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Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.

A 232. UNE VISION DE BANGKOK ET DES THAÏLANDAIS DANS UN ROMAN POLICIER DE JOHN BURDETT.

A 232. UNE VISION DE BANGKOK ET DES THAÏLANDAIS DANS UN  ROMAN POLICIER DE JOHN BURDETT.

« Bangkok Psycho », traduit de l’anglais par Thierry Piélat aux Presses de la Cité, 10/18, 2007.

 

L’origine de cet article provient d’un écrit de Jonathan DeHart paru le 22/11/2016 dans  « Le Courrier international », revue de l’UNESCO, intitulé : « Plongée dans les polars de Bangkok »* et de la lecture que nous avions faite de nombreux romans policiers de John Burdett traduits en français, comme  Bangkok 8, Bangkok Tattoo, Bangkok Psycho, Le Parrain de Katmandou **… Nous avions remarqué alors que John Burdett avait une bonne connaissance de Bangkok et de la culture thaïlandaise, même si son propos était d’écrire un bon roman policier dans un cadre particulier. Il nous est apparu intéressant  de relever et d’étudier la pertinence de ce qui relevait de simples constatations au fil de nos lectures linéaires, et de proposer un pacte de lecture.

A 232. UNE VISION DE BANGKOK ET DES THAÏLANDAIS DANS UN  ROMAN POLICIER DE JOHN BURDETT.

Un pacte de lecture qui  se  donne comme objectif de relever voire d’analyser, ce que « Bangkok Psycho »  peut nous apprendre sur Bangkok et sur la vie, la culture, la religion,  la mentalité … des Thaïlandais que Burdett  juge bien différentes de celles de l’Occident; tout en ne dévoilant rien de l’intrigue, de l’enquête policière de l’inspecteur Sonchaï Jitpleecheep, qui vient de recevoir un snuff movie, dans lequel il peut voir une jeune prostituée - qu’il a aimée quatre ans plus tôt - être assassinée dans une scène sexuelle d’une rare violence.

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Cela nous rappelait que nous avions procédé ainsi dans notre article consacré au roman policier  « Un os dans le riz, Une enquête de l’inspecteur Prik » de notre ami Jeff, qui nous avait permis de constater que ce roman, fut-ce-t-il policier, permettait d’approcher de multiples réalités de l’Isan, cette grande Région du Nord-Est de la Thaïlande.***

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On évoquait à cette occasion d’autres romans policiers « ethnologiques » comme ceux de Tony Hillerman avec ses enquêtes au milieu des coutumes et croyances navajos, James Melville avec son commissaire Otani de la police de Kobe qui nous introduit à la civilisation japonaise, Alexander Mc Call Smith au milieu de la vie quotidienne botswanaise …

 

Jonathan DeHart dans son article  précise  que « L’atmosphère, les paradoxes et les excès de la capitale thaïlandaise inspirent de nombreux auteurs de polars » avec  « la chaleur étouffante, les odeurs âcres, les embouteillages incessants, les vendeurs ambulants de nourriture qui partagent les trottoirs défoncés avec les chiens errants, faisant les poubelles en quête de restes(…) Ce mélange enivrant crée une  ambiance propice au roman noir. » ****

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Il cite John Burdett qui reconnait que « Bangkok est l’endroit parfait pour le polar”.  Tous les ingrédients sont  là : « l’ambiance des rues de Bangkok » ; La pègre, le luxe, la corruption  […]  Ce sont les nouveaux et anciens criminels enfermés dans une bataille de contrôle de territoire qui en profitent pour surfer sur la vague des changements rapides… Pour un  auteur de polar, la corruption, le double jeu et les inégalités fournissent des matériaux de base pour imaginer des personnages saisis par le vice du pouvoir et rendre compte de leur tentative futile d’échapper à leur destin.”  

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On y apprend que John Burdett lit la presse en langue thaïe (qui) déverse un  flot régulier de faits divers sordides et criminels, et où il trouve « quantité de nouvelles sur les problèmes de drogue, de violence, de superstition, sur les guerres de groupes d’adolescents, sur le bouddhisme, sur la vie des travailleurs dans les plantations de caoutchouc dans le Sud et de bananiers dans le Nord, sur les insurrections dans le Sud-Ouest, sur les averses de grêle de la mi-été qui détruisent les cabanes et les maisons, sur les méduses tueuses et le trafic de drogue (yaba de Birmanie, ice de Chine, héroïne d’Afghanistan, cocaïne de Colombie). » […]  

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A cela on peut ajouter « les superstitions populaires, les histoires de fantômes et d’esprits, dans l’interprétation des rêves, les histoires de sexe, les pratiques politiques troubles, ou encore dans les rituels de magie noire d’Asie du Sud-Est, ainsi que dans les textes anciens de la culture thaïe, comme le Ramakien,  une  variante de l’épopée indienne du Ramayana. Ces éléments de récit ont sans aucun doute un  effet enivrant et se prêtent à un  nombre -semble-t-il- illimité de scénarios ».

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Mais encore, faut-il être capable de comprendre, nous dit Burdett :

 

« Tout le monde a entendu parler de cette ville, beaucoup l’ont déjà visitée, mais très peu de personnes ont percé ses mystères. Ils sont protégés par une  langue et un  alphabet quasi impénétrables, et par mille et une superstitions qui peuvent sortir de nulle part, juste au moment où vous pensez avoir fait des progrès de compréhension. »

 

Prévenu, nous pouvions tenter de le faire

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Il s’agit donc ici de relever ce qu’on appelle les «  effets du réel » sur Bangkok, la culture et  la mentalité des Thaïlandais, jugés par notre héros, l’inspecteur Sonchaï Jitpleecheep, incompréhensibles pour un farang (Un occidental ). Une « réalité thaïlandaise » que Burdett a aussi puisée dans 11 ouvrages dont il donne les titres à la fin du roman. Il cite en effet le journal anglais « The Bangkok Post »,  le quotidien thaï « Kum Chat Luk » et des livres qui abordent la corruption,  la religion bouddhiste, le yoga,  la drogue, les paris et les filles,

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la justice, et le livre « Very thai » de Philip Cornwel-Smith, qui justement tente de dépasser les clichés pour décrire les manifestations particulières de la « pop » et de la vie thaïlandaise.

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Le roman est donc construit sur la volonté du héros, l’inspecteur Sonchaï Jitpleecheep, de raconter l’enquête à un lecteur qu’il interpelle comme « farang » à qui il va expliquer certains aspects  de la culture et de la mentalité des Thaïlandais, qu’il est supposé – à priori -  ne pas comprendre.

 

Ainsi par exemple : « Désolé farang, je crois qu’une digression s’annonce ». « Qu’en penses-tu farang ? ». « Désolé de t’infliger un nouveau choc culturel en plein milieu de l’histoire, farang ; voilà ce qu’est un casino funéraire. ». « Je fais de mon mieux pour décrire la structure cachée d’une société en laquelle peu d’étrangers reconnaîtraient celle de la Thaïlande. » Ou encore : « Savais-tu farang » et Sonchaï d’expliquer comment « les anciens se figuraient la jalousie comme une intrusion verdâtre en forme de corne du corps astral » Ou bien encore Sonchaï à Smith à propos de la mort de Damrong : « Permettez-moi de dire les choses à la manière bouddhiste ».

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D’ailleurs Sonchaï et d’autres personnages thaïs reviendront très souvent, comme nous le verrons,  sur le bouddhisme et les croyances qui y sont associées, que les farangs aiment classer comme superstitions, oubliant comme le dit le Dr Supatra, la légiste à miss FBI : « vous devez garder à l’esprit que c’est une autre culture, qui engendre une forme différente de conscience. » Et le docteur d’expliquer à miss FBI que « la manière dont une culture considère la mort définit son attitude face  à la vie », ce que les occidentaux semblent nier, dit-elle, et de poursuivre en rappelant que pour les Thaïs (Comme tous ceux de l’Asie du Sud-Est, dit-elle) « les revenants sont cent fois plus nombreux que les vivants. » (Et elle lui montre un film pris la nuit dernière à la morgue où l’on voit des fantômes forniquer).

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Mais à cette volonté explicative, Sonchaï et d’autres personnages thaïs n’hésiteront pas à critiquer la culture et la mentalité des farangs et certains comportements de ceux-ci en Thaïlande.

 

Ainsi évoquant « Songkran, le nouvel An thaï »,  Sonchaï constate que cette  fête sainte, a été dévoyée par les touristes farangs, présentés comme des « garnements au visage rose, de trente, quarante ou cinquante ans » qui aspergent les passants, mais que « l’alcool rend agressifs » jusqu’à ce que « ivres, ils se roulent en boule sur le trottoir pour cuver ». Ou bien : à propos de miss FBI « Sa façon typiquement farang de dire la vérité sans fard m’abasourdit un bon moment ». Ou bien encore le colonel Vikorn, apprenant de Somchaï l’importance de l’industrie du porno aux USA : « Incroyable. Les farangs sont encore plus hypocrites que la police royale thaïe. Tu veux dire que nos petits journalistes occidentaux, que nos bordels font monter sur leurs grands chevaux, passent la majeure partie de leur vie dans des chambres d’hôtel cinq étoiles à regarder, moyennant finance, des gens forniquer pour de l’argent ? ». « C’est une culture de l’hypocrisie », poursuit alors Sonchaï. Nong discutant avec Sonchaï au Old Man’s Club « fulmine contre les farangs en général … Pourquoi font-il des promesses idiotes s’ils n’ont pas l’intention de les tenir, comme si nous étions des enfants incapables de voir la réalité en face ?

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C’est tout le problème de leur culture ; ils pensent que les autres habitants de la planète sont aussi  puérils qu’eux. »   Pire, à cette puérilité miss FBI ajoute le complexe de supériorité. Ainsi, résumant la pensée de Lek, l’adjoint de l’inspecteur Sonchaï : « Pour toi l’esprit occidental  … (une) combinaison contre nature de logique scolaire, de soif de sang et de gloire, de complexe de supériorité et de volonté de détruire pour sauver qui nous  a amenés à massacrer trois millions de Vietnamiens, des femmes et des enfants pour la plupart, tout ça au nom de la liberté et de la démocratie, avant de prendre la tangente parce que ça coûtait trop cher. ».


 

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La « réalité » thaïlandaise est bien visible avec les mots thaïlandais qui ponctuent le texte, comme par exemple : touk touk ; Ting-tong ; Il a maintenant une gatdanyu envers moi”. (Sorte de dette de sang que l’on doit au défunt.) ;  la mia noï (mon épouse secondaire, à qui on verse un salaire et la location d’un studio »; Jai dee mark mark ; moordu (une voyante) wat ; « pour acquérir du tambun »(« accumuler un trésor pour la prochaine vie, chart na »  ; somtan (salade pimentée);  « un éventaire pour kong kob kiao ; le jeune phra ;  arhat ; Son stick de yaa dum ; un saleng (un récupérateur dans les poubelles) ; La méditation vipassana. Pour le wat (le bot, le chédi, etc) ; kong wan (sucreries) ; « je suis un leuk kreung, un sang mêlé » ;  borisot (espace spécial dans la maison pour une fille qui atteint la puberté et dont l’honneur doit être inviolable), etc.

 

D’autres effets du « réel thaïlandais » sont de situer l’action principalement  à Bangkok, même si d’autres lieux sont évoqués comme l’Isan avec la province de Surin « (qui) est celle des éléphants », sa gare routière, le village de Pak Cheung … L’Isan étant essentiellement décrite comme lieu de pauvreté et d’origine des prostituées de Bangkok.

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Sonchaï circule et mange dans Bangkok.

 

En effet, pour les besoins de l’enquête Sonchaï nous signale les lieux où il doit aller, où il mange (Beaucoup de paragraphes consacrés à la nourriture thaïe), mais c’est surtout les endroits chauds qu’il décrit (Soi Cow boy, Nana Plaza, et Pat Pong).

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Ainsi nous avons droit aussi aux multiples restaurants qu’il fréquente ainsi qu’aux éventaires des vendeurs de rues dont il apprécie les plats thaïs et dont il donne  les multiples spécialités. Sonchaï, sa femme et Nong vont  diner au buffet du Grand Britannia, sur Sukhumvit, tout près de la station Asok du Skytrain. Sonchaï retrouve la mamasan du Parthenon au « Starbucks de Sukhumvit, côté Nana. ». Il précise que : « Le Kimsee est un restaurant japonais sur Sukhumvit, face à l’Emporium et sous le Skytrain ». Un paragraphe pour évoquer à 11h30 le coup de feu des vendeurs de rues devant le commissariat, où  mijotent des « cuisses de porc dans les grandes marmites émaillées, une soupe de boeuf dans celles en cuivre », sans oublier « les salades de somtan redoutablement épicées »; et la page suivante  voir Sonchaï et Lek prendre leur déjeuner « à un éventaire pour kong kob kiao ». Plus loin, Sonchaï interpelle son lecteur farang, pour le faire saliver sur la bonne cuisine thaïe, « avec le porc braisé accompagné de riz, poulet bouilli et riz, la salade de somtan et riz gluant, et des tas de kong wan, des sucreries » (et) « Les crêpes croustillantes fourrées à la crème de noix de coco incontournables ; farang. » On apprendra que « son plat favori, (est) le pla neung manau, un poisson bouilli dans une sauce au citron ».

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Mais on va suivre aussi Sonchaï dans certaines avenues et soï de Bangkok.

 

Au fil des courses en taxi, on passera devant la prison de Lard Yao qu’il décrira « la prison la plus grande du pays ; construite par les Japonais pendant la seconde guerre mondiale, elle héberge neuf mille détenus. »; « Nous contemplons un moment le Chao Phraya, qui comme d’habitude est vrombissant de vie. » avec  sa description en un paragraphe : des remorqueurs, des lourdes péniches à la proue ornées de gros yeux, les bateaux à longue queue, le fleuve comme voie publique, les coups de sifflets hystériques des docks flottants, etc. Il évoque le quartier chinois reconnaissable dit-il, « au nombre de boutiques où l’on vend de l’or ». Ou encore on circule au marché de Chatuchak, « un immense labyrinthe de stands, une véritable ville de marchands à ciel ouvert, où on vend tout et n’importe quoi. », ses arnaques sur les oiseaux exotiques, les peintures, les orchidées …   

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 Evidemment on aura droit aux inévitables embouteillages de Bangkok : « Nous sommes coincés dans l’embouteillage habituel du croisement Asok-Sukhumvit. » où on doit prendre des risques « Tourner à droite dans  Sukhumvit en venant d’Asok peut se révéler délicat sans pop pong. ».

 

Mais on sera le plus souvent dans les endroits chauds de la prostitution, à savoir, Soi Cowboy, Nana, et Pat Pong.

 

Lek, l’adjoint de l’inspecteur Sonchaï recherchant des informations sur la victime Damrong va montrer sa photo dans les bars, « en commençant par Soi Cowboy avant de tenter le coup à Nana puis à Pat Pong (…) Je pense que vingt pour cent des femmes qui ont des qualités requises pour vendre leur corps à Bangkok suivent ce même circuit ». D’ailleurs plus loin, on apprendra que Damrong a effectivement « fait Soi Cowboy, Nana et Pat Pong, où elle était une des filles qui gagnaient le mieux leur vie dans la rue. Puis elle est allée au Parthenon Club. ».

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Précédemment, on avait d’ailleurs eu la description du soi Cowboy, quand Sonchaï avait dû perquisitionné l’appartement de la victime Damrong situé « dans un immeuble en copropriété de catégorie moyenne, Soi 23 (prononcer soï ) », un appartement qui n’était pas loin du bar de sa mère, « l’Old Man’s Club » qu’elle doit rénover à l’instar du Fire House et du Vixens, où les filles dansent nues pour mieux attirer le client. Plus loin, Sonchai désirant acheter des nouilles moomah pour répondre à un désir soudain de sa femme enceinte prendra un taxi pour aller dans le secteur de Nana la nuit, car il est sûr d’y trouver un magasin ouvert, le Foodland par exemple, où des filles achètent leurs provisions avant de rentrer chez elle … et un petit bar bondé. Ce sera l’occasion d’une description d’une page avec  les éventaires pour nourrir les prostituées, les « filles des gogo bars qui viennent de finir leur travail ». Pour les besoins de l’enquête, Sonchaï  reviendra très souvent  au Club Parthenon, où va  « Le dessus du panier de la société thaïe : des officiers supérieurs de l’armée, des flics de très haut rang, des banquiers, des hommes d’affaires, des hommes politiques ». On aura droit au fonctionnement de l’établissement, les prestations offertes, la description du spectacle d’une cinquantaine de filles permettant aux clients de choisir l’une ou plusieurs d’entre elles; celle  d’une chambre VIP de 200 m2 à la décoration érotique particulière et jacuzzi, où deux filles jouent à s’asperger suivie d’une scène érotique, chambre que reconnait  Sonchaï comme étant celle où Damrong a été assassinée.

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D’autres salons de massage seront cités, comme celui où Sonchaï va parfois, « établissement bien connu situé entre dans un soi qui relie Sukhumvit au Soi 45 », ou celui du massage à étages au Soi 4 Pat Pong, qui offre des « prestations diverses ». On voyagera aussi jusqu’à la station Sala Daeng du Skytrain, où Sonchaï donnera rendez-vous à Lek au « Don Juan, son bar de katoey  préféré ». 

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Les causes de la prostitution.

 

Si nous suivons Sonchaï dans quelques lieux de prostitution pour les besoins de son enquête, nous allons aussi apprendre, au fil des chapitres, les  circonstances et les causes qui ont amenées la victime Damrong et Nong par exemple à se prostituer.

 

Baker, l’ex-mari US de la victime Damrong explique à Sonchaï son parcours : sa passion, l’argent qu’il lui envoyait,  son mariage (qui a duré un an), et son court séjour aux Etats-Unis, et sa déception de  « farang   moyen, (qui s’est) laissé prendre comme tous les autres, qu’ils soient français, italiens, allemands, britanniques. C’est toujours la même histoire idiote, qui se répète indéfiniment »  mais qui avoue que sa femme lui avait dit : « qu’elle n’était pas là pour jouer les amoureuses mais pour aider sa famille et son petit frère en particulier. ».

 

Mais on apprendra une autre partie de la vie de Damrong bien plus cruelle : ses parents l’ont vendu quand elle avait 14 ans pour travailler pendant un an dans un bordel de Malaisie, où elle travaillait 16h par jour et devait servir au minimum 20 clients. Le frère de Damrong dit qu’elle avait accepté à condition qu’on s’occupe bien de lui. Mais ses parents ont dépensé l’argent en alcool et en yaa baa. A son retour, elle a dénoncé son père à la police. Elle a ensuite signé un autre contrat de prostitution à Singapour et l’a donné à son frère.

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Nous aurons lu auparavant  une explication économique plus « classique » en assistant à une discussion entre Sonchaï et Nong : « Nous ne tardons pas à raconter des histoires sur des enfances vécues dans la pauvreté en Thaïlande et les problèmes posés par la survie des petites fermes. Ses parents sont propriétaires d’une dizaine d’hectares de terres agricoles pas trop mauvaises dans l‘Isan, près de Khon Kaen, mais il est impossible d’en tirer un profit » et Nong de livrer le récit de sa chute, avec les parents endettés, auxquels s’ajoutent les frais de scolarité et médicaux et de la nécessité où elle s’est trouvée d’aller « travailler » à Bangkok pour « leur envoyer au moins dix mille bahts par mois ».

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Plus loin, Sonchaï rencontre à la morgue la famille de Nok qui lui confirmera le rôle de soutien financier de Nok qui envoyait 10 000 bahts par mois, ce qui nourrissait la famille ; Une famille dont la mère souligne la pauvreté, l’absence d’argent bien qu’ils font pousser du riz, la maladie du père diabétique, la fille cadette dont la plupart des copains, boivent et se droguent. L’espoir que représentait Nok qui avait pensé trouver un farang pour sa sœur. On a droit à une autre rencontre de Sonchaï avec une jeune femme dans un restaurant du village de Pak Cheung, qui lui confie qu’elle travaille à Nana et rentre chez elle pour quelques jours pour voir sa fille de 5 ans qu’elle a eu d’un amant qui a disparu dès qu’elle lui a appris qu’elle était enceinte. Sonchaï « voit bien qu’elle attend avec impatience de recevoir les marques de respect que les gens du village ne manqueront de lui témoigner parce qu’elle aide ses parents et ses frères et sœurs ».

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Mais il est une autre explication majeure, plus originale est donnée : le gatdanyu, vous connaissez ?

 

On peut lire partout que les filles qui partent se prostituer à Bangkok, et dans les principaux centres touristiques, viennent de la campagne et de l’Isan en particulier, qu’elles sont issues de familles pauvres, et vendent leur corps pour soutenir leur famille et rembourser les dettes contractées, mais vous verrez rarement une explication par le gatdanyu, tant nous dit Sonchaï que  « tenter d’expliquer le gatdanyu à un farang revient à essayer de faire comprendre à un chasseur de têtes de Sumatra le principe de la double hélice de l’ADN ( )  Je fais de mon mieux pour décrire la structure cachée d’une société en laquelle peu d’étrangers reconnaîtraient celle de la Thaïlande. Lorsque le bouddhisme est arrivé chez nous, nos ancêtres ont reçu son message de générosité et de compassion avec enthousiasme. Ils ont dû cependant l’adapter pour tenir compte d’une bizarrerie de la nature humaine qu’ils avaient remarquée pendant la dizaine de milliers d’années antérieures au bouddhisme. L’objection qu’ils opposaient à la naïveté de leur foi pouvait, je crois, s’exprimer en un mot : remboursement. Comment faire en sorte que qu’il vaille la peine de se montrer généreux ? En s’assurant que cela soit payant. Résultat, chaque Thaï se retrouve empêtré dans un écheveau de dettes et de créances morales qui ne s’éteignent qu’à la mort. Chaque faveur est évaluée en fonction d’un système comptable non écrit qui a pour point de départ cette Faveur avec un grand F qu’est la naissance, dette prioritaire par rapport à toutes les autres.

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- Au premier abord, la Thaïlande semble être une culture « machiste »; gratte sous la surface et tu t’aperçois qu’elle est dirigée par la Mère. J’en suis absolument certain. (…)

 

Miss  FBI : «  Et quand on voit les Thaïs courir à droite et à gauche comme s’ils étaient tous es hommes d’affaires prospères, ils cherchent en fait le moyen d’obtenir une faveur de A pour rendre celle qu’ils doivent à B, depuis l’enfance peut-être, et ainsi de suite, c’est bien ça ?

 

- Tu as saisi. 

 

- Attends un peu … et les filles qui travaillent dans les bars ? Tu es en train de me dire qu’elles paient avec leur corps leur dette à l’égard de leur mère en vendant leur corps ?

 

-Oui, c’est exactement ça.

 

-Et la mère le sait ?

 

Il y a une loi du silence, mais en fait tout le monde sait ».

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Le moine Titanaka, le frère de Damrong ira même jusqu’à dire que « C’est le seul moyen d’organisation dont nous disposons en Thaïlande. Il n’est pas parfait, les gens en abusent, surtout les mères, mais nous n’avons pas autre chose ».

 

D’ailleurs à la fin du roman Damrong dans une lettre posthume adressée à son frère lui confirme son amour pour lui, qu’elle a vendu son corps pour lui, mais lui demande d’acquitter sa dette : gatdanyu. « Tous ces porcs doivent mourir dans le cadre de mon sacrifice » le menaçant de malédictions s’il ne le fait pas.

 

Tout au long du roman, nous aurons ainsi des explications sur la religion,  la culture et la mentalité des Thaïlandais données principalement par l’inspecteur Sonchaï au farang, qui –à priori- ne peut  pas comprendre.  

 

Dès le début du roman, nous l’avons dit, le Dr Supatra, nous a rappelé que la culture thaïe « est une autre culture, qui engendre une forme différente de conscience » en évoquant les fantômes, « les revenants (qui) sont cent fois plus nombreux que les vivants ».

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Des fantômes, qui ne sont pour miss FBI que des créations de l’imagination, de la sorcellerie primitive. Ainsi à Sonchaï qui a cru voir le fantôme de Damrong qui lui a parlé, le soir au lit, elle ne peut que répondre : « De telles choses  sont impossibles, ce sont des créations de l’imagination de paysans ignorants en proie à l’ennui, tu le sais bien. Tu n’es qu’à moitié thaï, pour l’amour de Bouddha, tu n’as pas à tomber dans cette sorcellerie primitive, d’accord ? D’accord. ».

 

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 Mais Sonchaï sait bien qu’il ne faut pas ce jour- là, un mercredi, « ce moment où le dieu noir Rahu gouverne les cieux », qu’il retourne dormir chez lui, pour ne pas apporter « la guigne à Chanya et Pichaï » et « pour ne pas être pris à partie par le fantôme de  Damrong ». Le jeune moine, frère de Damrong dira à Sonchaï que sa sœur (décédée) a des informations à lui communiquer. « Elle me rend visite chaque nuit. Son âme n’est pas en repos. ». Il lui apprend aussi que « Damrong était une sorte d’arhat, de sainte bouddhiste.

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Et contre les  esprits, les fantômes, il faut se protéger, respecter ce qu’ils ont appris des brahmanes.

 

Sonchaï n’ira  pas perquisitionner un appartement d’une victime le mercredi, car dit-il « On ne  se frotte pas aux morts le mercredi » expliquant que  « ces superstitions proviennent des brahmanes qui ont laissé des consignes très précises sur ce point et d’autres » et de citer l’attribution d’une couleur à chaque jour de la semaine.

 

Les moyens pour se protéger sont divers : les petits autels devant les maisons et dans les bars à filles, les amulettes, les plantes chamaniques,  les tatouages …

 

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Sonchaï évoquera « le bouddha de (son) petit autel maison orné de guirlandes électriques », et fera référence au petit bouddha de 60 cm qui est sur une étagère au-dessus de la caisse du bar de sa mère, où il travaille à temps partiel et auquel il faut rendre hommage (avec des guirlandes de fleurs de lotus, bâtons d’encens, des wai,) pour avoir la chance.

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Quatre pages seront consacrées à tous les moyens (guirlandes, amulettes, plante chamanique, voyant ) utilisés par les chauffeurs de taxis pour se protéger de la mort sur la route. « Tous les chauffeurs de la ville pratiquent la sorcellerie, mais celui-là possède au moins un doctorat. Des guirlandes en l’honneur de Mae Yanang, la déesse des voyages, pendent du rétroviseur avec une poignée d’amulettes, cachant la tranche centrale de la réalité.

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Je dois rappeler ici qu’il existe deux façons d’échapper à la mort sur nos routes : pop pong et pop gun. Pop gun, c’est recourir à tous ces moyens inefficaces et ennuyeux consistant par exemple, à boucler sa ceinture et à ne pas conduire trop vite. Nous préférons généralement pop pong, une protection spirituelle inviolable » et le chauffeur d’expliquer comment il a échappé à un grave accident et la cause : « Les accidents n’arrivent pas comme cela. Leur origine  est dans le passé, dit-il, en pointant le pouce derrière lui. Gam, précise-t-il. Le karma. ». Lek, l’adjoint de Sonchaï, (Qui fréquente un moordu ), voyant une carte astrologique au plafond lui demande s’il consulte un moordu : « oui, dit-il, un moordu  khmer. Que savent les mages thaïs ? Toute la magie vient des Khmers ». Et le chauffeur poursuivra sur ce qui est arrivé  à l’un de ses collègues, lors du stunami de Phuket, qui  avait pris quatre ou cinq clients et qu’il les avait vus décomposés, à la fin de la course. Le chauffeur conseillera à Sonchaï de se procurer l’amulette qu’il faut,  pour se protéger. Plus loin, Lek apprendra à Sonchaï, que le chauffeur « ne retire jamais ses racines de plante chamanique enveloppées dans un bout de tissu yantra, qu’il porte suspendu à son cou par un cordon ».

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Lek, réprimandera Sonchaï qui exprimera des doutes sur la nécessité de se protéger des fantômes avec des amulettes : « Il me réprimande souvent parce que je tente de voir la réalité toute nue comme un stupide farang. ». Plus loin, on apprendra que Baker (l’ex-mari de Damrong) porte un bracelet en poil d’éléphant que lui a donné un moine sur Sukhumvit lui disant qu’il porterait chance ;

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...que  la mère de Damrong porte plusieurs tatouages dont l’un dans le dos, un tigre avec un horoscope ancien complexe rédigé dans la tradition occulte en khom ancien.

 

La référence à la religion bouddhiste est présente dans tous les chapitres et expliquée par Sonchaï et d’autres personnages pour tenter de comprendre la vie et les actions des Thaïlandais, avec le karma, les mérites à acquérir,  la réincarnation, du chart na (Ce qu’on devient dans la prochaine vie).

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Sonchai explique à miss FBI  que« Les pauvres n’ont pas de moi qui puisse être détruit. Lorsqu’ils jouissent d’un peu de pouvoir, ils savent que cela ne durera pas. Ils ne sont pas habitués à ménager l’avenir. En général, ils ne croient pas en avoir un. (…) Pour eux, la naissance est le désastre numéro un ; posséder un corps qui doit être nourri, abrité, soigné, qui a besoin de se reproduire, de durer. Tout le reste n’est qu’enfantillage, y compris la mort. ». La mère de Sonchaï  s’inquiète, non de sa vie présente mais  de ce qu’ils deviendront dans la prochaine vie, chart na, à laquelle Sonchaï répond : « Ce que nous ferons dépend de la générosité et de la compassion dont nous faisons preuve dans cette vie-ci, non de la façon dont nous nous  plions aux forces du marché ».

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Nous sommes  dans un monde qui n’est compréhensible que par les « vérités » du bouddhisme.

 

Ainsi Sonchaï caresse le gros ventre de Chanya, sa femme enceinte : « Pour plaisanter nous disons que le bébé est la réincarnation de Pichaï, mon ancien collègue et frère spirituel. Sauf que ce n’est pas une plaisanterie. Nous avons tous les deux rêvé de lui presque chaque nuit et Chanya l’a parfaitement décrit alors qu’elle ne l’avait jamais rencontré. ». Le début du chapitre 14, commence  avec une tirade de Sonchaï :

 

« Nous sommes de minuscules figurines accrochées à la breloque de l’infini. Lorsque notre corps sera usé, nous migrerons vers un autre. Que serons-nous dans la prochaine incarnation ? Romanichel, tailleur, mouche ? Démon, Bouddha, montagne, pou ? Toutes choses sont égales par leur vacuité essentielle. Mais cette terre sera-t-elle encore habitable dans cinquante ans ? Chart na signifie « prochaine vie», et si vous êtes bouddhiste, vous vous en préoccupez. Non seulement la vôtre, mais également celle de la Terre, car elle aussi est un être vivant, ayant son propre karma, auquel le nôtre est inextricablement lié. ».

 

On s’inquiète pour son incarnation future et on accomplira les gestes, les dons, les offrandes au temple, au wat.

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Sonchaï achète à un triporteur des guirlandes de fleurs de lotus, des bâtons d’encens,  qui vend aussi « des kreung sangha tan (ces « paniers de moines») sont plein de petits cadeaux, savonnettes, paquets de chips, bananes, sucre, Nescafé » pour en faire «  offrande à votre wat  favori pour accumuler du mérite ».

 

Sur plusieurs pages on va connaître la vie à l’intérieur des wat, les différentes catégories de personnes de la communauté, les rôles qu’ils jouent. Le moine Titanaka rappelle que les Thaïs sont un peuple conservateur. « Notre version du bouddhisme, le Theravada, a deux mille cinq cents ans et nous n’en avons pas changé un mot »…les robes sont les mêmes … les quatre nobles vérités « la première étant : il existe la souffrance. Seuls les farangs l’ont contestée. »  Le moine  Titanaka est virulent sur le salut. « Sauvé ? Il n’y a rien à sauver, mon ami. Vous parlez comme un chrétien. Vous ne pouvez pas vous lancer dans l’Inconnaissable en espérant acheter votre salut grâce à ce geste –vous devez sauter. Dans l’univers du nirvana, il ne peut y avoir de salut car nous ne sommes jamais vraiment perdus … ni retrouvés. Le seul vrai choix est entre le nirvana et l’ignorance. Telle est la vérité adulte que le Bouddha nous a communiquée. Nous sommes le résultat de ce que nous brûlons. Si on ne brûle rien, on n’est rien. » Et il poursuit sur la notion de dette, qu’il doit à sa sœur dont l’âme n’est pas en repos. Sonchaï précisant « Pour « dette », il a usé du mot de gatdanyu, qui n’a pas d’équivalent dans les langues occidentales et évoque l’obligation la plus astreignante connue dans ma culture, une sorte de dette de sang… ».

 

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Plus loin le roman policier revient sur le panier de moine, énumérant « tout ce dont un moine  a besoin pour survivre un jour ou deux »  que Sonchaï achète quand il lui est nécessaire d’accomplir « un exorcisme dans un cas grave », ou sur d’autres offrandes afin d’accumuler un trésor pour la prochaine vie, chart na : offrez des fleurs et vous serez beau, de l’argent , vous serez riches, des médicaments, vous aurez la santé, donnez des bougies, vous atteindrez l’illumination » (tambun) «  Ensuite Sonchaï explique avec exemples, que « l’effet magique est d’autant plus que celui auquel on offre les présents a une position élevée… ».

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Oui, on baigne tout au long du roman policier avec les références bouddhistes et animistes. Sonchaï, pour son enquête, va visiter la mère de Damrong, et discute avec une voisine qui évoquera le mauvais karma de Damrong qui s’est incarné dans cette pauvre famille, qui pratique la magie noire et dont il ne faut pas parler, car cela porte malheur. Elle lui apprendra dans quelles conditions le père de Damrong a été exécuté, devant ses enfants. Sonchaï s’étonnera : « C’est curieux d’entendre dire cela par une personne qui est visiblement le produit de quelque culte chamanique, mais lorsque les Indiens ont apporté le bouddhisme en Thaïlande, une grande partie en a été absorbée par l’animisme local. »

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Le chapitre se terminera sur une réflexion désabusée en quatre points qu’il  intitulera « un « Voyage du pèlerin » où il s’interroge sur l’attitude à avoir en cas de « karma décourageant », où « la bonne conduite mène à l’esclavage et à la famine » et où « seuls  le sexe et la drogue permettent de gagner de quoi vivre ».

 

L’obsession est présente jusqu’ la fin du roman policier. Un témoin confie  des « secrets » à Sonchaï en terminant par « C’est tout ce que je peux vous dire. J’ai risqué ma vie en vous parlant parce que je veux qu’au moins une parcelle de mon âme survive à cette incarnation sinon je renaîtrai sous forme d’insecte. ».

 

Il est parfois des pratiques moins orthodoxes pour obtenir un meilleur karma. « Désolé de t’infliger un nouveau choc culturel en plein milieu de l’histoire, farang ; voilà ce qu’est un casino funéraire. »

 

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Quatre pages seront consacrés à l’explication et à la scène. Il s’agit d’une veillée mortuaire particulière qui peut durer jusqu’à 49 jours et pendant laquelle est organisé un casino privé comprenant –ici- des jeux de roulettes ; « qui permet à l’épouse éplorée d’affecter les profits au paiement des moines, de la nourriture, à l’amortissement des roulettes, et de réunir une poignée de bahts pour entretenir la famille proche pendant la période postérieure à la veillée. » Il est précisé que « c’est un délit grave passible de prison ». Mais comme lors de la descente les inspecteurs Sonchaï et Lek ne prennent pas l’argent, comme d’habitude, la veuve est heureuse « par l’excellent karma du vieux Tong ».

 

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D’autres « effets de  réel » seront à l’œuvre, concernant la justice, la corruption, la relation ancestrale avec le Cambodge, etc.*****

 

L’un des personnages estime qu’il n’y a pas de justice en Thaïlande, mais « un système d’extorsion », « une kleptocratie ».  D’ailleurs plus loin, Dan - en prison depuis trois ans - n’hésite pas à dire à l’inspecteur Sonchaï l’interrogeant : que le système carcéral thaïlandais est « l’institution la plus scandaleuse du monde », « une usine à faire de l’argent » « où n’importe qui peut se faire prendre » Et de donner l’exemple d’un flic « qui vous fourre un ecstasy ou une pilule de yaa baa dans la poche et qui vous embarque. Vous avez le choix : payer ce qu’il vous demande pour vous libérer ou voir le reste de votre vie englouti par le système. » Sonchaï ne le contredira pas : « Et si je vous disais que vous êtes tombé sur le seul flic de Bangkok qui ne prend pas d’argent. ».

 

Auparavant, on avait vu Sonchaï tentant de récupérer l’un des suspects arrêté à la frontière, sachant que  « pour respecter les règles (il) devrait soudoyer (le flic rural en face de lui), même si l’idée lui déplait. » Mais Sonchaï va apprendre qu’il a relâché le suspect Baker en acceptant un pot de vin. « N’est-ce pas ce que tout le monde fait ? » lui dira-t-il. Mais celui-ci sera de nouveau arrêté par l’immigration cambodgienne et libéré  contre deux Range Rover.

 

Mais nous ne sommes pas dans un pays où seules la justice et la police seraient corrompues. 

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Le patron de Sonchaï, le colonel Vikorn, est là pour lui rappeler que le pays est un système féodal avec le haut et le bas, ti-soong ti-tam ,  et qu’il ne doit pas perdre  de vue ses « obligations de vassal » où « Le renvoi de l’ascenseur n’est pas seulement inscrit dans le système, il est  le système. » (p. 187) Le roman policier n’ira pas plus loin et n’expliquera pas plus avant ce système généralisé  de « services rendus » si particulier à la Thaïlande que l’on ne  peut comprendre que par son histoire avec  le régime féodal du sakdina et le système du clientélisme.

 

(« système de clientèles, où les plus faibles se plaçaient sous la protection d’un puissant en manifestant leur respect par l’octroi de cadeaux et où les “patrons” étendaient leur bienveillance sur les petits afin de renforcer leur position de pouvoir et maximiser leurs revenus. […] Les cadeaux pour services rendus, les pratiques de prélèvements à la source et les pots-de-vin sont, à tort ou à raison, considérés par beaucoup comme partie d’une certaine culture traditionnelle. ». Max Constant.  (Cf. Références et notre article  A80. « La corruption made in Thaïlande. »)******

A 232. UNE VISION DE BANGKOK ET DES THAÏLANDAIS DANS UN  ROMAN POLICIER DE JOHN BURDETT.

Mais « Bangkok Psycho » de Burdett n’est pas une étude historique et /ou sociologique, même si comme nous l’avons déjà dit, il  signale parmi ses sources,  le livre témoignage de Colin Martin « Bienvenue en enfer » et l’étude de Pasuk Phongpaichit et Sungsidh Piriyarangsan « Corruption and Democracy in Thailand » ;  que nous avons d’ailleurs analysés dans trois de nos articles (A39,  A40. Et  A80. « La corruption made in Thaïlande. »)******.  Il s’appuie néanmoins sur une bonne connaissance du pays et nous livre quelques clés pour essayer de le comprendre, même si ces personnages thaïlandais sont persuadés que les farangs n’y parviendront jamais.

 

L’inspecteur Sonchaï Jitpleecheep nous avait prévenus : « Je fais de mon mieux pour décrire la structure cachée d’une société en laquelle peu d’étrangers reconnaîtraient celle de la Thaïlande. ».  

 

Et il termine sa confession – c’est la dernière phrase du roman policier - « Bien à toi (farang) dans le Dharma »

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Notes et références.

 

* http://www.courrierinternational.com/article/thailande-plongee-dans-les-polars-de-bangkok

 

**Romans de John Burdett, traduits en français. (In wikipédia)

  • La Nuit des voleurs, [« A Personal History of Thirst »], trad. de Nordine Haddad, Paris, Presses de la Cité, 1996, 360 p., réédition France Loisirs, 1997, 369 p. (ISBN 978-2-7441-0429-9)
  • Typhon sur Hong-Kong, [« The Last Six Million Seconds »], trad. de Jacques Martinache, Paris, Presses de la Cité, coll. « Romans », 1998, 420 p. (ISBN 978-2-258-04489-0)
  • Bangkok 8, trad. de Thierry Pielat, Paris, Presses de la Cité, coll. « Sang d'encre », 2004, 420 p. (ISBN 978-2-258-06229-0)
  • Bangkok Tattoo, trad. de Thierry Pielat, Paris, Presses de la Cité, coll. « Sang d'encre », 2006, 360 p. (ISBN 978-2-258-07060-8)
  • Bangkok Psycho, trad. de Thierry Pielat, Paris, Presses de la Cité, coll. « Sang d'encre », 2009, 347 p. (ISBN 978-2-258-07675-4)
  • Le Parrain de Katmandou, [« The Godfather Of Kathmandu »], trad. de Thierry Pielat, Paris, Presses de la Cité, coll. « Sang d'encre », 2011, 464 p. (ISBN 978-2-258-08524-4)
  • Le Pic du vautour, [« Vulture Peak »], trad. de Thierry Pielat, Paris, Presses de la Cité, coll. « Sang d'encre », 2013, 414p. (ISBN 978-2-258-10088-6)
  • Autant en emporte l'Orient, trad. de Thierry Pielat, Éditions GOPE3, 2012, (ISBN 978-2-9535538-8-8)
  • Le Joker, [« The Bangkok Asset »], trad. de Thierry Pielat, Paris, Presses de la Cité, coll. « Sang d'encre », 2016, 432 p. (ISBN 978-2-258-13595-6)

 

*** A186- Un « polar » Isan de Jeff : « Un os dans le riz – un enquête de l’inspecteur Prik »

http://www.alainbernardenthailande.com/2015/07/a186-un-polar-isan-de-jeff-un-os-dans-le-riz-une-enquete-de-l-inspecteur-prik.html

 

A187. Vision de l’Isan dans le roman policier de Jeff de Pangkhan « Un os dans le riz ».

http://www.alainbernardenthailande.com/2015/07/a187-vision-de-l-isan-dans-le-roman-policier-de-jeff-de-pangkhan-un-os-dans-le-riz.html

 

**** Jonathan DeHart cite d’autres auteurs de roman policier dont l’action se passe en Thaïlande : « Tom Vater, auteur de la série Detective Maier Mystery. , […] « James Newman (qui) qui a organisé à plusieurs reprises une  manifestation intitulée “Bangkok Fiction : Night of Noir” [La nuit du roman noir], qui rassemble écrivains locaux et invités étrangers. » […] « Christopher G. Moore, un ancien juriste et professeur canadien, auteur de la série Vincent Calvino Private [“Vincent Calvino, détective privé”, inédite en français], qui se déroule à Bangkok, »

 

***** Ch. 25.  p. 294, ¾ de page évoque les relations historiques avec le Cambodge. La haine entre les deux peuples, due aux querelles incessantes ; « lls ne nous ont sans doute jamais pardonné  de les avoir battus à Angkor Wat il y a sept cents ans ; à l’époque déjà les Khmers à la magie (…) Nous leur avons tout pris : femmes, garçons, filles, esclaves, or, leur astrologie, la conception de leurs temples, leur musique, leur danse -un bel exemple ancien de vol d’identité (…)  sauf la cuisine qui était loin de valoir la thaïe » rajoute Sonchaï.

******

 

Voir nos deux articles sur ce livre, que Burdett signale comme une de ses sources.

A39. La justice en Thaïlande vue par Colin Martin.

http://www.alainbernardenthailande.com/article-a39-la-justice-en-thailande-vue-par-colin-martin-81949470.html

 

A40. Colin Martin accuse la justice thaïe. « La parole est à la défense » :

http://www.alainbernardenthailande.com/article-a40-colin-martin-accuse-la-justice-thaie-la-parole-est-a-la-defense-81949996.html

 

****** Extrait de notre article A80. La corruption made in Thaïlande. http://www.alainbernardenthailande.com/article-a80-la-corruption-made-in-thailande-111305863.html 

Max Constant (du 30 septembre et du 7 octobre 2012)   intitulé Chronique de Thaïlande : petit manuel de la corruption in http://asie-info.fr/2012/09/30/chronique-thailande-corruption-i-510935.html  :

 

Le régime féodal du sakdina : « les officiels étaient nommés par un supérieur dans la stricte hiérarchie sociale du Siam, mais ne recevaient pas de revenu fixe de cette source d’autorité : ils étaient censés “se payer sur la bête”, en prélevant sur les habitants des ponctions en nature ou, si cela était possible, en espèces. »

 

Les économistes Pasuk Phongpaichit et Sungsidh Piriyarangsan (in Corruption and Democracy in Thailand,The Political Economy Centre, Université de Chulalongkorn, 1994), que Burdett signale comme une  de ses sources.

 

Nous apprennent que le département gouvernemental perçu comme le plus corrompu par les Thaïlandais est celui de la police :

 

Force est de reconnaître que là où les politiciens font parfois preuve d’improvisation, les policiers ont progressivement mis en place un système solidement structuré de ponction directe sur les citoyens et de redistribution à l’ensemble des personnels du département. “A beaucoup d’égards, la police opère comme une entreprise de maximisation du profit”. Et de préciser l’achat des grades, « les primes de protection remises aux commissariats locaux par les marchands d’or, les propriétaires de casinos clandestins et les tenanciers de massages sexuels, en passant par les dessous-de-table payés par des suspects arrêtés pour éviter de passer devant le tribunal ».

 

 

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