Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
La philatélie est souvent une source d’enrichissement historique et culturel. Nos amis Philippe Drillien et Jean-Michel Strobino – que nous avons rencontré à plusieurs reprises – sont les infatigables animateurs de l’Association Internationale des Collectionneurs de Timbres-poste du Laos dont le revue trimestrielle Philao se donne pour objectifs de « faire parler les timbres ».
Dans le numéro du Ier trimestre 2017, la philatélie laotienne a conduit Philippe Drillien à la découverte de ce qui reste un mystère partiellement inexpliqué, celui des nâgas du Mékong qui crachent des boules de feu dans une partie bien déterminée du fleuve et à une époque tout aussi précise, celle de la pleine lune du mois d’octobre. Cette question a donné lieu et donne lieu à toute une littérature souvent délirante et absconse du style « ce que l’on nous cache » ou « les mystères de la nature ». Enfin ! Un article sérieux que nous reproduisons avec son amiable autorisation d’autant plus volontiers qu’il concerne tout autant la partie nord de l’Isan que le Laos, qu’il en soit remercié.
CULTURE LAO - Les nâgas et les boules de feu
C’est le thème d’une série de quatre timbres émis par les Postes Lao le 29 octobre 2004. Dans le numéro 59 de PHILAO, Dominique Tallet avait commenté succinctement cette émission en se basant sur la notice philatélique des PTT. Notre adhérent Daniel Gilbert vient de me faire parvenir deux documents fournissant des renseignements complémentaires.
Nong Khai : La tradition millénaire des boules de feu Naga sur le Mékong
Ce paragraphe a été rédigé à partir d’un article paru en 2012 dans le journal « The Nation » de Bangkok
Les boules de feu Naga (บั้งไฟพญานาค - Bangfai Phayanak littéralement les fusées du roi des Nagas) sont très célèbres en Thaïlande et au Laos. Le Mékong est l’endroit où la magie s’opère, et l’une des parties les plus intéressantes de ce phénomène est qu’il semble se produire à un moment donné de l’année… juste au bon moment. Quoi qu’il en soit, les boules de feu ont été observées par beaucoup de gens pendant des années, certains en ont compté parfois plus d’un millier en une seule nuit. Elles sont rougeâtres et varient considérablement en taille. Selon certains observateurs elles peuvent atteindre la taille d’un ballon de basketball même si la plupart d’entre elles sont plus petites. Elles s’élèvent apparemment de la rivière dans le ciel et parcourent une distance de 100 à 200 mètres avant de disparaître. Ce phénomène n’est pas nouveau ; les habitants disent qu’ils l’ont constaté tout au long de leur vie, et les histoires signalant leur présence ont traversé les générations depuis des millénaires. Personne n’a jamais été blessé par les boules de feu ; il n’y a jamais eu non plus de dommages matériels. Les boules de feu arrivent seulement vers la fin du mois d’octobre de chaque année.
Les scientifiques ont admis récemment qu’ils n’ont aucune explication fiable pour les boules de feu Nâga, mais il existe plusieurs théories :
La première rappelle nos farfadets. Les sédiments dans la rivière fermentent avec la décomposition des restes d’animaux et des bulles de déchets remonteraient à la surface. Théoriquement, les bulles portent tellement d’énergie qu’elles sont capables de voyager quelques centaines de mètres dans le ciel. Bien que cette théorie soit séduisante, la plupart des scientifiques s’accordent pour dire qu’il n’y a aucune raison de croire que le Mékong est la seule cause de la production de bulles de gaz avec des choses particulières autour de ce phénomène car toute rivière sur terre produirait le même phénomène. En outre, le problème de ce qui se passe à un moment particulier de l’année invalide également cette théorie.
Il a été suggéré que les boules de feu sont un complot mis en place et que le feu des traceurs de soldats du côté laotien de la rivière sont la véritable cause des boules de feu. Si tel est le cas, alors ils ont fait de grands efforts pour que ça arrive en octobre, pendant des décennies. Il semble tout à fait difficile d’accepter un tel canular, et là aussi le problème est que des coups de feu n’ont jamais accompagné les boules de feu.
Une autre théorie est avancée par la population locale: un énorme serpent dans la rivière, qu’on a appelé Nâga (นาค), incidemment, crache les boules de feu quand il vient à la surface. Remarquablement, la théorie du serpent pourrait être la meilleure explication que nous ayons en ce moment de ce phénomène. C’est pourquoi le serpent Naga, est déifié depuis l’ancienne tradition dans tout le détroit du Mékong. C’est le dieu Nâga La
Nâga et la tradition divine
Ce paragraphe a été rédigé à partir de Wikipédia (daté du 10 juillet 2013).
Le mystère qui entoure l’apparition des boules de feu Naga sur le Mékong a été finalement résolu en partie par des scientifiques « rationalistes ». Selon le Ministère de la Science, il s’agit d’un phénomène naturel causé par le gaz phosphine inflammable (1). Le ministère a lancé une expédition scientifique, dernièrement, pour mesurer et observer la manifestation annuelle dans la province de Nong Khai et celle de Bungkan tout au long du Mékong sur environ 20 kilomètres.
Un thermo-scanner a été installé près de la berge dans le sous-district de Rattana Wapi (อำเภอรัตนวาปี) et cinq équipes de spécialistes étaient stationnés à différents points d’observation le long de la rivière, y compris au Temple thaïlandais dans le district de Phon Phisai (โพนพิสัย), où des milliers de curieux s’étaient rassemblés pour assister à l’événement. Les boules de feu Naga apparaissent à la fin du carême bouddhique, ce qui conduit beaucoup de témoins à croire que ce n’est pas le résultat de causes naturelles, mais quelque chose de plus mystique. Mais Saksit a déclaré que le matériel de numérisation avait détecté le mouvement du gaz flottant sur la surface de l’eau avant que les gens puissent capter avec leurs yeux les bulles orange éclatant lors de l’allumage en boules de feu. Leur « timing » dépend de l’accumulation du gaz des marais sur le lit de la rivière, qui souvent atteint un sommet en octobre. Des boules de feu ont été aperçues à plusieurs reprises tout au long de l’année dans le Mékong et ses environs avec une forte concentration de phosphine, a-t-il dit.
La mythologie du Nâga
Le nâga (ou serpent en sanskrit) est un être fabuleux de l’hindouisme, à corps de serpent habituellement représenté avec plusieurs têtes, souvent chimériques et effrayantes : capuchon de cobra, gueule de chien, yeux exorbités et parfois humains.
Dans les légendes de l’Inde et de tout le Sud-Est asiatique, les nâgas sont des habitants du monde souterrain où ils gardent jalousement les trésors de la terre. Ils ont pour ennemi naturel l’aigle géant Garuda (การูดา),
mais nâgas et Garuda ne sont en fait que deux incarnations de Vishnou (พระวิษณุ), les deux aspects de la substance divine, en qui ils se réconcilient.
Le nâga le plus célèbre est Ananta (อนันต), sur lequel se repose Vishnou dans l’intervalle entre la fin d’un monde et la création d’un nouveau.
Le nâga comme sa forme féminine (nagi ou nagini นาคิน) est un génie des eaux, représenté comme un serpent à tête humaine. Considérés comme étant de grands poètes, ils gardent les trésors de la terre.
Le nâga est donc gardien et protecteur, médiateur entre ciel et terre, intercesseur entre ce monde et l’au-delà, parfois associé à l’arc-en-ciel (Bouddha descend du ciel sur un escalier qui est un arc-en-ciel, dont les rampes sont deux nâgas). À Angkor (Angkor-Thom, Prah Khan, Banteai Chmar), des chaussées à balustrades en forme de nâga symboliseraient cet arc-en-ciel, avec Indra (อินทร์) à leur extrémité (Dieu de la foudre et de la pluie).
Dans l’iconographie khmère, le nâga mâle a un nombre impair de têtes, tandis que les femelles en ont un nombre pair. Sur certains linteaux d’Angkor, pouvant symboliser la porte du ciel sont figurés Indra et la Makara (มาการา) crachant deux nâgas.
Dans les contes et légendes cambodgiens, les nâgas peuvent prendre forme humaine, voyager sous terre, nager dans l’eau et voler dans les airs. C’est aussi au nâga qu’on doit la fertilité du sol et la fécondité des femmes.
Le Nâga, le lien entre le monde divin et le monde humain
On trouve des légendes à propos du nâga ou serpent dans les mythologies hindoues et bouddhistes. Sa fréquence dans l’art khmer est extraordinaire. Le royaume des nâgas est constitué par les rivières, les lacs et les mers et c’est là que ces créatures royales demeurent dans des palais luxueux, décorés de perles et de pierres précieuses. Le nâga n’est pas seulement le gardien de l’énergie vitale des eaux, mais également celui des coraux, des coquillages et des perles. Il porte un joyau sur la tête. Les formes sinueuses du nâga créent des arches autour des frontons, des balustrades autour des bassins et des chaussées. Ces chaussées sont souvent appelées « ponts de nâgas », mais dans tous ces cas, le corps allongé du nâga symbolise l’arc-en-ciel qui relie le monde divin au monde humain.
La généalogie légendaire de nombreux souverains khmers est arrivée jusqu’à nous grâce à des panégyriques en sanskrit gravés sur de grandes stèles. Beaucoup de ces souverains se réclament de la descendance de l’union d’un brahmine indien et d’une nagini à moitié serpent, à moitié femme, elle-même descendante d’un roi serpent. Ayant planté sa lance pour marquer sa prise de possession de la terre, il avait d’autre part la maitrise des eaux à travers son ascendance nâga.
Le cycle du monde
Dans la mythologie hindoue, le cycle du monde est divisé en quatre kalpa ou âges. Après la création, 14 périodes mènent inéluctablement vers la destruction. Pendant la sixième période de l’âge actuel, les dieux et les démons combattaient pour la domination du monde, quand une trêve fut conclue pour extraire de l’océan l’amrita, l’élixir d’immortalité. Cet épisode est connu sous le nom de « barattage de l’océan de lait », où le mont Mandara est utilisé comme axe. Le corps du nâga Vasuki est enroulé autour du mont Mandara, les dieux et les démons tirent chacun de leur côté pour baratter l’océan de lait et extraire l’élixir
À la fin d’un âge, survient la destruction. L’énergie de Vishnou prend d’abord la forme du soleil, et assèche la terre de toute vie. Il prend ensuite la forme du vent, aspire tout l’air met le feu et réduit tout en cendres. Puis, se transformant en nuage, Vishnou déverse sous forme de pluie le lait sucré de l’océan cosmique. Les cendres de la création y sont gardées, et tout est dissous, y compris la lune et les étoiles, dans une immense étendue d’eau. C’est alors l’âge de la nuit, qui dure aussi longtemps qu’a duré le jour. Prenant une forme humaine, Vishnou dort sur le nâga à cinq têtes Ananta (« sans fin ») ou Sesha (« le reste »). Le nâga apparaît également dans la vie du Bouddha historique. Durant la méditation du Bouddha, s’éleva un orage violent qui fit monter les eaux. Le roi serpent à sept têtes Muchalinda, surgissant d’entre les racines de l’arbre sous lequel Bouddha méditait, s’enroula en sept anneaux et déploya le capuchon de ses sept têtes pour protéger le seigneur Bouddha jusqu’à ce que les flots se retirent. Le Bouddha obtint ainsi la dévotion du nâga et les eaux sur lequel il régnait. Des représentations du Bouddha assis sur le nâga deviennent communes dans l’art khmer à partir du XIe siècle, et surtout à la fin du XIIe siècle, avec l’adoption du bouddhisme par les souverains d’Angkor.
Dans les autres traditions
Le nâga représente le cycle du temps, tout comme l’Ouroboros des Grecs. Il serait peut-être à rapprocher de l’Uraeus, ou cobra en colère, qui orne le front de Pharaon, concentrant en lui les propriétés du soleil, vivifiant et fécondant, mais capables aussi de tuer, en desséchant ou brûlant.
De nombreux mythes évoquent un serpent légendaire, du monde souterrain (la Vouivre, puissant serpent souterrain des celtes ou le dieu serpent-oiseau fréquent en Amérique du sud), qui peut aussi évoquer les interprétations freudiennes du serpent.
En résumé
L’histoire du Nâga est en quelque sorte similaire à celle du monstre du Loch Ness, dans la mesure où il s’agit d’une créature mythique qui vit sous les eaux.
En ce jour chaque année (c’est le cas depuis plus de 100 ans), une boule de feu rose–rouge, connue sous le nom Bung Fai Paya Nak (บั้งไฟพญานาค) , s’élève de la rivière Mékong dans le ciel à une hauteur d’environ 20 mètres, puis disparaît. Beaucoup croient que c’est un événement naturel et spirituel qui n’est pas mis en scène par l’homme. L’événement est appelé » l’aérolithe du Nâga ». Beaucoup croient que le Nâga tire ces balles en l’air pour célébrer la fin du carême bouddhique.
Le Nâga était un serviteur du Seigneur Bouddha dans sa dernière vie, et est représenté dans les sculptures et les images sous la fonction Nâga dans de nombreux temples bouddhistes. Beaucoup d’entre eux représentent Bouddha méditant sous l’ombre de la tête du Nâga, indiquant que le Nâga était le garde du corps de Bouddha.
NOTES
(1) La phosphine est le nom commun d’un gaz constitué d’hydrure de phosphore (dont le nom officiel et international (Code IUPAC) est phosphane. Il s’agit d’un gaz incolore, très toxique et inflammable (utilisé pour ces raisons comme agent de fumigation à des fins biocides). Son point d’ébullition est de -88 °C sous la pression atmosphérique. La phosphine pure est inodore, mais la « phosphine technique » a une odeur extrêmement déplaisante évoquant l’ail ou le poisson pourri, à cause de la présence de « phosphine substituée » et de diphosphine (P2H4). Sa formule est PH3. Elle peut par exemple résulter de l’action d’un acide sur un sel d’aluminium (phosphure d’aluminium) ou de magnésium (phosphure de magnésium) ou tout simplement d’une réaction de ces sels avec l’eau où le sel est hydrolysé.
Philippe DRILLIEN
Cet article, publié dans le N° 106 de la revue Philao a suscité le commentaire suivant paru dans le N° 107 :
« C'est très étrange ! Dans l'article de Philippe Drillien concernant « les Nâgas et les boules de feu du Mékong »…il est mentionné une explication scientifique. Mais pas très concluante, et, je souhaiterais y apporter quelques réflexions complémentaires.
Si le phénomène de combustion spontanée de gaz inflammables, d'origine naturelle, (On ne tiendra donc pas compte de l'auto-inflammation des gaz émanant des terrils, -voire de l'auto-combustion de ceux-là même- notamment observée dans les années 50 aux alentours des mines de Decazeville) sous certaines conditions physiques (en particulier de température), n'est pas courant, il est néanmoins connu (même sur le territoire français) La production de ces gaz inflammables a principalement deux origines :
- L'émission de gaz au travers de fissures dans l'écorce terrestre, à partir de réservoirs profonds, souvent dans des zones d'activité sismique et/ou volcanique.
- Et celle provenant de la putréfaction de cadavres d’animaux et/ou de la décomposition de végétaux enfouis sous des vases et boues superficielles (Ou également dans de plus en plus rares tourbières : Jura, Auvergne, Bretagne).
Dans le premier cas, on peut signaler l'une des « Sept Merveilles du Dauphiné », la « Fontaine Ardente » du Col de l'Arzelier, sur la commune du Gua.
On peut aussi y ranger la flamme permanente qui jaillit au milieu d'une source, au sanctuaire de Muktinath, dans l'ancien royaume du Mustang, au Népal (Zone de population et civilisation tibétaine au nord du Népal, et, jusqu'à récemment, politiquement un « sous royaume » à l'intérieur même du royaume du Népal.
Dans le deuxième cas, ce phénomène semble identique à celui que l'on connait sous le nom de flammerole, ou bien de feu follet, (et non de « farfadet », qui est une sorte de lutin provençal), et dû à des exhalaisons d'hydrogène sulfuré à l'odeur méphitique, ainsi que de méthane, anciennement connu sous le nom de « gaz des marais ».
La libération de composés phosphorés (phosphines et phosphanes) par la décomposition des cadavres, associée à la production de méthane, permet donc sous certaines conditions, l'auto-inflammation. Ces émanations de gaz auto-inflammables sont assez documentées en France, et notamment au-dessus d'anciens cimetières ou bien de marécages pestilentiels. Mais dans les deux cas, il ne s'agit que de phénomènes lumineux (et réellement flambants, et visibles), au ras du sol ! Ca ne s'envole pas à 100 m de hauteur ! Impossible à confondre avec les « lampions volants » lancés lors de la Fête des Lumières, la date ne correspond pas….
Alors, quant au Mékong ? Oui, il doit charrier bien des cadavres d'animaux, entre autres, susceptibles de produire du méthane CH4, de l'hydrogène sulfuré H2S, ainsi que des composés phosphorés, et donc de produire, des gaz auto-inflammables. Ces exhalaisons devraient logiquement se passer en « eaux basses » du Mékong (avril). Mais le phénomène se passe en octobre, alors que les eaux (du Mékong) ne sont certes pas à l'étiage (avril), mais plutôt encore très hautes après les crues maximales d'Aout et de Septembre. Alors ? Concernant ces fameuses « Boules de Feu » s'élevant jusqu'à 100 ou 200 m d'altitude, cette réflexion n'aura finalement rien apporté de décisif ! Aux scientifiques de faire des forages à l'étiage et autres prélèvements dans le lit du Mékong, afin d'essayer de déterminer de quoi il s'agit ".
Edmond WEISSBERG
QUELQUES COMMENTAIRES …
Nous n’avons rien à ajouter à cet article et ne ferons que quelques observations :
Sur le phénomène
1) Si le phénomène date pour les riverains du fleuve, Laos et Thaïs, de siècles sinon de millénaires, il est inconnu des premiers visiteurs attentifs dès le milieu du XIXe siècle, notamment des « pionniers du Mékong » qui ont arpenté le fleuve partant à sa découverte tout au long de l’année. Ils ne l’ont pas constaté et n’en ont pas entendu parler. Ce n’est d’ailleurs guère que depuis le début du siècle qu’il est l’occasion de gigantesques kermesses aussi commerciales que pieuses…
... et de quelques coquineries qui trouvent tout de même des dupes comme la vente des « yeux du Naga » qui ne sont que des pierres apparemment granitiques de forme plus ou moins sphérique.
2) On peut lire sans la moindre précision que le phénomène aurait été constaté ailleurs sur le fleuve et à d’autres époques de l’année, où ? Quand ? ce qui est à mettre au chapitre des affirmations gratuites, un cancer qui ronge Internet hélas !
3) Explication chimique, c’est probable sinon certain, mais pourquoi cette réaction se produit-elle uniquement sur un parcours limité du fleuve, en gros depuis en amont de Nongkhaï jusqu’en aval de Bungkan, à une époque précise de l’année (aux alentours de la pleine lune d’octobre) tout au long de la nuit ? Existe-t-il un catalyseur propre à cette zone et à cette époque ? Température, hygrométrie, pression atmosphérique ? Pourquoi pas ? Souhaitons que les études scientifiques se poursuivent au fils des années et que des plongeurs courageux aillent étudier ce qui se passe au fond du fleuve.
4) Nous n’avons enfin guère trouvé de photographies ou de films vraiment significatifs ce qui est singulier compte tenu de la perfection actuelle du matérielle notamment pour les prises de vue en conditions défavorables. Ils sont en tous cas assez troublants. Nous sommes – sans jouer les Saint Thomas - à la recherche d’un témoin visuel digne de foi. Les videos diffusées sur Internet à l'occasion de l'"événement" qui s'est déroulé cette année les 5, 6 et 7 octobre, ne sont pas plus significatives.
17 octobre 2016, on notera des feux d'artifice sur la rive laotienne :
Sur les « monstres du Mékong »
Existe-t-il des créatures monstrueuses dans le fleuve ? Bien évidemment si l’on considère comme « monstre » ce gigantesque siluridé qu’est le « plabuk » auquel nous avons consacré un article (A 208 « LE RITUEL DE LA PÊCHE AU PLABUK, « LE GÉANT DU MEKONG » DANS LE NORD – EST DE LA THAÏLANDE ».). Le record à ce jour est de 293 kg pour 2 m 75 de long (très exactement 9 pieds et 646 livres).
Lorsque cet animal a été capturé, les villageois en avait fait un festin avant que les scientifiques venus de Bangkok puissent l’étudier pour savoir s’il était en particulier parvenu au terme de sa croissance. Il est possible que de plus gros se terrent dans les profondeurs du Mékong au fond de leurs grottes dont ils ne sortent que rarement.
Mais peut-on qualifier de « monstre » ce pacifique animal herbivore qui ne ressemble en rien à un serpent ? Il y aussi des anguilles mais leur taille record ne passe jamais les 2 mètres pour moins de 20 kilogrammes pour une espèce spécifique à la Nouvelle-Zélande.
Ce sont d’ailleurs probablement des anguilles (ou des serpents terrestres ?) et non les Nagas qui laissent la nuit des traces serpentines dans le sable des rives du Mékong. L’anguille s’accommode de vivre quelques temps à l’air libre comme d’ailleurs d’autres poissons d’eau douce y compris tous les siluridés.
Elle quitte donc parfois son habitat aquatique pour en chercher un plus favorable par voie terrestre, de nuit évidemment pour éviter de se faire harponner par les pécheurs. Tous nos braconniers qui partent, de nuit, traquer la truite l’ont constaté.
On voit de temps en temps apparaître dans la presse la photographie, toujours floue, d’un Naga nageant à la surface du Mékong. Celle-ci, prise en 2016 à la hauteur de Mukdahan a été présentée comme « significative ».
La biodiversité subaquatique du Mékong, est d’une étonnante richesse et toutes les espèces sont loin d’avoir été inventoriées (Voir l’article de John Valbo-Jorgensen « Fish diversity in the Mekong » dans la revue « Catch and culture » de juin 2003 – que nous a aimablement signalée Philippe Drillien numérisée sur le site : http://www.mrcmekong.org/assets/Publications/Catch-and- Culture/Catchjun03vol9.1.pdf).
Salamandre d'une espèce inconnue découverte en 2015 :
L’histoire nous apprend par ailleurs que le subconscient populaire a souvent tendance à exagérer la taille des « monstres » pour les faire entrer ans la légende comme ce fut le cas de la bête du Gévaudan qui était probablement un loup d’une taille supérieure à la moyenne.
La revue susvisée narre ainsi la légende du poisson-chat géant du Mékong à l’époque du grand roi King Souriyavongsa qui régna à Luangprabang de 1637 à 1695. La légende voulait que le poisson chat géant se terrait dans une grotte subaquatique appelée Tham Plabuek (ถ้ำปลาบึก). Pour permettre sa capture, le roi devait sacrifier chaque année un homme et une femme aux esprits des grottes, ces Phi (ผี) que nous connaissons bien. Ces esprits vivaient dans un réseau souterrain relié au fleuve dans la province de Sayabouri attribuée au Laos français par le traité de 1893 mais situé sur la rive droite – siamoise – du fleuve. Le rite nécessitait 100 hommes et femmes de préférence volontaires entrant dans une grotte, 50 hommes dans l’une et 50 femmes dans une autre. Un tambour leur demandait de revenir, il manquait un homme et une femme. Le sacrifice était terminé et le roi pouvait commencer sa partie de pêche.
Une autre légende d’une époque moins sanguinaire est relatée dans un article du Capitaine Belloc « Croquis laotiens – la pêche au pabeuk » qui semble dater des années 30 et que nous a également communiqué Philippe Drillien. Les poisons géants vivent dans des grottes en aval des rapides fermées par des portes de bronze, nul n’a l’audace de s’en approcher. Mais des Phis sont chargés de les autoriser une fois dans l’année à prendre une bouffée de liberté. Tout cela se passe trois jours avant la pleine lune de février, les Phis vont alors déverrouiller les portes.
Ce sont des légendes mais elles confirment l’hypothèse que quelques monstres sont peut-être encore cachés dans des profondeurs inaccessibles du fleuve, parfois entre 50 et 70 mètres entre les falaises.
On trouve par ailleurs partout sur les rives du Mékong une photographie (enfin !) d e la reine des Nagas qui n’est qu’une tromperie. Elle est affichée depuis le début du siècle dans tous les bars, restaurants, hôtels des deux rives du fleuve et même ailleurs. La légende mentionne qu’il s’agit du roi des Nagas capturé par l'armée américaine dans le Mékong près d’une base militaire du Laos le 27 juin 1973, d’une longueur de 7,80 mètres. Diverses légendes ou explications ont circulé à la fin du siècle dernier. Photomontage ? Crash d’un avion venu des États-Unis transportant cet étrange animal ? Rumeur aussi : tous seraient mort d’avoir consommé sa chair ? Ou une autre, tous sont morts d’avoir tué le roi des Nagas. Nul ne sait quel est l’auteur de ce faux qui a été vendu à d'innombrables touristes crédules et de non moins crédules habitants. Ce qui est évidemment singulier est qu’à cette date il n’y avait pas de base américaine sur les rives du Mékong au Laos.
Il ne s’agit pas en réalité d’un faux au sens propre du terme. La photographie a en réalité été prise le 19 septembre 1996 au « Naval Amphibious Base Coronado » en Californie par des militaires « SEAL » (sea, air and land). L’animal est un régalec géant retrouvé mort sur la plage par les militaires effectuant une course à pied. Il pesait 300 livres (soit 136 kilos) pour 7,80 mètres. De nombreuses photos ont été prises dont certaines ont connu cette diffusion mensongère ! Cet animal mystérieux a été peu étudié : Il vit dans les profondeurs des océans, jamais en eaux douces et surgit parfois en surface, à l’origine des multiples légendes sur les serpents de mer !
La photographie d'origine :
Le journal officiel de la marine US (All Hands) numéro 960 d’avril 1997 relate cette découverte avec la classique photographie et surtout une autre de la tête de l’animal qui n’a rien de sympathique !
Le mensonge fut d’autant plus facile à démontrer que la Revue est librement accessible sur Internet.
Sur les Nagas
Nous avons la chance d’avoir déniché un très bel article « Exploring nagas images : textual analysis of Thailand’s narrative » (Exploration des images des nagas: analyse textuelle des récits de la Thaïlande) d’un universitaire de Taïwan, Ya-Liang Chang qui a été publié en début d’année sur « Journal of Mekong societies », volume 13, pages 19-35 d’accès facile puisque numérisé sur le site dépendant de l’université de Khonkaen https://mekongjournal.kku.ac.th/all_volumes.html.
L’auteur a cherché les origines du mythe et des légendes des Nagas. Est-il venu des Indes et passé au Siam avec le Bouddhisme ? Celui-ci a-t-il intégré un très ancien et préhistorique culte au dieu-serpent comme pourraient le laisser supposer certaines représentations de serpent enroulé trouvées à Ban Chiang ? Mais dans toutes les recherches qu’il a effectuées dans les très anciens récits légendaires, il n’apparait en aucun endroit le mythe d’un Naga cracheur de feu.