Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
Dans l’une de ses historiettes, le Prince Damrong nous conte celle de cet « étrange voleur ». Etrange histoire aussi car nous découvrons un aspect singulier de la justice pénale au temps du Roi Rama V, justice qui pouvait être féroce mais aussi justice qui pouvait bénéficier de la compassion royale puisqu’elle appartenait au Roi, maître de la vie de ses sujets.
Le Prince a voulu parler d’un voleur singulier qu’il a connu autrefois, une personne de la ville d'Inthaburi (อินทบุรี) nommée Tim (ทิม).
Précisons qu’Inthaburi est l’un des districts (อำเภอ) de la province de Singburi (จังหวัดสิงห์บุรี). C’est un village héritier d’un glorieux passé historique, celui du camp de Bang Rachan (ค่ายบางระจัน) : En 1765, sous le règne du roi Ekkathat (พระเจ้าเอกทัศ) les habitants du village opposèrent une résistance héroïque à l’envahisseur Birman. Tous les petits Thaïs apprennent encore cette histoire, toujours présente dans les livres d’histoire.
En !890, le Prince était directeur général du ministère de la Justice (กระทรวงธรรมการ). Il avait en cette qualité le droit de siéger aux réunions des ministres.
Un soir le roi vint siéger comme d’habitude à la réunion qui se tenait dans la salle du trône (มุขกะสันพระที่นั่งดุสิตมหา). L’ordre du jour était peu chargé, le roi déclara qu’il avait reçu par la poste les recours de prisonniers incarcérés et que l’un d’entre eux lui avait paru devoir mériter examen.
On en fit lecture. Il s’agissait d’un recours de Ai Tim (อ้ายทิม), prisonnier de la ville d'Inthaburi. Il était incarcéré pour vol. La direction de la prison l’avait affecté à un département où il pratiquait la vannerie et avait acquis une grande habileté. Il pensait dépasser en habileté tous ceux qui pratiquaient la vannerie dans sa prison. Il souhaitait réaliser une œuvre destinée à être présentée à sa majesté et – si celle-ci lui plaisait - obtenir son pardon et finir sa vie comme moine pour le reste de ses jours après 10 ans déjà passés en prison. Il ajoutait que si l’œuvre ne correspondait pas à ce qu’il annonçait, il préférait la peine de mort.
Le Prince ajoute quelques explications d’ordre procédural. Le code pénal de 1909 n’était pas encore en vigueur.
L’usage consistait alors à condamner les voleurs à la prison sans précision sur la durée de la peine. Pour obtenu une remise, le délinquant devait, soit lui-même soit ses proches, solliciter l’intervention royale. A la création du service postale en 1883, le nombre des pétitions se multiplia.
C’était une véritable procédure d’appel à la Justice retenue et, au vu des éléments dont il disposait, le Roi prenait sa décision. La pétition de Aï Tm fut considérée comme recevable. Le Roi demanda donc au Prince Naret (พระนเรศวรฤทธิ์), un autre de ses demi-frères, de vérifier les allégations de Tim.
A la réunion suivante, le Prince Naret présenta une œuvre tressée par le voleur. C’était un travail de tressage minutieux et de grande qualité.
Le Roi accorda sa grâce et ordonna au Prince Naret de préparer les cérémonies afin que Tim fut ordonné comme « Naga Luang » (นาคหลวง), ce qui lui conférait le privilège de l’être dans le Wat Phrasri Rattanasatsadaram (วัดพระศรีรัตนศาสดาราม), cérémonie exceptionnelle qui exigeait la présence royale. A cette époque, les prisonniers étaient incarcérés dans l’ancienne prison située devant le Wat Phra Chetuphon (วัดพระเชตุพนฯ).
Le Prince Damrong le vit, il avait environ 40 ans, des cheveux longs et négligés, sale, de la vermine sur lui et des vêtements en lambeaux mais d’une grande dignité. La première chose à faire fut de le laver, de l’épouiller et de lui couper les cheveux. Le Prince l’hébergea alors chez lui jusqu’aux cérémonies d’ordination. Les habitants de son palais le prirent en pitié lorsqu’ils connurent son histoire. Pour l’organisation des cérémonies d’ordination, le Prince consulta le Prince Chao Phraya Wichitwongwutthikrai (พระยาวิชิตวงศ์วุฒิไกร).
A cette époque, c'était encore Phraya Wutthikanbodi (พระยาวุฒิการบดี), secrétaire permanent du ministère de la Justice. Il fut décidé que l’ordination aurait lieu au Wat Phra Chetuphon (วัดพระเชตุพนฯ).
L’abbé était heureux de recevoir cette nouvelle recrue et tout fut préparé dans le palais du Prince Damrong. La cérémonie se déroula au temple en présence du Roi. Tim resta au temple pendant deux ans. En 1892, alors que le Prince Damrong était ministre de l’intérieur, Tim tomba malade et souhaita retourner dans un temple d'Inthaburi où il trouverait le soutient de sa famille et de ses amis. Après avis du Prince Damrong, le roi lui accorda cette permission. Ainsi fit Tim qui disparut alors pendant un an.
Nous arrivons en 1893. Le Prince vit un neveu de Tim qui l’attendait à l’entrée de la salle du trône. Il lui dit « le Roi a été bon pour mon oncle, quand il était jeune, il a appris des formules magiques qui pourraient être utiles, nous sommes en guerre avec la France et il souhaite venir servir le Roi ». Emu, le Prince en parla au Roi qui répondit « c’était un voleur, il s’est repenti, la bataille n’utilise que des hommes valides qui disposent encore de beaucoup de force. Phra Thim est déjà trop vieux. Qu’il continue dans son temple à acquérir des mérites ».
Pendant plusieurs années, le Prince n’eut plus de nouvelles de Tim. Bien plus tard, le Prince avait oublié la date, il apprit sa mort. En accord avec le gouverneur d'Inthaburi, le rituel d’une crémation royale fut accordé aux frais du gouvernement. C'est la fin de l'histoire de Phra Tim. Sa qualité de moine lui donnait droit au titre de Phra (พระ)
Le Prince termine son récit ainsi « Un arbre tordu avec une extrémité droite peut toujours être plié. Si la pointe est tordue et que le tronc est droit, il ne peut pas être utilisé » (ไม้ต้นคดปลายตรงยังดัดเอาดีได้ ถ้าปลายคดถึงต้นจะตรงก็ใช้ไม่ได้) ; A tout péché, miséricorde.