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Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.

A 447 - LES PERSÉCUTIONS FRANCOPHOBES CONTRE LES CATHOLIQUES AU SIAM (1940 – 1944) ET LEURS MARTYRS

Manifestation anti française à Bangkok, circa 1940

 

Lorsqu'éclata le conflit frontalier franco-thaï en 1940, le pays va connaître une virulente campagne contre les prêtres et les catholiques tous assimilés à des espions potentiels pour le compte de la France. Même les prêtres salésiens tous italiens, arrivés en 1927 à la demande des Missions Étrangères seront inclus dans cette campagne ainsi que les prêtres siamois, le clergé étant alors très majoritairement siamisé ainsi que les catholiques siamois,

 

 

 

 

Cette période de persécution reste une question sensible, dont les sources sont difficiles à obtenir. Le gouvernement Phibun fut intentionnellement discret sinon secret en ce qui concerne son programme religieux. Les dossiers du ministère de l'Intérieur confirmant l'existence d'une politiques anti-catholique restent vagues quant aux origines et à la nature exacte de la politique. Les témoignages des catholiques sont beaucoup plus clairs mais se pose la question de leur objectivité.

 

 

Toutefois, deux solides études universitaires dont une thèse magistrale, toutes deux récentes (2009 et 2011) fondées sur des documents d'archives difficiles d'accès, notamment celles du Ministère de l'intérieur et sur les témoignages et les souvenirs de catholiques, permettent de découvrir un coin de ce voile ou une grande partie couvrant cet épisode qui n'est pas à la gloire du gouvernement du Maréchal Phibun. Nous vous en donnons les références en fin d'article en citant nos sources

 

 

Il dirige alors le pays est d'une main de fer, grand admirateur de Mussolini (qui serait d'ailleurs venu en visite officielle à Bangkok mais je n'ai pu vérifier l'information).

 

 

Le nationalisme de Phibun a son idéologue, Luanda Wichitakan (หลวงวิจิตรวาทการ ) qui fut l’initiateur du changement de nom du pays de Siam en Thaïlande.

 

 

C'est également un historien, il revendique avec le Maréchal le retour au « Grand Siam » des temps anciens qui aurait alors compris plus de 30 millions d'habitants. C'est le rève de ce « grand Siam » dans une grande Asie « décolonisée »,

 

 

Le projet est quelque peu mégalomaniaque et ne repose que très partiellement sur de sérieux fondements historiques.

Par ailleurs, l'heure n'est, de loin pas, à la francophilie. Il en est deux explications.

 

La guerre de 1893 et les traités de 1904 et 1907

 

Le traité de 1893 conclu avec la France sous la menace des canons a amputé le Siam de plus du tiers de ses territoires, la rive gauche du Mékong en particulier et toutes les îles et pratiquement une bande de 25 kilomètres sur la rive droite. Pour les Siamois, c'est tout simplement une nouvelle version de la fable du loup et de l'agneau. Pour les historiens locaux, c'est une page sombre de l'histoire du Siam (1).

 

 

L'incident ayant conduit à ce traité honteux pour les Siamois a de tout évidence été monté en épingle par la France (2)

 

Le Siam revendiquait sur la rive gauche du Laos des droits de suzeraineté à tort ou a raison mais plus à raison qu'à tort. La France prétendait tenir ses droits à tort ou à raison mais plus à tort qu'à raison de sa domination sur l’Annam lequel empire annamite aurait eu des droits de suzeraineté fuligineux sur le Laos.

 

 

Cet événement fut considéré par les Siamois et pas seulement par les nationalistes tout comme le fut en France la perte de l'Alsace-Lorrraine. d'autant que le Siam devra ultérieurement et toujours sous la contrainte, en 1904 et 1907 , céder à la France ses provinces cambodgiennes  de Battambang et de Siamrep et  celles laotiennes  de Champassak et de Sayabouru, toutes deux situées sur la rive droite du Mékong.

 

 

 


 

Le régime des protégés


 

Tous les traités dit « d'amitié » conclus entre le Siam et les pays occidentaux prévoyaient que les nationaux résidant au Siam et leurs « protégés » échapperaient à la justice siamoise, à sa fiscalité et bien évidement aux corvées et au service militaire. La question était évidement de savoir ce que l'on entendait pas « protégés ».

 

Or la France fut le seul pays occidental à inclure systématiquement parmi ses protégés tous les habitants du Siam qui y demeuraient souvent depuis plusieurs générations mais originaires de territoires soumis à sa domination c'est à dire Laos, Cambodge et Vietnam essentiellement. Y furent inclus les Chinois au prétexte que la Chine n'avait pas de représentation consulaire au Siam puis peu à peu tous les catholiques.

 

Sur ce, le traité de 1893 permit à la France d'installer des antennes consulaires oú bon lui semblait : Chiangmaï, Nan, Makkeng (Udonthani), Khorat, Ubonrachathani et Chantaboun en sus de Bangkok. Elles devinrent purement et simplement des usines à délivre des certificats de protection de complaisance mais hors tout contrôle des Siamois puisque les Français chercheront à empêcher l’accès des autorités siamoises aux listes de leurs sujets et protégés. Celles-ce se trouvent actuellement aux Archives de Nantes mais leur état n'en permets parait-il pas pas la consultation !

 

Par ailleurs, les consuls de la république laïque et anticléricale utilisent les services des missionnaires pour leur permettre de délivrer des certificats de protection à leurs ouailles. Le Consul général Auguste Pavie lui même quoique totalement agnostique et franc-maçon, avait recommandé que tous les catholiques asiatiques soient enregistrés comme protégés français. En 1894, une partie de l'indemnité de 3 millions de francs que le Siam s'était engagé à payer à la France en vertu du traité de 1893 fut même en partie (250.000 francs) attribuée au Vicariat de Siam pour promouvoir l'œuvre missionnaire. Les intentions des missionnaires étaient évidement bonnes mais de celles dont l'enfer est pavé. Monseigneur Vey, vicaire apostolique entre 1875 et 1909 avait tenté de s'opposer à la délivrance de certificats de protections par les missions, conscient probablement que beaucoup de baptêmes n'étaient de la part des nouveaux chrétiens pas d'une sincérité absolue ?

 

Bon nombre de sujets incontestablement siamois depuis des générations purement échapper non seulement à la justice locale mais encore au service armé, à la fiscalité et à la corvée. Les conflits vont être permanents entre les autorités locales, les vice-consuls, les missionnaires et le pouvoir central.

 

L'opinion du « parti colonial » était simple, cette colonisation de l'intérieur dans un pays de 6 millions d'habitants, une population de 6.000.000 d'habitants dont 500.000 Cambodgiens, 1.000.000 de Laotiens, 1.200.000 Chinois sans compter les Annamites conduit un jeune diplomate alors en poste à écrire « Si le gouvernement Français voulait prendre le Siam sans dépenser une goutte de sang, et un sou, ce serait la chose la plus facile du monde » écrit-il. Nous retrouvons ses propos dans les écrits d'Isabelle Massieu, peut être aventurière mais tous deux en matière de politique internationale raisonnaient comme des tambours de bronze, oubliant tout simplement qu'une occupation du Siam par la France entraînerait des réactions virulentes de l'Angleterre qui souhaitait que subsiste un état tampon entre ses colonies d'Indes et Birmanie et celle de la France. La correspondance privée de ce jeune diplomate a été publié par son petit fils et nous lisons dans un courrier de 1895 « J’ai reçu une magnifique lampe à suspension d’un Chinois anonyme protégé. C’est l’habitude ici d’envoyer des cadeaux qu’on ne peut refuser. Ma lampe vaudrait bien 600 francs. Et des potiches chinoises, des porcelaines, tous nos riches protégés sont très généreux, quelques-uns sont millionnaires ». Les fonctionnaires de la république, très dignes représentants de leur pays au Siam, reçoivent donc des « cadeaux » de Chinois anonymes ? Ce sont ces mêmes généreux et anonymes Chinois dont il écrit à la même époque : « Je songe à la force de ces sociétés chinoises, et à leur richesse aussi, puisque l’une d’elles n’hésitait pas à débourser deux fois 5.000 ticaux pour sauver un de ses membres, soit 16.000 francs ». C'est dire tout simplement que les certificats de protection sont à vendre ! En bon droit, cela s'appelle de la corruption pure et simple puisque ces cadeaux s'ajoutaient aux droits de chancellerie régulièrement payés pour l'établissement des certificats.

 

 

Aucun des pays occidentaux alors présents n'a jamais osé aller aussi loin. Nous avons des chiffres en 1912 qui nous indiquent 517 sujets britanniques et 534 protégés, 264 allemands qui protègent 27 Suisses et 653 Turcs à comparer aux 240 sujets français et 5120 protégés, en réalité probablement 20 ou 30.000. Ces chiffres sont ceux de l'année 1912 portés dans le Bangkok Siam Directory de 1914 sur des sources siamoises mais ne peuvent être précises en ce qui concerne le nombre des protégés comme nous venons de le voir. Ce n'était pas dramatique pour la suzeraineté siamoisen ça l'était beaucoup plus quand ils étaient quelques dizaines de milliers,

 

Ce régime de protection dépouillant le Siam d'une partie de ses droits souverains ne disparut définitivement qu'en 1925 mais avait laissé des souvenirs cuisants. Il a fait l'objet d'une thèse monumentale de mon ami Rippawat Chirapong en 2016 à l'Université Paris Diderot sous le titre « La question de l'extra territorialité et ses conséquence juridiques successives concernant les protégés français au Siam dans le cadre des relations franco-siamois de 1893 à 1907 » (4). C'est la seule étude exhaustive sur ce sujet et par bonheur elle n'est ni en anglais ni en thaï.

 

En 1940 ..

 

 

et 1941,

 

 

....des manifestations virulentes contre la France sont signalées à Bangkok, reste à savoir si elles étaient spontanées ou suscitées ce que nous ne saurons jamais, elles ne semblent toutefois pas avoir été dirigées contre les catholiques. En tous cas le Maréchal Phibun recevait toujours les chefs de file de ces manifestations irrédentistes.

 


 

Cette poudrière attendait d'être enflammée.

 


 

L'animosité à l'égard des Missions catholiques n'a pas attendu le déclenchement de la guerre de 1940 pour se manifester. Nous pouvons citer des incidents ponctuels

 

Les catholique sont d'ailleurs responsables d'un premier incident ancien  et intempestif: En 1885, une foule de catholiques convertis avait pris d'assaut le Watt Kaeng Mueang (วัดแก่งเมือง) de Nakhon Phanom  détruisant les statues sacrées du temple bouddhiste et les reliques dans un accès de ferveur religieuse.

 

 

Les représailles s'avérèrent rapides et brutales. Les autorités ordonnèrent la destruction de plusieurs maisons appartenant à l'Église et habitées par des convertis. Des fonctionnaires catholiques furent arrêtés et flagellés jusqu'à ce qu'ils promettent d'arrêter leur collaboration avec le clergé. D'autres convertis furent menacés ou soumis à un chantage jusqu'à ce qu'ils promettent de mettre fin à leur appartenance à la religion étrangère

 

Des incidents graves éclatent en juin et septembre 1930 à Bangbuathong (บางบัวทอง) dans la province de Nonthaburi (นนทบุรี) et à Ban Paeng (บ้านแพง) dans la province de province de Singhburi (สิงห์บุรี). Les églises sont incendiées, le vicaire apostolique considère qu'il s'agit d'incendies criminels ce que contestent les autorités locales. Il y aurait eu dans la communauté villageoise des mécontents du refus de la paroisse de permettre à leur bétail à paître sur les terres paroissiales ? Le doute subsiste. Il s'agissait certes de violences contre la propriété mais pas d'un mouvement de persécution généralisé.

 


 

Jusqu'en 1939 le autorités religieuses sont invitées aux cérémonies locales comme l'anniversaire du coup d'état de 1932 ou de la constitution qui a alors proclamé – faut-il le rappeler – la liberté religieuse.


 

La rhétorique nationaliste au cours de cette période n'était toujours pas explicitement anti-française. C'était peut-être l'absence de cet élément qui a bercé la Mission dans un faux sentiment de sécurité dans les années 30 et lui a permis de considérer les événements comme un phénomène purement local.

 

Le Maréchal Phibun choisit de faire entrer son pays en guerre aux côtés du Japon. Il n'a jamais caché sa sympathie non pas peut être pour le régime allemand, mais pour la fascisme italien et pour le Japon qui est en quelque sorte un pays frère. C'est aussi un choix d'opportunité, les Allemands sont maîtres de l'Europe entièreet seront bientôt au portes de Moscou. Seule résiste l'Angleterre. Le Japon après s'être emparé de partie de la Chine et de la Corée va lancer une offensive fulgurante au travers de la Malaisie après que Singapour, forteresse inexpugnable tombée comme un fruit mur.

 

 

Il était difficile à cette époque d'imaginer que quatre ans plus tard cette guerre se terminerait en apocalypse. Ce fut un mauvais choix.

 

 

Le choix de courir auprès du vainqueur fut celui de roi Rama VII qui s'engagea en juillet 1917 dans la guerre aux côtés des alliés dont la victoire était alors inéluctable, en invoquant des grands principes auxquels, d'un nationalisme virulent, il ne croyait pas un mot.

 

Les négociations avec la France avant la guerre avaient prouvé que le gouvernement français était disposé à faire des modifications mineures dans les frontières entre la Thaïlande et l'Indochine française. Après la défaite de la France en 1940, le Maréchal Phibun décide que la situation donne aux Thaïs une chance de regagner les territoires perdus pendant le règne du Roi Chulalongkorn. Bien que cette guerre régionale tourne dans un premier temps à l'avantage de la Thaïlande, l'Indochine française, privée du soutien de la métropole, résiste pourtant à l'invasion et le Japon intervient pour mettre un terme au conflit.

 

La France retrocèdeà la Thaïlande les provinces cambodgiennes de Battambang et Siem Reap, et laotiennes de Champassak et Sayaboury. C'est incontestablement un triomphe pour Phibun qui est salué par la population qu'elle soit ultra nationalise, nationaliste, irrédentiste ou pas.

 

 

Lorsqu'il s'agira après la guerre à la Thaïlande de négocier son admission aux Nations Unies, Pridi qui n'avait rien d'un nationaliste puisqu'il était l'un des animateurs du mouvement de résistance, se battra bec et ongles pour conserver à son pays ces acquis territoriaux qu'il estimait légitime, tout simplement patriote.

 

 

Au sein des missions elles-mêmes, la question s'était posée de savoir quelle serait la positon des missionnaires français - dès avant que la guerre n'éclate - lorsque la Thaïlande entrerait en guerre contre la France ou plutôt contre l'Indochine française quand ils finirent par être conscients de la menace. Se posa aussi la question des salésiens italiens.

 

 

Le Monument de la victoire (Victory Monument - อนุสาวรีย์ชัยสมรภูมิ), toujours présent à Bangkok, célèbre la victoire de juin 1941.

 


 

Les postes thaïes ont honoré le Maréchal Phibun d'une émission philatélique en 2019 ce qu'elles font de façon strictement marginale pour les personnages qui n'appartiennent pas à la famille royale.

 

 

 


 

La conflit frontalier coïncide avec le début d'une période de quatre ans d'une campagne ouvertement destinée à affaiblir la position de l'Église catholique en Thaïlande : écoles fermées, biens confisqués et membres du clergé emprisonnés. Des foules en colère pillent et incendient des églises, tandis que la population locale boycotte les commerces appartenant à des Thaïs catholiques. La forte association du catholicisme avec le colonialisme français, conjugué au déclin de la France, ont fait de l'Église le cible idéale pour les forces anti-impérialistes bien après que la Thaïlande ait gagné la guerre.

 

La situation se tendit lorsque cinq avions français bombardèrent Nakhon Phanom et firent des blessés civils siamois. Le souvenir ne s'en est pas perdu chez les Thaïs (5) et l'opinion publique devient ouvetement hostile aux catholiques qu'elle considèrent comme étroitement liés à la France.

 

 

 

Les missionnaires

 

 

Le 28 novembre 1940, tous les Européens, en particulier les citoyens français, ont reçu l'ordre de quitter les zones frontalières dans le nord-est et l'est dans les 24 à 48 heures, ils eurent le choix de venir à Bangkok ou de partir dans un autre pays. Cela n'avait rien d'exceptionnel, les deux pays étant en guerre ouverte. Certains prêtres, comme le P. Paul Figuet, curé de Songkhon (สองคอน), ont pu partir assez facilement en traversant simplement la Mékong en Indochine française. Nous retrouverons plus bas ce village, situé dans le district de Wan Yai (หว้านใหญ่) dans la province de Mukdahan (มุกดาหาร). En revanche, les prêtres d'autres régions ont rencontré des problèmes allant du harcèlement à la violence et à la détention. Par exemple, trois prêtres de Nong Saeng (หนองแสง) dans la province d'Udonthani dont Monseigneur Gouin, le vicaire apostolique du Laos (1922-1943), ont été emprisonnés dans une cage par des militaires et des policiers avant d'être expulsés (6). Pendant ce temps, des religieuses furent sévèrement battue avant d'être poussées dans un petit bateau et abandonnée au milieu du Mékong sans rameur. Les prêtres étrangers dans le les paroisses de l'Est ont également reçu un traitement similaire. A Paetriu (แปดริ้ว) dans la province de Chachoengsao,(ฉะเชิงเทรา), les prêtres ont été appréhendés en pleine nuit par une dizaine de policiers, battus et exposés à une foule avant d'être à nouveau battus. Après cela, ils ont été conduits à un autre poste de police et durent signer une déclaration selon laquelle ils quitteraient la zone dans les 48 heures, après quoi ils furent libérés. D'autres prêtres ont été simplement menacés et durent promettre qu'ils partiraient dans les 48 heures.

 

À ce stade, la principale préoccupation du gouvernement central était que les étrangers quittent les zones de crise c'est à dire les zones frontalières soit pour un autre pays, soit pour Bangkok, où ils pourraient être placé sous le contrôle du gouvernement : les deux alternatives ont été conçues pour éloigner les étrangers dans le conflit imminent avec la France. Le gouvernement central n'a très certainement jamais donné l'ordre de tuer ou emprisonner mais simplement de les retenir et les forcer à partir ou les arrêter et les envoyer au siège de la police mais seulement s'ils résistent. En l'absence d'ordres clairs, les autorités locales ont mis en œuvre leur propre interprétation de la politique officielle.

 

Un nouvel ordre fut donné par à la police le 6 janvier 1941 concernant tous les missionnaires français restés en province pour qu'ils soient rassemblés à Bangkok dans la mesure ou l'évacuation forcée précédente n'avait pas été bien effectuée. Néanmoins, les restrictions imposées par la police aux mouvement des missionnaires les empêchait d'effectuer leur apostolat et, en février 1941, beaucoup décidèrent qu'il valait mieux quitter le pays. Mais il est constant que ni eux ni la hiérarchie de la Mission à Bangkok, n'étaient officiellement expulsé du pays.

 

Un seul prêtre a payé de sa vie sa foi catholique, Nicolas Bunkerd Kitbamrung (นิโคลาส บุญเกิด กฤษบำรุง) qui était thaï (7). Nous reviendrons plus bas sur ce martyre.

 

 

 

Les catholiques

 

Ils furent victimes des dispositions gouvernementales d'une part et des agissements incontrôlés d'un groupe sur lequel plane toujours un lourd mystère, le Khana luad thai (คณะเลือดไทย – Groupement du sang thaï)

 

Les persécutions gouvernementales

 

Dans les écoles publiques, les administrateurs organisaient des assemblées pour jeter le discrédit sur le catholicisme dans l'esprit des participants. Certains enseignants ont parlé du christianisme comme principale raison du déclin général de l'Occident (8). La campagne contre le catholicisme prit de l'ampleur, le gouvernement faisant fermer les écoles catholiques et les transformant en écoles publiques avec un nouveau programme d'études. Les enseignants ordonnèrent que les croix et les images pieuses soient arrachées du murs et demandèrent ironiquement aux étudiants catholiques d'expliquer pourquoi puisque leur Dieu était si puissant, ne les avait-t-il pas punis de leur sacrilège ? Dans la province de Nong Khai, un directeur d'école donnait une explication fuligineuse ; la France avait été victorieuse de l'Allemagne lors de la Première Guerre mondiale en raison de l'aide reçue des Allemands espions catholiques. Lorsque par la suite les nazis éliminèrent le catholicisme du pays et que l'Allemagne ne fut plus en proie à l'espionnage catholique, la Wehrmacht n'a mis que sept jours pour vaincre la France (9).

 

Les catholiques thaïs vont être étiquetés comme « cinquième colonne » et soumis à toutes sortes de persécutions. Les dirigeants provinciaux et municipaux interdirent tous les services religieux, et firent pression sur les catholiques pour qu'ils « retournent » à la religion nationale, le bouddhisme. Des foules attaquèrent les des prêtres locaux et pillèrent des églises catholiques. Les fonctionnaires du gouvernement firent fermer les églises, les écoles et les pensionnats pour les convertir en écoles, bureaux ou même monastères bouddhistes. Les catholiques qui refusaient de se convertir au bouddhisme pouvaient être licenciés de leur emploi ou condamnés à une amende. Quand il ne resta plus que les prêtres thaïs et les prêtres salésiens ceux-ci subirent les mêmes menaces tant de la foule que des gouvernement locaux et ce malgré l'alliance entre les deux pays.

 

Les deux documents que nous citons dans nos sources contiennent de multiples récits des agressions dont furent victimes les catholiques.

Le Khana luat thai

 

 

En dehors des dispositions gouvernementale restées occultes, intervient un mouvement secret sur lequel il est difficile de trouver aujourd’hui le moindre renseignements. le Khana luatthai (คณะเลือดไทย) groupement de sang thaï dont les membres se livrent à des exactions en dehors des persécutions gouvernementales. Servit-il d'exécuteurs de basses besognes sous la direction évidement occulte de Luang Wichitwathakan ?

 

 

La question n'est pas encore résolue. Dans les quelques documents qui subsistent, il présente le bouddhisme comme une partie essentielle de l'identité nationale afin de marginaliser les catholiques et de les présenter comme déloyaux. Le catholicisme était représenté comme une religion définitivement française sous les arguments les plus simplistes.

 

Ce groupe fut responsable de beaucoup de persécutions incontrôlées. Il semble qu'il n'ait pas été officiel et indépendant du gouvernement. Son niveau d'organisation permets toutefois de se poser des questions puisqu'il existe des antennes à Bangkok, Chiang Mai et Phananikhom dans l'est du pays. En effet, leur chef était Prasert Tharisawat ( ประเสริฐ ธารีสวัสดิ์) fonctionnaire du Bureau de la propagande du gouvernement. Il était le frère cadet de Luang Thamrongnawasawat  (หลวงธำรงนาวาสวัสดิ์), ministre de la justice de 1938 à 1944. Cependant, il semble qu'il n'y ait eu aucun fonctionnaires directement affilié au groupe, le gouvernement ne souhaitant pas le soutenir activement. Néanmoins, ce groupe était le seul à être systématiquement mentionné par les comptes rendus des missionnaires comme un auteur principal majeur des harcèlements contre l'Église catholique, ses biens et son personnel.

 

 

La fin des hostilités ?

 

Avec la fin des hostilités fin janvier 1941, la plupart des dirigeants catholiques croyait que le gouvernement cesserait de harceler l'Église. En fait, la victoire militaire de la Thaïlande sur la France n'a fait qu'enhardir le gouvernement dans ses efforts pour chasser les catholiques de Thaïlande. Bien que Bangkok ait annulé les arrêtés d'expulsion et décrété que tous les citoyens français pouvaient retourner en Thaïlande, les autorités locales refusèrent de respecter ces consignes en ce qui concernait l'Église. Des prêtres qui tentaient de retourner dans les paroisses de Nakhon Phanom ont été arrêtés par des police et plus tard libérés à condition qu'ils retournent à Bangkok. Dans la province d'Ubon, une religieuse a été emprisonnée pendant un an pour avoir tenté de convaincre des proches de ne pas entrer dans un monastère bouddhiste. Dans les écoles publiques, les enseignants et les administrateurs ont continué leurs persécutions contre les étudiants catholiques.

 

La fin des persécutions a commencé à décliner lorsqu'il est devenu clair que le Japon perdrait la guerre et que l'Occident reviendrait en Asie du Sud-Est. Après la démission de Phibun de son poste de Premier ministre en 1944, les nouveaux dirigeants du pays ont pris leurs distances avec son agressivité nationalistes et ont tenté de cultiver le soutien des Alliés. Le mouvement anti-catholique a été l'une des premières politiques à être abandonnée. Le gouvernement thaïlandais comprit que le Vatican pouvait être un allié utile pour tenter d'éviter l'occupation par les Britanniques après la guerre. Ainsi, le gouvernement de Khuang Aphaiwongse a publiquement prononcé son attachement aux principes de la liberté religieuse inscrits dans la constitution thaïlandaise de 1932. Brutalement le ministère de l'Intérieur entama des discussions avec la hiérarchie pur l'informer que le gouvernement accordait une priorité absolue au processus de restitution des terres et des bâtiments appartenant légitimement à l'Église. La Thaïlande renversa complètement sa politique d'élimination du catholicisme dans le pays.

 

 

La question de savoir dans quelle mesure l'Église a été indemnisée pour la confiscation ou des biens endommagés dans le cadre de la réconciliation d'après-guerre n'est pas totalement élucidée mais il est clair, cependant, que l'Église catholique a pu rapidement reconstruire son organisation en Thaïlande malgré quatre ans persécution intenses.

 

Ce triste épisode de l'histoire de la Thaïlande aurait pu ne rester qu'un sombre souvenir historique s'il n'avait été assombri par les assassinats de ce qu'il est convenu aujourd'hui d'appeler les bienheureux martyrs du Siam.

 

Les martyrs du Siam (มรณสักขีแห่งสยาม)

 

 

Nous avons parlé de Nicolas Bunkerd Kitbamrung qui n'a pas directement été assassiné mais mourut en prison de mauvais traitements. Il fut béatifié le 5 mars 2000 par le pape Jean-Paul II et sa fête est le 12 janvier.

 

Sept autres catholiques avaient été assassinés non pas par le Khana luat thai mais par la police. Sept catholiques qui n'étaient ni français ni prêtres furent arrêtés en décembre 1940 dans le petit village de Songkhon (สองคอน) entièrement catholique dans le district de Wan Yai (หว้านใหญ่) sur les rives du Mékong et peu de distance en amont de Mukdahan (มุกดาหาร). Ils furent tués in odium fidei. Certains étaient des enfants. Un religieuse, Soeur Agnès Phila, écrivit au chef de la police du district qui leur demandait d'abjurer, en leur nom à tous, la lettre suivante « Hier soir, vous nous avez ordonné d'oublier le Nom de Dieu, le Seul Seigneur de nos vies et de nos esprits. Nous n'adorons que Lui, monsieur. Quelques jours plus tôt, vous nous aviez dit que vous n'effaceriez pas le Nom de Dieu et cela nous avait plu de sorte que nous avons repris nos habits religieux qui montraient que nous étions ses servantes. Mais ce n'est pas le cas aujourd'hui. Nous professons que la religion du Christ est la seule vraie religion. Par conséquent, nous aimerions donner notre réponse à votre question, posée hier soir, à laquelle nous n'avons pas eu la possibilité de répondre car nous n'y étions pas préparés. Maintenant, nous aimerions vous donner notre réponse. Nous vous demandons de respecter les ordres que vous avez reçu. Merci de ne plus tarder. Veuillez nous ouvrir la porte du ciel afin que nous puissions confirmer qu'en dehors de la religion du Christ, personne ne peut aller au ciel. Nous y sommes préparés. Quand nous serons partis, nous nous souviendrons de vous. S'il vous plaît, ayez pitié de nos âmes. Nous vous en serons reconnaissants. Et le jour du jugement dernier, nous vous retrouverons face à face. Nous sommes : Agnès, Lucia, Phuttha, Budsi, Buakhai, Suwan. Nous aimerions amener la petite Phuma avec nous parce que nous l'aimons tellement. ». lls furent tous fusillés. Ils furent béatifiés par le Pape Jean Paul II le 22 octobre 1989. Leur fête est le 16 décembre (10).

 

 

SOURCES

 

« Thai Nationalism and the Catholic Experience, 1909-47 » de Apisake Monthienvichienchai : A Thesis Submitted for the Degree of Doctor of Philosophy - University of London School of Oriental and African Studies – 2009. Cet ouvrage de 40 pages est numérisé sur

https://eprints.soas.ac.uk/28932/1/10673176.pdf

« An uncivil state of affairs: Fascism and anti-Catholicism in Thailand, 19401944 » in Journal of Southeast Asian Studies, 42(1), pp 5987 February 2011. Une oublication de The National University of Singapore.

 

 

NOTES


 

(1) Voir notre article

H17- L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) . https://grande-et-petites-histoires-de-la-thailande.over-blog.com/2017/11/h17-l-occupation-de-chanthaburi-par-les-francais-une-page-sombre-de-l-histoire-du-siam-1893-1905-premiere-partie.html

  1. Voir nos articles

https://grande-et-petites-histoires-de-la-thailande.over-blog.com/search/1893/3

H 2 - L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 : II – LE PROCÉS : JUSTICE DES VAINQUEURS OU JUSTICE DE CONCUSSIONAIRES ?

https://grande-et-petites-histoires-de-la-thailande.over-blog.com/2016/10/h-2-l-incident-de-paknam-du-13-juillet-1893.html


 

(3) Voir nos articles

A 192 - A LA DÉCOUVERTE DU SIAM PAR MADAME MASSIEU, UNE « AVENTURIÈRE FRANÇAISE » DE LA FIN DU XIXÈME

https://grande-et-petites-histoires-de-la-thailande.over-blog.com/2015/08/a-la-decouverte-du-siam-par-madame-massieu-une-aventuriere-francaise-de-la-fin-du-xixeme.html

A 200 – QUELQUES COMMENTAIRES Á PROPOS DE « RAPHAËL RÉAU, JEUNE DIPLOMATE AU SIAM (1894-1900

https://grande-et-petites-histoires-de-la-thailande.over-blog.com/2015/12/a-200-quelques-commentaires-a-propos-de-raphael-reau-jeune-diplomate-au-siam-1894-1900.html


 

(4) Voir notre article H 53 - LES TENTATIVES DE COLONISATION FRANÇAISE DU SIAM DE L’INTÉRIEUR DE 1856 A 1939 PAR LE RÉGIME DES PROTÉGÉS: L’ANALYSE D’UN UNIVERSITAIRE THAÏ.

https://grande-et-petites-histoires-de-la-thailande.over-blog.com/2020/01/h-53-les-tentatives-de-colonisation-francaise-du-siam-de-l-interieur-par-le-regime-des-proteges-l-analyse-d-un-universitaire-thai.ht

Elle est numérisée

http://theses.md.univ-paris-diderot.fr/CHIRAPHONG-RIPPAWAT-va.pdf

 

(5) Voir un petit ouvrage daté de 1998 qui semble avoir bénéficié d'un tirage massif : ฝร่งเศถล่มนครพนม (Les Français bombardent Nakhon Phanom) sous la signqture de charoen tanmahaphran qui est un écrivain à succès (เจริญ ตันมหาพราน).

 

 

(6) Début 1939, il se trouva immédiatement mêlé aux troubles très graves consécutifs à l'état de guerre où est plongée la France. Le Siam en profite pour ouvrir les hostilités et les missionnaires, avec leur évêque, sont chassés de la rive siamoise de la mission. Mis en cage de fer avec quelques confrères, Mgr. Gouin a vécu la ruine de sa mission avant d'être expulsé sur la rive française : cathédrale, évêché, séminaire, tous les bâtiments sont détruits, églises expropriées et incendiées. De 1940 à 1943, Monseigneur Gouin continue son apostolat à Thakhek, sur la rive partie Est de la Mission du Laos (alors française) ; mais vaincu par la fatigue et la maladie, il donne sa démission qui est acceptée par Rome le 1er juillet 1943. Le 9 mars 1945, les Japonais, après avoir envahi le Laos, renversent l'administration en place et internent tous les Français dans des camps de concentration. Mgr. Gouin est arrêté avec Mgr. Thomine et le Père Thibaud, ainsi que plusieurs fonctionnaires français. Liés les uns aux autres, ils sont menés à Nakay, à environ 80 kms de Thakhek, où ils sont sauvagement fusillés par les Japonais, le 21 mars. Les corps, laissés cinq jours à découvert sont inhumés sur place, puis ramenés à Takhek où des funérailles solennelles ont lieu en mai 1946.

 

(7)  Envoyé dans la mission de Khorat, les autorités le soupçonnèrent de collaborer avec les Français. Il fut arrêté le 12 janvier 1941, il se trouvait alors dans sa paroisse de Santa Teresa. La cloche qu'il sonna pour la messe permit de le repérer et donna le signal de son arrestation. Il fut accusé de « rébellion contre le royaume » et emprisonné à la prison de Bang Khwang  (เรือนจำกลางบางขวาง) et condamné à 15 ans d'emprisonnement. Pendant sa captivité, il prêcha l’Évangile et baptisa 68 camarades de captivité. Il contracta la tuberculose et les soins lui furent refusés parce qu'il était catholique. Il mourut en prison de sa tuberculose le 12 janvier 1944 .

 

(8) Nous retrouvons singulièrement les thèses de Voltaire, Nietzsche et d'autres libre-penseurs anti-chrétiens. ainsi que celle du philosophe Celse sur les causes de la chute de l'empire romain par la perversion des valeurs consécutive à l'adoption toute récente du christianisme devenue religion d'état en 395.

 

(9) Tous les historiens admettent que la conduite des Alsaciens-Lorrains devenus allemands en 1871et mobilisés dans l'armée de l'empire fut exemplaire de loyauté. En ce qui concerne la Wehrmacht, il faut rappeler qu'Hitler n'a jamais éradiqué le catholicisme et que la population se partage entre catholiques et luthériens.

 

(10) Ils étaient Philip Siphong Onphitak, catechiste, âgé de 33 ans (ฟิลิป สีฟอง อ่อนพิทักษ์ ), la sœur Agnès Phila, âgée de 31 ans (อักแนส พิลา ทิพย์สุข) , la sœur Lucia Khambang, âgée de 23 ans (ลูซีอา คำบาง สีคำพอง), et les laïcs, Agatha Phutta, âgée de 59 ans (อากาทา พุดทาองไว), et trois enfants : Cecilia Butsi, âgée de 16 ans (เซซีลีอา บุดสี), Bibiana Khampai, âgée de 15 ans (บีบีอานา คำไพ) et Maria Phon, âgée de 14 ans (มารีอา พร ). Les deux religieuses furent violées avant leur exécution.

 

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