Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
Les Kuy (กูย) seraient actuellement environ 400.000 en Thaïlande, répartis dans les provinces frontalières du sud, Buriram , Surin où ils sont particulièrement nombreux, Sisaket, Ubon et Roi-et (บุรีรัมย์, สุรินทร์, ศรีสะเกษ, อุบล, et ร้อยเอ็ด).
Quelques dizaines de milliers sont encore présents au nord du Cambodge, environ 25.000
et encore à l’ouest au Laos, environ 60.000 dans le Champassac.
On, ou ils, s’appellent aussi Kuay (กวย) ou Suai (สวย) ou Koy (โกย) sans que l’origine de cette distinction soit claire. Ils vivent vit des deux côtés de la chaine montagneuse Phanom Dong Rak (เขาพนมดงรัก), frontière naturelle entre la Thaïlande, le Cambodge et le Laos mais non frontière politique à l’époque de la plus grande extension de l’empire khmer.
On trouve encore en leur sein des sous-groupes, au moins six, je vous en épargne le détail je ne signale que les Kui-Kui. Quel que soit le dialecte utilisé, le mot signifierait tout simplement « homme » (khon – คน en thaï) ? Leur histoire est nébuleuse, empreinte évidemment de légendes plus ou moins crédibles. Ils auraient constitué au XIV ou XVe siècle un puissant royaume appelé Anachak Tabong khamun (อาณาจักร ตะบองคะมุน) dont la capitale se trouvait aux environs de Kampong Thom (กำปงธม) au Cambodge. Pourchassé par le pouvoir central du Cambodge, ils se seraient alors réfugiés au nord de la chaîne de montagne dans les actuelles provinces de l’Isan (nord-est de la Thaïlande) et au sud du Laos.
Le premier à s’être intéressé à leur histoire fut un français, Paul Levy, qui fut directeurs de l’École française d’extrême Orient auquel nous devons « Recherches préhistoriques dans la region de Mlu prei » publié par l’École Française d'Extrême Orient en 1943. Ses recherches furent effectuées à partir de 1938 dans la région nord du Cambodge autour de Malu phrai (มลูไพร). Il détermina que les Kuy, en semi esclavage, forgeaient des armes des guerriers khmers, connaissaient la technique pour s’emparer des éléphants et les dresser et étaient responsables de l’extraction de la pierre pour leurs maîtres. Ainsi furent-t-ils, sous la conduite d’architectes khmers, responsables de la construction des multiples temples dans la région sud du nord-est du Siam,
Les forêts de la montagne leur procurait alors la matière première de leurs activités principales, du bois en sur abondance pour leurs fourneaux et du minerait de fer en abondance pour forger des armes et des outils, des éléphants dans les forêts qu’ils savaient capturer et éduquer et des carrières de grés pour construire les temples. Les éléphants jouaient alors un rôle essentiel, tant pour les travaux publics:::
...que comme véhicule pour les grands de ce monde
et naturellement éléphants de guerre, la charrerie de l’époque.
Ils furent les maîtres incontestés en la matière en la matière, comme ils le furent de façon probablement monopolistique en matière de travail du fer comme le démontre de façon magistrale l’étude de Bernard Dupaigne : « La métallurgie dans l'ancien Cambodge. Travail des dieux, travail des hommes » au titre significatif (In: Études rurales, n°125- 126, 1992).
Les Siamois d’alors ignoraient tout de la métallurgie du fer, se consacrant surtout au travail de l’or et de l’argent pour les bijoux et du cuivre et de l’étain pour fondre le bronze. Le chevalier de La Loubère écrit en 1690 (« Du royaume de Sian ») : Ils ont des mines de fer qu'ils savent fondre, et l'on m'a dit, qu'ils n'en ont guère : d'ailleurs ils font mauvais forgerons. Aussi n’ont-ils que des ancres de bois pour leurs galères, et afin que ces ancres coulent à fond ils y attachent des pierres. Ils n'ont ni épingles, ni aiguilles, ni clous, ni ciseaux, ni ferrures. Ils n'emploient pas un clou à bâtir leurs maisons quoi qu'elles soient toutes de bois. Chacun d'eux se fait des épingles de bambou, comme nos ancêtres employaient des épines à cet usage ».
Au fil des siècles, entre les expansionnismes siamois et khmers, ils avaient plus ou moins perdu leur spécificité et selon le côté de la montagne où ils se trouvaient, n’utilisaient que la langue khmère côté Cambodge et celle de nord-est du Siam, le Lao-Isan très proche du thaï. Depuis quelques années seulement, quelques érudits cherchent à leur permettre de retrouver leurs sources et de conserver leur langue, notamment le professeur Banyat Sali (บัญญัติ สาลี) de l’Université de Mahasarakam dans une longue étude de 2997 (กูย : ว่าด้วยกลุ่มชาติพันธุ์ ภาษา และต านาน - Kui : Sur les ethnies, les langues et les légendes).
Leurs croyances sont un mélange d’animisme et de bouddhisme – comme partout d’ailleurs dans le nord-est – et ils honorent spécialement des esprits (ou des créatures célestes ?) appelés Yachu (ยะจูฮ์). L’un d’entre eux est le Plo (โปล), un esprit guérisseur auquel on rend le culte klae mo (แกลมอ) qui signifie à peu près « charme », encore pratiquée à Surin. La subsistance de ces rituels subsiste surtout à l’état de folklore pour les touristes. Il ne subsiste de leurs dialectes que de rares locuteurs de leur langage originaire, essentiellement les vieillards. Il en est de même d’un langage sacré qu’ils utilisaient avec les éléphants. Ils auraient eu une écriture spécifique complétement oubliée car ils utilisèrent très vite ou l’écriture thaïe ou l’écriture khmère. Les écoles n’enseignement évidemment que la langue siamoise.
Quelques années plus tard, l’infatigable gendarme danois, Erik Seidenfaden, consacre un article à cette ethnie : « THE KUI PEOPLE OF CAMBODIA AND SIAM » publié dans le journal de la Siam society en 1952 Ces notes sont le fruit de ses observations personnelles lors de ses tournées professionnelles entre 1908 et 1919. Rien alors n’avait été publié sur les Kui.
L’article de Seidenfaden fait explicitement référence à une possible connexion entre la culture nordique et l'Extrême-Orient en citant de nombreux archéologues danois dont la lecture m’est malheureusement impossible, théoriciens de de la migration des cultures et des peuples, qui, traversant les steppes d'Asie centrale, alla jusqu'aux îles du Pacifique lointain, font penser à l'existence, durant néolithique, d'une culture matérielle et spirituelle commune qui s'est propagée comme une vague sur l'ancien monde. Il a relevé des similitudes singulières entre les pièces exhumées par Levy, outils, poteries, bijoux et celles du Danemark, berceau originaire des Vikings…
De quelles hypothétiques sources communes - plus ou moins occidentales - les cultures préhistoriques de la péninsule indochinoise sont-elles arrivées ?
De qui les Kui ont-ils appris l’art de forger le minerai de fer, en abondance sur leurs terres, art inconnu des Siamois ?
Seidenfaden également une similitude troublantes dans au moins un rituel, celui du premier labour. Le nom commun de la cérémonie est Raeknakhwan (แรกนาขวัญ) « Cérémonie du premier labour » et plus formellement Phraratcha phithi Charotphranangkhan Raeknakhwan (พระราชพิธีจรดพระนังคัลแรกนาขวัญ) « cérémonie du premier labour royal ». Existant au Siam depuis des temps immémoriaux, tombée en désuétude et réhabilitée par feu le regretté roi Rama XI, elle fête le premier labour de printemps. Elle se déroule le « Jour du labour » (วันพืชมงคล -Wan Phutcha Mongkhon) qui est actuellement férié, c’est la journée des agriculteurs. Seidenfaden démontre de façon convaincante que ce rituel existait au Danemark bien avant que le pays ait été christianisé (« La cérémonie du rek-nà et une ancienne coutume agricole danoise » In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient, Tome 42, 1942. pp. 133-134). Il est difficile de ne voir dans ces étranges similitudes que de simples coïncidences. Seidenfaden envisage la descendance d’un type ancestral commun provenant peut-être de quelque part en Asie centrale, d'où l'art et la technologie se sont propagés à l'ouest et à l'est par diffusion.
Les anciens scandinaves seraient originaires de l’est, des steppes pontiques ou steppes eurasiennes. Il y a deux mille ans, ils partirent à la recherche de terres fertiles et d’un climat plus clément car ils auraient été avant tout des agriculteurs, des chasseurs et pécheurs.
Ils arrivèrent dans le Jutland, partie continentale de l’actuel Danemark où ils furent arrêtés par l’Océan. Ils acquièrent de leurs contacts avec les Celtes la maitrise de la métallurgie, d’autant qu’ils bénéficient de leur conquête de l’actuelle Scandinavie, trouvant dans l’actuelle Suède la plus grande mine de fer à ciel ouvert du monde.
L’océan fut un obstacle à leur expansion vers l’Ouest, ils continuèrent à chercher des terres fertiles car on ne se nourrit pas que de harengs et que leur aire initiale était surpeuplée. Expansion par voie terrestre vers l’est jusque dans l’actuelle Ukraine, Byzance et le Califat.
Par voie maritime, ils mirent au point de remarquables techniques de construction navale, leurs drakkars étaient rapides, pouvaient naviguer en eaux peu profondes, remonter les fleuves, transportés et halés sur terre si besoin était, navigant à la rame en cas de ventes défavorables. Ils n’avaient nul besoin de ports pour faire escale.
Ainsi continuèrent-ils vers le sud, la Gaule, l’Italie, l’Espagne, l’Afrique du nord, toujours à la recherche de terres fertiles et parfois de simples raids de pillage. Ils bénéficièrent en outre d’un inconstatable atout climatique, ce qu’on appelle pudiquement l’ « optimum climatique médiéval » pour ne pas parler de réchauffement climatique, qui dura probablement de l’an mil jusqu’au XIV siècle ? On cultivait alors la vigne à Stockholm. L’océan est partiellement dégagé des glaces, ils atteignent l’Islande, le Groenland alors partiellement dégagé des glaces et l’Amérique, au Canada où poussait la vigne. Le ciel est dégagé des nuages et le soleil et les étoiles permettent une navigation au moins à l’estime
Nous avons par ailleurs il y a quelques années consacré un article à des ressemblances étonnantes, relevées par de nombreux érudits, entre l’architecture scandinave des « églises en bois debout » datant de l’époque des l’architecture romane en Europe
et celle de nombreux bâtiments traditionnels du Siam en nous n’interrogeant sur la présence de nombreux artefacts incontestablement originaires de la péninsule indochinoise : « Les Vikings sont-ils venus au Siam ? ».
« Scandinavie, matrice des nations – scandinavia vagina gentium » écrivait l’historien Jordanès au VIe siècle dans son « Histoire des goths »
Aujourd’hui la culture Kui de l'élevage des éléphants a été réinventée au profit d’un tourisme pas toujours de bon aloi. L’utilisation des éléphants pour les travaux domestiques est désormais interdite, on en a fait des bêtes de cirque
... et l’héritage linguistique est en crise. Fasse le ciel que les Kui ne perdent pas leur âme.
NOTES
Nous avons consacré un article à la cérémonie du labour royal et un autre à l’hypothétique contact des Vikings avec la péninsule indochinoise
INSOLITE 7 - LA CÉRÉMONIE DU LABOUR ROYAL EN THAÏLANDE, HIER ET AUJOURD’HUI ?
https://grande-et-petites-histoires-de-la-thailande.over-blog.com/2016/11/insolite-7-la-ceremonie-du-labour-royal-en-thailande-hier-et-aujourd-hui.html
A.53 « Histoire mystérieuse de la Thaïlande : Les Vikings au Siam ? » :
https://grande-et-petites-histoires-de-la-thailande.over-blog.com/article-a-53-histoire-mysterieuse-de-la-thaialnde-les-vikings-au-siam-97571778.html