Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
Les représentants de cette ethnie s’appellent eux-mêmes So (โซ่ ou โส่, seule change la tonalité), les Thaïs les appellent Sokha, Khaso, Kaso ou encore Khakaso (โซ่ข่า - ข่าโซ่ - กะโซ่ – ข่ากะโซ่).
Il est difficile de les dénombrer puisqu’ils se sont mélangés à la population locale dont ils ont plus ou moins adopté la langue, thaï standard appris à l’école, lao-isan avec les voisins ou à la maison et éventuellement So avec les anciens. Ils seraient néanmoins encore 2000 répartis dans quatre villages, dont entre 800 et 1000 à parler leur langue à cheval sur les deux provinces de Sakhonnakhon entre le district de Kusuman (กุสุมาลย์) (province de Sakhon) et celui voisin de Plappak (ปลาปาก) dans la province de Nakhonphanom selon un site officiel (1).
Dans le petit district de Kusuman à une quinzaine de kilomètres de Tharae (ท่าแร่) (2), ils ont constitué un petit musée très convivial ....
... avec des reconstitutions « à l’identique » de leurs habitations d’origine.
Y sont exposés des objets souvenirs, arcs et arbalètes ...
... vieilles escopettes, vieux outils avec de belles reconstitutions effectuées par les enfants du village de toutes sortes de pièges construits avec les moyens du bord le plus souvent en bambou sans le moindre métal, souvent très ingénieux et utilisés pour s’emparer du poisson et du petit gibier.
Ils ont conservé leur tradition de vannerie et de forge, ils en tirent profit : tout au long des routes nous voyons des échoppes sommaires où ils vendent les objets tressés en rotin ou en bambou parfois sous vos yeux, nasses pour le pèche, bourriches, paniers, cages à poule, trappes à oiseaux, etc… (3) ainsi que des outils forgés dans de la ferraille de récupération à des prix qui sont très loin d’atteindre ceux des boutiques de souvenirs le facteur étant en général de 1 à 5 sinon de 1 à 10 !
Sans s’être mises au tissage, les femmes se sont mises à la couture et cousent des vêtements traditionnels sur de vieilles machines à coudre à pédales.
Le premier à leur avoir consacré une étude est notre sempiternel gendarme danois, le major Erik Seidenfaden en 1943 (4).
Quelques sites Internet nous en parlent brièvement et en thaï, à vocation plus folklorique que culturelle certains comportent de très rares photographies anciennes (5).
Mais la seule référence bibliographique qui est donnée reste toujours au XXIème siècle l’article de Seidendafen.
20 ans avant d’écrire son article, il y a donc un peu moins d’un siècle, Seidenfaden pour le compte de la Thailand research society (Revue de la Siam sociéty), avait, adressé un questionnaire aux autorités de la province de Kalasin dont le résultat était tombé dans les oubliettes de ses archives d’où il l’avait exhumé. Ce sont les résultats de cette enquête qu’il a traduits et publiés.
Contenant de précieuses données technologiques et ethnographiques, il y a ajouté ses propres commentaires. Nous nous sommes penchés à la fois sur les résultats du questionnaire, étonnants, sur son interprétation des résultats du questionnaire, tout aussi étonnante et sur les renseignements que nous tirons des quelques sites Internet consacrés aux ethnies, tous en thaï, et de nos propres constatations en ce qui concerne ces So.
Les résultats de l’enquête :
Leur aspect physique et leur vie quotidienne :
Ils sont de petite taille et plutôt boulots, entre 1,40 à 1,60 mètres, ni gros ni maigre et plutôt boulots. Leurs visages sont ovales, le nez est petit et aplati. Leurs lèvres sont de couleur bleuâtre foncé, mais de taille égale. Certains hommes ont une barbe clairsemée ou une mince moustache. Leurs cheveux n’ont pas plus d’un demi-pouce de longueur et sont d'une couleur jaunâtre. Leur poil est court, doux et jaunâtre. Leurs cheveux sont parfois naturellement frisés. La pupille des yeux est d’un noir jaunâtre, tandis que le blanc est de couleur blanche tendant vers le jaune. Leurs yeux sont horizontaux, le coin externe de la paupière supérieure étant un peu plus bas que le coin interne de l'œil. La couleur de leur peau est rougeâtre dans les parties protégées par des vêtements, mais plus sombre dans les parties non protégées.
« La tache congénitale (tache mongolienne) dans la région sacro-lombaire se retrouve chez tous les nourrissons mais disparaît complètement après 30 jours » (6).
Les déformations du crâne, du visage, des dents ou des organes génitaux sont inconnues. Les hommes se tatouent les jambes au-dessus des genoux sur les cuisses. Certaines femmes se tatouent l’estomac et les poignets avec des motifs de fleurs de riz ou d'autres fleur mais elles ne se maquillent pas.
Les hommes portent généralement un pagne de coton et une capuche de coton noir à manches longues. Les femmes portent un phasin (ผ้าซิ่น - jupe) et un manteau en coton noir à manches longues mais à la maison elles ne mettent pas leurs bras dans les manches qui sont jetées sur leurs épaules.
Les jours de fête, les hommes portent un phanung de soie (ผ้านึง pièce de tissus) et un foulard traversant la partie supérieure du corps au lieu du manteau. Les femmes portent un phasin de soie et une écharpe (tissu de poitrine) au lieu du manteau. Les hommes se sont tous coupé les cheveux; Les femmes les portent longs enroulés en chignon. Les jours ordinaires, les femmes portent un fichu sur la tête mais l’enlèvent les jours de fête. Les hommes ne portent pas de bijoux, les femmes portent des bracelets et des boucles d’oreille d’argent, de cuivre ou de laiton. Elles portent aussi des colliers de perles ou de pièces d’argent de un ou deux salungs. Les hommes ont quatre sortes de vêtements, phanung, écharpe, manteau et pantalon. Les femmes n’en ont que trois, phasin, écharpe et manteau.
Ils se nourrissent de riz, de légumes et de sauces pimentées. Ils ne boivent pas d’alcool et ne consomment pas d’opium mais tous mâchent du bétel.
Leurs ustensiles de cuisine se composent de pots d'argile, de poêles en fer et de tasses pour la sauce poivre et le curry et d’une sorte de réceptacle en bois percé dans le fond pour cuire le riz à la vapeur (huat nungkhao - หวด นึ่งข้าว).
Ils fabriquent également une boîte en bambou dans laquelle ils placent le riz au moment des repas (klongkhao - กล่องข้าว récipient à riz). Nos enquêteurs, probablement des fonctionnaires de Bangkok semblent surpris de découvrir ce que nous voyons tous les jours dans les cuisines de nos épouses pour la cuisson, la conservation et le transport non pas du riz mais du riz gluant (khaoniao – ข้าวเหนียว).
Les hommes chassent et pèchent. Pour la chasse, ils utilisent des fusils et des arcs de bois. Ils pêchent avec des filets et des nasses. Ils chassent le bœuf et le cochon sauvages, le cerf, le cerf sambar, l'ours et diverses sortes d'oiseaux. Le fruit de leur chasse et de leur pèche répond à leurs besoins, sans plus.
Ils n’ont aucune espèce de véhicules, leur seul moyen est le portage. Ils ont des champs de riz et des pans de forêt. Pour la culture ils utilisent des charrues et des herses tirées par des buffles; Pour dégager les terres dans la forêt ils utilisent la hache, le couteau, la houe et la bêche. Ils cultivent le riz, les courges, les melons, le maïs, les haricots, le sésame, le poivre et les tomates.
Où vivaient-ils il y a un siècle ?
Les enquêteurs les ont trouvés dans la forêt de Phuphan (ภูพาน) qui chevauche la province de Kalasin et celle de Sakhon Nakhon, dans l‘amphoe montagneux de Khao Pha Daeng (เขาพาแดง), dans celui de That Choengchum (ธาตุเชิงชุม) situé près du grand lac Nong Han (หนองหาน) sur les rives duquel se trouve la ville de Sakhon Nakhon. S’agissant du plus grand lac naturel du pays – 125 km2 – il procurait de toute évidence d’inépuisables ressources pour la pèche.
Nous les trouvions encore dans la région de Nakae (นาแก) au sud-ouest de la province de Sakhon, frontalière avec celle de Mukdahan et enfin, sur le territoire de la province de Kalasin, à Kuchinarai (กุฉินารายณ์) mais avec une possible confusion des enquêteurs avec un village Phuthaï et encore dans le district de Nonghang (หนองห้าง) situé à proximité de Kuchinarai. Nous ignorons malheureusement leur nombre.
Leur « culture » :
« Ils sont extrêmement stupides et s’appellent eux-mêmes So (โซ่) » nous disent les enquêteurs mais nous voyons mal le lien avec leur stupidité (dument constatée) et le mot « So » à moins qu’il n’ait un sens particulier dans un jargon qui nous échappe ?
Leur comportement n'est pas ordinaire, leur coutume est de marcher rapidement; Ils ne savent pas comment s'asseoir de bonne façon et « leur discours est grossier et indigne » (7).
Leurs villages sont construits dans la forêt vierge sur les crêtes. Ils se composent de nombreuses maisons individuelles chacune ayant une clôture de bois. Elles sont construites sur poteaux avec des murs en bois et divisé en petites pièces juste assez grandes pour le couchage. Elles n’ont qu’un étage. Les ustensiles domestiques, les vêtements ainsi que les outils sont tous à l’intérieur. Leurs maisons sont en désordre et d’une saleté repoussante (8).
Ils n’ont ni magasins ni marchés, ils ne vendent et n’achètent qu’en petite quantité. D’une espèce de bambou, ils tressent des nattes de couchage et les troquent contre des vêtements étant eux-mêmes totalement incapables de tisser le coton et la soie.
Pour l’artisanat, ils ne connaissent que la forge et la vannerie. La poterie, la menuiserie, le tissage, la couture, la broderie, la teinture et le sel leur sont totalement inconnus. Leurs armes consistent en fusils, arbalètes, lances et couteaux.
Leur religion :
Ils sont bouddhistes. Tous les ans en mars ou avril ils vont en pèlerinage au That Phanom (ธาตุพนม) sur les bords du Mékong (9).
Ils ne sacrifient pas aux esprits. Il n’y a aucun moine chez eux mais ils possèdent de petites images de Bouddha placées sur le mur sud de leur maison. Il n'y a pas de cérémonies à la naissance des enfants mais ils encerclent la maison avec un fil sacré pour préserver le bébé contre les mauvaises influences, avec le rasage des cheveux du nouveau-né. Il n’y a pas de cérémonies au décès, la dépouille est incinérée sans la moindre intervention des moines. Il n’y a pas de cérémonies non plus lors de la construction d’une maison.
Les parents et les frères aînés sont respectés mais pas les sœurs ; Une fois mariées, elles doivent aller vivre avec leurs maris. Dans tous les foyers, tous doivent obéir mais le chef de famille ne doit pas fouetter ou frapper quiconque, pas même sa propre femme ou ses enfants. Si quelqu'un commet une faute, toute la famille est convoquée pour admonester le coupable. Les petits enfants sont bien nourris, en particulier s’ils sont malades mais on ne leur donne aucune espèce de soins. Dans le cas d’adoption, on attend des parents qu’ils aiment et élèvent les enfants comme les leurs, et ceux-ci leurs doivent le respect plus encore qu’à des parents par le sang. Il y a trois sortes d’adoption ; adoption à la naissance de l'enfant dont la mère est morte ; adoption à la naissance si la mère est malade et ne peut pas donner le sein ; au cas où les parents sont trop pauvres pour subvenir aux besoins de leur enfant, ils peuvent laisser les autres les adopter. Dans tous ces cas tout lien entre les enfants et leurs parents naturels sont définitivement rompus. Les enfants adoptés doivent dorénavant considérer leurs parents adoptifs comme leurs véritables parents.
Le mariage est affaire d’inclination réciproque. Quand le couple a pris sa décision, le jeune homme offre à sa future des présents, vêtements en général, on appelle cela le khongfak (ของฝาก), tout simplement « un souvenir ». Si la jeune fille l’accepte, elle l’autorise à cohabiter avec elle cette nuit-là. Le lendemain, la jeune fille apporte les cadeaux à ses parents et leur dit qu’ils viennent d’un jeune homme dont elle veut devenir l’épouse. Les parents prennent alors contact avec ceux du jeune homme pour les arrangements. En cas de désaccord, la jeune fille doit restituer les cadeaux. Si elle ne le faisait pas, elle ne trouverait jamais aucun autre mari. Une fois les cadeaux retournés, tous les liens sont rompus. En cas d’accord, les parents conviennent de la date du mariage. Au jour choisi, l'époux envoie un messager avec deux bougies et cinq baths pour demander officiellement la fille à ses parents. Lorsqu’ils ont accepté les bougies et l'argent, leur fille accompagne le messager jusqu’à la maison du marié. Arrivée là, elle mange et dort avec lui, ils sont considérés comme mariés. Au bout d'un mois l'homme envoie à ses beaux-parents du bétel avec cinq tasses, deux bracelets de cuivre ou de laiton, deux colliers de perles et une tête de cochon bouilli sur un plateau. Si on n’a pas de tête de cochon, on la remplace par huit poules, deux bouillies et six au curry ainsi que vingt baths mais l’argent n’est pas le plus important. Le mari doit rendre visite à ses beaux-parents et les saluer avec deux bougies dans les mains, la femme fait de même auprès de ses beaux-parents. Dans les trois ans qui suivent, l’époux doit faire les mêmes cadeaux à ses beaux-parents. Quand cette coutume a été pratiquée deux fois, le mariage est considéré comme définitif. Les parents conservent pleine autorité sur leurs enfants et une fille ne peut aller vivre chez un homme en dehors de cette procédure.
Nous notons que cette procédure de mariage temporaire et de mariage à l’essai est inconnue du reste du pays.
En ce qui concerne l’héritage, seuls les garçons héritent ; ou les filles s’il n’y a pas de garçons. Les filles jouissent d'une certaine liberté, tant du moins qu’un jeune homme n'a pas proposé le don et qu’il a été accepté. L’époux qui demande le divorce doit tout simplement payer à l’autre une compensation de vingt bahts (10) !
À la naissance, le nouveau-né est lavé et langé et sa mère va l’allaiter. Au bout de de sept jours on commence à lui donner du riz. Au bout d’un an, l'enfant recevra la nourriture ordinaire. L'âge de 18 ans est considéré comme le bon âge pour le mariage.
Ils n'ont donc pas de lois, criminelles ou civiles, qui leur soient propres. Ils suivent leurs coutumes et obéissent aux lois actuelles du royaume. Ils connaissent très bien la différence entre le bien et le mal. Les crimes violents chez eux sont inconnus.
Ils n’ont aucune connaissance artistique, dessin ou sculpture. Ils ignorent le théâtre et pour instrument de musique ne connaissent que le Khaen (แคน)
... et la flute - Khlui (ขลุ่ย).
Danse, chant, poésie ou contes de fées leur sont inconnus. Ils n’ont pas de littérature non plus.
Leur computation du temps n’est pas celle des Thaïs puisqu’ils divisent la journée en six fractions et non quatre.
Il leur arrive d’utiliser certaines racines comme médicaments mais leurs connaissances médicales sont nulles.
Les constatations d’Erik Seidenfaden en 1943
Elles ne furent guère plus flatteuses.
Ils appartiennent au groupe Mon-Khmer de la race austro asiatique, alors que les Phuthai sont des « thaïs purs » même si leur dialecte est légèrement différent de ce que Seidenfaden appelle avec élégance « la langue de notre roi ». Leur habitat d’origine se situait dans le district de Thakkek (ท่าแขก), dans la province de Kammouan (คม่วน) où ils vivaient sur des collines dans la jungle. Ils ont traversé le Mékong, probablement déportés, lors de la grande guerre entre l’Annam et le Siam (1841-1845).
Il n’y a aucune légende sur leur origine comme pour les Saek (11).
Ils sont regroupés en petites communautés dans la région de Kusuman (กุสุมาลย์), un district à une vingtaine de kilomètres au nord-est de la province de Sakhon au bord du grand lac Nong Han, dans le district de Wanonniwat (วานรนิวาส) également dans la province de Sakhon à une soixantaine de kilomètres au nord-ouest. Ils y ont en 1915 été comptés pour 4.250 âmes. Nous les trouvons encore dans le district de Tha Uthen (ท่าอุเทน) à une vingtaine de kilomètres au nord de Nakhon Phanom sur les rives du Mékong, non loin de At Samat ou nous avons rencontré les Saek, une autre ethnie en probable voie de disparition (11). Ils s’y sont largement croisés avec des Phuthaï. Seidenfaden n’est guère précis sur les chiffres, trente ans auparavant (1913) ils auraient été moins de 7.000 sur les deux provinces. On en rencontre encore dans le district de Warichaphum (วาริชภูมิ) situé à une quarantaine de kilomètres à l’ouest de Sakhon dans ce qui est aujourd’hui le gigantesque parc national de Phuphan (ภูพานอุทยานแห่งชาติ). Dans le district de Kuchinarai, dans la province de Kalasin, ils étaient, en 1915, 900 à parler leur langue. Seidenfaden évalue globalement leur nombre total à moins de 10.000.
Il nous confirme – d’expérience - qu’ils ont la peau très foncée, presque noire parfois et les cheveux très frisés ce qui signifie, conclut-il, qu’il y a une forte souche de sang négroïde chez eux mais on rencontre parfois des individus qui ont des traits réguliers (12).
Toutefois, les « filles ne manquent pas de charme, sont souvent bien formées et gracieuses dans leurs mouvements ».
Ceux et celles rencontrés par Seidenfaden n’ont aucune notion de propreté et la chasse à la vermine dans les cheveux est leur sport favori (8). Cependant, à l'heure actuelle – nous dit-il - la campagne énergique pour la propreté et l’hygiène du corps, des vêtements et des habitations, engagée par les autorités gouvernementales a eu un succès marqué et a notablement amélioré les mœurs de ce peuple.
Mais Seidenfanden va compléter par un détail fort peu sympathique, un oubli des enquêteurs, relatif aux fortes superstitions qui, autrefois au moins, étaient si fréquentes chez eux, souvent avec des résultats mortels. Ils croient ou croyaient en effet aux Phipop (ผีปอบ), des esprits malfaisants spécifiques au nord-est dont nous avons déjà parlé (13) ce qui contredit formellement les constatations des enquêteurs sur leur caractère pacifique !
Certains individus des deux sexes étaient (sont ?) censés être capables, par la sorcellerie, de tuer toute personne détestée par eux, Le processus consistait à insérer un minuscule morceau de peau de buffle dans la nourriture de la victime. Après avoir pénétré dans l'estomac, le morceau de peau de buffle se gonflait à un tel point que la malheureuse victime allait mourir. Curieusement, les individus soupçonnés d'être Phipop étaient toujours parmi les hommes les plus intelligents ou les filles les plus belles. Une fois qu’une personne était convaincue d’être un Phipop, toute la population du village se réunissait et très souvent décidait de la mort du coupable s’il ne s’était pas déjà enfui. Seindenfaden avait appris qu’en 1909 un assez grand nombre de ces personnes innocentes avaient trouvé un asile dans le grand village catholique romain de Tharae (ท่าแร่) sur la rive nord du lac de Nonghan (2). Compte tenu de la responsabilité collective des villageois dans la décision de tuer le Phipop, il est toujours très difficile aux autorités de trouver le meurtrier réel. En service dans la Gendarmerie provinciale de 1909 à 1910, Seidenfaden a rencontré plusieurs de ces cas de meurtres collectifs. Dans un cas il fut nécessaire d'arrêter presque toute la population du village pour savoir la vérité concernant le ou les meurtriers. « Nous espérons », continue-t-il, « que les progrès de l’instruction et de l’enseignement vont faire disparaître ces croyances ».
En ce qui concerne leur langue d’origine mon-khmer de la grande branche Katuic, une première fois étudiée par Monseigneur Cuaz en 1904, elle était alors encore pratiquée à Kuchinarai. Seidenfaden nous en donne un lexique quadrilingue d’environ 400 mots, anglais, thaï, So, So selon Monseigneur Cuaz (dont la transcription est différente de la sienne avec le même résultat) et Phuthaï. Ne parlons pas du Phuthaï qui ne nous concerne pas aujourd’hui, le vocabulaire So est totalement différent du Thaï et du Phuthaï dans tous ces mots d’utilisation courante. Il nous est difficile d’en dire plus. Il ne semble pas qu’elle ait fait depuis lors l’objet d’études plus approfondies.
Aujourd’hui ?
Aujourd’hui, ils sont paysans, qui ne l’est pas en Isan ?
Ils ont quitté les montagnes devenues parc nationaux qu’ils occupaient autrefois d’où les bœufs sauvages, les ours et les cerfs-sambar ont depuis longtemps disparu. Il ne semble pas qu’il y subsiste d’autres communautés ailleurs que dans les deux districts de Kusuman et Plapak. Ils ne s’expriment plus par grognements comme l’avait constaté Monseigneur Cuaz en 1904. Ils sont devenus propres et civilisés, les habitations sont coquettes, ils savent lire et écrire, tous les districts ont leur site Internet (14), ils ont des écoles, des hôpitaux et des dispensaires et des temples bouddhistes (15) tout autant que dans le reste du pays.
S’il se commettait encore des meurtres rituels, on peut être certain que la presse nationale friande de ces anecdotes s’en ferait friande de ces anecdotes s’en ferait l’écho.
Il est évidemment difficile de dire qu’ils ont été « acculturés » ou « déculturés » puisqu’il y a moins d’un siècle ils ne possédaient qu’une culture embryonnaire caractérisée il est vrai par une certaine habileté technologique qu’ils ont su conserver, un langage qui se perd, des rituels primitifs qui ont disparu, mais une absence totale de traditions et de pratiques de quelque art que ce soit.
NOTES
(1) Selon un site dépendant du ministère de la culture, la langue est encore parlée dans quatre villages regroupant 2.000 habitants par entre 800 et 1.000 personnes seulement mais beaucoup hésitent à le faire « par honte des voisins » :
http://www.thaiculture.go.th/script/test.php?pageID=107&table_d=language&s_type=
Wikipédia, la reine des fausses encyclopédies, ne craint pas de faire état de 102.000 So en Thaïlande (chiffres 2001) mais ne parle pas du nombre de locuteurs (https://th.wikipedia.org/wiki/ภาษาโซ่). La seule source qu’elle cite est une étude des missionnaires Pilipp Dill et Greg Lyons sur les locuteurs mais elle est totalement fantaisiste puisqu’ils confondent les So avec les Bru (บรุ), une ethnie totalement distincte mais géographiquement voisine, beaucoup plus nombreuse et répartie dans de nombreux districts thaïs, avec laquelle ils se sont probablement étroitement mélangés (« Ethnolinguistic map of Thailand » de 2004, ISBN 974-7103-58-3).
(2) Tharae est le centre de l’archidiocèse catholique romain qui a juridiction sur les provinces de Kalasin, Mukdahan, Nakhon Phanom et Sakon Nakhon où se trouve la cathédrale Saint-Michel construite modestement en 1884 et reconstruite somptueusement il y a une dizaine d’années.
(3) Voir une étude exhaustive de H.B.Garrett « NOTES ON SOME TRAPS MADE BY THE HILL PEOPLES OF SIAM » Journal de la Siam society, supplément d’histoire naturelle, volume VIII- 1 de 1929.
(4) « REGARDING THE CUSTOMS, MANNERS, ECONOMICS AND LANGUAGES OF THE KHA (SO) AND PHUTHAI LIVING IN AMPHOE KUTCHINARAI กุฉินารายน์ (CHANGVAT- KALASINDHU, MONTHON ROI ET) » in Journal de la Siam society, volume 34-II de 1943.
(5) En particulier :
http://www.isangate.com/isan/paothai_kaso.html
http://www.sakonnakhonguide.com/index.php?name=knowledge&file=readknowledge&id=20#.WGsGZNJ950w
http://thaisokusuman.blogspot.com/p/blog-page.html
http://www.sac.or.th/databases/ethnicredb/en/research_detail.php?id=218 qui est le site du « Princess Maha Chakri Sirindhorn Anthropology Centre ».
(6) Ces constatations sont évidemment à relier à celle de la présence de la tache bleue mongolique chez les nouveaux nés dont Seidenfaden ne nous parlera plus, 20 ans après que sa présence systématique eut été constatée. On sait que, dans certaines races, on observe avec une grande fréquence, au moment de la naissance, une tache bleuâtre, en général située au niveau de la région sacrée, qui s'efface peu à peu avec l'âge. Il ne semble pas que l’on retrouve cette particularité chez les Thaïs originaires ce qui explique qu’elle ait été signalée ? La signification en est toujours obscure. Peut-on la considérer comme un rudiment atavique qui nous reporte vers des ancêtres éloignés; ou bien comme un indice de la descendance d'une race depuis longtemps disparue ? Elle a en tous cas donné lieu à une littérature surabondante à connotation parfois plus ou moins raciste ou tout au moins « non politiquement correcte » : J. Deniker « Les taches congénitales dans la région sacro-lombaire considérées comme caractère de race » In: Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, V° Série. Tome 2, 1901. pp. 274-281; ou Paul Rivet « La tache bleue mongolique » In : Journal de la Société des Américanistes. Tome 7, 1910. pp. 335-336;
(7) Monseigneur Cuaz qui a étudié ceux du Laos n’est pas plus flatteur : « leur prononciation est rude et saccadée, avec des roulements d’r qui rappellent le malais et le cambodgien ; ils n’ont aucune écriture connue ; pour communiquer entre eux, ils se contentent de graver grossièrement sur des lamelles de bois ou de bambou quelques signes conventionnels ; et ceux-ci leur suffisent pour se transmettre un mot d’ordre ou une mauvaise nouvelle » (« Lexique franco-laocien » de 1904 et « Etude sur la langue laocienne » de la même année.
(8) Rappelons que La Loubère en 1691 insiste sur la propreté des Siamois « Les Siamois sont fort propres » (« Du royaume de Siam » volume I, 1691) et Mgr Pallegoix sur celles de leurs maisons « les habitations des Thaïs sont très propre » (« Description du royaume Thaï ou Siam » volume I, 1854).
(9) Le chedi de That Panom situé sur les rives du Mékong à 25 km au nord de Nakhon Phanom est l’un des lieux les plus sacrés du bouddhisme thaï et assurément le plus sacré de l’Isan.
(10) Une comparaison plus ou moins aléatoire peut-être tirée d’un « Guide Madrolle » des années 20, un baht de l’époque vaut 1,65 francs, qui vaut environ 0,70 euro 2016 ce qui mettait le divorce au prix tout à fait abordable de 15 euros ?
(11) voir notre article Insolite 12 « LA LANGUE DES SAEK DE NAKHON PHANOM, UN VESTIGE DE LA PROTOHISTOIRE ? ».
(12) Seidenfaden ne s’est pas préoccupé de la présence de la « tâche bleue » - voir note 6.
(13) Sur ces Phipop, les pires de tous les phis, voir notre article « A151. EN THAILANDE, NOUS VIVONS AU MILIEU DES PHI »
(14) Pour Kusuman : http://www.amphoe.com/menu.php?am=599&pv=55&mid=1 et pour Plapak http://www.plapak.net/?page_id=29
(15) 6 pour le seul district (tambon - ตำบล) de Kusuman qui comprend 7000 habitants : http://th.wikipedia.org/wiki/รายชื่อวัดในจังหวัดสกลนคร et 11 pour celui de Plapak qui comprend moins de 9000 habitants : http://th.wikipedia.org/wiki/รายชื่อวัดในจังหวัดนครพนม