Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
L'auteur de ce conte dont le titre initial est Nang Kamklong, « la princesse du tambour » (นางคำกลอง) serait un érudit nommé Nantawong-sachan (นันทวงศาจารย์) qui aurait vécu au Laos sous le règne du roi Phothisarat (พระเจ้าโพธิสารราช)
et aurait été écrit entre 1535 et 1571. Elle est l'histoire de Phraya Rung (พระยารุ้ง), un vautour géant (« le seigneur de l'arc en ciel »), qui descendait du ciel dévorer les habitants de Khenthani. (เมืองเขนธานี). Le seigneur de la ville pour sauver sa dynastie cacha alors sa fille dans un grand tambour. Plus tard, le prince Chulani (เจ้าชายจุลนี) de la ville de Pengchan (เจ้าชายจุลนี) vint la délivrer et en fit sa reine.
Ce n'est qu'une hypothèse développée sur le site isangate mais l'origine est peut-être beaucoup plus ancienne ? (https://www.isangate.com/new/)
C'est un conte populaire dont l'on trouve des fragments écrits sur feuilles de palmier et spécifique au nord et au nord-est de la Thaïlande et au Laos. Il en est des versions au Laos, dans le nord et le nord-est de la Thaïlande, les noms propres changent mais le sujet de l'histoire reste le même. De nombreux fragments ont été retrouvés en écriture traditionnelle Isan-Tham, Tai-Noi et en écriture lao, conservées à Luang Prabang, dans le Champassak et à Vientiane. La thèse universitaire de Paka Preechayan (ผกา ปรีชาญาณ) en 1992 en a fait une étude comparative de 32 exemplaires de provenances diverses : จำปาสี่ต้น : การศึกษาเปรียบเทียบวรรณกรรมล้านนาไทยอีสานและลาว (Une étude comparative des versions Lanna Thai, du nord-est de la Thaïlande et du Laos de l'histoire des quatre arbres champa).
L'histoire des quatre champa, les quatre frangipaniers ; l' « arbre champa » (จำปาตน้) c'est en dialecte isan-lao le frangipanier, un arbre à fleurs vivaces aux couleurs variées. Il est la fleur symbolique du Laos.
ll est toutefois possible que l'arbre de l'histoire ait été le Magnolia champaca, une espèce de magnolia originaire d’Asie du Sud qui produit également de grandes et belles fleurs et qui est appelée champa en thaï - isan.
Ce conte est transcrit sous la forme populaire du khaotham (ค่าวธรรม), un long poème dans lequel sont insérées des incantations en pâli. Il est le plus souvent prononcé par les moines sous forme de sermon le jour de l'Uposatha Sila (วันอุโบสถศีล) ou les moines se rendent dans la salle Uposatha (la salle d'ordination) pour écouter en compagnie des fidèles laïcs les saints préceptes. C'est de la littérature religieuse transmise sous cette forme populaire. Il est courant de le prononcer lors des funérailles
ll a été adapté en pièce de théâtre Si Yot Kumarn (les quatre princes)
et Din Nam Lom Fai (la terre l'eau, le vent et le feu) (สี่ยอดกุมาร - ดินน้ำลมไฟ) ainsi que dans des histoires illustrées, et encore ainsi que dans une mise en musique par un groupe folklorique Phuthai (ภูไท).
Il y a donc plusieurs versions de ce conte. Celle-ci provient d'une version « les quatre frangipaniers » d'un site culturel de la république du Laos : « Comité des sciences sociales - Institut de recherche sur les arts, la culture et la linguistique de la RDP lao » (คณะกรรมการวิทยาศาสตร์สังคม สถาบันค้นคว้าศิลปวัฒนธรรมและภาษาศาสตร์ ของ สปป.ลาว เรื่องราวมีอยู่ว่า).
Il y a comme il se doit d'érudites versions thaïes
,
des versions populaires
et des versions pour les enfants.
S'il n'y a pas, à ma connaissance tout au moins, de traduction ou d'adaptation en anglais, il a une érudite traduction en français que l'on trouve dans l'encyclopédique ouvrage de Louis Finot « Recherches sur la littérature laotienne » publié dans le Bulletin de l'école française d’Extrême Orient, tome 17 de 1917 sous le titre « Campa Si Ton – les quatre frangipaniers » (pages 131 s.). Finot annonce « une suite interminable » que je n'ai su trouver.
Par ailleurs, évidemment, l'histoire a inspiré aussi les artistes. Je ne cite que les portes et volets en bois sculptés du rez-de-chaussée du stupa du Wat Nong Wang (วัดหนองแวง) de Khonkaen
qui racontent cette histoire en 85 panneaux. Vous pouvez les voir défiler sur les trois pages (dont les légendes sont en thaï)
https://www.isaninsight.com/jampaseeton/
https://www.isaninsight.com/jampaseeton2/
https://www.isaninsight.com/jampaseeton3/
Ce temple spectaculaire qui n'est pas ancien est le plus fréquenté de la ville mais aucun guide touristique ne fait allusion à cette assez spectaculaire bande dessinée-bas relief.
La ville de Chakkhin (เมืองจักขิ) était prospère et paisible.. Malheureusement vint du ciel Phraya Hung (พระยาฮุง), un vautour géant, qui venait tous les jours capturer des habitants pour les manger.
Le seigneur de la ville ne pouvait faire face. On essaya même le canon contre lui, en vain :Tous les sorciers de la ville ne purent résister et furent à leur tour dévorés. Le seigneur décida alors de cacher sa fille, la princesse Patumma (นางปัดทุม มา), pour sauver sa race , dans un tambour géant au milieu de la ville et changea son nom en Nang Kamklong. Klong, c'est un tambour. La ville devint déserte, les habitants ayant été dévorés ou ayant fui vers d’autres villes..
Le Roi Chulani (ท้าวจุลละนี) avait été envoyé par le Dieu Indra,
...invoqué par la princesse dans son tambour. Il était le souverain de Panchanakorn (ท้าวจุลละนี) et se trouvait à la chasse : Il se perdit dans une ville déserte. Il fit alors venir ses ministres pour visiter la ville. Ils apprirent que le tambour géant battait pour signaler au vautour les arrivants et l'on entendait alors le chant suave d'une jeune fille à l'intérieur du tambour. Le roi creva alors le tambour de son épée et découvrit Nang Pattumma. Il apprit que le vautour géant descendait manger les habitants lorsqu'il entendait le tambour. Les astrologues avaient dit au roi de Chakkhin que viendrait un jour ou un magicien ou un homme doté de pouvoir surnaturels tuerait le faucon géant. C'est ce que fit le roi Chulani. Il prit la princesse pour seconde épouse et la ramena à Panchanakor. Il avait une épouse principale Nang Akkhi (นาง อัคคี) qui fit bonne figure mais devint jalouse car elle ne pouvait pas avoir d'enfants. Lorsque Nang Pattuma tomba enceinte, elle réva que le Dieu Indra – deus ex machina - lui donnait quatre pierres précieuses. L'astrologue du palais lui en avait révélé le sens : elle aurait quatre fils dotés de grandes vertus. Lorsqu'elle fut sur le point d'accoucher, Nang Akkhi lui expliqua qu'il était de tradition dans ce pays de bander les yeux de la mère sur le point a'accoucher d'un épais tissus. Lorsqu'elle eut donné le jour à quatre bébés, Nang Akkhi les remplaça par un petit chien et fit savoir que Nang Kamklong avait eu une liaison avec un chien. Elle fut alors chassé de la ville et dut élever des porcs pour gagner sa vie. Nang Akkhi avait jeté les enfants à l'eau sur un radeau qui échoua dans un jardin appartenant à des vieillards qui élevèrent les enfants averc affection. Nang Akki apprit que les quatre princes étaient toujours en vie. Elle ordonna alors à une servante de leur fournir de la nourriture empoisonnée. Lorsque les vieillards revirent des champs ils trouvèrent les enfants qui gisaient, morts, et les enterrèrent dans leur jardin. Rapidement quatre frangipaniers poussèrent sur les tombes dont les vieillards s'occupèrent avec soin. Les fleurs du premier étaient d'un blanc pur, celles du second, jaune, celles du troisième, indigo et celles du quatrième, rouges.
Nang Akkhi apprit cela et ordonna à Nang Sa-mai (นางทาสี), sa servante préférée et son âme damnée d'aller abattre les arbres et de les laisser aller à la dérive sur le fleuve. Ils dérivèrent jusque sur les rives de l'abri (ashram - อาศรม) d'un saint ermite. Les arbres champa avaient flotté et s'étaient retrouvé échoués devant l'ashram (อาศรม) de l'ermite.
L'ermite utilisa un couteau pour couper l'un des arbres champa et vit qu'il saignait, il sut donc que ce n'était pas un arbre ordinaire. Il lança alors un sort pour leur redonner forme humaine. Le plus jeune avait perdu un doigt lorsque que l'ermite avait coupé son arbre . Il le lui remplaça par un doigt de diamant aux pouvoirs surnaturels, en particulier celui de décider de la vie et de la mort. Il les appela Champa d'or (จำปาทอง), Champa d'argent (จำปาเงิน), Champa de saphir (จำปานิล) et le plus jeune Chaonola (เจ้านล), « jeune novice » et enseigna à tous ses arts magiques. Les princes partirent en guerre et firent de nombreuses conquêtes. Ils revinrent vers le couple de vieillards dans leur jardin. Indra savait que Nang Patumma avait connu de grands malheurs. Il se déguisa alors en nonne vêtue de blanc et raconta l'histoire aux quatre princes. Ils demandèrent alors à l’ermite la permission de retrouver leur mère. En route vers la cité morte, le prince Nola pointa son doigt et ressuscita la ville et son prince. Il donna à ses frères le pouvoir de gouverner d'autres villes puis il partir retrouver sa mère. Lui même et ses frères couvrirent de richesses le couple de vieillards.
Lorsque le roi Chulani connut la vérité, il fut évidemment en extase de savoir qu'il avait quatre fils. Nang Akki et Nang Sa-mai (นางทาสี) sa principale complice, furent appréhendées et réduites en esclavage et Nang Patumma retrouva son trône. Le couple de vieillards furent installés au palais. Les princes obtinrent l’autorisation de gouverner le pays aux côtés du Prince Nola qui succéda à son père.
Ces contes sont destinés à exposer aux fidèles qu'en ce bas monde, celui qui fait le bien est récompensé et celui qui fait le mal est puni.
On retrouve souvent les mêmes personnages : Un roi comme il se doit, le héros, un beau et jeune prince qui utilise au besoin des armes magiques, l'ermite ou anachorète (rusi – ฤาษี) qui enseigne les sciences occultes et fournit les armes magiques au héros, le géant (yak – ยักษ์), c'est le méchant de l'histoire, il peut prendre toutes sortes de formes, humaines ou animales et doté de pouvoirs magiques, Indra est le deus ex machina qui sauve les situations compromises et répond au premier appel des humains, l'héroïne enfin est belle, jeune et fidèle. Il y en a beaucoup d'autres, créatures célestes le plus souvent, qui n'apparaissent pas ici
L'intrigue, comme ici, ne varie guère, c'est le plus souvent les luttes contre les yaks représentant le mal, le combat entre le bien et le mal.. Elle est souvent d'une épouvantable complexité, rarement simple comme ici mais il a probablement cette suite interminable dont parle Finot ?