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  • : Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
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  Il était une fois Alain, Bernard …ils prirent leur retraite en Isan, se marièrent avec une Isan, se rencontrèrent, discutèrent, décidèrent un  jour de créer un BLOG, ce blog : alainbernardenthailande.com

Ils voulaient partager, échanger, raconter ce qu’ils avaient appris sur la Thaïlande, son histoire, sa culture, comprendre son « actualité ». Ils n’étaient pas historiens, n’en savaient peut-être pas plus que vous, mais ils voulaient proposer un chemin possible. Ils ont pensé commencer par l’histoire des relations franco-thaïes depuis Louis XIV,et ensuite ils ont proposé leur vision de l'Isan ..........

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26 août 2019 1 26 /08 /août /2019 22:06

 

Lorsque nous quittâmes le chevalier de Forbin après sa sanglante victoire sur les Macassars- Malais (1) et relisant ses mémoires dans lesquelles il s’étonnait de cette résistance farouche, nous pûmes lire : « J'étais si frappé de tout ce que j'avais vu faire à ces hommes qui me paraissaient si différents de tous les autres, que je souhaitai d'apprendre d'où pouvait venir à ces peuples tant de courage, ou pour mieux dire tant de férocité. Des Portugais qui demeuraient dans les Indes depuis l'enfance et que je questionnai sur ce point me dirent ces peuples étaient habitants de l'île de Calebos, ou Macassar, qu'ils étaient mahométans schismatiques et très superstitieux ; que leurs prêtres leur donnaient des lettres écrites en caractères magiques qu'ils leur attachaient eux-mêmes au bras, en les assurant que tant qu'ils les porteraient sur eux, ils seraient invulnérables; qu'un point particulier de leur créance ne contribuait pas peu à les rendre cruels et intrépides. Ce point consiste à être fortement persuadé que tous ceux qu'ils pourront tuer sur la terre, hors les mahométans, seront tout autant d'esclaves qui les serviront dans l'autre monde. Enfin, ils ajoutèrent qu'on leur imprimait si fortement dès l'enfance ce qu'on appelle le point d'honneur, qui se réduit parmi eux à ne se rendre jamais, qu'il était encore hors d'exemple qu'un seul y eût contrevenu ».

 

 

Nous sommes évidemment loin de la brève et négative description que donne Dumont d’Urville  (2) !

 

 

 

Nous avons lu avec un certain amusement une description toute aussi singulière de ces Malais dans un article de 1845 de la Revue de l’Orient sur Sumatra sous la plume du Capitaine de Corvette Leconte : « Je n'ai jamais vu de peuple aussi craintif, et je dirai même aussi poltron, que m'a paru t'être celui de Sumatra. Pendant le temps que j'ai passé parmi ces Malais, je les ai trouvés les mêmes sur tous les points de la côte. On les dit fourbes et dissimulés ... » (3).

 

Cet article suscita une réponse :

 

« Nous avons reçu de Bordeaux la lettre suivante : « Monsieur le Rédacteur, je lis avec beaucoup d'intérêt la Revue de l'Orient, et j'y ai remarqué avec chagrin le jugement que M. le capitaine de corvette Leconte a cru devoir porter sur le caractère des Matais (tome VII, « page 252). Je n'ai jamais vu écrit cet officier, de peuple aussi craintif, je dirai même aussi poltron que celui de Sumatra. C'est la première fois que je vois mes compatriotes taxés de poltronnerie. Permettez-moi, en qualité de fils d'Européen et de Malaise, de faire appel de ce jugement mal fondé, et de vous envoyer, à l'appui de ma réclamation, un extrait des « mémoires peu connues qu'a laissé un des plus illustres marins du siècle de  Louis XIV. Vous ne pouvez ignorer que le comte de Forbin avait été envoyé « dans sa jeunesse auprès du roi de Siam, et qu'il fut chargé, en 1685 et a 1686, d'organiser à l'européenne la flotte et l'armée siamoise; le récit suivant de la lutte qu'il eut à soutenir contre une poignée de Malais de l'île de Célèbes, sujets du royaume de Macassar, aujourd'hui détruit, prouve « que, quelle que soit la fatalité qui ait pesé depuis sur la race malaise, ce « n'est ni par la hardiesse ni par le courage que les Malais ont failli. Je suis, monsieur le Rédacteur, etc. Adrien Van Sinkel » (4).

 

Notre lecteur cite alors le récit intégral de la campagne de Forbin contre les Macassars tel que celui-ci l’a narrée dans ses mémoires.

 

 

En écrivant ses souvenirs en 1851, le capitaine Leconte ne reprendra d’ailleurs pas ses propos désobligeants dans le chapitre qu’il consacre à Sumatra (5).

 

 

Nous intéressant à notre tour aux Célèbes, nous retrouvons Christian Pelras, ethnologue ayant consacré sa vie à la péninsule indonésienne. Nous l’avons cité dans notre précédent article (6).

 

 

 

Il était l’auteur d’un autre article qui concerne plus directement notre intérêt pour le Siam, les Célèbes tout d’abord et surtout le sort des deux jeunes princes Macassars envoyés en France pour y servir le roi de France ! (7).

 

 

LE ROYAUME DES MACAÇAR

 

La première description des Célèbes est celle deChristian Pelrasparue en 1688 après qu’il eut passé quatre ans comme missionnaire au Siam et qui connut de nombreuses rééditions ultérieures. Nous en faisions un jésuite (1), faisons amende honorable et donnons sa biographie de prêtre des Missions étrangères de Paris (8). Il nous intéresse car il y est signé comme celui qui avait accompagné en France les deux fils du roi des Macassars, épisode sur lequel nous reviendrons (9).

 

 

 

Nicolas Gervaise cite un certain Daeng Ma-allé qui aurait été frère du sultan régnant à Macassar et qui aurait pris une part active à la lutte contre les Hollandais, opposé à la paix signée avec eux en 1660, victime de leurs machinations et contraint de s'exiler, d'abord à Java, où il aurait épousé une princesse javanaise. Poursuivi par la vindicte des Hollandais, il aurait été contraint en 1664 à s'exiler à nouveau, avec 200 des siens, cette fois pour le Siam dont le souverain, le roi Narai, le reçut fort bien, lui accordant à lui et à ses compagnons le droit de s'installer dans un faubourg de sa capitale Ayuthia, ainsi que des terres et de l'outillage agricole (10). Gervaise précise Néanmoins, ces Makassar participèrent en 1686 à un soulèvement armé contre le roi et furent tous exterminés, à l'exception de ses deux fils, qui se trouvent maintenant en France et sont élèves au collège de Clermont.

 

 

 

Ce collège des Jésuites, devenu par la suite collège puis lycée Louis-le-Grand, à Paris était celui ou étaient élevés tous les princes des diverses branches de la famille royale et ceux de la haute noblesse française et souvent étrangère.

 

La question de savoir si Nicolas Gervaise a été le témoin direct de tous les renseignements dont son ouvrage fourmille est soulevée par Christian Pelras. Elle excède le cadre de notre blog.

 

Le royaume n’est toutefois pas totalement inconnu des érudits de l’époque.

 

Le père Alexandre de Rhodes ...

 

 

 

...a séjourné cinq mois aux Célèbes probablement dans les années 1650. Le royaume avait déjà basculé dans l’Islam. Notre jésuite nous dit « Je rencontrais à mon arrivée le grand gouverneur que je trouvais fort sage et fort raisonnable à la réserve de sa mauvaise religion ». C’était certainement avant l’exode du prince Macassar avec sa famille et ses féaux vers le Siam (11).

 

 

Le Grand dictionnaire historique de Moreri dit de Gervaise, sans parler de l’épisode des deux jeunes princes, « Le jeune abbé Gervaise ne fut pas spectateur oisif de tout ce qu'il eut occasion de voir dans son voyage dans le royaume de Siam, où il fit un séjour de quatre ans. Il apprit exactement la langue de ce peuple; il lut les livres écrits en cette langue ; il conversa souvent avec les plus habiles du pays ; il se mit au fait, autant qu’il fut en lui de tout ce qui concerne ce royaume... » (12).

 

 

 

 

La monumentale Nouvelle biographie générale depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours de Hoeffer (13) nous relate cet épisode comme suit : « ... Il se destina à l'état ecclésiastique, et avant l'âge de vingt ans fut attaché à la mission de Siam. Il resta quatre ans dans ce royaume, y apprit parfaitement la langue des indigènes, s'instruisit dans leur religion, leurs mœurs, leur littérature, leur législation et leur histoire. A son retour, il publia le résultat de ses observations. Il avait amené en France deux fils du roi de Macassar, et, après les avoir présenté à la Cour il leur donna autant qu’il fut possible, une éducation française ».

 

 

La question de savoir quelles furent les sources de Gervaise a été finement analysée par Christian Pelras. ( N’y revenons pas ce qui nous conduirait hors les limites géographiques de notre blog). Ce ne fut de toute évidence pas au contact des musulmans macassars ou malais alors présents à Ayutthaya, nous connaissons ce qu’il en a écrit : « On voudrait bien encore aujourd'huy les exterminer tous et en purger le royaume ;

 

Mais ils se sont rendus si redoutables par leur nombre, par leur férocité et par leur magie à laquelle ils sont adonnés que l'on n'ose plus l'entreprendre ».

 

 

 

 

 

 

LES DEUX PRINCES MACASSAR

 

Les sources vont être plus nombreuses.

 

Nicolas Gervaise lui-même dans la dédicace de son livre au Père de la Chaise nous y apprend que ces deux princes, dénommés Daéng Rouruu (Ruru) et Daéng Toulolo (Tulolo) étaient les fils de ce « Daéng Ma-allé » mort les armes à la main pour n'avoir pas voulu faire soumission au roi de Siam. Assiégés dans leur camp le 20 septembre 1686 les Macassar se défendirent âprement mais succombèrent devant le nombre et l’armement. Ceux qui ne furent pas tués au combat furent tous exécutés, à l'exception des femmes et des enfants survivants et des deux jeunes princes, bien que l'aîné ait combattu aux côtés de son père. Le père Tachard était présent lors de ces événements, raconte leur capture :

 

« Un des fils du Prince âgé de douze ans ou environ se vint rendre de lui-même, on lui fit voir le corps de son Père qu'il reconnût, il dit qu'il était cause de la perte de sa nation, mais qu'il était pourtant bien fâché de le voir en cet état, blâmant fort ceux qui l'avoient tué, Monsieur Constance ordonna à un chrétien de Constantinople, qui est au service du Roy de Siam de s'en charger » (14).

 

 

 

 

 

Le chef du comptoir français, Verret dans son mémoire écrit le 5 novembre 1686 à destination de ses directeurs de la Compagnie des Indes, conservé aux archives nationales et consulté par Christian Pelras (7) : « Mr Constance envois en France les deux fils du Prince de Macasar c'est une histoire qui serait trop longue et même inutile parce que Mr Constance vous envois, Messieurs une relation de ce qui leur est arrivé ».

 

Dans un courrier de Phaulkon du 26 novembre 1686 et découvert par Christian Pelras, adressé à François Martin, responsable de la Compagnie des Indes à Pondichéry, annonçant l’envoi de ses deux fils en France il ajoute : « ... les deux fils du Prince des Macassars que j'envoie en France à sa majesté très Chrétienne pour en disposer comme il plaira à sa Majesté » (15). C’est en effet probablement Verret qui fut à l’origine de cet envoi.

 

 

 

Nous avons également de François Martin un courrier de janvier 1687 qui nous dit «  Nous reçûmes des lettres de M. Constance ; elles étaient remplies de plaintes sur la conduite de M. le chevalier de Forbin ; il envoyait des copies des lettres que ce gentilhomme lui avait écrites ainsi que des réponses qu’il y avait faites par où il prétendait le condamner, il paraissait extrêmement outré contre lui. M. Constance envoyait des marchandises sur le « Coche » pour son compte ; il en faisait espérer davantage qui devaient être apportées à Pondichéry sur un navire que l’on chargeait à Mergui au départ du Coche, et par la même voie d’autres lettres où il nous informerait de ses intentions. Les deux fils du prince de Macassar qui avait été tué à Siam au soulèvement que j’ai marqué étaient sur le navire « le Coche ». M. Constance écrivait de les faire passer en France ; on appréhendait, les laissant à Siam, qu’ils ne se fissent avec le temps chefs de parti pour venger la mort de leur père » (16).

 

 

 

On se demande quels ont été les motifs qui ont conduit Phaulkon et Forbin à épargner les enfants du monarque défunt . De toute évidence la solution choisie par Forbin, tuer tout ce qui était musulman même ceux qui s’étaient rendus, aurait éradiqué leur désir éventuel d’une vengeance future. Avaient-ils l’un et l’autre quelques scrupules tardifs de bons chrétiens ? Fut-ce une initiative de Verret ? Forbin eut-il un respect inné pour un homme de sa caste face à des personnes de sang royal.

 

 

 

La presse française de l’époque était tenue au courant des événements de Siam.

 

« On a envoyée de Siam à Paris un détail de la conspiration qu’un Prince Macassar a faite .... Je vous dirai seulement que ce Prince était frère ou proche parent du Roy qui gouvernait le Macassar lorsque les Hollandais s'en rendirent maitres et qu'il vint chercher asile à Siam, ou je l'ai vu et où il vivait en personne privée... ».

 

 

Nous n’apprenons rien de nouveau dans cet article sinon que le roi fut tué d’un coup de mousquet provenant d’un Français, probablement Verret qui sauva ainsi la vie à Phaulkon (17).

 

Son auteur continu « Mr du Hautmesnil emmène avec lui les deux fils de ce Prince Macassar. On les envoie au Roy. Je croie que ce sont les Pères jésuites qui font chargés de les présenter ».

 

 

Embarqués fin novembre 1686 sur le navire Le Coche dont le capitaine était ce Monsieur du Hautmesnil (dont nous ignorons tout), ils touchèrent donc Brest le 5 août 1687, oú ils ont probablement été confiés à Nicolas Gervaise mais ne débarquèrent que le 31 août à Port-Louis et arrivèrent à Paris le 10 septembre (18).

 

 

Nous allons avoir des nouvelles fraîches en mars 1688 toujours dans la presse (19) :

 

« Je vous ai appris il y a quelques mois l'arrivée des deux Princes de Macassar en France et je vous fis un détail de ce qui avait obligé le roi de Siam chez qui ils étaient à les envoyer à cette Cour. L'aîné qui est âgé de quinze ans s'appelle Daen Bourou et l'autre qui n'en a que treize s'appelle Daen Troulolo. Ils sont Mahométans et fils de Daen Maalle, frère du feu Roy de Macassar ».

 

Suit la longue histoire des mésaventures du Prince des Macassar et son arrivée au Siam.

 

La cérémonie de leur baptême après leur passage au Collège de Clermont devenu Collège Louis le Grand » et aujourd’hui Lycée Louis le grand, collège de l’élite, fut digne de membres d’une famille royale.

 

«  Daen Bourou et Daen Troulolo étant arrivés en France, sa majesté qui connaissait le talent et le zèle qu'ont les Jésuites pour l'instruction de la jeunesse tant pour ce qui regarde le culte de Dieu que pour les lettres, les mit pensionnaires chez eux, afin qu'ils eussent soin de leur éducation et ils y ont si bien réussi surtout à l'égard de la Religion catholique, que leur en ayant enseigné les vérités, ils les ont mis en état de recevoir le Baptême. La cérémonie s'en fit le 7 de ce mois dans l’Église de leur Maison Professe, par M. l’Évêque du Mans Premier Aumônier de Monsieur, en présence du sieur Hameau Curé de S. Paul qui était en surplis et en étole. Un fort grand nombre de jeunes gens de la première qualité dont le Collège de Louis le Grand est rempli et qui y sont en pension les accompagnèrent. Le Roy fut parrain de l’aîné de ces deux Frères et madame la Dauphine la Marraine. Il fut nommé Louis, par le Marquis de la Sale, pour le Roy et par Madame la Marquise de Belfons, pour Madame la Dauphine, et le cadet fut nommé Louis-Dauphin par le Comte de Matignon, au nom de Monseigneur le Dauphin et par Madame la Comtesse de Mare, au nom de Madame ».

 

 

 

Que devinrent-ils ?

 

Le dictionnaire de Moreri que nous avons déjà cité (V° Macaçar) en fait des mousquetaires dans le régiment d'infanterie de sa Majesté.

 

Selon des propos attribués indirectement à Forbin « ...Aussi ne sauva-t-on la vie qu’à deux jeunes fils du prince qui furent amenés à Louvo. On les a vus depuis en France servir dans la marine ayant été amenés dans le royaume par le père Tachard » (20).

 

 

 

Les recherches méticuleuses entreprises par Christian Pelras auprès des Archives de la marine aux archives nationales confirment la version du chevalier de Forbin. Un document intitulé Liste générale alphabétique des officiers militaires de la marine morts ou retirés, 1250-1750, que les historiens de la marine appellent Alphabet Lafilard nous donne la carrière de l’aîné Daeng Ruru ;

 

Macassart (Louis Pierre de), Indien

Nouveau Garde-Marine : Brest 1er mai 1690

 

Enseigne de vaisseau : 1er janvier 1691

 

Lieutenant de vaisseau : 1er janvier 1692

 

 

S'est tué lui-même à La Havane : 19 mai 1708

 

 

 

 

Après un passage au très prestigieux Collège Louis le Grand, nous le trouvons dans le non moins prestigieux corps des Gardes-marine de Brest, ancêtre de l’École navale, pépinière d’officiers de marine triés sur le volet. Il faut pour y être admis être de bonne noblesse et avoir 18 ans. La considération de Louis XIV pour ces princes fut donc grande. La réputation des officiers passés dans ce corps en fait des marins imbus de leur noblesse ce qui convenait probablement parfaitement à ce prince venu de l’Insulinde.

 

Les recherches de Christian Pelras aux Archives nationales et aux Archives de Brest nous apprennent peu de chose sur son service sinon qu’il finit par être embarqué à bord du navire Grand, destiné à faire partie de l'escadre de l'Amiral Ducasse. Celle-ci fit voile en octobre en direction de La Havane pour aider les Espagnols contre les Anglais. Le 19 mai 1708, au large de La Havane, Daeng Ruru se donna la mort dans des circonstances qui ne sont pas éclaircies. Tout ce que nous savons, nous apprend Christian Pelras, est qu’il était perclus de dettes bien que bénéficiant d’une pension royale. Suicidé, il ne reçut évidemment pas de sépulture chrétienne.

 

 

 

Le sort du cadet fut différent. Le Dictionnaire de Moreri déjà cité nous dit : «  L'un d’eux fut tué au service du roi; celui qui restait ayant appris la mort de son cousin partit de France pour aller prendre possession du trône de ses pères et le roi le fit conduire sur ses vaisseaux. Il avait paru fort zélé pour la religion catholique et même avant de partir de Paris, il fit faire un tableau, où il semblait s'offrir à la Ste Vierge, et institua un ordre dit « de l’Étoile » dont les chevaliers devaient porter un cordon blanc, qu'il mit sous la protection de Notre Dame. Ce tableau fut placé dans la cathédrale, mais quelques années après on le fit ôter, ayant appris que ce prince avait embrassé la religion de ses pères, poussé à cela par le dogme de la pluralité des femmes ».

 

Or cette version est battue en brèche par les recherches de Christian Pelras dans le fameux Alphabet Lafilard qui nous indiquent que sa carrière dans la marine fut moins fulgurante que celle de son frère :

 

Macassart, Indien

Nouveau Garde-Marine Brest : 18 mai 1699

Contrôlé : 23 juin 1699

Enseigne de Vaisseau : 25 novembre 1712

Mort à Brest : 30 novembre 1736

 

Il attendit 13 ans avant d'être nommé, à l'âge approximatif de 38 ans, Garde-Marine puisque nous le supposons né en 1674 ? Fit-il une tentative infructueuse pour retourner dans son pays ? Au moment de sa mort (à plus de 60 ans) Daéng Tulolo était affecté à bord du vaisseau L'Indien. Il est mort à Brest : Christian Pelras a retrouvé son acte de décès aux Archives Municipales qui conservent encore les « registres de catholicité » :

 

« Le trentième novembre mil sept cent trente-six Louis prince de mascassa âgé d’environ soixante ans, enseigne des vaisseaux du Roy mort le jour précèdent a été transporté dans l’église des carmes de cette ville pour y être inhumé en présence de plusieurs officiers de la marine. Signé : J.G. Perrot curé de Brest ».

 

L’église où il fut inhumé ...

 

 

...fut détruite par les bombardements anglo-américains.

 

 

Nous n’en saurons malheureusement pas plus sur nos deux princes. Passons la parole à Christian Pelras : « On peut s'étonner que ces deux Princes, dont l'arrivée en France fut loin de passer inaperçue, n'y aient pas laissé plus de traces de leur existence. Assimilés à la noblesse française au point d'être admis dans deux des institutions les plus réputées et les plus « sélectes » du royaume - le Collège de Clermont et la Compagnie des Gardes-Marine - pourvus d'un commandement, dotés d'une pension royale, ils pouvaient être considérés comme de bons partis ; pourtant, je n'ai trouvé aucune mention d'un éventuel mariage, aucune trace d'une éventuelle descendance. Même si, lorsqu'ils étaient à Paris, on aurait pu espérer que l'un des grands Mémorialistes de cette époque eût écrit quelques lignes sur eux, on peut cependant comprendre que dans cette ville où, déjà, un événement chassait l'autre, l'intérêt qu'ils avaient suscité se soit émoussé après la sensation que provoqua leur arrivée.  A Brest, en revanche, on aurait pu s'attendre à ce que leur présence fût davantage remarquée ; or je n'y ai trouvé nulle mention à leur sujet dans aucun écrit contemporain. Et une note que j'ai publiée à ce sujet dans les Cahiers de l'Iroise n'a suscité aucune réaction. Un lecteur du présent article pourra-t-il contribuer à éclairer les zones d'ombre de la vie de ces deux personnages, remarquables non seulement par leur destinée extraordinaire, mais en tant que coauteurs probables de l'une des monographies ethnographiques parmi les plus anciennes, et remarquable à plus d'un titre? Je ne manquerai pas de tenir le public d’Archipel informé d'éventuels nouveaux éclaircissements à leur sujet. Il n’y aura pas de réponse et Christian Pelras mourut en 2014.

 

 

Mais la question avait déjà était posée en vain quelques dizaines d’années  auparavant, en 1927, dans la très érudite revue « Intermédiaire des chercheurs et des curieux » :

«Prince de Macassar – Que peut bien être ce personnage lieutenant de vaisseau de la marine royale désigné en 1697 pour service au Port-Louis dont dépendait alors la ville alors naissante de Lorient. Macassar, villes des Indes hollandaises aurait-elle fourni un de ses potentats à notre marine ? On ne connaissait Macassar que par une huile jadis fameuse dans la parfumerie et que célébra un poète (peut-être Musset ?) dans un ver dont voici la fin. « ... ton huile, ô Macassar » ... ».

 

 

 

La question ne reçut non plus jamais de réponse (21).

 

 

NOTES

 

(1) Voir notre article H 45 « UNE TENTATIVE D'ISLAMISATION DU SIAM DU 15 AOÛT AU 24 SEPTEMBRE 1686 ÉRADIQUÉE. L'AIDE MAJEURE D'UN NOBLE PROVENÇAL, LE CHEVALIER DE FORBIN ».

 

(2) Article ci-dessus, note 8.

 

(3) Revue de l’Orient - Bulletin de la société orientale, tome 7 de 1843 p. 252.

 

(4) Revue de l’Orient - Bulletin de la société orientale, tome 8 de 1845 p. 333.

 

(5) Ce François Leconte, officier de marine est l'auteur d'un seul ouvrage, Mémoires pittoresques d'un officier de marine, publié à Brest en 2 tomes.

 

(6) Christian Pelras « La conspiration des Makassar à Ayuthia en 1686 : ses dessous, son échec, son leader malchanceux - Témoignages européens et asiatiques » In : Archipel, volume 56, 1998.

 

(7) Christian Pelras « La première description de Célèbes-sud en français et la destinée remarquable de deux jeunes princes makassar dans la France de Louis XIV  - Destins croisés entre l'Insulinde et la France » In : Archipel, volume 54, 1997. Il nous indique que son article a été publié en juin 1982 dans une revue indonésienne sous le titre « Beberapa penjelasan mengenai dua anak bangsawan Makassar yang pernah ke Perancis pada abad ke  XVI » (Quelques explications sur deux nobles enfants Makassar venus en France au XVIe siècle).

 

(8) Voir le site des missions étrangères

https://archives.mepasie.org/fr/fiches-individuelles/gervaise

« Nicolas GERVAISE, né vers 1662 ou 1663 à Paris, était le fils du médecin de Fouquet, surintendant des finances. Lié de bonne heure avec Laurent de Brisacier et Louis Tiberge, (deux prêtres des Missions étrangères) il exprima le désir de se consacrer aux missions, et partit fort jeune encore pour le Siam, le 19 janvier 1681. Il étudia la théologie au Collège général et apprit en même temps la langue siamoise. Une de ses lettres, datée du 20 novembre 1684, demande l'envoi de son titre clérical pour être ordonné prêtre. Nous croyons cependant qu'il ne reçut pas le sacerdoce au Siam. En 1685, il quitta la Société des M.-E. et revint en France avec deux fils du roi de Macassar ».

 

(9) Description historique du royaume de Macaçar » dont la première édition fut publié en 1688.

 

(10) Pour Christian Pelras, il devait en réalité s'appeler Daéng Mangallé et il n'était probablement pas un frère mais un cousin du souverain.

 

(11) Alexandre de Rhodes « Divers voyages et missions du P. Alexandre de Rhodes en la Chine et autres royaumes de l'Orient, avec son retour en Europe par la Perse et l'Arménie.... 1653 » : Troisième partie, chapitre 8 «  Comment nous allâmes au royaume des Macassars et le séjour que nous y fîmes » et 9 « Du grand gouverneur du royaume de Macassar et des discours que j’eus avec lui ».

 

(12) Le Grand Dictionnaire historique, ou Le mélange curieux de l'histoire sacrée et profane de Louis Moreri fut le premier grand dictionnaire français des noms propres. La dernière édition de 1759 de 10 volumes est celle que nous utilisons ; Tome 5 (V° Gervaise) et 7 de la même édition (V° Macaçar).

 

 

 

(13) Nouvelle biographie générale depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours de Hoeffer : Les 46 volumes ont été écrits entre 1852 et 1866 sous la direction de Jean-Chrétien-Ferdinand Hœfer, et édités par Ambroise Firmin-Didot. C’est un « incontournable ».

 

 

 

(14) Père Guy Tachard « Second voyage du P. Tachard et des Jésuites envoyés par le Roi au Royaume

de Siam », Paris, 1689, p. 124 s.

 

(15) Lettre du 26 novembre 1686 de Phaulkon à François Martin, Directeur Général de la Compagnie des Indes à Pondichéry, Archives Nationales, Cl 23, 114 à 115.31. Archives des Missions-Étrangères, Séminaires, 10, 1686/87, p. 516.

 

(16) François Martin «  Mémoires de François Martin, fondateur de Pondichéry » publiés par A. Martineau ; avec une introduction de Henri Froidevaux ; imprimé avec le concours du gouvernement de l'Inde française. 1931-1934.

 

(17) C’est la version de l’ « Histoire abrégée de l’Europe pour le mois de juillet 1687 ». La revue n’était pas française comme le Mercure galant mais hollandaise.

 

(18) Mercure galant, livraison d’octobre 1687. Le Mercure galant est l’ancêtre du Mercure de France.

 

(19) Mercure galant, livraison de mars 1688.

 

(20) Claude de Forbin, « Voyage du Comte à Siam, suivi de quelques détails extraits des Mémoires de l'abbé de Choisy (1665-1688) », Paris, 1853, p. 100.

 

(21) « Intermédiaire des chercheurs et des curieux », 1927, 716.

Cette huile fut un cosmétique célèbre tout au long du 19e et le début du 20e siècle, censé être celui qu’utilisaient les femmes macassar pour embellir leur chevelure. Elle était tirée d’un fruit exotique, le kosum (Schleichera trijuga).

 

Eextrait du bulletin économique de l'Indochine de janvier 1922 :

 

 

Elle semble revenir à la mode.

 

 

L’annexion de la Hollande par Napoléon pour punir son frère Louis qui en était le roi fit brièvement des possessions hollandaises en Indonésie des colonies françaises. L’occupation française fut effective jusqu’en 1811. C’est évidemment de là que vint le nom au parfum exotique de cette huile. Voir Joël. Eymeret « L'administration napoléonienne en Indonésie » In: Revue française d'histoire d'outre-mer, tome 60, n.218, 1er trimestre 1973, pp. 27-44. Le vers est de Byron « Rien ne pouvait sur la terre te surpasser en vertus excepté ton huile, ô Macassar »

 

Il ne semble pas que la  présence coloniale française en Insulinde y  ait laissé un bon souvenir ?

 

 

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