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Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.

H 18 – 12 JANVIER 1905 : LA FIN DE L’OCCUPATION FRANÇAISE À CHANTHABURI

H 18 – 12 JANVIER 1905 : LA FIN DE L’OCCUPATION FRANÇAISE  À CHANTHABURI

Notre précédent article sur l’occupation française de Chanthaburi (1) se terminait sur un « à suivre ». C’est en effet la vision siamoise de cette occupation qui nous a intéressés notamment sur les « incidents mineurs » auxquels nos sources françaises faisaient brièvement allusion. Nous avons eu le privilège d’avoir accès à une source exceptionnelle, la thèse monumentale de notre ami Rippawat Chiraphong (2) sur un sujet qui à ce jour n’avait fait l’objet d’aucune étude approfondie, en 600 pages  « La question de l’extraterritorialité et ses conséquences juridiques successives concernant les protégés français au Siam, dans le cadre des relations franco-siamoises de 1893 à 1907 » (3).

H 18 – 12 JANVIER 1905 : LA FIN DE L’OCCUPATION FRANÇAISE  À CHANTHABURI

La question déborde bien évidemment notre sujet de ce jour qui se limite à la vision siamoise des quelques années d’occupation de Chanthaburi par les troupes françaises et ses suites mais le texte de la thèse est significatif d’une ambiance, il faut bien le dire, nauséabonde dans les rapports franco-siamois. Nous avons utilisé d’abondance les documents compulsés qu’il nous a fort obligeamment communiqués et traduits. Beaucoup sinon tous n’avaient pas à ce jour été exploités. Ce sont des articles de presse et des documents d’archives qui vont nous montrer que – à Chanthaburi comme partout dans le pays – la question des « protégés » devint l’instrument d’une politique impérialiste dont l’application sur le terrain fait l’objet de l’essentiel de sa thèse.

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Soulignons qu’il s’est heurté à de grandes difficultés tant au niveau de la consultation de la presse (4) relatant nombre de ces « incidents mineurs » que dans ses recherches d’archives (5). Ce travail à ce jour inédit n’en est donc que plus précieux. Les autres sources que nous avons utilisées sont citées en notes.

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Ces incidents vont être liés pour l’essentiel à deux paramètres, l’un national, la présence des protégés français et l’autre, local, celle d’une très importante colonie de réfugiés vietnamiens catholiques à Chanthaburi.

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LES PROTÉGÉS

 

Nous avons parlé d’abondance du statut des protégés français qui bénéficiaient d’un statut privilégié par rapport aux sujets siamois, en dehors du système fiscal, du système des corvées et de celui des obligations militaires. Nombre de Français du parti colonial voulurent, en étendant ce statut non plus aux seuls nationaux mais encore à tous les sujets dépendant de nos colonies ou protectorats, essentiellement ici les Indochinois, les Laotiens, les Indous de nos comptoirs, pour conquérir en quelque sorte le Siam de l’intérieur.

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Au prétexte que leur pays n’entretenait pas de relations diplomatiques avec le Siam, les Français accaparèrent aussi les Chinois, maîtres du commerce. La Presse anglaise qualifiait les Consulats français d’ « usine à délivrer des certificats de complaisance » et il est probable sinon certain que les Chinois avec des complicités possibles au sein de nos consulats vendaient purement et simplement des certificats de protection en blanc. Par ailleurs, la presse siamoise s’en fait souvent l’écho des deux sociétés secrètes chinoises, Ang-Yi et Kong-Si présentes dans tout le pays, en guerre entre elles mais qui sur ce sujet, favorisaient l’inscription de leurs congénères en les récompensant d’une somme de quelques ticals (baths).

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Quelques chiffres sont significatifs, nous n’avons malheureusement pas de chiffres antérieurs, extraits du Bangkok Siam directory de 1914 :

En septembre 1913, il y avait au Siam 240 citoyens français, 146 hommes, dont un tiers de missionnaires, 63 femmes dont une douzaine de religieuses et 31 enfants. Il y avait « environ » 15.000 protégés,  nous ne connaissons le détail que de ceux de Bangkok, 724 Chinois, 396 Annamites, 2.460 Laotiens, 1.466 Cambodgiens, 44 Indiens et 99 « autres » soit un total sur Bangkok de 5.180 protégés. Les 10.000 qui manquent proviennent des autres circonscriptions consulaires, à l’époque Changmaï, Ubon, Khorat et Chantaboun, pour cette dernière il est permis de penser qu’elle y a contribué pour une bonne partie. « Environ » signifie tout simplement que les autorités françaises se sont toujours refusées à  effectuer, malgré les demandes réitérées du Prince Damrong, une étude contradictoire, sauf sur Bangkok, des dossiers des protégés. Si l’on écarte les Chinois, la population de nos territoires coloniaux d’Asie ne devait guère à l’époque regrouper plus de 20 millions d’habitants. En comparaison, et la comparaison est criante, les sujets britanniques sont 17, il y a 500 protégés à Bangkok, 42 au consulat de Sengora (aujourd’hui Songkhla), 61 à Phuket, 424 à Chiangmaï, 1.124 à Lampang et 1.303 à Nan et sur l’ensemble quelques dizaines de Chinois seulement. Ces 3.500 protégés sont issues des Colonies britanniques, des Indes, de la Malaisie et de la Birmanie qui étaient alors peuplées de probablement 2 ou 300 millions d’habitants (6).

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LES ANNAMITES

 

Nous avons vu (1) que la population de la ville occupée par les Français, sans que nous bénéficions de statistiques précises, était probablement d’environ 10.000 habitants (7) Elle aurait été de 6.000 habitants à l’époque de l’ambassade de Montigny, dont un cinquième d’Annamites catholiques (i.e. 1.200). Pour Pavie, ils étaient 4.000 dont la moitié de chrétiens, 1.000 Chinois tenaient le commerce ; il ne donne pas les chiffre des Siamois. Dans son « dictionnaire des dictionnaires » de 1895, Paul Guérin donne une population de 6.000 habitants. Cette communauté catholique est menée par un pasteur  hors du commun, le R.P. Marie-Joseph Cuaz. A 24 ans il en est nommé curé, assisté d’un vicaire indigène, le père Joseph. Il le restera jusqu’à ce qu’il reçoive en 1899 à Bangkok sa mitre d’évêque d’Hermopolis au cours d’une cérémonie grandiose à laquelle assistèrent toutes les autorités civiles, militaires et diplomatiques du pays (8). Bénéficiant d’un incontestable charisme, il a étendu son influence religieuse auprès d’une partie des Chinois et jouit d’une « autorité sur laquelle il faut compter » écrit une revue du « parti colonial » en 1895 (1 – note 10). Or, les prêtres français souhaitent étendre la « protection française » à toutes leurs ouailles. A Chanthaburi notamment, le pouvoir consulaire et celui des missionnaires se sont entraidés dans leur opposition aux autorités siamoises, ce qui assurait aussi aux missionnaires une liberté et une autorité supplémentaires pour diriger leurs fidèles.

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D’oú venaient ces Vietnamiens ?

Leur communauté est spécifique par rapport à celles de Bangkok ou des provinces du nord-est dont la plupart était les descendants de captifs emmenés par les Siamois et qui pour la plupart aussi étaient bouddhistes.

À Chanthaburi, c’étaient essentiellement les descendants de réfugiés catholiques fuyant les persécutions des empereurs vietnamiens, quelques centaines de famille alors. Ils sont connus par les archives missionnaires, mais les études universitaires font défaut. L’installation dans cette zone était consécutive à une importante communauté catholique existant déjà depuis le milieu de XVIIIe siècle. Ils ne se mélangeaient pas à la population du pays qui ne les appréciait pas outre mesure et étaient reconnaissables car ils conservaient leur langue et leur costume. À la suite des persécutions de Minh Mang (mort en 1841),

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et de celles de Tu Duc (mort en 1883)

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... ces Annamites chrétiens qui s’étaient établi à Chanthaburi de leur plein gré étaient devenus souvent riches, exploitaient des plantations de poivre, d’arec, de bétel, trafiquaient les pierres précieuses, étaient pécheurs ou constructeurs de barques. L’occupation française de Chanthaburi en 1893 a contribué à rendre leur situation plus avantageuse encore et à multiplier leurs inscriptions sur les listes consulaires des protégés. Ils n’étaient pas maltraités par les autorités siamoises, le Gouvernement royal, quelque nominale que soit son autorité sur eux, veillait avec grand soin à ne donner aucun prétexte aux missionnaires - qui étaient les véritables chefs de ces Annamites - de demander l’intervention française.

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UNE AMBIANCE DÉTESTABLE

 

Il est une évidence au premier chef dont la presse française ne se fit jamais l’écho, c’est la vague de francophobie qui se répandit en 1893 à la suite du traité conclu sous la menace des canons et qui fut perçu comme une humiliante capitulation. Il n’y a guère que les archives des Missions Étrangères qui en font mention, notamment dans la notice biographique consacrée à Monsieur Vey, alors vicaire apostolique du Siam, compte tenu du risque évident que ce sentiments d’hostilité se répercutent sur les missionnaires, pratiquement tous français et par voie de conséquence sur leurs ouailles.

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Le problème des protégés vietnamiens ne se posa qu’après la conquête de la Cochinchine par la France en 1862 et après l’établissement du protectorat français sur l’Annam en 1884.

Il y avait bien auparavant quelques milliers de Vietnamiens vivant au Siam, mais ils dépendaient directement du gouvernement royal et la France ne pouvait pas alors faire valoir son droit de protection sur eux. A partir de 1883, la situation changea et le Consul français Harmand, supplia Charles de Freycinet, Ministre des affaires étrangères « de faire stipuler de la manière la plus expresse que la protection des Annamites et de leurs tributaires, en dehors de leurs pays, nous appartiendra d’une façon exclusive ». Son successeur, le Comte de Kergaradec se fit encore plus pressant : « je pense que le moment où nous donnerons connaissance au gouvernement siamois du nouveau traité avec le Vietnam sera favorable pour revendiquer officiellement, d’une manière générale, la protection des Vietnamiens ». En 1885, il réclama officiellement auprès du gouvernement siamois la protection de tous les Vietnamiens résidant au Siam et évidemment rencontra une vive opposition de la part du gouvernement siamois. L’occupation de 1893 fit exploser le nombre des demandes, la France décidant de considérer comme protégés français tous les Vietnamiens et descendants de Vietnamiens résidant au Siam ce qui suscita des inscriptions en masse. Les incidents vont alors se multiplier.

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Le journal Siam Maitri signale le 10 novembre 1897 le cas - mais ce n’était pas à Chanthaburi - d’un Missionnaire ayant exigé la constitution dans sa cure d’un tribunal à caractère privé  chargé de juger les litiges survenus entre les vietnamiens habitant dans le ressort de sa paroisse… situation ahurissante puisque la France laïque et républicaine autorisait donc les consuls à déléguer leurs pouvoirs de juridiction aux missionnaires. Il ne semble pas que le sermon retentissant prononcé par Monseigneur Vey dans la cathédrale de l’Assomption à Bangkok le 10 mars 1896, jamais reproduit dans la presse française, demandant aux catholiques Vietnamiens et Cambodgiens de ne pas se faire inscrire à peine d’excommunication majeure ait été suivie du moindre effet – Vox clamans in deserto (9).

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Mais restons à Chanthaburi.

Il s’y trouvait – avons-nous dit - nombre de Vietnamiens réfugiés catholiques fuyant les persécutions des empereurs vietnamiens. En sus des Vietnamiens, il y avait aussi d’autres groupes ethniques, Khmers et Chinois, vivant en grande autonomie en conservant leur langue et leurs coutumes. Il était à prévoir que la France profite de cette situation pour leur donner le statut de protégés. Des Cambodgiens et aussi des Vietnamiens travaillaient dans des régiments de marine, réputés pour leur habileté dans l’art de la navigation sur mer ce que ne sont assurément pas les Siamois. Pour les autres, commerçants, artisans et pêcheurs, le service royal était considéré comme une punition. Tous cherchèrent alors des moyens pour l’éviter en devenant protégés français.

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Un militaire annamite des troupes françaises en discussion avec un prêtre catholique de Chanthaburi aurait déclaré en 1893 « si nous (militaire français) ne pouvions pas occuper le Siam, nous ne retournerions pourtant pas encore chez nous. Les habitants du Siam sont des imbéciles, nous pourrons accaparer ce pays n’importe quand, comme nous voulons ». Ces déclarations impressionnantes furent alors répercutées auprès des habitants qui se firent enregistrer en masse. Certains allèrent jusqu’à déclarer « si la France quittait le Siam, nous prendrions des médicaments pour nous suicider parce que si nous continuions à rester ici, les Siamois nous tyranniseraient encore beaucoup plus ». Lorsque ces mêmes avaient été avisés de l’arrivée des Français, ils avaient organisé une fête à l’église en déclarant que « à partir de maintenant, plus personne ne nous tyrannisera ». Ceci ne les empêcha pas un peu plus tard de se plaindre aux autorités siamoises de se sentir tyrannisés par les soldats français !

 

Les troupes françaises demandaient en effet en permanence au gouverneur local de lui fournir des travailleurs, par exemple pour effectuer la noble tâche de nettoyer les tinettes.

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Le roi Chulalongkorn se mit en colère en 1898 et déclara : « Je déteste perdre mon temps dans des histoires de rien du tout. Ils [les soldats français] nous prennent pour des animaux mais parce que nous nous sommes engagés dès le début, nous ne pouvons plus nous libérer de ce joug  … ».

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En ce qui concerne la situation judiciaire proprement dite, il avait été constitué à Chanthaburi une cour de Justice consulaire. Par ailleurs, lorsque des habitants se rendaient coupables d’infractions à la loi locale, les autorités siamoises les arrêtaient et engageaient le procès devant le Tribunal siamois. Les Français n’hésitaient alors pas à envoyer la troupe pour s’emparer des coupables et les ramener dans la caserne puisqu’ils invoquaient immédiatement la protection française. Le gouverneur local ne pouvait évidemment que s’incliner ne pouvant utiliser la force à son tour.

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Lorsque les Français abandonnèrent Chanthaburi, la France y créa en 1904 un vice-consulat dont le titulaire était Maurice Paya-Gernevet qui s’évertua à soumettre encore plus d’habitants à la protection française. Il n’a pas laissé la moindre trace dans l’histoire de la diplomatie française. Il fit intervenir – mais il ne fut pas le seul - une interprétation saugrenue du traité de 1856 en son article VI stipulant que : « Les Français pourront, dans le Royaume de Siam, choisir librement et prendre à leur service, comme interprètes, ouvriers, bateliers, domestiques, ou à tout autre titre, des Siamois non corvéables et libres de tout engagements antérieur ». Ce fut très simple, pour être protégé, il suffisait de se déclarer serviteur ou employé d’un protégé. Chaque protégé, aussi misérable fut-il, avait à son service une domesticité digne de la maison d’un Phraya de la famille royale. Nous savons toutefois par les révélations post-mortem du jeune diplomate Raphaël Réau que les Consulats recevaient de « petits cadeaux » - des Chinois en général - et percevaient un pourcentage – alors parfaitement légal - sur les émoluments payés par chaque protégé enregistré puisque la délivrance du certificat de protection était soumise à un « droit de chancellerie ». L’intérêt de la France, en multipliant les protégés, se cumulait à celui du Consul, en bon français, cela porte un nom  puisque l’agence consulaire touchait un pourcentage de 5 %  sur ces droits de chancellerie : « le parfum de la rose ». Comme nous le disions dans l’article que nous avons consacré à ce concussionnaire avant la lettre (10), pour connaître le rapport de ces 5 % au bénéfice des chancelleries, il nous faudrait pourvoir consulter les registres comptables des consulats qui se trouvent à Nantes mais dans quel état ? Ce qui nous est évidemment impossible. Quant au bénéfice des « petits cadeaux » qu’il recevait des Chinois, il en a emporté le secret dans sa tombe. Nous avons rappelé (10) que le grand Pavie, l’ « explorateur aux pieds nus » parti « à la conquête des cœurs » le fit avec un salaire de satrape !

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Le Consulat et la Cour de Justice existaient encore en 1914 mais le tout fut très vite laissé à l’abandon.

Signalons l’irritation compréhensible du Roi Rama V qui voyait lorsqu’il circulait dans les provinces de son pays, les quartiers des « protégés » arboraient systématiquement le drapeau français sur chaque demeure.

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Deux éléments nous semblent avoir quelque importance dans le cadre de ces relations placées à tout le moins sur le signe de la méfiance sinon du conflit.

Les militaires dès leur arrivée à Chanthaburi se sont attachés à renforcer les défenses du fort, ce que l’on peut comprendre et à « construire une prison pour les Siamois » ce qui frappe toujours les esprits des Thaïs d’aujourd’hui comme nous le disions dans notre article précédent. Là encore, ce n’était évidemment pas fait pour apaiser les esprits puisque la presse siamoise s’est empressée de le rapporter.

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Si cet établissement était géré comme tous les établissements pénitentiaires de France et des colonies, il dut être tenu un « registre des écrous » dont la consultation serait probablement intéressante mais il doit dormir dans quelques archives militaires ou coloniales ?

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Une prison mais pas d’hôpital : Le corps de troupe ne bénéficie d’ailleurs pas d’un véritable service hospitalier, il n’y a qu’un seul médecin dans ce que les militaires appellent une « infirmerie-ambulance » qui ne devait être guère qu’un modeste dispensaire. Les instructions militaires maintes fois rappelées sont précises (11) : les malades civils n’y sont admis que sur autorisation du commandant d’armes qui doit en rendre compte à l’autorité supérieure. Si ce dispensaire de Chantaboun a reçu des malades civils, il doit s’en trouver quelques traces dans les rapports à l’ « autorité supérieure ». Nous n’avons malheureusement rien trouvé à ce sujet (12).

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DES INCIDENTS, MAJEURS ET/OU MINEURS ?

 

L’occupation a duré de 1893 à 1905, environ 12 ans. Nous savons par notre Docteur en histoire que la presse de l’époque n’est disponible qu’à Singapour et pratiquement sur seulement les trois années 1895 – 1898 (4). Sur cette période, il a relevé 80 incidents concernant des protégés dont la presse siamoise se fit l’écho. L’occupation ayant duré 12 ans, une simple règle de trois nous laisse à penser ce qu’il en fut sur la durée de la présence de nos troupes. Mais nous allons évidemment rester à Chanthaburi. Quelques-uns de ces incidents sont significatifs :

 

Louis Fara, la bête noire :

 

Il y avait un protégé français nommé Louis Fara, l’un des rares sinon le seul non Chinois hokkien de la ville à faire le commerce, il vendait des spiritueux au centre de Chantaburi. C’est un khaek noir de Madagascar (13). Il est catholique et protégé français. Rien d’étonnant à ce qu’il soit catholique, l’île de Madagascar avait été christianisée depuis longtemps. Rien d’étonnant non à ce qu’il soit protégé puisque l’île est alors plus ou moins sous protectorat français. Comment ce noir a-t-il de son île lointaine atterri à Chanthaburi, nous ne le saurons jamais mais la présence d’un noir d’Afrique à cette époque au Siam est surprenante. La presse en fait, bien dans le style siamois, une description qui n’a rien de flatteur, elle vaut d’être citée : « Louis Fara a des traits physiques particuliers : il est tout noir (comme de l’encre ou de la terre à poterie) et il a les cheveux courts et crépus (comme brûlés par le feu). Il est affreux non seulement par son apparence physique mais aussi par son comportement. Il a un cœur de tigre. Après s’être installé à Chanthaburi, il vivait avec sa femme annamite catholique originaire de Chanthaburi appelée Nuan. Ils ont deux enfants : un garçon appelé Pone et une fille appelée Den.  Il est non seulement affreux mais méchant. Personne n’ose l’appeler par son nom, commenter la couleur de sa peau et pas même poser le regard sur lui. Il a frappé de nombreux Siamois pour avoir fait des commentaires du gente « ce Khaek est tout noir !  » ou « il est blanc comme du coton ! ». En un mot, il portait son âme sur son visage !

 

Les Siamois de cette époque n’avaient jamais vu de noirs. Malheureusement pour eux, ses réactions sont violentes, gifles, coups de canne ou coups de parapluie.

 

La presse relate nombre de ces incidents, nous n’en citons que quelques-uns en note (14).

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Ce Fara était très certainement un violent malfaisant mais la présence française ne fit que conforter son arrogance. Il y a toutefois, même chez les Bouddhistes une justice immanente. Nous savons qu’il « disparut » avec sa famille lorsque les troupes françaises quittèrent la ville le 12 janvier 1905 en application du traité de 1904. Sont-ils rentrés dans son pays natal ? Sont-ils morts ? Connaissant le caractère rancunier des Thaïs il est permis de penser que ses victimes profitèrent du départ de ses protecteurs pour se faire prompte justice et qu’ils se retrouvèrent dans la rivière aux crocodiles ?

 

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D’autres incidents

 

Même si Fara occupe beaucoup de place dans la presse nationale dans ces trois années compulsées, il ne fut pas le seul. Nous pouvons citer une scène de pillage, puisqu’il faut appeler les choses par leur nom, étouffée dans l’œuf et au cours de laquelle d’ailleurs Fara joua un rôle assez trouble (15).

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Nous vous épargnerons les incidents surgis dans la communauté chinoise, Chinois entre eux ou Chinois avec les membres des autres communautés.

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Il ne s’agit bien évidemment pas d’incidents « majeurs » c’est-à-dire entraînant mort d’homme mais ils confirment que régnait dans la ville une ambiance détestable.

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Les Français quittent Chanthaburi … mais s’emparent de Trat.

 

La convention franco-siamoise du 13 février 1904 (encore un « traité d’amitié ») prévoit en son article que « Le Gouvernement Siamois renonce à toute prérogative de suzeraineté sur les territoires du Luang Prabang situés sur la rive droite du Mekong ». Il s’agit de la province incontestablement siamoise, toujours laotienne de Sayaburi (ไชยบุรี) sur laquelle les droits de la France nés de sa souveraineté sur Luang-Prabang étaient aussi peu clairs que de l’eau de vieille roche.

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L’article V de la convention prévoit en contrepartie de cet abandon que les troupes françaises qui « occupaient provisoirement la ville » la quitteront, ce qui fut effectif le 12 janvier 1905. Le drapeau à l’éléphant blanc fut à nouveau arboré et l’on y fit grande fête.

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Mais la France reçoit en retour le territoire de Trat (que les Français appellent Krat ou Kratt) suite au protocole du 29 juin 1904.

Le parti colonial prétendit alors que la région de (Krat) Trat était essentiellement peuplée de Cambodgiens au vu d’explications qui ne sont plus aussi peu claires que de l’eau de vieille roche mais comme de l’eau croupie (16). Pourquoi Trat ? Probablement parce que son intérêt stratégique de par sa proximité immédiate du Cambodge était supérieur à celui de Chanthaburi.

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Le roi Rama V déclare alors « Trat (ตราด) est une ville siamoise, habitée par des Siamois; jusqu'à présent j'ai dû céder des territoires cambodgiens ou laotiens. C'est la première fois que je suis obligé de perdre mes propres sujets. Eh bien, j'aurais préféré céder encore plus de territoire cambodgien que d'abandonner des gens appartenant à ma race ».

 

Si Chanthaburi fut simplement « provisoirement occupée », Trat fut purement et simplement annexée, le prix à payer pour que le Siamois récupèrent un territoire dont l’importance historique et symbolique avait peut-être échappé aux diplomates français (17).

 

Lorsque la France quitta Chanthaburi pour s’emparer de Trat, elle y laissa tout de même une petite troupe de 60 soldats français et 20 soldats vietnamiens probablement pour assister le nouveau consul qui passa trois ans à tenter d’y convaincre Laotiens, Vietnamiens,  Cambodgiens et Chinois de devenir ses protégés. Nous n’avons aucune trace d’incidents qui se seraient produits après le départ des Français ?

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1907, fin de l’occupation

 

Effectuons un bref retour en arrière : le 15 juillet 1867 est conclu à Paris un traité « REGLANT LA POSITION DU ROYAUME DU CAMBODGE ». Il est consécutif à un précédent du 11 août 1863 qu’il annule purement et simplement. Le roi de Siam y reconnait le protectorat de la France sur le Cambodge et renonce pour lui et ses successeurs sur « tout tribut, présent ou autre marque de vassalité ».

 

Si les mots ont un sens c’est que l’Empereur des Français admit de son côté que le Cambodge était un état vassal et tributaire du Siam.

 

Il est prévu en l’article IV « Les provinces de Battambang et d'Angkor (Nakhon Siemrap) resteront au Royaume de Siam… ».  Ces provinces constituaient le monthon siamois de Burapha (มณฑลบูรพา).

 

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Si les mots ont toujours un sens c’est que l’Empereur des Français reconnut de son côté que ces provinces étaient siamoises.

 

Le traité de 1904 ne va pas porter atteinte à la souveraineté du Siam sur ces provinces mais organise en son article VI en quelque sorte leur neutralisation tout comme celle de la zone de 25 kilomètres sur la rive droite du Mékong prévue par le traité de 1893 sans qu’il soit nullement question de les incorporer à son protectorat sur le Cambodge : « En ce qui concerne les provinces de Siam Reap, de Battambang et de Sisophon, le Gouvernement Siamois s'engage à n'y entretenir que les contingents de police nécessaires pour le maintien de l'ordre ».

 

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Mais cette situation suscite l’irritation du « parti colonial » pour lequel les diplomates français ayant signé le traité de 1867 auraient été « mal informés ».

 

Il fallut tout de même quarante années pour s’apercevoir que Victor-Emile-Marie-Joseph Collin de Plancy...

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... envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la République française au Siam, négociateur du traité, grand érudit et spécialiste des civilisations orientales, et Édouard Drouyn de Lhuys, le tout aussi érudit ministre des affaires étrangères 

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auraient mérité un bonnet d’âne pour avoir ignoré l’histoire chaotique du Cambodge et n’avoir pas su que ces territoires auraient été « usurpés » par le Siam !

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Nous ne gloserons pas sur le point de savoir si ces territoires avaient été « arrachés » par le Siam au royaume protégé ou si la vassalité du Cambodge par rapport au Siam était plus que purement formelle ?

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La question va être réglée par le traité encore « d’amitié » signé à Bangkok le 23 mars 1907.


Le Siam récupère ses territoires de Dansaï ...

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et de Krat (Trat) et, en contrepartie, article I « Le Gouvernement siamois cède à la France le territoire de Battambang, Siem-Reap et Sisophon… » (18).

 

Si les mots ont encore un sens, répétons-le,  c’est que le gouvernement français reconnut de son côté que ces provinces étaient siamoises.

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Le traité de 1907 régla en outre de façon (presque) définitive l’irritante question des « protégés français ».

 Le pays y recouvra sa totale souveraineté sur des zones incontestablement siamoises mais ce au prix de sacrifices territoriaux qui l’amputèrent depuis 1893 et au fil des années de la moitié de ses territoires vassaux ou tributaires.

 

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Un précédent vient à l’esprit, il y en eut beaucoup d’autres, d’un abaissement qui conduit à une réaction future. Napoléon abaissa et humilia le roi de Prusse Frédéric Guillaume III en 1806. Celui-ci eut sa revanche en faisant bivouaquer son armée sur les Champs-Elysées en 1814.

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Son fils Guillaume Ier, qui n’avait jamais oublié l’humiliation subie par son père fit subir à la France en retour l’humiliation suprême de se faire proclamer Empereur dans la Galerie des glaces du Palais de Versailles en 1871.

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Guère plus de trente après le traité de 1907, le Siam, profitant de la cuisante défaite de la France en Europe en 1940 engagea les hostilités armées à la fin de l’année, eut la maitrise sur terre et dans les airs (peut-être avec des escadrons de mercenaires belges ?) mais perdit la bataille navale de Koh Chang, non loin de Trat.

 

Les revendications siamoises en 1941 :

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La francophobie régnant alors dans les milieux irrédentistes donna alors malheureusement lieu à des incidents certes ponctuels mais regrettables, comme le massacre dans la région de Mukdahan sept catholiques siamois par des énergumènes qui les considéraient comme des espions des Français. Nous aimerions que le site officiel de l’ambassade de France s’en souvienne.

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D’autres énergumènes allèrent à la même époque mettre à sac le domicile du très érudit vice-consul de France à Chiangmaï, Camille Notton, détruisant ses très précieuses archives en incendiant un travail de plusieurs dizaines d’années. Notton n’échappa au bucher que parce qu’il était alors parti chasser la bécassine.

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Le traité de Tokyo signé sous la pression japonaise en mai 1941 restitue au Siam une partie des territoires perdus jusqu’en 1907. Le Siam et la France y considéraient les frontières entre le Siam et l’Indochine comme définitivement établies.

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La défaite du Japon conduisit alors à la signature le 17 novembre 1946 de l’ « accord de règlement franco-siamois » signé à Washington.

 

L’article 1er annule purement et simplement le traité de Tokyo.

 

Ce fut le prix à payer pour l’admission du Siam aux Nations-Unies par la 13e résolution du 12 décembre 1946 à l’unanimité des membres du Conseil de sécurité.

 

La Thaïlande n’a jamais été colonisée, certes, mais à quel prix ?

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Il semblerait en tous cas que l’on célèbre toujours tant à Chanthaburi qu’à Trat tous les ans l’anniversaire du départ des troupes d’occupation sans la participation des autorités diplomatiques françaises.

 

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NOTES

 

(1) Voir notre article H17 « L’OCCUPATION DE CHANTHABURI PAR LES FRANÇAIS, « UNE PAGE SOMBRE DE L’HISTOIRE DU SIAM » (1893-1905) »

 

(2) Rippawat CHIRAPHONG est professeur de français et chef du département de la Planification et du Service des Affaires académiques à l’Ecole royale de Chitralada dont la Princesse Sirindhorn est administratrice, depuis 2002 jusqu’à ce jour.

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Il est titulaire d’une licence de Lettres modernes (Langue et Civilisation françaises) de l’Université Ramkhamhaeng, avec la mention très honorable obtenue en 2002. Il a obtenu également une maîtrise en Sciences Historiques de l’Université de Provence et un Master d’Histoire et de Civilisations comparées de  l’Université de Paris VII

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(3)  Soutenue le 12 septembre 2016 à Paris VII, la thèse a été dotée de la mention « très honorable ». Notre ami avait comme maître de thèse le Professeur Alain FOREST. Elle a été soutenue devant un jury présidé par Madame Marie-Sybille de VIENNE, Professeur des universités et vice-présidente des Relations internationales à l’INALCO (Institut National des Langues et Civilisations Orientales) de Paris et composé des professeurs William Gervase CLARENCE-SMITH et Volker GRABOWSKI, le premier Professeur à la faculté de Lettres et des Humanités de la SOAS (School of Oriental and African Studies) de l’Université de Londres et le second Professeur à l’Université de Hambourg en Allemagne.

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(4) En ce qui concerne le Presse, aussi curieux que cela nous paraisse avec nos yeux de Français du XXIe siècle, les journaux du règne du roi Rama V sont rédigés dans une langue difficile d’accès pour un Thaï d’aujourd’hui : le Siam Observer  hebdomadaire (en siamois le Sayam maitri สยามไมตรี (sayam maitri) est le plus neutre par rapport au Siam Free Press  plus ou moins subventionné par le gouvernement français. En ce qui concerne le langage de cette époque, n’oublions pas que le premier dictionnaire normatif de la langue actuelle date de 1927 (Voir notre article A 204  « LE DICTIONNAIRE DE L’ « INSTITUT ROYAL » AU SERVICE DE LA LANGUE THAÏE, DU BON SENS … ET DE LA POLITIQUE ».) Les journalistes s’expriment souvent en termes métaphoriques ou dans une phraséologie appropriée au contexte de l’époque. Par ailleurs le Siam Observer ou Sayam Maitri  ne se trouve pas à Bangkok … mais seulement à Singapour et en outre il n’en reste que les exemplaires datant pour l’essentiel des années 1895 – 1898  … alors que nous bénéficions sans difficultés de la numérisation de la presse française par la bibliothèque nationale, nous l’utilisons d’abondance. De nombreux articles sur seulement ces trois années sont liés aux difficultés concernant les protégés français dont un certain nombre concernent Chantaburi.

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(5) En ce qui concerne les archives thaïes, de nombreux documents concernant les relations franco-siamoises, notamment ceux ayant trait aux protégés français sont interdits de consultation. Quelques rares documents, d’une importance pourtant capitale n’ont été accessibles qu’avec de lourdes contraintes : ni enregistrement sonore ni photographie, seulement des notes prises au crayon sous surveillance de la Directrice du Centre des Archives nationales de Thaïlande. La recommandation de la Princesse Sirindhorn fut probablement utile à notre ami.

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En ce qui concerne les archives françaises, le Centre des Archives diplomatiques de Nantes (CADN) a conservé tous les documents des légations et des consulats de France installés au Siam à l’époque, il s’y trouve de nombreux documents d’archive intéressants : certificats de protection, certains registres consulaires des protégés, plaintes des protégés français contre les autorités siamoises la plupart visant à demander la protection de la France au consul tout en l’informant de « l’injustice », de « l’insouciance », de « l’inefficacité » ou encore de « la tyrannie » des autorités siamoises. Certains documents peuvent être consultés, d’autres spécifiquement liés aux protégés français au Siam sont détériorés et ne sont plus accessibles ni consultables en l’état.

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(6) Les Allemands étaient 264 et protégeaient 51 Suisses et 653 Turcs dont le pays était alors leur allié. Les Hollandais étaient 48 et protégeaient 75 Chinois et 2.148 Javanais. Les Portugais étaient 85 avec 300 protégés venus probablement de leurs établissements des Indes et de Timor. Les autres pays étaient sans colonies : Les Américains 153 sans protégés, les Italiens 131 sans protégés, les Danois 139 sans protégés, les Japonais 219 et ne protégeaient personne. Il y avait 34 Austro-hongrois, 23 Russes, 8 Norvégiens, 7 Suédois et 8 Belges, tous sans protégés.

 

(7) Le recensement de 1909 visé dans le Bangkok Siam directory ne donne que la population de la province (Monthon), alors de près de 135.000 habitants mais ne donne pas le détail des circonscriptions.

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(8) Nous trouvons sa biographie sur le site des archives des missions étrangères (http://archives.mepasie.org/fr). Celles-ci, c’est à l’honneur de l’archiviste, ne distribuent pas les louanges de façon systématique et savent parfaitement reconnaître les erreurs ou les faiblesses des missionnaires ou de leur hiérarchie. Voir aussi « Annales de la propagation de la foi » de janvier 1900  et « Société des Missions étrangères – lettres communes » de janvier 1900.

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(9) « A vous, fidèles Vietnamiens et Cambodgiens, vos ancêtres, vos grands-parents et vos parents ont toujours été soutenus par le roi du Siam. Ce dernier éprouve de la bienveillance et de la générosité envers vous et vos familles. Vous n’êtes pas dans la peine et vous n’êtes pas dans la misère. Ne soyez pas ingrats à son égard et n’abandonnez pas votre ancien maître au profit d’un nouveau. Ceux qui ne respecteront pas notre mandement, nous refuserons de les faire baptiser. Ainsi, infidèles, ils ne pourront pas échapper à l’enfer car l’évêque ne les autorisera pas à bénéficier du sacrement qui les laverait du péché originel ». Il est regrettable qu’il faille de cette homélie prononcée en français lire la traduction du français au thaï donnée par la presse siamoise puis du thaï au français retraduite fidèlement par notre ami.

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(10) Voir notre article A 200 « QUELQUES COMMENTAIRES Á PROPOS DE « RAPHAËL RÉAU, JEUNE DIPLOMATE AU SIAM (1894-1900 ».

 

(11) Voir en particulier l’arrêté du Gouverneur général de l’Indochine du 10 mars 1897 in « Recueil analytique des circulaires, instructions et avis concernant l’administration de la justice en Indochine », collationnés par Gabriel Michel, Hanoï en 1907.

 

(12) Rappelons que la construction du premier hôpital français à  Bangkok en 1898 fut l’œuvre de Monseigneur Vey, celui qui prêchait dans le désert (9) qui entendait à ce qu’il ne soit pas réservé aux Français et aux protégés mais à tous les malheureux : voir  notre article A140 - « 1898. SAINT LOUIS, LE PREMIER HOPITAL FRANÇAIS CATHOLIQUE À BANGKOK » :

http://www.alainbernardenthailande.com/article-a140-1898-le-premier-hopital-fran-ais-catholique-a-bangkok-122232355.html.

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(13) Nous, nous restons des Farangs (ฝรั่ง). Le mot Khaek (แขก) s’applique à la fois à toutes les personnes non thaïs originaires d’Asie et aux musulmans et signifie dans un autre contexte « invité » ce qui est tout de même significatif. Porté sur les documents d’identité devant le nom pour préciser l’ethnie ou la religion, cette mention fut supprimée en 1917. Aujourd’hui, les Africains sont appelés : khaek khao pour ceux du nord (แขก ขาว khaek ayant la peau blanche) et ceux du reste de l’Afrique khaek dam (แขก ดำ khaek ayant la peau noire). 

 

 

(13) Nous, nous restons des Farangs (ฝรั่ง). Le mot Khaek (แขก) s’applique à la fois à toutes les personnes non thaïs originaires d’Asie et aux musulmans et signifie dans un autre contexte « invité » ce qui est tout de même significatif. Porté sur les documents d’identité devant le nom pour préciser l’ethnie ou la religion, cette mention fut supprimée en 1917. Aujourd’hui, les Africains sont appelés : khaek khao pour ceux du nord (แขก ขาว khaek ayant la peau blanche) et ceux du reste de l’Afrique khaek dam (แขก ดำ khaek ayant la peau noire).

 

(14) Il entend un jour une Siamois parler de « Chao Phraya » et crut comprendre qu’elle disait « Fara ». Il passait et entendit ce qu’elle disait. Il se dirigea vers elle  et lui demanda « Pourquoi tu prononces mon nom ? »  Elle lui répondit « Je n’ai pas dit ton nom…  j’étais en train de parler » Il répondit « ne dis pas de mensonges, j’ai clairement entendu »…. « Et prenant son parapluie, il lui en asséna en coup sur la tête en disant « Ne prononce jamais mon nom ».

Une autre fois, un pécheur portait au marché des crabes et des crabes noirs. Il a posé ses paniers non loin de l’échoppe de Fara. Une femme qui faisait son marché lui demanda ce qu’il avait dans son panier : « Des crabes noirs, Madame » Entendant prononcer le mot « noir » Fara sorti furieux et la battit presque à mort.

Une autre fois, nouvel incident : Il se rendait à la caserne des soldats français. Arrivé près du temple, trois jeunes qui ne connaissaient pas sa méchanceté ont éclaté de rire en le voyant. Il s’est précipité sur eux et les a frappé avant d’entrer paisiblement dans la caserne. Ils méditèrent de se venger en l’attirant dans un guet-apens à l’entrée du quartier chinois situé au centre du marché. Vers 3 heures, il rentre de la caserne et passe à l’entrée de la ruelle où l’attendaient les trois jeunes gens. L’un l’a frappé du poing et les deux autres lui ont donné des coups de bâton. Il se réfugia chez lui non sans avoir – au passage - frappé une femme qui vendait quelques denrées devant son échoppe. Sorti de son domicile, il était armé de son revolver, il tira sur elle plusieurs coups de feu sans heureusement l’atteindre mais plusieurs balles touchèrent les murs de la maison de cette femme qui fut blessée par des éclats. Il ne put continuer puisque deux soldats français qui passaient l’en empêchèrent. Elle porta plainte contre lui devant le commandant du camp et Fara à son tour contre les trois jeunes gens. Le Commandant demanda au gouverneur de les arrêter ce qui fut fait, ils reconnurent les faits en précisant qu’ils n’avaient fait que répondre à l’agression de Fara. Ils furent toutefois condamnés à 30 jours de prison. Le commandant envoya cependant des soldats pour vérifier l’existence de trace d’une balle sur la paroi de la maison de cette femme. Il condamna alors Fara à lui payer une indemnité de 35 ticals pour ses blessures. Il ne la paya jamais. Mais après cet incident, il ne sortait plus de chez lui qu’ostensiblement armé de son revolver.

Un autre incident encore :

Une dernière histoire de Fara et nous en resterons là car il y en eut quelques autres : Se rendant au marché, il vit un chien qui aboyait en faisant mine de le mordre ; Fara sortit son revolver mais l’animal avait pris la fuite. Ne sachant où il avait fui, Fara prétendit visiter toutes les maisons des alentours, prétention devant laquelle les propriétaires durent bien s’incliner. Heureusement pour cet animal, Fara ne le trouva pas et rentra chez lui. L’opinion générale dans la ville fut alors que non seulement les habitants détestaient Fara mais aussi les chiens et que devant lui, mieux valait prendre la fuite compte tenu de la partialité du commandant du camp.

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(15) Des soldats français entrèrent dans la boutique d’un orfèvre chinois en lui demandant en français s’ils avaient des bijoux ou montres à vendre. Ne comprenant pas un mot de français, celui-ci répondit en chinois « rien ». Ils se disposèrent alors à le frapper insensibles à ses supplications. Il prit tout simplement la fuite avec son épouse et les clients présents dans le magasin et les soldats en profitèrent pour dérober deux bagues en or. Connaissant l’influence de l’incontournable Fara, le Chinois va lui conter ses malheurs. Fara a parfois un bon geste, il le conduit porter plainte au commandant du camp. Ce dernier rassemble la troupe et demande au Chinois d’identifier les coupables. Ils n’étaient pas là. Rendez-vous fut donc pris pour le lendemain. Le soir même, les pillards sont venus chez lui rendre les deux bagues et le supplier de ne pas revenir au camp le lendemain. Ainsi échappèrent-ils à la sanction qui les attendait.  C’était juridiquement un acte de pillage pur et simple, actuellement puni par notre code pénal de 15 ans de réclusion, probablement plus à l’époque. L’affaire fut purement et simplement étouffée. Le rôle de Fara dans cette affaire reste trouble.

 

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(16) Voir en ce sens par exemple « Les annales coloniales » du 1er juin 1903, « L’ouest-éclair » du 15 février 1904n « la Revue coloniale » de janvier 1907 ou « La dépêche coloniale illustrée » du 20 novembre 1907.

 

(17) Trat est purement et simplement incorporé au protectorat du Cambodge c’est-à-dire à l’Indochine française par de nombreux textes : voir le « CODE JUDICIAIRE DE L'INDO-CHINE pour les  ANNÉES 1904, 1905, 1906 et 1907 » publié à Hanoï en 1909

 

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(18) Dansaï (ด่านซ้าย) est un petit district de la province de Loei (เลย) situé évidemment sur la rive siamoise du Mékong dont on ne sait trop quel intérêt la France eut à l’occuper, peut-être l’existence d’hypothétique mines d’or ? Autant que pour Trat, la diplomatie française a toujours considéré qu’il ne s’agissait pas de territoires vassaux ou tributaires mais de territoires incontestablement siamois et peuplés de Siamois.

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