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  • : Le blog des Grande-et-petites-histoires-de-la-thaïlande.over-blog.com
  • : Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
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  Il était une fois Alain, Bernard …ils prirent leur retraite en Isan, se marièrent avec une Isan, se rencontrèrent, discutèrent, décidèrent un  jour de créer un BLOG, ce blog : alainbernardenthailande.com

Ils voulaient partager, échanger, raconter ce qu’ils avaient appris sur la Thaïlande, son histoire, sa culture, comprendre son « actualité ». Ils n’étaient pas historiens, n’en savaient peut-être pas plus que vous, mais ils voulaient proposer un chemin possible. Ils ont pensé commencer par l’histoire des relations franco-thaïes depuis Louis XIV,et ensuite ils ont proposé leur vision de l'Isan ..........

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9 août 2017 3 09 /08 /août /2017 22:08
A 227 - LE « VOYAGEUR SIAMOIS » VISITE PARIS EN 1699 EN COMPAGNIE D’UN PETIT COUSIN DE LOUIS XIV

Nous sommes en 1699. L’arrivée des Siamois à Brest en 1684 et 1686 et les deux ambassades françaises au Siam de 1685 et 1687 firent grande émeute de badauds en France où les esprits sont toujours émus des hommes et des choses qui viennent de loin même si elles furent une mystification pour Louis XIV. L’inestimable récit de La Loubère « Du royaume de Siam » a été publié en 1691 avec un retentissant succès. Depuis 1672, année de sa création, « Le Mercure Galant », ancêtre du Mercure de France, publie plus ou moins régulièrement 12 numéros par an. Toute la France le lit, tout ce que la province compte d’érudits est abonné. Il a consacré au Siam des numéros entiers et des dizaines d’articles.

A 227 - LE « VOYAGEUR SIAMOIS » VISITE PARIS EN 1699 EN COMPAGNIE D’UN PETIT COUSIN DE LOUIS XIV

La Bruyère publie en 1688 « Les caractères ou les mœurs de ce siècle - Précédés des Caractères de Théophraste (traduits du grec) ». Il n’oublie évidemment pas le Siam avec une ironie qui sent déjà le XVIIIème siècle et que n’eut pas désavouée Voltaire : « Si l'on nous assurait que le motif secret de l'ambassade des Siamois a été d'exciter le Roi Très-Chrétien à renoncer au christianisme, à permettre l'entrée de son royaume aux Talapoins, qui eussent pénétré dans nos maisons pour persuader leur religion à nos femmes, à nos enfants et à nous-mêmes par leurs livres et par leurs entretiens, qui eussent élevé des pagodes au milieu des villes, où ils eussent placé des figures de métal pour être adorées, avec quelles risées et quel étrange mépris n'entendrions-nous pas des choses si extravagantes! Nous faisons cependant six mille lieues de mer pour la conversion des Indes, des royaumes de Siam, de la Chine et du Japon, c'est-à-dire pour faire très sérieusement à tous ces peuples des propositions qui doivent leur paraître très folles et très ridicules. Ils supportent néanmoins nos religieux et nos prêtres; ils les écoutent quelquefois, leur laissent bâtir leurs églises et faire leurs missions. Qui fait cela en eux et en nous? Ne serait-ce point la force de la vérité ? … » (1).

A 227 - LE « VOYAGEUR SIAMOIS » VISITE PARIS EN 1699 EN COMPAGNIE D’UN PETIT COUSIN DE LOUIS XIV

Mais si La Bruyère peint – au moins partiellement – les ridicules et les travers de son siècle, il lui a été reproché, non sans raisons, que son ouvrage  - à la fois ouvrage à clef et fine observations des mœurs de son époque - ne contenait « pas d’autre fil que celui de la reliure ! ».

 

C’est à l’écrivain Charles Dufresny, cousin du roi, que l’on doit probablement d’avoir imaginé en 1699 ce nouveau moyen de nous faire connaitre nos ridicules, en mettre la satire dans la bouche d'un étranger qu'on fait voyager en France (2). La mode est au Siam ? Ce sera donc un Siamois auquel ce cousin du roi fera visiter Paris.

 

A 227 - LE « VOYAGEUR SIAMOIS » VISITE PARIS EN 1699 EN COMPAGNIE D’UN PETIT COUSIN DE LOUIS XIV

QUI ÉTAIT DONC CE « COUSIN DU ROI » ?

 

Charles Rivière-Dufresny est né à Paris en 1648. L’orthographe de son nom est incertaine, Rivierre du Freny, Rivière Du Freny, Dufresny-Rivière, du Fresny ou Dufresny. Il passait ou il se faisait passer pour un arrière-petit-fils de cette « belle jardinière d'Anet » dont le galant Henri IV avait eu les faveurs et l’avait troussée rustiquement dans les prés. Son grand-père aurait été le propre fils de la belle jardinière et du roi de la poule au pot.

A 227 - LE « VOYAGEUR SIAMOIS » VISITE PARIS EN 1699 EN COMPAGNIE D’UN PETIT COUSIN DE LOUIS XIV

Dufresny avait donc, c'était du moins sa prétention, du sang royal dans les veines. « Il portait sur sa face ses véritables armoiries » (3) :

A 227 - LE « VOYAGEUR SIAMOIS » VISITE PARIS EN 1699 EN COMPAGNIE D’UN PETIT COUSIN DE LOUIS XIV

Il présentait avec son ancêtre putatif une incontestable ressemblance, un nez bourbonien, le grand nez bourbonien d’Henri IV que l’on retrouve toujours chez ses descendants,

A 227 - LE « VOYAGEUR SIAMOIS » VISITE PARIS EN 1699 EN COMPAGNIE D’UN PETIT COUSIN DE LOUIS XIV

il ne lui manquait que la barbichette, ses yeux et son sourire malicieux étaient de famille, caractéristiques qui frappaient ses contemporains, et comme le bon roi, il était peu regardant quand il s’agissait d’une femme, ayant l’habitude de sauter sur tout ce qui bouge, vachère ou duchesse.

A 227 - LE « VOYAGEUR SIAMOIS » VISITE PARIS EN 1699 EN COMPAGNIE D’UN PETIT COUSIN DE LOUIS XIV

Cette prétention ne choquait d’ailleurs pas le roi-soleil qui disait volontiers « Notre-seigneur Jésus-Christ nous a donné des frères sans nombre, la reine ma mère ne m’a donné qu’un frère mais notre aïeul nous a laissé beaucoup de cousins ». Louis XIV ne doutait pas de cette origine et ajoutait « Mon beau cousin, vous Dufresny comme notre aïeul aimez le jeu, le vin et les femmes, ventre saint gris ! ». Cette prétention ne choqua pas non plus le Régent son petit-neveu « de la jambe gauche » qui continua à lui accorder sa protection après la mort du Roi-Soleil (4).

A 227 - LE « VOYAGEUR SIAMOIS » VISITE PARIS EN 1699 EN COMPAGNIE D’UN PETIT COUSIN DE LOUIS XIV

LE « VOYAGEUR SIAMOIS » À PARIS

 

En 1699 sont publiés alors sans nom d’auteur les « Amusements sérieux et comiques » dont le titre sera complété dans une réédition de 1719 « Amusements sérieux et comiques ou nouveau recueil de bons mots, de railleries fines, de pensées ingénieuses et délicates, de bons contes et d’aventures plaisantes ». Le succès est immédiat et fulgurant, les rééditions sont nombreuses autant que les contrefaçons, l’ouvrage est même traduit deux fois en anglais, jusqu’à sa dernière réédition de 1921 avant de sombrer dans un triste oubli jusqu’à une réédition en 2016 (5). L’auteur, Charles Dufresny, s’est manifestement amusé à l’écrire : « Je ne sais si mon livre réussira; mais, si on s'amuse à le critiquer, on se sera amusé à le lire, - et mon dessein aura réussi. J'ai donné aux idées qui me sont venues le nom d'Amusements;  ils seront, sérieux et comiques, selon l'humeur où je me suis trouvé en les écrivant; et, selon l'humeur où vous serez en les lisant, ils pourront vous divertir, vous instruire ou vous ennuyer ».

A 227 - LE « VOYAGEUR SIAMOIS » VISITE PARIS EN 1699 EN COMPAGNIE D’UN PETIT COUSIN DE LOUIS XIV

C'est une suite de douze chapitres, de douze « amusements », sous, selon les éditions, tout au plus une centaine de pages. Pour mettre de la régularité dans cet ouvrage, le « fil » qui manquait à La Bruyère, il a imaginé un motif heureux pour relier les uns aux autres ces fragment épars; à partir du troisième « amusement », il introduit un Siamois, tombé des nues au milieu du chaos bruyant de la rue Saint Honoré, et il en fait son compagnon de voyage à travers la ville et la cour : « Imaginez-vous donc combien un Siamois y trouverait de nouveautés surprenantes; quel amusement ne serait-ce point pour lui d'examiner avec des yeux de voyageur toutes les particularités de cette grande Ville ? Il me prend envie de faire voyager ce Siamois avec moi : ses idées bizarres et figurées me fourniront. sans doute de la variété, et peut-être de l'agrément, Je vais donc prendre le génie d'un voyageur siamois qui n'aurait jamais rien vu de semblable à ce qui se passe dans Paris; nous verrons un peu de quelle manière il sera, frappé de certaines choses que les préjugés de l'habitude nous font paraitre raisonnables et naturelles ».

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Il faudrait tout citer ici de ce délicieux tableau de la vie parisienne à la fin du XVIIème siècle. Bornons-nous à quelques extraits qui suffiront à donner au lecteur une idée de l'ouvrage.

 

Sur la jeunesse

 

« Les jeunes gens disent ce qu'ils font, les vieillards ce qu'ils ont fait et les sots ce qu'ils ont envie de faire ».

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Sur la Justice

 

Dufresny – nous le verrons dans le bref tableau de sa vie – en fut un acteur passif victime de la chicane de ses fils :

 

« Pendant que le Voyageur fait ses réflexions sur cette bizarrerie, il est épouvanté par la lugubre apparition d'une multitude, de têtes noires et cornues, qui forment, en se réunissant, un monstre épouvantable qu'on appelle Chicane, et ce monstre mugit un langage si pernicieux qu'un seul mot suffit pour désoler des familles entières. A certaines heures réglées il parait un homme grave et intrépide, dont l'aspect seul fait trembler et dompte ce monstre. Il n'y a point de jour qu'il n'arrache de sa gueule béante quelque succession à demi dévorée. La chicane est plus à craindre que l'injustice même. L'injustice ouverte, en nous ruinant, nous laisse au moins la consolation d'avoir droit de nous plaindre; mais la chicane, par ses formalités, nous donne le tort en nous ôtant nôtre bien. La Justice est, pour ainsi dire, une belle Vierge déguisée et produite par le Plaideur, poursuivie par le Procureur, cajolée par l'Avocat, et défendue par le Juge. »

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Sur les femmes

 

Paillard comme son illustre aïeul « père du peuple », il eut deux femmes et une multitude de maitresses, nous ne pouvons taxer Dufresny de misogynie. Il serait plutôt comme Sacha Guitry « contre les femmes, tout contre ». Mais laissons la parole à notre Siamois lors d’une promenade dans les jardins des Tuileries où ils rencontrent les belles promeneuses :

 

« De ma vie. Je n'ai vu une si belle volière, oh ! La charmante espèce d'oiseau Ce sont, lui répond son guide sur le même ton, des oiseaux amusants qui changent de plumage deux ou trois fois par jour. Volages d'inclination, faibles de nature, forts en ramage, ils ne voient le jour qu'au soleil couchant, marchant toujours élevés à un pied de terre, touchant les nues de leurs superbes huppes. En un mot, la plupart des femmes sont des paons dans les promenades, des pies grièches dans la vie domestique, des colombes dans le tête-à-tête. Mais il y a diverses nations parmi ces promenades : la nation policée des femmes du monde, sauvage des provinciales, libre des coquette, indomptable des fidèles, docile des infidèles, errantes des bohémiennes. Il poursuit ainsi : Nous avons à Paris deux sortes de promenades; dans les unes on va pour voir et être vu; dans les autres pour ne voir ni être vu de personne. Les dames qui ont l'inclination solitaire cherchent volontiers les routes écartées du bois de Boulogne, où elles se servent mutuellement de guide pour s'égarer ».

A 227 - LE « VOYAGEUR SIAMOIS » VISITE PARIS EN 1699 EN COMPAGNIE D’UN PETIT COUSIN DE LOUIS XIV

Ce Siamois curieux se fait expliquer ce qu'il voit, et il dit en même temps l'impression que font sur son âme peu civilisée les spectacles qu'il a sous les yeux; il s'étonne souvent, il admire quelquefois, mais surtout il raille avec esprit ces mœurs si différentes des siennes, mais ni meilleures ni plus raisonnables.

 

Nous y trouvons un peu de tout : pittoresques peintures du Paris d'alors,  de l'Opéra, des promenades, de l'Université, des tripots (Dufresny s’est ruiné au jeu), des cercles bourgeois, de plaisantes silhouettes animent le fond du tableau, des scènes de comédie détachées, des lambeaux de récits, et surtout maintes réflexions satiriques sur le mariage, sur les femmes, sur la société tout entière : c'est un véritable pot-pourri, assez agréable, où l'auteur se moque un peu de nous et de lui-même. Il est « la préface enjouée du XVIIIème siècle » (6).

 

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Ce Siamois héros de roman, nous intéresse en définitive fort peu; sans caractère, sans nom et sans figure, on ne sait qui il est. À peine Dufresny fait-il trois allusions à de prétendus usages siamois mais elles sont seulement issues d’une imagination débridée.

 

Une loi siamoise de fantaisie :

 

« Une de ces lois permettait aux femmes de médire des femmes; premièrement, parce qu'il est impossible de l'empêcher ; et de plus, parce qu'en fait de galanterie, telle qui accuse sa voisine, en peut être aussi accusée, selon la loi du talion. Mais comment voulez-vous qu'une femme se venge d'un homme qui aura publié qu'elle est galante ? Publiera-t-elle qu'il est galant ? »

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Un tripot confondu avec un temple bouddhiste :

 

« On y voit un grand autel en rond, orné d'un tapis vert, éclairé dans le milieu, et entouré de plusieurs personnes assises comme nous le sommes dans nos sacrifices domestiques. Dans le moment que j'y entrai, l'un d'eux, qui apparemment était le sacrificateur, étendit sur l'autel les feuillets détachés d'un petit livre qu'il tenait à la main : sur ces feuillets étaient représentées quelques figures ; ces figures étaient fort mal peintes. Cependant ce devait être les images de quelques divinités, car à mesure qu'on les distribuait à la ronde, chacun des assistants y mettait une offrande chacun selon sa dévotion. J'observai que ces offrandes étaient bien plus considérables que celles qu'ils font dans leurs temples particuliers ».

 

A 227 - LE « VOYAGEUR SIAMOIS » VISITE PARIS EN 1699 EN COMPAGNIE D’UN PETIT COUSIN DE LOUIS XIV

Un oiseau sacré imaginaire :

 

« Il y a parmi nous, continue-t-il, des peuples qui adorent un certain oiseau, à cause de la richesse de son plumage. Pour justifier la folie où leurs yeux les ont engagés, ils se sont persuadé que cet animal superbe a en lui quelque esprit divin qui l'anime. Leur erreur est encore plus tolérable que la vôtre : car enfin, cet animal est muet ; mais s'il pouvait parler, ainsi que votre homme doré, ils reconnaîtraient que ce n'est qu'une bête, et cesseraient peut-être de l'adorer ».

A 227 - LE « VOYAGEUR SIAMOIS » VISITE PARIS EN 1699 EN COMPAGNIE D’UN PETIT COUSIN DE LOUIS XIV

Le fil de brise parfois : Oublié au détour d'un chapitre, on le retrouve au chapitre suivant :

 

« Dans les endroits de mon voyage où le Siamois m'embarrassera, je le quitterai, sauf à le reprendre quand je m'ennuierai de voyager seul ».

 

C’est un artifice de composition. Mais Dufresny mérite de ne pas sombrer dans l’oubli annonçant une foule d’imitateurs Tel qu'il est, il vaut la peine d'être noté: Il annonce les Persans de Montesquieu ou le Huron, « l’Ingénu » de Voltaire.

 

A 227 - LE « VOYAGEUR SIAMOIS » VISITE PARIS EN 1699 EN COMPAGNIE D’UN PETIT COUSIN DE LOUIS XIV

L’IMITATION

 

Pour Voltaire qui n’aimait pas Montesquieu, « les Lettres persanes » sont « puériles », un « fretin imité du Siamois de Dufresny » (7). « Les Amusements sérieux et comiques » ont paru pour la première fois en 1699. Ils ont été réimprimés toujours avec un grand succès, et la dernière édition publiée du vivant de l'auteur, celle de 1723, a été précédée de deux ans par la première des « Lettres Persanes » en 1721. Il est certain que Montesquieu a connu et bien connu un ouvrage qui eut un si grand retentissement, beaucoup plus en tous cas que « l’Espion turc » (2). Il est permis de trouver singulier qu'il n'ait pas même songé, dans la courte préface dont il a fait précéder ses « Lettres Persanes », à mentionner l'emprunt qu'il faisait à son contemporain ? Cet emprunt est d’ailleurs explicitement reconnu par d’Alembert : « Le siamois des Amusements pouvait lui en avoir fourni l’idée » (8). « L'invention des Lettres Persanes, était si facile, que l'auteur l'avait dérobée sans scrupule, et même, sur un écrivain trop ingénieux pour être oublié. » (9). C'était faire assez bon marché du bien du voisin même si les emprunts forcés sont admis en littérature et que la pensée devient, dans une certaine limite, le bien de tout le monde.

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DE L’IMITATION AU PLAGIAT

 

Si Dufresny a été largement imité par Montesquieu, mais de par sa notoriété, le persan a éclipsé le Siamois, il fut de son vivant non plus simplement imité mais lourdement plagié. Quelques mots sur sa vie pour expliquer dans quelles conditions et nous faire mieux comprendre le personnage notamment dans ses rapports avec les femmes et la justice.

 

Citons en note Damase Jouaust en ce qui concerne sa vie conjugale avec une épouse qui le trompât autant que lui-même la trompât et la chicane de ses deux fils qui le ruinèrent tout autant que sa passion du jeu (10). Mais venons-en au plagiat :

« C'est seulement en 1692, à l’âge de quarante-quatre ans, que Dufresny aborda pour la première fois le théâtre avec une comédie en trois actes et en prose, intitulée « le Négligent » qui fut souvent reprise.

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Il était alors très lié avec Regnard, lui avait soumis sa pièce et avait reçu ses conseils. De cette collaboration, naquit une grande intimité entre les deux poètes. Dufresny lui confia alors l'intention qu'il avait d'écrire une grande comédie dont le jeu et les joueurs fourniraient le sujet. Notre poète connaissait d'ailleurs la matière, car il aimait les cartes à la passion, et le jeu, autant que les femmes, contribuèrent à mettre constamment sa bourse à sec. S'étant ainsi ouvert à Regnard de son projet, il fut encouragé par lui à écrire sa pièce et à lui en soumettre le manuscrit. Dufresny se laissa convaincre, et composa rapidement sa comédie. Regnard la lut, fit des observations, traîna même un peu les choses en longueur, puis, un beau jour, Dufresny apprit que les Comédiens français allaient jouer une comédie nouvelle de Regnard, ayant pour titre « le Joueur ». Dufresny était donc mystifié, ou du moins il le prétendit, publiant partout que la comédie de Regnard n'était autre que la mise en scène absolue de la sienne, c'est à-dire de celle qu'il lui avait donnée à lire. C'était donc un abus de confiance, qu'à l'entendre, avait commis Regnard, et Dufresny jura de se venger. Il voulut prendre le public pour juge du différend, et il lui soumit, deux mois plus tard une comédie nouvelle que le théâtre français s’empressa de jouer mais qui n’eut aucun succès ».

 

Face à Regnard qui avait alors la faveur du public, il n’avait aucune ressource et surtout pas dans la chicane.

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Dufresny n'est plus aujourd’hui qu'un nom qui surnage dans notre littérature. Arrivé au théâtre après Molière et avant Marivaux à une époque où Regnard et Lesage, beaucoup plus « médiatisés » que lui occupaient la scène du « Français ».

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Tout a contribué à le laisser dans l’oubli, classé injustement au rang des « auteurs de second ordre ». Pillé par Regnard qui se garda bien de le dire, imité par Montesquieu qui n'en souffla mot, à peine est-il mentionné dans les manuels de littérature et le plus souvent pour son « voyageur siamois ». Lui-même a en quelque sorte trempé dans la conspiration puisqu’il avait écrit une suite à son ouvrage que quelque temps avant sa mort – diable devenu ermite -  il brûla à la sollicitation de ses enfants austères jansénistes (voir note 10 en son dernier paragraphe). Il l’avait annoncé dans la préface de l’édition de 1707 : « J’ai toujours, aimé à faire des réflexions sur ce que j'y ai vu : Celles de ces réflexions qui viendront au bout de ma plume vont composer mon second amusement ».

 

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La perte est regrettable et nous ne serons jamais ce qu’il advint de son Siamois.

 

Ceux qui connaissaient déjà Dufresny nous sauront gré d’en avoir parlé, ceux qui le rencontreront pour la première fois ne manqueront pas à nous en remercier (11).

 

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NOTES

 

(1) « Les caractères - Des esprits forts », édition 1688, pages 344-345.

 

(2) Cette paternité lui a parfois été contestée et attribuée à Giovanni Paolo Marana (ou Jean-Paul Marana), un noble génois réfugié en France en 1672.

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Il est l’auteur de ce qu’on a appelé L'espion turc, mais qui porte le titre complet bien lourd de  « L'Espion du Grand Seigneur et ses relations secrètes envoyées au divan de Constantinople, découvertes à Paris pendant le règne de Louys le Grand, traduites de l'arabe en italien par le sieur Jean-Paul Marana. Publié de 1684 à 1686 en France, ce roman épistolaire fait découvrir et juger par un Oriental l'histoire et les mœurs de l'Europe et plus particulièrement de la France de son temps. C’est un pavé de trois volumes de près de 500 pages chacun suivi de cinq autre volumes dont il ne serait pas l’auteur, d’un style abscond et souvent vulgaire, de pénible lecture et qui en réalité a pour seul ligne directrice de critiquer avec virulence le régime monarchique de la France et non le caractère des contemporains. L’ouvrage n’a guère eu de retentissement en son temps. Signalé certes dans « Le Mercure galant », la revue s’est toutefois contentée de noter la seule publication du premier volume (numéro de janvier 1684, pages 329 et 330) sans autre commentaire. Un article du « Figaro – supplément littéraire du dimanche » du 1er octobre 1927, signé de Marc Brimont n’est guère convaincant quant à la paternité de Marana. Il reprend l’opinion de Jean Vic qui est plus nuancée (5).

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(3) « AMOURS ET GALANTERIES DES ROIS DE FRANCE, MÉMOIRES HISTORIQUES SUR LES CONCUBINES, MAITRESSES ET FAVORITES DE CES PRINCES, DEPUIS LE COMMENCEMENT DE LA MONARCHIE JUSQU'AU REGNE DE CHARLES X », volume I par SAINT-EDME (1830). Celui-ci nous dit qu’on ne sait rien sur cette fille, nommée Fleurette, dont le père était jardinier du château de Nérac.

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(4) Dans un très érudit article, Alexandre Camale, de la « Revue d’histoire littéraire de la France » en octobre 1964, et au vu d’actes d’état civil collationnés par un autre prédécesseur érudit et disparus sous la commune en 1871, mets cette royale filiation en doute. Son auteur fait fi de ce qui nous semble une évidence : Conscient de leur prestigieuse ascendance depuis Saint-Louis, et au-delà les capétiens, et encore au-delà au moins par les femmes Clovis et Charlemagne, conscients de représenter la plus ancienne famille royale régnant au monde, ni Louis XIV ni le Régent n’auraient toléré qu’un individu – à peine de se retrouver à la Bastille – osât se prétendre de leur lignée sans en avoir la conviction.

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(5) L’ouvrage fut annoncé dans le « journal des savants » du 9 février 1699 : « L’auteur n’a pas de peine à justifier son titre : Tout est amusement dans le monde. La pratique de la vertu mérite seule d’être appelée occupation. Ceux qui ne la pratiquent point sont oisifs ». Nous avons relevé celles de 1702, 1705, 1707 et 1708, deux traductions en anglais en 1719 et 1720, celles de 1736, 1739, 1747, 1751, 1869, 1899, 1903 et 1921 et, de son vivant même de très nombreuses contrefaçons. Celle de 1869 contient une très complète introduction de  l’éditeur Damase Jouaust résumant ce que nous savons de la vie de Dufresny ainsi que celle de 1921 annotée par Jean Vic qui fourmille de notes sur les parallèles entre Montesquieu, Marena et Dufresny. Nous connaissons encore deux rééditions méritées en 2012 (simple « reprint » de l’édition de 1921) et 2016 chez Hachette. N’ayons garde d’oublier une édition parue à Amsterdam en 1713 sous la signature de Fontenelle.

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(6) Selon Arsène Houssaye qui l’insère dans sa « galerie des hommes d’esprit » au même titre que Rivarol, Chamfort  ou Fontenelle et le met sur le même pied que La Bruyère (« Galerie du XVIIIème siècle » 1858).

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(7) Voir Jean-Félix Nourisson « Voltaire et le voltérianisme », 1896.

 

(8) « Edition des lettres persanes de 1721 précédé de l’éloge de l’Alembert », 1828.

 

(9) Dixit Villemain dans son « Cours de littérature », cité par Jouaust (5)

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(10)  « Il eut l’art de tirer de son origine, ni très régulière, ni même très authentique pendant toute sa vie le plus de profit possible. Dès le début de sa carrière, un grand seigneur, le marquis de Nangis, futur Maréchal de France le présenta à la cour.

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La singularité de sa naissance attira sur lui l'attention du roi, qui offrit aussitôt à ce petit-cousin de la main gauche, une place de valet de chambre auprès de sa royale personne. Ce n'était peut-être pas là une situation très relevée, ni très brillante, mais elle donnait à Dufresny l'occasion de relations constantes avec le dispensateur de toutes les faveurs et de toutes les grâces et il ne devait pas manquer d’en user. Il suivit le roi dans ses campagnes, et il assista notamment à ce trop fameux passage du Rhin, si exalté par Boileau, et où le roi se couvrit de beaucoup plus de gloire qu'il ne courut de dangers ! 

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Au retour, il prit fantaisie à Dufresny de se marier, surtout pour obtenir d'être doté par le roi. En l'honneur de ce mariage, Louis XIV donna à son valet de chambre, le titre d'abord honorifique d'intendant de ses jardins. Dufresny avait, en effet, un certain goût comme horticulteur. Il se maria donc le 9 février 1682, grâce à une petite dot que lui donna le roi. On ne connaît guère sa première femme, qui se nommait Catherine Perdreau, une petite bourgeoise du faubourg Saint-Antoine où elle possédait une maison avec un jardin que Dufresny eut bientôt fait de bouleverser de fond en comble pour le dessiner à nouveau selon sa guise; quant à la maison, il la reconstruisit en partie et donna des fêtes magnifiques où affluèrent les gens de cour et surtout ceux de théâtre qu’il commençait à fréquenter. Elle aurait été assez laide ce qui ne l’empêchait pas de le tromper, lequel la trompait avec beaucoup d’autres. La mort de sa femme en 1688, qui tenait sa maison avec régularité et avec soin, rejeta tout à fait Dufresny dans ce que nous appellerions aujourd'hui la vie de Bohême. La liquidation de la succession ne lui laissa rien; en effet, les deux fils qu'il avait eus de la défunte ayant fait valoir leurs droits, furent mis en possession de son héritage, et Dufresny se trouva à la belle étoile.

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L'histoire de son second mariage tient tout à fait du roman : elle compose, en tous cas, le fond d'une historiette (chapitre X) du « Diable boiteux », de Le Sage, contemporain de Dufresny :

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Dufresny, aux abois, n'avait même plus de quoi payer les notes accumulées de sa blanchisseuse, qui était, jeune, fraîche et jolie. Ne sachant comment se tirer d'affaire et ne pouvant décemment ne porter que du linge sale, il proposa à la jolie fille de Iui donner quittance, moyennant qu'il l'épouserait. Elle ne se le fit pas dire deux fois, elle le prit pour époux, et ainsi elle entra un peu dans la famille du grand roi. Toutefois, l'union de Dufresny fit scandale; mais le roi ne la prit pas en trop mauvaise part, et, qui plus est, il daigna en rire et augmenter encore, à cette occasion, la pension qu'il servait à Dufresny. Les débuts de cette bizarre union furent heureux; Dufresny adora pendant quelque temps sa femme, et demeura plus souvent au logis. Il travailla, et composa à ce moment ses meilleures pièces. Peu après, il obtenait le privilège du Mercure (1710), faisant bien connaître à ses lecteurs, dans son premier numéro, à quel dieu il entendait demander ses inspirations. Tant que vécut sa seconde femme, qui le stimulait, le poussait au travail et même l'enfermait pour l'obliger à produire, le Mercure parut plus ou moins irrégulièrement, mais enfin, il ne cessa pas de paraître; quand elle mourut, il n'eut rien de plus pressé que de céder, pour un mince profit, le privilège de son journal. C'est en 1715 que Dufresny perdit Angélique c'était le nom de la blanchisseuse qu'il avait élevée jusqu'à lui. Il en fut longtemps inconsolable, et son chagrin fut très réel. Sous la régence, il se livra à l'agiotage, et reçut de Law grâce à la protection du régent, un lot des trop fameuses actions de la rue Quincampoix, qu'il eut l'esprit ou le bonheur de vendre dans leur moment de plus grande hausse, et dont il tira environ 200.000 livres.

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Avec cet argent, il bâtit, au faubourg Saint-Antoine, une maison dont il fut lui-même l'architecte, et dont il dessina le jardin avec son goût habituel Mais il ne jouit pas bien longtemps de ce regain subit de fortune, et, dans l'année même qui suivit celle ou mourut le régent, 1724, il mourut à son tour à l'âge de soixante-quinze ans (6 octobre).

 

Dans les derniers temps de sa vie, il s'était rapatrié avec ses deux fils, qu'il avait cessé de voir à la suite des difficultés auxquelles donna lieu la succession de sa première femme. Ces fils étaient livrés à une piété exagérée et peu intelligente, qui les conduisit à exiger et à obtenir de leur père, devenu vieux et affaibli, qu'il brulerait divers manuscrits de pièces de vers et de comédies que, dans leurs scrupules outrés, ils considéraient comme attentatoires à la morale, à la religion, et qui, par conséquent, pouvaient finalement compromettre !e salut de l'Ame de leur auteur »

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(11)  De nombreuses éditions ont été numérisées. Celle de 1921 annotée par Jean Vic est la plus agréable à consulter tant par sa présentation matérielle que par ses notes et commentaires.

 

 

 

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