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Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.

A 255. POH-DENG, « ROMAN SIAMOIS » DE PAUL-LOUIS RIVIÈRE, MAGISTRAT ET POÈTE

 

 

Nous avons rencontré Paul-Louis Rivière à l’occasion de notre article sur le sacre du roi Rama VI aux cérémonies desquelles il avait assisté et qu’il décrivit dans un très bel article du « Figaro littéraire » (1).

 

 

Ce très éminent juriste vécut deux ans au Siam comme membre de la Commission royale de législation siamoise et conseiller légiste du gouvernement siamois. Il tomba incontestablement sous le charme du pays qu’il connut à la fin du règne du Roi Rama V et aux débuts de celui de son successeur.

Il a écrit sur le Siam, prononcé de nombreuses conférences (2) et ramènera un roman publié en 1913 sous le titre « Poh Deng – Scènes de la vie siamoise (3)

 

 

... et ensuite en 1919 à son retour du front sous un autre titre « Poh Deng – Roman siamois » (4). Il va profiter de l’histoire des amours contrariées du jeune Poh Deng et de la petite danseuse Mé Ping pour nous donner sans longueurs quelques aperçus du Siam qu’il a connu, dans de remarquables descriptions qui restent décentes, une peinture de mœurs dans un style élégant, au travers de l’histoire d’une vocation religieuse par désespoir d’amour …

 

 

POH DENG

 

Le petit garçon Poh-Deng (« père rouge ») est né de Mè Choup (« mère baiser »), l’année du singe. Sa naissance est alors marquée par deux superstitions siamoises :

 

Il est accueilli par cinq fois le cri de gecko (tok-ké) ce qui est un signe faste

 

 

mais suivi d’un signe néfaste, l’envol d’un geai bleu de la gauche de la maison.

 

 

Les cérémonies rituelles sont naturellement accomplies : l’enfant est placé dans sa corbeille autour de laquelle on dispose des  bâtonnets reliés entre eux par un réseau de fil blanc qui écarte les mauvais esprits, les phi. « Les choses se passent ainsi en pays thaï », cela a-t-il changé au XXIème siècle ? (5)

 

Poh Deng  reçoit  comme tous les enfants un sobriquet,  celui de « nou » (petite souris). Il est « louk chin » puisque son père Fouk Long est chinois. Il tient un magasin « mont de piété », revend avec des bénéfices de 500 % et ne prête jamais à plus de 30 % l’an. Notre auteur est moins vindicatif à l’égard de cet usurier chinois qu’il ne l’était dans son article du Figaro (1) : Le Chinois, ce « métèque » qui « s’est abattu sur ce pays, comme il l’a fait sur tout l’Extrême-Orient, pour y monopoliser les branches les plus variées  de l’activité commerciale ».

 

 

Mais pour le malheur de notre gamin, son père « avait trop aimé le bambou ». Nous allons apprendre les hallucinants  méfaits de l’opium : « Chaque soir il de rend dans la fumerie d’opium de Chin Yong Li Seng.. il s’étendait sur le lit en bois laqué recouvert d’une latte fine et là il éprouvait les bienfaits de la drogue brune et odorante qui est l’âme solidifiée des pavots du Yunnan…

 

 

Mais il eut le tort de ne pas suivre les préceptes de Kong Fou Tsé (Confucius) qui prescrit en tout la modération. Il passe de quelques pipes par jour à une vingtaine puis au double puis au triple « tant et si bien qu’il ne savait plus le chiffre des boulettes malaxées dans la soirée. Il advint qu’à la longue Fouk Long semblable jadis par son visage réjoui, par son triple menton, par son ventre épanoui  à une statue de Pou-Taï, le dieu de la sensualité...

 

 

...  devint conforme à l’effigie du mendiant Tié Kouaï dont il est facile de dénombrer les côtes ». Il rejoint alors ses ancêtres et ses cendres retournèrent en Chine. S’il existe encore – parait-il – quelques rares et très confidentielles fumeries d’opium à Bangkok, le pavot a depuis été remplacé par d’autres drogues qui ne valent pas mieux.

 

 

Devenue veuve Mè Choup alla s’installer sur la rive droite du fleuve qui n’avait alors rien de commun avec la cité royale des Chakri. La rive droite de la Chao Phraya, « c’était une forêt dont les voies de communication sont les innombrables klongs quo sinuent, zigzaguent, tournent court, repartent dans une direction nouvelle parmi les arbustes et les herbes folles ». Ils y vivent dans une baraque sur pilotis coiffée d’un toit de chaume en palmes de latanier.

 

 

Naturellement, la petite maison des Phi jouxte la modeste habitation principale. Ne revenons pas sur un sujet que nous avons traité (5).

 

 

La présence de ces maisonnettes reste une constante encore de nos jours. Le gamin vit là insouciant entre sa mère, son grand-père Naï-Leut et l’aïeule Mè Kao. Mé Choup a la triste habitude de mâcher le bétel, en réalité  la noix d’arec enrobée d’une feuille de bétel recouverte d’une pellicule de chaux. Ceci explique la présence d’un crachoir parmi les rares éléments du mobilier de la maisonnette. Nous considérons aujourd’hui cette pratique comme répugnante, elle est en tous cas beaucoup moins nocive que l’abus d’opium ! Les mâcheurs de bétel sont, à ce jour, rarissimes, même en Isan mais les denrées nécessaires à cette habitude se trouvent en tous cas sur tous nos marchés.

 

 

Tous les matins, Mè Choup fait ses ablutions dans le klong qui sert également d’égout et de latrines. « L’eau tombe sur ses épaules, coule sur sa poitrine et trempe son pa-noung qu’elle a gardé comme faire se doit. Il n’est homme ou femme qui manquerait à cette habitude car la pudeur au Siam est chose foncière et ne consiste pas comme en d’autres pays à évoquer la nudité par les artifices du voile ». « C’est dans le klong aussi que Poh-Deng a appris à nager. C’est maintenant une véritable grenouille qui, plus que la terre ferme vit sur l’eau et même sous l’eau ».

 

 

C’est la grand-mère qui est chargée de la confection du kapi :  « Poh Deng s’extasie à la voir broyer dans un mortier les crevettes qu’une longue exposition à l’air a rendues à point, les malaxer, les incorporer à une saumure épaisse pour en obtenir une pâte visqueuse et verdâtre dont les émanations combattent victorieusement celles de la vase et des détritus jetés dans le klong. Le pla-kapi est l’une des friandises de la population siamoise ».

 

 

C’est le grand père qui va apprendre à Poh Deng les vieilles coutumes : « De mon temps, vois-tu, lorsque le peuple thaï avait deux rois, les gens étaient meilleurs. Ce sont les Chinois – je ne dis pas ça pour feu ton père – et les kek  (6) qui, en envahissant notre pays y ont porté des mœurs déshonnêtes, inconnues de nos ancêtres. Les coutumes d’alors étaient aussi préférables. Par exemple lorsque deux plaideurs s’adressaient à la justice, sais-tu ce que faisait le Juge ? Il commençait par les envoyer tous les deux en prison et par les y oublier quelques mois. Voilà qui était fait pour modérer l’esprit de chicane. Sans doute n’oserait-on plus aujourd’hui comme jadis se saisir des quatre personnes venant à passer devant un mur d’enceinte nouvellement construit et les brûler vives sous la poterne pour se concilier les Génies de la cité. Non, cela on n’oserait pas par mansuétude. Mais qui dit pitié dit faiblesse aussi la pitié est donc un sentiment fâcheux ».

 

 

L’éducation de Poh Deng n’est pas négligée. Il étudie au temple. « Là sous un sala, un simple toit supporté par des colonnes de bois, les bonzes inculquaient à leur auditoire les rudiments des connaissances profanes et les initiaient aux préceptes du maître.

 

 

La leçon finie, les écoliers se délaissaient dans les cours du wat au jeu du takro ». Il en est toujours ainsi !

 

 

MÈ PING

 

Sa famille originaire du Laos vit dans une maison flottante de la rive droite également. Les deux enfants se sont connus à l’occasion d’une joute de cerfs-volants lors des fêtes du nouvel an : « … Donc Poh Deng lançait son cerf-volant et cherchait comme d’habitude à capturer celui d’un adversaire. La manœuvre consiste à faire planer l’appareil au-dessus de l’ennemi puis fondre sur celui-ci comme un faucon sur sa proie ». Il triomphe de celui d’une petite fille et de ce jour ils deviennent amis.

 

 

Ils fréquentent ensemble les combats de coqs : « Mè Ping, la douceur même, Mè Ping qui n’aurait pas fait de mal au plus petit lézard margouillat, était ravie lorsque les combattants hérissaient leur plumage, se dressaient sur leurs ergots, se jetaient l’un sur l’autre au milieu des encouragements ou des huées des spectateurs… »

 

 

Mè Ping est orpheline. Toute jeune, elle a été recueillie par Naï Tien son oncle maternel dont elle est devenue le douzième enfant. Il est riche, propriétaire de plus de 100 raïs de rizières dans les environs de Bangkok. « Ces sortes d’adoption se voient fréquemment au Siam où la famille nombreuse n’entraîne pas la gêne. Dans un pays où la vie est simple, où les besoins rares ont des contentements faciles, que représente un enfant de plus pour qui le gite, l’habille et le nourrit ! Une natte, un pa-noung, un peu de riz et c’est tout. Chez les peuples heureux, donner ce n’est pas se priver ». Ce sens aigu de la cellule familiale beaucoup plus large que dans le sens que nous lui donnons, est toujours omni présent au moins dans la Thaïlande profonde.

 

 

Les deux enfants sont devenus adolescents et grandissent ensemble mais va arriver la saison des malheurs.

 

« Le proverbe dit vrai, le bonheur vient par gouttes et le malheur par flots ». Notre auteur est friand de ces proverbes thaïs qui perdurent encore et dont il use souvent : Naï Tient fut victime de trois années de récoltes catastrophiques. « Ce malheur n’avait pas été une surprise pour ceux qui croyaient aux présages ». Ceux de la cérémonie du Rek Na, le labour royal (remise en vigueur par feu SM le roi Rama IX et reprises par son successeur) avaient été désastreux (7).

 

 

Naï Tient est ruiné. Il doit vendre tous ses biens pour payer ses créanciers. Et voilà l’esclavage pour dettes : « En fin de quoi n’ayant plus rien à vendre, il se vendit lui-même, c’est-à-dire qu’en échange d’une somme d’argent qui lui fut prêtée par un riche personnage, il devint son esclave, devant payer par son travail les intérêts de la somme empruntée. Tout seigneur de quelque importance se compose ainsi une sorte de clientèle par laquelle notamment sont tenus les emplois innombrables que comporte sa maison : car le serviteur qui présente le miroir au maître n’est pas le même qui lui offre la cigarette et celui qui l’évente pendant le repas croirait déroger en lui versant le thé dans la tasse minuscule et toujours remplie. Certains de ces serviteurs deviennent des commensaux et font presque partie de la famille ». L’esclavage, une institution qui suscitait l’indignation vertueuse de bien des visiteurs du XIXème siècle, tous de grands bourgeois oubliant ce que disait Monseigneur Pallegoix qui écrivait au seuil du second empire que les esclaves au Siam étaient mieux traités que les domestiques des maisons bourgeoises de son pays.

 

« Autour du maître, une nuée de serviteurs, d’officieux, d’esclaves pour dettes – le sort de ces derniers n’a rien d’effrayant- vaquent aux innombrables emplois de la maison et composent sa clientèle » écrivait Rivière dans le Figaro de 1911 (1).

 

 

Mè ping va avoir la même chance : Elle va être attachée à la personne de l’épouse principale du grand maître des écuries royales qui lui est propriétaire de 1.000 raïs et préposée à la garde de ses joyaux puisque le rang de son époux l’autorisait à posséder un service en vermeil.  Ses fonctions ne sont pas celles d’une boniche du Faubourg Saint-Germain : « Le rôle de Mè Ping était de présenter les ustensiles rituels à sa maitresse et, lorsque celle-ci sortait, de porter gravement le plateau sur la paume des deux mains … »

 

« Les rapports des grands et des petits » conclut Rivière « pour être assujettis à une étiquette immuable, ne comportent ni orgueil ni bassesse. Ils n’excluent ni la dignité ni même la familiarité. Au reste, le mot Thaï veut dire libre. »

 

 

Mais c’en est fini des rapports de douce amitié entre Poh Daeng et Mè Ping. Celle-ci est désormais pénétrée de son importance. Son maître possédait une troupe théâtrale « pour offrir à ses amis de la Cour des lakhon auxquels le roi ne dédaignait pas d’assister ». Le maître résolut donc de faire éduquer Mè Ping dont il avait remarqué la grâce dans le corps des ballerines. Ainsi elle dansa devant des membres de la famille royale, l’un des fils du roi et les plus hauts dignitaires de la Cour, spectacle auquel le malheureux Poh Deng doit assister perdu au fond de la salle.

 

 

BANGKOK

 

Poh Deng retourne sur la rive gauche pour assister à diverses cérémonie et processions rituelles et  royales que Rivière décrit longuement avec talent et un pittoresque coloré. « La liberté pour le peuple de regarder le cortège est une de ces concessions aux idées modernes, déplorées par Naï Leut : Jadis, quand les choses étaient entières, nul n’avait le droit de rester aux alentours de la processions ». Il n’y voit pas Mè Ping dans la barge de sa maitresse. Qu’est-elle devenue ? Nul ne peut ou ne veut le lui dire. A force d’insistance, les employés du seigneur le mettent dehors. Proverbe sage : « Si quelque épine t’a piqué, sers- toi d’une autre épine pour l’enlever » lui dit son grand père, voix de la sagesse : Il souhaite l’enlever mais elle est désormais d’un rang supérieur au sien.  Son grand père lui rappelle les vieilles coutumes : « Il est écrit dans la Loi : si une fille appartenant à un homme de rang supérieur se laissé séduire par un homme de classe moindre, elle est une mauvaise fille. Elle et son ravisseur seront punis des peines qui atteignent le voleur ». Poh Deng déserte alors totalement la rive droite mais il est fort gueux et il lui est difficile de s’installer sur la rive gauche. « Entreprendre quoique ce soit sans argent, c’est vouloir lever une poutre avec une esquille » lui dirait la voix de la sagesse ! Or, dans le quartier chinois, les monts-de-piété sont omniprésents, peut-être le sont-ils encore. « Comme les poissons-pilote signalent la présence du requin, les monts-de-piété annoncent la voisinage des salles de jeu ». Nous allons donc retrouver notre amoureux transi dans une maison de jeu. La description qu’en fait Rivière est sordide. Poh Deng en ressort vêtu de son seul caleçon : « le génie du hasard ne lui a pas plus souri que le génie de l’amour ».

 

 

Il se retrouve alors avec un jeune chinois sorti comme lui presque nu du tripot. Celui-ci le conduit alors dans un temple bouddhiste chinois pour y étudier les bâtonnets magiques pour y connaître le résultat de l’une de ces loteries gérée par des Chinois, aujourd’hui toujours présentes de façon clandestine en dehors de la loterie officielle.

 

 

Un gain modeste lui permet alors de survivre et d’apprendre que Mè Ping, de par sa grâce et sa beauté, vient d’être engagée dans le corps des ballerines royales. Tout est fini. « La personne de Mè Ping est devenue intangible et toute tentative à son égard deviendrait sacrilège ».

 

 

La blessure de Poh Deng semble inguérissable. Son grand-père a de la famille à Phetchaburi où l’un de ses demi-frères y porte la robe safran comme abbé d’un temple. L’abbé « est éminent par son expérience, sa science et sa vertu. On accourt de loin pour prendre ses conseils dont la sagesse permet de croire à la venue sur terre du nouveau Bouddha. Voilà le médecin auquel il faut conduire le malade ».

 

 

PHETCHABURI

 

Poh Deng n’a pas de volonté, il se laisse conduire de guerre lasse. « Ils prennent place dans la voiture de feu qui en quelques heures porte plusieurs centaines de personnes au but ». Voilà l’occasion pour Rivière de nous décrire longuement le trajet en chemin de fer et la ville de Phetchaburi, il y a aujourd’hui plus d’un siècle : « Un village avenant il est vrai, assis dans un site riant au coude d’une rivière ombragée d’un massif de bambou mais dont l’unique rue était bordée de huttes basses… ».

 

 

L’abbé lui dit « tu n’es qu’un enfant ignare et stupide. Veux-tu savoir ce que tu as perdu et connaître ce que tu peux trouver ? Ecoute. ». L’abbé lui raconte alors la vie de Bouddha sur laquelle Rivière va s’étendre longuement. Jusque-là Poh Deng n’avait guère hanté les temples !

 

 

WAT PHO

 

L’abbé venant d’être nommé chef des bonzes de Wat Pho, il va s’y rendre accompagné de son jeune disciple. Rivière en fait, on s’en serait douté, une description enthousiaste. Poh Deng y prend la robe jaune au terme de ces rites multi séculaire dont nous aurons évidemment la description détaillée « Poh Deng a dépouillé les vêtements de son ancienne existence pour revêtir le costume de sa vie nouvelle ».

 

 

Poh Deng n’est plus, il est désormais Phra Narit, simple moine de Wat Pho. L’abbé lui avait dit « En consentant à oublier, tu as libéré ton esprit, captif jusque-là. Par la reprise de toi-même, tu t’es ouvert le chemin qui mène aux biens stables et définitifs. C’est folie que de chercher sa raison de vivre dans un monde où tout n’est que changement, tristesse et illusion ».

 

Lors de la cérémonie d’intronisation, Poh Deng reçut les présents des assistants. « Au milieu des présents, un bouquet de fleurs rouges a passé inaperçu. Perdue dans la foule, une femme s’est esquivée après s’être tenu dans le coin le plus obscur du sanctuaire ».

 

 

La lecture de ce roman nous a intrigués. L’auteur, né en 1873 est un très docte et très érudit juriste : docteur en droit - nous ignorons malheureusement quel fut le sujet de sa thèse de doctorat - son premier ouvrage juridique suivi par beaucoup d’autres date de 1897 alors qu’il est encore jeune avocat à la Cour d’appel de Paris, « Protection internationale des œuvres littéraires et Artistiques, étude de législation comparée ». Plus tard, devenu Magistrat puis Président de la Cour d’appel de Caen ses publication juridiques sont ininterrompues notamment dans diverses revues juridiques spécialisées autant que confidentielles comme la « Revue Internationale de droit privé », jusqu’en 1946 une énorme étude en plusieurs volumes sur la législation marocaine. Sa présence au Siam pendant deux ans suscite plusieurs articles sur le Siam, nous connaissons celui du Figaro Littéraire, qui dénote une connaissance approfondie du pays où il a vécu.

 

La publication de ce roman, en 1913 d’abord sous le sous-titre mieux choisi de « scènes de la vie siamoise » puis en 1919 ne fut suivie d’aucune autre. Seule l’édition de 1919 que nous avons sous les yeux a été numérisée par … l’Université du Michigan.  Une réimpression de janvier 2018 a été effectuée… par un éditeur américain (8). Il a pratiquement été ignoré des revues littéraires de l’époque y compris le Figaro littéraire avec lequel il avait pourtant collaboré.  Il fut probablement considéré comme une bluette sans importance ? La « Revue bleue – revue politique et littéraire » lui consacre dans son numéro de 1921 quelques lignes qui ne sont guère significatives (9). Le quotidien « L’intransigeant » du 10 mars 1920 est plus précis «  L’auteur connait bien le Siam… Un peu d’abondance aurait été la bienvenue. Monsieur P.L.Rivière. n’avait pour propos que de nous conter les amours contrariées du jeune Poh Deng avec la petite danseuse Mè Ping. Il les a très bien contées… mais on aurait voulu vivre dans l’intimité des moines… on aurait aussi voulu pénétrer dans l’âme des sages qui savent des choses profondes…. ». Certes mais c’était toutefois se méprendre sur les intentions de l’auteur pour lequel cette histoire d’amour n’était que le support à la description de « scènes de la vie siamoise » et non de faire un ouvrage exhaustif en 200 pages sur les mœurs siamoises. L’édition illustrée de 1913 (que nous n’avons pas) porte le titre qui nous semble mieux approprié de « scènes de la vie siamoise ». C’est dans « Les modes de la femme » du 11 février 1923 que nous trouvons le courrier d’une lectrice qui nous semble avoir mieux compris les intentions de l’auteur et sa poésie souvent troublante qui nous donne de belles visions du pays du sourire : « Je viens de lire un fort joli roman siamois, intitulé : Poh Deng. Je recommande sa lecture aux Abeilles qui, comme moi, aiment, ne pouvant mieux faire, voyager par la pensée en Orient.… ».

 

Ce n’est plus l’œuvre d’un probablement austère magistrat au sommet de la hiérarchie mais celle d’un poète… car ce magistrat a son jardin caché, il est tout à la fois poète et peintre. « Peintre et aquarelliste de talent, M. Louis Rivière a pu, au cours de ses déplacements, fixer les sites les plus intéressants des régions parcourues. Ses compositions picturales ont été remarquées au Palais-Salon, où se produisent de nombreux avocats et magistrats; et l'une de ses toiles a été acquise par l'Etat. Je dois ajouter, et notre distingué Président, qu'une affection saisonnière empêche aujourd'hui, eût été certes mieux qualifié pour le dire, j'ajoute, et cela ira tout de même au cœur des Toulousains, que M. Louis Rivière est un fervent de Clémence Isaure. Il a publié un volume de vers et il est lauréat de l'Académie des Jeux-Floraux » (10).

 

 

 

Nous n’avons malheureusement pu découvrir aucune de ses aquarelles et aucun de ses vers. Le style de son « roman » est aux antipodes de celui des juristes, de celui de ses articles juridiques et de ses décisions judiciaires qui obéissent depuis des siècles à de rigoureuses règles de forme dont toute fantaisie, toute poésie est exclue.  Il est ce que les spécialistes de la stylistique appellent une hypotypose, un texte où l'écrit remplace l'image et rend le tableau si vivant que le lecteur a l’impression de l’avoir sous les yeux. Nous n’en avons bien évidemment cité qu’une petite partie, celles dont les « images » nous ont paru les plus significatives.

 

 

… Car il existe ainsi, chez la plupart des hommes

Un poète, mort jeune, en qui l'homme survit.

 

 

(1) Voir notre article 161 « Autour du sacre du Roi Rama VI en 1911 » : http://www.alainbernardenthailande.com/article-160-autour-du-sacre-du-roi-rama-vi-en-1911-124944766.html.

 

(2) Il donne le 17 février 1913 une conférence à la Société de géographie de Toulouse : « DEUX ANNÉES AU SIAM : Le Siam historique, économique, archéologique et pittoresque » (« Bulletin » de 1913). Il redonne cette conférence le 13 mars 1913 à la Société de topographie de France (Bulletin de 1913) et une autre à la Société de Géographie (Journal officiel du 21 février 1913). « Il parle avec le charme, la pureté de diction, la véritable maîtrise qui caractérisent l'avocat conseil de l'Union des femmes de France » (qui se fondra plus tard dans la Croix rouge française). Il est l’auteur de deux ouvrages : « Etudes siamoises » en 1932 et  « Siam » en 1935. Un article historique  « Siam d’autrefois et Siam d’aujourd’hui » a été publié dans la « Revue historique » Tome CLXIV, année 1930. Il s’est également intéressé à l’art siamois : «  L'Art au Siam  a été publié dans « La Dépêche Coloniale Illustrée » du 15 novembre 1913 - Treizième année No 21.

 

(3) Nous n’avons pas pu consulter cette première édition richement  illustrée par H. de la Nezière et tirée à 350 exemplaires : Nous n’en avons que l’exemple de quelques illustrations ci-desus et de l’illustration d’un proverbe siamois tirées du catalogue d’une vente aux enchères : « La femme et l'homme sont comme le safran et la chaux: si vous les mettez en présence, comment empêcher le safran de colorer la chaux ? ».

 

 

(4) En sus de ses compétences encyclopédiques, il participa courageusement à la grande guerre comme capitaine au 55ème régiment d’infanterie. Il reçut la croix de chevalier de la légion d’honneur le 30 août 1916 : « Officier distingué, remarquable par son entrain, son esprit d’initiative et son dévouement, a été blessé très grièvement le 15 juillet 1916, alors qu'il surveillait en première ligne les travaux d'installation d'une section de mitrailleuses. Déjà deux fois cité à l’ordre. Croix de guerre avec palmes » voir « Historique du 55ème régiment d’Infanterie territoriale 1914-1918 » 1920. Nous le retrouverons ensuite commandant dans la 6ème brigade de chasseurs alpins ce qui nous permet de donner le seul portrait que nous avons de lui reproduit ci-dessous (« Revue Hebdomadaire » du 4 octobre 1919).

 

 

Il en a ramené « Pages de combat – carnet d’un mitrailleur » publié en 1916 et beaucoup plus tard. « Ce que nul n'a le droit d'ignorer de la guerre 1914-1918 » publié en 1921. « L’après-guerre » date de 1932. « L'Autre guerre » fut publié ans la « Revue de Paris » du 15 janvier 1936 (pages 300-337) où il décrit un aspect bien oublié de la grande guerre, celle menée par l'espionnage allemand dans le monde entier, et plus spécialement en Espagne, de 1914 à 1918. Il débute son article par cette boutade attribuée à Byron, que nous pourrions faire notre « l’histoire, cette grande menteuse ». Il est la synthèse de son ouvrage « Un centre de guerre secrète, Madrid, 1914-1918,: la guerre politique, l'œuvre de propagande, l'entreprise d'espionnage, l'offensive économique, le service secret » préfacé par le général Weygand publié la même année.

 

(5)  Voir notre article A 151 « En Thaïlande, nous visons au milieu des Phi »

http://www.alainbernardenthailande.com/article-a150-nous-vivons-au-milieu-des-phi-en-thailande-123529919.html

 

(6) Les khaeks sont les étrangers non farangs (occidentaux), indiens, pakistanais, musulmans, etc…

 

(7) Voir notre article  INSOLITE 7 – « LA CÉRÉMONIE DU LABOUR ROYAL EN THAÏLANDE, HIER ET AUJOURD’HUI »?

http://www.alainbernardenthailande.com/2016/11/insolite-7-la-ceremonie-du-labour-royal-en-thailande-hier-et-aujourd-hui.html

 

(8) La raison en est peut-être simple : Rivière est mort en 1959 et ses œuvres sont protégées selon la législation française jusque 70 ans après sa mort, une contrainte qui n’existe pas aux Etats-Unis.

 

(9) « Le roman siamois de M. P. -Louis Rivière, Poh Deng-, n'est pas moins triste que les romans annamites de M. Jean d'Esme et de M. Jean Marquet. L'auteur pourtant nous assure que, durant ses deux années de Siam, il eut pour la première fois de sa vie « l'impression qu'il existait un peuple heureux » ; et toute son ambition d'auteur dans les deux cents pages de son livre est de faire partager à ceux qui les liront sa sympathie « pour une race demeurée jusqu'à ce jour sans agitation ... »

 

(10) Discours du Commandant Litre lors de la réunion de la Société de géographie de Toulouse du 17 février 1913 in Bulletin de 1913.

 

 

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