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Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.

GERMAINE KRULL, UNE ANCIENNE PASSIONARA BOLCHEVIQUE DIRIGE PENDANT 20 ANS L’HÔTEL LE PLUS LUXUEUX ET LE PLUS CHER DE BANGKOK

Dans le premier quart du siècle dernier, lorsque le Siam s’appelait encore le Siam, il n’y avait pas de touristes mais seulement des voyageurs, hommes d’affaire, diplomates ou simplement curieux riches et oisifs. Lors de leur séjour à Bangkok, le choix hôtelier est limité. Dans le Guide de Claudius Madrolle en 1902, trois hôtels sont signalés, en tête l’Oriental « sur le bord du fleuve, près de la légation de France », suivis du Continental et l’hôtel du Palais (Royal Thai Palace) près du Palais. En 1926, il nous signale encore, en tête, l’Oriental suivi de l’hôtel Royal, tous deux « confortables et avec agencement moderne ». Il en signale encore deux autres, de catégorie inférieure à celle des précédents, l’hôtel Gay et l’hôtel de l’Europe. Dans l’Eveil économique de l’Indochine, dans la livraison du 12 février 1928, Henri Cucherousset qui a souvent la dent dure nous dit « à Bangkok, on a le choix entre deux bons hôtels : En tête vient le Phaya thai palace animé par les chemins de fer royaux du Siam ...

 

 

...et l’Oriental. Nul ne parle de luxe mais tout simplement de confort moderne. Hors la capitale, la structure hôtelière est inexistante, il ne reste que la solution de s’installer dans une sala peu confortable. Lorsque Madrolle ira visiter le site archéologique de Phimai, il nous apprend que depuis la construction d’un vice-consulat à Khorat, le vice-consul héberge ses compatriotes voyageurs.

 

 

L’HOTEL ORIENTAL DE BANGKOK

 

 

Il est difficile de ne pas parler de l’Hôtel Oriental de Bangkok, véritable monument historique, « Grande dame » de l’hôtellerie asiatique et considéré comme l’un des plus beaux du monde. Si les prix sont actuellement pharaoniques, il est permis, sans trop se ruiner, prendre un petit déjeuner en terrasse au bord de la rivière ou s’offrir un apéritif du mythique « Bamboo Bar »

 

 

...pour tomber sous son charme, celui de ce pays, parquets en bois de teck ou suage de tissues précieux des collections du « roi de la soie thaïlandaise », Jim Thomson qui en fut l’un des copropriétaires. S’il est devenu ce qu’il est, c’est en grande partie du aux efforts pendant 20 ans d’une autre grande dame, Germaine Krull qui fut notre compatriote sinon sur son passeport, du moins par une partie de sa vie passée en France où elle acquit la célébrité dans un tout autre domaine que celui de l’hôtellerie de prestige. L’hôtel a été construit au cœur de la première enclave occidentale sur la rive droite de la Chao Phraya, non loin de la cathédrale de l’Assomption et de l’Ambassade de France. Une première construction, une auberge pour marins, daterait de 1863 et fut le fait d’un homme d’affaire batave et portait déjà le nom d’Oriental. Le bâtiment fut détruit par un incendie quelques années plus tard. Il fut reconstruit en 1866 par un Allemand nommé Flack. Il comportait l’éclairage au gaz déjà installé dans les rues de Bangkok. Il fut revendu en 1870 à un Danois qui l’a équipé du confort aux goûts occidentaux, chambres familiales, salles de bain, salle de billard et bar « américain ». L’hôtel fut repris en 1881 par un Danois, Hans Niels Andersen, magnat de la navigation, fondateur de la Compagnie d'Asie de l'Est. Il avait pour partenaire le Pince Prisdang (พระองค์เจ้าปฤษฎางค์), petit fils du roi Rama III et par ailleurs premier ambassadeur du Siam en Angleterre. L’hôte devint alors le meilleur endroit ou séjourner à Bangkok ce qui conduisit à de nombreuses extensions du bâtiment d’origine. L’ « aile des auteurs » hébergea de nombreux auteurs de renom, le premier fut le marin polonais Josef Korzeniowski, surnommé « Polish Joe«

 

 

...qui devint plus tard mondialement connu sous le nom de Joseph Conrad et dont le roman « Lord Jim » a donné son nom au restaurant de fruits de mer de l'hôtel

 

 

 

Graham Greene y écrivit des extraits de son roman sur le Vietnam « The quiet American – Un américain bien tranquille »

 

 

et William Somerset Maugham se plaignait d’y faire des cauchemars dus au paludisme. Il y rencontra Jim Thompson, ami de Germaine Krull, dont nous parlerons plus bas. Celle-ci avait était correspondante de guerre après la guerre et pendant ses vacances en Thaïlande décida d’y rester pour trois ans, elle y resta 20 ans. « Coup du destin » « expérience amusante » elle s’associa avec Jim Thompson et plusieurs partenaires thaïlandais dont Phot Sarasin  pour relancer l'Oriental délabré, qui pendant la guerre avait d'abord été occupé par les japonais, puis par la soldatesque américaine.

 

 

Elle apparaît comme directrice de l’établissement sur les documents officiels en 1947. Elle se livra à un travail titanesque pour faire de cette « vieille dame » un palace. Quelques semaines seulement après son entrée dans les lieux, elle ouvre le « Bamboo bar » qui devint rapidement l’endroit le plus « branché » de Bangkok où il fallait être vu. Sous sa gouverne, l’hôte devint ce qu’il est aujourd’hui. Elle y resta jusqu’en 1967, elle avait alors 70 ans. Elle passa le relais en 1967 au charismatique Kurt Wachtveitl, richissime homme d’affaire teuton qui resta à la tête de l’hôtel pendant 41 ans. Mais c’est elle qui nous intéresse !

 

GERMAINE KRULL


 

 

Germaine Luise Krull est née le 20 novembre 1897 est à Posen-Wilda, un district de Posen alors en Allemagne, aujourd'hui Poznań en Pologne depuis 1919. A famille est allemande, probablement aisée et peut-être d’origine juive. Elle ne reçut aucune éducation sinon à domicile par son père, ingénieur anarchiste et libre penseur

 

 

 

Elle n'a pas reçu d'éducation formelle, mais a plutôt reçu l'enseignement à domicile de son père, un ingénieur accompli et un libre penseur que certains ont qualifié de « ne'er-do-well » que l’on pourrait traduire librement par va-nu-pieds irresponsable. Son père l’habille en garçon, ce qui a peut-être contribué à ses idées sur le rôle des femmes dans la vie. Les opinions de son père sur la justice sociale l’ont évidemment prédisposée à s'impliquer dans la politique la radicale ; Aux environs de 1915, nous trouvons la famille à Munich. Elle y fréquente alors la Lehr- und Versuchsanstalt für Photographie.

 

 

On y enseigne le picturalisme selon lequel l'art photographique doit simuler la peinture et l'eau-forte. Elle fréquente alors Rainer Maria Rilke, Friedrich Pollock et Max Horkheimer. Elle se lance dans la politique activiste jusqu’en 1921 passant du Parti socialiste indépendant de Bavière et de la trés éphémre république des soviets de Bavière (Bayerische Räterepublik)

 

 

...aux côté de Kurt Eisner qui en fut le dirigeant

 

 

...au Parti communiste d'Allemagne. Elle aurait participé à un projet d’assassinat du Kaiser ?, Elle est arrêtée et emprisonnée pour avoir aidé un émissaire bolchevique à tenter de s'évader en Autriche. Expulsée de Bavière en 1920 pour ses activités communistes, elle se rend en Union soviétique avec son amant, un dénommé Samuel Levit.

Cela ne la guérit pas de son attachement à la cause prolétarienne.


 


 

Nous la retrouvons à Berlin entre 1922 et 1925 où elle a repris sa carrière photographique.

Après avoir rencontré le cinéaste et communiste néerlandais Joris Ivens en 1923, elle s'installe à Amsterdam en 1925. Celui-ci est un propagandiste, représentatif de l'attitude de certains milieux intellectuels à l'égard du communisme entre les années 1930 et 1970. Il l’épouse ce qui lui procure un passeport néerlandais et pourrait avoir un vernis de respectabilité sans sacrifier son autonomie. Nous la retrouvons ensuite à Paris entre 1926 et 1928, elle s’y lie d'amitié avec Sonia Delaunay, Robert Delaunay, Eli Lotar, André Malraux, Colette, Jean Cocteau, André Gide. Toujours photographe professionnelle elle travaille à la fois dans les photos de mode, les portraits, les nus et les photos publicitaires. Elle publie en particulier en 1928 le portfolio Métal dot le sujet est essentiellement masculin du paysage industriel tourné à Paris, Marseille et en Hollande.

 

Les sujets vont des ponts, des bâtiments, par exemple, la tour Eiffel, et des navires aux roues de vélo. Célébration des machines ou critique de celles-ci ? En 1928 également l’homme de presse Lucien Vogel, très marqué à l’extrême gauche, lance, en 1928, le magazine Vu. Cette publication révolutionne la presse en accordant une place centrale aux images photographiques, présentées à travers une mise en page au dynamisme inédit.

 

 

Entre 1935 et 1940, elle vit à Monte Carlo où elle avait un studio photographique. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle doit quitter la France et chercha à rejoindre les Forces françaises libres en Afrique : Le 24 mars 1941, le cargo Capitaine-Paul-Lemerle quitte le port de Marseille pour la Martinique. A son bord, ceux qui fuient l'Europe en guerre depuis la France de Vichy : juifs, immigrés d'Europe de l'Est, républicains espagnols en exil, apatrides, écrivains et artistes. Parmi eux on trouve André Breton, Claude Lévi-Strauss, Anna Seghers, et Germaine Krull qui photographiera tout le trajet, à bord du cargo, et aux escales successives.

 

 

En 1941 et 1942, elle est au Brésil puis ensuite à Brazzaville et Alger avant de revenir en France. Elle dirige le service de photographie de la France Libre et réalise des reportages de propagande sur ses activités.

 

 

Après la Seconde Guerre mondiale, elle voyagea en Asie du Sud-Est comme photographe correspondante de guerre. En 1947 jusqu’en 1967, elle consacra 20 ans de sa vie à l’hôtel Oriental, dans quelle conditions rencontra-telle Jim Thomson et fut-elle sa maitresse ?

 

 

Elle n’abandonne toutefois pas la photographie en publiant plusieurs et collaborant avec Malraux sur un projet concernant la sculpture et l'architecture de l'Asie du Sud-Est. Elle fait alors un bref séjour à Paris, puis, atteinte probablement d’une crise de mysticisme aigüe, en 1968, elle s’installe au nord de l’Inde, près de Dehradun au sein de la communauté de Sakya Trizin de bouddhisme tibétain, ce qui lui donnera l’occasion de photographier le Dalaï Lama

 

 

Après un accident vasculaire cérébral, elle déménagea dans une maison de retraite à Wetzlar, en Allemagne, où vivait sa sœur. Elle y décéda le 31 juillet 1985.

Le parcours de cette jeune révolutionnaire bolchevique, fleuron de l’avant-garde photographique française, reporter, correspondante de guerre, dirigeante d’un hôtel qui passe pour être l’un des plus du monde et le certainement le plus cher de Thaïlande,

 

 

...puis nonne d’une communauté de bouddhistes tibétains, fut erratique. Elle fut polonaise, allemande, néerlandaise et peut être française : Une exposition que lui consacra le Centre Pompidou la qualifie de française et polonaise à la naissance.

 

 

Elle est bien oubliée mais reste à la fois le symbole de la photographie moderniste française dans les années 1920 et d’un fastueux hôtel de Bangkok.

 

 

Une dernière précision, le prix d’une nuitée à l’hôtel est – nous sommes au début de l’année 2023 -t de l’ordre de 30.000 bahts soit environ 800 euros, probablement le triple du salaire mensuel de l’un des plus de 1000 employés. C’est tout de même deux fois moins que celui d’une nuit dans un autre des plus beaux hôtels du monde, le Ritz de Paris.

 

 


 

SOURCES

Guide Madrolle, éditions 1902 et 1926

« DEUTSCHE SPUREN IN BANGKOK, THAILÄNDISCHE SPUREN IN BERLIN », publication de Goethe Institut de Bangkok, 2011

« Les photographes étrangers dans la France d’entre-deux-guerres » par Annie-laure Wanaverbecq. In: Histoire de l'art, N°15, 1991. Varia. pp. 61-77

Le site https://wnfdiary.com/mandarin-oriental-bangkok-history-part-2/

 

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