XVII de ses « Mémoires ». Le Roi songea alors à eux pour mettre le pays en valeur, favorisa leur immigration, les exempta de toute fiscalité et les assimila aux Siamois en les autorisant à accéder aux honneurs et aux charges. Les résultats allèrent au delà de toute espérance. Une première vague venue de Fokien, de Canton et de l’île de Haïnan se livra partie aux cultures fruitières et maraichéres et une autre au négoce du thé et de l’opium d’abord. Une vague venue de Haïnan à une époque indéterminée investit l’île de Samui où leurs descendants monopolisent (comme dans tout le pays) la quasi totalité du commerce local. (Voir สมุยที่รัก loc.cit). Suivit une autre vague venue de la province de Souateou (où André Malraux laissa plus tard des traces journalistiques après avoir pillé Angkor), ils furent les plus nombreux et se répandirent depuis Bangkok dans tout le pays. Leur présence y est lourde sinon disproportionnée dans certains secteurs essentiels de l’économie (or, banque, finance, commerce). L’attitude du pouvoir à leur égard ne fut pas toujours bienveillante, considérés à une époque, comme « les juifs de la Thaïlande ». Cela n’empécha pas les monarques de faire à leurs filles l’honneur de les recevoir dans leurs harem, les élevant parfois jusqu’à l’insigne dignité de concubine royale et traitant leurs enfants en princes. Ils ont depuis longtemps sacrifié leur tresse,
abandonné dans une large mesure le culte des ancêtres et fait complétement oublié qu’ils ont pu constituer à certain moment « le péril jaune ». S’ils fêtent à grand renfort de pétards le nouvel an chinois et fréquentent leurs temples bouddhistes chinois,
la plupart (la totalité ?) d’entre eux sont totalement incapables de lire les idéogrammes dont ils ornent leurs commerces. Leur retour dans la « mère patrie » ne fait plus partie que des rêves maoïstes s’il en reste encore.
Les habitants du « Laos-siamois »
Les monarques de Bangkok n’exerçaient sur les principautés de ce qui est devenu l’Isan qu’une souveraineté assez vague jusqu’en 1884, époque de la convention anglo siamoise et même jusqu’en 1893, époque de la convention franco-siamoise. La pusillanimité du gouvernement français commit la faute irréparable, considérait-on à l’époque dans les milieux nationalistes, d’abandonner cette partie du Siam qui du jour au lendemain aurait pu devenir nôtre. Instruits par ces événements, les Siamois comprirent que les Français étaient à même d’exercer une action dangeureuse sur la rive droite du Mékong et qu’il fallait resserrer les liens avec les principautés tributaires. Ils en préparérent doucement l’annexion qui devint très vite un fait accompli. Le Siam possédait alors deux hommes d’intelligence supérieure, le Prince Devavongsé, ministre des affaires étrangères
et le Prince Damrong, ministre de l’intérieur.
Celui-ci déclare en 1899 lors d’une réception en présence des consuls étrangers « je vous demande pardon de m’exprimer ainsi mais il le faut, désormais, il n’y a plus de Thaïs ni de Laotiens, il n’y a plus dans les limites des possessions siamoises que de fidèles sujets du roi de Siam. » Les principautés du laos siamois abandonnèrent d’autant plus volontiers leurs privilèges régaliens que la colonisation au Laos voisin, bien loin de répondre aux voeux de Pavie, favorisa singulièrement cette politique. On attendait en effet beaucoup des Français. Rappelons que de toutes les colonies de notre Empire, le Laos fut la seule à ne pas avoir été conquise par les armes. Mais la sauvage politique coloniale au Laos après Pavie rebuta vite les habitants du Laos siamois. (Voir Auguste PAVIE « Recherches sur l’histoire du Cambodge, du Laos et du Siam » 1898 ou « Comment on perd une colonie » par Devilar 1927 lequel ne craint pas d’écrire que les habitants du Laos siamois poussaient des « râles d’amour » en direction de la France).
Les Birmans
Les Birmans, très au courant de l’exploitation du teck et du travail des pierres précieuses, virent s’établir dans les provinces frontaliéres ou commercer dans le nord du pays. Lorsque l’Angleterre s’empara de la Birmanie en 1886 les revendiqua comme ses sujets , le Siam rétorqua que leur installation avait été volontaire et qu’ils s’étaient installés au Siam sans espoir de retour.
Dans cet inventaire (non exhaustif) des populations qui vivent sous le sceptre d’ivoire de S.M. Rama IX, il est permis de se demander où sont les vrais Siamois ?
Frères de race des Laotiens en existe-t-il encore des groupes authentiques ? Parmi les descendants des mandarins réfugiés à Nakhonsithammarat après la chute d’Ayuthaya ? Dans les environs de Chantaboun il y a encore quelques dizaines d’années ? Dans la famille royale, mais la famille royale elle même est très largement sinisée ?
Les sources convergent pour nous apprendre qu’il y avait au Siam au début du siècle dernier « environ » 6 millions d’habitants dont 1 million et demi de Thaïs et 10 ou 15 % de Chinois, 600.000 habitants à Bangkok dont « probablement » la moitié de Chinois. (Voir notamment « Comment s’est peuplé le Siam » par Alfred RASQUEZ » in « Bulletin du Comité de l’Asie française » 1903).
La population est ce jour largement plus que multipliée par 10 et il est probable que cette proportion n’a pas varié d’un espsilon. Combien de Laos-Isan ? 25 ou 30 millions ? Les chiffres que l’on trouve dans tous les guides donnent une proportion de 85 % de Thaïs « originaires » ? C’est probablement que l’on y inclut les Laos-Isan qui se considèrent comme de vrais Thaïs. Celle de 5 % pour la minorité musulmane ne semble pas en parfaite adéquation avec ce qu’elle a de visible, ponctuellement dans le Nord, beaucoup plus lourdement dans certains quartiers de Bangkok et dans tout le grand Sud. Statistiques faussées ? C’est possible ? Procédure bien classique dans tous les pays comportant une minorité « visible » avec possibilité d’affrontement. Est-ce la raison pour laquelle certaines provinces envisageraient d’interdire le port du voile ?
L ‘état civil ne nous est d’aucun secours. Il n’existe en Thaïlande que depuis le début du siècle dernier (1913) où l’on imposa aux habitants d’ajouter à leur prénom, tchu, un nom de famille, namsakoun choisi administrativement et arbitrairement pour des milliers de famille et le plus souvent complexe (sanscrit ou pali), probablement d’ailleurs pour faciliter l’assimilation de la communauté chinoise, la plus importante en nombre. Si je sais que notre ami Martinez est d’origine espagnol, Martins d’origine portugaise, Chalabi d’Afrique du nord et cet excellent Martin, un bon vieux français de France, c’est bien parce que, l’état civil existe chez nous peu ou prou depuis le XVème, rien de pareil ici. Seul le choix du prénom indique la religion, notre ami Kassem est musulman assurément
et Bernadette une bonne catholique et rien autre !
L’ascendance et la descendances généalogiques de la famille royale elle même sont probablement infaisables parce qu’inextricables. L’une de nos sources (พระราชประวัติ ๙ กษัตไทย par ดวงพร ทีปะปาลข sans date ni ISBN) donne depuis le premier monarque de la dynastie jusqu’au septième (la vie conjugale du monarque actuel est irréprochable et son prédecesseur est mort trop jeune pour en avoir eu une) le détail de leurs épouse principales, secondaires, tertiaires etc ... et de leurs concubines principales. Point de détail sur la marmaille certainement innombrable hors celle, masculine, de la première épouse dans la seule branche aînée. La noblesse n’est point héréditaire au Siam ; probablement des dizaines et des dizaines de milliers de « petits princes » vivent sans faste fort loin du palais royal, peut-être derniers descendants des vrais siamois ? (Voir Eugène GIBERT « la famille royale de Siam » 1884).
La généalogie est une science tellement étrangère à la mentalité thaïe que le seul noblilaire digne de ce nom (à notre connaissance tout au moins) concernant tout à la fois la famille royale jusqu’à Rama V (lequel eut 325 enfants) et quelques familles aristocratiques est l’oeuvre – en thaï - d’un Américan et date de 1933 (ราชินิกูลราชกาลที่ ๕ par David K. Wyatt, publié par Ohio University).
On a pu établir sans trop de difficultés une généalogie ascendante du Comte de Paris, mort en 1999, incluant même le prophète Mahomet (par son lointain descendant, le dernier roi Maure de Grenade, Boadbil dont la fille Aixa fut capturée par les Espagnols, baptisée Isabelle, que le très catholique roi Ferdinand prit comme maîtresse, et qui lui donna un fils, Miguel Fernandez, chevalier de Grenade).
Voir André de Moura « Quarante mille ancêtres du Comte de Paris », janvier 2007. Il ne reste plus guère dans le monde que la très orgueilleuse noblesse espagnole pour croire à la « limpieza de sangre ».
Il en serait tout autrement ici. La famille royale est composée à ce jour de 131 branches. Lors de la célébration du 60ème anniversaire du règne de Sa Majesté, des représentants de chaque branche ont été réunis au Dusit Palace et reçus en audience par le roi, regroupés en fonction des l’étroitesse des liens de parenté. La détermination de l'ordre de préséance – travail de bénédictin – fut confiée au président de l'association familiale de la dynastie Chakri, qui garde la trace de chaque branche, sous branche, ligne et sous-ligne et de ses membres, veillant à ce qu'aucun imposteur ne s’y glisse.
Il y a seulement cent ans, l’ethnographie du Siam ressemblait étrangement à celle de l’empire austro-hongrois à la même époque : des éléments disparates réunis par un semblant d’unité administrative, préts à se désagréger au premier vent ? Pas d’unité nationale, pas de loyalisme, des provinces prêtes à tomber de l’arbre si on les secouait un peu ? Il n’y eut pourtant qu’un modeste exemple à minuscule échelle en 1893 lors de l’affaire de Paknam où l’on vit quelques rares Cambodgiens d’origine refuser de sa faire tuer pour le Roi de Siam et tenter de lapider l’amiral « de Richelieu » !
Les monarques successifs depuis Rama V et la politique de « thaïfication » forcenée ont réussi cet incroyable pari au bénéfice, il est vrai, d’un remarquable pourvoir d’assimilation des Thaïs et sous la douloureuse réserve des trois provinces malaises du sud : De Maesaï à Yala, « il n’existe plus que des Thaïs avec les mêmes droits et les mêmes devoirs ».
Pardonnez cette chute, il est permis, disait Choderlos de Laclos, de faire une bonne citation (tout en la paraphrasant) même si l’auteur est mauvais.