Les « Chroniques royales d’Ayutthaya » traduites par Richard D. Cushman sont une source fondamentale pour écrire l’histoire du royaume d’Ayutthaya (1351-1767) du point de vue de la conception siamoise de son Histoire. (1) Mais nous avons vu leurs limites avec le fondateur Ramathibodi (1351-1369) que les « Chroniques » traitent en une page, son fils et successeur le roi Ramesuan (1369-1370) en 15 lignes ; son oncle Boromacha I qui l’a déposé et régné de 1370-1388 en 32 lignes et son jeune fils Thong Lan (13 ou 15 ans), qui ne régnera que 7 jours en 10 lignes avant d’être exécuté par le roi Ramesuan qui pourra régner une seconde fois jusqu’en 1395 et qui n’aura droit qu’à 72 lignes. Son jeune fils et successeur (1395-1409) sera – lui - traité en 11 lignes ! Et Intharacha, le Prince de Suphanburi qui le détrônera pour régner de 1409 à 1424 n’aura que 14 lignes ! (2)
Que nous apprennent-elles néanmoins ?
Le second règne du roi Ramesuan (1388-1395).
La version A dite de Luang Prascet ne dit rien sur son avènement, ni sur son règne d’ailleurs, si ce ne sont que quelques lignes sur la fin de sa vie et la succession assurée par son jeune fils, le Prince Ram.
« Les Chroniques » (BCDEF) relatent en trois paragraphes la prise de Chiang Mai en 1384 ( ?), (« en 746, année du rat, 6ème décade »).
(Problème de date ! Vous avez bien lu « 1384 », alors que son règne est sensé commencé en 1388. Cf. Notre mise au point en RH 20).
Ramesuan met donc en place ses camps autour de Chiang Mai et établit ses plans pour la capturer. On procède à des tirs de canons qui font un trou dans une partie du mur de la cité. (3) Le roi de Chiang Mai brandit un drapeau et va transmettre un message, au-delà des remparts à un soldat, dans lequel il demande une trêve de 7 jours afin qu’il puisse présenter des cadeaux qui favoriseront leur royale amitié. Le roi Ramesuan réunit alors son conseil des ministres afin de connaître leur avis. Le chef des ministres et les principaux officiers lui répondent qu’ils considèrent que c’est une ruse et lui demandent l’autorisation d’attaquer et de capturer la cité. Le roi leur dit qu’il ne peut pas prendre cette décision si le roi de Chiang Mai ne veut pas se battre, même s’il considère que celui-ci n’est pas honnête. Il ne pourra pas s’échapper et nos soldats pourront de toute façon le prendre à tout moment.
Chiang Mai en profita pour établir des clôtures de bambou au trou du rempart bombardé. De fait, le roi de Chiang Mai ne vint pas au bout de 7 jours présenter son offre d’amitié. De plus les officiers et soldats se plaignirent du prix du riz et de la difficulté d’en trouver, et demandèrent la permission d’attaquer. Le roi acquiesça et ordonna l’attaque en abandonnant l’un des côtés de la cité.
Au jour et à l’heure fixés (“ On Monday, the fourth day of the waxing moon of the fourth month, at three thum and two bat in the evening, after the moon had set.“), les canons et fusils tirèrent sur les trois côtés et ensuite escaladèrent les remparts avec des échelles. Le roi de Chiang Mai ne put résister et pris la fuite avec les habitants. A « eleven thum » les soldats entrèrent dans la cité. Ils capturèrent Nak Sang, le fils du roi, qui fut amené devant le roi, qui lui déclara que son père n’était pas honnête. Nak Sang fit allégeance et fut autorisé à gouverner Chiang Mai. Le roi choisit alors les habitants et les familles qui durent le suivre, et ordonna à Nak Sang de l’accompagner jusqu’à Sawangburi et de là, l’autorisa à retourner à Chiang Mai.
Le roi sur le chemin du retour s’arrêta à Phitsalunok et fêta sa glorieuse victoire en offrant les vivres royaux pour 7 jours d’offrandes. Ensuite, il revint à sa capitale et partagea les captifs entre les cités de Phatthalung, Songkla, Nakhon Si Thammarat et Canthabun.
Le roi observa les préceptes au Mangkhalaphisek Hall. A « ten thum » le roi put voir une grande relique de Bouddha accomplir un miracle. (Lequel ?) Il décida de l’endroir’ endroit où fut construit un grand reliquaire (de 19 wa de haut, avec 19 faîteaux de trois wa de large) qui fut nommé le temple de Maha That. Après avoir pratiqué les rites le roi put participer aux festivités dans sa royale résidence.
Il est dit ensuite que « pendant ce temps-là » (quand ?) le roi du Cambodge avait marché sur Chonburi et Chanthabun et avait capturé entre 6 et 7.000 prisonniers (hommes, femmes et familles) et était retourné dans son pays. Ramesuan décida d’attattaquer la capitale du Cambodge et envoya en avant-garde Phraya Chainawong au pont du Yaek. Les troupes du Cambodge attaquèrent Phraya Chainawong mais elles furent défaites. Le roi du Cambodge construisit des palissades et le combat dura 3 jours. Ramesuan participa alors à la bataille, mit en déroute les forces ennemies et put entrer dans la capitale. Le roi du Cambodge tenta de fuir en bateau. Le roi descendit de son éléphant et fit tirer avec des fusils sur les bateaux. Des barils de poudre furent touchés et les bateaux s’enflammèrent, mais le roi du Cambodge put s’échapper. Par contre, son fils, « l’Upparat » fut capturé. Ramesuan laissa Phraya Chainawong pour gouverner le Kampuchéa avec 5.000 hommes et il revint à Ayutthaya. (Canon au XIVème siècle à Ayutthaya ? Cf. (3) )
Plus tard (Quand ?), les Vietnamiens envahirent le Cambodge. Une petite force cambodgienne combattu bravement mais fut balayée par de nouvelles troupes venues en renfort. Phraya Chainawong envoya un rapport à Ramesuan, qui lui ordonna de revenir à la capitale avec les habitants (Il faut comprendre « avec des otages »). Une fois les rites accomplis par le roi pour leur entrée à la capitale, les officiers furent récompensés.
Enfin dans le dernier court paragraphe (6 l et demie), il est dit qu’en 1395 pour la version A (« En 757, l’année du bœuf »), et en 1387 pour les autres versions (BCDEF) (« En 749, l’année du lièvre ») ...
fut fondé le monastère de Phukao Thong. Un soir, alors que le roi marchait le long du hall de Mangkhalaphisek, il fut arrêté par Thao Mon qui était mort il y a peu, mais il disparut. Le roi tomba malade et mourut peu après. (Les versions BCDEF précisent qu’il régna 6 ans !) Son jeune fils, le Prince Ram lui succéda et régna 14 ans (Pour les versions BCE) ou 5 ans (Pour D), ou 15 ans (Pour F) !
Ensuite 12 lignes sont consacrées au roi Ramaracha (1395-1409).
Curieusement, les différentes versions ne relatent qu’un conflit (Lequel ?) que le roi aurait eu avec Chao Senabodi (ou Chao Praya Senabodi) (Il n’est pas dit que c’est un de ses principaux ministres), en 1409 (Pour la version A), ou en 1401 (Pour BCEF). Le roi en colère, aurait ordonné son arrestation, mais il aurait pu s’enfuir et s’installer de l’autre côté de la rivière de Pathakhucam. Ensuite, celui-ci aurait envoyé un message au Prince Intharacha, le grand fils du roi Boromracha I qui régnait sur le trône de Suphanburi (Précise F) pour lui proposer de se joindre à lui avec ses troupes pour attaquer et prendre Ayutthaya.
Ce fut un succès.
Et de fait, le court chapitre suivant (14 lignes) est consacré au roi Intharacha (1409-1424) (NakarintharaThirat).
Le Prince Intharacha monte donc sur le trône et envoie le roi Ram vivre au-delà de Pathakhucam. Chao Praya Senabodi est récompensé avec la fille d’une royale concubine, une paire de plateaux et de gobelets en or, une double épée décorée, un palanquin en ivoire avec des pétales de lotus.
En 1419 un message annonce que le Phra Maha Thammaracha de Phitsalunok est décédé et que les cités du nord sont en effervescence. Le roi se rendra à Phrabang et à cette occasion Phraya Ban Muang et Phraya Ram viendront lui rendre hommage.
(Il n’est pas dit que le Phra Maha Thammaracha de Phitsalunok est présenté ailleurs comme Thammaracha III ou Phraya Sai Luthai, (ou Saluethaï) comme le roi de Sukhotaï. Le roi qui aurait déplacé sa capitale à Phitsalunok en 1419. De même les « Chroniques » ne disent pas que Phraya Ban Muang (Le futur Thammaracha IV) et Phraya Ram sont deux frères qui vont s’affronter pour le royaume de Sukhotai en 1424 et que le roi Intharacha divisera le royaume entre eux. (Qui a eu quoi ?).) (Cf. Wikipédia anglais)
Le roi retournera en sa capitale et nommera le Prince Ai Phraya à Suphanburi, le Prince Yi Praya à Phraek Siracha et le Prince Phraya à Chainat. (Les Princes étaient les fils du roi).
En 1424, le roi Intharacha décédera. Nous n’apprendrons rien de plus.
Une nouvelle succession s’annonçait, nous verrons, une fois de plus, qu’elle ne fut pas pacifique.
Nous venons donc d’évoquer 7 rois depuis la fondation du royaume d’Ayutthaya (1351) que les « Les Chroniques royales » traitent en 5 pages, autant dire que les informations obtenues sont minces. Elles présentent toutefois quelques topoï majeurs qui illustrent ce qui est considéré comme important par les chroniqueurs thaïs, à savoir :
Le roi est un guerrier valeureux et un bon bouddhiste.
Le fondateur Ramathibodi prend le Cambodge et installe trois de ses fils de 1353 à 1357. Boromracha attaque plusieurs fois Chakangrao (Kamphaeng Phet), s’empare de Phitsalunok ; obtient sans combat la vassalité de Nakhon Lampang. Ramesuan, lors de son second règne s’empare de Chiang Mai. Après avoir été attaqué par le roi du Cambodge à Chonburi et Chanthabun qui a capturé entre 6 et 7.000 prisonniers (hommes, femmes et familles), il attaque et prend la capitale et laisse Phraya Chainawong pour gouverner le Kampuchéa avec 5.000 hommes. Le Kampuchéa est attaqué par les Vietnamiens, et Ramesuan préfère retirer ses troupes. (Mais aucune date n’est donnée) On peut noter que durant cette période de 7 règnes (1351- 1424), nulle référence n’est faite au royaume de Sukhotai.
Chaque victoire est sanctionnée pour le vaincu par une prise de milliers d’otages et de grandes familles qui seront emmenés à la capitale, parfois redistribués en plusieurs cités (Cf. Ramesuan partager les captifs entre les cités de Phatthalung, Songkla, Nakhon Si Thammarat et Canthabun).
Il ne s’agit pas pour le roi (Sauf deux fois pour le Cambodge) de régner sur un nouveau territoire, mais d’obtenir l’allégeance des cités conquises, de prendre des captifs ou de placer ses enfants ou la famille pour gouverner certaines cités (Le fils du roi de Chiang Mai vaincue peut régner après avoir reconnu sa vassalité ou le roi Intharacha nomme ses fils le Prince Ai Phraya à Suphanburi, le Prince Yi Praya à Phraek Siracha et le Prince Phraya à Chainat.)
Un royaume religieux et bouddhiste.
Rien ne se fait d’important dans le royaume (Date de couronnement, départ à la guerre, début d’une grande bataille) sans les dates et heures précises décidées par les Brahmanes.
Chaque victoire royale est suivie par une cérémonie religieuse présidée par le roi et la construction d’un édifice bouddhiste, voire d’un temple.
On croit aux présages et aux esprits ( Le roi Ramesuan voit Thao Mon qui était mort et tombe malade et mourut peu après.)
Des successions « difficiles ».
Ramesuan, le fils du fondateur est déposé par son oncle Boromracha, après moins d’un an de règne.
A la mort du roi Boromracha 1er en 1388, Ramesuan reprend son trône en faisant exécuter son jeune fils, Thong Lan, qui était au pouvoir depuis 7 jours.
Le jeune fils de Ramesuan, le Prince Ram qui devient le roi Ramaracha (1395-1409) lui succède mais il est renversé par Chao Senabodi et le Prince Intharacha, le grand fils du roi Boromracha I qui régnait sur le trône de Suphanburi, et qui deviendra le roi Intharacha (1409-1424) (NakarintharaThirat). Et nous verrons que sa succession sera aussi très « mouvementée ».
(1) Cf. Sa présentation in 41. LA REFERENCE. « Les chroniques royales d’Ayutthaya » de Richard D. Cushman.
(2) Mais il n’en va pas ainsi pour toutes les périodes et pour tous les rois, puisque certains ont même droit à un chapitre, ainsi le roi Cakkraprat (juillet 1548- janvier 1569) sera présenté sur 48 pages (Ch. 2) ; Le roi Thammaracha, (1569-1590) (Ch. 3) sur 46 pages ; Le roi Naseruan, (1590-1605) (Ch. 4) sur 73 pages ; Le roi Naraï (1656-1688) aura même droit à deux chapitres (6 et 7) et 186 pages ; Le roi Phetracha, 1688-1703. (Ch. 8) 59 pages ; Les deux rois suivants, le roi Süa, (1703-1709), et le roi Sa (1709- 1733) seront réunis dans un seul chapitre (Ch. 9) et auront droit à 35 pages ; Le roi Borommakot, (1733-1758). (Ch. 10), 59 pages ; Et les deux derniers rois du royaume d’Ayutthaya, le roi Uthumphon (13 avril-mai 1758), et le roi Suriyamarin (mai 1758- 7 avril 1767) seront réunis dans le dernier chapitre (11) et relatés sur 60 pages.
(3) Canon et fusil au XIVe siècle au Siam ?
On peut se demander ce que les chroniqueurs entendent par fusil et canon, car les armes à feu furent introduites au Siam par les Portugais qui n’arrivèrent qu’en 1511.
Le Prince Damrong lui-même nous apprend, que dès leur arrivée au Siam, les Portugais apprirent trois choses aux Siamois, « l’art de faire des armes à feu, celui de s’en servir et celui d’édifier des fortifications contre ces armes à feu ». Prince Damrong « The Introduction of western culture in Siam » in « Journal of the Siam society » 1925.
Toutefois, dès le 13e siècle, les Siamois avaient des relations commerciales et diplomatiques avec les Chinois, qui connaissaient déjà vers 1130 l’usage des tubes de bambou remplis de poudre noire qui servaient de lance-flammes, et au XIIIe siècle, des grenades à corps de fonte.
Il faut attendre le milieu du XIVe siècle, pour que les Chinois fabriquent de véritables bouches à feu en bronze (dont on a conservé plusieurs exemplaires) analogues aux canons européens.
(Cf. Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_poudre_%C3%A0_canon
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