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  • : Le blog des Grande-et-petites-histoires-de-la-thaïlande.over-blog.com
  • : Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
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  Il était une fois Alain, Bernard …ils prirent leur retraite en Isan, se marièrent avec une Isan, se rencontrèrent, discutèrent, décidèrent un  jour de créer un BLOG, ce blog : alainbernardenthailande.com

Ils voulaient partager, échanger, raconter ce qu’ils avaient appris sur la Thaïlande, son histoire, sa culture, comprendre son « actualité ». Ils n’étaient pas historiens, n’en savaient peut-être pas plus que vous, mais ils voulaient proposer un chemin possible. Ils ont pensé commencer par l’histoire des relations franco-thaïes depuis Louis XIV,et ensuite ils ont proposé leur vision de l'Isan ..........

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28 septembre 2021 2 28 /09 /septembre /2021 04:16

 

Antoine Furetière (1619-1688), homme de Loi par intérêt, homme d'Église par conviction, amoureux cynique, écrivain par plaisir, il fut  l'un des premiers, en France à avoir voulu faire de la littérature une profession. Son ambition le conduisit à l'immortalité de l'Académie française. Sa passion des mots le mena au scandale et, par son exclusion de l'Académie au retour douloureux vers le sort des mortels. Mais les beautés curieuses de son dictionnaire lui valurent post mortem une immortalité plus réelle. Il fut par son dictionnaire le premier encyclopédiste de la langue française, préparant l'esprit des Lumières.

 

Parallèlement à ses activités d'avocat (procureur fiscal) et d'homme d'église, il s'intéresse à la littérature et publie des romans, des fables et des poésies, ce qui lui vaut l'attention de l'Académie française, il est élu membre en 1662.

 

 

Irrité par la lenteur de l'avancement des travaux du Dictionnaire de lHYPERLINK "https://fr.wikipedia.org/wiki/Dictionnaire_de_l'Académie_française"'HYPERLINK "https://fr.wikipedia.org/wiki/Dictionnaire_de_l'Académie_française"Académie, ainsi que par l'absence de prise en compte des termes scientifiques, techniques et artistiques, il obtient de Louis XIV un privilège pour publier son Dictionnaire, dont il aurait commencé la rédaction dès le début des années 1650.  Ayant publié en 1684 un extrait de cet ouvrage, il est exclu de l'Académie le 22 janvier 1685 à une voix de majorité. Bossuet, Bussy, Fléchier, Racine, Boileau, Corneille « et autres qui ont un vrai mérite en littérature » n'ont pas voté pour son exclusion.

 

Il fut historiquement le premier exclu. Il est difficile de ne pas citer parmi les immortels qui ne le furent pas, Paul-Philippe de Chaumont, né en 1617 et mort à Paris le 24 mars 1697, prélat français qui n’avait jamais rien écrit lorsqu'il fut élu membre de l'Académie en 1654. Avait-il voté pour l'exclusion ?

 

 

Furettière manifesta sa hargne conte les immortels par de nombreux pamphlets qui n'ajoutent rien à sa gloire mais la première édition de son dictionnaire fut publiée post mortem en 1690 en trois épais volumes, deux ans après sa mort et bien avant la première édition de celui de l'Académie qui le fut en 1694.

 

 

En dehors de ces affrontements littéraires et judiciaires directs, il le fit de façon plus insidieuse en prenant pour sujet le Siam et pour victime principale l'abbé de Choisy que les « Caractères » de la Bruyère en 1688 avaient solidement étrillé. Il connaissait la vision de l'abbé, étroitement imbriqué dans le monde littéraire de l'époque.  Il ne pouvait ignorer l'élection de Choisy à l'Académie en 1687.

 

 

C'est l'objet tout à fait partiel de son ouvrage « Furetiriana ou les bons mots et les remarques d'histoire, de morale, de critique, de plaisanterie et d'érudition ».

 

 

L'ouvrage fut publié après sa mort mais apparemment aucun critique littéraire ne lui en conteste la paternité. Il a probablement connu un certain succès puisque j'ai relevé cinq éditions successives et une traduction en néerlandais en dehors d'une réimpression récente (1).

 

 

Il s'agit, dit la préface de « simples remarques trouvées dans ses papiers après sa mort, la plupart même un peu négligées, et auxquelles celui qui s'est chargé de les rendre publique n'a pu donner le lustre qu'elles auraient reçu de la plume de M. de F*** : Le public aura, s'il lui plaît, un peu d'indulgence pour les défauts qu'il y trouvera ».

 

Il s'agit d'anas, d'où le titre de l'ouvrage, d'un genre littéraire aujourd'hui oublié. Les Anas sont la plupart du temps des recueils d'anecdotes, de pensées, de bons mots attribués à un  personnage célèbre dont le nom n'est donné que par son titre et les initiales de son patronyme. Les anecdotes graveleuses n'en sont pas absentes​. Le texte publié sous le nom de Furetièrana  est chargé d'intentions satiriques et les lecteurs se délectaient de reconnaître au fil des pages des allusions à des personnages qui ne représentent plus rien pour nous. Si de doctes érudits ont décryptés les personnages de la Bruyère, rien de semblable ne nous semble avoir été accompli sur l'œuvre de Furetière. (2)

 

Que pouvait connaître Furetière du Siam ? Nous sommes à l'époque de l'engouement des Français pour ces terres lointaines, subjugués par la venue des ambassadeurs siamois en France et par les deux ambassades successives de Louis XIV au Siam, les rêves éternels des richesses de Golconde ou de l'El Dorado ?

 

 

Je ne cite que quelques-uns des ouvrages publiés en français à cette époque (3), qu'ils proviennent de ceux qui ont participé aux deux ambassades ou de voyageurs courageux, commerçants ou missionnaires. Furetière ne les a peut-être pas tous consultés, certains ayant été publiés de son vivant et d'autre après sa mort. Mais il est une évidence facile à constater  : Le Siam occupe des pages entières de la revue mensuelle répandue dans tout le monde littéraire, curieux ou érudit, le « Mercure galant». Nous y trouvons près de cent articles concernant de près ou de loin l'épopée siamoise, depuis la venue des ambassadeurs siamois aux deux ambassades françaises. La seconde édition des Furetièriana publiée à Lyon en 1696 est d'ailleurs en vente au Mercure Galant qui par ailleurs accorda à Furetière un soutien sans faille lors de sa querelle avec l'Académie. 

 

 

S'il n'a pas consulté les mémoires du Chevalier de Forbin publiées en 1730 seulement, corsaire et bretteur peut-être mais lucide en tous cas, il n'a pu ignorer la description que le chevalier fit au roi en 1688 faisant litière sans pitié des affirmations du Père Tachard et de l'abbé de Choisy sur les richesses du pays. Dans son Dictionnaire Universel, Furetière cite La Loubère, l'abbé de Choisy et le père Tachard.

 

 

Il cite par ailleurs Tavernier dans les Furetièriana.

 

 

 

 

C'est aussi l'époque glorieuse pour notre langue du début des salons littéraires auquel tout ce beau monde qui navigue dans la littérature n'était évidemment pas étranger en dehors de Forbin sur ses navires ! On peut penser que Chaumont, Choisy, la Loubère s'y répandaient en doctes propos sur leur aventure siamoise.

 

 

Là où l'abbé voyait des statues des idoles en or massif, Forbin ne voyait que des statues de plâtre doré. Le remarquable ouvrage de La Loubère fait justice des affirmations dithyrambiques de Choisy et de Tachard sur les fastes des palais royaux. Nous avons vu dans un précédent article que les cadeaux des ambassadeurs siamois au roi et à la famille royale, comparés aux richesses et au faste de Versailles, avaient une valeur toute relative qui pouvait laisser planer un doute sur les richesses réelles du Siam (4).

 

C'est donc l'abbé de Choisy – il n'y a pas à se méprendre sur la personne – qui fit l'objet des sarcasmes de notre académicien exclu. Le chapitre sur le voyage de l'abbé de C****** que je transcris en français contemporain commence comme suit  :« Nous mouillâmes le 12 février à la rade de Denonzerim, le plus considérable port du royaume de Siam. Je vais vous faire un récit fidèle de ce que j'y ai vu de plus remarquable, mais je ne vous dirai rien de ce que tous les voyageurs nous en ont donné, principalement le sieur Tavernier, afin de ne point tomber dans une répétition ennuyeuse »C'est en effet à Tennaserim que Tavernier a commencé sa brève visite du Siam.

 

 

« Vous savez que je suis venu ici avec l'ambassadeur d'un puissant prince. À son entrée dans Denonzerim, on tira le canon de la place et des vaisseaux. Nous allâmes descendre au palais du gouverneur, qui touche le port …... après nous être reposés quatre jours dans cette ville pour nous remettre un peu des fatigues de la mer, nous prîmes le chemin de Siam, où nous arrivâmes enfin après avoir essuyé la rencontre de plusieurs troupes de lions qui dévorèrent quatre de nos valets qu'ils trouvèrent écartés dans la forêt ».

 

 

Bigre, quel courage, l'ambassade a donc dû affronter les lions mangeurs d'hommes. Petite erreur car s'il y a des tigres mangeurs d'hommes au Siam (éventuellement), il n'y a pas de lion dans cette partie de l'Asie sauf dans les Indes où ils sont actuellement protégés comme le Saint-Sacrement ou plutôt une relique de Bouddha ! Les représentations plus ou moins fantaisistes des lions que l'on trouve souvent dans nos temples proviennent de la mythologie indouiste

 

 

Les géants :

 

Le char du fils du roi était venu à leur rencontre  : « Ce grand char était fabriqué de cannes de bambous entrelacés comme nos paniers d'osier, couvert et environné dedans et dehors de tapis de Perse tissés d'or et de soie. Ses roues avaient quatorze pieds de diamètre (environ 4,50 mètres) …. « Le cocher et le postillon de cette calèche étaient à peu près de la taille de saint Christophe de Notre-Dame de Paris ».

 

La statue de ce Saint Christophe, abattue en 1785 avait 28 pieds de haut (un peu plus de 9 mètres). Il ne nous en reste que des gravures.

 

 

L'origine de ces géants est singulière. Il était donc au large du Japon une ile peuplée de géants : «  J'appris que ces géants sont venus d'une île située au nord du Japon, vers les côtes de la Tartarie glaciale, où un vaisseau hollandais ayant été poussé par la tempête mit quelques-uns de ses gens à terre pour reconnaître le pays, lesquels ayant trouvé dans une cabane bâtie au bord de la mer deux enfants qui ne paraissaient pas avoir quatre mois, quoique grands comme les plus grands Suisses qui se voient, les mirent dans leur vaisseau et le menèrent à bord ….   Le roi a déjà envoyé plusieurs vaisseaux vers cette île pour tâcher d'attraper quelque jeune fille de cette taille, afin d'en avoir de l'ordre, en lui donnant pour mari un de ces jolis mignons, mais jusqu'ici on n'a pu y réussir, ces drôles-là se tenant toujours sur leurs gardes depuis cet enlèvement. Les Hollandais vendirent ces deux enfants au Bureau cinquante-deux tonnes d'or. Ils mangent tous les jours chacun quatre boisseaux de riz mesure de Paris (le boisseau de Paris faisant 15 litres) , avec deux moutons ou la moitié d'une vache, mais ils ne boivent que de l'eau, car il arriva un jour qu'un d'eux s'étant enivré de vin de palmier, il devint si furieux que si par malheur son camarade eût été ivre comme lui, ils auraient exterminé tous les habitants de Siam, car personne n'était capable de résister à la furie d'un si redoutable ivrogne, hors son compagnon qui eut assez de force pour l'arrêter et le retenir jusqu'à ce qu'il eût cuvé son vin ».

 

Les équipages des seigneurs de la cour étaient tout aussi singuliers : pour l'un « un autre char à peu près de la même grandeur, paré de la même façon, mais celui-ci était tiré par six rhinocéros aussi grands que des éléphants et conduit par un cocher et un postillon fort grotesques, puisque c'étaient deux singes montés chacun sur un rhinocéros ». D'autres sont tirés par des autruches, des paons ou des boucs.

 

Il est constant qu'il n'y a jamais eu d'autruches dans cette région de l'Asie et que si le père Tachard fait allusion à des éléphants, des tigres ou des rhinocéros d'une « grandeur prodigieuse », il n'en parle que par ouï dire en précisant qu'il n'en a jamais vus.

 

A l'arrivée à Siam, l'abbé est évidemment subjugué par les fastes du palais royal : « Nous arrivâmes à Siam, où nous trouvâmes toute la garde du roi sous les armes, rangée en haies, depuis la porte de la ville jusqu'au palais du roi, où l'ambassadeur alla mettre pied à terre, et fut conduit par le prince à l'audience, le roi étant alors dans une grande salle voutée en dôme, revêtue des plus précieux marbres d'Orient. Tout le plancher était couvert de tapis tissés d'or, d'argent et de soie. Sa Majesté était assise dans un grand trône, élevé de terre de six pieds et large de quatorze, profond de vingt, tout d'or massif, enrichi du haut en bas de diamants, d'escarboucles et de rubis dont les moindres sont gros comme des noix, et les plus beaux comme des œufs de poule d'Inde. Pour le fauteuil, qui fait le siège de ce trône, il est de cristal de roche, tout d'une pièce ».

Le palais de cristal  version d'un salon climatisé:

 

« le roi prit l'ambassadeur par la main et le fit descendre du trône, marchant à côté de lui pour aller au festin qu'on avait préparé dans le palais de cristal, qui se peut avec raison nommer un palais enchanté, car c'est assurément la chose la plus extraordinaire et la plus charmante qui soit dans le monde. Cette maison diaphane est toute faite de cristal, ainsi que les tables, les chaises et les cabinets dont elle est meublée. Les murs, le comble et les planchers sont faits de glace épaisse d'un pouce et d'une toise en carré, tellement que bien jointe et bien cimentée, avec un mastic aussi transparent que le verre même, l'eau la plus subtile ne saurait pénétrer au-dedans.

 

 

Il n'y a qu'une porte qui ferme si juste qu'elle n'est pas moins impénétrable à l'eau que le reste du bâtiment. Cette machine a été inventée et construite par un ingénieur de la Chine, grand magicien, comme un remède assuré contre les chaleurs insupportables de cette région. Ce petit salon a vingt-huit pieds de long sur dix-sept de large ; il est placé au milieu d'un très grand bassin, pavé et revêtu de marbre de plusieurs couleurs. On remplit d'eau ce bassin en un quart d'heure, et on le vide de même….Tout le monde étant arrivé, on ferma la porte, qu'on accommoda avec du mastic pour empêcher l'eau d'entrer dedans, et ayant lâché les écluses, en un moment tout ce grand bassin fut rempli jusqu'à fleur de terre, de sorte que le salon se trouva tout à fait sous l'eau, à la réserve du haut du dôme qui sert pour la respiration de ceux qui sont dedans. J'avoue que voyant l'eau plus de vingt pieds dessus ma tête, je n'en étais pas plus content. Cependant ma peur cessa quand je considérai que s'il y avait eu du péril, un si grand roi ne s'y exposerait pas sans nécessité. Il faut confesser que rien au monde n'est si charmant que l'agréable frais qu'on goûte dans ce lieu délicieux pendant que l'excessive ardeur du soleil fait bouillir sur la surface de l'eau les fontaines les plus fraîches.... »

 

 

Une découverte, la pêche au crocodile :

 

«  Le grand veneur du royaume, qui prend soin de la pêche aussi bien que de la chasse des bêtes sauvages, fit tirer d'un grand réservoir bâti de pierre de taille, au milieu de la rivière, six petits crocodiles dressés à venir prendre de la viande que les pêcheurs leurs présentent au bord du réservoir, et par ce moyen ils souffrent qu'on leur attache un cordon de soie gros comme le petit doigt à un anneau qui leur perce la mâchoire supérieure. Étant ainsi attachés par le museau, on les jette dans la rivière où ils vont de tous côtés, particulièrement dans les fosses les plus profondes, chercher de gros poissons, et aussitôt qu'ils ont pris un brochet, une carpe, une truite, ils l'apportent à celui qui tient le cordon dont ils reçoivent en récompense de leur prise un morceau de viande qu'ils mangent. ...

 

 

Les crocodiles remplacent les galériens : 

 

« Lorsque nous eûmes pêché pendant deux heures et pris quantité de poissons monstrueux en grandeur, on remit ces petits crocodiles dans le réservoir et l'on en prit six autres beaucoup plus grands. En les prenant, on leur passait un gros bâton d'un bois extrêmement dur à travers de la gueule, et l'on attachait ce bâton à leur tête avec une têtière de cuir renforcée d'une chaînette de fer. Aux extrémités de ce bâton il y a deux gros anneaux où l'on attache deux cordons de soie qu'on noue aux bouts du bâton qui est dans la gueule du crocodile, ce qui fait que ces effroyables bêtes, ainsi attachées queue à queue, paraissent disposées comme les attelages de nos charrettes de France. Étant tous six enharnachés comme je viens de dire, on les attache à la proue de la galère du roi, et l'homme qui les gouverne ayant donné un coup de fouet, ils commencèrent à tirer ce vaisseau avec tant de violence qu'ils allaient en remontant ce rapide fleuve plus vite que cinquante rameurs favorisés des voiles et du vent n'eussent pu faire aller au courant de l'eau. Je vous avoue que surprise ne fut jamais plus grande que la mienne, et si je n'avais vu la chose de mes propres yeux, je ne la pourrais jamais croire ».

 

 

 

Une fusée vers la lune et l'invention du parachute :

 

L'imagination de Furtetière est débridée : «  Cela je n'ai presque point le courage de vous rien écrire, car assurément tout ce qui me reste à vous dire ne vous paraîtra que des bagatelles en comparaison d'une chose si  bizarre et si étonnante. Ce n'est pas que le feu d'artifice qu'on fit jouer à minuit ne fût passablement beau. Il y avait des fusées volantes grosses comme un de nos muids, et longues à proportion, dont la baguette était faite d'un moyen mât de navire. Elles montaient au-dessus de la moyenne région et elles jetaient une si grande lumière qu'elles éclairaient six lieues de pays à la ronde, comme si le soleil avait encore été sur l'hémisphère. L'inventeur de ce feu d'artifice s'assit sur le bout d'une de ces fusées à laquelle il fit mettre le feu, et fut transporté en l'air plus haut que quatre clochers. La fusée étant au bout de son feu et prête à retomber toute lumineuse par la quantité d'étoiles qui en sortaient de moment en moment, l'ingénieur ouvrit une espèce de parasol qu'il avait porté avec lui, lequel étant étendu n'avait guère moins de trente pieds de diamètre. Ce parasol était fait de plumes si légères que l'air les soutenait sans peine, comme nous voyons en France ces machines de papier en forme d'oiseaux appelés cerfs-volants, que les enfants font promener dans l'air attachés au bout d'une petite corde extrêmement longue, de sorte que cet ingénieur porté sur ce grand parasol, vint à terre environné de toutes ces étoiles, aussi doucement que s'il avait eu des ailes.

 

Les siamois connaissaient les feux  d'artifice, nous en avons encore la trace dans  les nombreux festivals des fusées mais celles-ci sont faites en général dans un morceau de bambou et n'ont pas la taille d'un muid (tonneau de 2 ou 3 mètres cubes selon les régions) (5). Furetière a évidemment connu le célèbre « Voyage dans la lune » de Cyrano de Bergerac publié en 1657.

 

 

Un armement d'avant-garde :

 

Il est évident que ce royaume de géants avait pour se défendre des armes à la hauteur de ses richesses. La capitale abrite en effet un canon  de 52 pieds (environ 17 mètres) qui lance des obus de 180 livres (environ 90 kilos) avec une portée de 7 lieux (environ 28 kilomètres). A cette époque de la réorganisation de l'artillerie par Louvois, les pièces d'artillerie les plus puissantes avaient une longueur d'environ 3 mètres, lançaient des boulets de 48 livres (24 kilos) avec une potée efficace d'environ 2 kilomètres. Notons que, contrairement aux conceptions balistiques de l'époque, la puissance d'une arme à feu n'est pas fonction de la longueur de son canon et de son calibre. Le canon de la très célèbre « Grosse Bertha » ne faisait que 5  mètres de long.

 

 

Cette description du Siam vue par l'abbé de Ch*** occupe moins de 10 pages de ce recueil qui en comporte 400, elle est plaisante mais il n'est pas certain que l'abbé ait apprécié ce genre d'humour, pas plus que ses confrères de l'Académie qui l'ont exclu n'apprécièrent son esprit caustique.

 

NOTES

 

(1) Peur-être y en a-t-il eu d'autres ?

« Furetiriana ou les bons mots et les remarques d'histoire, de morale, de critique, de plaisanterie et d'érudition », de M. Furetière, Paris, Thomas Guillain, 1696, in-12, 378 pages.

« Furetiriana  ou Les bons mots, etc., etc. …..». Seconde édition.   Lyon, Thomas Amaulry, 1696.

« Furetiriana... ». Bruxelles, 1696.

 

 

« Furetiriana... » Amsterdam, 1701.

«  Furetiriana... » Édition de 1708

«  Furetiriana... » Édition en néerlandais en 1711

 

Il a été réédité en 2011.

 

(2) Parmi les centaines d'anecdotes de l'ouvrage, je n'en cite que deux qui m'ont amusé bien qu’elles ne concernent pas le Siam : « Monsieur de P***** en voyant jouer une comédienne qui était belle dit ah voilà cette carogne qui a donné la ***** à mon fils. Pardonnez-moi répondit un acteur spirituel  elle l'a encore ». Et une autre « Il est dangereux de s'attaquer à un homme qui a de la répartie : S**** Un médecin de Montpellier n'était pas aimé d'un officier de la suite du Cardinal. Celui-ci dit de façon à être entendu On dit que S**** est savant, je veux bien être pendu s'il sait quelque chose. Tu te trompes mon ami répondit le médecin car je sais bien que tu es cocu ».

 

(3) Cette liste n'est évidemment pas limitative :

 

En 1676, Jean-Baptiste Tavernier publie son ouvrage en deux volumes « Les six voyages de Jean-Baptiste Tavernier, qu'il a fait en Turquie, en Perse et aux Indes

Perse, et aux Indes pendant l'espace de quarante ans et par toutes les routes qu'on peut tenir, accompagnés d'observations particulières sur la qualité, la religion, le gouvernement, les coutumes el le commerce de ces pays avec les figures, le poids et la valeur des monnaies qui y ont cours ». Il consacre dans le second volume 7 pages au Siam. Il fut un pionnier du commerce français vers l'Asie. L'ouvrage n'est pas sans intérêt, il a été réédité en 2005 et 2014, mais ne nous apprend rien sinon quelques poncifs: le roi est le plus riche de tous les monarques d'Asie et toutes les idoles y sont d'or massif. Ce sont plutôt les conseils pratiques d'un commerçant à l'usage des autres ou éventuellement des missionnaires. Nous verrons qu'il est à peu près certain que Furetière a eu connaissance de cet ouvrage.

 

Les deux ambassades envoyées par Louis XIV à la Cour de Siam en 1685 et 1687 nous ont valu toute une série de relations de voyages qui, pour traiter du même sujet, n'en sont pas moins fort différentes de ton : les fortes personnalités de leurs: auteurs s'affirment dans chacune d'elles de la manière la plus éclatante. 

 

« La Relation de l'ambassade de M. le Chevalier de Chaumont » dont la première édition est de 1686  est le rapport officiel de la première expédition:

 

« Les  Voyage de Siam des Pères Jésuites », du Père Tachard, la relation du premier voyage a été publiée en 1686 et la seconde en 1688, alliant au souci des intérêts de la religion en prétendant à la  conversion certaine du roi donc de ses sujets, en flattant les intérêts du commerce en y ajoutant  la prétention à une documentation scientifique qui n'est pas toujours, loin s'en faut de grande qualité. N'oublions pas une évidente flagornerie à l'égard en particulier de Phaulkon, le premier ministre du roi Naraï.

 

En 1687 le « Voyage de Siam » de l'abbé de Choisy est publié à Amsterdam et la même année son auteur est élu à l'Académie française.

 

En 1688, Nicolas Gervaise publie son « Histoire naturelle et politique du royaume de Siam ». Il n'appartenait à aucune des deux ambassades mais tenait ses sources essentiellement des prêtres des Missions étrangères qui rendaient fidèlement compte de leur mission à leurs supérieurs de Paris.

 

« Le Royaume de Siam » de la Loubère, en 1691, plus tard membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et de l'Académie française en 1693 est une véritable encyclopédie du Siam appuyée sur une solide documentation toujours utile à consulter et difficile à prendre en défaut.

 

Chez le père Tachard et l'abbé de Choisy, il est constant que leurs ouvrages, quel que soit le plaisir que l'on ait à les consulter, fourmillent d'erreurs grossières. Doit-on insister ? Elles sont excusables chez un auteur qui n'a jamais eu l'occasion de voyager en profondeur au Siam.

 

Les mémoires du Chevalier de Forbin ne furent publiés qu'en 1730. Elles révèlent en tous cas qu'il ne fut jamais dupe de la prétendue énormité de la richesse du pays du roi NaraÏ.

 

(4) Voir notre article A 435 - LE DERNIER DES CADEAUX DU ROI NARAI Á LOUIS XIV ET LE SEUL CONNU Á CE JOUR A RETROUVÉ SA PLACE Á VERSAILLES EN 2018

https://grande-et-petites-histoires-de-la-thailande.over-blog.com/2021/08/5-le-dernier-des-cadeaux-du-roi-narai-a-louis-xiv-et-le-seul-connu-a-ce-jour-a-retrouve-sa-place-a-versailles-en-2018.html

 

(5) Voir notre article A 233 - LE FESTIVAL DES FUSÉES EN ISAN, RITUEL MAGIQUE OU TECHNOLOGIE D’AVANT-GARDE POUR PROVOQUER LA PLUIE ?

 

 https://grande-et-petites-histoires-de-la-thailande.over-blog.com/2017/07/a-233-le-festival-des-fusees-en-isan-rituel-magique-ou-technologie-d-avant-garde.html

 

 

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