Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
Au Siam, pour instruire une population alors largement analphabète, les moines se servaient de récits et d'images. Leurs histoires illustraient les vertus bouddhistes et la conduite morale, essentiels à la connaissance divine et au bonheur. Toute une tradition de peinture murale s'est ainsi développée et c'est d'ailleurs l'une des plus belles contributions de la Thaïlande à l'art religieux mondial.
Au Siam, pour instruire une population alors largement analphabète, les moines se servaient de récits et d'images. Leurs histoires illustraient les vertus bouddhistes et la conduite morale, essentiels à la connaissance divine et au bonheur. Toute une tradition de peinture murale s'est ainsi développée et c'est d'ailleurs l'une des plus belles contributions de la Thaïlande à l'art religieux mondial.
Le chevalier de la Loubère écrit en 1691 à son retour du Siam « j'ai vu dans un de leurs temples une agréable Peinture à fresque dont les couleurs étaient fort vives. Il n'y avait nulle ordonnance(ment) Les Siamois & les Chinois ne savent pas peindre en huile, et d'ailleurs ils font de mauvais peintres. Leur goût est de faire peu de cas de tout ce qui n'est que d'après nature. Il leur semble qu'une imitation juste est trop facile …. »
Malheureusement les artistes (moines ou laïcs) utilisaient une technique de peinture à la fresque sèche, rapidement dégradable sous un climat humide. Les plus anciennes peintures murales ne remontent donc qu'au début du XVIIIe siècle. Les plus célèbres, celles de Wat Pho (วัดโพธิ์), datent du dernier quart de ce même siècle.
Si les motifs sont toujours directement religieux, on trouve souvent en arrière-plan des scènes de la vie quotidienne, traitées avec plus ou moins de fantaisie. Il en est tout particulièrement ainsi dans les peintures murales des chapelles d'ordination de l'Isan (Nord-Est) auxquelles nous avons consacré un article (1).
Elles ne remontent jamais au-delà du début du siècle dernier.
Dans les galeries extérieures de ces temples figurent, toujours pour l'édification des fidèles des épisodes de la légende du Ramakian ...
...ainsi que des représentations des épisodes de la vie de Bouddha et de ses Jatakas, ses 547 existences antérieures. Ces représentations extérieures ont leur importance puisqu'en principe l'entrée dans la chapelle d'ordination était et est parfois encore interdite aux femmes.
Nous retrouvons tous ces sujets spécifiquement religieux à l’intérieur de la chapelle où se trouve la statue principale de Bouddha qui doit en principe être dirigée vers l'Est, de là où naît la lumière.
Cette pratique de la peinture murale par des artisans-artistes compétents n'était donc, à quelques exceptions, que dans les chapelles de l'Isan qui est pratiquement tombée en désuétude dans le courant des années 1850.
Phaibun Suwannakut (1925-1982) lui redonna une nouvelle vie dans ce que l'on a appelé le « néo traditionalisme », dont il est la figure clef.
Il est le descendant direct du prince lao chaophraprathumworaratsuriyawong (เจ้าพระประทุมวรราชสุริยวงศ์) qui fonda Ubonrachathani en 1792. Ce prince avait fait allégeance au roi Taksin et ensuite à la dynastie Chakri dans les turbulences politiques de cette époque en trahissant son maître, le roi Suriyawong (สุริยวงศ์). Sa famille est l'une des plus notables parmi celles des gouverneurs de provinces. Son grand-père Khun Borikutkhamket (คุณ บริกุฏคำเกตุ) obtint du roi Rama VI le nom patronymique de « Montagne d'or » en 1917. Son père Mak Suvarnakuta (มาก สุวรรณกฏ) était l'arrière-arrière-petit-fils du fondateur. Il épousa une veuve, ce que désapprouvait la coutume, et il fut désavoué par sa famille. Il était connu pour se livrer au travail de l'or et de l'argent et son épouse pour le travail de la soie.
Phaibun naquit le 1er octobre 1925 à Ubon Ratchathani. Il commença ses études dans un collège des adventistes puis à l'école Benchama Mahart (เบ็ญจะมะมหาราช) dont la réputation était solide. Il était entouré de trois frères et sœur. Il reçut une solide éducation en littérature siamoise, musique et danse traditionnelles et folklore en particulier d'un oncle qui l’éleva à la mort prématurée de son père, en 1936. Nous le retrouverons en suite à Bangkok en 1938 à l'Académie des arts Pho Chang (เพาะช่าง) puis à partir de 1944 à l'Université Silpakorn (ศิลปากร). Il se lie d'amitié avec un peintre et historien de l'art, Prayun Unchuta (ประยูร อุลชุตา) ...
et le poète, peintre et sculpteur Angkarn Kalayanapong (อังคาร กัลยาณพงศ์) qui devinrent se amis les plus proches.
Il se lie aussi d'amitié avec Hem Wetchakon (เหม เวชกร), que nous avons déjà rencontré. (2)
Sa carrière artistique
Marié en 1955, après le séjour traditionnel au temple, il devint père de 7 enfants et mena incontestablement une vie de bohème, totalement étranger au monde de l'argent. Nous le retrouvons même vendant à la sauvette des aquarelles aux touristes
Tour à tour professeur d'art, peintre et dessinateur, professeur de danse, directeur artistique de film, architecte, journaliste politique engagé. Étudiant la sculpture avec le célèbre artiste italien Corrado Feroci alias Silpa Bhirasri (ศิลป์ พีระศรี), celui-ci l'initie à la musique classique européenne et l'opéra qu'ils écoutent en travaillant (3).
Reconnaissant un artiste de talent, il lui conseilla d'étudier l'art siamois traditionnel et notamment celui des peintures murales. Pendant des mois, il étudiera celles du temple de Wat Pho (วัดโพธิ์) à Bangkok en 1966 et 1967.
A la fin des années 1960, il commencera à peindre des peintures murales à Wat Theppol à Talingchan (วัดเทพพล - ตัลิ่งชัน). Captivé par la personnalité de l'abbé du temple, il lui offrit de réaliser gratuitement les peintures murales de l'ubosot (อุโบสถ - salle d'ordination) du temple.
Nous le voyons ensuite à l'hôtel Montien (โรงแรมมณเฑียร) en 1967-68, où il peint dans un salon un troupeau d'éléphants aujourd'hui disparu. Entre 1974 et 1976, il y peint la suite de la chambre Phimanman puis en 1977, il réalise un grand projet de décoration murale dans le hall de l'hôtel. Elle fut peinte sur soie tendue sur des panneaux de contre plaqué.
Nous le trouvons ensuite à l'hôtel Dusit Thani (โรงแรมดุสิตธานี) à Bangkok.
Il travaille au palais Phuphing Rachaniwet à Chiang Mai (พระตำหนัก ภูพิงค ราชนิเวศน์), en 1972 pour réaliser quatre peintures murales avant la visite de la reine Elizabeth II de Grande-Bretagne.
Vint ensuite le palais Dusit Mahaprasat à Muang Bora, la ville ancienne (ดุสิตมหาปราสาท – ในเมืองโบราณ). Entre 1972-75, il entreprit un très grand programme de peintures sur quatorze murs à l'occasion de la reconstruction d'un bâtiment d'époque Rattanakosin.
Sa dernière commission à l'hôtel Peninsula aujourd'hui l'hôtel Anantara Siam à Bangkok (โรงแรมเพนนินซูล่า - ปัจจุบันคือ โรงแรมอนันตรา สยาม กรุงเทพฯ) fut terminée par sa fille Phaptawan (ภพวรรณ สุวรรณากุฏ - « image du soleil ») elle-même talentueuse peintre, après sa mort prématurée en 1982.
Elle fut la première femme à diriger une équipe de peinture murale thaïe. Phaibun n'a jamais vu ses peintures murales et celles du plafond.
Les anciens et les modernes
Il lui fut reproché de ne pas respecter la culture traditionnelle thaïe en faisant passer l'art de la peinture murale dans les chambres d'hôtels.
Il fut considéré comme trop influencé par la peinture occidentale. Le rouge, disaient les tenant de la tradition orthodoxe était une couleur de base réservée à la coloration des créatures célestes dans les temples et que le bleu ne devait jamais apparaître comme couleur du plafond.
Lui-même rétorquait que l'art est dû au public en dehors des temples, et les hôtels étaient des espaces publics, des lieux de réunion et d'échanges d'idées notamment entre Thaïs et étrangers.
Mon propos n'est pas d'entrer dans cette querelle dans laquelle je ne me sens pas concerné. Je remarquerais simplement que l'art de Phaibun s'est en fait exercé dans des lieux pratiquement interdits au grand public. Une chapelle d'ordination n'est ouverte qu'à l'occasion des ordinations. Les hôtels qu'il a décorés sont des hôtels de grand luxe interdits à l'immense majorité de la population locale et des touristes. L'intérieur du Palais royal de Chiangmaï ne se visite pas, seuls les jardins sont accessibles.
Son mépris du mercantilisme dans l'art
Son mépris de l'art mercantile était total : Il mentionna publiquement à plusieurs reprises que les artistes, qui vendaient leur art ne valaient pas mieux que de se prostituer en vendant leur âme. Il vendait des aquarelles quand la famille n'avait pas de nourriture, mais non sans se lamenter qu'il avait vendu son âme. Il n'exposa jamais ses œuvres dans une galerie et ne voulut jamais les envoyer à des concours Il préférait peindre une fresque en échange de nourriture gratuite pour sa famille. Pendant les vacances scolaires, il conduisit ses enfants au Wat Theppol où ils purent être nourris normalement. Il fit une peinture murale en échange de nourriture pour le restaurant d'un ami originaire de l'Isan dans son restaurant populaire de poulet grillé appelé Sriviwat Kaiyang (ศรีวิวัฒน์ ไก่ย่าง – le poulet grillé de Sriviwat).
Manifestement socialement irresponsable à l'égard des besoins de sa famille,il arriva que ses enfants eussent faim et, à plusieurs reprises, le premier repas de la journée fut tard dans la nuit lorsque lorsqu'il rentrait à la maison avec du poulet et du riz gluant, cadeau de Sriviwat son cousin !
Il brûlait systématiquement ses rouleaux de dessins à l’encre de chine sur papier utilisé comme modèles, qu'il avait mis des mois à produire. C'étaient des dessins en taille réelle avec tous les détails à utiliser comme modèles pour ses peintures murales, transférés ensuite sur la surface à décorer au papier carbone et ce pour éviter par la suite toute répétitivité. Il en était de même pour les pochoirs utilisés pour les motifs répétitifs.
En dehors de ses activité de peintre mural, celles qu'il exerça dans la presse, la musique, l'enseignement et le cinéma, ne l’enrichirent pas, et il resta pauvre (4).
Resté donc pauvre, Il fut été admis à l'hôpital de Mahesak où on lui a retiré des calculs rénaux, mais également il souffrit d'insuffisance rénale. Il commença une dialyse rénale à l'hôpital King Mongkut sous financement du roi entre 1977 jusqu'à sa mort en 1982. Les cérémonies de la crémation furent organisées et financées par le roi.
NOTES
- 1 - Voir notre article :
A 196 – LES PEINTURES MURALES, L’ÂME DES TEMPLES DU COEUR DE L’ISAN.
- 2 – Voir notre article :
A 261- HEM VEJAKORN (เหม เวชกร), FIGURE MAJEURE DE L’ART « POPULAIRE » THAÏ, FILS SPIRITUEL DE CARLO RIGOLI ET MENTOR DU ROI RAMA IX.
https://grande-et-petites-histoires-de-la-thailande.over-blog.com/2018/06/a-261-hem-vejakorn-figure-majeure-de-l-art-populaire-thai-fils-spirituel-de-carlo-rigoli-et-mentor-du-roi-rama-ix.html
-3 – Voir notre article :
A 241. CORRADO FERROCI (SILPA BHIRASRI), « LE PÈRE DE L’ART THAÏ CONTEMPORAIN » (1892 – 1962)
https://grande-et-petites-histoires-de-la-thailande.over-blog.com/2017/09/a-241.corrado-ferroci-silpa-bhirasri-le-pere-de-l-art-thai-contemporain-1892-1962.html
- 4 - Sur la multiplicité de ses activités, la lecture du très bel article de John Clark cosigné par sa fille Phaptawan Suwannakudt « A History of Phaiboon Suwannakudt (1925-1982) » s'impose. Il est remarquablement illustré : Journal of the Siam Society, Vol. 109, Pt. 1, 2021, pp. 1–36