Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
EST-CE SIMPLEMENT POUR DE L’ARGENT ?
Les mariages mixtes entre des femmes de l’Isan et des Occidentaux sont devenus un phénomène social dans la société thaïlandaise contemporaine (1). Opposition binaire ? Mariages fondés sur l’argent ou sur un amour romantique ? Ils n’étaient toutefois pas inconnus à l’époque coloniale en Asie, dans l’Indochine française et les Indes néerlandaises, mariages ou unions durables, mais ils se situaient dans un contexte colonial différent, s’ils n’étaient pas formellement interdits, ils étaient plus ou moins réprouvés dans le microcosme colonial. Ils n’ont pas, à notre connaissance tout au moins, fait l’objet d’études spécifiques. Ce sont surtout les métis qui ont fait l’objet de nombreuses monographies (2). Nous y reviendrons dans la mesure où parler de ces unions mixtes en Thaïlande nous conduira à parler de leurs fruits.
L’ampleur du phénomène en Thaïlande nous vaut une toute récente étude (2012 et 2013) d’une anthropologue et sociologue thaïe, professeur à l’Université de Khonkaen, Isan qui plus est (elle est née à Nakhon Phanom), Madame Patcharin Lapanun (นางสาว พัชรินทร์ ลาภานันท์), une volumineuse thèse de doctorat (3) précédée d’un article qui en est le résumé (4).
L’intérêt de ce travail est qu’il est le fruit de recherches entreprises pendant plusieurs années sur le terrain auprès de toutes les parties prenantes dans les 20 provinces de l’Isan et plus spécifiquement dans un groupe de villages Isan au cours desquelles elle a recherché quelles étaient les motivations autant diverses que complexes qui propulsaient les femmes du village et les occidentaux à s'engager dans ces mariages mixtes, au vu de paramètres multiples, raisons économiques, normes, pratiques locales et occidentales en matière de mariage et de famille, fantasmes aussi sur la modernité, stéréotypes « sexo-spécifique », rôle des épouses domestiques, relations entre les sexes dans les sociétés occidentales influencées par des idées féministes : Il est essentiel en effet de s’écarter d’une vision simpliste et dichotomique qui ne saisirait pas la multiplicité des facteurs qui façonnent les décisions du mariage tant pour les femmes que pour les hommes concernés
Ces constatations ont ainsi été effectuées pendant plusieurs années sur le terrain, en particulier un village à une quarantaine de kilomètres au sud d’Udonthani. Il est par elle baptisé du nom (fictif) de Nadokmai, en réalité un groupe de villages comprenant 1.045 ménages pour une population de 4.229 habitants, le rapport homme-femme y est presque équilibré (49 - 51).
Dessin de Madame Patcharin Lapanun :
Nadokmai est un village prospère doté d'une infrastructure bien développée. Les maisons ont été construites l'une à côté de l'autre sur les deux côtés de la route pavée qui traverse le village en le reliant à la route principale jusqu'à Udon.
Photogrqphie de Madame Patcharin Lapanun :
Certaines maisons sont vastes, bordées de pelouses ou de jardins, avec garages, antennes paraboliques et de belles clôtures. Les plus belles appartiennent à des « mia farang » (เมียฝรั่ง) littéralement « femme de Farang », la femme thaïe d'un occidental.
Photogrqphie de Madame Patcharin Lapanun :
Pour les villageois ce sont celles qui vivent avec le soutien financier de leurs partenaires, qu'elles soient officiellement mariées ou non. Le terme plus recherché de « Phanraya Farang » (ภรรยาฝรั่ง) – « épouse de Farang » est plus courtois mais rarement utilisé. Il y avait lors de l’enquête 159 femmes qui étaient mariées ou avaient vécu avec des hommes étrangers et 22 dont les relations avaient pris fin. Ces femmes représentaient 18% des femmes du village âgées de 20 à 59 ans. Leurs partenaires étrangers étaient des hommes de 21 nationalités différentes (4).
Les deux tiers des femmes étaient divorcées ou séparées d'un ancien partenaire thaïlandais avant de se marier avec un occidental. La moitié d’entre elles avaient des enfants nés d’un père local. Environ les trois quarts d’entre elles avaient quitté leurs maisons dans le village pour s'installer avec leur mari dans divers pays, tandis qu'un quart restaient avec leurs maris en Thaïlande, dans leurs villages ou ailleurs.
Madame Patcharin Lapanun fait référence dans une énorme bibliographie à des études universitaires sur les mariages et les rencontres sexuelles dans le contexte asiatique de l'Indochine française et des Indes néerlandaises. Le colonialisme a incontestablement généré des fantasmes sexuels chez les colonisateurs et les colonisés mais suscite alors le rejet du métis comme catégorie juridique distincte, totalement inconnu dans la situation présente. Pour les colonisateurs, ces femmes étaient perçues comme des épouses idéales porteuses de valeurs familiales traditionnelles, des considérations qui transcendent la notion d'opposition binaire entre l’amour romantique et les incitations matérielles.
Alors que les hommes sont attirés par les femmes asiatiques, indépendamment de l’attrait sexuel qui est certain, par la promesse du respect des « valeurs traditionnelles », celles-ci le sont souvent en raison de leurs hypothèses (ou rêves) sur un mode de vie plus « moderne » et des relations plus « flexibles » dans les pays occidentaux que dans leur pays d’origine. D'autres y voient le moyen d’échapper à des mariages limités à la maison, en particulier les divorcées ou celles qui bénéficient d’un niveau de scolarité élevé. Le mari occidental leur offre alors le moyen de sortir des contraintes locales et d'échapper aux inégalités entre les sexes sensibles dans les villages. Mais certaines aussi considèrent la passion comme la force motrice dans leur décision d'épouser un occidental.
Nombre de touristes masculins occidentaux se rendent certes d’abord le plus souvent - mais pas toujours exclusivement en Asie - pour consommer les fantasmes de l'Orient érotisé mais ces fantasmes peuvent aussi inspirer le désir d’une relation à long terme.
Si les hommes réalisent alors le rêve exotique d'avoir une épouse orientale, les femmes d'Isan trouvent dans cette union le moyen d'échapper à la pauvreté et d'avoir une vie heureuse dans un mariage réussi.
Madame Patcharin Lapanun souhaite éviter la dichotomie entre les raisons économiques et l’amour romantique. Pour elle c'est la combinaison de ces diverses motivations qui façonnent les choix de mariage. En dehors de ces considérations d’ordre général, elle nous cite en particulier ses entretiens avec plusieurs « mia farang » de Nadokmai, leurs expériences et leurs perspectives ainsi que les motivations de leurs partenaires occidentaux. Ces quelques exemples détaillés dans l’article de la revue Journal of Mekong Societies (3) ne sont pas isolés, ils sont confortés par tous ceux que détaillent sa thèse (2), trop volumineuse (près de 300 pages denses et plus encore) pour que nous en fassions même un bref résumé.
Quelques cas particuliers
Sa a 43 ans, elle est divorcée avec deux fils adultes. Elle a rencontré Sven, 70 ans, lui-même divorcé avec trois enfants adultes, pendant ses vacances à Pattaya, où leur relation a débuté. Ils ont vécu ensemble près de deux ans à Pattaya avant de rejoindre le village où le couple a décidé de s'installer après avoir acheté une maison où ils vivent. Elle avait quitté le village pour Pattaya après que son ex-mari l'ait abandonnée en lui laissant des dettes et deux fils à élever. Les dettes avaient été générées par le mari qui souhaitait aller travailler à l’étranger. La maison avait alors été hypothéquée à cette fin. Un premier contrat s’est bien déroulé et son mari lui envoyait régulièrement des subsides. Un deuxième contrat se passa mal, le mari n’envoyant plus d’argent. Sa travaillait pour éponger les dettes et conserver la maison sans parvenir à joindre les deux bouts. Elle décida alors de suivre une amie à Pattaya pour travailler dans un bar.
Photogrqphie de Madame Patcharin Lapanun :
Au bout de deux mois, elle rencontra Sven, ils vécurent ensemble et il lui proposa rapidement de l’épouser. Comme d'autres couples, ils connurent des nuages. Vivant à Pattaya, les conflits ont souvent été déclenchés par des malentendus basés principalement sur des ragots relatifs à son mariage antérieur venant des amies de Sa – non encore divorcée officiellement - qui travaillaient au bar. Ils déménagèrent alors à Nadokmai où ils furent confrontés à d’autres difficultés, les demandes fréquentes de soutien financier de la famille auxquelles le couple pu faire face vaille que vaille. Mais après 10 ans de vie commune, Sa conclut qu'elle connait « l'amour réel » (rakthae – รักแท) né au fil des années sur la base de soins, de compréhension, d'aide et de confiance. Elle admet qu’au début, elle ne sentait guère d'affection pour Sven, de la sympathie simplement. La passion est venue au fil des années. Elle a apprécié la gestion financière de Sven faisant par ailleurs preuve de gentillesse avec ses frères, sœurs avec lesquels ils s’entendaient bien, et ses parents. De son côté, Sven affirme que Sa a toujours pris soin de lui. Au cours des dernières années, il eut des problèmes de santé, au cours desquels les soins de son épouse et son soutien affectueux lui ont été d’un grand secours, toutes choses qui lui manquaient dans son précédent mariage. « Je ne peux pas imaginer vivre sans elle ... sans elle, je mourrais ». Cette histoire nous éclaire sur les diverses motivations ayant influencé Sa et Sven.
Notre universitaire cite d’autres exemples : Celui – oh combien significatif même s’il est terre-à-terre - de Thomas, un Anglais qui vit au village : « Lorsque, fatigué de mon travail, je rentrais à la maison et que je disais à ma femme « je suis fatigué, j’ai mal à la tête », elle me répondait « Il y a une boite de pilules sur l'étagère; Va la chercher » ». Ma femme thaïe, elle, va me chercher les pilules et un verre d’eau ! Et il continue «... Les femmes thaïes savent prendre soin de leurs maris ». Citons encore Mike, un Anglais, de 42 ans marié à une fille du village : Pour lui, son précédent mariage a pris fin parce que lui et son ex-femme avaient une vie professionnelle trépidante, sortaient rarement ensemble, ne se voyaient même pas pendant plusieurs jours, vivant dans la même maison avec des vies différentes. Il considère que les idées féministes des sociétés occidentales sont beaucoup moins fortes en Thaïlande et, comme d’autres compatriotes, nous retrouvons le même leitmotiv : « les femmes thaïlandaises savent comment s'occuper de leurs maris ».
Telle est donc l’image des femmes thaïes (et asiatiques) dans l’esprit des occidentaux : Elles savent prendre soin de leur mari (occidentaux ou locaux), une image qui n’est pas toujours associées aux épouses occidentales.
Comme avec Sa, beaucoup de « mia farang » ont admis que leurs relations intimes n’avaient pas commencé par l'amour romantique et que la passion n'était entré en jeu qu'au bout d’un certain temps.
Jin a 47 ans. Elle vit dans un village proche de Nadokmai. Elle a épousé un Allemand et vécu en Allemagne pendant 10 ans. Elle écarte les liens passionnés mais considère que ses relations conjugales ont été fondées sur un soutien réciproque, la confiance, les soins et la sexualité dans lesquels s'élargit l'attachement émotionnel.
Nisa a 33 ans, elle est divorcée avec une fille de 7 ans. Elle a rencontré Carsten, un Danois de 50 ans lors de ses vacances à Phuket en 2004. Il travaille pour une société de construction familiale et réussit à venir et rester avec elle au village deux ou trois fois par an. Ils ont eu un fils âgé actuellement de 2 ans qui reste avec sa mère au village. Nisa est diplômée d'un collège professionnel et est allée travailler à Bangkok dans une usine textile où elle a rencontré son ex-partenaire, un thaï, le père de sa fille. La relation s'est bien déroulée jusqu'à ce qu'elle découvre « qu'il voyait une autre femme ». La situation a empirée lorsqu’elle est tombée enceinte et qu’il s’est désintéressé d’elle. Elle l’a quitté ainsi que son travail pour revenir au village chez ses parents sans le moindre soutien de son mari. Elle a lutté seule et déclare « Les hommes thaïs n’ont aucun sens des responsabilités à l’égard de la famille et des enfants. Ce que j'ai traversé ne pouvait être pire et rien ne me fera changer d’avis. Croyez-moi, beaucoup de femmes (mia farang) ont connu les mêmes expériences ». En 2004, elle avait suivi une femme du village à Phuket et trouvé un emploi dans le même bar.
Photogrqphie de Madame Patcharin Lapanun :
C’est là où elle avait rencontré Carsten. Elle est restée avec lui pendant ses vacances. Ils ont continué leur relation et correspondu après qu’il soit rentré au pays. Il lui envoyait un secours financier pour elle et sa fille. Elle a ainsi pu envoyer la gamine dans une école privée à Udon. Il a également rénové la maison où elle vit. Il appelle tous les jours par Internet et a toujours essayé de planifier ses visites au village pour coïncider avec les anniversaires des enfants. Nisa déclare que, en tant que père et mari, il ne l'a jamais déçue, même s'ils ont parfois rencontré des conflits semblables à ceux des autres couples. Elle insiste sur son expérience comparative avec son ex-partenaire thaï et son mari danois, en termes de fiabilité et de responsabilité en tant que maris et pères. Le partenaire thaï n’a jamais assumé ses responsabilités et en outre, ses performances sexuelles étaient déplorables. Son expérience est similaire à celles d’autres « mia farang » du village, entendues par Madame Patcharin Lapanun, qui soulignent par ailleurs l’addiction de leurs maris thaïs aux jeux de hasard et à l’alcool. C’est probablement la pudeur qui leur interdit de parler de leurs visites au bordel local.
Tous ces récits féminins concordent à considérer les « locaux » comme totalement irresponsables face aux responsabilités familiales ce qui légitime le choix des femmes pour le mariage mixte. « La famille n'est pas leur priorité. Les femmes doivent accepter ces comportements masculins » dit Lita, une autre « mia farang ». « Le mariage mixte est pour nous la seule manière d’échapper à ces conditions ». Celle-ci, 37 ans, après quatre ans de communication par internet a épousé Peter un Anglais de 42 ans. Elle était enseignante dans une école primaire d’un village proche. Ses parents et ses deux sœurs sont également enseignants. La famille est riche, au sommet dans la hiérarchie du village. Sa famille avait bien tenté de la marier localement mais ces tentatives furent des échecs. Après ces dialogues sur Internet, Peter est venu à Nadokmai. Il a reçu de la famille un accueil chaleureux. Ils se sont mariés l'année suivante. Peter lui avait dit qu'il n'était pas riche, mais qu’il pouvait s'occuper d'elle. De toute évidence, l'histoire de Lita va à l’encontre de la vision normative selon laquelle les femmes des régions déshéritées de la Thaïlande épousent les hommes des pays riches uniquement pour des raisons économiques.
Certaines femmes ont encore mentionné leur préférence pour un enfant métis (luk kreung – ลูกครึ่ง – littéralement « enfant- demi ») dans le cadre de leurs motivations pour épouser un Farang. Khwan, 27 ans, était assistante dentaire à Pattaya Elle venait de divorcer d’un mari anglais après trois ans de mariage, elle déclare : « Si j'ai des enfants, je veux un enfant mignon avec un nez droit comme un Occidental, pas le mien. C'est mon complexe. Lors de les études dans le cadre de l'éducation sexuelle à l'école, j'ai appris que si je me mariais avec un asiatique, je n'obtiendrais jamais un enfant avec un nez droit ». Bien que son mariage n'ait pas marché, le désir de Khwan d'avoir un « demi » n'a pas changé. Cette passion est partagée par son amie Kanda. Pour elles, ces enfants sont beaux et représentent la « modernité » (khwam thansamai - ความทันสมัย). Ils peuvent espérer devenir acteur ou actrice. Cette passion a motivé Kanda à chercher des liens avec un occidental par Internet. Elle a épousé un anglais titulaire d’un doctorat en technologie de l'information fin 2009.
Ce fantasme n’est pas innocent car les métis ont acquis un espace privilégié dans la société, en particulier dans les médias depuis les années 1990. Acteurs, actrices, chanteurs ou super modèles dans les concours de beauté, aux antipodes des métis de l’époque coloniale ou des enfants souvent marginalisés à l’époque de la guerre du Vietnam.
Voilà bien des femmes de l’Isan qui se sont engagées dans l’aventure d’un mariage mixte en dehors des incitations matérielles. Le résultat est que ces couples résistent au poids des années et à’ l’usure de la routine : le taux de divorce ne serait que de 15 % (6). Les conclusions de Madame Patcharin Lapanun – il est important de la préciser – ne sont pas tirées seulement de ces quelques exemples mais d’un travail de fourmi effectués pendant plusieurs années dans les 20 provinces de l’Isan et non seulement dans ce canton. D’autres exemples strictement similaires sont cités tout au long des 300 pages de sa thèse (3).
Et les hommes thaïs ?
Madame Patcharin Lapanun fait-elle preuve de misandrie à leur égard ? Ce n’est ni une pétroleuse ni une suffragette ; c’est une scientifique. Elle a donc recueilli l’avis des hommes thaïs. Il s’est avéré que les hommes de l’Isan sont tous conscients de la mauvaise image qu’ils donnent d'eux-mêmes. Mais ils considèrent ces comportements masculins comme des réactions aux pressions créées par les conditions de leur vie professionnelle, échecs de la production agricole et autres contraintes, sans parler de l’obligation de vivre loin du village pour trouver du travail, en particulier ceux qui trouvent un emploi à l'étranger. Par ailleurs, leur comportement, jeu, alcool, adultère, est pour eux chose normale (ruang thammada – เรือง ธามาดา) qui ne constitue nullement des signes d’irresponsabilité à l’égard de leur famille.
Les points de vue sont totalement différents. Les différenciations de genre sont renforcées par des normes culturelles en Thaïlande, c’est une certitude. En général, les garçons ont beaucoup plus de liberté que les filles qui sont astreintes à plus de tâches ménagères et font l'objet d'une surveillance plus sévère en termes de mobilité spatiale et d'activités sexuelles. Les « sorties de groupe masculin » offrent les occasions pour se regrouper, boire de l'alcool, visiter divers lieux de divertissement sinon de débauche. Ces comportements sont considérés comme constituant la masculinité et la sexualité des hommes comme un moyen de libération physique et de relaxation. Ils sont intégrés au tissu social de la société thaïe. Quant à l’expliquer par la pression exercée par les hommes ou l'échec professionnel, ce n'est qu'une partie de l'histoire. Ils ne mettent toutefois en avant, pour expliquer les préférences de leurs anciennes épouses pour les mariages mixtes, que la seule cupidité.
N’oublions pas que traditionnellement, les relations polygames étaient généralement acceptées, surtout chez les hommes de classe supérieure. Si la polygamie est actuellement interdite, elle se manifeste habituellement en sus de l’épouse principale (mia luang – เมียหลวง) sous forme d'une « petite femme » (mia noi - เมียน้อย), d’une femme cachée (mia lap -เมีย ลับ) et pour le samedi d’une épouse de location c’est à dire une pute (mia tchaô - เมีย เช่า). L’évolution des moeurs est telle que les femmes thaïes ne se sont pas encore affublées – au moins dans nos campagnes - de phoua noï (ผัว น้อย) strict équivalent pour elles des mia noï !
Contrairement à cette représentation plutôt « négative » des locaux, les femmes du village imaginent (pas toujours à juste titre il est vrai !) les occidentaux comme attachés à la famille, insusceptibles de boire, jouer, dormir ou s'impliquer dans des aventures extraconjugales : manger ensemble, se promener ou faire les courses de concert, participer à des activités communautaires ou associatives, telle est du moins la vision qu’en a eu notre universitaire au terme des centaines de contacts.
Une vision occidentale ?
Rares sinon inexistants sont les écrits sérieux à ce sujet : Le plus souvent sur Internet – qui est comme la langue d’Esope parfois la meilleure mais le plus souvent la pire des choses - souvent sinon toujours, sur blogs et forums ce ne sont le plus souvent que des récits déprimants d’occidentaux victimes de gourgandines assortis d’une littérature de hall de gare toujours égrillarde, parfois fétide et souvent nauséabonde du niveau des propos de bar.
Ceux qui vivent une relation de couple normale ne vont pas, jamais, répandre leurs états d’âme sur la toile. Nous sommes deux à animer ce blog, deux mariages à cette heure réussis, ce n’est pas pour autant que – allant du particulier au général - nous allons en induire que ces unions sont à 100 % des succès. Les victimes des Vénus des gogos de Pattaya, ils existent n’en disconvenons pas, font comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, de la philosophie sans le savoir même si ce n’est que de la philosophie de comptoir (7)
Conclusions ?
Madame Patcharin Lapanun réprouve l’affirmation trop répandue selon laquelle ces mariages mixtes auraient du côté des femmes Isan pour seule motivation celle des avantages matériels. La simplification ne saisit pas la multiplicité des facteurs constituant ce qu’elle appelle la « logique du désir ». La question des avantages matériels n’est pas plus étrangère aux femmes Isan que les intérêts que savent manifester les occidentales avoisinant parfois la cupidité lorsqu’elles s’évertuent à presser le citron que devient le mari dans un divorce à la française (les prestations compensatoires) ou à l’américaine (les dommages-intérêts pharaoniques).
Il est toutefois un paramètre qui échappe totalement à notre universitaire thaïe-isan et qui peut expliquer au moins en partie pourquoi les Farangs continueront de plus fort à préférer se réfugier dans les bras d’une Thaïe. Ne le lui reprochons pas, elle n’a manifestement pas été en contact étroit avec des occidentales : Les femmes sont philosophiquement et métaphysiquement nos égales même si nous sommes physiquement différents. Elles se sont battus à juste titre pour faire reconnaître ce droit, soit. Elles ont d’ailleurs bénéficié du droit de vote en Thaïlande bien avant les Françaises.
Là où le bat commence à blesser, ce n’est plus lorsqu’elles prétendent à cette reconnaissance égalitaire qui leur est acquise dans tous les pays civilisés (hors pays musulmans), c’est lorsqu’elles prétendent être des hommes ce que physiologiquement elles ne sont pas. Participer comme membres des forces spéciales de la police à des commandos du Raid ou de la Bac, pourquoi pas ? S’engager dans les commandos de marine pour aller saborder quelque navire de « Green peace », pourquoi pas ? Elles savent parfaitement utiliser une arme de poing, pratiquer la plongé sous-marine et sont d’ailleurs plus féroces au combat que les hommes.
Elles sont passionnées par les métiers du bâtiment, quel beau métier que de faire surgir une maison du sol ? Mais il a fallu pour elles modifier la législation et imposer des sacs de ciment de 35 kilos alors que tous les maçons français, italiens, siciliens, espagnols, arabes ou portugais que nous avons connus portaient un sac de 50 kilos sur chaque épaule.
Passe encore. Mais allez donc demander aux femmes Isan (ne parlons pas des esclaves birmanes) – employées des entreprises de Travaux publics - que nous voyons sur les routes répandre du goudron brulant par 45° à l’ombre si elles ne préféreraient pas être choyées dans leur village par un mari farang, même vieux, même cacochyme et même vilain (8) ?
Devenir des hommes ? Les projets de la législation européenne en cours d’étude prévoient de permettre aux femmes de bénéficier de congés maladie lorsqu’elles ont des « règles douloureuses » ce qui permettra à ces « hommes » d’être en congé deux ou trois jours à chaque lunaison. Citons simplement pour mémoire les projets délirants de certains suédois ou de certaines suédoises qui voulaient interdire aux hommes de pisser debout …et restons-en là.
NOTES
(1) Nous n’avons pas trouvé de statistiques fiables : il y aurait 11.000 occidentaux vivant dans les 20 provinces du nord-est dont la plupart – évidemment - sont en couples avec des autochtones. Une autre source (« Courrier International » de 2004) parle de 15.000 femmes de l’Isan mariées à des occidentaux mais ne vivant pas toutes dans la région. La statistique la plus récente que nous ayons concerne le nombre de mariages en Isan en 2013, 83.249 mais elle ne donne pas de ventilation ethnique :
https://www.happywedding.life/en/tips/wiki/international/23156.
(2) Voir par exemple l’étude relativement récente de Pierre Guillaume « Les métis en Indochine ». In : Annales de démographie historique, 1995. Les réseaux de parenté. pp. 185-195. Nous avons quelques éléments sur les mariages mixtes sur le site « Belle Indochine » :
http://belleindochine.free.fr/images/statistiques/122MariagesDivorces.JPG
(3) « Logics of Desire and Transnational Marriage Practices in a Northeastern Thai Village », thèse soutenue à l’Université d’Amsterdam en 2013 et numérisée sur le site de l’Université : https://research.vu.nl/en/publications/logics-of-desire-and-transnational-marriage-practices-in-a-northe.
(4) « It’s Not Just About Money: Transnational Marriages of Isan Women » in
Journal of Mekong Societies, Vol. 8 No. 3 (Sep.-Dec. 2012 ) p. 1-28 numérisé sur le site https://www.tci-thaijo.org/index.php/mekongjournal
(5) 30 Allemands, 20 Suédois, 18 Anglais, 12 Norvégiens, 10 Italiens, 7 Français, 6 Danois, 6 Autrichiens, 5 Néerlandais, 4 Suisses, 4 Belges, 3 Finlandais, 2 Islandais, 1 Luxembourgeois, 1 Grec, 14 Américains, 4 Australiens et 11 Asiatiques (Japon, Hong-Kong, Singapour et Corée).
(6) Par comparaison, de façon approximative, 45 % des mariages en France et un peu plus de la moitié aux États-Unis se terminent en divorce.
(7) L’induction est un mode de raisonnement philosophique qui consiste à la généralisation d'un fait; induire, c'est ériger un phénomène en loi; c'est présumer une série de faits inconnus, à raison d'un fait connu, c'est affirmer comme universel un rapport particulier révélé par l’expérience. Si ces vérités particulières ont été constatées à de nombreuses reprises, expériences répétées, elles peuvent devenir une loi. Stuart Mill cite l’exemple du corbeau : Lorsque j’ai vu des centaines fois des corbeaux noirs, je peux affirmer que tous les corbeaux sont noirs. Si le hasard me fait rencontrer un rarissime corbeau albinos, je dois tout simplement considérer qu’il s’agit de l’exception qui confirme la règle. Un simple fait ne peut pas servir de preuve à un autre fait et encore moins prouver un nombre illimité de faits semblables. Or, ce que nous trouvons dans ces jérémiades, c’est une répétition du syllogisme caricaturé par Ionesco : « Tous les chats sont mortels, or Socrate est mortel donc Socrate est un chat » qui deviendra « J’ai épousé une garce, or cette garce est Thaïe dont toutes les Thaïes sont des garces ».
(8) C’est d’ailleurs ainsi que les hommes thaïs – fort peu charitablement – nous considèrent, il faut bien l’admettre.